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Enseigner, accompagner, apprendre, quels changements à
l’heure du numérique ?
Editorial
Laetitia BOULC’H (EDA, Université Paris Descartes)
François-Xavier BERNARD (EDA, Université Paris Descartes)
Georges-Louis BARON (EDA, Université Paris Descartes)
De nouveaux instruments de communication en réseau apparaissent sans
cesse. En éducation, ils occupent une place importante, offrant de
multiples possibilités d’enseignement et de formation à
distance, les dispositifs les plus récents étant les MOOCs et les
classes virtuelles. Dès 2006, les colloques JOCAIR se sont
particulièrement intéressés aux questions posées par
la mise en œuvre en formation de nouveaux instruments de communication
à distance comme les forums, courriels, chats, wiki, blogs et autres.
En 2014, la cinquième édition de ce colloque1 s’est tenue à l’Université Paris Descartes, du
25 au 27 juin 2014 sur un thème d’actualité : la
question de l’enseignement possiblement sans enseignant, le rôle et
la place de ce dernier étant assuré par des agents et ressources
numériques. Cette question peut paraître provocatrice mais force
est de constater que des situations où l’on enseigne à
distance, sans salle de classe et sans contact entre les enseignants et les
apprenants, se généralisent. De telles
évolutions/innovations changent la donne et légitiment que cette
question soit d’actualité.
Le colloque JOCAIR a aussi permis d’échanger sur les nouvelles
formes de relations entre acteurs de l’éducation, en particulier en
milieu scolaire, quand la communication entre eux est instrumentée et de
s’interroger sur la manière dont s’organisent le
contrôle et l’accompagnement de l’action enseignante, tant en
termes de rapports hiérarchiques que d’action collaborative.
Ce numéro spécial a prolongé, par un appel public
à contributions, les thématiques du colloque en élargissant
le questionnement à ce qui concerne les réorganisations de la
relation pédagogique dans un contexte de communication
instrumentée. Volontairement large et pluridisciplinaire, il
s’intéresse aux modifications se produisant tant dans le registre
de la formation et des pratiques des enseignants, que dans celui des conduites
des apprenants.
À l’issue de l’appel à communication, treize
articles ont fait l’objet d’une double relecture par des chercheurs
en Sciences Humaines et Sociales et en Sciences et Technologies de
l’Information et de la Communication. Le processus de relecture a abouti
à la sélection de cinq articles.
Chacune des contributions retenues recourt à une méthodologie
qualitative, fondée sur l’analyse d’observations de
situations d’apprentissage et sur des entretiens réalisés
auprès d’un public varié d’enseignants en poste, de
futurs enseignants en formation, de formateurs ou d’apprenants.
Ce numéro spécial regroupe des articles de recherche qui
s’intéressent à différents dispositifs
instrumentés et ressources numériques : classes virtuelles
synchrones, TNI, radio scolaire, dans des contextes culturels divers :
France, Québec, Burundi.
Les thèmes de recherches ici présentés apportent un
éclairage sur deux sous-thématiques distinctes.
D’une part, certaines portent sur le rôle de l’enseignant,
la nature des accompagnements et des interactions enseignants/apprenants dans la
formation à distance.
Ainsi, l’article de Cathia Papi s’intéresse à
l’évolution du métier d’enseignant à distance
et interroge les changements pédagogiques induits par les
évolutions technologiques dans l’activité des enseignants en
formation à distance (FAD). Les entretiens réalisés
auprès d’enseignants ayant vécu ces différentes
évolutions indiquent d’une part, que la
généralisation progressive d’Internet et des technologies
numériques a modifié le contenu des cours mais également
les modèles pédagogiques. Les conceptions socioconstructivistes
sont partagées par la plupart des enseignants interrogés qui
soulignent l’importance des interactions et du travail collaboratif dans
ces formations. Les modalités d’accompagnement sont
également différentes : la FAD nécessiterait que
l’enseignant échange avec les étudiants, qu’il
réponde à leurs besoins, suive et encourage leur progression.
