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Le TNI à l’école primaire : entre
contraintes et engagement
François VILLEMONTEIX (EMA, Cergy-Pontoise), Jacques BÉZIAT (FRED,
Limoges)
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RÉSUMÉ : Cet
article marque une étape d’une recherche sur les usages et
non-usages du tableau numérique interactif (TNI) par l’enseignant
à l’école primaire et sur ses modes de scolarisation. A
partir d’entretiens menés avec des enseignants déclarant une
pratique routinière, nous inventorions et analysons les adaptations et
les ajustements qu’ils réalisent afin de s’approprier ce
dispositif technique, à la lumière d’un modèle
d’analyse systémique en construction. Ces enseignants font face
à des aléas et à un ensemble de contraintes qu’ils
adaptent ou auxquels ils s’adaptent.
MOTS CLÉS : TNI,
tableau numérique, TICE, informatique, école primaire, pratiques
d’enseignement, contraintes. |
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ABSTRACT : This
article is a step in a research on the use and non-use of interactive whiteboard
(IWB) in primary school and its inclusion in the primary school. From interviews
with teachers reporting a routine practice, we record and analyze adaptations
and adjustments they make to use this technical device. We build on a system
analysis model being created. These teachers face troubles and a set of
constraints to which they adjust or adapt.
KEYWORDS : IWB,
interactive whiteboard, computer science, primary school, teaching practices,
constraints. |
1. Introduction
Parmi les dispositifs
numériques disponibles pour la classe, le TNI a un statut
particulier : proche du tableau classique par sa forme et la position
qu’il occupe dans la classe, il permet aux enseignants de mobiliser
rapidement un savoir-faire déjà en place pour son accueil et sa
mise en œuvre. Plus que tout autre dispositif numérique, les
enseignants possèdent un cadre d’accueil en classe du TNI, à
la fois pratique et idéologique.
Sur ce point, se joue peut-être un paradoxe : jusqu’à
quel point ces schèmes d’usages déjà rodés
retiennent-ils l’innovation potentielle permise par le TNI ?
Autrement dit, doit-on penser que les plans d’équipement en TNI,
dont l’objectif annoncé - du moins dans certains discours marketing
- est de porter l’innovation pédagogique par le numérique au
sein de la classe, sont susceptibles de renforcer des formes magistrales et
classiques d’enseignement ?
Les entretiens que nous menons depuis 2012 avec des enseignants
bénéficiant de cet équipement suggèrent une
réalité plus nuancée : au-delà des variations
instrumentales liées au remplacement du tableau noir ou blanc par un TNI,
l’évolution de leurs pratiques professionnelles
d’enseignement dépend de représentations qu’ils se
font de l’éducation scolaire et joue sur leurs modes
d’appropriation du TNI. Les analyses des entretiens laissent
apparaître des tendances dans les habitudes de travail, la
préparation de leurs ressources, la gestion de leur environnement de
travail. Les enseignants n’en sont plus à une phase de
découverte, ils ont adopté le TNI, adapté leur
activité d’enseignement à cet outil technique et
reconfiguré ce dernier à celle-ci. Ils ont développé
leur environnement de ressources, qu’ils organisent selon leurs propres
normes. Ils les enrichissent progressivement et se faisant, maintiennent leur
l’engagement dans l’utilisation de l’instrument. Ainsi donc,
l’engagement individuel dans une forme d’instrumentation avec une
technologie informatisée procède d’un choix coûteux et
lourd, mais contient ses propres ressorts.
A partir d’un état de questions relatives au TNI et à la
place qu’il occupe dans les stratégies institutionnelles
d’équipement des écoles au niveau central puis local depuis
plus d’une dizaine d’années, ce texte présente un
éclairage sur une approche des processus à l’œuvre
lorsque cette technologie est introduite dans l’univers professionnel des
enseignants, contribuant à la construction d’une
problématique centrée sur l’enseignant dans un
système complexe. Il précise la méthodologie
utilisée, délivre les premiers résultats des analyses
conduites, les discute et propose enfin quelques perspectives de recherche.
2. A propos du TNI
Le TNI constitue un dispositif complexe proposant de
nombreuses potentialités mais qui ne l’écartent pas
radicalement de sa filiation avec le tableau noir et le paradigme de la
pédagogie transmissive. Cependant au cours de ces dix dernières
années, il demeure un équipement sur lequel les
collectivités ou les gouvernements ont largement investi.
2.1. Ce qu’il est possible de faire avec le TNI
Le TNI présente une diversité d’outils
d’écriture, de capture d’images, d’animation de
schémas et masquage par un rideau, de zoom, de manipulation
d’objets, de reconnaissance de caractères, etc. Sur un même
support, il est possible de regrouper plusieurs médias et de leur donner
vie, avec l’adjonction éventuelle de comportements.
L’ensemble des traces laissées et des documents produits peuvent
être mémorisés, pour des enrichissements ou diffusion
éventuels (Boulc’h et Baron, 2011).
Un progiciel accompagne ce dispositif et représente le cœur du TNI.
Il est en général piloté par un ordinateur ou directement
par un vidéoprojecteur dans les modèles les plus récents.
Il offre tout d’abord les fonctionnalités d’un logiciel
classique de PréAO, libérant l’enseignant de l’espace
contraint du tableau noir par la multiplication à l’infini de
calques de présentation. Les possibilités de présentation
de contenus, multimédias et interactifs sont nombreuses, mais leur mise
en scène en direct selon un scénario mérite
d’être anticipée du fait de nombreuses contraintes techniques (Villemonteix et Stolvijk, 2011).
Le TNI constitue un environnement auquel, par ses affordances,
l’utilisateur s’adapte (Gibson, 1979).
L’enseignant, selon sa perception des propriétés du TNI,
constitue un espace de possibles, dans lequel il peut naviguer et qu’il
prend en compte selon les fins qu’il se fixe (Morineau, 2001).
2.2. Du tableau noir au TNI, continuité du paradigme transmissif
Le tableau de classe caractérise l’espace scolaire. Il constitue
depuis fort longtemps le complément ou le prolongement de la parole du
maître jouant également un rôle de support au
tâtonnement épistémique (Billouet, 2007).
L’arrivée du tableau numérique ne réinterroge pas
spécifiquement la position traditionnelle de l’enseignant et
n’amène aucun bouleversement immédiat dans la façon
d’enseigner (Somekh et al., 2007).
Le tableau reste un organisateur spatial et le geste pédagogique,
basé sur l’alternance entre transmission simultanée,
exercices et remédiation individuelle, n’est pas modifié.
L’instrument sert en quelque sorte « l’ambition
transmissive de l’école ».
D’une manière générale, les enseignants et les
élèves apprécient beaucoup la présence et
l’utilisation des TNI en classe. De nombreuses études ont
été menées en Grande-Bretagne sur le TNI (BECTA, 2005),
pour autant, il est difficile d’affirmer l’impact significativement
positif du TNI sur les performances des élèves (Jeunier et al., 2005).
Une étude approfondie sur les deux degrés, croisant des
données d’entretiens, d’observations et de questionnaires sur
un nombre important d’établissement ne parvient pas à
attester de preuves précises quant à la pérennité
des apprentissages (Higgins et al., 2005).
Une autre étude montre que les modalités d’utilisation de
l’outil ont une incidence sur les dynamiques d’apprentissage (Duroisin et al., 2011) sans pouvoir attester d’un lien significatif entre la progression des
performances des élèves et l’utilisation
réitérée du TNI.
Le programme britannique de développement des TIC a donné lieu
à un programme de formation mettant l’accent sur une utilisation
dans une pédagogie active. Mais les analyses de pratiques ont
montré qu’une pédagogie transmissive ou expositive
(documents, démonstrations), favorisant le texte (quizz) et la
remédiation (exerciseur) s’est plutôt
développée, au détriment d’une pédagogie
active basée sur la production, l’expérience et la
confrontation d’idées (Betrancourt, 2007).
