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La place de l’« individu-apprenant »
dans la conception des scénarios pédagogiques à
distance
Yuchen Chen, Arnauld Séjourné (CREN, Nantes)
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RÉSUMÉ : Dans
une perspective d’individualisation autonomisante, nous proposons
d’analyser la prise en compte du sujet apprenant dans la conception du
scénario pédagogique (SP) à distance. Le cadre
théorique articulant des travaux portant sur les dispositifs de formation
à distance et sur la pédagogie individualisée repose sur
trois dimensions pour répondre à notre problématique :
liberté de choix, potentialité interactionnelle et processus
cognitif. Nous avons pris le parti d’analyser trois scénarios
pédagogiques sélectionnés parmi un ensemble de corpus selon
des critères prédéfinis. Les résultats de ce travail
consistent à mettre en lumière la place de
l’individu-apprenant dans la conception des différents SP tout en
prenant en compte les préoccupations des concepteurs.
MOTS CLÉS : Scénario
pédagogique, individualisation, conception, formation à
distance |
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ABSTRACT : In
this study, we aim at understanding how the design of pedagogical scenarios in
distance learning contexts is learner-centered and individualized so as to help
students develop autonomy in their learning. A theoretical framework is proposed
that combines research on distance learning and individualized instruction. Our
research questions focus on three dimensions of distance learning scenario,
namely (1) liberty of choice, (2) interactional potentiality, and (3) cognitive
processes. These dimensions are used to analyze three scenarios we selected
based on predefined criteria. Results of this study aim to shed light on how
learners play a role in the design of the analyzed scenarios and on how the
designers’ concerns are also taken into consideration.
KEYWORDS : Pedagogical
scenario, individualization, design, distance learning |
1. Introduction
Le monde éducatif
assiste aujourd’hui à une véritable mutation passant
d’une logique de l’enseignement, paradigme d’instruction,
à une logique de l’apprentissage, paradigme d’autonomie (Albero, 2000).
Il en résulte que la reconnaissance de l’individu en tant que sujet
singulier, actif et social apparaît comme l’un des premiers
principes déterminant la mise en œuvre de tout dispositif de
formation. La matérialisation de cette reconnaissance exige des
démarches cohérentes au niveau de l’ingénierie de
formation, qui se voient complexifiées dans la formation à
distance du fait de sa caractéristique de médiatisation.
S’inscrivant dans cette thématique, de nombreux travaux de
recherche, issus de différents domaines, mettent en avant que
l’accompagnement est l’un des principaux leviers pour rendre le
dispositif adaptable aux besoins individuels de chaque apprenant. Nous pensons
plus particulièrement, d’une part, à des travaux
consacrés à la conceptualisation des fonctions tutorales (Quintin, 2008), (Charlier et al., 1999) et d’autre part, à ceux orientés vers la conception
d’instruments soutenant la démarche de tutorat (Despres et Leroux, 2003), (Teutsch et Bourdet, 2010).
Dans cette étude, nous considérons que la prise en compte de
l’individu ne s’opère pas uniquement au moment de la
formation via les actions tutorales mais s’anticipe dans la phase de
conception grâce à une approche spécifique orientée
vers l’apprenant et son activité. Partant de ce positionnement, ce
travail s’intéresse plus particulièrement au scénario
pédagogique (SP) et tente de répondre à la question
suivante :
Dans les pratiques actuelles, de quelle manière le concepteur prend-il
en compte la dimension « individu-apprenant » dans la
conception du scénario pédagogique ?
Nous nous référerons d’abord, à des travaux sur
l’individualisation pour caractériser ce qu’implique la prise
en compte de l’individu-apprenant dans le contexte spécifique de la
FOAD. Puis, nous préciserons notre champ d’étude
« scénario pédagogique » avant de
développer les critères qui seront retenus pour l’analyse
des corpus. Ensuite, nous décrirons le contexte et la méthodologie
de recherche. Il s’ensuivra enfin la présentation des
résultats d’analyse qui sera finalisée par une discussion
générale proposant quelques pistes de réflexion.
2. « Individu-apprenant » dans les FOAD
2.1. Prise en compte de l’individu-apprenant
Le terme « individu », et par
extension ceux d’« individualisé » et
d’« individualisation» sont utilisés dans de
nombreux contextes éducatifs se dotant cependant de
caractéristiques divergentes. Déjà dans les années
60, le modèle de Skinner et sa machine à enseigner (Bruillard, 1997) concrétisent un enseignement dit individualisé permettant à
chaque élève de suivre son propre rythme de progression.
L’individualisation se limite à une réorganisation du
travail collectif en travail en solitaire. Alors que cette conception de
l’individu « impersonnel » persiste dans la
pédagogie de ce jour, les recherches en psychologie cognitive de
l’apprentissage ont conduit, en ouvrant la « boîte
noire », à une vision évoluée de l’individu
désignant désormais un être humain avec sa
personnalité et sa spécificité. À cette nouvelle
donne s’ajoute le fruit des travaux menés dans différents
champs éducatifs, et plus particulièrement dans la formation
professionnelle. Cette dernière, par son contexte et son public
spécifiques, contribue considérablement à éclairer
ce que nous qualifions aujourd’hui de formation individualisée.
Cependant, il serait erroné de croire que la terminologie ait atteint
une certaine stabilité. Restant une notion
« nomade », l’individualisation prend
différentes significations selon le contexte d’usage. Il peut
s’agir d’un hyperonyme englobant toutes les pédagogies
basées sur une prise en considération de l’individu quel que
soit le degré, il peut se référer à un simple
premier pas vers la personnalisation et l’autonomisation (Demaizière, 2001), (Possoz, 1991).
Parmi de nombreuses tentatives, la définition que propose Prévost (Prévost, 1994) nous paraît particulièrement éclairante. S’inscrivant
dans le courant d’autoformation, Prévost privilégie une
distinction entre « individualisation institutionnelle » et
« individualisation autonomisante ». La première
relève d’une pratique hétérodirigée selon
laquelle l’institution prend en charge l’ensemble des situations de
formation. La seconde, quant à elle, renvoie à une pratique
autostructurée qui aide la personne à s’approprier son
projet de formation. L’auteur avance par ailleurs que, dans ce second cas,
l’individualisation constitue la base de l’autonomisation dans une
visée d’intégration sociale. L’intérêt
d’une telle approche permet, à notre avis, d’échapper
à l’écueil de l’individualisme et d’inscrire
l’individualisation dans une dimension plurielle et ouverte. La
déclaration commune de conférence de consensus (Trollat et Masson, 2009) consolide ce dynamisme en caractérisant la « formation
individualisée » comme :
- une formation qui reconnaît et prend en compte la
singularité du sujet : ses besoins, son parcours, son expérience,
ses acquis, ses contraintes, ses ressources, ses capacités
d’autodirection, ses stratégies ;
- une formation qui prend en compte la dimension sociale des
apprentissages dans une perspective autonomisante et de construction identitaire
;
- une formation co-construite, négociée entre les
parties prenantes, qui concrétise l’interaction entre un projet de
formation institué et des projets de formation individuels.
