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Éditorial du numéro
spécial
Individualisation, personnalisation et
adaptation des Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain
Élise LAVOUÉ*, Jean-Luc RINAUDO**
*MAGELLAN, LIRIS, Université Jean Moulin Lyon
3, **Civiic, Université de Rouen
1. Introduction
Dans l’analyse
qu’ils proposent de l’évolution de la société,
des sociologues repèrent que l’hyper-modernité se traduit
notamment par des conduites plus individuelles que collectives et qu’elle
exacerbe la nécessité de s’affirmer comme individu autonome (Aubert, 2010).
Dans le champ de l’éducation, avec la centration sur
l’élève ou le développement récent du coaching
scolaire, certains notent un passage progressif, du moins dans les textes
officiels, de l’école pour tous à l’école pour
chacun. Les aides individualisées à l’école primaire
ou l’individualisation des parcours de formation en constituent deux
exemples, aux deux pôles les plus extrêmes de l’enseignement,
en ce qui concerne les publics auxquels il s’adresse :
l’école primaire et la formation des adultes. La personnalisation
est également indiquée comme une clef d’organisation vers
une école de qualité pour le XXIe siècle (Darling-Hammond, 2010).
L’avènement de l’Internet participatif et collaboratif,
popularisé sous le nom de Web 2.0, favorise la possible prise en charge
des contenus et des dispositifs par chaque internaute.
Ces tendances semblent indiquer une demande sociale et institutionnelle de
prise en compte de l’individu plus importante que par le passé.
C’est dans ce contexte que se développe la variabilité des
dispositifs pédagogiques, des apprenants eux-mêmes et de
l’environnement dans lequel s’effectuent les apprentissages. Cette
variabilité amène les concepteurs de dispositifs et
d’environnements numériques, les praticiens et les chercheurs
à penser et mettre en œuvre divers niveaux
d’individualisation, de personnalisation et d’adaptation.
C’est sur cette thématique de l’individualisation, de la
personnalisation et de l’adaptation des environnements informatiques pour
l’apprentissage humain que porte ce numéro spécial de la
revue STICEF.
Individualisation, personnalisation sont des termes ambigus. Les noms individu et personne sur lesquels ils sont construits sont souvent
confondus, dans le langage courant. D’ailleurs, les notions à la
base de la thématique centrale de ce numéro débordent
largement de la sphère scientifique pour envahir le langage ordinaire :
bilan individualisé, aide personnalisée... Certains voient dans
l’individualisation, le risque d’isolement des apprenants, et dans
la personnalisation, l’opportunité de promouvoir une insertion
scolaire, professionnelle ou sociale (Etienne, 2006).
Pour notre part, nous avons fait le choix de ne pas formuler une
définition particulière de ces deux notions mais de les garder
comme des propositions ouvertes, qui permettent aux auteurs comme aux lecteurs
de ce numéro, d’entrer dans les textes en fonction de leurs propres
grilles de lecture et de leurs cadres théoriques et
épistémologiques. À ces deux termes on aurait
d’ailleurs pu associer subjectivation, comme le font Chen et
Séjourné qui analysent dans leur article la manière dont le
sujet apprenant est pris en compte par un concepteur de scénario
pédagogique. Cette absence de cadrage de définition a priori a
permis que ce numéro s’ouvre à des contributions de
chercheurs issus de disciplines différentes (informatique, sciences de
l’éducation, sciences de l’information et de la
communication) qui s’en sont emparés, avec des approches
différentes et complémentaires, comme on le lira par la suite.
En utilisant les notions de personnalisation et d’individualisation,
nous n’entrons pas davantage dans le débat qui dénonce le
passage d’une École pour tous à une école de chacun
et d’un déplacement des responsabilités de
l’État sur celles de l’individu. En revanche, le terme
adaptation semble a priori moins faire débat.
Ce numéro spécial de STICEF s’est constitué,
à la suite de l’appel à proposition, à partir de 20
intentions de textes, transformées en 14 propositions effectives. Au
final, ce sont 9 articles rédigés par 23 auteurs différents
qui ont été retenus à l’issue du processus de
sélection par les relecteurs. Ces articles proposent des approches
différentes de la personnalisation, de l’individualisation et de
l’adaptation. Trois thématiques principales émergent : (1)
l’individualisation des scénarios pédagogiques et parcours
d’apprentissage ; (2) la personnalisation des ressources
pédagogiques proposées par les EIAH ; (3) l’aide aux
concepteurs et utilisateurs de l’EIAH qui, même si elle est
omniprésente dans ce numéro spécial, est surtout
traitée dans trois articles.