Dans certains cas, quelques résultats attestent de
l’intérêt d’une projection et d’une manipulation
directe. C’est le cas des objets mathématiques et
géométriques interactifs, dont les manipulations en classe jouent
essentiellement sur le comportement, la participation et l’attention des
élèves (Averis et al., 2005).
Ceci se vérifie lorsque les élèves manipulent directement
les objets qui leur sont présentés (Thompson et Flecknoe, 2003).
L’exposition à des objets visuels ou sonores manipulables sur un
plan vertical donne également lieu à une meilleure conscience
phonologique dans l’apprentissage de l’anglais en primaire (Magnat, 2012).
2.3. Le TNI dans les stratégies institutionnelles
d’équipement
En France, la promotion de cet outil a probablement été
influencée par la politique d’équipement massif des
écoles britanniques (Chaptal, 2010).
Plusieurs initiatives locales ou nationales ont donné lieu à
l’attribution de TNI au cours des 10 dernières années dans
les classes primaires. Citons le cas de l’opération
« 1000 visio » (MEN, 2008), ou le
plan « Ecole Numérique Rurale » (Plan ENR) où
l’état et les collectivités locales ont cofinancé des
configurations complètes. Ce plan a été
considéré comme une réussite du point de vue de la
cohérence de l’offre et de la cohésion des acteurs, mais
comme un échec en termes d’accompagnement de l’offre
ressources numériques, jugé insuffisant (IGEN, 2011).
Selon l’enquête annuelle ETIC, diligentée par le
ministère de l’éducation nationale, en 2010, 23% des
écoles élémentaires disposent d’un TNI (MEN, 2010), ce qui
laisse la France loin notamment derrière la Grande-Bretagne où
toutes les classes sont équipées, le marché étant
arrivé à saturation. Contrairement à la France, le
gouvernement britannique n’a pas attendu que la recherche atteste de la
valeur ajoutée du TNI pour s’engager, dès 2004, dans une
politique d’équipement généralisée (Arnott, 2004).
Il revient sur celle-ci actuellement, compte tenu, d’une part des
décisions politiques de l’administration Cameron à
l’égard du BECTA, d’autre part d’un récent
rapport de la Royal Society (Royal Society, 2013),
qui pointe le manque de résultats probants d’une politique de
diffusion massive de technologies et d’une vision très
orientée « usages ».
La question de la formation à ces instruments reste cependant centrale
et notamment en formation initiale. Plusieurs recherches convergent sur les
représentations que des étudiants en éducation se forgent
à propos du TNI et des technologies. Entre naïveté ou
enchantement (Béziat, 2011) et méfiance, penser de cette manière est risqué selon Baron
et Boul’ch, dans le sens où, confrontés réellement
à l’outil sur le terrain, ces futurs enseignants risquent
d’éprouver une grande déception. Le risque serait alors
qu’ils se détournent des technologies en général (Baron et Boul’ch, 2012).
3. Environnements et contraintes pour l’école primaire
L’école primaire propose un cadre
d’adaptation scolaire des TICE spécifique et contraint (Béziat et Villemonteix, 2012).
Pour le TNI en particulier, et ce, malgré sa congruence avec le tableau
classique, son utilisation à ce niveau s’avère complexe ce
qui n’a pas empêché les collectivités locales
françaises d’avoir fait des acquisitions parfois massives de ce
dispositif technique, depuis près d’une dizaine
d’années. Les usages restent parfois en deçà des
attentes du fait de l’existence de facteurs de contexte
interdépendants, déjà repérés par la
recherche (Dwyer et al., 1994) ; (Baron et Bruillard, 1996) ; (Cuban, 2001) ; (Daguet et Wallet, 2012).
Nous posons dans cette section un modèle de contraintes, par effet de
synthèse sur ces travaux et de manière heuristique. Il part du
principe que la pratique de classe est le produit d’un processus complexe
et multifactoriel qu’il convient d’appréhender de
manière systémique. Les pratiques de classe, et les discours sur
ces pratiques, sont des points d’observation permettant de mettre en
perspective les facteurs contrariants ou favorables à des usages des
technologies informatisées en classe.
3.1. Interventions institutionnelles dans le domaine des TIC
Du point de vue administratif, l’école primaire française
n’est pas un établissement et ne dispose d’aucune autonomie
financière ni juridique, les collectivités locales ayant
compétence dans les domaines de l’équipement et des
infrastructures et l’état en termes de pilotage pédagogique.
Les collectivités ont obligation de répondre aux prescriptions de
l’éducation nationale (le B2I, par exemple) mais déterminent
localement la hauteur des investissements selon les marges de manœuvre
disponibles, variables selon les territoires. Ceci donne lieu à
d’importants déséquilibres en termes
d’équipement informatique et la couverture
nationale1 reste encore en
deçà de celle des voisins
européens2.
Ajoutons que, dans le meilleur des cas, les communes équipent, en
appui des recommandations fournies par l’éducation nationale, en
général des inspecteurs locaux accompagnés d’un
enseignant expert - l’animateur TICE (ATICE) -, mais il n’est pas
rare que les communes équipent unilatéralement, sans qu’un
processus de décision collective ait pu avoir lieu, certains enseignants
se voyant attribués des dispositifs techniques non demandés.
La sociologie de l’innovation a montré que s’agissant de
l’introduction d’une innovation dans une organisation, un dispositif
de concertation réunissant acteurs et actants autour d’un traducteur pouvait s’avérer nécessaire pour traiter
les controverses et mettre en place des terrains d’entente (Akrich et al., 1988).
C’est dans cette perspective que le projet OPPIDUM, pour Observatoire des
Pratiques Pédagogiques Innovantes et des Usages du Multimédia, a
été mis en œuvre dans la ville de
Saint-Maur-des-Fossés (Baron et al., 2011).
L’expérience s’est montrée intéressante dans la
tentative de mise en place d’un modèle de pilotage concerté
entre une collectivité et l’état, un laboratoire
universitaire jouant le rôle de
traducteur3.
Cependant, des pratiques très divergentes parfois même au sein
d’un même département (Villemonteix, 2011) sont caractéristiques de contextes financiers variés, mais aussi
de stratégies locales sur le pilotage de l’activité
éducative. Certaines communes ajoutent des offres locales
d’accompagnement et de formation via des ressources numériques
associées aux matériels achetés sous la forme de forfaits,
en direction des familles. Si ce scénario devait progresser, se poserait
alors la question du contrôle par l’État de
l’équité territoriale de l’offre éducative.
Une autre considération de contexte est à prendre en compte,
c’est celui de la légitimité des pratiques
instrumentées à l’école qui ne s’adosse
à aucun élément de programme de l’école
primaire. Or les programmes sont à la base du pilotage de
l’activité enseignante et l’existence d’un
référentiel de compétences annexé aux programmes, le
Brevet Informatique et Internet (B2i) ne semble pas suffire pour faire levier.
Ce référentiel centré sur l’appropriation des
compétences réduites à des savoir-faire et des
procédures, amène à une impasse sur les savoirs en jeu. Les
enseignants ont à construire un ensemble structuré et
cohérent de représentations constituant une forme de conscience de
ce dispositif (Fluckiger et Bart, 2012).
3.2. Les processus de diffusion des TICE à l’école
primaire, approches systémiques
Rendre la pratique instrumentée avec les technologies intelligible,
amène à prendre en compte la grande variabilité des
contextes locaux de manière systémique. « En
matière de recherche, l’approche systémique a mis
l’accent sur la nécessité de prendre en compte la
globalité des variables qui peuvent agir sur le processus éducatif
plutôt que de se contenter de manipuler un nombre limité de
variables isolées de leur contexte. »(Depover, 2009).
Dans la littérature, différentes approches permettent ainsi de
guider les études sur les discours des acteurs impliqués dans
l’appropriation d’une innovation technologique et
l’évolution de leurs pratiques professionnelles. Le modèle
« Pédagogie, Acteurs, Dispositif, Institution »
(PADI) développé par Wallet est notamment mobilisé pour
étudier les non-usages (Daguet et Wallet, 2012).
