Environnements Personnels d’Apprentissage :
exploration des représentations et usages
d’étudiants de l’enseignement supérieur
Brigitte DENIS, Noémie JORIS (Université de Liège, Centre
de Recherche sur l’Instrumentation la Formation et l’Apprentissage,
Liège)
|
RÉSUMÉ : À
l’heure actuelle, il est difficile pour un étudiant de
réaliser des études supérieures sans recourir à un
environnement numérique. Cette situation entraine
l’émergence du concept d’Environnement Personnel
d’Apprentissage (EPA). Les auteures en proposent une définition
ainsi qu’une réflexion sur sa concurrence ou
complémentarité avec les environnements institutionnels
numériques. Elles rapportent les résultats d’une
étude exploratoire sur les représentations
d’étudiants universitaires à propos de la personnalisation
de leurs environnements numériques d’apprentissage et de
l’intérêt qu’ils y trouvent. L’analyse de
données issues de questionnaires et d’interviews met en
évidence différents profils en termes de conception et
d’usage d’un EPA. Une mise en relation avec différentes
théories de l’apprentissage et divers aspects de
l’ingénierie techno-pédagogique permet de dégager des
pistes de recherche et de développement en matière de
complémentarité des EPA et des environnements
d’apprentissage institutionnels (EAI).
MOTS CLÉS : technologies,
Environnement Personnel d’Apprentissage, EPA, Environnement
d’Apprentissage Institutionnel, personnalisation, enseignement
supérieur |
Personal Learning Environments: Exploration of Higher Education’s Students’ Representations and Uses |
|
ABSTRACT : Currently,
it is difficult for a student to pursue higher education without using a digital
environment. This leads to the emergence the concept of Personal Learning
Environment (PLE). The authors define it and consider his competition or
complementarity with the digitals institutional environments. They report
exploratory study results on students’ representations about their numeric
learning environments and their interests about them. Data comes from
questionnaires and interviews. Their analysis shows different profiles related
to the PLE. Linking the results to learning theories and aspects of technical
and educational design, they propose further investigation and development
related to the complementarity of PLE and institutional learning environments
(ILE).
KEYWORDS : technologies,
Personal Learning Environment, PLE, Institutional learning environment,
customization, Higher Education |
1. Contexte et problématique
Un peu partout dans le monde,
et plus particulièrement en Europe et outre Atlantique, se
développe dans les systèmes éducatifs une
préoccupation grandissante pour la pédagogie universitaire et
l’intégration des technologies de l’information et de la
communication (TIC) dans les pratiques de formation et d’apprentissage (De Ketele, 2010).
Les réformes pédagogiques vont bon train dans l’enseignement
supérieur. En témoignent, tant au niveau local
qu’international, les publications (ex. Revue internationale des
technologies en pédagogie universitaire) et les colloques sur ces
thèmes ainsi que l’existence d’associations (ex.
l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire) et de
réseaux (ex. l’Agence Universitaire de la Francophonie). Depuis
plus de dix ans, nombreux dispositifs technologiques d'appui à
l'enseignement supérieur se déploient (cf. campus
numériques francophonesMD).
L’université de Liège (ULg), n’échappe pas
à cette tendance. Ainsi, à la Faculté de Psychologie et des
Sciences de l’Éducation (FAPSE) de l’ULg, des pratiques
visant le développement de l’autonomie de l’apprenant, la
réalisation de projets, la collaboration, le développement
professionnel... commencent à rivaliser dès la première
année de bachelier avec des pédagogies plus traditionnelles qui
sont souvent l’apanage des cours dispensés à de grands
groupes d’étudiants (plusieurs centaines).
Si la place des technologies est encore assez relative dans ces dispositifs
de formation, on peut cependant supposer que la plupart des étudiants
s’en servent dans et en-dehors du cadre de leurs études. Mais quels
sont et comment s’organisent ces usages ?
D’une part, on observe surtout la mise en place de dispositifs hybrides
(alliant activités en présence et à distance) relevant de
différents types d’organisations et de buts (cf. la typologie
définie dans le projet Hy-Sup (Burton et al., 2011)).
Par ailleurs, au fil des années, les étudiants du supérieur
sont de plus en plus équipés en matériel. Des
enquêtes (ex. observatoire des pratiques du numérique à
l’université de Poitiers) rapportent que, dans certaines sections,
la quasi-totalité d’entre eux possède un ordinateur
personnel, voire des appareils mobiles. En outre, des initiatives sont prises
dans de nombreuses institutions afin de faciliter l’accès à
un équipement à prix réduit, voire gratuit (prêt).
D’autre part, l’usage des technologies ne se limite pas à
l’exploitation des environnements d’apprentissage institutionnels.
Différents auteurs (Bonfils et Peraya, 2010), (Plateaux et al., 2012), (Sclater, 2008) constatent l’émergence d’environnements personnels
d'apprentissage (EPA) en rapport avec diverses tâches de l’apprenant
(ex. production, classement et recherche de documents, capitalisation et partage
de ressources, etc.). De ce fait, l’agrégation personnelle de
plusieurs outils et services permet de soutenir l’apprentissage dans
divers contextes (scolaires ou non) et de mettre en œuvre des paradigmes
d’apprentissage variés (Leclercq et Denis, 1998).
Le concept d'EPA reste néanmoins encore en construction (Attwell, 2007), (Henri et Charlier, 2010), (Plateaux et al, 2012).
C’est pourquoi un symposium a été dédié
à ce thème lors des rencontres du Réseau en
Éducation Francophone (REF) en septembre
20131. Notre contribution à la
problématique de la construction et de l’usage d’un EPA porte
sur une définition de ce dernier et l’exploration de
différentes questions. Qu’évoque la notion d’EPA pour
des étudiants de l’enseignement supérieur ?
Jusqu’à quel point certains utilisateurs sont-ils
familiarisés avec une technique de personnalisation de leur environnement
technologique ? Comment la jugent-ils ? Que peut-elle leur apporter ?
L’apprenant s’aide-t-il de son EPA pour prendre le contrôle et
gérer son propre apprentissage (définition de ses objectifs,
gestion des contenus et processus d’apprentissage, que ce dernier soit
individuel ou en groupe) ?
Afin d’apporter une réponse à ces questions, nous avons
mené une étude exploratoire auprès d’étudiants
universitaires principalement issus de la FAPSE de l’ULg. Elle a pour but
de faire émerger des hypothèses permettant
d’appréhender le concept d’EPA et ses liens avec les
Environnements d’Apprentissage Institutionnels (EAI). Elle
s’interroge sur les outils technologiques employés par les
apprenants et leur manière de les agencer. Elle traite de leurs
représentations à propos de la personnalisation de leurs
environnements numériques d’apprentissage et de
l’intérêt qu’ils y trouvent ainsi que de leurs usages
des environnements d’apprentissage institutionnels. Ces
représentations sont mises en relation avec leurs usages des technologies
et différentes théories de l’apprentissage.
2. Cadre théorique
Celui-ci décrit ce que nous considérons
comme les caractéristiques des EPA et les défis majeurs
liés à leur construction.
2.1. Environnement Personnel d’Apprentissage
Ce concept a émergé depuis une quinzaine d’années
au Media Lab d’Helsinki avec la création
d’environnements d’apprentissage permettant aux usagers de
construire leur propre espace documentaire (ressources, liens), de prendre des
notes, de rechercher de l’information, d’annoter des documents, de
discuter et d’élaborer des artefacts avec d’autres (cf.
projet Future Learning Environment – (Leinonen, Kligyte, Toikkanen, Pietarila et Dean, 2003).
Ces travaux s’inscrivent notamment dans la lignée du
développement d’espaces de Computer Supported Collaborative
Learning et de scénarios d’apprentissage fondés sur
l’Inquiry Learning Process et la Distributed expertise.
La définition de l’environnement personnel d’apprentissage
semble se préciser au fil des études menées (Henri et Charlier, 2010).