2. Individualisation des scénarios pédagogiques et parcours
d’apprentissage.
La diffusion des technologies en éducation est
contemporaine du passage, au moins dans les discours, d’une logique de
l’enseignement à une logique de l’apprentissage (Bélisle et Linard, 1996).
Selon cette dernière, on envisage une implication forte de
l’apprenant en tant qu’acteur actif dans son apprentissage, le plus
souvent accompagné par un enseignant ou un tuteur. Cela implique que
l’apprenant doit s’accomplir comme individu autonome (Linard, 2000) et
doit faire preuve de capacités d’auto-régulation pour
apprendre à gérer son temps de formation sur la durée et
s’approprier les nombreuses ressources disponibles. Cependant, les
scénarios pédagogiques (Pernin, 2003) sont bien souvent conçus pour un collectif, de quelques personnes
à des centaines selon les formations. L’apprenant est alors
confronté à la difficulté d’appliquer dans ce
scénario sa propre démarche, répondant à ses propres
besoins. Ainsi, selon une approche socio-constructiviste (Jonnaert, 2002),
la conception de parcours d’apprentissage et de scénarios
pédagogiques doit prendre en compte l’apprenant à la fois
comme individu autonome et actif dans son apprentissage et comme individu
appartenant à un collectif dans lequel l’apprentissage est
favorisé par les liens sociaux. Trois contributions de ce numéro
spécial s’intéressent à cette problématique et
visent à offrir des guides et outils d’individualisation des
parcours d’apprentissage utilisables dans différents contextes de
formation.
L’article de Chen et Séjourné s’adresse plus
particulièrement aux concepteurs de FOAD afin de les aider à
individualiser les scénarios pédagogiques en prenant en compte
trois dimensions : l’individu, les liens sociaux et une visée
autonomisante. Leur étude porte sur 33 modules de 24h conçus entre
2002 et 2008 dans le Master à distance « didactique des langues
» et s’intéresse à la manière dont le concepteur
d’un scénario pédagogique prend en compte
l’individu-apprenant dans une visée autonomisante, selon trois
composantes : la flexibilité du dispositif, le potentiel interactionnel
et la tâche (processus cognitif engagé). Cette étude montre
que chaque scénario pédagogique a une configuration
spécifique, privilégiant certaines composantes, et fait ressortir
un rapport de détermination réciproque et de ce fait des tensions
entre les trois composantes. Les auteurs montrent également que la
pratique des concepteurs est variée, orientée par leurs
perceptions de la formation à distance, et en évolution puisque
certains dispositifs s’éloignent d’une organisation
centrée sur le contenu pour viser une articulation entre ce dernier, le
projet professionnel et la démarche d’apprentissage. Finalement,
les auteurs concluent par l’importance de bien cibler le tutorat afin de
concilier toutes les composantes du scénario pédagogique dans une
visée de prise en compte de l’individu-apprenant.
Ortoleva, Bétrancourt et Morand proposent un outil offrant une
personnalisation et une adaptation aux acteurs (enseignants et apprentis) et
contextes de la formation professionnelle initiale : le Livret numérique
de Suivi Pédagogique (LSP). Selon une approche par compétences,
cet outil est conçu pour faciliter l’articulation entre
expérience individuelle et expérience collective. Le Livret de
Suivi Pédagogique contient un historique du niveau des compétences
acquises par les apprenants pour favoriser la planification de parcours
individualisés, cet historique étant basé sur une
évaluation croisée des apprenants (auto-évaluation) et des
enseignants. L’objectif est de promouvoir la réflexion de
l’apprenant sur son processus d’apprentissage et sur le
résultat (les compétences acquises), et ainsi faciliter
l’auto-régulation de son apprentissage. Les auteurs mettent en
avant l’importance de l’ergonomie des EIAH et
l’intérêt pour cela d’une approche alliant la
méthodologie de conception centrée utilisateur et ce qu’ils
appellent la recherche basée sur la conception.
