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Recherches en EIAH, politiques publiques, pratiques des
acteurs (et des chercheurs).
Editorial
Alain JAILLET (EMA, Cergy), Jacques WALLET (CIVIIC, Rouen)
En France depuis plus de 10 ans, la politique de
l’état en matière de TICE favorise avant tout
l’émergence de progiciels de gestion intégrée pour
les établissements scolaires (ENT) tandis que les collectivités
territoriales financent également des déploiements en masse
d’équipements informatiques (portables, tablettes, tableaux
interactifs, réseaux, serveurs de fichiers, etc...). Autour de ces
dispositifs, des vulgates, des doxas et des paradigmes qui les accompagnent,
existent de multiples tensions protéiformes assez peu décrites et
pourtant bien présentes qui dépassent largement le cadre
socio-technique prescrit.
Dans le même temps, la communauté des chercheurs à la
jonction de la pédagogie, de la technologie, de la communication, a
tenté de donner de plus en plus de visibilités aux connaissances
produites par les recherches dans le domaine de ce qui recouvre les EIAH.
Au-delà de la description du champ, dont on pouvait penser qu’il
créerait des synergies entre les différents intérêts,
on constate un très faible impact des résultats des recherches,
riches en potentiels d’innovation à destination du système
éducatif déployées à grande échelle.
Nous avons sollicité Georges Louis Baron pour une approche globale sur
la thématique du présent numéro. Celui-ci n’avait pas
connaissance des contributions retenues. Son texte s’inscrit dans une
perspective historique et une dimension internationale francophone, afin de
favoriser les comparaisons, d’évaluer les apports des
communautés internationales de chercheurs et de relever les tendances au
sein des industries de la connaissance et les évolutions possibles sur le
long terme.
Les articles rassemblés dans ce numéro portent sur des
thématiques variées avec des méthodologies
différenciées liées aux cadres conceptuels qui les
soutiennent. Les questions sont abordées à des niveaux divers
(micro/meso/ systémique)...
Jimmy Bourque, Natasha Prévost et Mathieu Lang, du Nouveau Brunswick,
nous proposent une réflexion sur le lien entre l’usage de la Toile
et de forums virtuels sur le développement et l’expression de la
pensée critique dans la forme scolaire. Si le discours ambiant, provenant
de plusieurs essayistes postmodernes et des énoncés de projets
éducatifs universitaires et scolaires, laisse entendre que la Toile
devrait aiguillonner la manifestation de la pensée critique, les auteurs
sont plus prudents et soulignent que les recherches empiriques menées
à ce sujet présentent des résultats au mieux
mitigés : pour eux globalement, il serait exagéré de
prétendre à un effet facilitateur systématique du recours
aux TIC sur l’éclosion de la pensée critique. L’espace
« strié » scolaire (vous comprendrez l’usage de
ce terme à la lecture de l’article) reste largement
imperméable à la pensée critique fut-elle sous sa forme
contemporaine numérisée.
Mehdi Khaneboubi s’interroge sur l’impact du déploiement
d’ ordinateurs portables dans les collèges du département
des Landes sur les résultats des élèves à l'examen
du Brevet des collèges. Sa conclusion, certes avec beaucoup de
précautions méthodologiques, tendrait à prouver que si
impact il y a, il pourrait être négatif. Un paradoxe si l’on
ne prend en compte que les discours officiels qui mettent en relation directe le
don de machine et la lutte contre l’échec scolaire, mais qui
souligne en creux la non adéquation entre le déploiement des TICE
d'une part et d'autre part les curricula et leurs évaluations dans le
système français.
Vincent Faillet, Pascal Marquet, Jean Luc Rinaudo à partir de
l’observation concrète de l’usage de boitiers de vote dans un
lycée français construisent une réflexion originale sur la
fonction transitionnelle qu’aurait l’usage des boitiers lors des
évaluations anonymes dans une classe L’ élève rendu
actif, par la sollicitation du boitier mais rendu aussi invisible par
l’anonymat de sa contribution, expérimente son moi au travers
d’un plaisir de penser et d’une pulsion de savoir
rassérénée, il peut alors inscrire son rapport au savoir
dans une nouvelle dynamique. En quelque sorte : au-delà du
gadget : une fonction pédagogique cachée qui pourrait
être davantage exploitée si les boitiers connaissaient une plus
large diffusion.
