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La classe virtuelle synchrone une substitution
médiatique de l’enseignant pour renforcer la présence en
formation à distance ?
Béatrice VERQUIN SAVARIEAU (Civiic, Université de Rouen),
Hervé DAGUET (Civiic, Université de Rouen)
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RÉSUMÉ : L’introduction
de l’utilisation de classes virtuelles synchrones en enseignement
supérieur n’est pas sans interroger la relation pédagogique
qui en résulte et les évolutions du rôle de
l’enseignant face à une nouvelle forme de dispositif de
communication médiatisée. Après avoir interrogé la
socialisation de la classe virtuelle par la métaphore utilisée,
nous questionnons l’émancipation du diktat de la distance par la
recherche de la présence en formation à partir des pratiques
instrumentées. Des questions anciennes de
« téléprésence » à celles
actuelles de la « présence à distance », cette
recherche interroge dans le recours à la classe virtuelle synchrone, le
rôle de l’action et de la médiation de l’enseignant en
vue de favoriser le passage vers l’apprentissage. Elle s’appuie
à la fois sur des entretiens et l’analyse d’observations
d’enregistrements de classes.
MOTS CLÉS : Classe
virtuelle synchrone, présence, distance transactionnelle, dispositif de
communication médiatisée, multimodalité. |
The virtual classroom synchronous and distance learning pose new challenges for teachers |
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ABSTRACT : This
paper study an educational ICT context : the virtual classroom. We
interviewed and observe blended learning teachers questioning their
pédagogical praticices and role. The two main foci are: First, the
virtual classroom is used as a space for visual representation. What pedagogy
will be use by teacher? Second, the virtual classroom is a blended learning
communication device. Should we think it to be a learning or a socializating
space?
KEYWORDS : Virtual
classroom synchronous, attendance, transactional distance, ICT communication
device, multimodality. |
1. Introduction.
Questionner les réorganisations de la relation
pédagogique dans un contexte instrumenté interroge à la
fois les ruptures que l’on peut constater mais aussi les transformations
de l’expérience qui en résultent, que ce soit pour
l’enseignant ou l’apprenant. De ce fait, tout tentative
d’introduction d’une technologie vise à développer des
usages et questionne les utilisations qui en sont faites, ces dernières
n’étant qu’une étape du processus d’usage (Simonian, 2008).
Pour cela, le processus de médiatisation, de mise en un
« dispositif de communication médiatisée »
interroge tout autant l’ingénierie de formation mise en œuvre
que le design pédagogique, soit comme l’affirme Peraya (Peraya, 2009) « deux dimensions du dispositif de formation » que sont
« les fonctions et les objets ». De cette
médiatisation, trois constats se dégagent, le découplage
que l’on peut observer entre les activités des apprenants et celles
des enseignants (Baron, 2014), la
fonction enseignante en apparence « concurrencée »
par les technologies (Marchand, 1998), (Wallet, 2006), (Power, 2002) et
un amenuisement de la distinction présence/distance au profit d’une
tendance à la généralisation de l’hybridation.
Nous voudrions dans cet article interroger les évolutions du
rôle de l’enseignant intervenant en classe virtuelle synchrone en
enseignement supérieur et les transformations des formes du travail
pédagogique que l’on peut observer. Pour cela, nous interrogeons
dans un premier temps, la métaphore spatiale introduite par ce terme de
« classe virtuelle », d’autant plus quand elle
se déroule à l’université. Dans un deuxième
temps, pour étudier cette question de la présence, il nous a
semblé indispensable de revenir sur le passage qui s’est
opéré des questions de
« téléprésence » qui se
référaient aux modalités de la présence à
distance dans les années 1990, à celles qui interrogent maintenant
les interactions pédagogiques. Par ailleurs, pourquoi penser la formation
à distance à partir du concept de présence et non plus
comme jadis à partir de celui de distance ? Ainsi, nous
présenterons tout d’abord notre protocole de recherche basé
sur des entretiens d’enseignants mais aussi l’analyse des
observations menées à partir des enregistrements de leurs classes.
Puis nous définirons les expressions de l’activité
pédagogique en communication et formation instrumentées. Ceci nous
conduira à constater combien il est surprenant d’enseigner depuis
chez soi et questionne l’espace d’intimité et de travail de
l’enseignant intervenant à distance.
2. Socialisation de la classe virtuelle par la métaphore.
2.1. Faire découvrir la nouveauté par le familier.
Si l’appellation « classe
virtuelle » fait davantage référence à
l’univers de l’école qu’à
l’université, nous constatons cependant que son usage est davantage
répandu dans le domaine de la formation en ligne en entreprises,
plutôt que dans le domaine éducatif. Selon son éditeur
« Adobe Connect1 »
est conçue comme une « solution de conférences sur le
web destinées aux webminaires, ainsi qu’aux réunions et
formations en
ligne 2 »,
le terme de «réunion en ligne» est sans doute celui qui
lui convient le mieux, soit « une application en ligne que
l’on utilise pour diriger une réunion ».
Celui de « classe virtuelle » s’apparente
donc aux usages des formations en ligne, conçue comme une
« salle de réunion » adaptable en fonction des
activités du moment « salle d’attente, salle de cours,
salle
d’étude3 ».
« Cette salle de réunion est constituée de divers
volets d’affichage (modules) et composants. (...) Une salle de
réunion permet aux participants de converser entre eux, de partager
l’écran de leur ordinateur ou des fichiers, de diffuser du son et
de la vidéo, et également de prendre part à des
activités en ligne interactives ».
La classe virtuelle qualifiée d’appellation mal
contrôlée (Wallet, 2012), (Daguet et Savarieau, 2012), (Daguet et Verquin Savarieau, 2014) peut donc renvoyer, même si ce n’est pas son usage exclusif à
un Environnement Informatique pour l’Apprentissage Humain, dont les usages
peuvent être polymorphes et s’adapter à différentes
pratiques pédagogiques. Des « séminaires ou
réunions virtuels » aux « webinaires » (Power et Desjardins, 2012),
ce dispositif médiatisé influencerait-il les pédagogies
mises en œuvre, c’est à dire celles basées sur le
modèle de l’enseignement en classe qui est celui de la
présence (le plus souvent, transmissif, didactique et verbal) ? Le
terme « didactique », désigne ici l’ensemble
des méthodes et techniques de l’enseignement qui
s’intéressent principalement aux moyens de conduire une classe ou
l’enseignement d’une discipline. Autrement dit, la classe virtuelle
constitue-telle une scène qui permette à l’enseignant de ne
rien changer à ses pratiques habituelles, en poursuivant une pratique
pédagogique transmissive (Jacquinot-Delaunay, 2002) ?
La « classe virtuelle » en tant que métaphore
spatiale renvoie à un espace familier qui est celui de la parole du
maître. Pour Beguin-Verbrugge (Beguin-Verbrugge, 2004, p 87) la métaphore permet de rapprocher les techniques nouvelles des techniques
et savoirs déjà intégrés. « Les termes
utilisés sont souvent des emprunts à l’univers quotidien, ce
qui permet de les faire entrer dans la communication sociale
ordinaire ». Il est notable que les concepteurs ont ici voulu
conserver cette pratique, en introduisant une icône à cet effet
(figure 1). Si théoriquement la communication orale spontanée
pourrait avoir lieu en classe virtuelle, il est manifeste que la bande passante
souvent trop faible oblige l’enseignant à gérer
l’ouverture des micros pour l’ensemble des intervenants. C’est
donc bien lui qui, comme en classe, donne la parole, mais cette
possibilité offerte aux étudiants est-elle saisie ou
préfèrent-ils se réfugier derrière
l’écrit, comme cela se fait parfois dans les cours en
présence ? Par ailleurs, les étudiants peuvent
également interagir par écrit via le forum de discussion ici
appelé « conversion », ou bien encore en indiquant
leurs réactions ou émotions, au travers de l’affichage
d’un choix d’icônes sensées faciliter les interactions,
dans une application appelée « définir
l’état ».
