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Volume 28, Numéro 2
Technologies positives pour l'apprentissage
Editorial
Gaëlle MOLINARI (TECFA, Université de Genève &
UniDistance), Fabien FENOUILLET (LINP2, Université Paris Nanterre),
Élise LAVOUÉ (LIRIS, Université Jean Moulin Lyon
3)
En 2007, la revue STICEF publiait un numéro spécial sur les
dimensions émotionnelles de l’interaction dans un EIAH (Nkambou et al., 2007).
Dans la conclusion de leur éditorial, Nkambou et ses collaborateurs
soulignaient qu’il y avait « encore du chemin à
faire » pour « doter les EIAH d’une capacité
affective ».
Quel a été le chemin parcouru pendant ces 14 dernières
années ? Quelle place les émotions et la motivation des
apprenants occupent-elles dans le processus de conception des EIAH
aujourd’hui ? Le présent numéro spécial propose
de répondre à ces questions à travers le prisme d’un
champ de recherche en émergence, les technologies positives pour
l’apprentissage. Ce numéro spécial fait suite à un
atelier organisé dans le cadre des 8es Rencontres Jeunes
Chercheurs en EIAH, dont le but était d’introduire les questions et
concepts de ce champ de recherche auprès de la communauté
EIAH.
Plusieurs objectifs sont rattachés au champ des technologies positives
pour l’apprentissage dont celui de mieux comprendre non seulement le
rôle des émotions et de la motivation dans les situations
d’apprentissage avec le numérique, mais aussi la façon
d’utiliser et de concevoir des EIAH de sorte à favoriser le
bien-être, la motivation et le fonctionnement optimal chez les apprenants
et groupes d’apprenants.
Cet éditorial comporte trois parties introductives, à savoir,
la psychologie positive et ses apports en éducation, les technologies
positives en apprentissage, et les technologies positives pour
l’apprentissage collaboratif. Les cinq articles de ce numéro
spécial font ensuite chacun l’objet d’un résumé
de présentation. La conclusion ouvre sur une série de questions
qu’il s’agira d’explorer au cours de ces (quatorze) prochaines
années.
1. La psychologie positive et l’apprentissage
1.1. Une étude scientifique du développement du plein
potentiel
La psychologie a été traversée
par de nombreux courants depuis sa naissance à la fin du 19e siècle parmi lesquels se trouvent le béhaviorisme, le
structuralisme ou encore le cognitivisme. Ces différents courants forgent
une vision de l’être humain et de son fonctionnement. Pour le
béhaviorisme, le fonctionnement humain n’est pas différent
du fonctionnement animal et la pensée humaine, étant inaccessible,
ne peut faire l’objet d’une étude scientifique. Presque a
contrario, le cognitivisme place la psyché humaine au centre des
préoccupations scientifiques en estimant qu’il est possible de
l’étudier en la considérant notamment sous l’angle du
traitement de l’information.
Même s’il est encore trop tôt pour connaitre
l’ampleur que prendra la psychologie positive, il reste cependant
déjà possible de la considérer comme un nouveau courant de
la psychologie au même titre que le béhaviorisme ou le
cognitivisme. En effet, la psychologie positive propose de considérer
l’homme sous un jour nouveau, celui de ses forces. Différents
auteurs (Martin-Krumm, 2018), (Parks et Schueller, 2014) s’accordent pour dire que c’est Martin Seligman, à la fin des
années 1990, alors qu’il était président de
l’American Psychological Association, qui a eu l’idée
de rassembler les travaux épars sur le bien-être, le
développement personnel ou encore la personnalité. Ces travaux ont
pour visée commune d’appréhender
l’épanouissement des individus comme des institutions. Cette
nouvelle vision de la recherche en psychologie a été plus
clairement formalisée dans un article co-écrit au tout
début du 21e siècle avec Csikszentmihalyi (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000).
Dans cet article, les deux auteurs font le constat que la psychologie du
20e siècle s’est principalement intéressée
aux dysfonctionnements de l’être humain pour tenter de les
résoudre. Ils pointent les forces et les faiblesses de cette
démarche pour finalement proposer une nouvelle approche, celle de la
psychologie positive.
Il existe actuellement de nombreuses définitions de la psychologie
positive. Celle que proposent Vallerand et Bragoli-Barzan (Vallerand et Bragoli-Barzan, 2019) a l’avantage d’être en français et d’être
proposée par des spécialistes reconnus de cette nouvelle
discipline. Pour eux, il s’agit de l’« étude
scientifique et de l’application scientifiquement guidée des
facteurs qui amènent les individus et organisations à se
développer et à atteindre leur plein potentiel » (p.
21). Cette définition permet de saisir le principal objectif de la
psychologie positive, à savoir étudier le développement du
plein potentiel. Il ne s’agit pas ici de confondre plein potentiel et
performance. Autrement dit l’objectif de la psychologie positive
n’est pas d’amener les salariés à battre leurs
concurrents ou les enfants à améliorer leurs notes. Cette
confusion et l’irruption en force, dans l’espace francophone, de
recherches et de pratiques innovantes issues de ce nouveau courant, expliquent
sans doute la défiance qu’il rencontre aujourd’hui
auprès de certains et qui repose sur de nombreux malentendus (Bouffard, 2019).