Viktor Freiman (Université de Moncton, Canada) et Dominic Manuel (Université McGill, Canada) examinent l’usage des
communautés virtuelles d’apprentissage dans la perspective
d’un changement du processus d’enseignement et d’apprentissage
des mathématiques. L’exemple choisi repose sur une analyse
techno-pédagogique de la résolution de problèmes
mathématiques dans un espace numérique où les
élèves semblent enrichir leurs expériences de communication
de raisonnement mathématique qui leur apportent des sentiments de relever
le défi, d’autonomie, et de satisfaction personnelle tout en
contribuant à de multiples occasions d’échange et de
collaboration. Les auteurs soulignent cependant que mettre cet enthousiasme
naturel au profit de l’amélioration des apprentissages
mathématiques demeure toutefois une question ouverte.
Pierre-François Coen, Jeanne Rey, Isabelle Monnard, et Laurent
Jauquier, relatent leur inventaire des pratiques d’intégration des
TIC dans le canton de Fribourg en Suisse, en alliant à la fois les
aspects de fréquence et de caractérisation de ces pratiques au
travers du « regard des élèves ». Si les auteurs
soulignent que les TIC sont progressivement intégrées dans les
classes du canton, ils montrent aussi que les usages réels ne
s’inscrivent pas vraiment dans une perspective réellement
innovante, sans transformation réelle dans le mode d’enseigner.
Dans ce sens, ils évoquent des conséquences sur la motivation des
élèves. En outre, l’efficacité des dispositifs de
formation initiale et continue des enseignants est questionnée car pour
les auteurs si l’innovation est bien en route, elle prendra encore
beaucoup de temps à s’implanter.
En écho, Jacques Beziat et François Villemonteix relatent une
recherche en cours, à base d’entretiens sur les usages et non
usages du tableau numérique interactif (TNI) à
l’école primaire en France et sur ses modes de scolarisation
à la lumière d’un modèle d’analyse
systémique en cours de constitution. Pour adapter le TNI à leurs
pratiques de classe, les enseignants s’appuient sur ce qu’ils font
déjà, en termes de modèles pédagogiques, de
contenus, d’objectifs d’enseignement. Les demandes de formation au
TNI, au-delà des démonstrations qui accompagnent
généralement l’installation du dispositif dans la classe,
vont vers le souhait d’un accompagnement au plus près des
situations de classe, et d’un partage de pratiques entre collègues
usagers. Les enseignants qui développent des pratiques nouvelles avec le
TNI, sont inscrits dans un processus de genèse instrumentale qui les
amènerait progressivement à reconsidérer certains aspects
pédagogiques et didactiques de leur pratique de classe.
Aucune prétention d’exhaustivité dans le panel des
articles retenus, mais on peut cependant relever des tendances fortes communes
qui les fédèrent à partir des observations menées,
sur le rapport entre déploiement technologique, pratiques
pédagogiques, innovantes ou non, évaluations formatives ou
sommatives. En filigrane c’est la justification de l’apport de la
recherche en technologie éducative qui est démontrée.
Liées à la thématique du numéro d’autres
approches étaient possibles, nous donnerons quelques exemples...
- L’émergence de nouvelles questions juridiques ou
déontologiques liées aux pratiques, aux systèmes et aux
prescriptions qui leurs sont liées.
- Les effets directs ou indirects dans l’éducation des
évolutions des sciences informatiques appliquées à
l’éducation et des impacts des recherches dans le domaine.
- La réactualisation du débat entre solutions
propriétaires et solutions open source.
- La numérisation des ressources pédagogiques et les
balbutiements des manuels numériques, les certifications
« à l’informatique », les textes des programmes
officiels.
- La compréhension des évolutions de la
professionnalité enseignante, les nouvelles pratiques personnelles ou
collaboratives, les postures des personnes ressources en TICE ou celles
chargées de la supervision pédagogique, l’évolution
des communautés disciplinaires ou des mouvements pédagogiques.
- La place des réseaux institutionnels, ou non, dans la
formation « traditionnelle » en présence ou à
distance, l’auto-formation et l’inter-formation initiale et continue
des enseignants...