Pour notre part, voici ce que nous entendons par EPA. Il est à noter que,
comme dans beaucoup d’études, cette définition se centre sur
un aspect numérique de l’EPA et sur des ressources
technologiques.2
Il s’agit d’un environnement virtuel où un individu
rassemble et gère différents artefacts (outils/services
technologiques3, ressources
numériques, liens, etc.) au service de son apprentissage. Son utilisation
est liée à un but individuel ou social.
Cet environnement est personnel dans la mesure où l’individu le
personnalise en vue de l’adapter à ses besoins. Ces derniers
entraînent une évolution de ses composants et de sa structure.
Ainsi, l’apprenant décidera de placer dans son
« portail-bureau virtuel » un accès vers les outils
et les ressources (ex. logiciels de bureautique, documents, widgets...)
qu’il utilise en local sur son ordinateur ou sur un support mobile ou
encore vers un service ou des ressources en ligne à usage personnel (ex.
navigateur web, liens...). Précisons cependant que le qualificatif
personnel ne signifie pas privé : certains objets (ex. tags,
documents, liens, messages...) peuvent être créés et
partagés en ligne au moyen de ou par un service dédié si
l’apprenant le décide.
Figure 1• Interactions
entre EPA de différents individus
L’apprenant construit son EPA dans le but de mieux contrôler et
gérer son apprentissage, que celui-ci soit individuel ou en groupe. Par
exemple, ceci relève de la définition de ses objectifs, de la
planification de ses tâches, de la recherche d’informations, de la
gestion de contenus, de la réflexivité sur son processus
d’apprentissage, etc. L’apprentissage peut être de type formel
ou informel et s’envisager tout au long de la vie. Ce type
d’environnement repose généralement sur une conception
épistémologique de l’apprentissage fondée sur le
socio-constructivisme et l’apprentissage autonome. Les paradigmes
d’apprentissage-enseignement mis en œuvre y sont donc essentiellement
à auto et socio-initiative (Leclercq et Denis, 1998).
À l’opposé des paradigmes à
hétéro-initiative, c’est-à-dire à
l’initiative du formateur (ex. transmission), l’apprentissage repose
ici davantage sur des conduites d’exploration, de recherche
d’information, d’expérimentation et de création
où les apprenants ont l’opportunité de prendre des
initiatives personnelles ou d’interagir avec d’autres (ex.
débat, projet collaboratif).
L’agrégation des divers artefacts peut être soutenue ou
non par un service dédié (ex. iGoogle, Netvibes, Symbaloo,
etc.) appelé un webportail. Les différents services
utilisés dans cet environnement virtuel peuvent ou non être
interopérables et, par exemple, recourir à un identifiant unique
(openID).
La majorité des ressources collectées (ex. liens) ou
créées (ex. documents multimédia) par l’apprenant
sont accessibles à partir de l’EPA généralement via
Internet et sur différents supports, dont les technologies mobiles. Cette
accessibilité quasi constante renforce à la fois le
caractère personnel et social des EPA.
Le schéma suivant illustre les éléments essentiels de
cette définition.
Figure 2 • Le concept d'Environnement Personnel
d'Apprentissage (numérique)
2.2. Construction d’un EPA dans le contexte de
l’enseignement supérieur : défis majeurs
Certains éléments peuvent favoriser ou au contraire freiner le
développement et l’exploitation d’un EPA. Ainsi, Valtonen et al., (2012) cités par (Henri, 2013), p.
14-15) mettent en évidence trois défis essentiels pour
qu’un étudiant mette en place un EPA. Ils indiquent que
« l’apprenant doit maitriser les technologies qu’un tel
environnement suppose et en comprendre l’usage en contexte
d’apprentissage. Il doit également avoir de solides
capacités d’autorégulation et de prise de décision
pour exploiter les ressources en ligne à des fins d’apprentissage.
Le troisième défi concerne le partage des responsabilités
entre l’enseignant et l’apprenant ».
Différentes théories de l’apprentissage éclairent
certains de ces aspects.
2.2.1. Maîtrise des technologies et compréhension de leurs
usages en contexte d’apprentissage
La maîtrise des technologies peut être influencée par
différentes variables comme le fait d’être ou non un natif
numérique, d’utiliser fréquemment ou non les outils et
services technologiques, ou encore d’utiliser une grande
variété d’outils.
L’expression natif numérique est devenue commune depuis quelques
années. Les natifs numériques sont, par définition, des
personnes qui « ont grandi entourés de ces outils [les
outils numériques], que ce soit les ordinateurs, les jeux vidéos,
les lecteurs mp3 ou encore les téléphones
portables » Prensky (2001) cité par (Billouard et Bouzidi, 2009),
p. 3. La prise en compte de cette information est importante car, comme
l’indiquent (Billourd et Bouzidi, 2009), « la génération des jeunes de moins de 25
ans4 utilise donc quotidiennement les
Technologies de l’Information et de la Communication [...] et
présentent un profil idéal dans le contexte de
l’intégration d’un Environnement Numérique de
travail » p. 5. Par ailleurs, à côté des
natifs numériques, Prensky indique que les autres individus sont des
immigrants digitaux, c’est-à-dire qu’ils « ne
sont pas nés avec les technologies numériques, mais [qu’ils]
les ont adoptées à un moment ou à un autre de leur
vie » (ibid. p. 6).
La fréquence d’utilisation des outils et services technologiques
est aussi un indicateur de la maîtrise, ou du moins, de l’usage des
technologies. En effet, un étudiant ayant recours aux technologies une
fois par mois n’aura sans doute pas le même bagage qu’un
étudiant y ayant recours plusieurs fois par jour.
Enfin, la multiplicité et la variété des outils
utilisés par les étudiants peuvent être aussi une
caractéristique de leur profil technologique. En effet, on peut supposer
que si l’étudiant est capable de citer un grand nombre
d’outils technologiques qu’il utilise fréquemment,
c’est une preuve d’une certaine connaissance de ces outils et
d’une plus grande variété d’usages. Toutefois, ceci
n’est pas garant d’une véritable maîtrise des TIC (Vandeput et Henry, 2011).
Par ailleurs, l’utilisation de nombreux outils pourrait, peut-être,
entrainer un besoin d’organisation de ceux-ci.
2.2.2. Capacités d’autorégulation et de prise de
décision
Construire et exploiter efficacement son EPA requiert
l’agentivité de l’apprenant (Jézégou, 2005), (Jézégou, 2012).
En effet, selon (Bandura, 2003),
p. 475, « cette théorie considère les individus
comme des agents actifs de leur propre vie – d’où
la notion d’agentivité – qui exercent un
contrôle et une régulation de leurs actes. La notion
d’« agentivité » reconnaît
également la capacité des individus à anticiper et à
ajuster leurs actes. (...) ».
Cet auteur met l’accent sur le sentiment d’efficacité
personnelle qui « désigne les croyances des individus quant
à leurs capacités à réaliser des performances
particulières. Il contribue à déterminer les choix
d’activité et d’environnement, l’investissement du
sujet dans la poursuite des buts qu’il s’est fixés, la
persistance de son effort et les réactions émotionnelles
qu’il éprouve lorsqu’il rencontre des obstacles. »
(ibid.).
C’est donc à l’apprenant de définir ses besoins,
ses objectifs et de choisir ses stratégies d’apprentissage ainsi
que les outils qui peuvent les supporter. Il doit ainsi prendre le
contrôle de son environnement d’apprentissage, le concevoir,
l’utiliser et le modifier en fonction de ses buts. Ses capacités de
prise de décision et d’autodirection sont primordiales. Elles
constituent en outre une des facettes du modèle connectiviste de
l’apprentissage (Downes, 2012),
très souvent associé au phénomène
d’apprentissage en réseau et à la construction d’EPA.
Par ailleurs, un principe du connectivisme est que la connaissance émerge
de la diversité des sources et des opinions. Ceci requiert-il
inévitablement des interactions sociales lors de
l’élaboration de l’EPA ou de son usage ?