Il permet de focaliser davantage sur l’état d’un
système que sur un processus dans lequel s’inscrit
l’activité pédagogique. Les processus de
généralisation des technologies en milieu éducatif reposent
sur des leviers hétérogènes et interdépendants
difficiles à appréhender dans leur ensemble, compte tenu de la
variété des représentations, des acteurs et des structures.
D’autres modèles permettent d’appréhender les
phases des processus d’appropriation d’instruments
informatisés en se situant au niveau de l’enseignant dans son
contexte. Le modèle ACOT, issu de l’étude de Dwyer et ses
collègues (Dwyer et al., 1994) sur le dispositif Apple Classrooms of Tomorrow (ACOT) aux USA et au
Canada, pointe plusieurs étapes à franchir dont chacune prend du
temps et nécessite des conditions pour conduire à la suivante :
entrée, adoption, adaptation, appropriation, invention. Selon les
chercheurs, on en reste souvent aux toutes premières phases du processus
faute de soutien suffisant, ou il y a abandon, si l’usage des dispositifs
est jugé trop coûteux en temps et en effort ou trop en opposition
par rapport aux pratiques traditionnelles.
Depover et Strebelle (Depover et Strebelle, 1997) prennent également cet angle de vue et considèrent trois phases
dans les processus d’innovation pédagogique : l’adoption,
l’implantation et la routinisation. Les auteurs proposent un modèle
d’analyse complexe du processus s’articulant autour de deux axes
complémentaires, un axe dynamique, celui des« intrants »,
des processus et des « extrants » et un axe topologique,
référé aux différents sous-systèmes par
rapport auxquels le processus d’innovation s’inscrit, du plus
spécifique au plus englobant : la classe, l’environnement scolaire,
le circuit administratif et prescriptif et les variables présentes dans
l’environnement immédiat du système éducatif (De Lièvre et Moulin, 2008).
Ainsi, dans le modèle AFRI présenté ci-dessous, nous
prenons en compte deux niveaux de variables liés à
l’adaptation scolaire des technologies informatisées : celui
des enjeux et celui des composantes de l’activité en classe.
3.3. Modèle d’analyse AFRI (axes, formation, ressources,
implications)
Le modèle que nous présentons ici vise à
caractériser les relations entre l’activité enseignante
mobilisant une innovation technique et son environnement. Dans le contexte
scolaire, l’activité consistant à conduire une classe avec
des technologies est reliée aux composantes de cet environnement
(idéologique, institutionnel, social et technique). Elles se manifestent
par des outils (outils, matériels), des individus (sujet, soi ; la
communauté-les autres), des normes (règles-programmes),
susceptibles d’évolution. De son côté,
l’enseignant, qui agit dans un collectif et une structure
(l’école), fait face à des contradictions et des contraintes
pour agir et donner sens à son activité. Dans une perspective
d’instrumentation durable de son activité (Rabardel, 1995),
il répond à plusieurs enjeux qu’il identifie ou qu’il
se fixe. Le modèle AFRI distingue quatre types d’enjeux et les
réponses qu’il fournit à ces enjeux conditionnent
l’accueil et les utilisations de ces innovations technologiques : un enjeu axiologique et de formation un enjeu de ressources et un enjeu
d’implication.
Figure 1 : Système de contraintes pour
l’intégration des TICE en classe, modèle AFRI
Sur le modèle, deux groupes
environnementaux sont identifiables : celui sur lequel les enseignants ne
peuvent pas directement agir (environnements institutionnels et techniques), et
celui sur lequel les enseignants peuvent directement agir (environnements
idéologique et social). Chacun des facteurs (environnements, enjeux et
contraintes) est nécessaire mais non suffisant pour permettre
l’usage des technologies informatisées par l’enseignant en
classe.
4. Méthodologie
4.1. Prise d’appui sur le discours des enseignants
L’objectif est d’identifier ce que
l’enseignant repère comme contraintes des différents
environnements ciblés et d’identifier les solutions qu’il
adopte pour les écarter ou s’en arranger. L’enseignant
entreprend des actions, fait des choix, mais agit dans un milieu, un
réseau de relations plus large, qui agit sur lui et sur lequel il
agit.
Afin de les identifier, nous avons privilégié une
méthode de collecte de données qualitatives, en réalisant
des entretiens semi-directifs d’une durée approximative d’une
heure. Ces entretiens ont été enregistrés et soumis
à une analyse de contenu sous MODALISA. Certains des enseignants ont
complété ces entretiens par des démonstrations sur leur TNI
de classe. A partir de ces discours, nous avons procédé par tas
thématiques au fil de l’eau (Bardin, 1977),
que nous avons ensuite recentrés sur des thèmes
génériques, en lien avec le modèle AFRI.
Ainsi, nous avons privilégié une méthode qualitative,
à visée compréhensive et descriptive qui s’inspire de
l’approche inductive de Miles et Huberman (Miles et Huberman, 2003).
Les pratiques déclarées des enseignants s’inscrivent dans le
cadre quotidien et routinier de la classe. La mise à jour d’un
système explicatif par le sens que donne le sujet à son action
s’avère féconde, même si le sens ou l’intention
déclarée par l’individu, ne constituent qu’un des
éléments du système de causalité. Cet
élément s’intègre dans le jeu des contraintes de
l’action collective dans lequel l’acteur est inséré
(Alami et al.,2009).
La grille d’entretien utilisée aborde plusieurs points :
présentation de l’enseignant (ancienneté, pratiques
personnelles des technologies) ; conditions de mise en œuvre du TNI
(problèmes posés, solutions esquissées, acteurs
mobilisés) ; rapports à la formation (institutionnels, par
pairs, autoformation) ; préparation des ressources (outils
mobilisés, types de ressources, objectifs, méthodes) ;
pratique du TNI en classe (activités développées,
modalités de travail, activité des élèves) ;
représentations du rôle des technologies en éducation.
Six entretiens sont traités dans cette étude, encore
exploratoire et à valeur heuristique. Nous mobilisons le modèle
AFRI comme analyseur des témoignages présentés dans ce
texte. A terme, ce travail de recherche nous amènera à
dégager différents profils enseignants d’accueil du TNI en
classe, et à en discuter les spécificités, ainsi
qu’à distinguer les pratiques évoquées des
représentations ou croyances sur ces pratiques.
4.2. Présentation des enseignants
Les entretiens concernent deux hommes et quatre femmes, situés dans
deux départements, sur des territoires différents sur le plan
sociologique.
- Le premier enseignant (e1) travaille dans une classe
élémentaire d’une école d’une zone
défavorisée de la banlieue sud de Paris, classée en zone
d’éducation prioritaire (ZEP). Cette école répondant
à des critères sociaux spécifiques, l’effectif
d’élèves de sa classe se limite à 22. Il travaille
depuis 3 ans avec un TNI. L’enseignant se déclare féru
d’informatique. Il dispose d’un blog, qu’il co-conçoit
avec ses élèves. Il présente cet outil comme l’ENT de
la classe accompagnant les élèves dans et hors
l’école. Il n’a plus de tableau noir. Il utilise massivement
le TNI, mobilise de nombreuses ressources d’internet. Il utilise les
calques, les fonctions de cache, d’annotation, de capture d’image en
permanence. Le plus souvent Il garde certaines traces qu’il poste sur le
blog. Il fait utiliser le TNI aux élèves. Il n’utilise pas
de manuel numérique mais compose et anime en utilisant le logiciel de TNI
et d’autres logiciels en parallèle (lecteur vidéo, son). Il
utilise la bibliothèque pour y placer ses propres ressources.
- La deuxième enseignante (e2) travaille dans une
école d’une commune aisée du même département.
Elle enseigne depuis 29 ans et est en poste depuis 7 ans dans
l’école. Elle utilise le TNI depuis 4 ans. Elle déclare des
compétences fragiles en informatique, mais utilise
régulièrement la salle informatique de l’école. Elle
utilise le TNI pour projeter, pour annoter des documents et en garder trace.
Elle a disposé le TNI en fond de classe et le fait utiliser très
régulièrement aux élèves qui ont pris en charge son
fonctionnement. Elle n’utilise pas la bibliothèque du logiciel
TNI.