Loisy s’intéresse pour sa part à l’usage du
e-portfolio selon trois angles : un objet technique (l’apprenant est
actif, il construit son « objet-portfolio ») ; un objet de
médiation réflexive (l’apprenant s’engage dans une
démarche réflexive) ; un objet de médiation à autrui
(le portfolio au centre de médiations interpersonnelles et d’un
processus de socialisation). L’étude porte sur les productions des
élèves de deux classes de collège et lycée et
analyse les perceptions de l’acceptabilité de l’artefact
e-portfolio selon les dimensions technique, cognitive et affective. Elle montre
que les productions s’inscrivent bien dans les trois axes
d’étude du e-portfolio, puisque sont observées des
activités en lien avec la construction du système de ressources,
d’une démarche réflexive sur soi, et d’une
socialisation. L’analyse porte également sur des entretiens sur les
pratiques des enseignants et des documents relatifs à ces pratiques et
montre que l’accompagnement par l’enseignant concerne
l’instrumentation au niveau des outils, mais également les plans
cognitifs et affectifs. Les projets de classe observés visent,
malgré leurs différences, l’individualisation des
apprentissages avec une visée d’individualisation du
développement. L’auteure souligne l’importance de
l’engagement de l’apprenant dans cette démarche.
Ainsi, les contributions concernant l’individualisation des
scénarios pédagogiques et des parcours d’apprentissage
apportent des retours d’expérience utiles pour la formation des
concepteurs pédagogiques, tant sur le plan de la scénarisation que
des outils (Livret numérique de Suivi Pédagogique et e-portfolio)
à proposer aux apprenants pour les aider à s’engager dans
une démarche autonomisante. Cette problématique touche aussi bien
la formation dans le second degré, la formation professionnelle, que la
FOAD. Cependant, les contributions ne répondent pas à la question
du manque d’informations pour le concepteur concernant les apprenants en
amont de la formation afin de proposer des activités et ressources
adaptées. Il ne peut y avoir une individualisation assurée pour
tout apprenant et toute situation si le concepteur prévoit a priori des
profils d’apprenants et des situations « types ». Une autre
solution serait de préparer des scénarios adaptables
dynamiquement, question non abordée dans les contributions de ce
numéro spécial.
3. Personnalisation des ressources d’apprentissage
Les ressources,
qu’elles soient des documents (textes, images, vidéos, etc.) ou des
activités (exercices, QCM, jeux, etc.) constituent un
élément central des environnements informatisés
d’apprentissage humain, sous des formes très diverses pouvant faire
ou non l’objet de scénarisation pédagogique (Peter et al., 2011).
Les apprenants se retrouvent ainsi confrontés à la
difficulté d’en trouver qui soient bien adaptées à
leurs besoins et profils, afin d’être efficaces dans leur
démarche d’apprentissage. Les enseignants ou tuteurs peuvent jouer
le rôle d’accompagnateurs pour conseiller les ressources aux
apprenants (Gounon et Leroux, 2009).
Au-delà de l’accompagnement humain, la réponse à
cette problématique est traitée dans ce numéro
spécial sous l’angle de la personnalisation des ressources
pédagogiques par l’EIAH. Les contributions sur cette
thématique sont toutes situées dans le champ informatique et les
ressources concernées sont essentiellement les activités et
exercices d’apprentissage proposées aux apprenants. La
personnalisation peut se faire en fonction du profil de l’apprenant (son
profil cognitif, ses connaissances, ses compétences). Le but est de
proposer aux apprenants des ressources adaptées à leur profil et
ainsi faciliter le rôle de l’enseignant qui est
généralement en charge d’attribuer ces ressources.