Dans cet éditorial, nous souhaitons, avec une dose assumée
de provocation, poser la question du rapport des recherches en technologie
éducative avec les institutions politiques et les institutions
éducatives. Notre propos se situe dans le contexte scolaire
français, il est important de le préciser.
Dans ce cadre, nos travaux antérieurs respectifs, indiqués en
bibliographie, ont depuis longtemps souligné qu’une approche
systémique permettait de contextualiser les résultats des
recherches en technologie éducative, que les méthodologies soient
quantitatives ou qualitatives et quel que soit le cadre de la recherche...
centré sur la relation pédagogique, la démarche
d’apprentissage, les ressources, la posture des acteurs ou les outils...
audiovisuels autrefois, informatique hier, liés aux industries de la
connaissance aujourd’hui...
"L'université de France, ouverte au progrès, accueillera les
techniques nouvelles ; elle les adaptera à ses traditions, dans l'esprit
de mesure et d'équilibre qui est le sien. En elle se fera la conciliation
des méthodes d'hier et de celles de demain." Ainsi parlait le
ministre de l'éducation André Marie en 1953. Il lançait le
"Bulletin pédagogique mensuel de liaison et d'information pour
l'utilisation scolaire des techniques audio-visuelles" (Marie, 1953).
Avec cette épître dédicatoire, les chercheurs étaient
convoqués, sommés de dire comment ces nouvelles technologies
éduqueraient le genre humain...
On pourrait multiplier les exemples, ainsi une étude
lexicométrique des discours ministériels prononcés lors des
salons de l’éducation qui se tiennent chaque année à
Paris, montrerait une continuité incantatoire remarquable au service
d’un discours eschatologique sur l’école numérique de
demain. Mais il faut aussi s’interroger pour tenter de comprendre pourquoi
les responsables politiques font-ils en tout temps, une fixation sur le fait que
les technologies du moment doivent obligatoirement révolutionner le
paradigme éducatif ? Sans doute avant tout parce que ne pas impulser
un élan de modernité, c’est prendre un risque de
« ringardisation »...il faut en quelque sorte dans le
contexte français, en invoquant un avenir technophile pour les classes,
contrebalancer le mythe de l’âge d’or : le passé
idéalisé de l’école, de son fonctionnement et de ses
contenus d’autrefois.
On (le ministère) préférera ainsi, par souci de ne
brusquer personne, breveter les compétences TICE des élèves
et de leurs enseignant plutôt que d’intégrer des
activités impliquant l’usage de ressources et d’outils
numériques dans les curricula.
L’ensemble des signaux médiatiques concourent à
l’accréditation des prophéties technologiques. Qui n’a
pas entendu l’expert médiatiquement proclamé expliquer
à la télévision, à la radio que les technologies
sont l’occasion d’échanges sans précédent. Son
enfant de 6 ans apprend à son enseignant comment utiliser
l’ordinateur, qui en échange lui apprend à lire. On pouvait
entendre le même genre de simplisme il y a 30 ans avec le
magnétoscope manipulé par l’élève devant une
figure d’enseignant possible incompétent en technologie. Notre
communauté de chercheurs trop souvent regarde passer les vulgates
simplistes, comme on voit passer les mouches. Se mettre à les pourchasser
devient vite suspect, personne n’aime entendre que le roi est nu.
En France, le traumatisme de l’échec du plan informatique
pour tous (il y près de trente ans déjà) a sans doute
durablement marqué les esprits. On se méfie dorénavant des
politiques centralisées en matière de TICE. On en fait, sans en
faire, on impulse. On convoque un acteur (essentiel en pédagogie ?)
la caisse des dépôts et consignations, comme pour les ENT. On signe
des protocoles (MEN-CDC, 1997).
Mais ce sont surtout les conséquences de la politique de
décentralisation qui sont aujourd’hui palpables. Ce qui est
lié aux équipements relève de la compétence des
collectivités territoriales, les communes pour les écoles
primaires, les départements pour les collèges, les régions
pour les lycées, il y a profusion de ministres de
l’éducation potentiels (les élus locaux) qui
considèrent que les technologies peuvent ensemencer un monde nouveau.