Figure 1 • L’imagerie caractéristique
de la communication médiatisée.
2.2. La médiatisation de la formation pour penser le projet de la
distance.
Intervalle mesurable qui sépare deux objets ou deux
personnes4 ou locution adverbale qui
indique une différence, le syntagme « distance »
mobilisé dans le contexte de la formation est polysémique et
nécessite d’être précisé (Triby, 2007), (Peraya, 2014).
Ainsi, plusieurs tentatives ont donc été menées (Bernard, 1999), (Bouchard, 2000), (Fasseur, 2009), (Garrison, 2003), (Jacquinot, 1993), (Jacquinot-Delaunay, 2010), (Jézégou, 2009), (Jézégou, 2010), (Lesourd, 2009), (Moore, 1993), (Paquelin, 2011),
desquelles il ressort que la distance ne se limite pas uniquement à la
dimension la plus souvent retenue qu’est la dimension spatio-temporelle,
mais qu’elle souligne également une absence, un intervalle à
franchir, soit en formation, la non présence physique, autrement dit la
séparation des apprenants de leurs enseignants ou de leurs pairs. Ainsi,
si le mot distance a pour racine « sta », ce qui est
là, le lieu, il peut resserrer en son sein un vide, un
« non-lieu », la distance faisant apparaître alors ce
qui n’existe pas, sauf comme étant une source d’agacement,
une incommodité. De la même façon que l’espace qui
sépare, la distance devient alors un défi à relever, celui
de relier des lieux séparés au travers d’une transaction
(une action à travers l’étendue) et suppose un
« tra-jet » (une traversée de
l’étendue). Ce qui fait dire aux
géographes : « Sans projet la distance n’a
aucun sens, elle n’existe pas. Elle n’est que si elle implique une
relation ; mais c’est aussitôt pour s’annuler » (Brunet, 2009, p. 15).
La distance en formation manifeste donc le décalage spatio-temporel
entre l’acte pédagogique et l’acte d’apprentissage,
mais cette distance se réduirait par la médiatisation de
l’enseignement, soit par la conception et la mise en œuvre de
dispositifs de formation, « processus dans lesquels le choix des
médias les plus adaptés ainsi que la scénarisation occupent
une place importante » (Charlier et al., 2006).
Du cours par correspondance (texte écrit sur support papier), puis de
l’enseignement à distance assisté par l’audiovisuel
(documents écrits + enregistrements audio et vidéo), en passant
par l’ordinateur (documents écrits + enregistrements audio et
vidéo + des fichiers informatisés sous forme de didacticiels),
l’arrivée du web accélère le processus de
médiatisation de l’enseignement, que l’on peut définir
comme le renforcement de la présence intervenant dans les dispositifs de
formation à distance ou hybride (Ardouin, 2007),
ou comme une distance de plus en plus neutralisée par la facilitation de
la mise en relation et les possibilités d’interactions offertes (Dewey, 1938), (Martin et al., 2012).
Nous accordons également une attention toute particulière aux
travaux de Moore portant sur la « distance
transactionnelle » (Savarieau et Daguet, 2013a), (Savarieau et Daguet, 2013b) qui comptent parmi ceux qui contribuent le plus à clarifier les enjeux de
l’enseignement à distance ; la distance relevant bien
d’une conception pédagogique (Moore, 1993, p. 23).
Le degré de distance transactionnelle est déterminé par
trois variables clés qui sont le « dialogue » et la
« structure » de l’enseignement, mais aussi le
« degré d’autonomie » des apprenants (Moore, 1989, p. 4).
Pour ce dernier, la relation pédagogique idéale entre enseignants
et apprenants se définit comme un échange d’idées,
dans le même sens que Holmberg (Holmberg, 1983) qui parle « d’une conversion de nature didactique guidée
et dirigée ». Dialogue et structure sont donc deux variables
indépendantes, mais Moore insiste beaucoup sur la diversité des
distances qui peuvent en résulter (Moore, 1983, p. 158).
Ce qui fera dire à Garrison et Bayaton (Garrison et Bayaton, 1987, p. 14) que : «Le plus important dans la formation à distance
n’est pas la non continuité de la nature de la transaction, mais
bien l'expérience éducative elle-même (...). Le concept
crucial et central dans l'enseignement à distance est, par
conséquent, le contrôle - le produit d'une série
d'interactions complexes qui influencent et déterminent les
résultats de la formation ».
Concernant le choix de la classe virtuelle synchrone, le contrôle
consiste à :
1) respecter les horaires fixés ;
2) faire face en direct à d’éventuels
dysfonctionnements ;
3) tenir ses objectifs pédagogiques tout en réagissant en
direct à toutes sortes de questions.
C’est également tant au niveau technique qu’humain,
s’habituer à la pression générée par la
conjonction de la synchronie et de la multi modalité (nombre
d’applications, documents et interactions à gérer
simultanément), ce que Develotte et Mangenot (Develotte et Mangenot, 2010, p. 6) qualifient de « pression temporelle ». A de nombreuses
reprises, nos interlocuteurs ont souligné qu’en direct, aucune
perturbation n’est acceptable, sous peine d’une perte de
contrôle de la classe virtuelle ; mais qu’ils apprenaient
à faire face à l’imprévu et à connaître
les applications qu’offre cet objet.
2.3. L’émancipation du diktat de la distance par la recherche
de la présence en formation par les pratiques instrumentées.
Les possibilités offertes par l’introduction des nouveaux
médias dans les formations en ligne, invitent à ne plus raisonner
les situations d’apprentissage à partir de la distance
perçue, mais plutôt en terme de distance vécue, soit
à concevoir de nouvelles proximités (Fasseur, 2009), (Peraya, 2014), (Henri, 2011), (Jézégou, 2010), (Paquelin, 2011).
Les dynamiques interpersonnelles d’échanges favorisent-elles
l’activité au sein du dispositif et l’élaboration de
cadres d’expériences partagées et parfois co-construites (Goffman, 1991) ? Quelle
importance du dialogue et de la transaction dans la réussite des
apprenants (Metzger, 2004) ? De
cette façon, en partant de la définition de l’enseignement
dans les pratiques instrumentées proposée par Moore (Moore, 1972, p. 76),
nous considérons qu’il s’agit
de : «l’ensemble des méthodes pédagogiques
dans lesquelles l’acte d’enseignement est séparé de
l’acte d’apprentissage incluant toutefois la communication entre le
professeur et l’étudiant qui sera facilitée par
l’usage du matériel imprimé, mécanique,
électronique ou
autre5 ». Nous soulignerons
le rôle crucial de la prise en compte des situations des apprenants et
l’importance des interactions dans la temporalité des
échanges et dans celle de la formation (Papi, 2014). Les
travaux de Garrison (Garrison, 2009) soulignent le rôle pivot de la présence pour développer les
apprentissages en ligne. Cette présence se décline selon trois
dimensions : socio-affective, cognitive et pédagogique. Pour
Jézégou (Jézégou, 2014, p.119) : « Ces
trois dimensions seraient en interdépendance, tout en jouant un
rôle spécifique dans le fonctionnement du système global
qu’est la présence en e-learning ». Ainsi, comme Paquelin (Paquelin, 2011),
nous retenons le rôle majeur de la présence à distance,
comme condition d’efficience des dispositifs de formation.
3. La classe virtuelle un dispositif de communication et de formation
médiatisées.
3.1. Des questions de
« téléprésence » à celle de
« médiatisation » de la formation.
Repenser la relation pédagogique afin de
renforcer la présence à distance, nécessite la mise en
œuvre d’une communication éducative médiatisée
qui s’appuie sur des objets techniques qui outre la dimension technique,
articule le social et le symbolique. Cette communication
médiatisée semble chercher à « triompher de
l’absence », comme l’indiquent les travaux devenus
incontournables de Jacquinot (Jacquinot, 1993, p. 64),
dans lesquels elle questionne par exemple « la transposition machinale
et machinique de l’acte éducatif, à travers divers
substituts» qui bien souvent «continue de se référer au
modèle paradigmatique du dialogue
maître-élève ». Mais après avoir
interrogé les six types de distance, elle reviendra sur
l’idée d’une « médiation
technologique » afin de recentrer le débat sur la
nécessité de faire circuler les signes de la présence (Jacquinot Delaunay, 2002).
