Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation |
Volume 19, 2012 |
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La place de l’« individu-apprenant » dans la conception des scénarios pédagogiques à distanceYuchen Chen, Arnauld Séjourné (CREN, Nantes) RÉSUMÉ : Dans une perspective d’individualisation autonomisante, nous proposons d’analyser la prise en compte du sujet apprenant dans la conception du scénario pédagogique (SP) à distance. Le cadre théorique articulant des travaux portant sur les dispositifs de formation à distance et sur la pédagogie individualisée repose sur trois dimensions pour répondre à notre problématique : liberté de choix, potentialité interactionnelle et processus cognitif. Nous avons pris le parti d’analyser trois scénarios pédagogiques sélectionnés parmi un ensemble de corpus selon des critères prédéfinis. Les résultats de ce travail consistent à mettre en lumière la place de l’individu-apprenant dans la conception des différents SP tout en prenant en compte les préoccupations des concepteurs. MOTS CLÉS : Scénario pédagogique, individualisation, conception, formation à distance ABSTRACT : In this study, we aim at understanding how the design of pedagogical scenarios in distance learning contexts is learner-centered and individualized so as to help students develop autonomy in their learning. A theoretical framework is proposed that combines research on distance learning and individualized instruction. Our research questions focus on three dimensions of distance learning scenario, namely (1) liberty of choice, (2) interactional potentiality, and (3) cognitive processes. These dimensions are used to analyze three scenarios we selected based on predefined criteria. Results of this study aim to shed light on how learners play a role in the design of the analyzed scenarios and on how the designers’ concerns are also taken into consideration. KEYWORDS : Pedagogical scenario, individualization, design, distance learning
1. IntroductionLe monde éducatif assiste aujourd’hui à une véritable mutation passant d’une logique de l’enseignement, paradigme d’instruction, à une logique de l’apprentissage, paradigme d’autonomie (Albero, 2000). Il en résulte que la reconnaissance de l’individu en tant que sujet singulier, actif et social apparaît comme l’un des premiers principes déterminant la mise en œuvre de tout dispositif de formation. La matérialisation de cette reconnaissance exige des démarches cohérentes au niveau de l’ingénierie de formation, qui se voient complexifiées dans la formation à distance du fait de sa caractéristique de médiatisation. S’inscrivant dans cette thématique, de nombreux travaux de recherche, issus de différents domaines, mettent en avant que l’accompagnement est l’un des principaux leviers pour rendre le dispositif adaptable aux besoins individuels de chaque apprenant. Nous pensons plus particulièrement, d’une part, à des travaux consacrés à la conceptualisation des fonctions tutorales (Quintin, 2008), (Charlier et al., 1999) et d’autre part, à ceux orientés vers la conception d’instruments soutenant la démarche de tutorat (Despres et Leroux, 2003), (Teutsch et Bourdet, 2010). Dans cette étude, nous considérons que la prise en compte de l’individu ne s’opère pas uniquement au moment de la formation via les actions tutorales mais s’anticipe dans la phase de conception grâce à une approche spécifique orientée vers l’apprenant et son activité. Partant de ce positionnement, ce travail s’intéresse plus particulièrement au scénario pédagogique (SP) et tente de répondre à la question suivante : Dans les pratiques actuelles, de quelle manière le concepteur prend-il en compte la dimension « individu-apprenant » dans la conception du scénario pédagogique ? Nous nous référerons d’abord, à des travaux sur l’individualisation pour caractériser ce qu’implique la prise en compte de l’individu-apprenant dans le contexte spécifique de la FOAD. Puis, nous préciserons notre champ d’étude « scénario pédagogique » avant de développer les critères qui seront retenus pour l’analyse des corpus. Ensuite, nous décrirons le contexte et la méthodologie de recherche. Il s’ensuivra enfin la présentation des résultats d’analyse qui sera finalisée par une discussion générale proposant quelques pistes de réflexion. 2. « Individu-apprenant » dans les FOAD2.1. Prise en compte de l’individu-apprenantLe terme « individu », et par extension ceux d’« individualisé » et d’« individualisation» sont utilisés dans de nombreux contextes éducatifs se dotant cependant de caractéristiques divergentes. Déjà dans les années 60, le modèle de Skinner et sa machine à enseigner (Bruillard, 1997) concrétisent un enseignement dit individualisé permettant à chaque élève de suivre son propre rythme de progression. L’individualisation se limite à une réorganisation du travail collectif en travail en solitaire. Alors que cette conception de l’individu « impersonnel » persiste dans la pédagogie de ce jour, les recherches en psychologie cognitive de l’apprentissage ont conduit, en ouvrant la « boîte noire », à une vision évoluée de l’individu désignant désormais un être humain avec sa personnalité et sa spécificité. À cette nouvelle donne s’ajoute le fruit des travaux menés dans différents champs éducatifs, et plus particulièrement dans la formation professionnelle. Cette dernière, par son contexte et son public spécifiques, contribue considérablement à éclairer ce que nous qualifions aujourd’hui de formation individualisée. Cependant, il serait erroné de croire que la terminologie ait atteint une certaine stabilité. Restant une notion « nomade », l’individualisation prend différentes significations selon le contexte d’usage. Il peut s’agir d’un hyperonyme englobant toutes les pédagogies basées sur une prise en considération de l’individu quel que soit le degré, il peut se référer à un simple premier pas vers la personnalisation et l’autonomisation (Demaizière, 2001), (Possoz, 1991). Parmi de nombreuses tentatives, la définition que propose Prévost (Prévost, 1994) nous paraît particulièrement éclairante. S’inscrivant dans le courant d’autoformation, Prévost privilégie une distinction entre « individualisation institutionnelle » et « individualisation autonomisante ». La première relève d’une pratique hétérodirigée selon laquelle l’institution prend en charge l’ensemble des situations de formation. La seconde, quant à elle, renvoie à une pratique autostructurée qui aide la personne à s’approprier son projet de formation. L’auteur avance par ailleurs que, dans ce second cas, l’individualisation