Retour à l'accueil Sciences et Technologies
de l´Information et
de la Communication pour
l´Éducation et la Formation
 

Volume 20, 2013
Editorial

Numéro Spécial REIAH



Contact : infos@sticef.org

Recherches en EIAH, politiques publiques, pratiques des acteurs (et des chercheurs).

 

Editorial

 

Alain JAILLET (EMA, Cergy), Jacques WALLET (CIVIIC, Rouen)

En France depuis plus de 10 ans, la politique de l’état en matière de TICE favorise avant tout l’émergence de progiciels de gestion intégrée pour les établissements scolaires (ENT) tandis que les collectivités territoriales financent également des déploiements en masse d’équipements informatiques (portables, tablettes, tableaux interactifs, réseaux, serveurs de fichiers, etc...). Autour de ces dispositifs, des vulgates, des doxas et des paradigmes qui les accompagnent, existent de multiples tensions protéiformes assez peu décrites et pourtant bien présentes qui dépassent largement le cadre socio-technique prescrit.

Dans le même temps, la communauté des chercheurs à la jonction de la pédagogie, de la technologie, de la communication, a tenté de donner de plus en plus de visibilités aux connaissances produites par les recherches dans le domaine de ce qui recouvre les EIAH. Au-delà de la description du champ, dont on pouvait penser qu’il créerait des synergies entre les différents intérêts, on constate un très faible impact des résultats des recherches, riches en potentiels d’innovation à destination du système éducatif déployées à grande échelle.

Nous avons sollicité Georges Louis Baron pour une approche globale sur la thématique du présent numéro. Celui-ci n’avait pas connaissance des contributions retenues. Son texte s’inscrit dans une perspective historique et une dimension internationale francophone, afin de favoriser les comparaisons, d’évaluer les apports des communautés internationales de chercheurs et de relever les tendances au sein des industries de la connaissance et les évolutions possibles sur le long terme.

Les articles rassemblés dans ce numéro portent sur des thématiques variées avec des méthodologies différenciées liées aux cadres conceptuels qui les soutiennent. Les questions sont abordées à des niveaux divers (micro/meso/ systémique)...

Jimmy Bourque, Natasha Prévost et Mathieu Lang, du Nouveau Brunswick, nous proposent une réflexion sur le lien entre l’usage de la Toile et de forums virtuels sur le développement et l’expression de la pensée critique dans la forme scolaire. Si le discours ambiant, provenant de plusieurs essayistes postmodernes et des énoncés de projets éducatifs universitaires et scolaires, laisse entendre que la Toile devrait aiguillonner la manifestation de la pensée critique, les auteurs sont plus prudents et soulignent que les recherches empiriques menées à ce sujet présentent des résultats au mieux mitigés : pour eux globalement, il serait exagéré de prétendre à un effet facilitateur systématique du recours aux TIC sur l’éclosion de la pensée critique. L’espace « strié » scolaire (vous comprendrez l’usage de ce terme à la lecture de l’article) reste largement imperméable à la pensée critique fut-elle sous sa forme contemporaine numérisée.

Mehdi Khaneboubi s’interroge sur l’impact du déploiement d’ ordinateurs portables dans les collèges du département des Landes sur les résultats des élèves à l'examen du Brevet des collèges. Sa conclusion, certes avec beaucoup de précautions méthodologiques, tendrait à prouver que si impact il y a, il pourrait être négatif. Un paradoxe si l’on ne prend en compte que les discours officiels qui mettent en relation directe le don de machine et la lutte contre l’échec scolaire, mais qui souligne en creux la non adéquation entre le déploiement des TICE d'une part et d'autre part les curricula et leurs évaluations dans le système français.

Vincent Faillet, Pascal Marquet, Jean Luc Rinaudo à partir de l’observation concrète de l’usage de boitiers de vote dans un lycée français construisent une réflexion originale sur la fonction transitionnelle qu’aurait l’usage des boitiers lors des évaluations anonymes dans une classe L’ élève rendu actif, par la sollicitation du boitier mais rendu aussi invisible par l’anonymat de sa contribution, expérimente son moi au travers d’un plaisir de penser et d’une pulsion de savoir rassérénée, il peut alors inscrire son rapport au savoir dans une nouvelle dynamique. En quelque sorte : au-delà du gadget : une fonction pédagogique cachée qui pourrait être davantage exploitée si les boitiers connaissaient une plus large diffusion.