De l’autre côté de l’Atlantique, ce sont les travaux
de Henri (Henri, 1989, p. 35) sur la téléconférence qui interrogent les transformations
des comportements et des rôles respectifs de l’enseignant et de
l’apprenant et qui donnent lieu à trois types de situations
pédagogiques, dont l’objectif est de renforcer et d’enrichir
la démarche d’apprentissage grâce à des interactions
accrues entre les pairs, tuteurs et autres intervants.
Cette centration progressive sur la présence au lieu de la distance,
constitue donc une évolution, dans laquelle les travaux sur les questions
de « téléprésence »,
caractéristiques des années 90 (Henri, 1989), (Lamy, 1985), (Feenberg, 1989), (Harasim, 1990), (Hiltz, 1986) ont
joué un rôle majeur. Peu à peu, avec le renforcement du
nombre des dispositifs médiatisés, c’est le rôle
joué par les médias qui est interrogé, au travers de
l’analyse de la médiatisation et de la médiation, où
se construisent à la fois les connaissances dans une négociation
sociale, et les nouveaux rôles des apprenants et des enseignants (Henri et Kaye, 1985), (Henri, 1992), (Barbot, 2003), (Peraya et Dumont, 2003), (Charlier et al., 2006).
3.2. Le travail pédagogique instrumenté, médiation et
médiatisation : deux formes d’interactivité,
fonctionnelle et intentionnelle.
Nous basant sur la définition du terme de
« dispositif » proposée par Peraya (Peraya, 1999, p. 153),
nous définissons la classe virtuelle comme étant un
« dispositif de communication et de formation
médiatisées », soulignant ainsi la double nature
communicationnelle et formative de l’outil, soit
comme : «une instance, un lieu social d’interaction et de
coopération possédant ses intentions, son fonctionnement
matériel et symbolique enfin, ses modes d’interactions
propres ». Nous interrogeons la communication médiatisée
que l’on peut y observer, soit le « médium »,
en tant qu’intermédiaire obligé qui rend médiate la
communication entre les interlocuteurs (documents numériques comportant
images, textes, vidéos, sondages), mais aussi le
« média » et le
« médiateur ». Le premier correspond aux moyens de
communication de masse et le second au passeur, au facilitateur, mais non
à un filtre incontournable. Ainsi, selon la définition
d’Anderson (Anderson, 1988, p. 11),
un dispositif médiatique est : «Une activité humaine distincte qui organise la réalité en textes lisibles en
vue de l’action ». Communiquer ne consiste donc pas
uniquement à transmettre des messages (un contenu dans le domaine de la
formation), mais constitue fondamentalement un acte social qui s’inscrit
dans le jeu des interactions entre apprenants et enseignants. Outre le ton, la
formulation, le mode du discours (narratif, descriptif, explicatif,
argumentatif), la spécificité de cette communication doit
s’adapter aux caractéristiques du public visé. Par
conséquent, loin de constituer une fin en soi, les pratiques
pédagogiques instrumentées doivent démontrer leur
plus-value et favoriser les pédagogies de l’apprentissage
plutôt que de les restreindre, et être centrées sur le
rapport apprenant-savoir. En cela, elles interrogent à la fois
l’activité de l’apprenant dans sa construction du savoir et
le rôle joué par l’enseignant dans ces apprentissages.
« Ce sont des pédagogies des moyens d’apprendre, de la
réussite, qui nécessitent la mise en place d’une
instrumentation pédagogique et didactique avec médiation de
l’enseignant » (Altet, 1997, p. 15).
De ce fait l’analyse de la pédagogie qui passe par une
communication médiatisée, interroge les composants du
dispositif ; démarche qui a été opérée
par Peraya (Peraya, 1999, p. 158) et dont nous reprenons ci-dessous les caractéristiques (figure 2) :
1- les modes et pratiques de production dans leur contexte (individuel,
collectif, institutionnel, privé, contraint ou volontaire) ;
2- le canal de transmission duquel découlent des contraintes
techniques (conduction aérienne, onde hertzienne, réseau bande
large) ;
3- le support de stockage et le support matériel permettant de
conserver la communication (disque dur, plateforme) ;
4- le dispositif technique de restitution (écran de projection,
écran, ordinateur, haut-parleur, micro-casque) ;
5- les modalités de communication (directionnalité de la
communication, son caractère synchrone ou asynchrone, le degré de
visibilité et d’audibilité des interlocuteurs, la
simultanéité des messages reçus et émis) ;
6- le type de représentation et le registre sémiotique (signes,
icônes ou indices de la présence) ;
7- le genre de textes et le type de discours ;
8- le contexte et les pratiques de réception (dont les règles
intériorisées du domaine scolaire influencent
considérablement les échanges en contexte de formation et que nous
avons en partie décrite plus haut).
Figure 2 • Le dispositif de
communication médiatisée de la classe virtuelle « Adobe
Connect ».
Ces constats nous conduisent à devoir substituer à la
conception maintenant datée d’acteurs humains reliés par un
médium instrumental, celle d’une conception de la médiation
en tant que dispositif hybride, soit un ensemble associant de manière
plus ou moins stable, l’humain et le non humain, mais où les
conditions de « présence » des acteurs et
actants peuvent varier sur le continuum qui va de la présence physique et
concrète jusqu’à son existence comme objet de discours
seulement. Le concept de dispositif nécessite de repenser les rapports
entre le symbolique, le technique et le relationnel (Charlier et al., 2006) : « Le
dispositif ne prend sens que s’il est vécu et
expérimenté par le sujet ». L’introduction des
classes virtuelles modifie et nécessite de repenser les dispositifs de
formation ; qui associent selon le cas, cours en ligne, temps
présentiels (formation en présence, regroupements), ou bien encore
visioconférences. Nous retiendrons pour notre part, d’un
côté, la relation sociale propre de l’interaction ou de la
médiation et, de l’autre, le simple échange
d’informations entre deux machines, soit l’interactivité (Sansot, 1985, p. 87).
Ainsi, l’interactivité qui gère le protocole de
communication entre l’utilisateur et son ordinateur relève de
« l’interactivité fonctionnelle », tandis que
celle qui gère ce protocole entre l’utilisateur et le concepteur de
l’outil est désignée sous le terme
« d’interactivité intentionnelle ».
4. Problématique, hypothèses et méthodologie de la
recherche.
4.1. Problématique et hypothèses de recherche.
Les approches pédagogiques qui se
déclinent en classes virtuelles synchrones dépendent très
largement de l’étendue de l’autonomie qui est laissée
à l’apprenant, et à la part prévue pour les
activités de soutien prévoyant des interactions avec intervention
humaine. Nous insistons par ailleurs sur l’importance du rôle
central joué par l’apprenant, car tout exercice
d’accompagnement repose sur une coopération entre le formé
et le formateur, et donc sur un travail personnel préalable de
l’apprenant, sans lequel les interactions ne peuvent être que
réduites.
C’est pourquoi, nous retiendrons la problématique et les
hypothèses suivantes : Le recours à la classe virtuelle
synchrone permet-il de constater le rôle primordial de la médiation
de l’enseignant ?
Notre première hypothèse sera la
suivante : L’enseignant en classe virtuelle synchrone
n’adapte pas sa pédagogie au fait d’intervenir dans un
dispositif de communication et de formation médiatisées.
Notre seconde hypothèse sera : L’enseignant en
classe virtuelle synchrone peut faciliter l’interaction et l’action
chez les étudiants.