- La troisième enseignante (e3) travaille dans une
école située dans une autre zone d’éducation
prioritaire. Elle a presque toujours enseigné dans cette école,
puisque sur 20 ans d’ancienneté, elle a passé 18 ans dans
l’école. Elle utilise également des baladeurs MP3 (un par
élève) pour l’apprentissage des langues vivantes. Le
vidéoprojecteur est installé au plafond. Elle utilise le logiciel
du TNI et, en parallèle, le logiciel de traitement de texte, pour
préparer ses séances. Elle utilise des manuels numériques
mais en importe des captures dans le logiciel TNI. Elle n’utilise pas la
bibliothèque de ressources mais a organisé ses ressources par
disciplines et par thèmes.
- La quatrième enseignante (e4) enseigne depuis 15 ans dans
une école située dans un quartier résidentiel d’une
commune populaire. Elle est maître-formatrice et participe ainsi à
la formation des nouveaux enseignants. Elle utilise le TNI depuis 3 ans. Ses
compétences et connaissances lui permettent de mettre en œuvre le
TNI avec aisance. Elle crée ses propres manuels numériques
qu’elle utilise en permanence. Elle utilise essentiellement le logiciel
fourni avec le TNI et met en œuvre l’ensemble de ses
fonctionnalités, les outils d’annotation, les calques, la capture,
les caches et utilise la bibliothèque du logiciel pour placer ses
ressources. Elle utilise un blog de classe qu’elle nomme le
« cartable numérique » qu’elle a conçu
avec l’aide de l’ATICE.
- Le cinquième enseignant (e5) enseigne depuis 10 ans et
travaille depuis 9 ans dans une école située dans une ville
populaire de l’est parisien. Il dispose de postes informatiques dans sa
classe (6) utilisés fréquemment par les élèves. Il
détient un TNI depuis 5 ans, qu’il a obtenu par projet. Il
l’a utilisé en cycle 3 pendant 3 ans et depuis deux ans
l’utilise en CP. Il a numérisé tous les manuels
élèves et recompose, en fil de l’eau, des ressources
d’appui pour l’exposé de leçons et la
réalisation d’exercices.
- La sixième enseignante (e6) travaille dans le centre-ville
d’une grande ville de province. Elle est enseignante depuis vingt ans.
Cette année, elle a une classe à double niveau de 31
élèves : CE2/CM1. A titre personnel, elle se considère
comme une très faible utilisatrice des TIC, elle est très
attachée aux moyens classiques de communication, d’achat, de
relation. Dans la classe, elle a commencé à utiliser le TNI au
moment de la dotation de sa classe, depuis deux ans, et depuis, n’utilise
que ce type de dispositif numérique. Durant la dizaine
d’année qui a précédé l’installation du
TNI, elle a eu quelques tentatives d’usages des technologies
informatisées, sur un mode d’opportunité, en fonction du
matériel présent. Son levier principal d’usage des
technologies informatisées en classe s’appuie sur la prise de
conscience des enjeux d’une formation au numérique pour les
élèves d’aujourd’hui.
5. Résultats
Les entretiens font apparaitre différents
niveaux de tensions et de contraintes qui structurent, orientent, limitent,
encouragent certains usages des technologies informatisées en classe.
Notre approche heuristique, par le système de contraintes (cf. figure 1),
permet d’organiser les témoignages retenus ici. Les retours
d’entretiens sont organisés dans les sections suivantes selon le
modèle AFRI : d’abord les composantes de
l’activité du modèle, ensuite les enjeux liés
à l’adaptation scolaire des technologies informatisées.
5.1. Les composantes de l’activité
5.1.1. Soi
De manière générale, le TNI, objet numérique
incontournable puisqu’en place du tableau classique, fait évoluer
les enseignants sur leurs propres représentations des technologies
informatisées en classe. Les questions de dynamique personnelle sont
liées à l’implication dont sont capables les enseignants
pour accueillir un nouveau dispositif technique. Ici, les enseignants insistent
sur le volontariat nécessaire, et aussi sur certaines formes
d’adoption définitive du dispositif et d’acceptation des
évolutions instrumentales et pédagogiques imprimées par le
TNI.
Une volonté affirmée apparaît dans les témoignages
recueillis, de faire en sorte que le TNI soit fonctionnel et soit
utilisé, malgré les contraintes posées et les solutions
adoptées, contredisant parfois les normes de sécurité :
« (e2) Parfois ceux qui sont derrière ne voient pas
facilement. Ils se déplacent, ils savent qu’ils peuvent le
faire » ; « (e4) Quand quelque chose qui fonctionne
pas, au niveau de sécurité avec des fils qui traînent par
terre, la solution, c’est «tu t’en sers plus» et ça
ce n’est pas possible. » (e5) « En fait il y a
des regroupements, on est toujours en mouvement. Je suis obligé de
brancher débrancher. Je n’ai pas de bluetooth
malheureusement ».
Le TNI amène aussi à certaines remises en cause, et conduit
à d’autres évolutions, d’autres manière de voir
son rapport à l’informatique en classe et, d’une certaine
manière, son propre rapport à la classe : (e1)
« C’est bien, ça nous ouvre à tout. Plus loin,
faut qu’on voit nous nos propres limites. Il faut qu’on se modernise
il faut aussi qu’on revoit notre enseignement. Les enfants sont plus
attirés par ces objets qu’on ne connaît pas.
L’informatique en général j’ai pris le truc tout de
suite .Les enfants savent plein de choses, ils nous montrent» ;
(e4) « Il y a 3 ans, je voulais passer l’entretien de
direction et l’arrivée du TNI m’a fait changer d’avis
et commencer autre chose en classe. (...) Le TNI me tient
ici ».
Parmi les témoignages retenus ici, une enseignante plus en retrait sur
les technologies informatiques reconnait une plus-value au TNI. Ses pratiques
sont en tension entre le maintien d’un fonctionnement classique et
l’une exploitation des potentialités du TNI :
(e6)« là, je manque complètement de
compétences. (...) oui, oui, pour le moment je fonctionne à
l’ancienne et ça avance très bien quoi (...). (...) toutes
les matières, histoire de l’art, n’en parlons pas. Moi je ne
pourrai pas faire histoire de l’art si je n’avais pas
ça».
5.1.2. Les autres
Ce que font apparaître les items de ce groupe thématique,
c’est un certain isolement de l’enseignant face au dispositif
technique, d’autant plus grand qu’il est lui-même
fragilisé par la présence de ce dispositif. En creux, les propos
font aussi apparaître le besoin d’un accompagnement
spécifique aux effets liés à l’arrivée de
technologies informatisées dans l’école, allant contre
l’idée qu’il est normal que le TNI soit utilisé avec
facilité par tout le monde.
Les soutiens requis dépendent assez nettement des compétences
déclarées et repérées des enseignants
interviewés. Les enseignants évoquent essentiellement cette
question en termes de déficit. Il tient à des
considérations techniques, ou portant sur le terrain de la
reconnaissance. Sur le plan pédagogique, aucun enseignant ne
déclare requérir de soutien spécifique.
Sur le plan technique et logistique, les enseignants
expérimentés et disposant de compétences informatiques
robustes prennent des initiatives pour que leur système fonctionne et que
leur activité se maintienne. Pour certain, le soutien bienveillant du
directeur ou de la directrice est souligné : (e1) « Je
vais directement voir les gens. La directrice m’a toujours soutenu.
Ça la dépasse, donc si vous avez des problèmes, vous
réglez ce sera plus simple ».
Ce soutien aux initiatives peut être aussi limité : (e2)
«Dès fois j’emporte l’ordinateur, je me dis que si je
me le fais voler... C’est ma directrice qui me
l’interdit » ou inexistant, faute
d’intérêt : (e3) « Pas d’aide du
tout. Elle n’intervient pas dans notre travail. On travaille ensemble.
Elle ne sait pas de quoi on parle, elle ne peut rien
suggérer ».
Quoiqu’il en soit, le simple fait qu’ils prennent en main la
question informatique (le TNI) les place au rang de personne-ressource pour les
collègues : (e4) « Plein de gens pensent que je suis une
ressource informatique. Je montre à mes
collègues ».