Dans son article, Hérold propose une personnalisation des
exercices pour augmenter l’efficacité de l’apprentissage en
réduisant la charge cognitive de l’apprenant. Les profils cognitifs
des apprenants, établis à partir d’exercices en
arithmétique effectués sur papier-crayon, sont ensuite
utilisés pour paramétrer un EIAH du traitement arithmétique
simple des entiers relatifs. Une étude, menée auprès
d’élèves de cinquième de collège, analyse les
effets de l’utilisation de cet EIAH ainsi paramétré. Elle
montre que la mise en œuvre d’une remédiation à
l’aide des profils établis à partir de l’analyse
cognitive du fonctionnement de l’élève en activité a
permis une personnalisation du dispositif d’apprentissage. Cette
personnalisation a montré son efficacité pour des tâches
prescrites de faible niveau de difficulté, mais également
soulevé deux limites : la capacité d’attention des
élèves parfois insuffisante sur une séance trop longue et
le problème de l’influence sociale, les étudiants qui ont
besoin d’une remédiation plus longue ayant tendance à «
rattraper » leur retard sur leur camarade sans s’«
imprégner » des exercices d’apprentissage.
Lefevre, Guin et Jean-Daubias proposent un modèle et un outil
informatique pour personnaliser les activités pédagogiques de
manière unifiée, en prenant en compte à la fois le profil
d’apprentissage (connaissances, compétences, conceptions,
comportement ou encore des informations d’ordre méta-cognitif), les
besoins et habitudes de l’enseignant, et la façon d’affecter
les activités aux apprenants. Le modèle PERSUA2 (PERsonnalisation
Unifiée des Activités d’Apprentissage) associe
stratégie pédagogique (manière dont les activités
sont affectées aux apprenants) et contexte d’utilisation
(informations caractérisant la situation d’apprentissage). Ce
modèle a été implémenté dans le logiciel
ADAPTE, qui fournit des séquences de travail propres à chaque
apprenant, et un bilan de ces séquences à l’enseignant.
À travers plusieurs scénarii d’usage, les auteures montrent
comment l’outil proposé pourrait être utilisé par les
enseignants de primaire, collège et supérieur pour les aider
à la scénarisation pédagogique, faciliter le
repérage d’élèves en difficulté, automatiser
la personnalisation des exercices, ou encore faciliter l’utilisation des
outils informatiques.
Le troisième article consiste en une comparaison des besoins et
approches en terme de personnalisation à travers l’étude de
quelques dispositifs. Cette contribution de Lefevre, Broisin, Butoianu,
Daubias, Daubigney, Greffier, Guin, Jean-Daubias, Monod-Ansaldi et Terrat fait suite à l’atelier « Personnalisation de
l’apprentissage : quelles approches pour quels besoins ? » qui
s’est déroulé lors de la conférence EIAH 2011. Les
auteurs montrent tout d’abord que, quels que soient le domaine
disciplinaire et les publics, les besoins de personnalisation peuvent porter sur
(1) le contenu des activités proposées à l’apprenant,
qui peut différer de par les données elles-mêmes (valeurs ou
sujet traité) mais aussi de par le niveau de difficulté ; (2)
l’interface du logiciel et ses fonctionnalités ; (3) ou encore la
séquence d’activités.
Cette personnalisation peut être effectuée par
l’enseignant ou par le système lui-même, à partir des
traces d’activité ou des profils d’apprenants. Les approches
de personnalisation peuvent prendre la forme soit d’une recommandation de ressources numériques, soit celle d’une
adaptation du parcours de chaque apprenant dans un cursus pédagogique,
voire même une adaptation du contenu de ce cursus. Les auteurs concluent
par les perspectives apportées par l’analyse des traces
d’interactions afin d’offrir à l’enseignant, en plus
des approches de personnalisation présentées dans l’article,
des outils lui permettant de paramétrer l’élaboration
automatique de profils.
Ainsi, ces trois contributions couvrent de façon assez complète
la thématique de la personnalisation des ressources d’apprentissage
sous l’angle informatique. Les situations d’apprentissage auxquelles
est appliquée la personnalisation sont cependant assez simples,
puisqu’il s’agit essentiellement de recommandations de ressources
et/ou d’exercices pour un apprentissage individuel. Il pourrait être
intéressant de proposer des méthodes, modèles et outils de
personnalisation pour des situations plus complexes, telles que les situations
d’apprentissage collaboratif. En effet, la notion de profil de groupe
n’est pas traitée, alors qu’il pourrait être pertinent
de personnaliser les ressources non seulement à l’individu mais
également au (x) collectif (s) (groupe ou réseau) dans lequel il
est engagé. L’angle de la personnalisation par l’acteur
humain, indépendamment des outils informatiques, est également
absent de ce numéro spécial. D’autres disciplines, telles
que les sciences de l’éducation ou la psychologie, auraient pu
apporter un regard différent à cette problématique.