Comme le souligne Shankland (Shankland, 2014),
le plein potentiel ne réfère pas au fonctionnement maximal mais au
fonctionnement optimal décrit comme celui de l’individu qui
« se considère comme étant en pleine possession de
ses moyens » (p. 6). La psychologie positive est une discipline
scientifique, et sa visée est principalement de comprendre ce qui
caractérise la pleine possession par l’individu de ses moyens,
ainsi que les déterminants qui lui permettent d’y parvenir (et de
s’y maintenir). Il s’agit notamment de comprendre comment la
personnalité, la cognition, les comportements et l’environnement
vont favoriser l’épanouissement de l’être humain afin
qu’il puisse atteindre ce fonctionnement optimal. On comprend donc ici
qu’une des questions centrales de la psychologie positive est de chercher
à comprendre et à définir ce fonctionnement optimal. Les
sujets d’étude sur la compréhension du fonctionnement
optimal font appel à de très nombreux concepts comme la joie, la
résilience, l'adaptation, la spiritualité, le courage, la
coopération, la qualité des lieux de vie, le sens de la vie et
bien d’autres encore.
1.2. Le fonctionnement optimal en situation d’apprentissage
Dans ce numéro spécial, notre but est de comprendre comment les
objectifs de la psychologie positive peuvent s’associer à ceux des
technologies numériques, et ce à travers un champ de recherche du
domaine de l’Interaction Humain-Machine (IHM) : la technologie
positive (Botella et al., 2012).
Tout comme la psychologie positive, la technologie positive
s’intéresse au bien-être et au fonctionnement optimal des
individus, des groupes et des organisations, et son objectif est de comprendre
comment exploiter « les possibilités de structuration,
d’augmentation et de remplacement » (p. 78, traduction
libre) offertes par les nouvelles technologies pour favoriser ce fonctionnement
optimal. Le champ de la technologie positive est abordé plus en
détail dans la section suivante.
En plus de la psychologie positive et des technologies, ce numéro
spécial aborde également un domaine qui n’est pas moins
vaste, l’apprentissage. En effet, l’objectif principal de ce
numéro spécial est d’aborder la question des technologies
positives pour l’apprentissage. La question du fonctionnement optimal en
situation d’apprentissage est avant tout liée à
l’implication de l’apprenant. Autrement dit, il s’agit pour
les chercheurs et concepteurs dans le domaine des technologies numériques
pour l’éducation de comprendre comment
« motiver » l’utilisateur apprenant.
La motivation est au cœur du fonctionnement optimal et de la psychologie
positive. Le fonctionnement optimal de l’apprenant suppose qu’il
soit motivé. Le concept de motivation fait référence
à de très nombreuses conceptions dont certaines, comme le flow (qui peut se définir comme un engagement profond dans
l’activité), sont utilisées pour modéliser le
comportement des apprenants dans les environnements numériques
d’apprentissage (voir l’article de Heutte dans ce numéro).
Cependant la motivation ne se réduit pas au flow, et
d’autres conceptions sont sollicitées pour rendre compte de la
façon dont les technologies éducatives peuvent être
conçues et utilisées pour favoriser le fonctionnement optimal de
leurs utilisateurs. Ainsi, la motivation peut être
considérée comme un processus qui articule de grands ensembles de
concepts (Fenouillet, 2017).
Historiquement, la motivation fait référence aux raisons ou
motifs qui nous poussent à agir. De nombreux termes ont été
utilisés pour qualifier ces motifs comme le besoin, l’instinct,
l’intérêt, la curiosité, le but, la valeur,
l’estime de soi, l’émotion, l’intention, etc. De
nombreuses classifications des motifs de nos comportements sont proposées
qui diffèrent en fonction des théories auxquelles elles sont
associées, comme les buts de maîtrise ou de performance (Dweck et Leggett, 1988) ou encore les motifs intrinsèques ou extrinsèques (Deci et Ryan, 2002).
Cependant, les recherches ont mis en évidence qu’il ne suffit pas
d’avoir un motif pour agir, il faut également estimer être
capable de réaliser le comportement souhaité pour assouvir ce qui
restera sinon, une simple envie (Bandura, 2003).
Il faut donc être en mesure de prédire ce qui va se produire pour
être motivé, sans cette prédiction l’être humain
comme l’animal risque de se résigner (Peterson et al., 1993).
Le motif et la prédiction sont indispensables à la motivation
mais ne suffisent pas pour atteindre certains résultats qui
nécessitent de prendre la bonne décision mais aussi la mise en
place de la bonne stratégie. Dans la deuxième moitié du
20e siècle, de nombreuses théories
« motivationnelles » ont mis en évidence que la
motivation était aussi une question de décision quand on pense,
par exemple, au problème que pose notamment la procrastination (Steel, 2007) ou
encore l’enlisement de l’engagement qui conduit les individus
à prendre des décisions absurdes (Staw, 1981).