L’environnement construit peut être issu d’une
démarche individuelle ou d’un projet collectif (coopératif
ou collaboratif). L’ingénierie de l’EPA par l’apprenant
peut croiser différentes sphères (scolaire, privée,
sociale). C’est à chacun de décider ce qu’il souhaite
en fonction de ses besoins du moment. Selon les buts poursuivis, on observera
une dimension individuelle ou collective qui entrainera la mobilisation de
différents types de ressources. Pour créer et exploiter son EPA,
l’apprenant doit ressentir un sentiment de compétence,
d’utilité, de contrôlabilité (Viau, 2000),
d’autoefficacité (Bandura, 2003) lié à la tâche et au but.
2.2.3. Partage des responsabilités entre l’enseignant et
l’apprenant
Faut-il, sous prétexte de l’importance de développer la
capacité de devenir un « bon autoapprenant » (Leclercq et Denis, 2006) laisser l’apprenant tout construire et réguler par
lui-même ? L’apprentissage formel prend en compte une
responsabilité de l’enseignant dans le processus
d’apprentissage. Qu’en est-il lors de la création et
l’usage d’un EPA qui ne sont pas forcément liés
à un aspect formel et qui supposent la mobilisation de compétences
cognitives, sociales, métacognitives, technologiques de haut niveau chez
l’apprenant ?
Selon la théorie socioconstructiviste, ces compétences se
construisent au fil de l’interaction de l’individu avec son
environnement physique et social. Pour sa part, la vision connectiviste de
l’apprentissage s’ancre dans l’approche de (Vygotsky, 1931).
Cette dernière met l’accent sur une approche instrumentale et sur
la composante sociale de l’apprentissage.
Tout apprenant est-il capable de parvenir à développer de
telles compétences spontanément ou à la suite
d’interactions sociales entre pairs ? L’agentivité de
l’apprenant va-t-elle automatiquement de pair avec un retrait total du
formateur ?
Si l’apprenant fait preuve d’agentivité, il est probable
qu’il ait moins (souvent) besoin du soutien d’une personne-ressource
que celui qui témoigne d’un faible sentiment
d’autoefficacité et qui éprouve des difficultés
à déterminer spontanément ses choix
d’activités et de ressources pour atteindre ses buts. Tout comme
dans l’autoformation, la présence d’un facilitateur est
dès lors pertinente (Carré et Pearn, 1992), (Denis, 1997).
Si ce rôle peut être joué par un pair, il faut toutefois
noter qu’il requiert certaines compétences dont celle de
pouvoir définir des objectifs d’apprentissage ainsi que les
méthodes et les outils permettant de les atteindre. Dans un contexte
d’apprentissage collaboratif, qu’il s’agisse
d’activités imposées dans un cours ou non, les apprenants
déterminent et négocient les buts à atteindre et
gèrent les étapes de travail, parfois choisissent qui compose le
groupe, etc. Ceci nécessite des compétences sociales qui elles
aussi doivent être construites, d’autant plus si elles sont
mobilisées à distance. Une expérience de plus d’une
dizaine d’années a montré, dans le cadre du projet
Learn-Nett que la collaboration à distance s’apprend et que
l’intervention d’un tuteur est importante à ce niveau (Deschryver, 2003).
De même, la construction d’autres compétences de haut
niveau dont la créativité, la résolution de
problèmes, la réflexivité, etc. peuvent être
explicitement visées dans des dispositifs conçus par des
formateurs (Denis, 2003).
Dès lors, le formateur devrait, selon nous, veiller à concevoir et
à faire vivre des activités qui permettent de construire sa
connaissance en interaction avec un milieu riche en ressources et avec ses pairs
et ainsi d’exercer des compétences de haut niveau.
Fort de ces expériences, l’apprenant gagnera en autonomie et
développera ces compétences essentielles dans la poursuite de ses
apprentissages au-delà d’un cadre formel. Il pourra notamment
poursuivre le développement de son EPA.
3. Questions de recherche
Cette étude exploratoire a pour but
d’étayer la formulation d’hypothèses afin de
poursuivre la recherche dans le domaine de l’élaboration et des
usages des EPA par des étudiants de l’enseignement
supérieur.
Elle rend compte d’une première exploration des connaissances et
usages d’étudiants issus de la Faculté de Psychologie et des
Sciences de l’Éducation (FAPSE) ainsi que de la faculté de
Médecine (École de Santé Publique) concernant les
environnements personnels d’apprentissage.
L’objectif est d’obtenir des réponses à
différentes questions :
1. Quels sont les outils/services technologiques utilisés par les
étudiants ?
2. Les étudiants utilisent-ils les environnements numériques
d’apprentissage institutionnels mis à leur disposition ?
3. Quelles sont les représentations des étudiants concernant
les EPA ?
4. Les étudiants perçoivent-ils une plus-value à
créer un EPA ?
5. Les étudiants créent-ils leur EPA ?
4. Méthodologie
Nos valeurs et nos options
épistémologiques (autonomie, esprit critique,
socioconstructivisme) couplées aux trois facettes de notre métier
(recherche en technologie de l’éducation, conception de dispositifs
d’apprentissage et de formation) nous placent dans une perspective
interprétative ou critique (Karsenti et Savoie-Zajc, 2011).
Les complémentarités entre méthodologies quantitative et
qualitative sont néanmoins exploitées ici. La méthode de
recueil de données est mixte.
Cette étude exploratoire recourt dans un premier temps à
l’enquête par questionnaires, nommée ci-dessous enquête
préalable, puis à l’entretien semi-directif.
4.1. Méthode de recueil des données quantitatives
Deux questionnaires ont d’abord été conçus. Le
premier, sous forme papier, visait, entre autres, à découvrir les
outils spontanément cités comme étant présents sur
le bureau de l’ordinateur (ou autre interface/support technologique) des
étudiants. Le second, sous forme d’un questionnaire en ligne, avait
pour but d’investiguer plus en détails les outils et services
technologiques utilisés. Ce questionnaire est inspiré, en partie,
du sondage d’opinion construit par l’Université de
Genève lors de sa pré-étude pour la mise en place
d’un environnement d’apprentissage personnalisé (Benkacem, Ndiaye, Ahmeti et Moccozet, 2011).
Les étudiants étaient amenés à sélectionner
les réponses qui leur correspondaient concernant leur équipement
technologique, leurs utilisations des outils/services technologiques, les
réseaux sociaux, les environnements institutionnels d’apprentissage
(plateforme en ligne) et leur profil personnel.
Ces deux enquêtes ont été menées auprès de
361 étudiants. La combinaison des réponses à ces deux
questionnaires nous permet de répondre à notre première
question concernant les usages des technologies par les étudiants (Denis et Joris, 2013).
Si l’analyse des résultats nous a fourni de nombreux
éléments intéressants concernant les outils et services
utilisés par les étudiants dans le cadre de leurs cours, elle ne
permettait pas de mettre en évidence suffisamment clairement le concept
d’EPA. C’est pour cette raison que l’entretien
semi-structuré a été choisi comme outil
complémentaire de récolte de données pour une partie de la
population.
4.2. Méthode de recueil des données qualitatives
L’entretien semi-structuré ouvre le questionnement sur la
complexité des objets étudiés. Il permet d’interagir
avec l’interviewé en lui laissant le choix des mots et des
détails pour répondre aux questions posées.
Un premier objectif était d’identifier les
représentations des apprenants à propos des EPA (question 3). Si
l’interviewé(e) avait une représentation très
limitée de ce concept, une partie du temps de l’entretien (entre
les items 1 et 2) était alors consacrée à
l’explication de ce que nous entendions par EPA, le deuxième
objectif étant de recueillir des données qui allaient nous
permettre d’approfondir le sujet par la suite (plus-value perçue de
la création d’un un EPA, création d’EPA par les
étudiants, liens entre EPA et environnements numériques
institutionnels).
Les entretiens individuels ont duré environ une quinzaine de minutes
et ont été réalisés sur base d’un guide
d’entretien dont les items sont repris ci-dessous.
Tableau 1 • Guide d’entretien
Les entretiens ont été enregistrés, avec
l’accord des interviewés, et retranscrits. Ils ont ensuite
été analysés item par item. Les données recueillies
ont été catégorisées et interprétées.