Viktor Freiman (Université de Moncton, Canada) et Dominic Manuel (Université McGill, Canada) examinent l’usage des communautés virtuelles d’apprentissage dans la perspective d’un changement du processus d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques. L’exemple choisi repose sur une analyse techno-pédagogique de la résolution de problèmes mathématiques dans un espace numérique où les élèves semblent enrichir leurs expériences de communication de raisonnement mathématique qui leur apportent des sentiments de relever le défi, d’autonomie, et de satisfaction personnelle tout en contribuant à de multiples occasions d’échange et de collaboration. Les auteurs soulignent cependant que mettre cet enthousiasme naturel au profit de l’amélioration des apprentissages mathématiques demeure toutefois une question ouverte.  

Pierre-François Coen, Jeanne Rey, Isabelle Monnard, et Laurent Jauquier, relatent leur inventaire des pratiques d’intégration des TIC dans le canton de Fribourg en Suisse, en alliant à la fois les aspects de fréquence et de caractérisation de ces pratiques au travers du « regard des élèves ». Si les auteurs soulignent que les TIC sont progressivement intégrées dans les classes du canton, ils montrent aussi que les usages réels ne s’inscrivent pas vraiment dans une perspective réellement innovante, sans transformation réelle dans le mode d’enseigner. Dans ce sens, ils évoquent des conséquences sur la motivation des élèves. En outre, l’efficacité des dispositifs de formation initiale et continue des enseignants est questionnée car pour les auteurs si l’innovation est bien en route, elle prendra encore beaucoup de temps à s’implanter.

En écho, Jacques Beziat et François Villemonteix relatent une recherche en cours, à base d’entretiens sur les usages et non usages du tableau numérique interactif (TNI) à l’école primaire en France et sur ses modes de scolarisation à la lumière d’un modèle d’analyse systémique en cours de constitution. Pour adapter le TNI à leurs pratiques de classe, les enseignants s’appuient sur ce qu’ils font déjà, en termes de modèles pédagogiques, de contenus, d’objectifs d’enseignement. Les demandes de formation au TNI, au-delà des démonstrations qui accompagnent généralement l’installation du dispositif dans la classe, vont vers le souhait d’un accompagnement au plus près des situations de classe, et d’un partage de pratiques entre collègues usagers. Les enseignants qui développent des pratiques nouvelles avec le TNI, sont inscrits dans un processus de genèse instrumentale qui les amènerait progressivement à reconsidérer certains aspects pédagogiques et didactiques de leur pratique de classe.

Aucune prétention d’exhaustivité dans le panel des articles retenus, mais on peut cependant relever des tendances fortes communes qui les fédèrent à partir des observations menées, sur le rapport entre déploiement technologique, pratiques pédagogiques, innovantes ou non, évaluations formatives ou sommatives. En filigrane c’est la justification de l’apport de la recherche en technologie éducative qui est démontrée.

Liées à la thématique du numéro d’autres approches étaient possibles, nous donnerons quelques exemples...

- L’émergence de nouvelles questions juridiques ou déontologiques liées aux pratiques, aux systèmes et aux prescriptions qui leurs sont liées.

- Les effets directs ou indirects dans l’éducation des évolutions des sciences informatiques appliquées à l’éducation et des impacts des recherches dans le domaine.

- La réactualisation du débat entre solutions propriétaires et solutions open source.

- La numérisation des ressources pédagogiques et les balbutiements des manuels numériques, les certifications « à l’informatique », les textes des programmes officiels.

- La compréhension des évolutions de la professionnalité enseignante, les nouvelles pratiques personnelles ou collaboratives, les postures des personnes ressources en TICE ou celles chargées de la supervision pédagogique, l’évolution des communautés disciplinaires ou des mouvements pédagogiques.

- La place des réseaux institutionnels, ou non, dans la formation « traditionnelle » en présence ou à distance, l’auto-formation et l’inter-formation initiale et continue des enseignants...