Du fait de la complexité du concept motivationnel, différents
motifs peuvent être mobilisés pour comprendre les causes de la
motivation chez l’apprenant. Par ailleurs, certaines théories
motivationnelles ont été spécialement
développées pour rendre compte des raisons de l’utilisation
(ou non) des technologies, comme c’est le cas pour le modèle
d’acceptation des technologies (Davis, 1989).
Certains auteurs vont donc privilégier une explication de la motivation
en termes de motifs autodéterminés, là ou d’autres
vont plutôt chercher à faciliter l’usage de l’interface
et les émotions bénéfiques à l’apprentissage
qu’elle suscite. Dans tous ces cas, le point commun sera la motivation de
l’apprenant dans les situations d’usages du numérique, avec
toutefois un focus sur différents aspects du processus motivationnel.
2. Des technologies « positives » en
apprentissage ?
2.1. La conception de technologies dites
« positives »
Botella et al. (Botella et al., 2012) sont parmi les premiers à avoir parlé de technologies positives.
Plus récemment, Calvo et Peters (Calvo et Peters, 2014), (Calvo et Peters, 2015) ont prôné la création d’un nouveau domaine de
recherche qu’ils nomment l’informatique positive, et qu’ils
définissent comme l’évaluation et la conception
d’expériences numériques qui soutiennent les
déterminants du bien-être, à savoir, l’autonomie, la
compétence, la relation sociale, la compassion, l’engagement et le
sens. Les études sur le sujet mettent en avant que la personne et
l'environnement avec lequel elle interagit déterminent tous deux la
motivation et le comportement. Ainsi, l’individu et son environnement
s’influencent mutuellement et co-évoluent en permanence (Deci et Ryan, 1985), (Higgins, 1997).
Cette vision implique de prendre en compte dans la conception
d’environnements numériques non seulement les
caractéristiques individuelles, mais également les
caractéristiques de la situation dans laquelle est placé
l’individu. Zhang (Zhang, 2008) considère l’environnement de l’utilisateur comme étant
composé de la technologie, avec ses caractéristiques et les
capacités associées, mais également des influences
relationnelles et socioculturelles. Il introduit le terme d’affordances
motivationnelles pour désigner ce que doivent offrir les technologies
pour permettre une interaction optimale.
Le terme d'affordance fait référence aux
propriétés actionnables entre un objet et un acteur (Gibson, 1977), (Norman, 1999).
Les affordances motivationnelles comprennent les propriétés d'un
objet qui déterminent si, et comment, il peut soutenir les besoins
motivationnels d'une personne, afin que celle-ci se sente
intéressée (et ainsi s’engage) et ressente du plaisir (et
ainsi en veuille plus). Selon Zhang (Zhang, 2007), le
but ultime de la conception d'une technologie est d'atteindre un niveau
d’affordance motivationnelle élevé afin que les utilisateurs
soient attirés par cette technologie, qu'ils aient vraiment envie de
l'utiliser et qu'ils ne puissent pas s'en passer. Il propose dix principes de
conception de technologies dites positives, en empruntant une perspective
motivationnelle : soutenir l’autonomie, promouvoir la
représentation de soi, apporter un challenge optimal, offrir un feedback
positif, faciliter l’interaction humain-humain, représenter les
liens sociaux, faciliter les besoins d’influencer les autres et
d’être influencé par d’autres, induire des
émotions positives et induire les émotions attendues.
Au-delà de ces affordances motivationnelles artefactuelles, Deterding (Deterding, 2011) insiste sur la prise en compte des affordances motivationnelles situationnelles,
qu’il définit comme les possibilités de satisfaire les
besoins motivationnels découlant de la relation entre les
caractéristiques d'un objet et les capacités d'un individu dans
une situation donnée. Selon cette approche, la situation offre ses
propres caractéristiques motivationnelles (affordances situationnelles)
et façonne l'utilisation, la signification et ainsi les affordances
motivationnelles offertes par l’objet dans cette situation (affordances
artefactuelles). L’un des principaux enjeux de la conception de
technologies dites « positives » est alors d’offrir
ces deux types d’affordances motivationnelles dès le début
de l’activité, puis de les maintenir en répondant aux
besoins de l'utilisateur.
2.2. Des technologies pour une expérience d'apprentissage
« optimale »
La conception d’une interaction optimale, telle que définie
précédemment, représente un véritable enjeu pour les
environnements numériques d’apprentissage. Dans le cadre des
apprentissages, les technologies positives font principalement
référence aux recherches qui visent à faciliter le
bien-être et la motivation des apprenants. Une technologie n’est ni
positive ni motivante en soi, « la technologie en elle-même
est neutre » soulignent Botella et al., (Botella et al., 2012).
C’est l’expérience d’apprentissage offerte et son
adéquation aux besoins des apprenants dans une situation donnée
qui vont la rendre motivante. Cela nécessite la prise en compte de
l’impact de l’environnement numérique sur
l’expérience d’apprentissage elle-même dès
l’étape de conception, par exemple sur les émotions, le
sentiment de compétence ou encore l’engagement des apprenants.