4.3. Public-cible
Notre public-cible est composé d’étudiants universitaires
qui suivent certains de nos cours. Ils sont issus de la Faculté de
Psychologie et des Sciences de l’Éducation (FAPSE) ainsi que de la
faculté de Médecine (École de Santé Publique)
Au départ, les enquêtes préalables s’adressaient
à 361 étudiants. Parmi eux, 345 qui suivent un cours
intitulé « Méthodes de formation et théories de
l’apprentissage », ont été qualifiés de
« tout venant » car ils proviennent d’horizons
différents tels que de 2e année du baccalauréat
en sciences psychologiques et pédagogiques, d’année
préparatoire en sciences de l’éducation,
d’année préparatoire et de 1er et
2e master en santé publique (médecine) ainsi que de
3e année du baccalauréat en sciences humaines et
sociales. Les 16 autres ont été qualifiés de
« spécialisé en TICE » car ce sont des
étudiants de 1er master et 2e master en
sciences de l’éducation de la FAPSE qui ont choisi dans leur cursus
l’option « technologies de l’éducation et de la
formation » et qui ont déjà suivi au moins deux
cours centrés sur les technologies.
Parmi les 361 répondants potentiels aux enquêtes, 161 ont
répondu aux deux questionnaires. C’est parmi ces derniers que nous
avons sélectionné six étudiants à interviewer qui
font partie du public-cible de cette étude exploratoire. Le lien entre
les résultats obtenus lors des enquêtes préalables et ceux
des interviews alimente la discussion des résultats.
Ce choix s’est opéré en tenant compte des variables
« profils » (groupes « tout venant » et
« spécialisé en TICE »),
« sections » (Sciences de l’éducation,
Santé publique et psychologie) et « catégorie
d’âge ». Notons que l’ensemble de la population des
étudiants dits « spécialisés en TICE »
se trouve en master en sciences de l’éducation et dans la tranche
d’âge des natifs numériques, ce qui ne permet pas de plus
amples distinction.
Cet « échantillon » très réduit
n’a aucunement la prétention d’être
représentatif. Il sera étendu lors de recherches
ultérieures à la présente étude exploratoire.
Le tableau suivant reprend les caractéristiques de chacun des
interviewés. Celles-ci ont été obtenues via le
questionnaire en ligne.
Étudiant |
Groupe |
Année d’étude |
Section |
Catégorie d’âge |
E1 |
Spécialisé TICE |
1er master |
Sciences de l’éducation |
21-30 ans |
E2 |
Tout venant |
Année préparatoire |
Santé publique |
41-50 ans |
E3 |
Spécialisé TICE |
2e master |
Sciences de l’éducation |
21-30 ans |
E4 |
Tout venant |
1er master |
Santé publique |
31-40 ans |
E5 |
Tout venant |
2e bac |
Psychologie |
21-30 ans |
E6 |
tout venant |
2e bac |
Psychologie |
- 21 ans |
Tableau 2 • Caractéristiques des
répondants aux interviews
5. Résultats
Cette section aborde des éléments de
réponses aux cinq questions posées précédemment
(section 3).
5.1. Quels sont les outils/services technologiques utilisés par les
étudiants ?
Si les outils et services technologiques utilisés par les
étudiants ne peuvent pas être considérés en tant que
tels comme des EPA, ils en sont néanmoins les constituants
élémentaires (selon notre définition). Ainsi, avant
d’interroger les six étudiants sur leurs représentations sur
les EPA, nous avons observé le nombre d’outils/services
technologiques qu’ils disent effectivement utiliser et leur
variété5. Le tableau
ci-dessous reprend, pour chaque interviewé, le nombre d’outils, par
catégorie, qu’il a cités soit spontanément, soit via
le questionnaire en ligne. Il est à noter que l’ensemble des
interviewés indiquent utiliser plusieurs fois par jour les
services/outils technologiques (en général).
Tableau 3 • Nombre d'outils/services
technologiques utilisés par les étudiants
Ce tableau récapitulatif nous permet de nous rendre compte du nombre
d’outils/services cités et de leur variété.
Les étudiants E1, E2 et E3, avec 32, 25 et 33 outils cités,
sont ceux qui semblent en utiliser le plus et avec la plus grande
variété (12 ou 13 catégories ou sous-catégories
différentes). Ces résultats nous paraissent assez logiques dans le
sens où deux de ces étudiants sont
« spécialisés en TICE », ils ont ainsi
dû être amenés durant leur cursus à utiliser et
découvrir plus d’outils et services que les autres
interviewés. L’étudiant E2 par contre n’en fait
pas partie. Peut-être a-t-il acquis ces connaissances via un
apprentissage dans un parcours antérieur ou via une découverte en
autonomie.
Les étudiants E4, E5 et E6, avec 17, 15 et 18 outils cités,
sont ceux qui disent en utiliser le moins et présentent un nombre moins
varié d’utilisation d’outils (8 ou 9 catégories).
On peut aussi observer que tous les étudiants citent des outils de
navigation sur Internet, au moins un moteur de recherche
généraliste, les Environnements d’Apprentissage
Institutionnels (MyULg, eCampus, site facultaire, etc.), au moins un outil du
Web 2.0 (souvent il s’agit de Dropbox) et des outils de
bureautique. Ces outils pourraient-ils être considérés comme
le « kit de base » pour un étudiant du
supérieur ?
5.2. Les étudiants utilisent-ils les environnements numériques
institutionnels mis à leur disposition ?
L’Université met à disposition des étudiants deux
environnements numériques. Le premier, MyULg, est l’environnement
numérique global pour tous les étudiants de
l’Université de Liège. C’est via cet environnement,
accessible par un identifiant et un mot de passe, qu’ils peuvent/doivent
valider leur inscription, compléter leur dossier, recevoir (une partie
de) leurs résultats, leur bulletin, etc. C’est un portail
numérique où les enseignants peuvent déposer des ressources
pour les étudiants. Le second, eCampus, est une plateforme
élaborée à partir du Learning Management System
Blackboard. L’étudiant n’a accès qu’aux
cours mis en ligne sur cette plateforme par l’enseignant et auxquels il
est inscrit. Sur la page d’accueil de cette plateforme,
l’étudiant accède à la liste de ses cours
présents sur la plateforme, à différents outils, à
un calendrier, des annonces et des tâches (liées aux cours).
Ensuite, chacun des cours peut présenter une organisation
différente selon les fonctionnalités mises à disposition
par le concepteur du cours. La visibilité et l’utilisation de
ceux-ci sont paramétrables par l’enseignant.
Lorsque l’on demande aux étudiants s’ils ont
déjà utilisé MyULg et eCampus, tous répondent
« oui ». Cela n’est pas particulièrement
étonnant étant donné que l’utilisation de MyULg est
un passage quasiment obligatoire pour la gestion du parcours
universitaire. Par ailleurs, un enseignant donnant cours à tous les
étudiants de notre public-cible demande de réaliser des
activités sur eCampus. Il parait donc assez logique qu’ils aient
tous déjà utilisé cette plateforme.
Nous avons cherché à savoir quelle était
l’utilisation précise faite de ces EAI. Il semble que celle-ci ne
soit pas exactement la même pour les deux environnements. Les
étudiants interviewés indiquent utiliser MyULg très
fréquemment (« tous les jours, plusieurs fois par
jour », « deux à trois fois par
jour », « au quotidien parce que je vérifie mes
mails », « tous les jours parce que je suis
délégué des 2e Bac »,
« deux à trois fois par semaine », « une
fois par semaine ») et ce tout au long de l’année
scolaire. Par contre, l’utilisation de eCampus est uniquement liée
à certains cours. Si un enseignant l’emploie, alors ses
étudiants l’utilisent aussi : « ben eCampus, on
ne l’a utilisé que pour MFTA puisque c’est le seul
[professeur] qui utilise eCampus et donc on l’a utilisé pour les
forums quand on a dû réaliser le travail d’MFTA. Aussi pour
voir un peu les questions que les autres étudiants avaient posées
à Mme X. dans chaque chapitre, enfin sur les questions que je me posais
et les notes d’examens » (E4). « eCampus,
c’est juste pour le cours parce que je ne suis pas très
technologique ... moi, on m’a dit « va sur eCampus chercher les
fichiers, j’ai été chercher les fichiers. Je ne suis pas
explorateur. Autant sur MyULg...» (E5)
L’usage principal de ces deux environnements est la
récupération de documents et de ressources. Les étudiants
indiquent s’en servir avant tout pour « récupérer les infos, les cours, les
fichiers » (E6), « télécharge[r] mes
cours » (E2), « aller voir, télécharger
les dias » (E3), etc. Ils y consultent également des
annonces liées aux cours et aux examens. Certains accèdent
à leur webmail (adresse institutionnelle) via le portail
MyULg.