Sur le plan de la reconnaissance institutionnelle, un certain sentiment
d’isolement se fait sentir chez certains à l’issue des
opérations de dotation, interrogeant finalement les rationalités
des acteurs à participer aux opérations de ce type, à leur
démarrage : qu’en attendent-ils ? Quel est le
contre-don ? (e2) « J’ai pas de suivi, ni surveillance.
Personne n’est venu voir pour savoir comment ça fonctionnait. (...)
Il y a eu un petit suivi dans le cadre de la visioconférence la
première année, je suis allé à Educatice. On ne nous
demandait pas des comptes « est-ce que ça vous plaît, est-ce
que vous vous sentez à l’aise », mais c’est
tout » ; (e5) « On nous confie de
matériel qui vaut plusieurs milliers d’euros, mais on nous demande
plus rien après ».
Chez d’autres le recours à des soutiens extérieurs
n’est pas d’actualité. Là encore le niveau de
maîtrise des instruments peut justifier cette non-demande : (e1)
« Non, on s’est croisé (avec l’ATICE), mais
j’étais déjà bien en route, alors non. Il est revenu
faire une animation pédagogique dans la classe cette année, je
n’avais pas besoin d’être présent. Je ne lui ai pas
demandé de ressource. Je ne sais pas où sont les
torts ».
5.1.3. Matériels
Les questions matérielles sont, à l’évidence,
fondamentales dans un contexte d’instrumentation des pratiques scolaires.
Ces enjeux matériels sont le lieu de discussion entre les
collectivités et les écoles. Le plus souvent, le TNI est
installé à la place de l’ancien tableau, ou à
l’endroit le moins gênant, selon les conditions de lumière
par exemple. Faire poser le TNI à un autre endroit que celui prévu
pour le tableau peut s’avérer difficile. Autrement dit, ce sont des
considérations matérielles (la lumière, la place) ou
coutumières (la place habituelle du tableau) qui déterminent la
façon dont le tableau sera installé, à la classe de
s’adapter. Autrement dit, cela revient le plus souvent à renforcer
l’organisation traditionnelle des classes.
La question des moyens est omniprésente dans les témoignages
relevés. Soit par l’expression d’un manque, de questions
matérielles d’installation, de risques, d’état de
fonctionnement, de rapidité de réponse du dispositif, de
déficit de maîtrise technique du dispositif, d’adaptation de
la vie de la classe à ce dispositif... Dans tous les cas, ces points
impactent sur la pratique quotidienne de la classe : (e1) « Le
Trackpad de l’ordinateur n’a plus fonctionné, j’ai
dû acheter moi-même une souris, sauf que j’ai pas de
crédits non plus. Tous les trucs que j’achète, c’est
moi qui les achète. Ma directrice me rembourse parfois. (...)
J’ai fait venir des gens pour constater l’état de
dangerosité de l’installation, risque de chute, de casse
matérielle, des prises qui se branchent un peu partout
(...) ». ; (e4)«Il y a un enfant
délégué de tableau, qui prépare, lance l’ordi,
toute les semaines ça change. Il doit faire attention à tous les
fils ».
Ces problèmes d’installation peuvent devenir un problème
pour le fonctionnement de la classe : (e1) « Il est au fond de
la classe, du coup je le décale là (vers la fenêtre), mais
ça leur enlève trop de jour si jamais je le laisse installé
constamment. C’est cette table-là qui sert à
l’installation... du coup ça prend du temps. (...) La position
c’est au milieu là (vers la fenêtre) mais tout le groupe qui
est là ne voit rien, à cause de la luminosité, donc ils
avancent (...).Chaque matin, quand je prévoyais une séance sur ma
clé et que je l’amenais ici, il fallait que je vérifie que
tout fonctionne. » ; (e2) « On est dans la
largeur, parce que les focales ne sont pas suffisantes. Après ça
pose un problème de déplacement. Je travaille beaucoup ça
en début d’année. Je ne peux plus passer aussi facilement
derrière les uns ou les autres. (...) Il y avait au début un sens
de circulation, parce qu’il y avait des câbles dans tous les sens. A
une époque c’était même dangereux, puisqu’il y
avait un câble à la hauteur de la gorge des enfants devant la porte
de secours. J’ai du scotch de théâtre pour fixer les
câbles au sol».
La question des moyens est largement contrainte par la volonté ou la
capacité de financement de la commune : (e3) « TNI
dans l’école depuis 2 ans. Il est payé par l’EN et
installé par la mairie. C’est l’inspectrice qui a
demandé. Pas de difficulté de la part de la ville. Ils sont plus
réticents pour en acheter d’autres. (...) J’ai fait une
présentation devant la mairie pour voir, en situation, à
l’initiative de l’I3EN pour inciter la mairie à
financer. » Ce financement du matériel est
déterminant sur l’accessibilité aux ressources
numériques : (e3) « On s’aperçoit que
quand on n’a pas un TNI dans sa classe, on ne peut s’y mettre,
c’est difficile à prêter. (...) Comme il est là-haut,
je ne le recalibre qu’au retour de vacances quand je réinstalle le
vidéoprojecteur. Je n’ai pas d’ombre et je l’utilise
quand je veux, 3 mn, 1 heure ou pas du tout. » ; (e1) « Il y en a eu 4 ou 5 donnés par l’académie. En fait ils ne
servaient à personne. Là-dessus, on nous a dit «soit vous
nous faites la preuve que vous vous en servez, soit ils vont être
donnés à une autre école». Je trouvais dommage
qu’il s’en aille... (...). Mais il était dans la salle
informatique, il n’était pas du tout dans ma classe. Ce que
j’ai expliqué, c’est que personne d’autre de
l’école ne s’en servait et que l’avoir dans ma classe
était beaucoup plus simple que l’avoir dans la salle informatique
[...] Depuis deux ans, la mairie m’a mis internet dans la
classe. »
5.1.4. Règles
La présence du dispositif technique, essentiellement le TNI pour les
enseignants enquêtés, fait évoluer la réflexion des
enseignants sur les objectifs éducatifs poursuivis. Elle permet aussi de
faire évoluer certaines intentions pédagogiques, certaines
modalités de travail en classe. Ici, deux aspects émergent des
témoignages : l’évolution de certaines pratiques
d’enseignement et le sens de ces évolutions.
Les enseignants se lancent dans des actions, des productions, et doivent
alimenter en contenus, en occasion d’usages : (e4)
« J’ai voulu un blog pour l’école pour la classe
transplantée. [...] C’est la seule technologie que je mettais en
place. (...) Ce sont les enfants qui font des comptes rendus de journée,
sur 15 jours, des textes libres [...] C’est en fonction des projets qui se
présentent. »
L’objectif est aussi de permettre aux élèves de
développer leur esprit critique face aux technologies, aux informations
qu’elles donnent, aux contenus qu’on y trouve : (e6)
« Les idées couchées sur le papier, je trouve
qu’elles viennent plus facilement que si on tape directement,
voilà, moi la dessus je suis un peu resté vieille France.(...) et
je pense que l’on doit apprendre ça aux enfants (ndlr : avoir
de la méthode) et puis ça leur apprend à avoir
l’esprit critique par rapport à ce qu’affiche la
machine».
5.2. Les enjeux
5.2.1. Enjeux de formation
Le sentiment d’avoir été insuffisamment formé ou
de l’avoir été de manière inadaptée revient
fréquemment : quelqu’un vient montrer comment ça marche,
puis l’enseignant doit découvrir seul comment s’en servir.
L’autonomie par rapport aux technologies informatisées constitue
sans doute le meilleur facteur d’adaptation.
Quatre enseignants relèvent certaines difficultés de
maîtrise ou de manipulation des matériels et des interfaces. Ils
reconnaissent des difficultés et leurs limites sur certains aspects
manipulatoires : (e4) « Je ne sais pas bien faire pour les
cartes de géo vierges » ; (e3)
« Quand je fais une séance avec le logiciel WS, le fait de
transporter le fichier sur un disque extérieur me fait perdre tous les
liens (internet, vers un autre document). J’ai la base du doc, mais plus
les liens».