Dans cet éditorial, nous souhaitons, avec une dose assumée de provocation, poser la question du rapport des recherches en technologie éducative avec les institutions politiques et les institutions éducatives. Notre propos se situe dans le contexte scolaire français, il est important de le préciser.

Dans ce cadre, nos travaux antérieurs respectifs, indiqués en bibliographie, ont depuis longtemps souligné qu’une approche systémique permettait de contextualiser les résultats des recherches en technologie éducative, que les méthodologies soient quantitatives ou qualitatives et quel que soit le cadre de la recherche... centré sur la relation pédagogique, la démarche d’apprentissage, les ressources, la posture des acteurs ou les outils... audiovisuels autrefois, informatique hier, liés aux industries de la connaissance aujourd’hui...

"L'université de France, ouverte au progrès, accueillera les techniques nouvelles ; elle les adaptera à ses traditions, dans l'esprit de mesure et d'équilibre qui est le sien. En elle se fera la conciliation des méthodes d'hier et de celles de demain." Ainsi parlait le ministre de l'éducation André Marie en 1953. Il lançait le "Bulletin pédagogique mensuel de liaison et d'information pour l'utilisation scolaire des techniques audio-visuelles" (Marie, 1953). Avec cette épître dédicatoire, les chercheurs étaient convoqués, sommés de dire comment ces nouvelles technologies éduqueraient le genre humain...

On pourrait multiplier les exemples, ainsi une étude lexicométrique des discours ministériels prononcés lors des salons de l’éducation qui se tiennent chaque année à Paris, montrerait une continuité incantatoire remarquable au service d’un discours eschatologique sur l’école numérique de demain. Mais il faut aussi s’interroger pour tenter de comprendre pourquoi les responsables politiques font-ils en tout temps, une fixation sur le fait que les technologies du moment doivent obligatoirement révolutionner le paradigme éducatif ? Sans doute avant tout parce que ne pas impulser un élan de modernité, c’est prendre un risque de « ringardisation »...il faut en quelque sorte dans le contexte français, en invoquant un avenir technophile pour les classes, contrebalancer le mythe de l’âge d’or : le passé idéalisé de l’école, de son fonctionnement et de ses contenus d’autrefois.

On (le ministère) préférera ainsi, par souci de ne brusquer personne, breveter les compétences TICE des élèves et de leurs enseignant plutôt que d’intégrer des activités impliquant l’usage de ressources et d’outils numériques dans les curricula.

L’ensemble des signaux médiatiques concourent à l’accréditation des prophéties technologiques. Qui n’a pas entendu l’expert médiatiquement proclamé expliquer à la télévision, à la radio que les technologies sont l’occasion d’échanges sans précédent. Son enfant de 6 ans apprend à son enseignant comment utiliser l’ordinateur, qui en échange lui apprend à lire. On pouvait entendre le même genre de simplisme il y a 30 ans avec le magnétoscope manipulé par l’élève devant une figure d’enseignant possible incompétent en technologie. Notre communauté de chercheurs trop souvent regarde passer les vulgates simplistes, comme on voit passer les mouches. Se mettre à les pourchasser devient vite suspect, personne n’aime entendre que le roi est nu.

En France, le traumatisme de l’échec du plan informatique pour tous (il y près de trente ans déjà) a sans doute durablement marqué les esprits. On se méfie dorénavant des politiques centralisées en matière de TICE. On en fait, sans en faire, on impulse. On convoque un acteur (essentiel en pédagogie ?) la caisse des dépôts et consignations, comme pour les ENT. On signe des protocoles (MEN-CDC, 1997). Mais ce sont surtout les conséquences de la politique de décentralisation qui sont aujourd’hui palpables. Ce qui est lié aux équipements relève de la compétence des collectivités territoriales, les communes pour les écoles primaires, les départements pour les collèges, les régions pour les lycées, il y a profusion de ministres de l’éducation potentiels (les élus locaux) qui considèrent que les technologies peuvent ensemencer un monde nouveau.