Comme aboutissement de ce travail de conceptualisation, ce texte consensuel
tente d’intégrer à la fois les réalités de
différents terrains éducatifs et la référence
à une conception socio-constructiviste de l’apprentissage. Cela
nous conduit à confirmer que l’étude de la place de
l’individu-apprenant dans le dispositif de formation ne se limite pas
à la prise en compte du profil de l’individu et de son projet. Elle
s’appréhende au croisement des trois dimensions
« individu », « liens sociaux » et
« visée autonomisante».
2.2. Individualisation et FOAD
L’individualisation de la formation étant une
préoccupation commune à tout type de dispositif de formation,
l’usage des technologies spécifie et rend complexe la mise en
œuvre de cette proposition dans le cadre de la formation à distance.
En effet, d’une part, par le haut degré de flexibilité
qu’offre la technologie, du moins sur le plan spatio-temporel, la
formation à distance favorise considérablement le rapprochement
des savoirs des apprenants tout en privilégiant la modalité de
travail individuel ; d’autre part, en permettant la mise à
disposition des ressources formatives, la formation à distance se
confronte à un mouvement d’industrialisation régi
aujourd’hui par des objectifs de productivité économique (Fichez, 1994), (Moeglin, 1998), (Guillemet, 2004).
Ces caractéristiques intrinsèques interrogent la capacité
du dispositif de FOAD à prendre en compte l’apprenant en lien avec
les trois dimensions évoquées.
Sur l’aspect « individu », comment faire pour
qu’une formation, toujours gérée selon
l’impératif du flux, soit investie par la personne, et pour que
cette dernière ne soit pas simplement un objet mais un sujet reconnu et
identifié comme tel ? Comment faire pour que la dimension du sujet
soit présente dans un cadre de formation industrialisée ? Comment
éviter la standardisation de la formation au profit de la
diversité interpersonnelle ? Si le rapport entre individualisation et
massification semble conciliable dans la logique de la machine skinnerienne,
cela induit une tension, un dilemme voire un paradoxe dans ces formations qui se
veulent personnalisantes.
En ce qui concerne les « liens sociaux », faisant partie
intégrante de la définition même du dispositif (Collectif de Chasseneuil, 2001) ou encore des piliers de l’autoformation (Carré et al., 1997),
l’alternative entre l’individuel et le collectif est une des
conditions fondamentales à la qualité de formation. Les
activités autonomes étant la modalité de travail par
défaut pour la plupart, la dimension interactionnelle exige une
organisation sophistiquée de la formation et requiert, pour qu’elle
ait un réel impact sur l’apprentissage, l’engagement et la
participation de chacun (Charlier et Henri 2010), (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001).
Comment concilier la liberté qu’offre la formation à chaque
apprenant de gérer ses activités et les contraintes liées
à la mise œuvre d’une communauté
d’apprentissage ? Quel équilibre entre travail individuel et
travail collectif permettant de mieux soutenir l’articulation du
processus intra et interpersonnel dans la construction des savoirs ?
Enfin, la notion d’autonomie, selon les
délimitations accordées par les acteurs institutionnels,
détermine les projets ingénieriques et pédagogiques. Sa
finalité relève d’un projet intentionnel et planifié
de l’institution inscrit dans une démarche d’innovation et
peut se perdre dans les pratiques des acteurs ou une recherche de
rentabilité économique par des acteurs politiques de
l’institution (Albero, 2003).
Comment faire pour qu’un dispositif de formation puisse répondre
aux besoins de formation immédiats des apprenants tout en les
préparant à l’apprentissage tout au long de la vie ?
Quelles sont les conditions à anticiper pour éviter un dispositif
de formation élitiste au risque d’exclure les apprenants
« désarmés » (Glikman, 2002) ?
Comment construire des situations de formation dans la perspective de
transférer les acquisitions de l’autonomie dans un autre contexte
de formation ?
Tant de questionnements sont les défis à relever pour
réussir la mise en place d’un dispositif de FOAD
individualisé. Sans avoir l’ambition d’y répondre,
nous avons souhaité, par ceux-ci, retracer le paysage actuel du domaine
dans lequel s’inscrit notre propre question de recherche. Elle consiste
à étudier la manière dont le concepteur d’un
scénario pédagogique prend en compte l’individu-apprenant
dans une visée d’individualisation autonomisante.
Dans la partie suivante, nous introduisons notre définition de
scénario pédagogique puis les caractéristiques attendues
pour saisir la place de l’individu-apprenant lors de sa conception.
3. Notre champ d’étude : place de
l’individu-apprenant dans le scénario pédagogique
3.1. Le scénario pédagogique et ses trois volets
Le scénario pédagogique est
utilisé pour recouvrir différents niveaux de formation et selon
les ancrages théoriques, tient à des caractéristiques
dominantes distinctes (Pernin, 2003).
Plus proches de notre préoccupation, Tricot et Plégat-Soutjis (Tricot et Plégat-Soutjis, 2003) développent une approche ergonomique et s’intéressent
à la conception du dispositif au niveau du module de formation. Ils
mettent au point la notion de scénario de communication permettant
d’attirer l’attention sur l’importance de spécifier la
manière dont vont se dérouler les échanges entre les
acteurs dans la formation. A l’instar de ce travail, Mangenot (Mangenot, 2003) suggère d’associer le scénario pédagogique à
la production attendue, et le définit « comme une tâche
combinée avec un scénario de communication et prévoyant une
chronologie des échanges ». La tâche est, quant à
elle, « un agencement d’activités d’apprentissage
[...] appuyé sur des ressources et prévoyant une
production ». Le scénario pédagogique relève de
ce fait d’une granularité plus petite que tout le module
d’apprentissage. De plus, Quintin et ses collègues (Quintin et al., 2005) définissent le scénario pédagogique au niveau du module
comme un ensemble structuré et cohérent constitué de deux
parties : scénario d’apprentissage correspondant à la
prescription des activités d’apprentissage et leur articulation, et
scénario d’encadrement consistant en la modalité du soutien
humain. Enfin, une autre source de nos inspirations, sans lien direct avec le
scénario pédagogique, relève des travaux consacrés
à l’évaluation de l’ouverture du dispositif du point
de vue de l’apprenant. Jézégou (Jézégou, 2005) identifie quatorze composantes au sein du dispositif et les regroupe autour de
trois catégories : composantes spatio-temporelles, composantes
purement pédagogiques et composantes de la communication éducative
médiatisée. Nous retrouvons en effet dans cette grille de lecture
des composantes pertinentes pour caractériser le scénario
pédagogique.