La formation technique est jugée nécessaire et le terme
informatique est évoqué : (e3) « Si on n’a
pas une maîtrise de l’informatique, on est vite
dépassé, on ne peut pas voir l’utilité du TNI. Il
faut une connaissance préalable. (...) » ; (e4)
« Les connaissances informatiques sont indispensables. Ça
peut être tout simplement une erreur de connexion, de branchement, de
fils, ou alors un problème de capacité de l’ordinateur,
qu’il n’est pas assez puissant et que ça ne sert à
rien d’insister. (...) »
Ce qui ressort, c’est un sentiment de bricolage et de
débrouillardise et que l’appropriation se fait dans
l’urgence, en contexte : (e6) « Enfin, moi je fais
partie des gens qui ont un peu appris tout seul sur le tas à force
d’essayer ».Les actions de formation sur site ciblant les
besoins individuels sont privilégiés mais ne montrent leur
efficience que dans une perspective d’accompagnement : (e6)
« une personne ressource se déplaçait dans
l’école et faisait une formation aux collègues de
l’école, mais dans les classes [...] on s’est rendu compte
d’une chose, c’est que des gens comme moi qui avaient
déjà essayé de bricoler [...], on avait des demandes
précises et on avait des réponses précises, et donc on
pouvait avancer, les gens qui n’étaient toujours pas rentrés
dans le système n’ont rien retiré de cette
formation. »
Deux enseignants (e1 et e5) n’éprouvent pas ce type
difficultés. Peu intéressés par des formations
délivrées par les personnels de l’institution, ils disent
apprendre seuls il y a un intérêt ou que c’est
nécessaire pour eux : (e1) « Dans ce domaine-là,
je suis assez à l’aise pour aller chercher les réponses tout
seul quand je rencontre un écueil ou une
problématique ». En revanche, les deux s’accordent
avec les autres sur les formes non adaptées des formations aux contextes
locaux et plaident davantage pour les échanges entre enseignants,
contextualisés : (e1) « ce qu’il faudrait
travailler, mais c’est plus en termes d’échanges que de
formation, c’est la réalisation d’exercices, par
l’échange : qu’est-ce que t’as fait comme
exercice, ah oui, tu utilises cette fonction, c’est
intéressant. »
Sur le plan du rapport à la formation des enseignants
interrogés, quelques points apparaissent ici. L’acquisition de
compétences instrumentales et d’habiletés constitue un
préalable indispensable et paraît utile pour construire des
représentations des pratiques possibles avec l’instrument. Cette
demande s’enrichit par une autre, relevant de l’accompagnement fin,
en situation, en réponse à des besoins locaux de perfectionnement
des procédures. La prise de risques autonome vers la découverte de
nouvelles fonctions ou de nouveaux instruments est le fait d’enseignants
manifestant un degré de maîtrise plus important.
Dans l’étude du rapport à la formation, la nature des
formations demandées serait à relier aux compétences et
connaissances déjà acquises des enseignants. La demande semble
s’affiner, elle porte sur des considérations didactiques et
pédagogiques dès lors que certains schèmes
d’utilisation sont présents. A ce niveau, c’est
l’échange de pratiques qui semble être
privilégié.
5.2.2. Enjeux d’implication
Les entretiens montrent que le TNI n’arrive pas sans bousculer certains
repères dans la conduite de classe, certaines habitudes, certains modes
de travail de l’enseignant. Il va amener les collègues d’une
même équipe soit à demander de l’aide, soit à
en proposer. Enfin chacun reconnait l’importance du temps consacré
à produire ou à mettre à niveau leurs ressources de
classe.
Sur les questions d’espace, le tableau ne se manipule pas comme un
tableau classique : (e3) « Je suis en recherche pour ma
position physique, déjà ; J’ai été
obligée de moduler ma position physique. J’étais très
rarement à mon bureau. Depuis 4 ans, j’y suis tout le temps. Comme
il faut manipuler l’ordinateur et qu’on n’est pas en wifi, je
suis obligé d’être à côté et
d’être «branchée». Je ne peux manipuler
l’ordinateur à un autre endroit. Ça change
complètement ma façon d’être dans la classe et
d’interagir avec les élèves. »
Des relations d’aide peuvent s’installer dans
l’équipe. Certains enseignants usagers du TNI font des offres,
parfois non relevées par leurs collègues : (e1)
« Les premières années j’ai mutualisé,
mais après personne ne s’en est servi. Chaque rentrée je
leur ai proposé de laisser ma salle, leur brancher, mais jamais personne
n’est jamais venu». Se joue ici le besoin qu’ont les
enseignants qui se lancent, de créer des conditions collectives de
réflexion pédagogique, de formation entre pairs.
Le TNI exige de l’enseignant un investissement réel, du moins au
début, pour une montée des ressources sur supports
numériques : (e6)« Je ne peux pas me permettre,
j’veux dire, je peux pas passer trois heures à bricoler sur
l’informatique pour une séance qui va durer une demi-heure,
c’est pas possible, donc si techniquement, euh, je maitrise pas et je sens
que ça va me prendre trop de temps.[...]oui, en fait, oui, il n’y a
que 24 heures par jour, non c’est-à-dire que je me suis rendue
compte d’une chose, c’est que... travailler avec les systèmes
informatiques, enfin, moi, pour moi, à titre personnel, est chronophage,
énormément chronophage [...]. J’ai transféré
sur informatique tous mes corpus d’exercices ou de chose comme ça
que je pouvais encore utiliser, que je stocke, et là, ben je peux
reprendre modifier rapidement, etc.... mais ça veut dire que pendant un
certain temps l’été, j’ai passé un certain
nombre d’heures à tout retaper, à tout mettre sur
clé, alors que tout était papier avant. » Le TNI
conduit l’enseignant à revoir ses ressources, ses
préparations de classe, à les porter au format numérique,
et parfois, à devoir en repenser l’utilisation en classe,
même pour les enseignants qui déclarent faire la classe comme
avant. Ce tropisme vers l’ordinateur pose cependant problème en cas
d’aléa technique : (e5)« Quand j’ai eu
l’ordinateur qui n’a pas fonctionné pendant deux jours,
c’était dur ».
Le TNI peut ne pas être utilisé si, au minimum il n’y a
pas accord de l’enseignant, un gré (Ingold, 2010) :
(e6) « j’ai un collègue en haut, qui ne l’allume
jamais, mais bon il a une classe de CP, c’est peut-être plus facile
de s’en passer [...] ». Autrement dit, quelles que soient les
compétences techniques initiales de l’enseignant et ses
représentations personnelles sur les TICE, si l’enseignant
décide de ne pas s’en servir, il ne s’en sert pas. Il
n’y a pas d’appropriation sans un minimum d’implication de la
part de l’enseignant. Dans les témoignages retenus ici, les
enseignants usagers sont amenés à repenser la gestion spatiale de
la classe, leur position devant les élèves. Le besoin
d’échanger sur les pratiques les amène parfois à
faire des offres de disponibilité auprès de leurs
collègues, il ne suffit pas d’être convaincu, il faut aussi
convaincre. Enfin, la gestion du temps personnel devient un facteur important
dans l’appréciation des gains et des coûts liés
à l’installation du TNI en classe.
5.2.3. Enjeux de ressources
Le remplacement du tableau classique par un TNI a des conséquences sur
l’organisation, la gestion et l’utilisation des ressources
pédagogiques de l’enseignant : le temps passé à
les produire, à les porter au format numérique, sur leur
accessibilité, sur la manière de s’en servir en classe, sur
la manière de penser l’interaction avec les élèves.
La centration sur ces ressources projetées et manipulées
frontalement a également une incidence sur le renforcement de certains
styles pédagogiques des enseignants.
Les enseignants établissent un rapport entre les contraintes des
supports classiques et les facilités offertes par les supports
numériques, plus confortables et rapidement accessibles : (e2)
« Si on avait une mappemonde ou un globe terrestre, il faudrait
refaire des explications à chaque fois. Les représentations sont
visuellement impactantes. Je n’ai pas besoin d’aller chercher un CD
dans une armoire. Pour les élèves, il y a un côté
magique ».