4.2. Méthodologie de la recherche.
4.2.1. Présentation du protocole de recherche.
Notre méthodologie de recherche s’appuie d’une part sur
des entretiens réalisés auprès de quatre enseignants du
département des sciences de l’éducation et d’autre
part sur l’analyse des observations menées à partir
d’enregistrements de leurs classes. Les entretiens semi-directifs ont
été construits autour d’un guide permettant aux enseignants
d’évoquer dans un premier temps leurs rapports et
expériences des technologies. Dans un second temps nous leur avons
demandé d’évoquer leurs activités en classes
virtuelles. Nous cherchons avant tout à observer au travers de celui-ci,
les représentations et degrés de maîtrise des technologies
et de la classe virtuelle synchrone en particulier, mais aussi ce que nos
interviewés définissent comme étant leur activité.
Le guide d’entretien a été construit au travers de 3 axes
nous permettant de donner des indicateurs concernant le degré
d’usages des technologies de ces enseignants. Les trois niveaux
étaient les suivants : Usages personnels des technologies
(ordinateur, internet, Smartphones....) ; usages professionnels des
technologies (préparation, pendant, après les cours ou encore pour
ou avec les étudiants) ; usages spécifiques des classes
virtuelles dans la pratique professionnelle. Élaboré dans un une
posture très proche de la non directivité au sens rogérien
du terme (Blanchet et al., 2013), (Ghiglione et Matalon, 1978),
ce guide a pour but de faire émerger les traits de
l’expérience et de la professionnalité enseignante en
enseignement supérieur qui seront exprimés au cours des
entretiens.
Nous cherchons avant tout à observer au travers des discours tenus,
les représentations, l’expérience du métier et des
technologies. L’autre versant de notre protocole de recherche concerne
l’analyse d’un échantillon de classes virtuelles synchrones,
au regard des propos recueillis en entretiens. Notre intention est qu’au
travers de ces observations nous puissions confronter « le faire et le
dire » (Blanchet, 2003).
Pour cela, nous avons construit cette grille d’analyse
préalablement à l’entretien de nos interviewés et
à l’observation de leur classe (tableau 1).
Tableau 1 • Grille d’analyse
des entretiens et de l’observation des classes virtuelles.
Vérification des hypothèses |
Entretiens |
Observations de classes virtuelles |
1- Nature spécifique de la communication médiatisée |
H1 |
Ce qui pose parfois des problèmes. Je ne m’étais pas
rendu compte, je ne suis pas trop en difficulté avec les
technologies. |
L’enseignant utilise les différentes fonctionnalités du
logiciel. Il gère à la fois son module de communication mais
également les étudiants (audio/vidéo/écrit). |
2- Aménagement de la classe virtuelle : le fond au sens
classique du terme « faire cours » |
H1 |
Bien souvent on avait quelques questions à l’avance, via le
forum, pour organiser notre tchat d’une heure sur le cours et puis la
technologie ayant avancé de se transformer en classe virtuelle. |
L’enseignant a construit son intervention autour de questions
posées en amont. |
3- Animation qui en résulte et ses obstacles. |
H1 |
J’avais préparé je ne l’avais pas fait en PDF je
crois, j’étais obligée de partager mon écran, et du
coup ils voyaient mon diaporama mais aussi tout ce qu’il y avait en dehors
du diaporama. |
L’enseignant n’arrive pas à utiliser la ressource
qu’il avait préparé il doit trouver une solution alternative
pour la projeter aux étudiants. |
4- Aménagement de la classe virtuelle, la forme visuelle
(l’interactivité avec les applications). |
H2 |
Bon, je ne suis pas très à l’aise avec cette
idée. Mais, bon, je m’y suis faite. Je me mets dans mon bureau chez
moi. Derrière il n’y a que des bouquins. |
L’enseignant fait sa classe virtuelle assise à son bureau, dos
à sa bibliothèque. |
5 – Gestion du groupe classe et la pédagogie mise en
œuvre. |
H2 |
Je trouve que contrairement à ce qu’on pourrait penser, ces
classes virtuelles sont un très bon outil pour créer de
l’interaction |
L’enseignant réserve des temps spécifique pour susciter
l’interaction. |
6- Collaboration entre les pairs, enseignants et autres intervenants. |
H2 |
Je les mets en travail collaboratif. Soit en individuel soit en travail
collaboratif. Là je suis dans une phase asynchrone où le synchrone
est totalement complémentaire de l’asynchrone dans ma pratique. |
Dans sa séquence l’enseignant alterne des phases asynchrones
hors classe virtuelle (forum, messagerie) et des phases collaboratives en classe
virtuelle. |
Le choix d’un échantillon hétérogène permet
de croiser le point de vue des
« expérimentés » et des
« novices » au sein de ce dispositif de formation à
distance. Notons que cette recherche s’apparente à une
« recherche-action-formation », au sens décrit par
Charlier (Charlier, 2005, p. 260),
soit à la volonté d’apprendre afin de changer des pratiques
d’enseignement. Les auteurs se reconnaissent dans un positionnement de
« chercheurs-acteurs », selon la classification
proposée par Kohn et Nègre (Kohn et Nègre, 2003, p. 12).
Dans cette recherche, le projet s’est organisé en quatre temps en
interaction, 1) un temps d’action correspondant à la collecte
d’informations auprès d’enseignants, 2) un temps de
construction de la problématique, 3) un temps d’élaboration
du cadre conceptuel et du dispositif méthodologique, qui a
débuté avant l’action pour prendre fin après celle-ci
(notamment à la suite d’autres travaux déjà conduits
sur la classe virtuelle), 4) un temps de rédaction.
4.2.2. Présentation des interviewés.
Notre premier interlocuteur (I1) est enseignant-chercheur en sciences de
l’éducation depuis 6 ans. Agé d’une quarantaine
d’année, il était auparavant professeur des écoles.
Il a introduit les classes virtuelles dans ses interventions depuis trois ans et
affirme en animer de 10 à 15 par an, dans différents
diplômes. Il se dit très intéressé par les
technologies depuis l’âge de 14 ans et les avoir assez rapidement
associées à ses
enseignements : « C’est une question qui m’a
toujours intéressé. (...) J’ai toujours perçu les
TICE comme un outil au service de la pédagogie. Initialement
d’éducabilité cognitive et ensuite au service de la
pédagogie. Donc moi j’en utilisais, quand j’étais un
instit, j’utilisais énormément les TICE. Je les utilisais
pour remplacer l’imprimerie de Freinet, avec mes élèves du
côté de la lecture. J’utilisais ça aussi comme base
documentaire » Il est très investi dans une
réflexion entre usages des technologies et pédagogie.
Notre deuxième interviewée (I2) est une enseignante-chercheuse
d’un peu plus de cinquante ans et exerçant à
l’université depuis une dizaine d’années. Elle a
également été professeur des écoles. Elle explique
avoir commencé les classes virtuelles, dans la continuité de ce
qu’elle effectuait auparavant dans le cadre de chat, mais qu’elle a
tout de suite accepté ce changement, car le chat ne lui plaisait
pas : « Déjà, à l’origine des
classes virtuelles, il y a les tchats le soir entre 21 heures et 22 heures qui
portaient sur le cours. (...) Bien souvent on avait quelques questions à
l’avance, via le forum, pour organiser notre tchat d’une heure sur
le cours et puis la technologie ayant avancé, ça s’est
transformé en classe virtuelle de façon facultative, mais
j’ai tout de suite accepté parce que le tchat me plaisait moyen. Je
préférais parler plutôt que de taper sur une
machine ». Cette description très imagée de
l’usage des classes virtuelles est intéressante, car on le
constate, ici c’est la possibilité d’échanger
oralement avec les étudiants qui motive notre interlocutrice, par
ailleurs la classe virtuelle s’insère dans un dispositif de
formation médiatisée, elle est utilisée en lien avec le
contenu d’un cours préalablement déposé sur une
plateforme et un forum dans lequel il est possible de déposer
« des questions à l’avance ».