Dans notre étude, le scénario pédagogique, renvoie au
module de formation. Il peut se composer d’une seule tâche ou
d’une pluralité de tâches, chacune régie par un
objectif pédagogique indépendant, une production finale
associée à un scénario de communication. De manière
plus précise, nous suggérons de décrire le scénario
pédagogique comme une unité structurée contenant trois
volets et leurs composantes :
- le volet « organisation » inclut les
composantes « spatio-temporelle », qui indique la
durée, le temps et le rythme d’accès aux formations, Nous
ajoutons dans ce volet la composante d’enchaînement décrivant
la logique d’articulation entre les tâches.
- Le volet « tâche(s)», repris des travaux de
Mangenot, décrit les objectifs, l’ensemble des activités
d’apprentissage qui sont proposées, les productions attendues et
les ressources concernées.
- Le volet « scénario de communication »
décrit la modalité d’échanges entre les acteurs en
précisant les conditions de réalisation, les outils
utilisés et les rôles respectifs de chacun dont la modalité
de tutorat.
3.2. Individu-apprenant et scénario pédagogique
En nous appuyant sur la notion d’individualisation en FOAD et sur
l’acceptation de scénario pédagogique,
développées dans les sections précédentes, nous
dégageons trois caractéristiques permettant, selon nous, de
questionner de manière pertinente, la place de l’individu-apprenant
dans le scénario pédagogique.
3.2.1. Flexibilité : espace d’expression réservé
à chaque apprenant
Le premier critère relève du degré de liberté de
choix que laisse aux apprenants le concepteur au regard des différentes
composantes de scénario pédagogique. Les chercheurs
s’accordent à dire qu’un dispositif de FOAD prend sens et se
singularise avec l’apprenant et l’usage réel qu’il en
fait. Par conséquent, cette expression personnelle n’est possible
que lorsque le concepteur laisse une part de contrôle à
l’apprenant. Une structure fermée et rigide induit un rapport de
producteur et consommateur dans lequel l’apprenant a peu l’occasion
de participer à la mise en œuvre du dispositif. Rappelons que cette
liberté de choix s’inscrit dans la valeur même du dispositif
de formation ouverte et à distance selon laquelle celui-ci
« prend en compte la singularité des personnes et repose sur
des situations d’apprentissage complémentaires » (Collectif de Chasseneuil, 2001).
Un scénario pédagogique qui intègre la dimension
individu-apprenant est donc avant tout un scénario qui prend en compte
les caractéristiques des futurs usagers dans le travail même de
prescription, et anticipe, sous forme de choix, un espace de négociation
entre le concepteur et l’apprenant lors de sa mise en œuvre. En
opérant ses choix et ses contrôles, l’apprenant marque sa
présence dans le dispositif et se l’approprie selon la
manière dont il le perçoit et le vit (Paquelin, 2009).
Il convient de noter que ce caractère flexible, ou
« ouvert », peut s’appliquer de façon globale
ou partielle à l’ensemble des composantes du scénario
pédagogique. Cela donne lieu à différents degrés de
prise en compte de l’individu-apprenant.
3.2.2. Potentiel interactionnel : l’apprenant dans ses rapports
sociaux
Le deuxième élément est le potentiel qu’a le
scénario pédagogique à intégrer l’apprenant
dans une dynamique sociale, en reconnaissant « le caractère
individuel et réflexif de l’apprentissage de même que son
ancrage social en le raccrochant aux interactions de groupe » (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001).
En travaillant avec les membres du groupe, l’apprenant partage ses savoirs
antérieurs, ses découvertes et valide ses connaissances nouvelles.
Néanmoins, le degré d’investissement de sa personne
dépend du degré de collaboration qu’exige le scénario
pédagogique. Pour notre analyse, nous empruntons la typologie que
proposent Dejean et Mangenot (Dejean et Mangenot, 2006) qui distinguent quatre formes d’interaction que sont la simple
mutualisation, la discussion, la coopération ou la collaboration. De
plus, les technologies actuelles de communication offrent la possibilité
de créer la présence à distance contribuant ou non à
renforcer la distance transactionnelle (Jezegou, 2007).
Enfin, selon la nature des outils de communication, les processus cognitifs
mobilisés par l’utilisateur pour une même tâche peuvent
varier (Bruillard, 2006), (Baker et al., 2003).
3.2.3. Tâche : processus cognitif engagé
Outre la conséquence directe sur la dynamique sociale, le choix de la
tâche détermine la manière dont le fonctionnement cognitif
de l’individu est considéré. Correspondant à une
interaction entre l’apprenant et l’objet d’apprentissage, la
tâche constitue un moyen d’aider les apprenants à
acquérir de nouvelles connaissances en utilisant des ressources mises
à leur disposition (Deschênes et Lebel, 1994).
Selon les principes éducatifs présidant à sa conception,
même de manière non-intentionnelle, chaque tâche circonscrit
la place de l’apprenant et la nature du processus cognitif à
engager dans sa réalisation. De ce fait, une tâche basée sur
une approche transmissive place, au centre du scénario
pédagogique, les connaissances visées en les présentant
comme un objet existant en dehors de la personne. L’apprenant est alors
celui qui reçoit et met en œuvre les démarches
proposées afin de parvenir à accumuler de nouvelles informations.
Dans une tâche à caractère (socio)-constructiviste,
l’apprenant y est reconnu comme un sujet cognitivement actif. Il
s’investit dans les interactions avec le groupe et le tuteur qui
contribuent à la construction de ses savoirs. L’analyse des
tâches porte donc sur l’identification des processus cognitifs
impliqués ainsi que sur les conceptions de l’apprentissage. Par
exemple, l’écriture d’un résumé de texte donne
lieu à la traduction d’idées ce qui correspond plus à
une conception transmissive de l’apprentissage.
Ainsi, ces trois caractéristiques ne permettent pas seulement de
questionner les SP conçus, mais plus fondamentalement de mettre en
lumière la posture attendue de l’individu-apprenant au sein de ce
dernier. Dans quelle mesure le SP suscite-il liberté de choix,
implication cognitive et interaction ? Dans cette perspective, un SP
prenant en compte l’individu-apprenant relève d’une formation
individualisée qui, comme nous l’avons présenté,
articule à la fois l’individu, son rapport social et une
visée d’autonomie.