Les technologies dans le système éducatif constituent une lessiveuse idéologique. Elles sont la modernité. Et rien n’est plus étonnant que de constater à quel point les responsables politiques qui se succèdent, quels que soient les courants, continuent avec constance les élans des précédents, sans regard critique, sans interrogation fondamentale. Ainsi, ce sont à peu près les mêmes techno-structures qui inventent les éléments de langage ministériels et qui conduisent par la suite à la dépense publique. Une fois que la parole est lancée, il faut bien l’incarner. Tout cela a un coût. Il y a 60 ans le ministre Marie, ce doit être le propre des ministres de l’éducation de vouloir faire date, en même temps qu’il impulsait sa politique en faveur de l’audio-visuel, lançait un label pour les films pédagogiques. Un demi-siècle après, en 1999, un autre ministre lançait la même idée avec les logiciels pédagogiques, (qui se souvient du nom du ministre ?) créant avec un goût prononcé pour l’humour décalé le label RIP, non pas comme Repose en Paix, mais « Reconnu d’Intérêt Pédagogique ». Seuls les logiciels portant le label pouvaient faire l’objet de subventions. Il est bien dommage de ne jamais pouvoir faire partager au plus grand nombre, les confidences de l’un ou l’autre éditeur qui raconte comment ce bon coup de pouce, attisait la course à la reconnaissance formelle et un lobbying auprès des prescripteurs ... C’était il y a 15 ans. Qui se soucie encore, à l’heure d’Internet, des logiciels RIP ? Il y a prescription. Il faut bien des guides pour dépenser l’argent. Ce critère là en valait bien un autre.

Sur le fond de ce genre d’initiative, pourquoi faut-il penser qu’un enseignant ne saura pas définir le potentiel d’une ressource pédagogique, qu’il faut lui mettre un autocollant sur la boîte pour qu’il se sente autorisé à l’utiliser. L’émancipation des enseignants, à l’heure des réseaux, des communautés disciplinaires vivantes sur la toile, de la mise en ligne exponentielle de ressources pédagogiques...constitue, s’il en était besoin, une réponse contemporaine.

Entre les politiques ministérielles qui s’évertuent à inventer de nouvelles idées médiatiques au service des communications politiques et les collectivités territoriales qui souhaitent pouvoir investir et montrer qu’elles investissent, les rectorats et les services associés jonglent entre les contraintes politiques de sorte que tout le monde s’y retrouve. On ne peut pas dire que l’Etat ne cherche pas à avoir un peu de regard sur l’efficience de cet empilement de politiques. Les inspecteurs généraux inspectent. Les rapports pleuvent sur le numérique et l’école. Nombre de ces rapports font des constats objectifs et intéressants, mais il faut chercher entre les lignes qui porte la responsabilité de tel aspect négatif (on pourrait citer des études sur les ENT ou les manuels numériques, par exemple) dans le déploiement ou dans les usages des technologies à l’école comme à l’université... Mais on ne peut s’aliéner ceux, surtout pas les collectivités territoriales, qui finalement ont les moyens matériels d’investir dans le système éducatif.

Des alliances de circonstances sont nouées, ainsi dans un projet où les collégiens étaient dotés d’ordinateurs portables, la montée « au créneau » conjointe des associations des parents d’élèves et des éditeurs aboutit à une décision étonnante. Les parents d’élèves s’inquiétaient du poids des cartables. Un ordinateur plus les livres, cela faisait beaucoup pour le dos. En conséquence, il fut décidé de doter les élèves de deux jeux de livres. L’un restait à l’école pendant que l’autre était à la maison. Quel joli tour. Le marché de l’édition scolaire (15% du total de l’édition) est en France un marché protégé. Expérimentons les manuels numériques certes, mais en plus des manuels imprimés. On peut penser dans ce domaine que l’expérimentation dite « manuel numérique » est un consensus de façade entre les acteurs de l’éducation. Si l’on utilise une métaphore ferroviaire, le manuel numérique était présenté il y a dix ans comme une locomotive (du changement pédagogique lié à l’usage des TICE), il n’est plus aujourd’hui qu’un simple wagon, les locomotives étant le tableau numérique interactif (TNI) d’une part et les ENT d’autre part. Ainsi l’expérimentation (qui concerne des classes ayant le plus souvent l’un et l’autre de ces dispositifs à leur disposition), si elle porte le nom de « manuel numérique », évalue en fait avant tout les usages des deux dispositifs.