Dans le domaine de l’éducation, l'émergence de nouvelles
technologies (outils mobiles, robots, réalité virtuelle) apporte
de multiples manières de générer des expériences
positives chez les apprenants. Il existe en effet de nombreux exemples de
recherches qui visent globalement à « optimiser »
l’utilisation des technologies dans différents cadres comme
c’est le cas pour les serious games (Abt, 1975), (Zyda, 2005),
l'utilisation de l'informatique à des fins thérapeutiques (Porter, 1978) ou
encore le développement personnel (Eysenbach, 2008).
Faisant suite aux travaux de Seligman et Csikszentmihalyi (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000),
Botella et al. (Botella et al., 2012) font le recensement de nombreuses technologies qui s’appuient sur les
possibilités de structuration, d’augmentation ou de remplacement
pour promouvoir le fonctionnement optimal et la qualité de
l’expérience personnelle. Ils proposent une classification en trois
catégories des technologies positives, en fonction de leurs effets sur
l'expérience des utilisateurs, à savoir :
- Des technologies hédoniques conçues pour induire
certaines émotions, généralement positives et
agréables. Ces technologies font référence aux domaines de
l'informatique affective et du design émotionnel.
- Des technologies eudémoniques créées pour
soutenir une expérience engageante, la réalisation de soi et le
développement personnel. Ces technologies couvrent les domaines de
l'informatique persuasive, de la ludification, du jeu sérieux, de la
simulation et de la réalité virtuelle.
- Des technologies sociales et interpersonnelles utilisées
pour soutenir et améliorer l'intégration sociale ou la mise en
relation entre individus, groupes et organisations, telles que les
réseaux sociaux.
Dans le domaine de l’éducation, les technologies
eudémoniques sont présentes depuis de nombreuses années
principalement sous la forme de serious games. Plus récemment,
elles font également référence à la question de la
ludification. L’utilisation des ressorts ludiques est censée
motiver l’apprenant même si, dans les faits, la méta-analyse
de Wouters et al. (Wouters et al., 2013) montre que l’action de la motivation dépend de la condition
contrôle qui est utilisée. A titre d’exemple, l'étude
de Parchman et al. (Parchman et al., 2000),
concernant une formation intensive de techniciens, montre qu’un serious
game peut être plus motivant que le cours en présentiel, sans
présenter cependant de différence avec un didacticiel. Les
recherches sur le serious game tiennent cependant bien souvent pour
acquis que l’utilisation de cette technologie procure de l’amusement
qui va motiver l’apprenant, si bien que très peu
d’études cherchent à mesurer la motivation (Wouters et al., 2013),
s’intéressant principalement au gain d’apprentissage.
Certains travaux cependant s’intéressent à
l’engagement perçu par les apprenants que Bouvier et al. (Bouvier et al., 2014a) identifient comme étant un état apparaissant lorsque les facteurs
d’immersion liés au média (forme du jeu) et les facteurs
liés au scénario et contenus répondent aux
caractéristiques et attentes des joueurs (perceptuelles, intellectuelles,
interactionnelles). Brockmyer et al. (Brockmyer et al., 2009),
quant à eux, insistent sur son aspect progressif :
l’engagement évolue de l’immersion (niveau le plus bas),
à la présence, au flux, pour finalement atteindre
l’absorption psychologique (niveau le plus élevé). Selon la
même approche, Jennett et al. (Jennett et al., 2008) soulignent que l’expérience psychologique d’engagement dans
un jeu n’est pas forcément optimale comme l’entend la notion
de flow, mais que différents niveaux d’immersion fluctuent
en fonction des tâches effectuées. Les facteurs motivationnels
propres à l’apprenant-joueur, notamment les sentiments de
compétence et d’auto-efficacité, s’appliquent aussi
bien au contenu d’apprentissage qu’au jeu lui-même (Sutter Widmer et Szilas, 2015),
et sont difficilement dissociables. Certaines mesures de l’engagement, le
plus souvent subjectives, sont recueillies via des questionnaires comme ceux
proposés par Jennett et al. (Jennett et al., 2008) pour mesurer l’attention accordée, par Brockmyer et al. (Brockmyer et al., 2009) pour mesurer l’immersion, par Sweetser et Wyeth (Sweetser et Wyeth, 2005) pour évaluer le niveau de plaisir éprouvé dans les jeux
à partir d’un modèle nommé GameFlow, ou encore par Fu et al. (Fu et al., 2009) qui proposent « EGameFlow », une échelle de mesure
spécifique aux jeux pédagogiques. D’autres approches
reposent sur l’analyse des traces d’interactions des
apprenants-joueurs pendant le déroulement du scénario, selon le
courant des learning analytics (Bouvier et al., 2014b).
Ainsi, l’exemple des serious games illustre à quel point la
notion d’engagement et plus largement de fonctionnement optimal des
apprenants à travers la technologie est complexe, multidimensionnelle et
difficilement identifiable.
Les technologies dites hédoniques sont moins
développées, bien que l’importance des émotions dans
les apprentissages soit aujourd’hui bien reconnue. Les émotions des
apprenants ont un impact significatif sur les processus et les résultats
d'apprentissage (Pekrun et al., 2011).
Les émotions positives, et en particulier celles qui sont liées
à l’activité et son résultat, comme la
curiosité et le plaisir, aident les apprenants à se concentrer
davantage sur la tâche, à renforcer leur motivation à
apprendre ou à faciliter l'autorégulation (Wolters, 2003).