4. Contexte de l’étude
Pour réaliser ce travail, nous avons choisi
comme terrain le Master à distance « didactique des
langues » dispensé à l’université du Maine,
de Tours et d’Angers. Cette formation accueille plus de deux cents
étudiants, répartis dans le monde entier, et ayant des profils
diversifiés. En nous appuyant sur le dispositif de 2009, nous avons
retenu trente trois modules d’enseignement de 24 heures entièrement
en ligne et conçus progressivement entre 2002 et 2008 par
l’ensemble de l’équipe pédagogique. Il est utile de
préciser qu’excepté une charte graphique et la plate-forme
utilisée (moodle), les concepteurs sont dans la majorité sans
formation sur la scénarisation de la formation à distance et
assurent la conception des modules qu’ils suivent en présentiel. Le
tutorat est assuré soit par les concepteurs eux-mêmes soit par
d’autres intervenants. Chaque étudiant, selon la
spécialité choisie, établit, en interaction avec le
responsable de la formation, son parcours de formation individuel à
partir d’une liste de ces UE.
5. Méthodologie : Démarches d’analyse
5.1. L’étude de cas
Pour répondre à notre
problématique, nous avons choisi de recourir à
l’étude de cas. En effet, relevant d’une démarche
qualitative descriptive, celle-ci permet d’étudier un
phénomène spécifique dans un contexte complexe, surtout
lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte ne
sont pas évidentes (Yin, 1984). Cette
méthodologie nous paraît pertinente pour mener une analyse
approfondie des productions de concepteurs inscrites dans un contexte complexe
de la FOAD (2.2).
5.2. Synopsis des SP
Pour celui qui se lance dans l’analyse d’un SP, reconstruire la
logique du concepteur n’est pas toujours aisé, ce qui
nécessite, de notre point de vue, l’élaboration d’un
synopsis. Ce dernier consiste à donner une représentation
synthétique et organisée de la multiplicité des
informations collectées permettant une reconstruction de la
réalité étudiée selon nos axes de recherche. Nous
reprenons à notre compte la définition qu’en donnent les
travaux en didactique comparée. Pour Sensevy (Sensevy, 2009),
le synopsis est une méthode de réduction de données
fournissant des supports pour une analyse à « gros
grain » et permet de donner à voir des éléments
fugitifs et disjoints. De plus, en nous appuyant sur la définition de
Félix et Mercier (Félix et Mercier, 2008),
nous considérons que le synopsis contribue à extraire des
informations essentielles des scénarios pédagogiques et de
procéder à une reformulation des éléments
sélectionnés en fonction des objectifs de la recherche. En suivant
la grille d’analyse introduite précédemment, cette
démarche a été appliquée à l’ensemble
des 33 scénarios pédagogiques du dispositif de formation
étudié. Elle a permis de faire ressortir des
caractéristiques principales de chaque SP selon les aspects organisation,
types de tâches et scénario de communication.
5.3. Critères de choix des cas
En nous appuyant sur les synopsis des 33 SP, nous avons procédé
à un travail de regroupement et identifié les principales logiques
de conception selon les trois volets des scénarios pédagogiques.
Par exemple, pour ce qui concerne l’organisation, nous avons obtenu les
trois logiques de pratiques suivantes :
O |
Descriptif |
Nb |
O1 |
Calendrier annuel, progression individuelle et libre, activités
obligatoires / au choix |
2 |
O2 |
Calendrier annuel, progression individuelle et guidée ou
imposée, activités obligatoires |
25 |
O3 |
« A calendrier », progression collective et
imposée/ guidée, activités obligatoires. |
6 |
Tableau 1. Trois logiques des pratiques de conception
pour l’Organisation
A partir de cette première analyse, nous avons pris le parti de
choisir trois cas dont les logiques de conception de chacun des volets sont
différentes.
Pour chacun des cas, nous avons ensuite élaboré un tableau
décrivant, de manière détaillée, les tâches
proposées ainsi que les scénarios de communications
associés. Cet ensemble de construits pour chacun des SP nous permettra de
soutenir notre démarche d’analyse descriptive qui sera
étayée et complétée par des entretiens avec les
concepteurs. Cette analyse sera finalisée par une discussion portant sur
la manière dont l’individu-apprenant est pris en compte dans le SP
étudié. Cette discussion s’opèrera en
référence aux trois caractéristiques de formation
individualisée, présentées dans la section
précédente, que sont la flexibilité, le potentiel
interactionnel et le processus cognitif attendu dans les tâches. Cette
étape nous conduira à identifier les caractéristiques
majeures de chacun des SP. En nous appuyant sur ces résultats, nous
mènerons enfin une discussion transversale confrontant les positions des
concepteurs. Nous tenterons de faire ressortir les tensions qu’il peut y
avoir entre les différentes dimensions du SP dans la visée de
l’individualisation autonomisante.
6. Analyse des scénarios pédagogiques
Nous présentons successivement, ci-dessous,
l’analyse des trois scénarios pédagogiques choisis, suivie,
pour chacune, par une courte discussion. Ces analyses sont basées sur les
trois synopsis des SP et leurs tâches associées (voir annexe :
Tableaux 2 à 7).
6.1. Analyse de SP1
En ce qui concerne l’organisation, l’analyse du SP1 conduit
à identifier les principaux aspects (Tableau 2) : une ouverture
annuelle sans regroupement obligatoire avec une progression individuelle dans
les différentes activités, lesquelles sont à
réaliser dans un ordre prescrit.
La tâche, en tant qu’activité à réaliser,
est constituée de quatre chapitres de cours contenant 12 activités
finalisées par des productions individuelles (Tableau 3). Les huit
premières activités donnent lieu à des exercices de
compréhension, avec autocorrection, des connaissances exposées.
Suivent, trois activités finalisées par trois devoirs
évalués qui consistent en des « exercices
d’applications », selon les termes utilisés par le
concepteur, des notions vues précédemment. Enfin, la
douzième activité finalisée aussi par une production
évaluée par le tuteur, donne lieu à une posture
évaluative et argumentative de l’apprenant, concernant la
problématique du cours, enrichie de ses connaissances et
expériences antérieures. Ces productions « à
déposer » seront évaluées par le tuteur en fin de
formation.
Nous considérons ici que le scénario de communication
n’est pas présent. En effet, un outil de communication asynchrone
et public, le forum, est proposé mais n’est en aucun cas
articulé aux activités proposées. Il n’y a aucune
trace de consignes de la part du concepteur concernant l’usage de cet
outil.