Les technologies dans le système éducatif constituent une
lessiveuse idéologique. Elles sont la modernité. Et rien
n’est plus étonnant que de constater à quel point les
responsables politiques qui se succèdent, quels que soient les courants,
continuent avec constance les élans des précédents, sans
regard critique, sans interrogation fondamentale. Ainsi, ce sont à peu
près les mêmes techno-structures qui inventent les
éléments de langage ministériels et qui conduisent par la
suite à la dépense publique. Une fois que la parole est
lancée, il faut bien l’incarner. Tout cela a un coût. Il y a
60 ans le ministre Marie, ce doit être le propre des ministres de
l’éducation de vouloir faire date, en même temps qu’il
impulsait sa politique en faveur de l’audio-visuel, lançait un
label pour les films pédagogiques. Un demi-siècle après, en
1999, un autre ministre lançait la même idée avec les
logiciels pédagogiques, (qui se souvient du nom du ministre ?)
créant avec un goût prononcé pour l’humour
décalé le label RIP, non pas comme Repose en Paix, mais
« Reconnu d’Intérêt Pédagogique ».
Seuls les logiciels portant le label pouvaient faire l’objet de
subventions. Il est bien dommage de ne jamais pouvoir faire partager au plus
grand nombre, les confidences de l’un ou l’autre éditeur qui
raconte comment ce bon coup de pouce, attisait la course à la
reconnaissance formelle et un lobbying auprès des prescripteurs ...
C’était il y a 15 ans. Qui se soucie encore, à l’heure
d’Internet, des logiciels RIP ? Il y a prescription. Il faut bien des
guides pour dépenser l’argent. Ce critère là en
valait bien un autre.
Sur le fond de ce genre d’initiative, pourquoi faut-il penser
qu’un enseignant ne saura pas définir le potentiel d’une
ressource pédagogique, qu’il faut lui mettre un autocollant sur la
boîte pour qu’il se sente autorisé à l’utiliser.
L’émancipation des enseignants, à l’heure des
réseaux, des communautés disciplinaires vivantes sur la toile, de
la mise en ligne exponentielle de ressources pédagogiques...constitue,
s’il en était besoin, une réponse contemporaine.
Entre les politiques ministérielles qui s’évertuent
à inventer de nouvelles idées médiatiques au service des
communications politiques et les collectivités territoriales qui
souhaitent pouvoir investir et montrer qu’elles investissent, les
rectorats et les services associés jonglent entre les contraintes
politiques de sorte que tout le monde s’y retrouve. On ne peut pas dire
que l’Etat ne cherche pas à avoir un peu de regard sur
l’efficience de cet empilement de politiques. Les inspecteurs
généraux inspectent. Les rapports pleuvent sur le numérique
et l’école. Nombre de ces rapports font des constats objectifs et
intéressants, mais il faut chercher entre les lignes qui porte la
responsabilité de tel aspect négatif (on pourrait citer des
études sur les ENT ou les manuels numériques, par exemple) dans le
déploiement ou dans les usages des technologies à
l’école comme à l’université... Mais on ne peut
s’aliéner ceux, surtout pas les collectivités territoriales,
qui finalement ont les moyens matériels d’investir dans le
système éducatif.
Des alliances de circonstances sont nouées, ainsi dans un projet
où les collégiens étaient dotés d’ordinateurs
portables, la montée « au créneau » conjointe
des associations des parents d’élèves et des éditeurs
aboutit à une décision étonnante. Les parents
d’élèves s’inquiétaient du poids des cartables.
Un ordinateur plus les livres, cela faisait beaucoup pour le dos. En
conséquence, il fut décidé de doter les
élèves de deux jeux de livres. L’un restait à
l’école pendant que l’autre était à la maison.
Quel joli tour. Le marché de l’édition scolaire (15% du
total de l’édition) est en France un marché
protégé. Expérimentons les manuels numériques
certes, mais en plus des manuels imprimés. On peut penser dans ce
domaine que l’expérimentation dite « manuel
numérique » est un consensus de façade entre les acteurs
de l’éducation. Si l’on utilise une métaphore
ferroviaire, le manuel numérique était présenté il y
a dix ans comme une locomotive (du changement pédagogique lié
à l’usage des TICE), il n’est plus aujourd’hui
qu’un simple wagon, les locomotives étant le tableau
numérique interactif (TNI) d’une part et les ENT d’autre
part. Ainsi l’expérimentation (qui concerne des classes ayant le
plus souvent l’un et l’autre de ces dispositifs à leur
disposition), si elle porte le nom de « manuel
numérique », évalue en fait avant tout les usages des
deux dispositifs.
