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Volume 21, 2014
Editorial

Numéro Spécial
Les EPA : entre description et conceptualisation



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Les environnements personnels d'apprentissage : entre description et conceptualisation.

 

Editorial

 

Daniel PERAYA (Université de Genève), Bernadette CHARLIER (Département des Sciences de l’Education, Université de Fribourg), France HENRI (Centre de recherche LICEF, Télé-université du Québec), Monique GRANDBASTIEN (LORIA, Université de Lorraine, Nancy)

 

Les environnements virtuels d’apprentissage déployés dans l’enseignement supérieur ont connu une importante évolution, depuis les premiers serveurs éducatifs Web (1994) jusqu’aux campus virtuels et aux plateformes dès le début des années 2000. Aujourd’hui, l’apparition du Web 2.0 − le Web social et collaboratif − a modifié les usages, introduisant de nombreuses applications orientées utilisateurs : ces «services» de communication, de collaboration, de réseautage, de partage et d’échange sont personnalisables, modulaires, conviviaux, gratuits, flexibles et facilement accessibles grâce au déploiement des infrastructures de réseaux. Ils s’appuient de plus sur les technologies nomades (téléphone intelligent, tablette, informatique en nuage). Parmi leurs utilisateurs1, de nombreux étudiants universitaires assemblent et aménagent ce type d’environnement pour organiser leur travail, soit en complément de l’environnement institutionnel, soit directement en lieu et place de celui-ci (Greenhow et al., 2009), (Dede, 2009), (Bonfils et Peraya, 2010), (Peraya et Bonfils, 2012).

La première version de ce qui sera désigné plus tard par l’expression personal learning environment (Olivier et Liber, 2001) est le Future Learning Environment réalisé par le Media Lab d’Helsinki en 1998. Sous l’impulsion de chercheurs tels que (Wilson, 2005), (Attwell, 2007a) et (Attwell, 2007b), ce nouveau concept qui désigne l’environnement conçu et utilisé par les étudiants pour apprendre, dans et en dehors des institutions, connaît un fort intérêt et de nombreux développements. Il fait l’objet de nombreuses explorations par des chercheurs en informatique, en sciences de l’éducation et de la communication, en technologie de l’éducation et en sociologie des usages. Ces derniers ne disposent cependant d’aucun cadre théorique permettant de dépasser ce niveau descriptif auquel se cantonnent les recherches actuelles, le plus souvent exploratoires, sur les EPA. Selon l’appartenance disciplinaire des chercheurs leurs intérêts et leurs ancrages institutionnels plusieurs approches se sont dessinées. La première de celles-ci est centrée sur la dimension informatique qui considère que les EPA sont des assemblages de services Web qui devraient être développés et agencés notamment au niveau institutionnel, proposant ainsi de nouveaux environnements virtuels d’apprentissage pour remplacer les anciens devenus obsolètes. Une deuxième approche est centrée sur la recherche de l’intelligibilité. Elle considère que les EPA sont déjà là, conçus et créés par les étudiants souvent pour soutenir leurs apprentissages formels ou non formels et tente d’appréhender ce nouveau phénomène en construisant de nouveaux objets de recherche. Ainsi, cette approche s’emploie à mieux décrire les EPA et à les modéliser, d’une part, et d’autre part, à comprendre l’activité supportée par les EPA et à cerner leur impact pour les étudiants eux-mêmes et pour les institutions.

Ce numéro spécial prolonge, par un appel public à contributions, les travaux du symposium intitulé Les environnements personnels d’apprentissage. Entre description et modélisation : quelles approches, quels modèles ? organisé dans le cadre du REF 2013 (Réseau Éducation et Formation) à Genève (9-11 septembre 2013). Les objectifs de ce numéro se déclinent en deux volets :

- Partager les cadres de référence et la terminologie afin de préciser et d’enrichir les différentes conceptualisations des EPA réalisées par des chercheurs issus de champs disciplinaires différents.