constitue la base de l’autonomisation dans une visée d’intégration sociale. L’intérêt d’une telle approche permet, à notre avis, d’échapper à l’écueil de l’individualisme et d’inscrire l’individualisation dans une dimension plurielle et ouverte. La déclaration commune de conférence de consensus (Trollat et Masson, 2009) consolide ce dynamisme en caractérisant la « formation individualisée » comme : - une formation qui reconnaît et prend en compte la singularité du sujet : ses besoins, son parcours, son expérience, ses acquis, ses contraintes, ses ressources, ses capacités d’autodirection, ses stratégies ; - une formation qui prend en compte la dimension sociale des apprentissages dans une perspective autonomisante et de construction identitaire ; - une formation co-construite, négociée entre les parties prenantes, qui concrétise l’interaction entre un projet de formation institué et des projets de formation individuels. Comme aboutissement de ce travail de conceptualisation, ce texte consensuel tente d’intégrer à la fois les réalités de différents terrains éducatifs et la référence à une conception socio-constructiviste de l’apprentissage. Cela nous conduit à confirmer que l’étude de la place de l’individu-apprenant dans le dispositif de formation ne se limite pas à la prise en compte du profil de l’individu et de son projet. Elle s’appréhende au croisement des trois dimensions « individu », « liens sociaux » et « visée autonomisante». 2.2. Individualisation et FOADL’individualisation de la formation étant une préoccupation commune à tout type de dispositif de formation, l’usage des technologies spécifie et rend complexe la mise en œuvre de cette proposition dans le cadre de la formation à distance. En effet, d’une part, par le haut degré de flexibilité qu’offre la technologie, du moins sur le plan spatio-temporel, la formation à distance favorise considérablement le rapprochement des savoirs des apprenants tout en privilégiant la modalité de travail individuel ; d’autre part, en permettant la mise à disposition des ressources formatives, la formation à distance se confronte à un mouvement d’industrialisation régi aujourd’hui par des objectifs de productivité économique (Fichez, 1994), (Moeglin, 1998), (Guillemet, 2004). Ces caractéristiques intrinsèques interrogent la capacité du dispositif de FOAD à prendre en compte l’apprenant en lien avec les trois dimensions évoquées. Sur l’aspect « individu », comment faire pour qu’une formation, toujours gérée selon l’impératif du flux, soit investie par la personne, et pour que cette dernière ne soit pas simplement un objet mais un sujet reconnu et identifié comme tel ? Comment faire pour que la dimension du sujet soit présente dans un cadre de formation industrialisée ? Comment éviter la standardisation de la formation au profit de la diversité interpersonnelle ? Si le rapport entre individualisation et massification semble conciliable dans la logique de la machine skinnerienne, cela induit une tension, un dilemme voire un paradoxe dans ces formations qui se veulent personnalisantes. En ce qui concerne les « liens sociaux », faisant partie intégrante de la définition même du dispositif (Collectif de Chasseneuil, 2001) ou encore des piliers de l’autoformation (Carré et al., 1997), l’alternative entre l’individuel et le collectif est une des conditions fondamentales à la qualité de formation. Les activités autonomes étant la modalité de travail par défaut pour la plupart, la dimension interactionnelle exige une organisation sophistiquée de la formation et requiert, pour qu’elle ait un réel impact sur l’apprentissage, l’engagement et la participation de chacun (Charlier et Henri 2010), (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001). Comment concilier la liberté qu’offre la formation à chaque apprenant de gérer ses activités et les contraintes liées à la mise œuvre d’une communauté d’apprentissage ? Quel équilibre entre travail individuel et travail collectif permettant de mieux soutenir l’articulation du processus intra et interpersonnel dans la construction des savoirs ? Enfin, la notion d’autonomie, selon les délimitations accordées par les acteurs institutionnels, détermine les projets ingénieriques et pédagogiques. Sa finalité relève d’un projet intentionnel et planifié de l’institution inscrit dans une démarche d’innovation et peut se perdre dans les pratiques des acteurs ou une recherche de rentabilité économique par des acteurs politiques de l’institution (Albero, 2003). Comment faire pour qu’un dispositif de formation puisse répondre aux besoins de formation immédiats des apprenants tout en les préparant à l’apprentissage tout au long de la vie ? Quelles sont les conditions à anticiper pour éviter un dispositif de formation élitiste au risque d’exclure les apprenants « désarmés » (Glikman, 2002) ? Comment construire des situations de formation dans la perspective de transférer les acquisitions de l’autonomie dans un autre contexte de formation ? Tant de questionnements sont les défis à relever pour réussir la mise en place d’un dispositif de FOAD individualisé. Sans avoir l’ambition d’y répondre, nous avons souhaité, par ceux-ci, retracer le paysage actuel du domaine dans lequel s’inscrit notre propre question de recherche. Elle consiste à étudier la manière dont le concepteur d’un scénario pédagogique prend en compte l’individu-apprenant dans une visée d’individualisation autonomisante. Dans la partie suivante, nous introduisons notre définition de scénario pédagogique puis les caractéristiques attendues pour saisir la place de l’individu-apprenant lors de sa conception. 