Discussion
Cette analyse descriptive nous conduit à pointer les
éléments suivants concernant la manière dont le sujet
apprenant est pris en compte par le concepteur dans ce scénario
pédagogique (SP1). Tout d’abord, en ce qui concerne la
flexibilité, elle porte principalement sur l’aspect organisationnel
à l’égard du calendrier annuel et sur le rythme de travail,
aussi bien entre les deux activités qu’au sein de chacune des
activités. L’apprenant est libre de choisir le moment et la
durée de travail. En revanche, aucun contrôle n’est
accordé à l’apprenant dans les définitions des
opérations pédagogiques au sein de la tâche. Les objectifs,
les contenus, les méthodes et l’évaluation sont
rigoureusement prescrits dans le SP1. Le scénario de communication
étant inexistant, la mise à disposition du forum laisse une grande
liberté aux tuteurs et apprenants pour créer une dynamique sociale
sans pour autant que celle-ci soit attendue.
De plus, le processus cognitif constitutif des activités
proposées relève majoritairement de la compréhension et de
la manipulation de nouveaux concepts exposés dans les documents
ressources. Bien que les deux démarches suivantes semblent favoriser
l’engagement actif de l’apprenant, elles ne sont pas ou peu mises en
avant dans la logique de conception. D’une part, la démarche de
corrigé type tenant au principe de l’autoformation offre la
potentialité d’impliquer l’apprenant dans une posture
autorégulatrice à l’égard de ses propres productions.
Or, ces activités, comme l’annonce le concepteur dans le cours,
« sont là pour soutenir l’effort d’assimilation du
cours ». L’objectif de cognition réflexive passe au
second plan sans qu’il soit l’objet d’une autre
activité. D’autre part, les dernières activités
semblent faire une place à l’apprenant en exigeant un
investissement des données personnelles, telles
qu’expériences et connaissances antérieures, dans la
réalisation de productions finales. Cependant, ces dernières sont
traitées plutôt comme résultats, donc à
évaluer en fin de formation, que comme outils permettant de
réguler et stimuler individuellement le processus d’apprentissage
de l’apprenant.
Enfin, associé à une telle conception de tâche,
résolument individuelle, le scénario de communication
réduit au minimum l’intention du concepteur de créer des
échanges collectifs. Ceux-ci ne sont pas pris en considération, ni
pour la réalisation de la tâche ni pour la validation
institutionnelle de l’UE. De ce fait, l’apprenant tout comme le
groupe est tenu, la plupart du temps, en dehors du savoir, relevant d’une
dépendance à l’égard de
l’enseignant/enseignement.
Cette analyse contribue à identifier une démarche assez
traditionnelle de l’enseignement où l’apprenant doit rendre
compte de ce qu’il s’est approprié au cours de ses lectures,
ce qu’il peut faire à son rythme. Ses caractéristiques
singulières et sociales ne sont que très peu prises en compte dans
la démarche de conception. Ceci est souligné par une absence de
scénario de communication et par des tâches principalement
centrées sur le contenu.
6.2. Analyse SP2
L’organisation du SP2 comporte les caractéristiques
suivantes (voir Tableau 4) : ouverture annuelle sans regroupement
obligatoire avec une progression individuelle. Il est constitué de vingt
tâches correspondant au nombre de chapitres puisque chacune d’elle a
son propre objectif pédagogique et donne lieu à des productions
individuelles dans le carnet de route. Les étudiants doivent effectuer
sept tâches dont trois obligatoires et quatre librement choisies. La
progression d’une tâche à une autre est non linéaire
et non imposée.
Les différentes tâches proposées ont globalement le
même format et conduisent à deux types d’activités
(Tableau 5). Le premier type concerne des exercices de compréhension,
d’application et de manipulation de nouvelles connaissances et est
individuel et autocorrigé. Pour le second, il s’agit principalement
d’activités à visée
« réflexive » dont la production est individuelle et
fait l’objet d’un suivi individualisé par le tuteur
puisqu’elle est déposée dans un carnet de route.
Dans les consignes générales, le scénario de
communication est clairement établi et concerne à la fois
l’usage du carnet de route et celui du forum (extrait ci-dessous). Des
interactions sont attendues entre le tuteur et
l’étudiant, entre le groupe
d’étudiants :
« Carnet de route et forum : Vous serez
régulièrement invité(e) à noter vos commentaires,
questions, difficultés, réactions, satisfactions / insatisfactions
... dans le « carnet de route » qui constitue votre lien avec votre
tuteur. [...] Nous vous invitons à poursuivre le dialogue avec les autres
étudiants de l’UE (et votre tuteur) dans le forum spécifique
à l’UE. »
Discussion
Le SP2 se caractérise par une forte flexibilité
organisationnelle en permettant notamment un accès aux informations dans
la durée, un rythme de travail individuel et une progression libre entre
les tâches. De plus, à partir de la variété de
tâches disponibles, l’apprenant a une véritable marge de
manœuvre dans la construction de son parcours de formation car il peut en
choisir les objectifs et le contenu. Les démarches et la modalité
de validation sont prescrites dans la feuille de route, bien que nous ayons
relevé une certaine flexibilité au niveau du scénario de
communication concernant l’usage du forum. La réalisation des
différentes tâches, par l’apprenant, nécessite la
mobilisation d’un ensemble d’opérations cognitives complexes
articulées entre le savoir visé, son fonctionnement cognitif et la
dynamique interactionnelle au sein du SP. Les activités de
compréhension autocorrigées, ou de
« découvertes » débouchent
systématiquement sur une production individuelle à visée
réflexive et autoévaluative. Celle-ci, suivie d’une
rétroaction formative tutorale, consiste à interroger les enjeux
de la tâche et la gestion entreprise pour sa réalisation.
Le scénario de communication concrétisé par deux outils
asynchrones, l’un public, l’autre privé, introduit ce
processus de construction de connaissances dans une dynamique sociale qui
encourage, comme insiste le concepteur, « les réflexions sur
son propre apprentissage visant à son renforcement, la mise en commun des
savoirs et leurs interrogations ». Les interactions prescrites entre
les apprenants relèvent de discussions et de mutualisation.
L’analyse de ce SP rend compte de la position du concepteur à
l’écoute de l’apprenant aux niveaux des processus
d’apprentissage, de l’intérêt personnel concernant les
thématiques du cours et des enjeux de l’organisation de son propre
travail. Les trois aspects semblent être pris en compte de manière
équilibrée dans une volonté d’offrir une formation
flexible, réflexive et tutorée.