Les usages généralisés des technologies pour des suivis personnalisés au service d’une pédagogie différenciée affirmés dans les discours des prescripteurs et souvent des chercheurs restent en pointillés... Où trouve-t-on les bibliothèques de ressources ? Les espaces d’échanges dynamiques ? Bien sûr, il y en a. C’est ce qui permet de produire des clips sur l’enchantement de l’école de demain. Mais, tout cela est marginal. Lors d’une recherche, nous avions capté l’intégralité du trafic internet qui sortait des collèges dont les élèves étaient dotés d’ordinateurs portables. Les résultats étaient édifiants. Passons les détails, pour ne garder que l’essentiel. En étudiant les logs des 100 premiers sites qui représentaient plus de 80% des flux de données étudiées, on mettait en évidence que seuls 2 % des sites pouvaient laisser supposer qu’il y avait potentiellement un usage pédagogique. Nous avons réitéré l’étude à l’université quelques années après et c’était la même chose. Les observations de classes ne laissaient de toute façon pas beaucoup de doutes.

Les apprenants regardaient l’écran et laissait parler le prof. Il y eut bien sûr réaction devant tant d’irrespect de la parole professorale. On interdit l’utilisation du portable en classe, on fit signer une charte, on coupa l’accès à Internet et bien d’autres démarches encore. Bizarrement, personne ne s’interrogea vraiment sur le paradoxe de faire rentrer des concentrés d’intelligence humaine dans des classes qui concurrençaient de fait la fonction traditionnelle de l’enseignant.

Organiser des missions d’observation de l’école finlandaise, s’interroger sur la classe inversée (Flip education), c’est bien, mais on ne s’interroge toujours pas sur les paradoxes que l’on active.

Cela pose la question du statut des recherches, particulièrement celles sur les usages des technologies. Il est très difficile, voire impossible de réaliser des recherches indépendantes sur des questions où l’on observe les déploiements à grande échelle. Les collectivités territoriales comme le ministère de l’éducation lâchent parfois aussi quelques subsides... Mais les spécialistes des technologies que nous sommes, sont souvent en difficulté pour adopter une posture trop critique, au risque de scier la branche qui nous soutient, surtout que les prescripteurs/bailleurs tiennent un discours technophile voire technolâtre... Dès lors, il faut tricoter les nuances et inventer des concepts, il faut produire des recherches sur des points de détail ou bien en surplomb, et surtout éviter de mettre en évidence ce qui ne va pas sur le plan structurel parce que personne ne veut l’entendre.

Les modes technologiques se succèdent. Aux ordinateurs portables ont succédé les environnements numériques de travail. Heureusement voilà les tableaux interactifs. Grande nouveauté au service de la magistralité. Après tout pourquoi pas, l’enseignant doit assumer son côté théâtral. Pourquoi seul Braunschweig aurait-il le droit de mettre des écrans sur scène ?

A défaut de bouleversements épistémologiques qui peuvent cependant exister, on peut gagner en intérêt médiologique. Trop tard, les tablettes arrivent, elles re-bousculent les codes. Demain arriveront comme sauveurs suprêmes : les puces NFC, les tables numériques, l’immersion 3D.

Le système éducatif fonctionne mal pour une partie du public, alors comment le rustine-t-on ? Historiquement les technologies fondent là leur belvédère axiologique. Quelles recherches va-t-on bien pouvoir déployer sur ces créneaux. C’est bien notre problème collectif. Il nous faut de la matière, des objets. Il y en a trop. Ils bougent vite. Ce que l’on en dit tombe dans un oubli assourdissant. Qu’importe, nous ne sommes pas tenus à la thésaurisation de nos résultats. Nous accumulons, nous n’articulons que mollement.

Bien sûr, on évitera d’évoquer les MOOCs, niveau supérieur de la pédagogie en réseau et du retour vers le futur du professeur tronc, face caméra. Même si l’autre nouvel horizon est vraisemblablement celui des ressources. Encore et toujours. Quelles que soient les formes des instruments technologiques, la matière, celle qui est véhiculée par les outils n’a de sens que dans un contexte de production, diffusion d’un contenu qui aura un statut pédagogique. Là encore, les conseillers ministériels ne s’y sont pas trompés.