3. Notre champ d’étude : place de l’individu-apprenant dans le scénario pédagogique3.1. Le scénario pédagogique et ses trois voletsLe scénario pédagogique est utilisé pour recouvrir différents niveaux de formation et selon les ancrages théoriques, tient à des caractéristiques dominantes distinctes (Pernin, 2003). Plus proches de notre préoccupation, Tricot et Plégat-Soutjis (Tricot et Plégat-Soutjis, 2003) développent une approche ergonomique et s’intéressent à la conception du dispositif au niveau du module de formation. Ils mettent au point la notion de scénario de communication permettant d’attirer l’attention sur l’importance de spécifier la manière dont vont se dérouler les échanges entre les acteurs dans la formation. A l’instar de ce travail, Mangenot (Mangenot, 2003) suggère d’associer le scénario pédagogique à la production attendue, et le définit « comme une tâche combinée avec un scénario de communication et prévoyant une chronologie des échanges ». La tâche est, quant à elle, « un agencement d’activités d’apprentissage [...] appuyé sur des ressources et prévoyant une production ». Le scénario pédagogique relève de ce fait d’une granularité plus petite que tout le module d’apprentissage. De plus, Quintin et ses collègues (Quintin et al., 2005) définissent le scénario pédagogique au niveau du module comme un ensemble structuré et cohérent constitué de deux parties : scénario d’apprentissage correspondant à la prescription des activités d’apprentissage et leur articulation, et scénario d’encadrement consistant en la modalité du soutien humain. Enfin, une autre source de nos inspirations, sans lien direct avec le scénario pédagogique, relève des travaux consacrés à l’évaluation de l’ouverture du dispositif du point de vue de l’apprenant. Jézégou (Jézégou, 2005) identifie quatorze composantes au sein du dispositif et les regroupe autour de trois catégories : composantes spatio-temporelles, composantes purement pédagogiques et composantes de la communication éducative médiatisée. Nous retrouvons en effet dans cette grille de lecture des composantes pertinentes pour caractériser le scénario pédagogique. Dans notre étude, le scénario pédagogique, renvoie au module de formation. Il peut se composer d’une seule tâche ou d’une pluralité de tâches, chacune régie par un objectif pédagogique indépendant, une production finale associée à un scénario de communication. De manière plus précise, nous suggérons de décrire le scénario pédagogique comme une unité structurée contenant trois volets et leurs composantes : - le volet « organisation » inclut les composantes « spatio-temporelle », qui indique la durée, le temps et le rythme d’accès aux formations, Nous ajoutons dans ce volet la composante d’enchaînement décrivant la logique d’articulation entre les tâches. - Le volet « tâche(s)», repris des travaux de Mangenot, décrit les objectifs, l’ensemble des activités d’apprentissage qui sont proposées, les productions attendues et les ressources concernées. - Le volet « scénario de communication » décrit la modalité d’échanges entre les acteurs en précisant les conditions de réalisation, les outils utilisés et les rôles respectifs de chacun dont la modalité de tutorat. 3.2. Individu-apprenant et scénario pédagogiqueEn nous appuyant sur la notion d’individualisation en FOAD et sur l’acceptation de scénario pédagogique, développées dans les sections précédentes, nous dégageons trois caractéristiques permettant, selon nous, de questionner de manière pertinente, la place de l’individu-apprenant dans le scénario pédagogique. 3.2.1. Flexibilité : espace d’expression réservé à chaque apprenantLe premier critère relève du degré de liberté de choix que laisse aux apprenants le concepteur au regard des différentes composantes de scénario pédagogique. Les chercheurs s’accordent à dire qu’un dispositif de FOAD prend sens et se singularise avec l’apprenant et l’usage réel qu’il en fait. Par conséquent, cette expression personnelle n’est possible que lorsque le concepteur laisse une part de contrôle à l’apprenant. Une structure fermée et rigide induit un rapport de producteur et consommateur dans lequel l’apprenant a peu l’occasion de participer à la mise en œuvre du dispositif. Rappelons que cette liberté de choix s’inscrit dans la valeur même du dispositif de formation ouverte et à distance selon laquelle celui-ci « prend en compte la singularité des personnes et repose sur des situations d’apprentissage complémentaires » (Collectif de Chasseneuil, 2001). Un scénario pédagogique qui intègre la dimension individu-apprenant est donc avant tout un scénario qui prend en compte les caractéristiques des futurs usagers dans le travail même de prescription, et anticipe, sous forme de choix, un espace de négociation entre le concepteur et l’apprenant lors de sa mise en œuvre. En opérant ses choix et ses contrôles, l’apprenant marque sa présence dans le dispositif et se l’approprie selon la manière dont il le perçoit et le vit (Paquelin, 2009). Il convient de noter que ce caractère flexible, ou « ouvert », peut s’appliquer de façon globale ou partielle à l’ensemble des composantes du scénario pédagogique. Cela donne lieu à différents degrés de prise en compte de l’individu-apprenant. 3.2.2. Potentiel interactionnel : l’apprenant dans ses rapports sociauxLe deuxième élément est le potentiel qu’a le scénario pédagogique à intégrer l’apprenant dans une dynamique sociale, en reconnaissant « le caractère individuel et réflexif de l’apprentissage de même que son ancrage social en le raccrochant aux interactions de groupe » (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001). En travaillant avec les membres du groupe, l’apprenant partage ses savoirs antérieurs, ses découvertes et valide ses connaissances nouvelles. Néanmoins, le degré d’investissement de sa personne dépend du degré de collaboration qu’exige le scénario pédagogique. Pour notre analyse, nous empruntons la typologie que proposent Dejean et Mangenot (Dejean et Mangenot, 2006) qui distinguent quatre formes d’interaction que sont la simple mutualisation, la discussion, la coopération ou la collaboration. De plus, les technologies actuelles de communication offrent la possibilité de créer la présence à distance contribuant ou non à renforcer la distance transactionnelle (Jezegou, 2007). Enfin, selon la nature des outils de communication, les processus cognitifs mobilisés par l’utilisateur pour une même tâche peuvent varier (Bruillard, 2006), (Baker et al., 2003). 3.2.3. Tâche : processus cognitif engagéOutre la conséquence directe sur la dynamique sociale, le choix de la tâche détermine la manière dont le fonctionnement cognitif de l’individu est considéré. Correspondant à une interaction entre l’apprenant et l’objet d’apprentissage, la tâche constitue un moyen d’aider les apprenants à acquérir de nouvelles connaissances en utilisant des ressources mises à leur disposition (Deschênes et Lebel, 1994). Selon les principes éducatifs présidant à sa conception, même de manière non-intentionnelle, chaque tâche circonscrit la place de l’apprenant et la nature du processus cognitif à engager dans sa réalisation. De ce fait, une tâche basée sur une approche transmissive place, au centre du scénario pédagogique, les connaissances visées en les présentant comme un objet existant en dehors de la personne. L’apprenant est alors celui qui reçoit et met en œuvre les démarches proposées afin de parvenir à accumuler de nouvelles informations. Dans une tâche à caractère (socio)-constructiviste, l’apprenant y est reconnu comme un sujet cognitivement actif. Il s’investit dans les interactions avec le groupe et le tuteur qui contribuent à la construction de ses savoirs. L’analyse des tâches porte donc sur l’identification des processus cognitifs impliqués ainsi que sur les conceptions de l’apprentissage. Par exemple, l’écriture d’un résumé de texte donne lieu à la traduction d’idées ce qui correspond plus à une conception transmissive de l’apprentissage. Ainsi, ces trois caractéristiques ne permettent pas seulement de questionner les SP conçus, mais plus fondamentalement de mettre en lumière la posture attendue de l’individu-apprenant au sein de ce dernier. Dans quelle mesure le SP suscite-il liberté de choix, implication cognitive et interaction ? Dans cette perspective, un SP prenant en compte l’individu-apprenant relève d’une formation individualisée qui, comme nous l’avons présenté, articule à la fois l’individu, son rapport social et une visée d’autonomie. 