Ainsi, enseigner à distance augmenterait la proximité puisque
l’enseignant se retrouve à assurer une forme de
« présence à distance ». Le fantasme de
l’enseignement sans enseignant est largement contredit ici,
d’ailleurs les enseignants ne se sentent pas spécialement
privés de leur rôle et préfèrent mettre en avant
l’intérêt des formations à distance pour assurer un
enseignement adapté et accessible à tous.
La contribution de Béatrice Verquin-Savarieau et Hervé Daguet s’inscrit également dans cette première thématique
puisqu’elle est consacrée au développement des classes
virtuelles synchrones dans l’enseignement supérieur et aux
modifications qu’elles sont susceptibles d’engendrer sur la relation
pédagogique enseignant/étudiant qui en résulte. Portant un
regard historique sur la question de la présence en formation à
distance, ce texte interroge le rôle de l’action et de la
médiation de l’enseignant en vue de favoriser le passage vers
l’apprentissage. Il ressort que ces situations d’enseignement
à distance bouleversent la manière d’enseigner,
d’apprendre mais aussi les interactions entre enseignants et apprenants.
L’étude des échanges langagiers souligne ainsi que les
étudiants sont incités à réagir et à
interagir entre eux et avec l’enseignant, et que les pratiques
instrumentées à distance modifient les pratiques
pédagogiques, plaçant l’enseignant dans une posture
d’animateur et de régulateur des interactions.
D’autre part, des contributions portant sur les dispositifs
instrumentés et ressources numériques viennent enrichir ce
numéro spécial. Elles placent au cœur de leur
réflexion la question de l’impact des dispositifs de formation
médiatisés sur les conceptions et compétences des
professeurs des écoles et celle du rôle des dispositifs
instrumentés sur l’acquisition de connaissances chez les
élèves de primaire.
Dans le domaine de la formation, Emmanuelle Voulgre et Stéphanie Netto explorent la place de la Radio Scolaire Nderagakura (RSN) en Afrique, au Burundi
en particulier, et questionnent sa plus-value pédagogique en termes de
supervision et de formation des maîtres. Plusieurs entretiens
réalisés auprès d’enseignants burundais indiquent
qu’ils accordent une place importante à l’oralité et
que, dans ce contexte, la radio scolaire représente pour eux une grande
opportunité de se former et d’améliorer leurs pratiques.
Au-delà des contraintes financières, cette modalité de
formation à distance présente tout de même deux
inconvénients majeurs. Le premier concerne le manque
d’échanges. Dans ce système de communication
unilatéral, les enseignants écoutent mais ne peuvent pas poser de
questions ou confronter leurs points de vue, ce qui appauvrit le dispositif de
formation et conduit les auteurs à se demander s’il ne limiterait
pas la liberté pédagogique des enseignants en les incitant
à appliquer, sans les discuter, les injonctions ministérielles. La
seconde contrainte a trait aux dimensions de supervision et
d’accompagnement. Les auteurs insistent sur l’importance de penser
en amont les contenus des formations à distance pour répondre
efficacement aux difficultés et aux besoins des enseignants.
La question de la formation est également au cœur de la
contribution de Martine Peters, Judith Ouellet St-Denis, Jacques Chevrier et
Raymond Leblanc qui s’interrogent sur les représentations des
futurs enseignants au sujet de l’intégration des TIC dans les
classes de primaire et sur la manière de les former et les sensibiliser
à cette question. Ils montrent que le recours à des enseignements
de techno-pédagogie et la réalisation de cartes conceptuelles par
les futurs enseignants en formation initiale favorisent leurs réflexions
et leur permettent de faire évoluer leurs perceptions sur
l’intégration des TIC en classe. Plus précisément,
les auteurs signalent que les futurs enseignants sont préoccupés
par la question de l’intégration des TIC en classe sans pour autant
les percevoir comme une menace. Ils désirent les intégrer dans
leur classe, les considèrent comme motivants pour les
élèves et utiles pour leur propre développement
professionnel. Par contre, ils n’ont pas vraiment conscience du rôle
qu’elles peuvent jouer dans l’apprentissage des
élèves, ni des modifications qu’elles peuvent engendrer sur
les pratiques pédagogiques. Cet article apporte donc un éclairage
sur les représentations, assez basiques, des futurs professeurs des
écoles et pointe du doigt la nécessité de les former afin
d’agir sur leurs conceptions et de leur faire entrevoir les
possibilités mais aussi les pièges que représente
l’intégration des TIC en classe de primaire.