- Analyser et discuter la mise en application de ces cadres de référence et terminologies sur des objets de recherche : la conception et la construction émergente par l’étudiant de son EPA ; le modèle de l’apprenant ; l’expérience d’apprentissage ; les processus de gestion personnelle et de gestion collective des connaissances supportés par les EPA y compris en contexte professionnel ; les rapports entre les EPA et les environnements institutionnels. Développer une vision compréhensive de cette nouvelle thématique et de ses enjeux et y situer les différentes contributions. Ce troisième objectif, plus prospectif, vise en identifiant les lacunes des recherches actuelles à proposer des perspectives pertinentes et complémentaires pour notre domaine d’étude interdisciplinaire.

Le numéro rassemble des contributions de chercheurs représentatifs de différentes approches des EPA. Ils nous proposent leurs contributions empiriques à l’étude de ce phénomène par des modélisations, des développements, des observations et des études de cas. Cependant, pour mieux délimiter les contours de la thématique des EPA, pour identifier des niveaux d’étude, des entrées disciplinaires et des objets de recherche possibles, il fallait un travail fondateur de revue critique de la littérature. C’est à cette tâche que s’est consacrée la première contributrice, France Henri. Son article offre aux lecteurs un point d’entrée indispensable pour aborder les recherches sur les EPA. En effet, en se basant sur les distinctions entre objet concret, objet de recherche et objet scientifique clarifiées par (Davallon, 2004), elle propose non seulement une étude caractérisant l’évolution et la diversité des recherches sur les EPA, mais aussi un point de vue critique indispensable tant aux chercheurs qu’aux praticiens. Il s’agit, ni plus ni moins, d’asseoir les bases permettant de construire l’EPA comme objet de recherche. Elle identifie trois conceptions initiales des EPA: 1) une conception pédagogique centrée sur l’apprenant et sur le potentiel des technologies du Web 2.0, conception qui s’inscrit en faux par rapport aux environnements institutionnels offrant à l’apprenant peu de souplesse et de libertés ; 2) une approche technique, considérant les EPA comme des systèmes technologiques et des assemblages d’outils, développée par des informaticiens qui souhaitaient eux aussi donner à l’apprenant un plus grand contrôle et une plus grande liberté dans l’utilisation de leur environnement de travail ; 3) une conception qui met en évidence la dimension psychosociale et la nature fondamentalement subjective des EPA, qui constitue un cadre à partir duquel l’individu développe son activité. Elle montre que cette troisième conception est sans doute celle qui se rapproche le plus d’un objet de recherche « construit » en se référant aux notions d’environnement, d’environnement d’apprentissage et d’apprentissage intentionnel. L’EPA est ainsi problématisé en s’appuyant sur les principes théoriques de l’autodirection et du contrôle. « Une relation de pertinence est établie entre le design pédagogique, le contrôle de l’apprenant et l’environnement d’apprentissage incluant les technologies » (Henri, 2014), (p2).

France Henri montre cependant qu’à ce stade de la recherche, il serait illusoire de chercher à proposer une définition universelle des EPA. Elle nous propose plutôt, en se basant sur la littérature, des démarches particulièrement stimulantes permettant de théoriser les EPA. Celles-ci (Buchem et al., 2011) et (Fielder et Valjataga, 2011) se fondent sur l’analyse de l’activité de manière contrastée pour proposer une approche des EPA comme système d’activités complexe en tension. L’auteur termine son investigation en analysant deux recherches empiriques permettant de confronter les discours tantôt réalistes tantôt idéalistes aux données empiriques et ainsi de progresser vers la construction d’un objet scientifique. En conclusion, F. Henri plaide pour une plus grande collaboration entre chercheurs issus de domaines disciplinaires tels que l’informatique, la psychologie, la communication, les sciences de l’éducation pour travailler sur un objet de recherche hybride entre innovation technologique et phénomène social et subjectif. Ce numéro spécial de STICEF apporte quelques premières réponses à cette demande.