4. Contexte de l’étudePour réaliser ce travail, nous avons choisi comme terrain le Master à distance « didactique des langues » dispensé à l’université du Maine, de Tours et d’Angers. Cette formation accueille plus de deux cents étudiants, répartis dans le monde entier, et ayant des profils diversifiés. En nous appuyant sur le dispositif de 2009, nous avons retenu trente trois modules d’enseignement de 24 heures entièrement en ligne et conçus progressivement entre 2002 et 2008 par l’ensemble de l’équipe pédagogique. Il est utile de préciser qu’excepté une charte graphique et la plate-forme utilisée (moodle), les concepteurs sont dans la majorité sans formation sur la scénarisation de la formation à distance et assurent la conception des modules qu’ils suivent en présentiel. Le tutorat est assuré soit par les concepteurs eux-mêmes soit par d’autres intervenants. Chaque étudiant, selon la spécialité choisie, établit, en interaction avec le responsable de la formation, son parcours de formation individuel à partir d’une liste de ces UE. 5. Méthodologie : Démarches d’analyse5.1. L’étude de casPour répondre à notre problématique, nous avons choisi de recourir à l’étude de cas. En effet, relevant d’une démarche qualitative descriptive, celle-ci permet d’étudier un phénomène spécifique dans un contexte complexe, surtout lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte ne sont pas évidentes (Yin, 1984). Cette méthodologie nous paraît pertinente pour mener une analyse approfondie des productions de concepteurs inscrites dans un contexte complexe de la FOAD (2.2). 5.2. Synopsis des SPPour celui qui se lance dans l’analyse d’un SP, reconstruire la logique du concepteur n’est pas toujours aisé, ce qui nécessite, de notre point de vue, l’élaboration d’un synopsis. Ce dernier consiste à donner une représentation synthétique et organisée de la multiplicité des informations collectées permettant une reconstruction de la réalité étudiée selon nos axes de recherche. Nous reprenons à notre compte la définition qu’en donnent les travaux en didactique comparée. Pour Sensevy (Sensevy, 2009), le synopsis est une méthode de réduction de données fournissant des supports pour une analyse à « gros grain » et permet de donner à voir des éléments fugitifs et disjoints. De plus, en nous appuyant sur la définition de Félix et Mercier (Félix et Mercier, 2008), nous considérons que le synopsis contribue à extraire des informations essentielles des scénarios pédagogiques et de procéder à une reformulation des éléments sélectionnés en fonction des objectifs de la recherche. En suivant la grille d’analyse introduite précédemment, cette démarche a été appliquée à l’ensemble des 33 scénarios pédagogiques du dispositif de formation étudié. Elle a permis de faire ressortir des caractéristiques principales de chaque SP selon les aspects organisation, types de tâches et scénario de communication. 5.3. Critères de choix des casEn nous appuyant sur les synopsis des 33 SP, nous avons procédé à un travail de regroupement et identifié les principales logiques de conception selon les trois volets des scénarios pédagogiques. Par exemple, pour ce qui concerne l’organisation, nous avons obtenu les trois logiques de pratiques suivantes :
Tableau 1. Trois logiques des pratiques de conception pour l’Organisation A partir de cette première analyse, nous avons pris le parti de choisir trois cas dont les logiques de conception de chacun des volets sont différentes. Pour chacun des cas, nous avons ensuite élaboré un tableau décrivant, de manière détaillée, les tâches proposées ainsi que les scénarios de communications associés. Cet ensemble de construits pour chacun des SP nous permettra de soutenir notre démarche d’analyse descriptive qui sera étayée et complétée par des entretiens avec les concepteurs. Cette analyse sera finalisée par une discussion portant sur la manière dont l’individu-apprenant est pris en compte dans le SP étudié. Cette discussion s’opèrera en référence aux trois caractéristiques de formation individualisée, présentées dans la section précédente, que sont la flexibilité, le potentiel interactionnel et le processus cognitif attendu dans les tâches. Cette étape nous conduira à identifier les caractéristiques majeures de chacun des SP. En nous appuyant sur ces résultats, nous mènerons enfin une discussion transversale confrontant les positions des concepteurs. Nous tenterons de faire ressortir les tensions qu’il peut y avoir entre les différentes dimensions du SP dans la visée de l’individualisation autonomisante. 6. Analyse des scénarios pédagogiquesNous présentons successivement, ci-dessous, l’analyse des trois scénarios pédagogiques choisis, suivie, pour chacune, par une courte discussion. Ces analyses sont basées sur les trois synopsis des SP et leurs tâches associées (voir annexe : Tableaux 2 à 7). 