Les émotions négatives peuvent avoir des effets néfastes
car elles détournent l'attention des apprenants de la résolution
de problèmes, consomment des ressources cognitives et inhibent les
performances, en particulier dans les tâches d'apprentissage complexes (Pekrun, 2014).
Les technologies dites « affectives » vont le plus souvent
prendre la forme de systèmes de tutorat intelligents qui détectent
automatiquement les émotions des apprenants et leur renvoient un feedback
automatique, ou interviennent dans le processus d’apprentissage en
s’adaptant automatiquement à l’apprenant.
« Affective AutoTutor » (D’Mello et Graesser, 2012) est l’un des systèmes de tutorat intelligents les plus connus. Les
émotions ont une valeur diagnostique (Boekaerts, 2010),
pour l'enseignant comme pour l’apprenant lui-même, car elles sont
révélatrices des processus et stratégies cognitifs mis en
œuvre. Ainsi, d’autres recherches, moins développées
dans le domaine des technologies affectives, s’intéressent à
encourager les apprenants à utiliser les émotions ressenties dans
l’objectif de favoriser l’autorégulation et la
réflexivité (Lavoué et al., 2020), (Lavoué et al., 2015), (Lavoué et al., 2017), (Molinari et al., 2016), (Montero et Suhonen, 2014), (Ruiz et al., 2016) ou encore à aider le tuteur à suivre les émotions des
apprenants pour adapter son feedback (Ez-Zaouia et al., 2020) (Leony et al., 2013).
Les technologies positives dites sociales et interpersonnelles sont
abordées plus en détail dans la section suivante.
3. Les technologies positives pour l’apprentissage collaboratif
3.1. Des technologies sociales positives
La troisième catégorie de technologies
positives est une catégorie qui s’adresse au niveau social,
interpersonnel, au « soi partagé », et qui inclut des
technologies dont l’objectif est de soutenir et favoriser la mise en
relation des individus, des groupes et des organisations. Riva et al. (Riva et al., 2020) reprécisent les objectifs que ce type de technologies doit permettre
d’atteindre, notamment en période de pandémie Covid-19,
à savoir : favoriser le partage de valeurs (value sharing),
la réalisation d’activités communes (shared
activities), le soutien aux autres (to care for others) et
l’épanouissement au sein du groupe (to grow in community
life) (p. 583). Il s’agit donc pour les technologies sociales non
seulement de mettre en relation (réduire le sentiment d’isolement,
favoriser le sentiment d’appartenance au groupe), mais également de
promouvoir des relations interpersonnelles de qualité (authentiques,
bienveillantes, soutenantes, enrichissantes, constructives). Riva et al. (Riva et al., 2012) soulignent que l’un des enjeux auxquels il convient de répondre est
de comprendre comment concevoir et utiliser des technologies de façon
à soutenir la présence sociale à distance,
c’est-à-dire à motiver les individus à interagir dans
les environnements numériques et à persévérer dans
une telle dynamique relationnelle (Androwkha, 2020).
Les relations interpersonnelles font partie, avec les émotions
positives, l’engagement, le sens et l’accomplissement, des
dimensions susceptibles de favoriser le bien-être psychologique (Seligman, 2018).
Zeiner et al. (Zeiner et al., 2016) ont mené 200 interviews pour rendre compte des expériences
positives au travail, et ont montré que 79% de ces expériences
impliquent des interactions avec d’autres personnes, en l’occurrence
des collègues considérés comme égaux dans la
hiérarchie de l’entreprise. Les mêmes chercheurs ont
également identifié cinq catégories
d’expériences positives avec autrui, dont des expériences
d’aide (aider les autres, recevoir de l’aide, enseigner aux autres),
de flow collectif (résoudre un problème, faire
l’expérience de la créativité), de contrôle
(établir des priorités, garder trace des réalisations,
terminer une tâche), et de communauté (être connecté
avec les autres, échanger des idées, créer quelque chose
ensemble, contribuer à quelque chose de plus grand). Le feedback (en
recevoir et en donner, se voir lancer et lancer un défi) est la
dernière catégorie recensée. Elle est associée
à différentes émotions positives (fierté,
soulagement, gratitude, confiance) et a pour particularité de jouer le
rôle de variable médiatrice pour les quatre autres
catégories (par ex., le fait de recevoir un feedback peut permettre
d’achever une tâche difficile). Ces cinq dimensions telles que
décrites ici sont récapitulées dans les figures 1 et 2 de
l’article de Zeiner et al. (Zeiner et al., 2016, p. 3017).
Les chercheurs utilisent ces différentes catégories
d’expériences positives pour faire des propositions en
matière de conception de technologies positives pour les entreprises,
comme des outils de feedback dont le but est d’encourager les
salariés en leur fournissant des statistiques de succès
personnalisées, couplées à des messages de gratitude que
des collègues ont souhaité leur adresser.
3.2. Quelles technologies pour une collaboration
« optimale » en situation d’apprentissage ?