6.3. Analyse SP3
En ce qui concerne ce dernier SP (Tableau 6), l’analyse selon
l’organisation conduit à identifier les aspects suivants : une
ouverture sur une période fixe de 10 semaines, un regroupement
obligatoire entre étudiants pour travailler sur une activité
donnée, une progression collective imposée selon le calendrier et
une progression linéaire prescrite entre les différentes
activités.
Ce SP propose une tâche comportant 5 activités successives
(Tableau 7), chacune d’elles se déroule sur une durée
précise et limitée. Une production principale est attendue, elle
consiste en un dossier à réaliser en binôme portant sur
l’analyse et l’exploitation d’une ressource pédagogique
librement choisie. Organisées selon les démarches qu’auront
à effectuer les apprenants, chacune des activités associe une
consigne avec une modalité de travail imposée et un outil de
communication spécifique (forum dédié). Ainsi, après
une activité de mise en situation donnant lieu au partage
d’expériences personnelles, l’apprenant est amené
à manipuler de nouveaux concepts exposés dans les ressources et
à confronter collectivement leur compréhension. Il s’ensuit
des activités s’effectuant principalement en binôme en dehors
de la plate-forme qui conduisent à la création d’un dossier
final unique.
Discussion
Cette analyse descriptive met en lumière l’articulation des
trois caractéristiques de l’individualisation autonomisante avec
une certaine focalisation sur le processus d’apprentissage
socio-constructiviste au détriment de la flexibilité. En effet,
les choix des apprenants, en termes d’organisation, sont limités du
fait du calendrier imposé, de l’obligation de s’inscrire dans
un groupe restreint et de participer activement aux échanges sur une
durée limitée. Toutefois, certaines activités, dont la
visée est de renforcer le lien entre la tâche et
l’intérêt professionnel de l’étudiant, laissent
la possibilité aux étudiants de choisir l’organisation du
binôme, le support de travail, et l’objet du dossier final.
La tâche est fondée sur une démarche de co-construction
alternant des phases individuelles et collectives. L’explicitation des
expériences personnelles via un outil de communication public permet,
dès le début, à chaque apprenant, à la fois de
s’identifier en révélant sa singularité et de
s’engager dans un travail de groupe. La phase de travail à deux,
quant à elle, sollicite une implication de l’apprenant dans le
processus intra et interpersonnel du développement des connaissances. En
prenant des formes de mutualisation/discussion et de
collaboration/coopération, l’ensemble du scénario de
communication prévu et intégré à chacune des
activités offre au SP3 une forte potentialité pour que se
construise une réelle dynamique interactionnelle, entre les apprenants et
entre les apprenants et le tuteur, indispensable à une individualisation
autonomisante.
Cette analyse révèle une démarche de conception faisant
de la dimension interactionnelle le cœur de l’apprentissage soutenu
par un scénario de communication élaboré. Cette
démarche rend possible une présence de l’apprenant en tant
qu’acteur social et porteur de connaissances en dépit de la
souplesse d’accès à la formation.
7. Analyse transversale et discussion générale
Les résultats d’analyse montrent que
derrière le même but, faciliter l’acquisition des savoirs
visés, la mise en scène pédagogique diffère
d’un SP à l’autre, ce qui donne lieu à une
identification spécifique de l’apprenant dans sa
singularité, ses rapports sociaux et sa capacité cognitive.
Le SP1 opte pour une intégration minimaliste de l’apprenant en
laissant une place centrale au contenu ainsi qu’au produit de
l’apprentissage. Il est individualisé « par
défaut » en ce qui concerne l’organisation temporelle de
la formation. Tout en partageant le même type d’activité
(autocorrigée) avec le SP2, le SP1 « enferme » le
sujet dans un rapport « impersonnel » et individuel à
l’apprentissage, marqué par l’absence de scénario de
communication. Tandis que le SP2 invite l’apprenant à
s’impliquer d’autant plus dans le processus de construction des
savoirs grâce à la mise en scène d’un réseau
social (forum et carnet de route).
De plus, les SP2 et 3, centrés sur le processus d’apprentissage,
comportent principalement des activités de mise en situation tout en
s’appuyant sur des scénarios de communication finalisés. Le
SP2 privilégie les interactions dissymétriques de guidage,
personnelles et privées, tandis que pour le SP3, les interactions sont
symétriques, collectives et publiques. Ces choix s’articulent avec
un degré de flexibilité
« élevé » pour le premier, rendu possible par
une modalité de suivi individualisé, et
« faible », pour le second, au bénéfice
d’une synergie collective synchrone. Dans les deux cas, l’apprenant
est considéré comme un sujet actif et social. En utilisant les
ressources mises à sa disposition dans le dispositif, il se doit de
s’engager dans la construction de ses savoirs, mais aussi dans celles des
autres.
Les extraits suivants des concepteurs de chacun des SP permettent de soutenir
ces premiers résultats et de mettre en lumière les
priorités des concepteurs au regard des différentes dimensions du
SP.
SP 1 : « quand je conçois une UE nouvelle, je suis sur
le contenu, ça me donne beaucoup de problèmes, ça me donne,
je dirais, peut être à quatre-vingt pourcents, et à vingt
pourcent, je réfléchis parallèlement sur comment je vais
articuler ça pour lier à l’appropriation aussi, c’est
disproportionné sans doute [...] dans la conception, c’est le
contenu qui reste le problème numéro 1 »
SP 2 : « on a des étudiants qui travaillent partout
dans le monde et durant la semaine je ne vois pas comment imposer un calendrier
fixe. Je propose un suivi par carnet de route qui est pour moi essentiel dans le
processus d’apprentissage. J’ai conscience que les discussions dans
les forums sont importantes mais du fait du calendrier annuel, les
échanges collectifs sont difficiles à mettre en place (...) et
j’ai choisi de privilégier les interactions entre
tuteur/étudiants et non étudiants/étudiants »
SP 3 : « Pour qu’il y ait un travail collaboratif il
faut une tâche bien délimitée et pour que les
échanges aient lieu véritablement il faut que le travail soit
rassemblé sur une période délimitée dans le temps ce
qui allait demander un investissement important aux
étudiants. »
8. Conclusion et discussion
Par rapport à notre question de
départ, cette étude permet de dégager trois principaux
résultats rendant compte de la manière dont les concepteurs
intègrent la dimension individu-apprenant dans les scénarios
pédagogiques. Les deux premiers points portent sur les pratiques des
concepteurs et le dernier sur la gestion des composantes du SP.