6.1. Analyse de SP1En ce qui concerne l’organisation, l’analyse du SP1 conduit à identifier les principaux aspects (Tableau 2) : une ouverture annuelle sans regroupement obligatoire avec une progression individuelle dans les différentes activités, lesquelles sont à réaliser dans un ordre prescrit. La tâche, en tant qu’activité à réaliser, est constituée de quatre chapitres de cours contenant 12 activités finalisées par des productions individuelles (Tableau 3). Les huit premières activités donnent lieu à des exercices de compréhension, avec autocorrection, des connaissances exposées. Suivent, trois activités finalisées par trois devoirs évalués qui consistent en des « exercices d’applications », selon les termes utilisés par le concepteur, des notions vues précédemment. Enfin, la douzième activité finalisée aussi par une production évaluée par le tuteur, donne lieu à une posture évaluative et argumentative de l’apprenant, concernant la problématique du cours, enrichie de ses connaissances et expériences antérieures. Ces productions « à déposer » seront évaluées par le tuteur en fin de formation. Nous considérons ici que le scénario de communication n’est pas présent. En effet, un outil de communication asynchrone et public, le forum, est proposé mais n’est en aucun cas articulé aux activités proposées. Il n’y a aucune trace de consignes de la part du concepteur concernant l’usage de cet outil. Discussion Cette analyse descriptive nous conduit à pointer les éléments suivants concernant la manière dont le sujet apprenant est pris en compte par le concepteur dans ce scénario pédagogique (SP1). Tout d’abord, en ce qui concerne la flexibilité, elle porte principalement sur l’aspect organisationnel à l’égard du calendrier annuel et sur le rythme de travail, aussi bien entre les deux activités qu’au sein de chacune des activités. L’apprenant est libre de choisir le moment et la durée de travail. En revanche, aucun contrôle n’est accordé à l’apprenant dans les définitions des opérations pédagogiques au sein de la tâche. Les objectifs, les contenus, les méthodes et l’évaluation sont rigoureusement prescrits dans le SP1. Le scénario de communication étant inexistant, la mise à disposition du forum laisse une grande liberté aux tuteurs et apprenants pour créer une dynamique sociale sans pour autant que celle-ci soit attendue. De plus, le processus cognitif constitutif des activités proposées relève majoritairement de la compréhension et de la manipulation de nouveaux concepts exposés dans les documents ressources. Bien que les deux démarches suivantes semblent favoriser l’engagement actif de l’apprenant, elles ne sont pas ou peu mises en avant dans la logique de conception. D’une part, la démarche de corrigé type tenant au principe de l’autoformation offre la potentialité d’impliquer l’apprenant dans une posture autorégulatrice à l’égard de ses propres productions. Or, ces activités, comme l’annonce le concepteur dans le cours, « sont là pour soutenir l’effort d’assimilation du cours ». L’objectif de cognition réflexive passe au second plan sans qu’il soit l’objet d’une autre activité. D’autre part, les dernières activités semblent faire une place à l’apprenant en exigeant un investissement des données personnelles, telles qu’expériences et connaissances antérieures, dans la réalisation de productions finales. Cependant, ces dernières sont traitées plutôt comme résultats, donc à évaluer en fin de formation, que comme outils permettant de réguler et stimuler individuellement le processus d’apprentissage de l’apprenant. Enfin, associé à une telle conception de tâche, résolument individuelle, le scénario de communication réduit au minimum l’intention du concepteur de créer des échanges collectifs. Ceux-ci ne sont pas pris en considération, ni pour la réalisation de la tâche ni pour la validation institutionnelle de l’UE. De ce fait, l’apprenant tout comme le groupe est tenu, la plupart du temps, en dehors du savoir, relevant d’une dépendance à l’égard de l’enseignant/enseignement. Cette analyse contribue à identifier une démarche assez traditionnelle de l’enseignement où l’apprenant doit rendre compte de ce qu’il s’est approprié au cours de ses lectures, ce qu’il peut faire à son rythme. Ses caractéristiques singulières et sociales ne sont que très peu prises en compte dans la démarche de conception. Ceci est souligné par une absence de scénario de communication et par des tâches principalement centrées sur le contenu. 6.2. Analyse SP2L’organisation du SP2 comporte les caractéristiques suivantes (voir Tableau 4) : ouverture annuelle sans regroupement obligatoire avec une progression individuelle. Il est constitué de vingt tâches correspondant au nombre de chapitres puisque chacune d’elle a son propre objectif pédagogique et donne lieu à des productions individuelles dans le carnet de route. Les étudiants doivent effectuer sept tâches dont trois obligatoires et quatre librement choisies. La progression d’une tâche à une autre est non linéaire et non imposée. Les différentes tâches proposées ont globalement le même format et conduisent à deux types d’activités (Tableau 5). Le premier type concerne des exercices de compréhension, d’application et de manipulation de nouvelles connaissances et est individuel et autocorrigé. Pour le second, il s’agit principalement d’activités à visée « réflexive » dont la production est individuelle et fait l’objet d’un suivi individualisé par le tuteur puisqu’elle est déposée dans un carnet de route. Dans les consignes générales, le scénario de communication est clairement établi et concerne à la fois l’usage du carnet de route et celui du forum (extrait ci-dessous). Des interactions sont attendues entre le tuteur et l’étudiant, entre le groupe d’étudiants : « Carnet de route et forum : Vous serez régulièrement invité(e) à noter vos commentaires, questions, difficultés, réactions, satisfactions / insatisfactions ... dans le « carnet de route » qui constitue votre lien avec votre tuteur. [...] Nous vous invitons à poursuivre le dialogue avec les autres étudiants de l’UE (et votre tuteur) dans le forum spécifique à l’UE. » Discussion Le SP2 se caractérise par une forte flexibilité organisationnelle en permettant notamment un accès aux informations dans la durée, un rythme de travail individuel et une progression libre entre les tâches. De plus, à partir de la variété de tâches disponibles, l’apprenant a une véritable marge de manœuvre dans la construction de son parcours de formation car il peut en choisir les objectifs et le contenu. Les démarches et la modalité de validation sont prescrites dans la feuille de route, bien que nous ayons relevé une certaine flexibilité au niveau du scénario de communication concernant l’usage du forum. La réalisation des différentes tâches, par l’apprenant, nécessite la mobilisation d’un ensemble d’opérations cognitives complexes articulées entre le savoir visé, son fonctionnement cognitif et la dynamique interactionnelle au sein du SP. Les activités de compréhension autocorrigées, ou de « découvertes » débouchent systématiquement sur une production individuelle à visée réflexive et autoévaluative. Celle-ci, suivie d’une rétroaction formative tutorale, consiste à interroger les enjeux de la tâche et la gestion entreprise pour sa réalisation. Le scénario de communication concrétisé par deux outils asynchrones, l’un public, l’autre privé, introduit ce processus de construction de connaissances dans une dynamique sociale qui encourage, comme insiste le concepteur, « les réflexions sur son propre apprentissage visant à son renforcement, la mise en commun des savoirs et leurs interrogations ». Les interactions prescrites entre les apprenants relèvent de discussions et de mutualisation. L’analyse de ce SP rend compte de la position du concepteur à l’écoute de l’apprenant aux niveaux des processus d’apprentissage, de l’intérêt personnel concernant les thématiques du cours et des enjeux de l’organisation de son propre travail. Les trois aspects semblent être pris en compte de manière équilibrée dans une volonté d’offrir une formation flexible, réflexive et tutorée. 