Notre troisième interlocuteur (I3) est un attaché temporaire
d’enseignement et de recherche âgé de 29 ans qui est en train
de finir sa thèse. Il enseigne à l’université de
Rouen depuis deux ans et n’a pas choisi d’intervenir en classe
virtuelle, mais il y fut contraint par son service, ceci correspondant aux
nécessités prévues dans le dispositif pédagogique de
la formation concernée. « Disons, quand je suis
arrivé, quand on m’a expliqué que je devrais réaliser
des classes virtuelles j’étais un petit peu perplexe...
J’avais quelques appréhensions». Il
reprend : «J’ai réalisé la classe
virtuelle de cette première séance de séminaires avec les
M1, avec un seul étudiant en face de moi. En décidant de
m’adresser à tout le monde étant donné que la classe
virtuelle était enregistrée. (...) Avec un seul étudiant en
face de moi. C’était extrêmement compliqué,
j’avais tendance à parler à la personne alors qu’en
même temps j’essayais de m’adresser à tout le
monde ». Pour ce dernier, ce qui semble compliqué en classe
virtuelle est de savoir à qui s’adresser et avec qui interagir.
Entre les étudiants réellement présents et le nombre
potentiel des destinataires, il note un écart qui le déroute,
« Mon objectif était en quelque sorte de faire un cours
à des étudiants qui n’étaient pas
présents ». Il conclut de
lui-même : « Ça faisait parfois une sorte de
dialogue de sourds ».
Enfin, notre quatrième interviewée (I4) âgée de 31
ans, docteure en sciences de l’éducation, est également
attachée temporaire d’enseignement et de recherche n’ayant
pas choisi d’intervenir en classes virtuelles. Elle explique avoir appris
sur le tas mais tout en ayant travaillé en équipe avec
d’autres collègues plus expérimentés :
« Pour ma première classe virtuelle j’avais 40
étudiants. Donc c’était ma première et
c’était trop déroutant pour moi. Par contre la
deuxième j’ai essayé un peu d’alterner
différents médias donc diaporama, vidéo,
questions-réponses, j’ai essayé d’utiliser les outils,
disons le sondage, je me rappelle des pourcentages qui s’affichaient et
donc la troisième j’étais en co-animation avec un
collègue. Là j’étais plus à l’aise pour
essayer justement toutes les possibilités que j’ai
découvertes avec Connect ». Ce qui nous semble
intéressant à noter c’est qu’aucune classe virtuelle
ne se ressemble, voire même qu’il n’existe pas un seul
modèle d’intervention au sein d’une même classe
virtuelle. Les activités pédagogiques visées peuvent faire
alterner des travaux de présentation de travaux, des temps de travail en
groupe et des moments d’accompagnement plus individualisés au
travers de temps de régulation.
5. Les expressions de l’activité pédagogique en
communication et formation médiatisées.
5.1. Présentations des résultats.
5.1.1. Les expressions de la nature de la communication
médiatisée.
Nos interlocuteurs expriment très clairement
deux choses quant à la nature de la communication
médiatisée caractéristiques de la classe virtuelle. Les
nombreuses possibilités de communication que nous avons
précédemment décrites semblent constituer pour trois
d’entre eux plutôt une difficulté, face aux flux des
informations à traiter (visuels et auditifs), mais ces propos sont
également à mettre en relation avec une non maîtrise
affirmée de l’outil. (I3) : « On se dit du
jour au lendemain vous passez à l’écran vous devez
gérer le live. Je trouve qu’il y avait beaucoup de choses à
gérer ça m’a permis de me concentrer sur ma voix et les
documents à partager ».
Il est également intéressant de souligner que la
possibilité offerte de pouvoir s’exprimer oralement, constitue une
véritable satisfaction exprimée par deux d’entre eux,
comparativement à l’usage du tchat. Nous retiendrons deux
expressions, pour la première, (I1) : « Ce
n’est plus la médiation par le clavier, c’est la
médiation par le langage », pour la seconde,
(I2) : « Je préférais parler plutôt
que de taper sur une machine ». Le langage écrit est ici
attribué au clavier ou à la machine plutôt qu’à
celui qui en rédige le contenu. Cela pourrait-il signifier que pour la
moitié de nos interlocuteurs, la communication médiatisée
en classe virtuelle est plus aisée comparativement à
d’autres usages (tchats), puisqu’elle semble parfois se faire
oublier ? Il semble par ailleurs que les possibilités
importantes d’interactions en communication médiatisée
accélèrent le rythme des échanges et la
nécessité d’être réactif. Se pose au final de
façon accrue la question du cadre d’intervention et du
contrôle du dialogue afin qu’il puisse être source
d’apprentissage.
5.1.2. L’aménagement de la classe virtuelle : les
expressions de la médiation de l’enseignant.
Pas de cours magistral, mais une idée maîtresse qui ressort des
propos de l’ensemble des personnes
interviewées : l’anticipation et la
nécessité d’une véritable préparation de
l’intervention, afin de pas rester dans du transmissif.
(I1) : « Je prépare la consigne et je
l’affiche sur le tableau blanc, je leur laisse prendre connaissance de la
consigne. Ensuite j’essaye de vérifier la compréhension de
la consigne. En deuxième partie de la classe virtuelle, je leur explique
et fais avec eux une première amorce de piste de résolution, de
réflexion et là mon boulot est un boulot de
médiation ».
La classe virtuelle est perçue le plus souvent en tant que
média utile pour le tutorat. (I2) : « Je passe par
l’animateur de plate-forme, pour dire aux
étudiants : Voilà, à telle date il y aura la
classe virtuelle. Avez-vous des questions à poser au
préalable ? Il y a de toute façon pendant la classe
virtuelle des questions auxquelles je ne m’attendais pas, mais auxquelles
je réponds sur le vif, donc c’est un vrai échange,
très riche, c’est très intéressant et ça dure
une heure ».
L’enseignant peut alors devenir médiateur dans la
compréhension du contenu du cours. La classe virtuelle n’est donc
pas dans les situations pédagogiques observées, le transfert
d’une classe traditionnelle dans une modalité à distance,
mais bien un espace de travail dans lequel l’intervention de
l’enseignant doit être pensée différemment.
(I1) : « En fait, les classes virtuelles, je ne les ai
jamais vues comme un outil de type classe, c’est comme un espace dans
lequel on organise du travail pédagogique ».
5.1.3. L’expression de l’animation qui en résulte et ses
obstacles.
Sont ici mis en évidence les contraintes techniques liées aux
environnements médiatisés d’apprentissage, mais surtout
à la non maîtrise de l’ensemble des applications offertes par
l’outil, mentionnée par trois de nos interlocuteurs. Cette
expérience de la non infaillibilité de l’outil et de son
utilisateur rappelle, s’il en est nécessaire, qu’il ne
s’agit pas d’une pratique magique mais bien d’un exercice qui
nécessite un entraînement et le développement de nouvelles
compétences
(I2) affirme par exemple : « Une fois je n’avais
pas de réseau. Mais en même temps, quand je dépends de la
technique ça m’angoisse. Donc, si je ne suis pas au rendez-vous
parce que la technique ne marche pas je suis vraiment très
déstabilisée ! » D’autres contraintes
exprimées sont parfois incontournables car faisant partie de la
conception de l’outil, comme c’est le cas
ici : (I3) « J’aimais bien l’idée
qu’ils pourraient prendre la parole quand ils le veulent, mais sans lever
la main ».
5.1.4. Les expressions de la forme visuelle de la classe
virtuelle : enseigner à la maison, une situation
exceptionnelle.
La forme visuelle donnée à la classe virtuelle peut être
qualifiée de design pédagogique, mais notons au passage que la
question de la forme visuelle donnée à la classe virtuelle va bien
plus loin et touche même à la question de l’environnement
d’apprentissage, soit à la mise en scène et au décor
dans lequel ont lieu les séminaires virtuels.
5.1.4.1. L’université chez soi, une réalité
dérangeante.