Ces deux dernières contributions permettent donc d’ouvrir le
questionnement sur deux aspects. Tout d’abord, elles mettent en avant le
rôle des outils numériques connectés dans la formation des
enseignants et non uniquement dans un contexte de classe pour
l’apprentissage des apprenants. Ensuite, elles s’intéressent
à des régions du globe qui n’ont pas les mêmes
traditions, les mêmes politiques éducatives, ni les mêmes
infrastructures et outils de communication ce qui permet de prendre en
considération des dispositifs de formation peu, voire pas utilisés
en France.
L’article d’Olivier Grugier se focalise sur le tableau
numérique interactif (TNI). Ce n’est pas à proprement parler
un outil pour la formation à distance mais il accompagne
l’enseignement, l’enrichit. L’auteur adopte ici un point de
vue original en tentant de montrer comment l’utilisation de cet outil
connecté en classe permet aux élèves de construire un
ensemble de connaissances sur l’objet, sur les éléments
techniques qui le composent et sur la manière dont il fonctionne. Nous
évoquons ici des situations où les TICE ne remplacent pas
l’enseignant mais le secondent en montrant que la familiarisation pratique
de l’enfant avec l’objet lui permet, dans certaines conditions,
d’acquérir des compétences techniques.
Plusieurs questions émergent de la diversité des
thématiques traitées par les contributeurs de ce numéro
spécial :
À l’heure d’internet et devant l’industrialisation
de certaines formations, est-il vraisemblable que les outils
numériques remplacent l’enseignant ? Cette question
n’est pas nouvelle. Comme le suggèrent Musso (Musso, 2009) ou
encore Rinaudo (Rinaudo, 2011) nous sommes face à un décalage entre la vitesse de
développement des technologies et les croyances collectives qui restent
figées sur un fantasme récurrent du remplacement de
l’enseignant par les technologies. Si cela est peu vraisemblable, on peut
se demander dans quelle mesure et à quelles conditions vont
évoluer les modèles transmissifs magistraux, s’orientant
éventuellement vers des pédagogies plus interactives.
Alors, peut-on dire, tout du moins, que l’enseignant s’isole et
s’éloigne des apprenants ? Les résultats des recherches
présentées ici, tout comme celles de Villardier et Do (Villardier et Do, 2008) Paquelin (Paquelin, 2011) ou encore Brassard et Teutsch (Brassard et Teutsch, 2016),
tendent à montrer qu’il n’en est rien, au contraire. De
nouvelles manières d’enseigner à distance peuvent, sous
certaines conditions, créer une sorte de proximité virtuelle
où l’enseignant développe de nouvelles formes
d’accompagnement, où il peut être plus facilement disponible
et où il peut prendre le temps de se pencher sur les
préoccupations et les difficultés des apprenants. La formation
à distance peut également engendrer des nouveaux rapports entre
collègues, enseignants, tuteurs, informaticiens qui sont alors
amenés à collaborer et à se coordonner pour proposer des
cours collectifs au contenu lisible et cohérent. Mais comment faire pour
qu’il en soit ainsi ?