6.3. Analyse SP3En ce qui concerne ce dernier SP (Tableau 6), l’analyse selon l’organisation conduit à identifier les aspects suivants : une ouverture sur une période fixe de 10 semaines, un regroupement obligatoire entre étudiants pour travailler sur une activité donnée, une progression collective imposée selon le calendrier et une progression linéaire prescrite entre les différentes activités. Ce SP propose une tâche comportant 5 activités successives (Tableau 7), chacune d’elles se déroule sur une durée précise et limitée. Une production principale est attendue, elle consiste en un dossier à réaliser en binôme portant sur l’analyse et l’exploitation d’une ressource pédagogique librement choisie. Organisées selon les démarches qu’auront à effectuer les apprenants, chacune des activités associe une consigne avec une modalité de travail imposée et un outil de communication spécifique (forum dédié). Ainsi, après une activité de mise en situation donnant lieu au partage d’expériences personnelles, l’apprenant est amené à manipuler de nouveaux concepts exposés dans les ressources et à confronter collectivement leur compréhension. Il s’ensuit des activités s’effectuant principalement en binôme en dehors de la plate-forme qui conduisent à la création d’un dossier final unique. Discussion Cette analyse descriptive met en lumière l’articulation des trois caractéristiques de l’individualisation autonomisante avec une certaine focalisation sur le processus d’apprentissage socio-constructiviste au détriment de la flexibilité. En effet, les choix des apprenants, en termes d’organisation, sont limités du fait du calendrier imposé, de l’obligation de s’inscrire dans un groupe restreint et de participer activement aux échanges sur une durée limitée. Toutefois, certaines activités, dont la visée est de renforcer le lien entre la tâche et l’intérêt professionnel de l’étudiant, laissent la possibilité aux étudiants de choisir l’organisation du binôme, le support de travail, et l’objet du dossier final. La tâche est fondée sur une démarche de co-construction alternant des phases individuelles et collectives. L’explicitation des expériences personnelles via un outil de communication public permet, dès le début, à chaque apprenant, à la fois de s’identifier en révélant sa singularité et de s’engager dans un travail de groupe. La phase de travail à deux, quant à elle, sollicite une implication de l’apprenant dans le processus intra et interpersonnel du développement des connaissances. En prenant des formes de mutualisation/discussion et de collaboration/coopération, l’ensemble du scénario de communication prévu et intégré à chacune des activités offre au SP3 une forte potentialité pour que se construise une réelle dynamique interactionnelle, entre les apprenants et entre les apprenants et le tuteur, indispensable à une individualisation autonomisante. Cette analyse révèle une démarche de conception faisant de la dimension interactionnelle le cœur de l’apprentissage soutenu par un scénario de communication élaboré. Cette démarche rend possible une présence de l’apprenant en tant qu’acteur social et porteur de connaissances en dépit de la souplesse d’accès à la formation. 7. Analyse transversale et discussion généraleLes résultats d’analyse montrent que derrière le même but, faciliter l’acquisition des savoirs visés, la mise en scène pédagogique diffère d’un SP à l’autre, ce qui donne lieu à une identification spécifique de l’apprenant dans sa singularité, ses rapports sociaux et sa capacité cognitive. Le SP1 opte pour une intégration minimaliste de l’apprenant en laissant une place centrale au contenu ainsi qu’au produit de l’apprentissage. Il est individualisé « par défaut » en ce qui concerne l’organisation temporelle de la formation. Tout en partageant le même type d’activité (autocorrigée) avec le SP2, le SP1 « enferme » le sujet dans un rapport « impersonnel » et individuel à l’apprentissage, marqué par l’absence de scénario de communication. Tandis que le SP2 invite l’apprenant à s’impliquer d’autant plus dans le processus de construction des savoirs grâce à la mise en scène d’un réseau social (forum et carnet de route). De plus, les SP2 et 3, centrés sur le processus d’apprentissage, comportent principalement des activités de mise en situation tout en s’appuyant sur des scénarios de communication finalisés. Le SP2 privilégie les interactions dissymétriques de guidage, personnelles et privées, tandis que pour le SP3, les interactions sont symétriques, collectives et publiques. Ces choix s’articulent avec un degré de flexibilité « élevé » pour le premier, rendu possible par une modalité de suivi individualisé, et « faible », pour le second, au bénéfice d’une synergie collective synchrone. Dans les deux cas, l’apprenant est considéré comme un sujet actif et social. En utilisant les ressources mises à sa disposition dans le dispositif, il se doit de s’engager dans la construction de ses savoirs, mais aussi dans celles des autres. Les extraits suivants des concepteurs de chacun des SP permettent de soutenir ces premiers résultats et de mettre en lumière les priorités des concepteurs au regard des différentes dimensions du SP. SP 1 : « quand je conçois une UE nouvelle, je suis sur le contenu, ça me donne beaucoup de problèmes, ça me donne, je dirais, peut être à quatre-vingt pourcents, et à vingt pourcent, je réfléchis parallèlement sur comment je vais articuler ça pour lier à l’appropriation aussi, c’est disproportionné sans doute [...] dans la conception, c’est le contenu qui reste le problème numéro 1 » SP 2 : « on a des étudiants qui travaillent partout dans le monde et durant la semaine je ne vois pas comment imposer un calendrier fixe. Je propose un suivi par carnet de route qui est pour moi essentiel dans le processus d’apprentissage. J’ai conscience que les discussions dans les forums