- Une pratique variée orientée par ses perceptions de
la formation à distance. Comme une sorte d’état de lieux,
cette étude met en évidence les pratiques
hétérogènes des concepteurs. Selon ses priorités ou
ses perceptions à l’égard de l’apprentissage à
distance, chaque concepteur élabore une configuration spécifique
de chaque scénario pédagogique en privilégiant certaines
composantes. Cela conduit à une diversité
d’intégration de l’apprenant.
- Une pratique en évolution. Il y a presque dix ans, les
pratiques pédagogiques dans les formations à distance
s’appuyaient fortement sur le modèle traditionnel de
l’éducation et la centration sur l’apprenant se
réduisait au niveau de l’accessibilité de formation (Garrisson, 1993).
Nos résultats d’analyses permettent d’observer une
évolution vers une logique d’apprentissage. En effet, bien que les
démarches traditionnelles persistent, certains dispositifs
s’éloignent d’une organisation centrée sur le contenu
en visant une articulation entre ce dernier, le projet professionnel et la
démarche d’apprentissage.
- Des tensions à gérer au sein du SP. A partir de nos
résultats de l’analyse transversale, nous remarquons que le projet
d’une formation individualisée et autonomisante conduit à
certaines tensions entre les composantes du scénario pédagogique.
Une des tensions majeures se situe entre la flexibilité organisationnelle
et le dynamique interactionnelle régie par la nature des tâches et
le scénario de communication. Comme un « jeu de
balançoire », le fait de préserver une large
accessibilité de la formation conduit le concepteur à mettre au
second plan les échanges collectifs. Inversement, la mise en avant
d’un scénario de communication entre les pairs s’opère
au détriment de la flexibilité de manière à
s’assurer que les apprenants puissent « se
rencontrer ». Une gestion inadéquate d’une telle tension
risque soit de reproduire les faiblesses de la formation traditionnelle au
niveau de l’accès aux formations soit de renforcer l’effet
d’industrialisation de formation en isolant l’individu dans son
travail solitaire. L’enjeu pour le concepteur est, comme nous
l’avons montré, de bien cibler le « tutorat »
afin de concilier ces deux éléments dans une visée de prise
en compte de l’individu-apprenant dans le SP. Ce travail met en
lumière un rapport de détermination réciproque entre les
trois volets du SP. En mettant l’accent sur l’un des volets, le
concepteur est amené à adapter les deux autres pour obtenir une
logique cohérente au sein du SP. Cela conduit à percevoir la
conception de scénario dans une approche systémique.
En guise de conclusion, nous souhaitons évoquer deux limites majeures
de cette étude. Dans un premier temps, s’agissant d’un
travail sur la conception de SP, il est difficile de tirer profit des
résultats tels qu’ils sont sans tenir compte de l’usage
réel de ce dernier. En effet, la prise en compte de
l’individu-apprenant dans le dispositif ne peut se mesurer qu’en
usage réel avec les acteurs identifiés et un contexte
d’usage défini. Dans un second temps, nous pouvons interroger la
possibilité de généraliser ces résultats relatifs
aux pratiques des concepteurs alors que leurs profils (expériences,
représentations, compétences en FOAD) ne font pas l’objet de
nos analyses.
Néanmoins, il nous semble que ce travail peut contribuer à la
formation des concepteurs du fait, d’une part, de la proposition
d’outils (grille de SP et caractéristiques de prise en compte de
l’individu apprenant) qui structurent le processus de conception des SP et
d’autre part les résultats d’analyse qui conduisent les
concepteurs à une analyse réflexive de leurs pratiques. Enfin,
bien que l’impact réel d’un SP ne soit pas uniquement du
ressort de la conception, mais aussi de la qualité d’accompagnement
et de l’apprenant, nous restons persuadés qu’un bon
scénario pédagogique bien conçu constitue l’un des
meilleurs soutiens à la réussite des projets de formation à
distance individualisés et massifs, aussi bien du côté de
l’institution que celui de l’apprenant.
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Trollat A.-F., Masson C. (2009), La formation
individualisée. Conférence de consensus. Collectif de
Gilly-les-Cîteaux, Dijon, Educagri éditions.
A
propos des auteurs
Yuchen CHEN est Maître de Conférences en
science du langage à l'Université du Maine et membre du
laboratoire CREN. Sa recherche porte sur l'analyse des conceptions et des usages
du dispositif de formation ouvert et à distance et plus
particulièrement dans le champ de la didactique des langues.
Adresse : Université du Maine,
Avenue Olivier Messiaen, 72085 Le Mans
cedex 9, France.
Courriel : yu-chen.chen@univ-lemans.fr
Arnauld SÉJOURNÉ est Maître de
Conférences en science de l'éducation à l'Université
de Nantes et membre du laboratoire CREN. Sa recherche porte sur les pratiques
enseignantes instrumentalisées et les dispositifs de formation en
ligne.
Adresse : 11 boulevard Pythagore, 72016
Le Mans Cedex 2, France
Courriel : arnauld.sejourne@univ-nantes.fr
Adresse :
Annexes
Synopsis et tâche du SP1
Organisation
|
Durée : annuelle
Temps : pas de regroupement obligatoire
Rythme : progression individuelle dans les différentes parties
Enchaînement : progression linéaire prescrite
|
Tâche |
Une tâche composée de 12 activités obligatoires
Objectifs fixés
Méthodes pédagogiques privilégiées : travail
individuel
8 activités avec auto-correction
3 activités avec production/évaluation
Supports peu variés : principalement écrits
Ressources : bibliographie, citation |
Scénario de communication |
Format : individuel
Outils de communication fixes : forum pour groupe et tuteur
Interaction avec les autres : possible mais pas consignée
Outil d'encadrement : forum
Démarche de tutorat explicité : aucune
Articulation tâche – SC : aucune |
Tableau
2. Synopsis SP1
|
Tâche |
Scénario de communication |
|
Activité |
Processus cognitif |
Ressource |
Consignes |
1-8 |
Activité autocorrigée |
Exercices de compréhension pour l’assimilation du contenu |
Cours rédigés et extraits d’ouvrage
Corrigé type |
« Vous lisez les deux extraits [...] et vous direz en expliquant
à quelle acception du mot ... »
« vous prenez connaissance de [...], vous direz en quoi ces
.. »
« Comment sont fabriqués ces exercices [...] structuraux ?
Quel est leur objectif ? » |
Aucun
Accès au forum général |
9-11 |
Production à déposer pour évaluation |
Exercice d’application dans un contexte identifié,
argumentation |
Cours rédigés et
extraits d’ouvrage |
« Vous ferez vous même l’exercice ci-dessus
(prépositions à et de), puis vous expliquerez » |
12 |
Production finale à déposer pour évaluation |
|
Cours rédigés et extraits d’ouvrage |
Vous allez devoir vous prononcer sur cette problématique après
vous être donné les moyens de vous exprimer en connaissance de
cause.