Voilà, en 2014, que le ministère annonce une réforme de l’offre étatique de documentation pédagogique cristallisé par son identification, Canopé : « Le nom du réseau change. Ce nouveau nom crée une identité unique, faisant disparaître l'ensemble des acronymes existants – un nom évoquant un écosystème riche basé sur la diversité et l'adaptabilité, un lieu foisonnant et stimulant d'expérimentation et d'échanges. Un nom qui inspire la vitalité, la spontanéité, la complémentarité. ». Mais, là encore, on ne peut que savourer l’humour teinté de mépris des hautes sphères. Rajoutons une lettre : la canopée, c’est ce qui culmine au dessus de la forêt équatoriale. C’est ce qui est en l’air, suspendu, qui ne tient que parce que des organismes parasites viennent se greffer sur l’écosystème de base. En dessous, c’est la jungle, à la fois les soutiers invisibles et les bêtes sauvages. C’est la pénombre et parfois l’obscurité. Bien sûr, la canopée est hermétique avec le monde du dessous. Quelle belle métaphore du système éducatif... Là haut, éclairée par la splendeur du soleil politique, ondulant au gré du vent des modes qu'imposent les nouveautés technologiques, toujours en surplomb du commun des besogneux du système, comme une inaccessible étoile, voilà la canopée.

En 1966 Tardy (Tardy, 1966) se demandait où étaient les innovateurs. En 1981 reprenant Tardy, Jacquinot (Jacquinot, 1981) leur lançait également une adresse, mais où sont les innovateurs ?

Notre principal problème réside dans l’absence d’une métrique commune, d’une définition acceptée des champs d’intérêts par la communauté de la recherche. Il ne s’agit pas d’imposer un conseil de l’ordre, ni de mettre sous tutelle ou sous contrainte les recherches du secteur. L’intérêt commun serait de positionner ce que l’on fait dans un champ si vaste qu’il y perd toute crédibilité. Comment s’entendre sur un balisage des champs de recherche, qui transformerait de proche en proche les résultats en connaissances ?

BIBLIOGRAPHIE

JACQUINOT G. (1981) On demande toujours des inventeurs, Communications N°33.

JAILLET A. (à paraître, 2014) Comportements de consultation d’un site d’apprentissage « Université En Ligne », Revue iInternationale des technologies en pédagogie universitaire.

JAILLET A. (2004). L’école à l’ère numérique, Paris : L’Harmattan

MARIE A. (1953). Message du Président André Marie Ministre de l'Education Nationale, in Bulletin pédagogique mensuel de liaison et d'information pour l'utilisation scolaire des techniques audio-visuelles, N°1, CNDP, Paris, 1953

Convention MEN – CDC Disponible sur internet :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/01_Janvier/97/7/Convention_MEN_CDC_238977.pdf

TARDY M. (1966) Le professeur et les images, PUF.

Quelques références bibliographiques des auteurs autour du thème...

JAILLET A. (2004) L’école à l’ère numérique, Paris, L’Harmattan.
JAILLET A. (2005) Manuels scolaires et films pédagogiques : sémiotique des médias éducatif. Paris, L’Harmattan.
JAILLET A., WALLET J. (2012). 2 chapitres in : La recherche en technologie éducative : un guide pour découvrir un domaine en émergence. dir DEPOVER C., Éditions des archives contemporaines - Paris
WALLET J. (1997). De quelques invariants sur la place des images animées, in : Les nouvelles technologies, permanence ou changement ? Recherches et formation N°26. Paris, INRP
WALLET J. (2010). Technologie de l’éducation et gouvernance des systèmes éducatifs, in Apprendre avec les technologies, dir B Charlier, F Henri, Paris, PUF.
WALLET J., DAGUET H. (2012). Du bon usage du non usage des technologies, Recherches et éducation, N°6, Nancy

 
Référence de l'article :
Alain JAILLET, Jacques WALLET, Editorial du Numéro Spécial "Recherches en EIAH, politiques publiques, pratiques des acteurs (et des chercheurs)", Revue STICEF, Volume 20, 2013, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 02/09/2014, http://sticef.org
[Retour en haut de cette page] Haut de la page
Mise à jour du 5/09/14