Les usages généralisés des technologies pour des suivis
personnalisés au service d’une pédagogie
différenciée affirmés dans les discours des
prescripteurs et souvent des chercheurs restent en pointillés...
Où trouve-t-on les bibliothèques de ressources ? Les espaces
d’échanges dynamiques ? Bien sûr, il y en a. C’est
ce qui permet de produire des clips sur l’enchantement de
l’école de demain. Mais, tout cela est marginal. Lors d’une
recherche, nous avions capté l’intégralité du trafic
internet qui sortait des collèges dont les élèves
étaient dotés d’ordinateurs portables. Les résultats
étaient édifiants. Passons les détails, pour ne garder que
l’essentiel. En étudiant les logs des 100 premiers sites qui
représentaient plus de 80% des flux de données
étudiées, on mettait en évidence que seuls 2 % des sites
pouvaient laisser supposer qu’il y avait potentiellement un usage
pédagogique. Nous avons réitéré l’étude
à l’université quelques années après et
c’était la même chose. Les observations de classes ne
laissaient de toute façon pas beaucoup de doutes.
Les apprenants regardaient l’écran et laissait parler le prof.
Il y eut bien sûr réaction devant tant d’irrespect de la
parole professorale. On interdit l’utilisation du portable en classe, on
fit signer une charte, on coupa l’accès à Internet et bien
d’autres démarches encore. Bizarrement, personne ne
s’interrogea vraiment sur le paradoxe de faire rentrer des
concentrés d’intelligence humaine dans des classes qui
concurrençaient de fait la fonction traditionnelle de l’enseignant.
Organiser des missions d’observation de l’école
finlandaise, s’interroger sur la classe inversée (Flip
education), c’est bien, mais on ne s’interroge toujours pas sur
les paradoxes que l’on active.
Cela pose la question du statut des recherches, particulièrement
celles sur les usages des technologies. Il est très difficile, voire
impossible de réaliser des recherches indépendantes sur des
questions où l’on observe les déploiements à grande
échelle. Les collectivités territoriales comme le ministère
de l’éducation lâchent parfois aussi quelques subsides...
Mais les spécialistes des technologies que nous sommes, sont souvent en
difficulté pour adopter une posture trop critique, au risque de scier la
branche qui nous soutient, surtout que les prescripteurs/bailleurs tiennent un
discours technophile voire technolâtre... Dès lors, il faut
tricoter les nuances et inventer des concepts, il faut produire des recherches
sur des points de détail ou bien en surplomb, et surtout éviter de
mettre en évidence ce qui ne va pas sur le plan structurel parce que
personne ne veut l’entendre.
Les modes technologiques se succèdent. Aux ordinateurs portables ont
succédé les environnements numériques de travail.
Heureusement voilà les tableaux interactifs. Grande nouveauté au
service de la magistralité. Après tout pourquoi pas,
l’enseignant doit assumer son côté théâtral.
Pourquoi seul Braunschweig aurait-il le droit de mettre des écrans sur
scène ?
A défaut de bouleversements épistémologiques qui peuvent
cependant exister, on peut gagner en intérêt médiologique.
Trop tard, les tablettes arrivent, elles re-bousculent les codes. Demain
arriveront comme sauveurs suprêmes : les puces NFC, les tables
numériques, l’immersion 3D.
Le système éducatif fonctionne mal pour une partie du public,
alors comment le rustine-t-on ? Historiquement les technologies fondent
là leur belvédère axiologique. Quelles recherches va-t-on
bien pouvoir déployer sur ces créneaux. C’est bien notre
problème collectif. Il nous faut de la matière, des objets. Il y
en a trop. Ils bougent vite. Ce que l’on en dit tombe dans un oubli
assourdissant. Qu’importe, nous ne sommes pas tenus à la
thésaurisation de nos résultats. Nous accumulons, nous
n’articulons que mollement.
Bien sûr, on évitera d’évoquer les MOOCs, niveau
supérieur de la pédagogie en réseau et du retour vers le
futur du professeur tronc, face caméra. Même si l’autre
nouvel horizon est vraisemblablement celui des ressources. Encore et toujours.