L’apprentissage collaboratif et coopératif réfère
à une famille de méthodes pédagogiques dont les effets
positifs sur la réussite scolaire et académique sont largement
documentés (Johnson et Johnson, 2002), (Johnson et al., 2014a).
Dans une situation d’apprentissage collaboratif et coopératif, le
travail des apprenants est organisé selon un principe
d’interdépendance positive : ils sont réunis autour
d’objectifs communs à atteindre ; leurs actions sont
étroitement liées à celles de leur(s) partenaire(s) ;
leur réussite conditionne et dépend de la réussite de
leur(s) partenaire(s) ; ils ont pour responsabilité non seulement
d’accomplir leur part du travail mais également d’aider les
autres à accomplir la leur (Deutsch, 1949), (Johnson et al., 2014b).
Johnson et al. (Johnson et al, 2014a) montrent, par le biais d’une méta-analyse, que les situations
d’interdépendance positive tendent à favoriser une plus
grande motivation auprès des individus en comparaison à des
situations de compétition (interdépendance négative) ou
d’absence d’interdépendance. De surcroît, une
augmentation de la motivation est associée à une augmentation des
performances à la tâche, et cette relation positive est
d’autant plus forte que les individus sont liés par des relations
d’interdépendance positive. Selon Eligio (Eligio, 2010),
collaborer pour apprendre est une situation qui motive car
l’interdépendance positive qu’elle implique est susceptible
de procurer des émotions positives. Buchs et al. (Buchs et al., 2004) montrent ainsi que les apprenants regroupés en dyades ont plus de
réactions affectives positives (par ex., ils encouragent davantage leur
partenaire) lorsqu’ils sont interdépendants (plutôt
qu’indépendants) sur le plan des ressources : dans un premier
temps, chacun travaille sur des informations différentes mais
complémentaires (plutôt qu’identiques) pour, dans un second
temps, les expliquer à l’autre.
Travailler en groupe pour résoudre un problème peut toutefois
s’avérer une tâche complexe, pouvant alors susciter des
émotions négatives comme de la honte, de la frustration ou encore
du désespoir, notamment lorsque les apprenants ne se sentent pas en
capacité de produire les actions nécessaires pour réussir
la tâche (Avry et al., 2020).
La collaboration n’est bénéfique à
l’apprentissage que sous certaines conditions, en l’occurrence
lorsque les contributions des apprenants sont constructives (elles apportent ou
font la demande d’informations nouvelles) et transactives (elles [se]
construisent sur les précédentes contributions des partenaires),
et lorsque les tours de parole sont fréquents et répartis de
façon égale entre les apprenants (symétrie de
participation) (Menekse et Chi, 2019), (Weinberger et al., 2007).
Par ailleurs, collaborer demande aux apprenants de gérer de façon
mutuelle non seulement l’espace cognitif, c’est-à-dire les
activités cognitives et métacognitives qui permettent de
réaliser la tâche, mais également l’espace
relationnel, c’est-à-dire les activités
socio-émotionnelles requises pour construire une représentation
partagée et maintenir la cohésion et le bien-être au sein du
groupe (Barron, 2003).
Dans sa troisième étude, Avry (Avry, 2021) montre
que la qualité relationnelle (perçue) de la collaboration peut
avoir une influence sur l’effort cognitif que les apprenants fournissent
pour résoudre la tâche, et est également fonction des
stratégies que ces derniers mettent en œuvre pour réguler
leurs émotions et celles de leur partenaire.
A ce jour, dans le domaine de l’apprentissage collaboratif
médiatisé par ordinateur (Computer-Supported Collaborative
Learning ou CSCL), les recherches se sont surtout centrées sur
l’étude des facteurs et processus (socio-)cognitifs de
l’apprentissage collaboratif. Comme le soulignent Radkowitsch et
al. (Radkowitsch et al., 2020),
les études CSCL qui intègrent des mesures de la motivation sont
rares, et les conceptualisations de la motivation sur lesquelles elles
s’appuient sont diverses ce qui rend difficile l’exercice de
généralisation des résultats (notamment ceux relatifs
à l’effet des scripts collaboratifs sur la motivation, focus de la
méta-analyse de Radkowitsch et ses coauteurs. Il en est également
de même pour les recherches qui s’intéressent aux
émotions et à leur relation avec les processus collaboratifs (Avry, 2021), (Avry et al., 2020), (Molinari et al., 2017).
Par ailleurs, les technologies étudiées dans le domaine CSCL
visent à soutenir davantage les processus rattachés à
l’espace cognitif de la collaboration que ceux rattachés à
l’espace relationnel. Ainsi, concevoir des technologies pour favoriser le
bien-être et la motivation dans l’apprentissage collaboratif est un
objectif relativement récent. Les outils d’awareness peuvent
être conçus et utilisés dans l’objectif de
répondre à un tel objectif. Ce sont notamment des outils qui vont
inciter les apprenants, à différents moments de la tâche
collaborative, à s’exprimer sur la qualité des comportements
sociaux au sein de leur équipe (voir l’outil Radar de Phielix et
al. (Phielix et al., 2011),
sur leur niveau de motivation (voir l’application mobile S-REG de
Järvenoja et al. (Järvenoja et al., 2020) ou lorsqu’ils les invitent à partager les émotions
qu’ils ressentent à leur partenaire (voir l’outil
d’awareness émotionnel de Molinari et al. (Molinari et al., 2013),
mais également celui de Feidakis et al. (Feidakis et al., 2014).