1) Pour cela, vous commencerez à lire [..]
2) Vous exposerez clairement les principales positions [...
3) Vous développerez votre position personnelle (fondée sur
votre connaissance du cours, des textes de référence et de ceux de
vos lectures complémentaires, sur votre expérience
d’apprenant et d’enseignant) |
Tableau 3. Tâche et scénario de
communication SP1
Synopsis et tâche du SP2
Organisation
|
Durée : annuelle
Temps : pas de regroupement obligatoire
Rythme : progression individuelle dans les différentes parties
Enchaînement : progression individuelle non imposée
|
Tâche |
20 tâches dont 7 à réaliser (3 obligatoires et 4 au
choix)
Objectifs des 20 tâches fixés par le concepteur
Méthodes pédagogiques privilégiées :
travail individuel à partir de tâche de compréhension et
d’activités à forte implication cognitive (réflexive,
argumentative) avec un suivi individualisé
Supports peu variés : écrits
Ressources : citation d’ouvrage, bibliographie |
Scénario de communication |
Format :
individuel avec auto-correction
individuel avec suivi individualisé
Outils de communication fixe : forum pour groupe et tuteur et carnet de
route étudiant-tuteur
Interaction avec les autres : consigné
Outil d'encadrement : carnet de route et forum
Articulation tâche – SC : prescription pour utiliser le carnet
de route au cours des tâches |
Tableau 4. Synopsis
SP2
|
Tâche |
Scénario de communication |
|
Activités |
Ressources |
Consignes |
Processus cognitifs |
Obligatoire |
Recommandé |
1.1 |
5 activités autocorrigées |
Note de cours,
Documents extérieurs,
Corrigés types |
« Tâchez donc d’expliciter en quelques lignes le lien
entre ..»
« Essayez de faire une grille d’analyse en vous appuyant sur
la description » |
Exercice de compréhension et d’application et manipulation de
nouvelles connaissances |
-- |
Echanges avec les autres apprenants et le tuteur via le Forum
général |
Production individuelle pour évaluation |
Carnet de route individuel |
1.1 Est-ce que certains des exemples que nous vous avons proposés,
vous ont étonné ? Si oui en quoi étaient-ils
différents des vôtres ? |
Evaluation du texte et rétrospectif de sa production en interagissant
avec le tuteur |
Répondre aux questions dans le Carnet de route suivi par le tuteur |
1.2 |
2 activités autocorrigées |
Note de cours,
Documents extérieurs,
Corrigés types |
« Cherchez maintenant à rédiger une illustration du
même type, en prenant pour exemple [..]utilisez les termes
suivants » |
Application et manipulation de nouvelles connaissances |
-- |
Production individuelle pour évaluation |
Carnet de route individuel |
1.2 Quelles sont vos impressions de ce premier contact ? Croyez vous que le
travail que vous avez fait était difficile et complexe ? Autres
commentaires ? |
Autoévaluation sur la réalisation de tâche |
Répondre aux questions dans le Carnet de route suivi par le
tuteur |
Tableau 5. Tâche et scénario de
communication SP2
Synopsis et tâche du SP3
Organisation
|
Durée : 10 semaines
Temps : regroupements obligatoires dans le binôme
Rythme : progression collective imposée dans les différentes
parties
Enchaînement : progression linéaire imposée
|
Tâche |
1 tâche composée de 5 activités
Objectifs de la tâche et des activités fixés
Production finale finalisée par un dossier constitué par un
Binôme
Production attendue, pour chacune des activités, mutualisée
sur Forum.
Méthodes pédagogiques privilégiées :
travail individuel suivi de mutualisation et discussion, travail collectif
Supports variés : écrits, fichiers Html, grilles, etc.
Ressources : citation d’ouvrage, bibliographie, exemples
numériques. |
Scénario de communication |
Format : modalité individuelle et collective
Outils de communication fixe : forum général pour l’UE,
forum par activité, chat, wiki, autres
Interaction avec les autres : consigné
Outil d'encadrement : forum de l’UE et Forum général
Articulation tâche – SC :
Scénario de communication intégré dans le
scénario de la tâche pour l’usage des forums. |
Tableau 6. Synopsis
SP3
Tâche |
Scénario de communication |
Activités/durée |
Ressources |
Consignes |
Processus cognitifs |
Consignes |
Obligatoire |
recommandé |
0. partage des expériences
Semaine 1 |
Feuille de route |
« nous vous proposons d’échanger sur le forum
F0 premiers échanges » pour partager votre
expérience [...] avec le multimédia» |
(tenir compte de la représentation/vécu de
l’apprenant ?) |
|
Echanges et discussions avec les autres apprenants
Outils : forums dédiés |
|
1. acquisition de concepts
Semaine 2-3 |
Feuille de route 1
Notes de cours |
nous vous invitons à observer les différents attributs du
multimédia à travers un certain nombre de ressources
numériques [..]. Essayez de repérer les parties/aspects de ces
ressources qui [...] |
Compréhension et manipulation de concepts |
Vous échangerez vos remarques et vos commentaires sur le forum
« F1 attributs du multimédia ». |
2. formation de binôme et choix de ressource
Semaine 4-5 |
Feuille de route 2
Notes de cours
Listes des ressources |
L’objet de cette étape est de déterminer la ressource
multimédia que vous analyserez et dont vous proposerez une exploitation
pédagogique, |
Compréhension de cours |
« Il est nécessaire d’utiliser le forum de discussion
« F2 choix de ressource » pour faire valider son choix par
le tuteur et le communiquer au groupe. |
3. Analyse de ressource choisie - production intermédiaire en
binôme
Semaine 6-7 |
Feuille de route 3
Notes de cours
Grilles existantes |
L’objet est d’effectuer l’analyse de la ressource choisie
en exploitant les éléments théoriques et pratiques du
cours. |
Manipulation des et restructuration des connaissances antérieures |
Il est recommandé d’échanger sur le forum « F3
critères d’analyse » à propos de votre choix de
critères en fonction du type de produit analysé. |
Travail avec son binôme ?
outils : choix libre (en dehors de la plate-forme) |
Echanges et discussions avec les autres apprenants
Outils : forums dédiés |
4. Exploitation de ressources choisie - production final en binôme
Semaine 7-10 |
Feuille de route 4
Notes de cours |
vous proposerez une exploitation de la ressource que vous avez
analysée au cours de l’étape précédente |
Argumentation |
Nous vous invitons à échanger sur le forum « F4
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d’exploitation |
Tableau 7. Tâche et scénario de
communication SP
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