Ces informations nous permettent d’avancer que tous les
étudiants interrogés utilisent les EAI mis à leur
disposition par leur Université car c’est une source officielle,
voire obligatoire pour obtenir certaines informations ou réaliser des
travaux.
5.3. Quelles sont les représentations des étudiants
concernant les EPA ?
Parmi les six étudiants interrogés, cinq n’avaient jamais
entendu cette expression et un seul (E1) en avait entendu parler via ses cours
et des discussions avec d’autres étudiants. La définition
qu’il propose est proche de la nôtre. Il indique que, selon lui, un
EPA est « la manière dont je vais organiser les
différentes icones de mon ordinateur, les différents modules
Internet, etc. pour faciliter mon apprentissage à moi. » On
peut observer ici, les dimensions à la fois technologique,
d’organisation personnelle et d’apprentissage, présentes dans
notre propre définition et celles d’autres auteurs. Ici,
c’est l’étudiant qui décide, qui choisit et
contrôle l’organisation de son EPA. Le but exprimé est la
facilitation de son propre apprentissage. De plus, il souligne
l’intérêt d’avoir accès à un
réseau pour obtenir des informations qui viennent à
lui automatiquement : « c’est l’information qui
vient à toi, tu n’es plus obligé de faire la démarche
d’aller vers l’information [...] Il existe des
fonctionnalités à intégrer directement dans ton
EPA... » et qui lui permettent de s’ouvrir à des
« domaines différents auxquels on ne pense pas
directement ». Il a décidé de la
manière de structurer son environnement : « il
n’y a pas un seul EPA, il n’y a pas une seule fenêtre de
navigation. Un onglet peut renvoyer à d’autres
fenêtres... ». Il en va de même pour
l’organisation de ses tâches. Une partie de son EPA concerne ses
apprentissages, une autre un espace dédié à d’autres
préoccupations personnelles (ex. musique).
Les autres étudiants s’essaient à une définition
et mettent ainsi en évidence leurs représentations de ce concept.
Ainsi certains voient l’EPA comme un « environnement
particulier [qui] peut permettre un certain apprentissage » (E5),
un « endroit spécial où on peut apprendre une
méthode personnellement » (E6) ou encore comme un « environnement dans lequel nous on va apprendre ou travailler pour
apprendre » (E4). Ces étudiants ont une vision assez vague
et dépourvue de lien avec la technologie et ce malgré le
fait qu’il leur avait été précisé
précédemment que la recherche menée se rapportait au
domaine des technologies pour l’éducation. En absence
complète de connaissances préalables, ces réponses peuvent
s’expliquer dans le sens ou l’acronyme EPA ne précise pas une
dimension technologique. Ils ne citent toutefois pas d’autres types de
ressources. Tous mentionnent explicitement l’apprentissage et
l’associent à un « lieu particulier »,
parfois à une action personnelle, voire collective
(« nous », « on »).
Deux étudiants quant à eux font un lien avec cette dimension
technologique. Un pense qu’il s’agit de « tous les outils
concernant les études, l’apprentissage » (E2) et un
autre qu’il s’agit « d’un environnement en ligne, une
plateforme [...] où l’apprenant apprend via des modules en ligne
[...] qu’il peut personnaliser, choisir ce qu’il a besoin pour
apprendre. » (E3). Ici, la référence aux technologies
fait a priori surtout référence aux outils institutionnels.
Aucun ne recourt à une organisation particulière de ces
outils.
Nous pouvons donc observer que les représentations des
étudiants sont, en général, assez floues. Il semble que les
termes « environnement » et
« apprentissage » sont envisagés au sens large. Quant
au terme « personnel » il semble être compris
différemment selon les étudiants. Soit en termes de « je
personnalise », c’est un choix, une décision, soit en
terme de « cela me convient, je ne cherche pas plus loin »,
c’est un constat, une utilisation.
5.4. Les étudiants perçoivent-ils une plus-value à
créer un EPA ?
Nous avons demandé aux étudiants s’ils voyaient ou
verraient un intérêt à construire, gérer leur propre
EPA. Sur les six étudiants interrogés, cinq répondent par
l’affirmative. Un seul donne un avis négatif arguant qu’il
n’aime pas « être enfermé dans une
structure » (E2).
Les cinq autres étudiants citent différents avantages
qu’ils voient a priori ou posteriori à construire un EPA. Le
premier avantage cité est la structuration, certains affirment
qu’« il y a toujours un intérêt à
structurer ; maintenant ça dépend de la quantité
d’infos » (E5) ou encore qu’il trouverait cela
intéressant d’avoir « une interface bien
organisée » (E3). Dans le même ordre
d’idée, des étudiants voient dans l’EPA une occasion
de rassembler toutes les informations au même endroit (E3, E6). Deux
étudiants indiquent qu’ils voient l’EPA comme une
facilité, une rapidité (E1, E6). Un y voit l’occasion « d’une ouverture à plein de domaines
différents [...] car c’est l’information qui vient à
toi » (E1).
Par ailleurs, les étudiants parlent d’un manque de connaissance.
Ils disent qu’ils ne connaissent pas toutes les possibilités qui
leur sont offertes et qu’ils trouveraient cela intéressant
qu’on les informe plus sur le sujet (E1, E3, E5). Ils indiquent
aussi que l’individualité doit être respectée « c’est un outil super intéressant, mais il ne faut
pas forcer l’étudiant » (E1), ça doit « correspondre exactement à ce dont il a besoin et à
la manière dont il travaille » (E4).
Nous pouvons donc répondre à l’affirmative à cette
quatrième question, du moins dans le cadre de cette étude
exploratoire. Les étudiants perçoivent effectivement une
plus-value (voire plusieurs pour certains) quant au fait de créer un EPA.
Il est néanmoins important de remarquer qu’ils seraient
intéressés à avoir plus d’informations sur le sujet,
mais que la volonté d’y recourir et le choix de l’EPA
devraient leur revenir.
5.5. Les étudiants créent-ils leur EPA ?
Nous avons enfin cherché à savoir si les étudiants
utilisaient des EPA. En effet, nous partions de la supposition que, même
si le terme leur était inconnu ou peu familier, ils pouvaient avoir mis
en place et utiliser un EPA. Les réponses sont très variées
selon les étudiants interrogés.
Selon leurs réponses, nous pouvons les placer sur un continuum de
« création-finalisation » de leur EPA. Cette
échelle va de « Pas de présence d’EPA »
à « Présence d’un EPA riche et
réfléchi ».
Figure 4 • Continuum de
"création-finalisation" d'un EPA
Les étudiants 2 et 5 ne semblent pas avoir construit d’EPA. Tous
deux donnent très peu d’informations concernant leur environnement
numérique. Un précise juste qu’il utilise Internet et le
traitement de texte, mais qu’il préfère travailler avec le
papier et l’imprimante (E2). L’autre dit qu’il utilise la
plateforme MyULg pour récupérer ses cours, mais que pour le reste,
c’est très aléatoire, même ce qui se trouve sur le
bureau de son ordinateur. Il indique que « ça va où
ça va et puis c’est tout, je laisse comme ça. » (E5). Il avoue utiliser en moindre mesure les technologies, il ne le fait
que lorsque c’est obligatoire.