L’activité de préparation du travail change de nature et
c’est dans une perspective économique qu’elle est
perçue : (e6) « si je veux partir sur un texte qui pose
problème en grammaire, [...] plutôt que de copier au tableau, je
prépare tranquillement chez moi et je l’affiche,
l’intérêt c’est que c’est interactif, ... on peut
rajouter, enlever facilement, sans avoir à effacer et puis surtout on
peut garder en mémoire pour la séance suivante, ça pour
moi, ça c’est vraiment un plus. » ; (e1)
« Beaucoup moins de manipulations de papier. En maths, c’est
plus pratique, je n’ai plus besoin d’affiches. Moins de
préparation, oui. En fait l’intérêt c’est
d’avoir le même support qu’eux, sans avoir besoin de
reproduire ». La composition par bricolage existe mais prend une
forme plus rationnelle, écartant parfois les instruments, la perspective
est davantage la substitution que la complémentarité.
Par ailleurs la légitimation de l’utilisation du TNI se fait par
le manuel. Le TNI permet de le magistraliser et les manipulations permises par
l’instrument sont perçues comme des valeurs ajoutées
pédagogiques et didactiques : (e3) « Il n’y a
plus de raison [pour l’élève] d’être perdu. Le
TNI permet d’agrandir la page et de manipuler. Ce qui est sur le cahier
est sur le TNI. La transparence permet de bien repérer, mieux
qu’avec une vraie équerre. Les compétences
s’améliorent avec le TNI. Les élèves ont besoin de
repères, que ce soit à l’identique ».
Deux entretiens (e4 et e5) mettent en évidence le renforcement du
pilotage frontal des séances par le manuel, numérisé et
projeté : (e5) « Je scanne beaucoup, des livres
entiers, le fichier de maths, tous les albums, les cahiers
d’activité ». L’enjeu déclaré est
d’assurer un meilleur contrôle de l’activité
individuelle des élèves et de leur fournir, par souci
d’équité et de plus grande lisibilité, une projection
magistrale du même support que celui sur lequel ils accomplissent leur
activité individuelle : (e4) « Quand j’affiche un
exo au tableau, je décortique, une page de livre se retrouve sur 7 ou 8
pages de logiciel. Pour que ce soit lisible, je prends beaucoup de pages
(logiciel IWS). »
D’autres démarches font apparaître un effort vers la
construction systématique et originale de supports de séquence
pédagogique, comme instrument de gestion de classe. Dans un cas de
préparation de ressources pour une séance de conjugaison
l’enseignante ne cherche pas la bonne solution technique de manipulation,
mais celle « qui marche » en fonction de l’objectif
visé, quitte à multiplier à outrance les
manipulations : (e3) « Là aussi, ça doit exister,
mais je sais pas comment faire, mais je veux faire un cadre pour faire une
étiquette. Ce que je fais, c’est que je mets une forme tout autour.
Dans ce type de situation, je n’ai pas la réponse. Je veux faire
une étiquette, je ne connais pas la procédure. Je tâtonne,
je cherche, je ne trouve pas la réponse...Comme je ne trouve pas, je
m’embête moins et je repasse par Word et je capture des images, pour
moi c’est un gain de temps. Après je vais faire comme tout à
l’heure, je découpe chaque cellule pour avoir des étiquettes
avec des bordures. Je suis certaine qu’il y a plus rapide. Il faut
quelques compétences informatiques ».
Dans 4 cas sur 6, les enseignants ont développé un
système de gestion de fichier et de normalisation permettant de
répondre à trois enjeux : le premier est la rapidité
d’accès à un contenu (une leçon, une page
numérisée, un lien) ; le second est lié à la
perfectibilité et le réaménagement de la ressource, que
l’enseignant remobilisera et modifiera par la suite, ou non ; le
troisième est lié à la rupture avec les anciens supports
avec lesquels l’enseignant a construit son identité
professionnelle. (e1) « Ce qu’il a fallu que je travaille en
termes d’organisation, c’est la nomenclature de tout ce que je mets
sur mon ordinateur. C’était déjà en filigrane, mais
aujourd’hui j’ai une présentation de mes documents bien
claire, de façon à les retrouver sans faute, sans erreur possible.
J’ai une norme, j’ai normalisé l’édition de mes
titres. Je m’y retrouve, que ce soit sur le blog, sur le logiciel du TNI.
Je sais que tel document sera identique sur n’importe quelle
plate-forme ».
Cependant aucun ne déclare mutualiser ses ressources. Certaines
tentatives se limitent au local et les efforts consentis pour produire se
heurtent à des considérations institutionnelles perçues
comme des contraintes : (e1) « Après j’avoue que
je ne suis pas très sûr en termes de droits d’auteur, je me
souviens assez peu à qui j’ai fait les emprunts et j’ai du
mal à remettre les auteurs alors je limite. Je pense qu’un jour je
ferai l’effort [...] Savoir d’où ça vient et à
qui ça va... Je trouve que ces notions de droit d’auteur à
ce niveau-là sont nulles et non avenues donc je n’en tiens pas
compte. Ça vous empêche de délivrer votre propre
travail ».
Le paradigme de la continuité entre l’intervention
simultanée et frontale de l’enseignant, instrumentant son
activité avec le manuel et le tableau et l’activité
individuelle des élèves se maintient, voire se renforce, dans
l’ensemble des configurations. L’art du manuel qui est
l’apanage du maître d’école trouve avec le TNI une
nouvelle dimension, celle de la projection et de la manipulation directe. La
fonction panoptique de contrôle du tableau se combine bien avec celle, de
guidance pédagogique, induite par le manuel. Au maître de
régler le dispositif technique pour que l’attention de
l’élève soit soutenue.
L’appropriation du TNI par l’enseignant est donc empirique,
relève du bricolage, et les cheminements parfois compliqués, mais
tous tendus vers un résultat visible : « ce que je montre aux
élèves ». L’intention de l’enseignant est
d’aboutir à un objet finalisé, support d’une
activité pédagogique plus ou moins complexe. La construction de
cet objet est déterminée par une intention donnant lieu à
des actions sur un système d’instruments dont le TNI fait partie
(ordinateur personnel, ordinateur de classe, internet, appareils photos
numériques, scanner, imprimantes, ressources papier). Les actions mises
en œuvre se traduisent par des opérations plus ou moins
guidées par des intentions et un processus de rétroactions et
d’ajustements successifs.
5.2.4. Enjeux axiologiques
Quand il s’agit de discuter des valeurs de l’école, les
positions sont plus marquées. Les enseignants font part du
caractère inévitable d’une formation aux TICE et de leurs
usages en classe, pour une école inscrite dans son temps : (e4)
« À part les ordinateurs, l’enseignement est
obligatoire. On a une salle informatique. J’ai toujours fait de
l’informatique avec eux dans le cadre de l’enseignement
obligatoire. » ;(e6) « Oui, mais bon, moi je
m’y suis mise... chaque fois que j’ai avancé dans le domaine
de l’informatique, c’est par contraintes professionnelles, ce
n’est pas par choix idéologique, ni de désir de me lancer
là-dedans[...]. Est-ce que c’est l’école qui apporte
quelque chose par rapport à l’informatique aux
élèves, ou est-ce que ce sont les élèves qui nous
font bouger ? [...] Voilà, donc quelque part j’ai
l’impression que par moment, c’est nous qui nous adaptons, et puis
après, j’en reviens à ce que je disais, et on utilise ce
qu’on veut faire passer [...] Par moments quand on, surtout quand on
commence à avoir des élèves un peu grands, euh... il y a un
décalage entre nous à l’école».
Les enjeux liés à l’évolution des pratiques
sociales et culturelles des élèves reviennent dans les
témoignages. Pour les enseignants enquêtés,
l’école doit être un lieu où l’on forme les
jeunes à la société dans laquelle ils vivent, donc, en
prenant en compte les technologies informatisées. Cet aspect transcende
en partie les positions des enseignants plus en retrait, plus
réservés vis-à-vis des TICE, mais impliqués sur les
enjeux liés à l’éducation des jeunes.