Les différents articles de ce numéro développent des conceptions des EPA qui relèvent des trois conceptions mentionnées plus haut. Dans un certain nombre de ceux-ci, les EPA sont conceptualisés comme des objets hybrides, à la fois techniques et pédagogiques, encore fortement ancrés dans la description ou la production d'objets empiriques, d’objets concrets. Que les recherches soient menées de l’un ou l’autre de ces points de vue, les auteurs de ce numéro prennent tous position contre les contraintes qu’imposent à l’apprenant les environnements institutionnels et revendiquent pour celui-ci plus de liberté dans le choix des outils et plus d’autonomie dans la construction de son environnement de travail. La contribution de Brigitte Denis et Noémie Joris s’inscrit dans la perspective pédagogique et s’intéresse plus particulièrement aux environnements personnalisables. Les travaux de Denis Gillet et de Na Li se basent sur le même constat, celui de l’inadéquation aux besoins des étudiants des plateformes institutionnelles fermées, rigides et centralisées, mais leur réponse − qui s’inscrit dans la deuxième conception − vient de l’informatique et du développement d’une plate-forme nouvelle. Enfin, la contribution de Monique Grandbastien et Samuel Nowakowski aborde de la personnalisation des environnements d’apprentissage sur la base d’une conception informatique de celle-ci : il s’agit de tester des fonctionnalités greffées sur le LMS Moodle susceptibles d’aider l’étudiant à faire d’un environnement institutionnel, un espace qui lui est propre.

Les autres contributions s’inscrivent dans la troisième conception subjective identifiée par France Henri. Elles proposent des approches de l’EPA comme un objet construit en référence à un cadre théorique. Jean Heutte s’appuie sur trois théories du self − autodétermination, auto-efficacité, autotélisme – flow − pour développer une conception d’un « environnement optimal d’apprentissage de l’étudiant envisagé dans une perspective sémiocognitive ». Cédric Fluckiger s’intéresse au processus de genèse instrumentale à partir du concept de « système d’instruments » développé par (Rabardel, 1995) et (Rabardel et Bourmaud, 2003). Bernadette Charlier mobilise ce même cadre de référence pour analyser comment des étudiants au moment de leurs passages à la vie professionnelle gèrent leurs activités d’apprentissage à travers une diversité de lieux et des moments d’apprentissage possibles, dans les conditions qu’elle nomme un « apprentissage au-delà des frontières ». C’est à partir d’une conception des EPA comme des systèmes d’instruments que Nicolas Roland et Laurent Talbot remettent en question la définition purement technologique des EPA et cherchent à expliquer les logiques de construction en fonction de facteurs personnels et environnementaux tout en cherchant à identifier leurs caractéristiques particulières. Pour Daniel Peraya et Philippe Bonfils, un EPA est considéré comme un « dispositif de formation et de communication médiatisées » et c’est à partir de ce modèle qu’ils analysent les fonctions mises en œuvre par des groupes d’étudiants dans la construction de leur environnement de travail. Annie Jézézou, d’une part, Stéphanie Mailles-Viard Metz, Émilie Vayre et Chrysta Pélissier d’autre part, analysent les EPA à partir de théories psychologiques de l’apprentissage. Jézegou propose un cadre théorique d’analyse et d’interprétation des EPA qui contribue ainsi à leur apporter une intelligibilité. Ce cadre théorique est ancré dans la théorie sociale cognitive de l’agentivité humaine. Enfin, Stéphanie Mailles-Viard Metz et ses collègues font l’hypothèse qu’un EPA est susceptible de développer chez les étudiants un profil motivationnel autodéterminé, d’accroître leur sentiment d’auto-efficacité et d’expérimenter de nouvelles stratégies d’apprentissages.

Au-delà de la diversité des approches adoptées par les auteurs, ce numéro spécial soulève plusieurs questions dont trois nous apparaissent cruciales. Quel est l’intérêt de l’EPA pour susciter de nouveaux objets de recherche ? Pour qui ces recherches ont-elles un intérêt ? Avec quelles perspectives sont-elles abordées? L’examen de ces questions permet de suggérer quelques pistes pour des recherches ultérieures.