Ces outils d’awareness peuvent être augmentés par des
systèmes d’aide ou de recommandation dont le but est d’aider
les apprenants à réguler les émotions ressenties pendant la
collaboration. Il est alors question de régulation incitative comme
c’est le cas avec l’outil d’échantillonnage
socio-émotionnel de Bakhtiar et al. (Bakhtiar et al., 2018) qui propose aux apprenants d’identifier ce qui a pu provoquer les
émotions qu’ils ressentent et de réfléchir à
une stratégie pour les réguler. Les recherches sur les effets des
technologies socio-numériques qui encouragent les apprenants à
travailler sur les émotions ressenties au cours de la collaboration sont
encore peu nombreuses mais leurs résultats sont encourageants. Par
exemple, Eligio et al. (Eligio et al., 2012) mais aussi Avry et al. (Avry et al., 2020),
Avry et Molinari (Avry et Molinari, 2018) ou encore Molinari et al. (Molinari et al., 2013) montrent que le fait d’inciter les apprenants à partager leurs
émotions peut apporter de nombreux bénéfices comme
améliorer la compréhension du partenaire (élément
important en situation de collaboration à distance où il est
généralement plus difficile de connaître l’autre et,
en particulier, savoir ce qu’il ressent), favoriser le bien-être,
maintenir la motivation du groupe à réussir la tâche et
améliorer la qualité de la relation, notamment lorsque les
apprenants ont de faibles compétences de régulation
émotionnelle.
4. Les questions abordées dans ce numéro spécial
Cinq articles composent ce numéro
spécial, dont un article théorique et quatre articles empiriques.
L’article théorique (Heutte) rend compte des origines de la
psychologie positive, du concept de flow et de la technologie positive.
Parmi les articles empiriques, trois abordent la dimension des émotions
tandis que le quatrième s’intéresse à la motivation
et l’engagement des apprenants. Ainsi, deux articles
s’intéressent à l’expérience
émotionnelle dans des situations d’apprentissage qui utilisent des
technologies émergentes en éducation comme le jeu sérieux
(Galaup et al.) et la réalité virtuelle (Brigaud et
al.), un article s’interroge sur la façon de concevoir des
environnements numériques d’apprentissage pour favoriser un climat
de confiance (Samaniego Cho et al.) et un article porte sur la
ludification expressive adaptative, une approche de conception basée,
entre autres, sur les affordances motivationnelles de l’environnement
numérique d’apprentissage (Lavoué et Serna).
Jean Heutte propose une articulation du concept de flow avec celui
d’expérience optimale en lien avec l’évolution de la
psychologie au cours 20e siècle. Cette articulation permet de
comprendre en quoi le concept de flow a favorisé la naissance de
la psychologie positive à l’entrée du 21e siècle. En effet, le concept de flow a ceci de particulier
qu’il a été conceptualisé à l’origine
par l’un des deux fondateurs de la psychologie positive : Mihaly
Csikszentmihalyi. Jean Heutte s’attache tout autant à
décrire la psychologie positive que le concept de flow pour
finalement en montrer toutes les implications et applications dans le domaine
des technologies éducatives. Le lecteur pourra également
découvrir que si le flow est sans conteste un atout majeur pour
l’apprentissage, notamment au travers de l’absorption cognitive, cet
engagement peut nourrir quelques désillusions voire, dans certains cas,
faire basculer « l’apprenti sorcier » vers le
côté obscur. Enfin, la conclusion de l’article se donne pour
ambition de dessiner les premières ébauches d’une
définition du champ des technologies positives pour
l’apprentissage.
L’article rédigé par Michel Galaup, Hervé Pingaud,
Catherine Pons-Lelardeux et Pierre Lagarrigue, propose une démarche de
conception et d’évaluation en situation réelle
d’apprentissage du serious game CLONE destiné à la
formation d’élèves-infirmiers. Les auteurs abordent la
question de l’expérience positive d’apprentissage sous
l’angle de l’équilibre entre le niveau de difficulté
de la tâche et les compétences du sujet, de manière à
proposer une expérience adaptée et surtout réalisable dans
le temps de la formation. Ils questionnent l’émotion et le
bien-être procurés lors de la séance d’utilisation de
CLONE, ainsi que l’impact sur les apprentissages perçus,
observés à l’aide de traces numériques
d’interaction et de questionnaires.