L’étudiant 6 indique que, selon lui, il ne possède pas
d’EPA. Il n’organise pas son espace numérique et il n’a
pas plusieurs outils rassemblés au même endroit. On pourrait donc
penser qu’il devrait se retrouver du côté des
étudiants 2 et 5. Néanmoins, dans la suite de la conversation,
l’étudiant cite plusieurs outils/services qu’il utilise
fréquemment tels que Dropbox, un navigateur Internet, MyULg,
Skype, et le classement de fichiers importants. Il nous semble donc que,
même s’il ne la cite pas explicitement, cet étudiant associe
bien une dimension technologique à son apprentissage. Toutefois, celle-ci
ne semble pas être organisée ni sous-tendue par une
réflexion à ce sujet, d’où sa place
légèrement avancée sur le continuum.
L’étudiant 3 ne considère pas qu’il possède
un EPA. Il déclare utiliser des icônes rangées sur son
ordinateur, mais ne voit pas cela comme un environnement d’apprentissage.
Il précise néanmoins que ce qui se rapproche, pour lui, le plus de
son EPA est sa Dropbox car elle est suffisamment bien rangée et
organisée et en lien avec ses cours. Nous pouvons donc observer dans ce
cas-là, une volonté d’organisation des ressources
numériques liées à l’apprentissage. Cependant
celle-ci se concentre sur les documents numériques qu’il
récolte par ailleurs.
Pour sa part, l’étudiant 4 précise que son bureau
d’ordinateur est bien organisé afin de lui faire gagner du temps.
Il crée des dossiers, des sous-dossiers, possède un navigateur
à portée de « clic » et classe ses recherches
selon des favoris. Nous considérons qu’il possède un
environnement numérique personnel qui est le bureau de son ordinateur. Il
est réfléchi et organisé selon ses besoins et certains
liens sont faits avec les services en ligne. Néanmoins,
l’utilisation des outils et services existants est assez faible. Il
possède un EPA, mais presque uniquement en local. En outre, la dimension
collective est peu présente.
Enfin, l’étudiant 1 considère lui-même qu’il
a construit son EPA et ce via un webportail. Il peut détailler celui-ci.
Il indique qu’il a des onglets de navigation qu’il a choisis et
qu’il utilise directement, que ceux-ci peuvent renvoyer à plusieurs
fenêtres de navigation. Il cite l’utilisation d’une boite mail
organisée, de Facebook, de mises à jour automatiques, de
fonctionnalités. De plus, il s’est fixé une procédure
personnelle pour entrer dans son EPA : « J’ouvre mon
navigateur, je tombe sur mes mails, première chose que je fais.
Deuxième chose que je fais, je vais regarder les nouvelles de Facebook
parce que moi, ça me permet de rentrer tout doucement dans une phase de
recherche s’il y a lieu d’avoir une recherche. Ensuite, je regarde
les mises à jour des onglets, au niveau des fonctionnalités et
tout cela ». Il indique que son bureau d’ordinateur est, lui
aussi, organisé avec différents outils importants mis en
évidence et d’autres outils «cachés» pour
éviter les tentations (ex. musique) et qu’il utilise des
post-it pour noter ses tâches. Selon nous, il s’agit effectivement
d’un EPA riche et réfléchi. Le côté personnel
est perçu dans la description de l’étudiant.
Nous constatons donc que chaque étudiant présente une approche
différente de l’utilisation des technologies dans son
apprentissage. Tous utilisent quelques outils technologiques, mais de
façon très disparate. Certains n’ont pas
d’environnement personnel d’apprentissage numérique construit
à cette fin, ils utilisent quelques outils selon leurs besoins du moment
et uniquement lorsque c’est nécessaire. Néanmoins quelques
étudiants présentent une ébauche d’EPA avec soit
l’utilisation fréquente d’outils technologiques, soit la
volonté et le choix d’organisation de documents en lien avec leur
apprentissage sur l’ordinateur. Enfin, un étudiant organise de
façon assez claire son EPA.
6. Discussion des résultats
Les résultats des interviews
présentés ci-dessus apportent des éléments de
réponses à nos questions de départ. Néanmoins, leur
mise en perspective en fonction de différentes caractéristiques
des apprenants (notamment celles obtenues lors de leur participation à
l’enquête précédant ces interviews (Denis et Joris, 2013) et au regard des trois défis majeurs de Valtonen et al. (2012)
cités par (Henri, 2013), p.
14-15, nous permet de proposer une analyse plus approfondie de ceux-ci.
6.1. Maîtrise des technologies et compréhension de leurs usages
en contexte d’apprentissage
6.1.1. Natifs numériques
Les six étudiants interrogés appartiennent à
différentes catégories d’âge. Si l’on compare
celles-ci à la définition d’un natif
numérique présentée précédemment, on
peut conclure que quatre d’entre eux sont natifs numériques (E1,
E3, E5, E6) et deux sont immigrants numériques (E2, E4).
Au regard des constructions d’EPA, on observe que
l’étudiant présentant l’EPA le plus
développé fait partie de la catégorie des natifs
numériques, l’étudiant présentant l’EPA le
moins développé (voire pas d’EPA du tout) fait partie de la
catégorie des immigrants numériques. Néanmoins, pour
le reste des répondants, l’aspect natif numérique ou
non ne semble pas expliquer l’(in)existence d’un EPA.
6.1.2. Fréquence d’utilisation des technologies
Au niveau de la fréquence d’utilisation des outils et services
technologiques, les six interviewés indiquent, comme
précisé précédemment, les utiliser plusieurs fois
par jour. On ne peut donc rien conclure à ce stade quant à
l’influence de la fréquence d’usage sur la construction ou
non d’un EPA.
6.1.3. Usages et pratiques personnelles des technologies
Le tableau 3 présenté dans les résultats met en
évidence les usages des outils utilisés par les
interviewés. Il n‘est pas étonnant que les étudiants
« spécialisés en TICE » soient ceux qui
emploient le plus grand nombre d’outils/services technologiques.
Au niveau de la variété des outils, on constate que c’est
un des étudiants ayant cité le plus d’outils (E1 = 32 outils
cités) qui présente l’EPA le plus développé.
À l’inverse, l’étudiant ayant cité le moins
d’outils (E5 = 15 outils cités) est celui qui présente
l’EPA le moins développé. Toutefois, fréquence et
variété ne vont pas de pair avec la représentation ou le
développement d’un EPA. Ainsi, E3 utilise le plus d’outils,
mais considère qu’ils ne font pas partie d’un (de son) EPA.
De même, on peut s’étonner de voir qu’un
répondant utilisant un grand nombre d’outils (E2 = 25 outils)
présente un des EPA les moins
« développés ». Chez ce dernier, le recours
aux technologies est un moyen d’obtenir des ressources qu’il
exploite ensuite sur papier. Peut-être peut-on revenir ici sur la notion
de natif numérique. E2 fait partie des immigrants
numériques, génération qui, si elle recourt aux
technologies, reste néanmoins toujours fort attachée au
papier.
Parmi les outils et services cités, ce sont ceux à usage
individuel et assez classiques qui priment (bureautique, navigation, moteurs de
recherche...). Toutefois, tous utilisent au moins un service du web 2.0 (en
général Dropbox). Seul E4 ne recourt pas aux réseaux
sociaux ni aux outils de communication. Certains participent à des
groupes Facebook pour traiter de questions d’apprentissage. Des
groupes informels se créent donc peut-être, mais cette
composante sociale n’est pas citée lors des interviews relatives
aux EPA. Ces outils ne sont que rarement agrégés et accessibles
à partir d’une interface unique.
Il est probable que si on donnait à ce stade la consigne aux
étudiants d’agréger et de structurer les outils qu’ils
emploient actuellement, on retrouverait dans un premier temps des configurations
d’EPA peu innovantes et reposant sur des environnements traditionnels
qu’ils connaissent (Henri, 2013),
p. 15.
6.2. Capacités d’autorégulation et prise de
décision
Que la création d’un EPA soit spontanée ou
sollicitée, ce dernier a toujours pour but de rencontrer les besoins des
apprenants en matière d’apprentissage. Ceci nous amène
à considérer leurs choix et la manière de les gérer.