Nos quatre interlocuteurs expriment unanimement leur étonnement de
pouvoir réaliser leurs cours depuis chez eux. Pourtant aguerris aux
formations hybrides, le fait de donner à voir leur « chez
eux » constitue pour chacun un changement qui interroge.
L’expression « télétravail » est
même prononcée, soit comme la faculté de mener son
activité d’enseignement en dehors d’une situation
accoutumée, marquant là la séparation avec
l’institution. (I1) : « C’est globalement toutes
les questions comme pour le télétravail. Globalement on a
l’intimité. C’est-à-dire que les étudiants
quelque part, ils voient chez toi ! ». (I2) :
« C’est quand même assez déstabilisant
d’être au boulot alors qu’on est chez soi, sur des
créneaux horaires pas habituels ».
Nous le voyons, derrière les questions d’intimité,
c’est aussi les signes de l’institutionnalisation et du
professionnalisme qui sont interrogés, deux de nos interviewés
ayant ressenti la nécessité de positionner derrière eux une
bibliothèque et un troisième, après avoir imaginé un
« drap estampillé du logo du campus Forse »,
comme c’est le cas en salle de visioconférence, à
l’université, s’est positionné au dos de son
canapé, soit dans un environnement neutre.
(I2) : « Je me mets dans mon bureau chez moi.
Derrière il n’y a que des bouquins. Donc ça fait très
sérieux. Parce qu’il faut faire attention à tout. On est
quand même chez soi quoi ! Donc ça pose problème
aussi... Problème d’intimité. On est au boulot, mais on est
chez soi ». I4) : « Partager la
vidéo c’était rentrer dans ma chambre. Donc je me dis tu as
toujours ta bibliothèque derrière toi ».
Apparaît ainsi, la nécessité de se référer
à un espace qui n’est pas celui de la maison, dans une logique de
rupture ou de passage par rapport à environnement ambiant, comme
l’indique très explicitement (I3) : « Il est
nécessaire de construire un petit rituel, un cadrage pour que depuis chez
soi, l’enseignant puisse créer cette structure et rentrer dans son
rôle, en quelque sorte. Sortir de son espace intime et rentrer dans un
espace public. C’est comme si on amenait nos étudiants dans notre
salon. Il n’y a pas de rupture entre vie privée et vie
professionnelle. On est dans un salon et d’un seul coup on rentre dans une
classe ».
Enfin, ce qui est classiquement signalé pour les étudiants
à distance, est également interrogé ici, soit
l’organisation familiale, notamment le non partage d’un bureau,
d’un réseau internet ou d’un ordinateur, durant le temps de
la classe virtuelle. Nous avons l’impression que certains lieux et le
réseau informatique, sont au moment de la classe virtuelle
sanctuarisés (lorsque les autres membres de la famille sont
présents). (I1) affirme par exemple : « Il y a des
moments on ne peut pas parler à la maison ! En tout cas on ne
fait pas les clowns à ce moment-là ! On ne va pas
euhhh... Ouvrir les portes ! On sait qu’il y a un truc
particulier à la maison ».
(I2) : « Ce soir personne dans la maison utilise
l’ordi sauf moi ». (I3) : « Alors
j’ai fait en sorte à chaque fois de, de n’avoir personne chez
moi le jour J. Moi j’ai un deux-pièces. Si il y avait des gens
ça se verrait tout de suite ».
5.1.4.2. Etre vu sans voir, l’absence de retour visuel pour
l’enseignant.
Un premier constat qui a son importance : si les enseignants sont
vus par les étudiants, l’importance de la taille des groupes
accueillis (de dix à cinquante personnes), fait qu’il est
impossible qu’ils puissent tous brancher leur webcam sans saturer la bande
passante. Pour cette raison, l’enseignant est vu, mais il ne voit pas tous
ses étudiants, ils sont représentés par leurs noms et
prénoms.
Trois de nos interlocuteurs ont particulièrement abordé cet
aspect du visuel dans la communication à distance.
(I1) : « Moi je pense qu’il y aurait un vrai plus,
c’est une demande de certains enseignants à ce qu’il y ait la
réciprocité des regards ».
(I2) : « Parce que bon l’étudiant
lève la main, on lui donne la parole, on l’entend... Mais je me
suis dit, peut-être qu’on peut le voir ! Parce que
ça m’a gênée de ne pas le voir ». Ainsi
la classe virtuelle n’est pas perçue comme un lieu de
représentation théâtrale, mais bien comme un lieu de
socialisation dans lequel l’enseignant n’a pas obligatoirement la
place centrale.
5.1.5. Les expressions de gestion du groupe classe et la pédagogie
mise en œuvre.
Les enseignants mettent en avant le fait qu’ils laissent davantage
s’exprimer les étudiants que durant une situation de face à
face pédagogique en présentiel. Pour
certains : (I4) : « Le fait de voir à
chaque moment que chaque étudiant peut s’exprimer ».
Pour d’autres (I3), le dispositif en lui-même serait conçu
pour favoriser l’interaction : « De laisser la
parole davantage aux étudiants ce qui est une bonne chose. On a
l’impression que tout est fait pour que l’on
interagisse ».
Enfin, la pédagogie mise en œuvre, est une pédagogie
active. Pour (I1) : « C’est un outil pour
méthodes actives ce n’est pas un outil pour cours magistral. (...)
C’est bien plus dur que faire cours en présentiel, là pour
le coup. Il y a un enjeu à positionner l’outil comme un outil au
service d’une approche active ».
5.1.6. Les expressions de la collaboration.
Si la collaboration recherchée est un indicateur des comportements
pédagogiques réels, elle s’articule également avec le
processus de socialisation et doit par conséquent être
structurée dans la durée. L’observation de la collaboration
ne peut s’effectuer uniquement à partir de l’analyse de
classes virtuelles, elle se déroule sur des périodes de temps
éclatées et dans des lieux différents, d’où
l’appellation fréquente d’environnement numérique de
travail pour les dispositifs médiatisés. La recherche de la
collaboration peut donc devenir un travail à part entière au sein
d’une formation, elle se donne à voir, mais nécessite une
lecture longitudinale des traces verbales écrites et orales. Ici le fait
pour les étudiants de s’être déjà
rencontrés en présentiel, lors des regroupements par exemple, joue
un rôle de catalyseur dans le développement de cette collaboration.
5.2. Retour sur les hypothèses.
5.2.1. Vérification de l’hypothèse 1.
Concernant l’hypothèse 1, l’enseignant en classe virtuelle
synchrone n’adapte pas sa pédagogie au fait d’intervenir dans
un dispositif de communication et de formation médiatisées. Nous
pouvons affirmer qu’elle n’est qu’en partie
validée.
En effet, comme nous venons de l’illustrer, l’ensemble de nos
interlocuteurs ont exprimé une recherche d’interactions avec les
étudiants et le souci de ce que nous pouvons définir comme
étant la mise en œuvre d’un accompagnement à distance.
L’introduction des pratiques pédagogiques instrumentées
semble avoir un rôle mobilisateur en matière de pédagogie,
loin d’une substitution médiatique de l’enseignant, il
s’agit bien à l’inverse de recentrer le cours autour de la
relation pédagogique.
Pour cela, la recherche d’un espace potentiel d’une rencontre, le
renforcement éventuel de la disponibilité et de
l’écoute à la fois des enseignants et des étudiants
s’avère indispensable. L’enseignant se trouve presque
obligé de réinterroger sa pédagogie, pour prendre en
considération les besoins des étudiants, afin de pouvoir
répondre à leurs attentes. Les interactions fréquentes au
sein du groupe montrent que l’enseignant qui découvre l’usage
de la classe virtuelle va travailler sous pression. C’est pourquoi, nous
observons que les enseignants continuent à s’exprimer
principalement à l’oral, même si les étudiants, de
leur côté, continuent eux à s’exprimer principalement
par écrit, via le module « conversion ». On observe
donc un manque de spontanéité dans l’échange oral,
car la classe virtuelle en tant que dispositif pédagogique
médiatisé oblige à passer par plusieurs activités
à effectuer en même temps, ce qui constitue une véritable
difficulté pour l’enseignant. Soulignons également
l’importance de la durée de la classe virtuelle, car au-delà
d’une heure, la dimension transmissive a tendance à reprendre le
dessus. La temporalité s’en trouve questionnée, dans le sens
de devoir mener plusieurs activités en même temps (animer,
gérer les questions écrites, gérer les accès
à la prise de parole), ce qui constitue un stress observable. Stress qui
peut se retrouver renforcé par des mini-coupures du réseau
internet.