Enfin, quels sont les principaux points de vigilance à
considérer ? Plusieurs problèmes sont mis en avant dans les
contributions de ce numéro spécial. D’abord, la distance ne
peut se passer d’interactions humaines. Cathia Papi explique bien de
quelle manière l’évolution des dispositifs et des pratiques
de formation à distance à conduit la plupart des enseignants qui
s’y sont engagés à adopter des pédagogies plus
interactives. Emmanuelle Voulgre et Stéphanie Netto, pour leur part,
pointent d’ailleurs du doigt l’un des problèmes que pose
l’usage de la radio dans la formation des enseignants :
l’écoute passive qui les empêche de critiquer et
d’échanger sur les contenus diffusés. Peters et al. soulignent également à quel point les futurs enseignants sont
démunis face à ces outils dont ils ne perçoivent pas bien
les possibilités, les limites pour leur propre travail mais aussi pour
les élèves. La formation continue des enseignants doit alors leur
permettre de comprendre comment accompagner les apprenants dans des situations
où la distance et le manque d’échanges peuvent
paraître un frein à l’apprentissage.
Et les élèves dans tout cela ? Comment apprennent-ils
à l’heure d’internet, du numérique et des outils
connectés ? Les contributions de ce numéro spécial
n’ont pas placé cette question au centre de leurs
préoccupations. Oliver Grugier l’aborde toutefois d’une
façon peu conventionnelle en s’intéressant aux
compétences techniques que les élèves acquièrent en
utilisant et en observant leur enseignant manipuler des outils comme le TNI.
À l’heure où les nouveaux programmes de 2016 mettent
l’accent sur les compétences informatiques des
élèves, cette approche prend tout son sens.
Nous observons actuellement une volonté politique d’asseoir les
dispositifs de formation médiatisés au niveau universitaire
notamment, mais aussi de plus en plus dans les niveaux de l’enseignement
primaire et secondaire avec la mise en place des ENT, des systèmes de
classes inversées, des classes mobiles, des outils connectés...
Les contributions de ce numéro spécial ont permis
d’esquisser de nouvelles perspectives de recherche et suggéreront,
nous l’espérons, des pistes de réflexion à
approfondir.
Plusieurs questions mériteraient d’être explorées
dans l’avenir. Du côté des apprenants, comment de nouvelles
modalités de formation, pourraient-elles permettre de toucher davantage
d’étudiants qui, pour des raisons économiques ou
culturelles, n’ont généralement pas accès aux
formations en présentiel classique ? Avec quels effets, surtout
quand s’il s’agit d’apprentissages faiblement couplés
à des institutions de formation ? Comment soutenir les efforts des
élèves en difficultés qui décrochent et abandonnent
leur formation en cours d’année ? Du côté des
enseignants, comment ces nouvelles modalités de formation impactent-elles
leurs rôles et leurs responsabilités dans l’accompagnement de
la construction des connaissances, voire leur statut. Quelles nouvelles figures
d’enseignants vont émerger, entre coaches, médiateurs et
pédagogues ?
1 http://eda.recherche.parisdescartes.fr/jocair-2014
BIBLIOGRAPHIE
Brassard,
C. et Teutsch, P. (2016). Proposition de critères de proximité
pour l’analyse des dispositifs de formation médiatisée. Distances et médiations des savoirs, 5 [En
ligne]. Disponible sur internet.
Musso, P. (2009). Usages et imaginaires des TIC : la
friction des fictions. Dans C. Licoppe (dir.), L’évolution des
cultures numériques : de la mutation du lien social à
l’organisation du travail (p. 201-209). Paris, France : FYP
éditions.
Rinaudo, J-L. (2011). De la toute-puissance à la
contenance. Présence-absence des formateurs sur des forums didactiques.
Dans E. Nissen, F. Poyet, T. Soubrié (dir.), Interagir et apprendre en
ligne (p. 209-221). Grenoble, France : Ellug.
Paquelin, D. (2011). La distance : questions de
proximités. Distances et savoirs, 9 (4), 565-590.
Villardier, L. et Do, K.L. (2008, mai). Le concept de
proximité : un recadrage des pratiques de la FAD ? Communication présentée au colloque GIREFAD, l’ACFAS
« 150 ans de formation à distance : d’où
venons-nous, où allons-nous ? », Québec,
Canada. |