Épinglons le cas de l’étudiant 1 qui présente un
EPA développé. On observe chez celui-ci un grand nombre de prises
de décision et un haut niveau d’autorégulation dans la
construction de son environnement numérique. Celui-ci emploie
régulièrement des outils qu’il a choisis en fonction de ses
intérêts et de leur utilité perçue pour accomplir ses
tâches. Il a lui-même a décidé de la structuration et
de la manière de consulter son EPA. Il distingue des applications
liées aux apprentissages scolaires et celles liées à
d’autres préoccupations (loisirs, volet relationnel...). De
nouvelles informations lui sont communiquées automatiquement sur base de
ses choix personnels (grâce à un abonnement à des flux
RSS ou à Pearltrees par exemple). Une telle organisation lui
est utile au-delà de ses études et pourra continuer à
l’être dans la mesure où il aura toujours accès
à cet environnement. Cela n’est pas le cas pour les
étudiants qui utilisent uniquement les EAI. En effet, ils n’y
auront plus accès une fois sortis de l’institution. De plus,
comme le signale E1, avec les technologies mobiles, « ton
bureau, tu l’as partout avec toi ». L’EPA peut donc
être ubiquitaire, pérenne et évoluer à travers le
temps et être consultable quasi n’importe où et
n’importe quand. Cette utilité à long terme et la
possibilité de modifier à souhait son EPA, suite à
l’instauration personnelle d’une démarche de recherche
individuelle ou en interaction avec autrui pour l’alimenter au gré
de ses besoins, est un gage de d’évolution, de
pérennité et d’usage de tels environnements. Ceci va de pair
avec une conception de l’apprentissage où l’apprenant
développe une stratégie recourant principalement à des
paradigmes d’apprentissage ou il prend des initiatives lui-même ou
en interaction avec ses pairs, et cela tout au long de sa vie.
Mais que faire avec les apprenants qui ne présentent pas de signe de
prise de décision concernant la construction d’un EPA, qui se
sentent (ou sont) moins compétents au niveau technologique ou ne
perçoivent pas d’utilité à créer un
EPA ?
Il ne s’agit absolument pas de les contraindre à de telles
pratiques. Par contre, les informer à propos de telles
possibilités, susciter l’émulation pourrait stimuler leur
intérêt et les amener à trouver suffisamment de valeur dans
cette tâche au point de souhaiter créer un EPA. Les former à
l’usage de multiples outils technologiques pouvant soutenir leurs
tâches d’apprentissage formel ou informel pourrait augmenter leur
sentiment de compétence et de contrôlabilité. Dès
lors, on verrait sans doute se multiplier les EPA et un usage efficace des
technologies.
6.3. Pistes pour un partage des responsabilités entre
l’enseignant et l’apprenant
Sur base de ce qui ressort des interviews, dans un EPA, toute la
responsabilité est laissée à l’apprenant. Mais
s’il n’en a pas les compétences ou l’envie, il ne
construit pas d’EPA.
Quoi qu’il en soit, les étudiants utilisent massivement les
environnements d’apprentissage institutionnels (EAI), et ce par
obligation. Ils souhaiteraient néanmoins qu’ils soient plus
personnalisables et plus ouverts. Une manière d’y parvenir
consisterait à partager la responsabilité entre l’enseignant
et l’apprenant en matière d’ingénierie
techno-pédagogique.
6.3.1. Vers un mixage des environnements institutionnels et des EPA
Ceci nous amène à nous intéresser à
l’intersection et à la connexion entre ces environnements
numériques que sont l’EPA et l’EAI. L’un est-il
intégrable dans l’autre ? Quels sont leurs
particularités et leurs outils et services communs ?
Certains types d’outils et services se retrouvent dans les deux
environnements alors que d’autres appartiennent uniquement ou plus
particulièrement à l’un ou l’autre. Selon les
étudiants, c’est la combinaison des fonctions des outils et
services disponibles dans les différents environnements numériques
mis à leur disposition qui serait la solution idéale.
Attendu que l’EAI relève de l’apprentissage formel, un
environnement fondé sur un Learning Management System pourrait
fournir le fil conducteur de l’apprentissage. On y retrouverait des
rubriques relatives aux éléments essentiels des scénarios
pédagogiques conçus par le formateur (compétences
visées et leurs liens avec les activités et tâches
d’apprentissage proposées, ressources didactiques incontournables,
procédures et activités d’évaluation) ainsi que des
fonctionnalités liées à la gestion (ex. dépôt
de travaux, liens entre travaux et le feedback fourni,...) et aux annonces
officielles des cours.
D’autres outils pourraient s’y ajouter (ex. recherche
d’information, classement, accès automatique à des
informations qui intéressent l’apprenant, communication,
production, partage...). Qu’ils soient ou non inclus dans l’EAI, ils
pourraient être exploités à des fins d’apprentissage
formel ou informel, individuel ou collectif. La pratique et, dans
l’idéal, une formation à la maîtrise des technologies (Vandeput, 2011) augmenteraient le sentiment de compétence des apprenants.
La taille de la zone d’intersection entre les deux environnements
devrait augmenter. Que l’EAI devienne plus
« ouvert » et donc plus personnalisable (ajout par
l’apprenant d’onglets, de liens vers des applications ou des
ressources informelles (site web, réseaux sociaux, etc.) ou qu’il
devienne un des outils de l’EPA (accès sous forme
d’application ou d’onglet à ajouter à l’EPA de
l’étudiant), l’apprenant ne devrait pas quitter un espace
pour un autre, mais accéder directement aux outils et services qui lui
sont utiles. Ce qui importe, c’est qu’il puisse garder les traces de
ses découvertes, de ses démarches individuelles et de
collaboration et en structurer personnellement les résultats.
C’est dans ces directions que pourraient aller la conception de
dispositifs d’apprentissage. Quelle que soit la solution adoptée,
l’idéal serait d’avoir une synchronisation automatique et une
interopérabilité entre des services présents dans
l’EAI et dans l’EPA.
6.3.2. Accompagner le développement, la structuration et
l’exploitation d’un EPA
Le concept d’EPA est peu connu, mais semble intéresser notre
public-cible. Ils sont demandeurs d’informations, voire de formations
à ce propos. Dès lors, pourquoi, en tant que formateurs, ne pas
saisir cette opportunité ? Montrer des exemples, débattre de
l’utilité de telles pratiques pourrait sans doute motiver les
étudiants à réfléchir à leur(s)
manière(s) d’accéder à des nouvelles informations,
aux façons de les stocker et de les organiser, de produire des documents,
de communiquer avec des pairs, etc., que ce soit dans la sphère de
l’apprentissage ou privée. Ceci les conscientiserait sans doute
davantage sur les apports potentiels des technologies dans l’apprentissage
et sur leur niveau de maitrise des compétences informatiques.
Par ailleurs, l’auto-direction de l’apprentissage n’est pas
automatiquement présente chez les étudiants du supérieur.
Notre rôle est donc, en tant que formateur prônant
l’apprentissage autonome, de veiller à ce que les apprenants
développent cette démarche. La présence d’un
facilitateur permet d’étayer cette dernière. Parmi les
actions possibles, notons la mise en place d’un mécanisme de
(pré)formation pour s’approprier les ressources (technologies) ou
des méthodes d’apprentissage que certains n’ont pas eu
nécessairement l’occasion de vivre (ex. collaboration à
distance instrumentée par les TIC). Ceci nous parait, entre autres,
pouvoir contribuer à augmenter la probabilité et
l’efficacité de la prise en charge d’un apprentissage
autonome supporté par les technologies par le formé dans et
en-dehors d’un contexte formel.
7. Limites de l’étude
Cette étude possède plusieurs limites
qu’il est nécessaire de garder en tête. Ainsi, nous nous
sommes centrées sur un public particulier, ayant accès à
des environnements numériques institutionnels spécifiques. De
plus, les étudiants interrogés ne sont pas représentatifs
de toute la population étudiante. Il aurait été
intéressant d’analyser ce qui existe dans d’autres
facultés, voire dans d’autres universités, mais cela
dépassait la présente étude.