4. L’aide aux concepteurs et utilisateurs de l’EIAH
La thématique de l’aide aux concepteurs
et utilisateurs de l’EIAH (apprenants, enseignants, tuteurs), bien
qu’omniprésente dans tous les articles de ce numéro
spécial, est traitée est abordée de manière
approfondie dans trois contributions.
La notion d’« aide » se distingue de celle d’«
assistance » du fait que cette deuxième comporte une prise en charge
partielle de la tâche de l’utilisateur (Fougères et al., 2007).
La notion d’aide se veut plus générale et se rapporte
couramment à l’aide en ligne disponible dans les environnements,
que ce soit sous la forme de foire aux questions ou de compagnon logiciel. Les
contributions présentées dans cette partie montrent une
variété beaucoup plus grande dans les possibilités
d’aide qui peuvent être offertes. Ces contributions, assez
hétérogènes notamment de par la discipline des auteurs, ont
en commun d’offrir des recommandations, méthodes, modèles et
outils d’aide aux concepteurs et utilisateurs de l’EIAH. Cette aide
peut passer aussi bien par la compréhension du processus d’aide
lui-même, que par le soutien à l’activité
d’enseignement en offrant un diagnostic des connaissances des apprenants
ou une visualisation de leurs profils.
Dans leur article, Duthoit, Mailles-Viard Metz et Pelissier s’intéressent à la compréhension du processus
d’aide tel qu’il est mis en œuvre dans les dispositifs de
formation pour servir de base à la conception d’un EIAH et proposer
des recommandations aux acteurs (tuteur, enseignant, gestionnaire de plate-forme
ou apprenant).
L’objectif de leur contribution est de proposer des
méthodologies de conception d’aides facilitant la mise en
œuvre du phénomène d’auto-régulation chez
l’apprenant et permettant une intégration d’interfaces plus
adaptées aux difficultés individuelles et personnelles. Les
auteurs décrivent le processus d’aide à chaque étape
du processus : la demande, la conception et la réception de l’aide.
Ils distinguent entre l’aide individualisée qui peut
s’adresser à une seule personne mais est conçue avec
l’idée qu’elle pourrait résoudre le problème
d’autres et l’aide personnalisée qui n’est
conçue que pour un cas qui semble unique à cet instant. Ces
processus sont illustrés par des exemples liés à la
plate-forme SPIRAL du campus à distance VCiel : une aide
individualisée pour la « structuration du Chat », une aide
personnalisée pour la « coloration des tours de parole » et des
aides qui s’adaptent et se transforment dynamiquement, selon un processus
décrit dans l’article.
Michelet et Luengo proposent quant à elles une méthode
de diagnostic informatique permettant à l’enseignant une
rétroaction et des remédiations adaptées et
personnalisées à l’apprenant.
Les auteures étudient plus précisément la
possibilité pour le système de diagnostic d’adapter la prise
en compte des contradictions intra-apprenants (CIA) en fonction des
modalités de résolution de problème (MRP)
impliquées. Pour cela, le diagnostic informatique proposé combine
plusieurs modalités d’expression de connaissances (ainsi que les
contradictions intra-apprenants liées) et tient compte du contexte de
leur expression (contexte d’interaction et contexte de résolution
capté à partir des traces d’interactions collectées
provenant de la combinaison des MRP). Le diagnostic repose sur une
pondération des contradictions sur chaque MRP selon le contexte. Une
étude, menée auprès d’élèves de
collège et lycée pour l’apprentissage de
l’électricité, montre que le modèle
d’élève proposé (Skills, Knowledge, Error), ainsi que
le fait de considérer plusieurs MRP dans le processus de diagnostic
permet bien d’identifier des contradictions intra-apprenants (CIA). Les
auteurs ouvrent la perspective d’explorer la prise en compte de
l’incertitude du point de vue de l’apprenant (degré de
croyance qu’il donne à sa formulation), ainsi que la conception
d’un système de rétroaction adaptatif qui prenne en compte
le résultat du diagnostic ainsi que les CIA détectées.