Tout d’abord, en quoi l’EPA interpelle-t-il en tant que phénomène ? Comme nous l’avons vu plus haut, une première difficulté est la polysémie de l’acronyme. EPA  renvoie en effet à plusieurs phénomènes non seulement selon le champ disciplinaire du chercheur, mais aussi selon l’ancrage institutionnel de ses travaux et les objectifs qu’il se donne. Pour les informaticiens, il s’agit de transformer des environnements classiques en environnements personnalisables et interopérables. Pour des chercheurs intervenant au service du développement de la pédagogie universitaire, il importe d’identifier de nouvelles pratiques des étudiants situées à la frontière entre environnements institutionnels et environnements personnels. Pour les chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS), l’EPA désigne ces “nouvelles manières d’apprendre instrumentées” dont on observe l’émergence aujourd’hui.

Chacune de ces conceptualisations d’un phénomène en tant qu’EPA nous paraît légitimée par la position initiale qu’adopte chaque auteur par rapport aux institutions éducatives. Cependant, ce positionnement demeure le plus souvent implicite, car les chercheurs analysent encore trop peu leur posture face aux phénomènes qui les intéressent et aux finalités de leurs travaux. Ainsi, une première piste pour la suite des travaux serait, pour tous les chercheurs s’intéressant aux EPA, d’expliciter leur positionnement initial et leur degré d’adhésion ou de distance par rapport aux pratiques institutionnelles. Cette démarche de clarification permettrait certainement un dialogue plus constructif entre les auteurs issus de champs disciplinaires différents.

Une deuxième piste résiderait dans une meilleure identification des niveaux d’analyse (par exemple l’apprentissage individuel, le dispositif de formation, les pratiques institutionnelles, etc.) et une explicitation plus fine de leurs interrelations. Par exemple, si on s’intéresse aux apprentissages individuels, il est difficilement envisageable de faire l’économie de l’analyse des dispositifs de formation au sein desquels les données sont recueillies.

Enfin, une troisième piste consisterait pour chaque chercheur à expliciter dans un premier temps son choix d’un ou plusieurs « angles d’attaque disciplinaire » pour aborder son objet de recherche tel qu’il l’a construit et, dans un deuxième temps, de préciser comment il en est arrivé à définir son objectif de recherche. Nous pensons que ce questionnement du chercheur permettrait de surmonter certaines faiblesses que rencontrent nombre des recherches aujourd’hui. Ou elles optent pour un travail très descriptif sans toutefois construire un objet de recherche, par exemple une étude de cas conduisant à la formulation de questions permettant d’appréhender l’intérêt du phénomène à étudier. Ou elles font le choix d’un angle disciplinaire, par exemple la psychologie, à partir duquel elles font des propositions de conceptualisation sans pour autant s’engager dans une étude empirique.

Ce numéro spécial sur les EPA pose de nombreuses questions auxquelles il ne prétend ni ne peut répondre exhaustivement.Quels sont les objets de recherche traités et selon quelles disciplines ? Quelles sont les méthodes de recherche valides et pour quels objets de recherche le sont-elles effectivement ? Quelle collaboration peut-on envisager entre informaticiens et développeurs d’une part, et apprenants comme les enseignants d’autre part ? Quels impacts ces recherches peuvent-elles avoir sur et pour les pratiques ? Cependant, nous pensons que les contributions de ce numéro ouvrent des pistes et esquissent de nouvelles perspectives. Celles-ci pourront dès lors contribuer au développement de recherches originales dans le domaine des EPA tout en suggérant des voies pour améliorer leur qualité scientifique ainsi que leur impact sur l’apprentissage.

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1 Le masculin est utilisé au sens générique sans discrimination dans le but d’alléger la lecture du texte.

 
Référence de l'article :
Daniel PERAYA, Bernadette CHARLIER, France HENRI, Monique GRANDBASTIENT, Editorial du Numéro Spécial "Les environnements personnels d'apprentissage : entre description et conceptualisation", Revue STICEF, Volume 21, 2014, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 10/02/2015, http://sticef.org
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Mise à jour du 10/02/15