sont importantes mais du fait du calendrier annuel, les échanges collectifs sont difficiles à mettre en place (...) et j’ai choisi de privilégier les interactions entre tuteur/étudiants et non étudiants/étudiants » SP 3 : « Pour qu’il y ait un travail collaboratif il faut une tâche bien délimitée et pour que les échanges aient lieu véritablement il faut que le travail soit rassemblé sur une période délimitée dans le temps ce qui allait demander un investissement important aux étudiants. » 8. Conclusion et discussionPar rapport à notre question de départ, cette étude permet de dégager trois principaux résultats rendant compte de la manière dont les concepteurs intègrent la dimension individu-apprenant dans les scénarios pédagogiques. Les deux premiers points portent sur les pratiques des concepteurs et le dernier sur la gestion des composantes du SP. - Une pratique variée orientée par ses perceptions de la formation à distance. Comme une sorte d’état de lieux, cette étude met en évidence les pratiques hétérogènes des concepteurs. Selon ses priorités ou ses perceptions à l’égard de l’apprentissage à distance, chaque concepteur élabore une configuration spécifique de chaque scénario pédagogique en privilégiant certaines composantes. Cela conduit à une diversité d’intégration de l’apprenant. - Une pratique en évolution. Il y a presque dix ans, les pratiques pédagogiques dans les formations à distance s’appuyaient fortement sur le modèle traditionnel de l’éducation et la centration sur l’apprenant se réduisait au niveau de l’accessibilité de formation (Garrisson, 1993). Nos résultats d’analyses permettent d’observer une évolution vers une logique d’apprentissage. En effet, bien que les démarches traditionnelles persistent, certains dispositifs s’éloignent d’une organisation centrée sur le contenu en visant une articulation entre ce dernier, le projet professionnel et la démarche d’apprentissage. - Des tensions à gérer au sein du SP. A partir de nos résultats de l’analyse transversale, nous remarquons que le projet d’une formation individualisée et autonomisante conduit à certaines tensions entre les composantes du scénario pédagogique. Une des tensions majeures se situe entre la flexibilité organisationnelle et le dynamique interactionnelle régie par la nature des tâches et le scénario de communication. Comme un « jeu de balançoire », le fait de préserver une large accessibilité de la formation conduit le concepteur à mettre au second plan les échanges collectifs. Inversement, la mise en avant d’un scénario de communication entre les pairs s’opère au détriment de la flexibilité de manière à s’assurer que les apprenants puissent « se rencontrer ». Une gestion inadéquate d’une telle tension risque soit de reproduire les faiblesses de la formation traditionnelle au niveau de l’accès aux formations soit de renforcer l’effet d’industrialisation de formation en isolant l’individu dans son travail solitaire. L’enjeu pour le concepteur est, comme nous l’avons montré, de bien cibler le « tutorat » afin de concilier ces deux éléments dans une visée de prise en compte de l’individu-apprenant dans le SP. Ce travail met en lumière un rapport de détermination réciproque entre les trois volets du SP. En mettant l’accent sur l’un des volets, le concepteur est amené à adapter les deux autres pour obtenir une logique cohérente au sein du SP. Cela conduit à percevoir la conception de scénario dans une approche systémique. En guise de conclusion, nous souhaitons évoquer deux limites majeures de cette étude. Dans un premier temps, s’agissant d’un travail sur la conception de SP, il est difficile de tirer profit des résultats tels qu’ils sont sans tenir compte de l’usage réel de ce dernier. En effet, la prise en compte de l’individu-apprenant dans le dispositif ne peut se mesurer qu’en usage réel avec les acteurs identifiés et un contexte d’usage défini. Dans un second temps, nous pouvons interroger la possibilité de généraliser ces résultats relatifs aux pratiques des concepteurs alors que leurs profils (expériences, représentations, compétences en FOAD) ne font pas l’objet de nos analyses. Néanmoins, il nous semble que ce travail peut contribuer à la formation des concepteurs du fait, d’une part, de la proposition d’outils (grille de SP et caractéristiques de prise en compte de l’individu apprenant) qui structurent le processus de conception des SP et d’autre part les résultats d’analyse qui conduisent les concepteurs à une analyse réflexive de leurs pratiques. Enfin, bien que l’impact réel d’un SP ne soit pas uniquement du ressort de la conception, mais aussi de la qualité d’accompagnement et de l’apprenant, nous restons persuadés qu’un bon scénario pédagogique bien conçu constitue l’un des meilleurs soutiens à la réussite des projets de formation à distance individualisés et massifs, aussi bien du côté de l’institution que celui de l’apprenant. BIBLIOGRAPHIEALBERO B. (2000). L'autoformation en contexte institutionnel : du paradigme de l'instruction au paradigme de l'autonomie, Paris, L'Harmattan. ALBERO B. 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Avenue Olivier Messiaen, 72085 Le Mans
Courriel : yu-chen.chen@univ-lemans.fr Arnauld SÉJOURNÉ est Maître de Conférences en science de l'éducation à l'Université de Nantes et membre du laboratoire CREN. Sa recherche porte sur les pratiques enseignantes instrumentalisées et les dispositifs de formation en ligne. Adresse : 11 boulevard Pythagore, 72016 Le Mans Cedex 2, France Courriel : arnauld.sejourne@univ-nantes.fr Adresse : Annexes
|
Organisation |
Durée : annuelle
|
---|---|
Tâche |
Une tâche composée de 12 activités obligatoires
|
Scénario de communication |
Format : individuel
|
|
Tâche |
Scénario de communication |
|||
|
Activité |
Processus cognitif |
Ressource |
Consignes |
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1-8 |
Activité autocorrigée |
Exercices de compréhension pour l’assimilation du contenu |
Cours rédigés et extraits d’ouvrage
|
« Vous lisez les deux extraits [...] et vous direz en expliquant
à quelle acception du mot ... »
|
Aucun
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9-11 |
Production à déposer pour évaluation |
Exercice d’application dans un contexte identifié, argumentation |
Cours rédigés et
|
« Vous ferez vous même l’exercice ci-dessus (prépositions à et de), puis vous expliquerez » |
|
12 |
Production finale à déposer pour évaluation |
|
Cours rédigés et extraits d’ouvrage |
Vous allez devoir vous prononcer sur cette problématique après
vous être donné les moyens de vous exprimer en connaissance de
cause.