Ginon et Jean-Daubias proposent un modèle et des outils pour
visualiser des profils d’apprenants et personnaliser ces activités
de visualisation (consultation, comparaison, positionnement, appropriation et
intervention). Les outils proposés sont destinés
d’après les auteures à l’apprenant lui-même
(outils réflexifs), à l’enseignant, aux chercheurs ou encore
aux institutions. Le modèle de PERSonnalisation Unifiée
Multi-aspects des Activités sur les Profils (PERSUMAP) fournit aux
utilisateurs des activités interactives personnalisées
basées sur les profils d’apprenants, pouvant prendre en compte
différents aspects tels que les capacités cognitives
(connaissances, compétences) de l’apprenant, ou encore les
capacités physiques et les préférences de
l’utilisateur. Le modèle PERSUMAP repose sur la définition
par l’enseignant de vues qui spécifient comment le profil pourra
être visualisé. Ce modèle est mis en œuvre dans deux
modules de l’environnement Eprofilea : le module Regards qui permet
à l’enseignant de préparer des séances
d’activités autour de la visualisation de profils
d’apprenants pour chaque type d’utilisateurs, et le module Perl qui
propose ensuite des activités personnalisées sur les profils aux
utilisateurs. Un scénario d’usage illustre comment ces outils
peuvent être utiles à un enseignant. Une mise à
l’essai auprès d’étudiants a montré
l’intérêt et la faisabilité de l’approche
proposée, tout en mettant en perspective le besoin d’une assistance
adaptée au contexte, à ses spécificités et à
l’application concernée.
L’ensemble des environnements informatiques de personnalisation /
individualisation / adaptation proposés dans ce numéro
spécial ont pour objectif d’aider l’enseignant et
l’apprenant dans leurs activités et apprentissages. Les conclusions
convergent sur le fait que ces environnements sont finalement difficilement
utilisables en situation réelle, du moins sans formation
spécifique des usagers. Cela est bien souvent dû à des
problèmes d’ergonomie et à un manque d’assistance et
de guidage dans la prise en main des outils. Il conviendrait donc
d’approfondir les aspects Interface Homme-Machine (IHM) et pour cela que
les communautés de recherche EIAH et IHM travaillent conjointement sur
cette problématique.
5. Conclusion
Dans cette conclusion, nous
reprendrons les questions qui nous avaient guidés lors de l’appel
à contribution pour ce numéro. Certaines d’entre elles
trouvent des propositions de réponse dans les articles retenus. Ainsi, en
réponse à la question de quelle adaptation envisagée par
les concepteurs, les informaticiens ou les ergonomes ou encore sur
l’individualisation qu’autorisent les outils, nous constatons dans
les propositions retenues que les processus de personnalisation,
individualisation, adaptation peuvent être mis en œuvre
automatiquement par un environnement numérique d’apprentissage,
s’ils sont prévus a priori par les concepteurs, ou rester à
l’initiative des différents utilisateurs (enseignants ou
apprenants) ou encore s’appuyer sur une interaction entre
l’utilisateur et l’environnement informatique.
Sur la question des apprentissages, si peu d’articles étudient
les effets de la personnalisation, individualisation et adaptation, ils se
rejoignent en revanche pour considérer les stratégies
d’apprentissage dans des approches constructivistes, selon les
différents contextes et situations étudiées. Ils mettent en
avant la nécessité d’une posture active et réflexive
de l’acteur (apprenant, enseignant ou concepteur) face à des
situations et environnements numériques d’apprentissage qui
deviennent de plus en plus complexes à appréhender. Face à
cette complexité, les approches, modèles et outils proposés
soulignent l’importance de la prise en compte dans la
personnalisation-individualisation-adaptation du contexte et de
l’environnement dans lequel les acteurs évoluent afin de leur
fournir une aide appropriée.