C’est pourquoi, nous retiendrons qu’entre l’envie de
modifier sa pédagogie et le fait de le faire véritablement, il y a
un temps d’adaptation et d’appropriation de l’outil. Nous
comprenons alors que toute intégration d’une pratique
pédagogique instrumentée nécessite un temps
d’appropriation. Pour cela, reprenant le modèle
d’intégration des technologies de l’information et de la
communication (TIC) proposé par Depover et Strebelle (Depover et Strebelle, 1997),
nous retenons les trois étapes d’intégration d’une
innovation : 1) l’adoption, 2) l’implantation, 3) la
routinisation ; dernière étape du processus, qui illustre le
changement de pratique par l’observation possible de pratiques
régulières et intégrées du nouvel outil aux
activités habituelles. Notre échantillon composé par des
« novices » et des
« expérimentés », interrogent à la fois
l’activité de l’apprenant dans sa construction du savoir et
le rôle joué par l’enseignant dans ces apprentissages,
retenant ici que du côté de l’apprenant, aussi, il y a
nécessité du changement de pratique.
5.2.2. Vérification de l’hypothèse 2.
Pour l’hypothèse 2 : L’enseignant en classe
virtuelle synchrone peut faciliter l’interaction et l’action chez
les étudiants.
Nous ne pouvons vérifier cette hypothèse qu’en analysant
des enregistrements de classes virtuelles, car un seul de nos interlocuteurs a
véritablement décrit une situation d’animation. Nos
observations montrent que les étudiants interagissent réellement,
mais nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’aspect constructif ou
positif de ces interactions. Il nous faudra pour cela réaliser une autre
grille d’analyse, des interactions (ce qui n’a pas été
fait pour cette recherche).
Dans tous les cas, comme nous venons de l’indiquer, les échanges
sont multiples et variés. La classe virtuelle est bien un lieu de
socialisation et d’apprentissage, marquée parfois par quelques
événements festifs exprimés (anniversaire, fêtes).
Chacune d’entre elles est structurée en trois temps, 1) celui de
l’accueil, 2) celui des échanges et des présentations de
travaux (des étudiants ou d’enseignants), 3) puis celui de
l’au revoir.
Le cadre de la classe virtuelle reste à définir au regard de
l’ensemble du dispositif de formation. Pour certaines, il s’agit de
classes virtuelles basées sur une pédagogie
« inversée », soit sur des interactions portant sur
les cours qui ont été préalablement travaillés
individuellement par les étudiants. L’enseignant est présent
dans le cadre d’un accompagnement portant sur le cours qu’il a
lui-même rédigé. Pour d’autres, la classe virtuelle
est un temps de remédiation servant à accompagner les
étudiants dans la préparation des évaluations. Pour
d’autres encore, les étudiants ont préparé un support
de présentation qu’ils partagent avec leurs pairs et
l’enseignant. Il s’agit d’une forme de
« webinaire », soit un séminaire
d’échanges et de partages d’informations.
Reste donc à analyser le temps de prise de parole par étudiant.
Nous notons en particulier que les enseignants interpellent rarement les
étudiants qui ne s’expriment pas. Ils ne s’assurent
également que très rarement d’un feedback des
étudiants, tant à l’oral que dans les applications
prévues à cet effet (sondage et icône). La gestion du groupe
classe doit être contrôlée. Nous pouvons observer que des
étudiants monopolisant la parole, dans ce cas, l’enseignant
n’intervient que très rarement comme il le ferait en
présentiel. En cela, la plus-value offerte par la classe virtuelle
n’est semble-t-il pas la même pour tous les étudiants, la
relation pédagogique imposant une co-production.
Sur la forme que revête la classe virtuelle, à la demande des
étudiants, l’enseignant apparaît toujours à
l’écran, soit de façon centrale, soit en petit Il
s’appuie très fréquemment sur un support de
présentation, comme il le ferait sans doute en présentiel. La
large palette des applications offertes favorisant la collaboration au sein de
la classe virtuelle est sous-employée (tableau blanc, écriture
collaborative, prise de parole). Nous pensons donc pouvoir valider cette
hypothèse, mais à la condition pour l’enseignant, de bien
maîtriser l’ensemble des applications offertes dans la classe
virtuelle.
6. Conclusion.
Nous retiendrons de cette recherche que
l’appropriation d’une pratique instrumentée nécessite
du temps. Une à deux classes virtuelles sont nécessaires pour
s’adapter à la pression liée à l’intervention
synchrone médiatisée, mais ajoutons à cela la
nécessaire formation nécessitant au démarrage une
co-animation avec un informaticien. Sans un véritable travail autour de
l’analyse des pratiques menées, il nous semble que
l’apprentissage qu’elle nécessite est forcément long,
d’où notre étonnement en observant que l’ensemble des
applications des classes virtuelles sont loin d’être
employées. L’intégration d’une pratique
instrumentée nécessite de repenser l’ensemble du dispositif
où elle intervient, ainsi que l’organisation de
l’enchevêtrement des temps synchrones et asynchrones du processus
formation et du travail personnel et/ou collaboratif des étudiants. Elle
interroge également les conditions de sa mise en œuvre, dans un
contexte institutionnel parfois instable et peu enclin à la
reconnaissance des pratiques pédagogiques innovantes. A titre
d’exemple, la déclaration des interventions des enseignants en
classe virtuelle prend toujours la forme de déclaration de cours et non
de séquence de tutorat ou de remédiation.
Cette expérience s’inscrit en fait dans un processus de
transformation de l’être, dans ce sens qu’elle peut être
définie comme étant ce que je fais de ce qui m’advient. Pour
les enseignants, cette expérience de la classe virtuelle, les poussent
systématiquement à repenser leurs pratiques pédagogiques en
présentiel, non pas pour reproduire ce qu’ils y font, mais pour
essayer d’y transposer ce qu’ils ont expérimenté
à distance, en particulier la pédagogique active. Du
côté des étudiants, si nous pouvons observer qu’ils
interagissent réellement entre eux et avec l’enseignant, nous ne
pouvons pour l’instant nous prononcer sur l’aspect constructif ou
positif de ces interactions. Il est nécessaire à cet effet de
poursuivre notre recherche par l’analyse des interactions
langagières, mais contrairement aux travaux portant sur l’analyse
des forums de discussion ; cette analyse se trouve ici complexifiée
par des interactions nombreuses entre le module conversation écrite et
les interventions orales ou sémiotiques des uns et des autres. Soulignons
toutefois, contrairement à ceux qu’espéraient les
enseignants, que les étudiants s’expriment peu à
l’oral. La spontanéité du langage orale est ici
réduite par le passage obligatoire par le média et illustre ici
une fluidité pas toujours assurée. A l’inverse, les
enseignants s’expriment toujours à l’oral et jamais dans le
module « conversation ». Leurs interventions
écrites prennent presque toujours la forme de leurs supports de
présentation. L’idée de laisser la parole aux
étudiants même lorsqu’elle paraît évidente,
n’est pas toujours observable, des enseignants encore trop bavards ou
faces à trop de silences à meubler, font qu’ils restent les
acteurs principaux des interactions, sauf s’ils confient
préalablement le rôle d’animateur aux étudiants en
leur demandant de présenter leurs travaux.