|
Tableau 3. Tâche et scénario de communication SP1
Organisation |
Durée : annuelle
|
---|---|
Tâche |
20 tâches dont 7 à réaliser (3 obligatoires et 4 au
choix)
|
Scénario de communication |
Format :
|
|
Tâche |
Scénario de communication |
||||
|
Activités |
Ressources |
Consignes |
Processus cognitifs |
Obligatoire |
Recommandé |
1.1 |
5 activités autocorrigées |
Note de cours,
|
« Tâchez donc d’expliciter en quelques lignes le lien
entre ..»
|
Exercice de compréhension et d’application et manipulation de nouvelles connaissances |
-- |
Echanges avec les autres apprenants et le tuteur via le Forum général |
Production individuelle pour évaluation |
Carnet de route individuel |
1.1 Est-ce que certains des exemples que nous vous avons proposés, vous ont étonné ? Si oui en quoi étaient-ils différents des vôtres ? |
Evaluation du texte et rétrospectif de sa production en interagissant avec le tuteur |
Répondre aux questions dans le Carnet de route suivi par le tuteur |
||
1.2 |
2 activités autocorrigées |
Note de cours,
|
« Cherchez maintenant à rédiger une illustration du même type, en prenant pour exemple [..]utilisez les termes suivants » |
Application et manipulation de nouvelles connaissances |
-- |
|
Production individuelle pour évaluation |
Carnet de route individuel |
1.2 Quelles sont vos impressions de ce premier contact ? Croyez vous que le travail que vous avez fait était difficile et complexe ? Autres commentaires ? |
Autoévaluation sur la réalisation de tâche |
Répondre aux questions dans le Carnet de route suivi par le tuteur |
Tableau 5. Tâche et scénario de communication SP2
Organisation |
Durée : 10 semaines
|
---|---|
Tâche |
1 tâche composée de 5 activités
|
Scénario de communication |
Format : modalité individuelle et collective
|
Tâche |
Scénario de communication |
|||||
Activités/durée |
Ressources |
Consignes |
Processus cognitifs |
Consignes |
Obligatoire |
recommandé |
0. partage des expériences
|
Feuille de route |
« nous vous proposons d’échanger sur le forum F0 premiers échanges » pour partager votre expérience [...] avec le multimédia» |
(tenir compte de la représentation/vécu de l’apprenant ?) |
|
Echanges et discussions avec les autres apprenants
|
|
1. acquisition de concepts
|
Feuille de route 1
|
nous vous invitons à observer les différents attributs du multimédia à travers un certain nombre de ressources numériques [..]. Essayez de repérer les parties/aspects de ces ressources qui [...] |
Compréhension et manipulation de concepts |
Vous échangerez vos remarques et vos commentaires sur le forum « F1 attributs du multimédia ». |
||
2. formation de binôme et choix de ressource
|
Feuille de route 2
|
L’objet de cette étape est de déterminer la ressource multimédia que vous analyserez et dont vous proposerez une exploitation pédagogique, |
Compréhension de cours |
« Il est nécessaire d’utiliser le forum de discussion « F2 choix de ressource » pour faire valider son choix par le tuteur et le communiquer au groupe. |
||
3. Analyse de ressource choisie - production intermédiaire en
binôme
|
Feuille de route 3
|
L’objet est d’effectuer l’analyse de la ressource choisie en exploitant les éléments théoriques et pratiques du cours. |
Manipulation des et restructuration des connaissances antérieures |
Il est recommandé d’échanger sur le forum « F3 critères d’analyse » à propos de votre choix de critères en fonction du type de produit analysé. |
Travail avec son binôme ?
|
Echanges et discussions avec les autres apprenants
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4. Exploitation de ressources choisie - production final en binôme
|
Feuille de route 4
|
vous proposerez une exploitation de la ressource que vous avez analysée au cours de l’étape précédente |
Argumentation |
Nous vous invitons à échanger sur le forum « F4 exploitation pédagogique » à propos de ces questions d’exploitation |
Tableau 7. Tâche et scénario de communication SP3
Yuchen Chen et Arnauld Séjourné, La place de l’« individu-apprenant » dans la conception des scénarios pédagogiques à distance , Revue STICEF, Volume 19, 2012, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 19/10/2012, http://sticef.org
© Revue Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation, 2012