6. Discussion et perspectives
Notre questionnement initial a porté sur le
renforcement possible des formes magistrales d’enseignement du fait de
l’existence des schèmes d’usage déjà
rodés avec le tableau inerte, noir ou blanc. Il évoquait
également une contradiction possible entre une volonté
institutionnelle d’innover par les technologies et le possible
renforcement de formes classique d’enseignement avec les technologies
retenues. A ce stade, la recherche menée permet d’apporter une
première réponse sur le processus à l’œuvre lors
de l’adoption de ce dispositif technique, qui n’inscrit pas les
enseignants dans une rupture, mais les amène toutefois à produire
un discours d’intelligibilité pour que ces pratiques deviennent
stables et régulières. Cette réponse,
éclairée par le modèle AFRI, amène également
à poser quelques perspectives de recherche et des pistes
d’accompagnement des enseignants.
Les résultats obtenus sont transitoires et ne valent que pour les
enquêtes réalisées et doivent être encore
précisés. Trois types de facteurs contribuent à une
entrée dans les usages du TNI : la conscience d’enjeux liés
au développement du numérique dans les pratiques sociales et de
l’éducation des élèves à ces nouveaux
environnements d’activité ; l’acceptation d’un
dispositif technique complexe et de la prise en compte des contraintes
posées ; une prédisposition et de la curiosité.
Pour adapter le TNI à leurs pratiques de classe, les enseignants
s’appuient sur ce qu’ils font déjà, le processus
d’appropriation allant des considérations pédagogiques et
didactiques vers les fonctionnalités qui en permettent la mise en
œuvre. Les enseignants qui développent des pratiques nouvelles avec
le TNI, sont inscrits dans un processus de genèse instrumentale qui les
amène le plus souvent à reconsidérer certains aspects
pédagogiques et didactiques de leur pratique de classe. Cette
rétroaction entre la pratique et le dispositif technique est un des
facteurs de pérennisation de l’usage du TNI. Autrement dit,
l’accompagnement des enseignants dont la classe est équipée
pourrait leur permettre de les aider à regarder au-delà des
routines qui s’installent et qui sont fortement ancrées dans les
usages habituels du tableau.
Le modèle AFRI nous permet de souligner les contraintes liées
aux questions institutionnelles, matérielles et humaines auxquelles les
enseignants interviewés sont soumis. Ils expriment un besoin de formation
et d’échanges et interrogent le sens de leurs pratiques avec des
instruments numériques. Le modèle pointe les tensions et
contraintes qui font système et dans lequel l’enseignant peut en
partie agir et qui l’oblige à prendre position : ses
représentations personnelles sur les TICE et sur
l’école ; sa capacité à formuler des demandes
d’aides, à s’impliquer et se former. Le TNI amène
ainsi l’enseignant à repenser un objet qui ne l’était
plus : le tableau de classe.
Si nous revenons sur les enjeux institutionnels, le fait
d’équiper les classes de TNI ne suffit pas à apporter aux
enseignants les moyens d’une éducation « aux et
par » les technologies informatisées pour reprendre le discours
ministériel actuel à propos du
numérique4. Cette condition est
nécessaire, mais non suffisante. Certes, l’équipement
matériel des classes est un marqueur d’un effort collectif et donne
le sentiment d’une modernisation de l’école. Cependant, le
TNI jette l’enseignant dans l’embarras : l’impression de ne
pas s’en servir comme il faut, parfois, de faire moins bien qu’avec
le tableau classique, avec un sentiment de frustration. Pour sortir de cette
situation, certains enseignants mobilisent des moyens personnels
d’autoformation, de réflexivité, de production de ressources
pour faire le saut qualitatif et quantitatif nécessaire pour une
appropriation assumée et dynamique de l’instrument. Sur ce dernier
point, il apparaît que le niveau des compétences instrumentales et
de connaissances informatiques chez plusieurs enseignants contribue à une
grande stabilité de leurs pratiques et à l’existence de
démarches d’invention. Leur déficit chez d’autres
enseignants fragilise les pratiques. Par ailleurs, la régularité
de certaines utilisations du TNI ne permet pas de préjuger du type de
ressources mobilisées ni de la qualité pédagogique des
pratiques mises en œuvre.
Sur un autre plan, rappelons que les « techniques usuelles de
l’information et de la communication » font partie du socle commun de
connaissances et de compétences de l’école, sans pour autant
être une discipline à enseigner. Autrement dit, leur acquisition
par les élèves est fortement dépendante de la
manière de travailler en classe. L’enseignant dans sa classe peut
éprouver des difficultés à mettre en œuvre des
compétences transversales pour lesquelles aucun espace disciplinaire
n’est dégagé.
A partir de ces résultats, quelques directions pour un accompagnement
des enseignants qui se voient dotés de dispositifs complexes à
mettre en œuvre pourraient être identifiés : le
développement de compétences techniques relatives aux dispositifs
mobilisés ; le développement d’espaces et de temps
d’analyse de la pratique ; le développement de
stratégies de production de ressources dédiées à ces
dispositifs techniques.
BIBLIOGRAPHIE
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A
propos des auteurs
François VILLEMONTEIX est maître de
conférences à l'université Cergy-Pontoise et directeur
adjoint de l'UFR éducation où il coordonne la mise en œuvre
de l'ensemble des formations à distance. Il pilote également la
mise en œuvre du numérique à l'ESPE de Versailles. Il a
été inspecteur et conseiller TICE adjoint du Recteur de
Créteil. Ses recherches concernent la diffusion des technologies dans le
périmètre éducatif et en particulier les questions de
professionnalisation des acteurs (enseignants, personnels de supervision) dans
ce contexte. Il pilote actuellement (2013) la recherche EXTATE (tablettes
à l'école primaire) et participe au projet international
francophone SUPERE RCF (IFADEM - AUF/OIF) portant sur la place des superviseurs
dans l'utilisation de dispositifs de communication et de formation distants pour
la formation des enseignants.
Adresse : Laboratoire EMA – UCP,
Site de Gennevilliers, ZAC des Barbanniers, Avenue Marcel Paul, 92230
Gennevilliers
Courriel : francois.villemonteix@u-cergy.fr
Toile : http://villemonteix.u-cergy.fr
Jacques BÉZIAT est maître de
conférences à l?université de Limoges. Il y dirige le
master « Diversité, Cultures, Formation » et codirige la
licence professionnelle à distance iFOAD. Il est aussi responsable
éditorial de la revue frantice.net, soutenue par l’AUF. Il a
été professeur des écoles et maître formateur
auprès de l’IUFM de Paris, et a longtemps milité pour une
adaptation des TICE à l?école primaire. Ses recherches portent
notamment sur les pratiques et les représentations liées aux TICE
à l’école, en interrogeant, entre autres, les
stéréotypes, les résistances, les adhésions, les
usages et non-usages et les modes d’appropriation des acteurs
concernés. Il travaille actuellement sur deux programmes, l’un
portant sur une analyse des usages du TNI en classe, et l’autre sur le
dispositif « Plus de maîtres que de classe » en
Haute-Vienne.
Adresse : Faculté des lettres et
Sciences Humaines, 39E rue Camille Guérin, 87036 Limoges Cédex
Courriel : Jacques.Beziat@unilim.fr
1 L’enquête ETIC2010
révèle un taux d’équipement d’un ordinateur
pour 9 élèves en moyenne et de 1TNI pour 500
élèves.
2Voir données de
l’enquête STEPS (Etude de l’impact des technologies dans les
écoles primaires). Commission Européenne (2007).
3 Site OPPIDUM, consulté en
avril 2013 : http://oppidum.crdp-creteil.fr/spip.php?rubrique264
4Voir note aux recteurs du ministre
Peillon, « déclinaison au niveau académique de la
stratégie numérique du ministère », datée
de juin 2013 disponible ici :
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/ mencircuinfo.pdf
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