Ce qui frappe à la lecture des articles, quelle que soit
l’orientation scientifique ou disciplinaire des auteurs (informatique,
sciences de l’éducation, psychologie, sciences de
l’information et de la communication), c’est l’importance de
cette notion d’aide : aide pour les concepteurs, pour les enseignants ou
pour les apprenants, à tous les niveaux d’enseignement (primaire,
collège, lycée, enseignement supérieur) ou encore en
formation professionnelle, pour des disciplines diverses (mathématiques,
informatique, physique, etc.) et selon différentes modalités
d’enseignement (présentiel, hybride ou distance). Ainsi,
personnalisation, individualisation et adaptation sont envisagées comme
une aide possible offerte aux concepteurs d’environnements et
d’applications numériques, aux enseignants et formateurs ou aux
apprenants, à tous les niveaux de la scolarité, quels que soient
les disciplines ou les contenus de savoir et quelles que soient les
modalités d’enseignement.
Enfin, nous retiendrons que les articles, s’ils apportent tous des
éléments de compréhension à la personnalisation,
l’individualisation ou l’adaptation des outils ou des ressources, en
repèrent également les limites : il ne suffit pas que des
concepteurs, des chercheurs ou des enseignants proposent la mise en œuvre
d’une individualisation, personnalisation pour que celle-ci se mette en
place de façon assurée. Cela tient peut-être au fait que, le
plus souvent, la personnalisation, l’individualisation ou
l’adaptation concernent des situations d’apprentissage relativement
simples, dans lesquelles un apprenant est confronté à des
tâches ou des exercices qu’il réalise à l’aide
d’un dispositif technique. En revanche, nous l’avons
déjà remarqué au cours de cet éditorial, les
questions concernant les formes de personnalisation ou d’adaptation
à un groupe, une communauté ou un réseau ne sont pas
abordées par les auteurs. Nous y voyons une double raison. Tout
d’abord, pour les situations groupales d’apprentissage, comme par
exemple le travail collaboratif, la personnalisation, l’individualisation
ou l’adaptation semblent, en l’état actuel des connaissances,
moins efficientes. En outre, ces questions constituent une thématique
récente dans le domaine des recherches en EIAH. Il y aurait sans doute un
intérêt à développer des travaux sur la
personnalisation, l’individualisation ou l’adaptation qui prennent
en compte ces dimensions importantes des situations d’apprentissage
ordinaires, en travaillant à partir de profil de groupes d’usagers,
sur des plates formes collaboratives de travail ou d’apprentissage. La
dimension des tonalités émotionnelles des groupes venant favoriser
ou entraver la tâche de celui-ci, dans la perspective des travaux de Bion (Bion, 1961),
serait probablement un élément intéressant à
repérer dans ces questions de personnalisation ou d’adaptation pour
des groupes d’apprentissage
Deux de nos questions initiales n’ont pas du tout été
prises en compte dans les propositions qui nous sont parvenues. La
première interrogeait les objectifs de la personnalisation et, plus
particulièrement, la volonté d’offrir plus
d’autonomie, de flexibilité et une souplesse d’usage en
termes de technologie notamment grâce à l’apprentissage
mobile. Il existe un décalage entre les discours des promoteurs du Web
2.0 et de la mobilité, qui nous vantent un acteur devenu auteur de son
propre parcours d’apprentissage sur les réseaux numériques,
dans une mobilité de plus en plus en importante, et le discours
scientifique, du moins si on se réfère aux contributions de ce
numéro. En effet, la personnalisation ou l’adaptation par
l’apprenant lui-même est une question assez peu
développée.
Enfin, la deuxième question non abordée concerne les aspects
juridiques se rapportant au droit à la vie privée et la
manière dont elles sont prises en compte dans la conception des
dispositifs de formation et environnements informatiques. Non pas que cette
question ne soit pas par elle-même intéressante, ou que les
chercheurs qui publient ici ne s’en préoccupent pas, du moins en
tant que citoyens, mais sans doute que les spécialistes de ce domaine
n’ont soit pas été touchés par notre appel à
publication, soit repèrent, dans la logique actuelle de publications
utiles, que la revue STICEF n’est pas une revue de leur domaine.
C’est dommage, car sur des questions aussi complexes que
l’adaptation et la personnalisation, de multiples éclairages
théoriques sont nécessaires à la compréhension des
situations.
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mis en ligne le 7/12/2011.
Référence de l'article :
Élise Lavoué, Jean-Luc Rinaudo, Editorial du Numéro Spécial INDIVIDUALISATION, Revue STICEF, Volume 19, 2012, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 21/02/2013, http://sticef.org
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