Emmanuelle Brigaud, Lucie Bachelard, Julien Vidal, Aude Michel et Nathalie
Blanc s’interrogent sur les apports de la réalité virtuelle
à l’apprentissage, et ce, dans le contexte particulier d’un
environnement artistique dédié à l’exploration de
l’œuvre de Salvador Dali. Dans cette recherche, trois conditions ont
été comparées, une condition où les participants
exploraient l’environnement par le biais d’une vidéo en
360° visionnée sur l’écran d’un ordinateur et
deux conditions où l’exploration se faisait via un casque de
réalité virtuelle (RV). Dans la condition de vidéo,
l’exploration était passive ce qui était aussi le cas dans
une des deux conditions de RV où les participants n’avaient pas le
contrôle sur leurs déplacements (métaphore des rails). En
revanche, l’exploration était active dans la condition de RV
où les participants pouvaient contrôler leurs déplacements
(métaphore de la téléportation). Les questions de recherche
concernent les effets de la RV et des conditions de navigation sur la
mémorisation des éléments de l’environnement
artistique, le ressenti émotionnel des participants et leur satisfaction
à l’égard de l’environnement. Les résultats
montrent que les participants font l’expérience
d’émotions positives comme l’émerveillement,
l’intensité de ces émotions ne variant toutefois pas entre
les conditions. Par ailleurs, la possibilité offerte par la
réalité virtuelle de naviguer de façon active dans
l’environnement artistique renforce son caractère ludique et
favorise la mémorisation de ses éléments.
José Samaniego Cho, Stéphanie Mailles Viard Metz, Julien Vidal
et Nathalie Blanc s’intéressent à la confiance en situation
d’apprentissage. Dans cette recherche, deux groupes de participants,
l’un caractérisé par un haut niveau initial de confiance (ou
confiance généralisée), l’autre par une faible
confiance généralisée, ont participé à un jeu
économique sur ordinateur (le jeu de la confiance). Deux versions de
l’environnement de jeu ont été comparées, l’une
suscitant de la confiance, l’autre de la méfiance. Ces deux
versions ont été obtenues en faisant varier les
caractéristiques de l’interface (photographie et prénom des
joueurs) et l’importance des sommes reçues (élevées
vs. faibles). Plusieurs données physiologiques ont été
collectées dont les mouvements oculaires (Tobii® modèle X2-60)
et les expressions faciales (module Affectiva®). Les résultats
montrent l’importance d’aménager l’environnement
d’apprentissage de façon à créer un climat de
confiance et à susciter des émotions positives. La conclusion de
l’article offre des perspectives de recherche intéressantes sur la
conception d’interfaces utilisant des technologies positives.
Elise Lavoué et Audrey Serna proposent une approche conceptuelle et
pragmatique pour une ludification adaptative expressive des environnements
numériques d’apprentissage. Elles font une synthèse des
recherches sur les effets de la ludification sur la motivation et
l’engagement des apprenants et montrent que les résultats de ces
recherches sont mitigés voire contradictoires. A l’issue de cette
synthèse, elles introduisent la notion de ludification expressive, et
proposent la théorie de l’autodétermination et le concept
d’affordances motivationnelles comme socle théorique de cette
approche de conception. Elles identifient également différents
enjeux associés à la ludification expressive comme la prise en
compte des caractéristiques situationnelles, individuelles et de la
variation de l’engagement en cours d’apprentissage. Elles font
ensuite une revue des méthodes et outils qui prennent en compte le
contexte d’apprentissage et les apprenants lors de la conception. Enfin,
elles proposent de considérer l’adaptation dynamique de la
ludification comme approche complémentaire et nécessaire pour
faire face aux fluctuations de l’engagement au cours du temps.
5. Conclusion et perspectives
Les technologies positives pour l’apprentissage
forment un champ de recherche en devenir. Les articles de ce numéro
spécial laissent entrevoir la spécificité de ces
technologies et des approches pour les concevoir. Ils permettent
également d’éclairer les contours des nombreuses questions
qu’il reste à explorer. Parmi ces questions, il y a celles qui
concernent ce qui est visé par ces technologies, à savoir la prise
en compte et la promotion du bien-être et du fonctionnement optimal :
qu’est-ce que le bien-être en situation d’apprentissage et que
veut dire fonctionner de façon positive lorsqu’il s’agit
d’apprendre avec le numérique ? En lien direct avec ces
questions, il y a celles relatives aux méthodologies à utiliser
pour rendre compte de la qualité émotionnelle de
l’expérience d’apprentissage, du bien-être et du
fonctionnement positif chez l’individu en train d’apprendre. Tout
comme des questions éthiques peuvent se poser lorsqu’il
s’agit d’interroger les apprenants sur ce qu’ils ressentent ou
de détecter automatiquement leurs émotions. D’autres
questions concernent la conception proprement dite des EIAH, par exemple :
quelles émotions utiliser et comment les utiliser lors de la conception
pour favoriser l’apprentissage ; comment s’adapter à une
motivation qui fluctue au cours de la tâche, du cours ou de la
formation ? Cette dernière question, qui intègre la variable
temps dans le processus de conception, croise celles en lien avec les usages du
numérique, par exemple : quels effets à court et long-terme
ces usages peuvent-ils avoir sur le bien-être et le fonctionnement optimal
des apprenants ; quels effets au regard de la durée et de
l’intensité des usages, et en fonction des caractéristiques
individuelles des apprenants ? Quatorze années séparent ce
numéro spécial de celui sur les dimensions émotionnelles de
l’interaction dans un EIAH (Nkambou et al., 2007).
Rendez-vous dans quatorze ans pour un bilan des recherches sur les technologies
positives pour l’apprentissage.
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