Par ailleurs, comme nous l’avons déjà
précisé précédemment, le nombre d’interviews
réalisées est restreint. Il s’agissait avant tout
d’une recherche exploratoire concernant les représentations et
usages des étudiants.
Nous nous sommes, dans cet article, concentrées sur le point de vue
des étudiants à propos des EPA numériques qui n’est
qu’un aspect de la problématique traitée. En effet, il a
été mis en évidence que les EPA des étudiants
peuvent dépasser le cadre du numérique, ceux-ci le mettent
d’ailleurs en évidence lorsqu’on leur demande leur
représentation du concept.
8. Conclusions et perspectives
Cette étude exploratoire a
débouché sur divers constats qui permettront d’étayer
de futures recherches afin d’étudier ce qui favorise ou non la
création et l’exploitation d’un environnement personnel
d’apprentissage.
Le concept d’EPA est peu connu des étudiants. La
définition fournie par le seul étudiant interrogé qui
déclare en gérer un correspond assez bien à la nôtre.
Mais peut-être est-il l’exception à la règle... Il
serait intéressant d’approfondir cette réflexion et
d’interroger un plus grand nombre d’étudiants sur leurs
connaissances et pratiques concernant les EPA afin de mieux circonscrire ce
concept.
La discussion des résultats met en évidence de nouvelles
questions de recherche.
L’absence de lien systématique entre le fait de
développer un EPA et d’être natif numérique ou
encore « plus ou moins spécialisés en TICE »
est-elle observée à plus grande échelle ?
Le faible taux de développement d’un EPA numérique chez
les étudiants, même lorsqu’ils utilisent un certain nombre
d’outils et services technologiques (entre 15 et 33) peut interpeler.
Est-ce dû à un manque d’information, de compétences ou
à un choix ?
On constate qu’après leur avoir donné quelques
indications à ce propos, quatre autres étudiants sur cinq
considèrent qu’il existe une plus-value à créer un
EPA. Ils la voient dans la structuration et la centralisation des informations,
l’organisation de l’interface, la facilité et la
rapidité d’accès à diverses sources et applications,
une ouverture à d’autres domaines. L’utilité
perçue est déterminante dans la décision de créer et
d’utiliser un EPA. Cette tâche doit être utile et avoir du
sens pour l’apprenant. Ceci serait-il le cas si l’on proposait une
information sur les EPA à l’ensemble des étudiants ?
L’agrégation de ressources ne fait cependant pas
l’unanimité. Ainsi, un autre étudiant déclare
qu’il préfère ne pas s’enfermer dans une structure.
Sont-ils nombreux à penser de même ?
Par ailleurs, l’apprenant doit se sentir compétent pour
développer et gérer son EPA. Il doit pouvoir contrôler cet
environnement. Des compétences insuffisantes pour utiliser les
technologies et le temps requis pour les maitriser sont probablement un frein
à l’élaboration et l’usage d’EPA. Il serait
intéressant d’identifier les difficultés que, faute de
maitrise des TIC, les apprenants peuvent rencontrer (sentiment de
compétence, de contrôle et d’auto-efficacité) dans la
création et l’exploitation de tels environnements.
Il est à noter que les étudiants se disent
intéressés par l’obtention d’informations au sujet des
EPA. Ils insistent sur le fait que l’initiative et le choix du type
d’EPA à créer doit leur revenir. Ceci va bien dans le sens
de notre approche et de celles des différents auteurs qui abordent cette
problématique. L’initiative devrait être entièrement
laissée à l’apprenant. C’est en fonction de ses
besoins et de son plan d’apprentissage formel et informel que celui-ci
devrait, de manière autonome, gérer les outils et ressources de
son choix au sein de son EPA.
L’étude de l’émergence d’EPA ne peut se
centrer uniquement sur les dires des étudiants et l’observation de
leurs environnements et de leurs pratiques. Il faut aussi prendre en compte le
point de vue de l’ingénierie technopédagogique et
considérer les concepteurs des outils et services ainsi que les
formateurs.
Ce concept d'environnement personnel d'apprentissage entraîne une
remise en cause des dispositifs d'e-learning tels qu'on les connaît
dans de nombreuses institutions. Si les plateformes de formation à
distance ont évolué vers une intégration de multiples
services, elles ne permettent généralement pas à tous les
acteurs d'un campus virtuel de personnaliser cet espace au point d'y
intégrer l'ensemble des services et ressources qu’ils souhaitent.
Tout au plus les apprenants ont-ils parfois le droit de personnaliser
l'interface (couleurs, disposition des rubriques...). Leur couplage avec
l’EPA de l’apprenant pourrait s’avérer une solution
valable dans le contexte de l’apprentissage formel. Le concept de
dispositifs d’apprentissage personnalisés va dans ce sens (Sauvé, 2014).
Il reste donc de multiples pistes de recherche relative aux EPA !
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A
propos des auteurs
Brigitte Denis est docteur en sciences de
l'éducation. Elle travaille depuis 1982 au Service de Technologie de
l'Éducation de l'Université de Liège (Belgique) où
elle dirige le Centre de Recherche sur l'Instrumentation, la Formation et
l'Apprentissage (CRIFA). Elle est chargée de cours en
Technologies de l’Information et de la Communication pour
l’Éducation à la Faculté de Psychologie et des
Sciences de l’Éducation de l’Université de Liège (ULg).
Elle anime également des cours dans diverses universités
étrangères et organismes de formation. Ses recherches se
focalisent sur la conception, la mise en œuvre, l'évaluation et la
régulation d'environnements d'apprentissage recourant aux TIC. Ses
travaux traitent de l'auto-formation, de l'implémentation de dispositifs
d'enseignement et d'apprentissage collaboratif à distance, de la
formation de tuteurs, de la mise en réseau de professionnels de la
formation ainsi que de la production participative et de l'usage d'outils
technologiques et de scénarios d'usages susceptibles de soutenir les
activités de communautés de pratique en termes de collaboration,
gestion des connaissances, production et partage de documents multimédias
en ligne.
La liste de ses publications ou communications est accessible sur ORBI
ULg.
Noémie Joris est institutrice et détient un master en
sciences de l’éducation (orientation formation d’adultes).
Depuis 2012, elle est chercheuse et formatrice au Centre de Recherche sur
l'Instrumentation, la Formation et l'Apprentissage (CRIFA) de l’Université de
Liège (ULg). En 2012-2013, elle a
mené une analyse méta de la mise en place des 28 projets
École numérique mis en place dans le cadre du Master Plan TIC
– horizon 2020 déployé par le gouvernement wallon.
Actuellement, elle accompagne et forme les enseignants des Hautes Écoles
engagées dans le plan TIC. Elle est également assistante du
Professeur B. Denis depuis 2013 pour les cours traitant des technologies
éducatives et la construction et l’évaluation de curriculums
de formation.
1 Ce numéro spécial
de la revue STICEF sur les EPA est principalement issu des présentations
des chercheurs qui ont participé au Symposium du REF, XIIIe
Rencontres du Réseau en Éducation Francophone, Genève, 9-11
septembre 2013.
2 Il a néanmoins
été mis en évidence, lors du symposium organisé dans
le cadre du 13e colloque international du réseau Recherche en
Éducation et Formation et consacré à la recherche sur les
EPA, que l’EPA d’un apprenant peut aussi contenir des
éléments non technologiques poursuivant le même type de but.
Ceux-ci ne feront cependant pas l’objet de notre propos.
3 Un outil technologique
désigne un logiciel/programme utilisé en local et un service technologique désigne un logiciel/ une application en
ligne.
4 En 2013-2014, on peut extrapoler
en disant « moins de 29-30 ans »
5 Rappelons que dans le
présent article, nous avons extrait pour les six étudiants-cibles
les résultats de l’étude préalable relatifs aux
outils et services technologiques (cités spontanément ou non) et
à leur fréquence d’utilisation. La combinaison de ces
données avec celles issues des interviews permet d’apporter des
pistes de réponse à la première question de recherche.
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