L’espace public que la classe virtuelle constitue n’est pas
à minorer, ce qui est en fait le contraire des représentations
classiques des classes traditionnelles qui sont celles d’un lieu intime et
réservé. Ici le lieu réservé à la
pédagogie même s’il empiète sur l’espace intime,
ne semble pas très intimiste. Il est fréquent que
l’entourage vienne voir ce moment d’exception, à commencer
par les enfants. Comment dans ce cas l’étudiant peut-il exprimer
ses difficultés d’apprentissage ? Pourtant les
étudiants prennent la parole, non pas comme une parole scolaire mais pour
faire part de leurs émotions et exprimer leurs accords ou
réticences face à tel ou tel point du contenu proposé.
L’étudiant par sa prise de parole devient alors co-concepteur des
ressources d’apprentissage (Develay et Godinet, 2007, p. 26),
en cela les pratiques instrumentées responsabilisent et
nécessitent une relation privilégiée avec
l’enseignant. Ce dernier peut alors dans le meilleur des cas, non pas
enseigner au sens classique du terme, mais questionner, porter
l’intérêt du groupe sur ce qu’il considère comme
fondamental ; argumenter et négocier, au sens de la
régulation. Il se fait alors animateur et quitte son identité
d’enseignant afin d’assurer la plus grande participation de chacun,
cela ne se fait pas sans se rendre plus proche et plus disponible à
« ses hôtes ». Enfin, bien que dispensée
à la maison, la classe virtuelle est un espace qui diffuse les signes
propres de l’institution universitaire et de la professionnalité
enseignante. Nos résultats montrent à quel point les enseignants
ont été perturbés par le fait de donner à voir leur
chez eux. De ce fait, l’évolution du métier est ici
interrogée, ainsi que l’organisation familiale qui doit s’y
adapter. Ici l’enseignant se transforme en architecte du processus
formation et/ou de socialisation, en travaillant au cœur du dispositif
médiatisé, à la traduction de l’intention de
faciliter les apprentissages. Ce processus ne peut avoir lieu sans la
collaboration des principaux intéressés, et il est notable que
d’une situation classique d’étudiants silencieux, prenant peu
la parole et dont le rôle est de recevoir les contenus transmis, ils
doivent passer à celle d’étudiants engagés, parlant,
questionnant, voire osant même parfois faire la leçon à
leurs pairs. Cette conduite du changement n’est pas sans susciter chez les
étudiants également, des étonnements ou des craintes.
Enfin, il semblerait également que le travail de l’enseignant
s’intègre véritablement à celui d’une
équipe pédagogique, aux professionnalités diverses.
L’observation de l’appropriation de l’usage d’une TIC
permet de mettre en évidence les évolutions de la
professionnalité enseignante, soit comme la manifestation de normes et de
valeurs enracinées dans des situations, dans un processus historique et
dans un à-venir du métier. En cela l’avenir de
« l’université numérique »
n’est pas sans interroger la reconnaissance et intégration des
pratiques pédagogiques instrumentées dans un univers
institutionnel en constante transformations. Ce que nous observons ici
questionne d’une manière nouvelle la pédagogie
universitaire, y compris celle menée en présentiel et la prise en
compte des étudiants qui implique une rupture avec les pratiques
scolaires et le développement de nouvelles formes d’accompagnement
pour les nouveaux publics des universités. Les pratiques
instrumentées telle que la classe virtuelle permettent de concilier
massification et pédagogie différenciée propre à la
recherche de la construction des savoirs, elles peuvent devenir des outils
précieux dans la lutte contre le décrochage ou l’abandon des
étudiants. Le titre par conséquent de « maître
de conférences » n’a jamais été aussi
impropre aux vécus observés de certains universitaires, ils
deviennent par contre des maîtres en diversification, adaptation et
éducabilité, tout en cherchant à ne pas perdre la
cohérence propre à chaque groupe et formation.
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À
propos des auteurs
Béatrice VERQUIN SAVARIEAU est Docteure en
Géographie de l’université de Poitiers et maître de
conférences en sciences de l’éducation à
l’université de Rouen. Au sein du Campus numérique FORSE,
site de Rouen, elle est responsable pédagogique du master
Ingénierie et Conseil en Formation dans sa modalité à
Distance. Elle intervient au sein du DU « CODIFAD »
Concevoir un dispositif de formation à distance et dans le dispositif
« IFADEM » Initiative Francophone pour la Formation des
Maîtres.
Elle est membre du laboratoire CIVIIC (EA 2657), au sein de l’axe
1 : « Formation et professionnalisation des adultes ».
Ses thèmes de recherche concernent avant tout l’évolution
des métiers de la formation à partir de l’intégration
des technologies (classes virtuelles, visioconférences, tutorat à
distance) et plus particulièrement sur les « environnements
capacitants », notion qui dans le champ de la formation des adultes
questionne les nouvelles formes de tutorat et de co-développement
reposant sur des dimensions davantage participatives et collaboratives et leurs
effets produits. Elle publie cette année un ouvrage sur le portfolio et
poursuit ses recherches sur les usages des « classes
virtuelles ».
Adresse : CIVIIC, UFR SHS – Bat
Freinet, Rue Lavoisier, 76821 MONT SAINT AIGNAN cedex
Courriel : beatrice.savarieau@univ-rouen.fr
Toile : civiic.univ-rouen.fr/?q=content/beatrice-savarieau
Hervé DAGUET est Docteur de Psychologie des
processus cognitifs de l’Université Paris 8 et Maître de
conférences en Sciences de l’Education à
l’Université de Rouen. Au sein du Campus numérique FORSE,
site de Rouen, il est actuellement responsable pédagogique de la Licence
dans sa modalité à Distance. Il est membre du laboratoire CIVIIC
et au sein du de l’axe 3, « Dynamique et perception du changement
dans les pratiques d’enseignement-apprentissage ». Il mène des
recherches sur les TICE en Education et en Formation. Ces principaux axes de
recherches ces dernières années portent sur
l’accompagnement, notamment le tutorat à distance ou en mode
hybride dans les dispositifs de formation et formation professionnelle continue
principalement au travers des logiciels de classes virtuelles. Il a
également mené et mène des travaux sur les usages des
nouveaux dispositifs ou environnements numériques (Cartables
numériques, Environnement Numérique de Travail) dans les
établissements scolaires du secondaire à la fois au sein du
laboratoire CIVIIC mais également dans la seconde moitié des
années 2000 en coopération avec les membres du réseau
POETIC (Partage des Observations et Etudes sur les TIC).
Adresse : CIVIIC, UFR SHS – Bat
Freinet, Rue Lavoisier, 76821 MONT SAINT AIGNAN
Courriel : herve.daguet@univ-rouen.fr
Toile : civiic.univ-rouen.fr/?q=content/herv%C3%A9-daguet
1 Nous évoquons ici le
logiciel utilisé dans notre dispositif mais nous aurions pu, au
même titre citer d’autres produits équivalents de type
« Centra » ou encore « Elluminate ».
2 Manuel d’utilisation Adobe
Connect 9.0, p.1 et p.5 : Disponible sur internet (consulté le 20/04/15).
3 Ibid, p.15 : « La
salle d’attente est l’endroit où vous pouvez exposer une
présentation autonome ou d’autres contenus préliminaires.
Laissez cet affichage ouvert pour que les personnes présentes puissent
consulter le contenu avant le début de la réunion.
L’affichage « présentation » vous permet de
lancer une présentation power point ou encore de partager votre
écran ou un tableau blanc. La disposition Etude vous permet de collaborer
avec les étudiants, de fournir des fichiers à
télécharger et des liens à visiter, ainsi que
d’utiliser un tableau blanc pour donner des instructions ».
4 Site du CNRS Centre National des
Ressources Textuelles et Lexciales : Disponible sur internet (consulté le 08 août 2013).
5 Traduit de Moore (1972, p. 76) :
«Distance education was defined in that presentation as the family of
instructional methods in which the teaching behaviors are executed apart from
the learning behaviors... so that communication between the learner and the
teacher must be facilitated by print, electronic, mechanical, or other
device».
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