Quelles que soient les formes des instruments technologiques, la matière,
celle qui est véhiculée par les outils n’a de sens que dans
un contexte de production, diffusion d’un contenu qui aura un statut
pédagogique. Là encore, les conseillers ministériels ne
s’y sont pas trompés.
Voilà, en 2014, que le ministère annonce une réforme de
l’offre étatique de documentation pédagogique
cristallisé par son identification, Canopé : « Le nom
du réseau change. Ce nouveau nom crée une identité unique,
faisant disparaître l'ensemble des acronymes existants – un nom
évoquant un écosystème riche basé sur la
diversité et l'adaptabilité, un lieu foisonnant et stimulant
d'expérimentation et d'échanges. Un nom qui inspire la
vitalité, la spontanéité, la
complémentarité. ». Mais, là encore, on ne
peut que savourer l’humour teinté de mépris des hautes
sphères. Rajoutons une lettre : la canopée,
c’est ce qui culmine au dessus de la forêt équatoriale.
C’est ce qui est en l’air, suspendu, qui ne tient que parce que des
organismes parasites viennent se greffer sur l’écosystème de
base. En dessous, c’est la jungle, à la fois les soutiers
invisibles et les bêtes sauvages. C’est la pénombre et
parfois l’obscurité. Bien sûr, la canopée est
hermétique avec le monde du dessous. Quelle belle métaphore du
système éducatif... Là haut, éclairée par la
splendeur du soleil politique, ondulant au gré du vent des modes
qu'imposent les nouveautés technologiques, toujours en surplomb du commun
des besogneux du système, comme une inaccessible étoile,
voilà la canopée.
En 1966 Tardy (Tardy, 1966) se
demandait où étaient les innovateurs. En 1981 reprenant Tardy,
Jacquinot (Jacquinot, 1981) leur lançait également une adresse, mais où sont les
innovateurs ?
Notre principal problème réside dans l’absence
d’une métrique commune, d’une définition
acceptée des champs d’intérêts par la
communauté de la recherche. Il ne s’agit pas d’imposer un
conseil de l’ordre, ni de mettre sous tutelle ou sous contrainte les
recherches du secteur. L’intérêt commun serait de positionner
ce que l’on fait dans un champ si vaste qu’il y perd toute
crédibilité. Comment s’entendre sur un balisage des champs
de recherche, qui transformerait de proche en proche les résultats en
connaissances ?
BIBLIOGRAPHIE
JACQUINOT G. (1981) On demande
toujours des inventeurs, Communications N°33.
JAILLET A. (à paraître, 2014) Comportements de consultation d’un site d’apprentissage
« Université En Ligne », Revue iInternationale des
technologies en pédagogie universitaire.
JAILLET A. (2004). L’école à
l’ère numérique, Paris : L’Harmattan
MARIE A. (1953). Message du Président André
Marie Ministre de l'Education Nationale, in Bulletin pédagogique
mensuel de liaison et d'information pour l'utilisation scolaire des techniques
audio-visuelles, N°1, CNDP, Paris, 1953
Convention MEN – CDC Disponible sur internet :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/01_Janvier/97/7/Convention_MEN_CDC_238977.pdf
TARDY M. (1966) Le professeur et les images,
PUF.
Quelques références bibliographiques des auteurs autour du
thème...
JAILLET A. (2004) L’école à l’ère numérique, Paris,
L’Harmattan.
JAILLET A. (2005) Manuels scolaires et films pédagogiques :
sémiotique des médias éducatif. Paris,
L’Harmattan.
JAILLET A., WALLET J. (2012). 2 chapitres in : La recherche en
technologie éducative : un guide pour découvrir un domaine en
émergence. dir DEPOVER C., Éditions des archives
contemporaines - Paris
WALLET J. (1997). De quelques invariants sur la place des images
animées, in : Les nouvelles technologies, permanence ou
changement ? Recherches et formation N°26. Paris, INRP
WALLET J. (2010). Technologie de l’éducation et gouvernance des
systèmes éducatifs, in Apprendre avec les technologies, dir
B Charlier, F Henri, Paris, PUF.
WALLET J., DAGUET H. (2012). Du bon usage du non usage des
technologies, Recherches et éducation, N°6, Nancy |