Rencontre avec des nouveaux objets à écrans
tactiles à l’école et moments d’éducation
technologique
Olivier GRUGIER, (ESPE de l'académie de Paris - Université
Paris-Sorbonne ; Laboratoire EDA - Université Paris
Descartes)
|
RÉSUMÉ : Les
expériences avec le TI, dans un milieu spécialement
aménagé pour un enseignement collectif sont des moments
privilégiés permettant aux enfants de construire un ensemble de
connaissances.La familiarisation pratique implique que l’enfant puisse
agir sur l’objet, sur ces phénomènes et développe un
langage en effectuant des rencontres régulières. L’analyse
d’entretiens permet d’affirmer que la curiosité a conduit les
enfants à reconnaître une pratique manipulatoire de
l’enseignant. Le TI n’est toutefois pas perçu comme un
périphérique.
MOTS CLÉS : objet
tactile, école maternelle, éducation technologique,
familiarisation pratique. |
Meeting with new objects to touch screens in schools. A technological education |
|
ABSTRACT : One
of the areas of learning in primary school, is the discovery of the world" of
the objects. Experimenting with the IWB, in an environment specially designed
for group instruction, is a privileged occasion to allow children to build a
body of knowledge. In order to achieve practical familiarization, children must
act on object and develop a language. The analysis of data shows that children
are aware of the manipulative practice of the teacher. The IWB is mainly
perceived as an object for storing information.
KEYWORDS : interactive
whiteboards, school, education, technological education, practical
familiarization |
1. Modification du monde technique des élèves de
maternelle
En France, dès l’âge de 3 ans, les
élèves sont accueillis dans des écoles maternelles et
jusqu’à l’âge de 6 ans. L’école maternelle
se distingue notamment par les parcours éducatifs qui sont
proposés aux élèves. En effet, les apprentissages sont
organisés non pas en disciplines comme c’est le cas un peu plus
tard dans la scolarité obligatoire mais en domaines
d’activités thématiques. Un des domaines prescrits dans les
textes nationaux, est celui de la « découverte du
monde » dont un des axes est celui des
objets1. Le texte précise que
« l’enfant découvre le monde proche ». Dans ce
monde proche, « les enfants découvrent les objets techniques
usuels... et comprennent leur usage et leur fonctionnement : à quoi
ils servent, comment on les utilise ». La mise à disposition
régulière de nouveaux objets entraîne des modifications du
monde dans lequel vivent les enfants. Cet article s’intéresse
à la construction de référents empiriques par la rencontre
que font les élèves de maternelle avec ces objets techniques
tactiles dont l’interface est l’écran. Cette technologie,
présente dans les Smartphones, tablettes numériques, bornes
interactives de billetteries de transport, global positioning system (GPS) ainsi que dans des objets domestiques et des jouets d’enfants, est
introduite à l’école avec le Tableau Interactif. Ainsi, les
élèves sont, à l’école, parfois utilisateurs
de ces nouveaux objets ou témoins d’une utilisation par
l’enseignant en classe. Les observations et les expérimentations
qui sont menées sont, selon Albertini (Albertini, 1990),
des moments favorisant, pour chacun, une représentation d’un monde
même si cette dernière peut être incomplète ou
différente du monde réel.
Cette contribution présente les premiers résultats d’une
recherche en didactique de la technologie concernant les représentations
des élèves sur le fonctionnement, d’un point de vue interne,
de ces objets numériques à écrans tactiles. Cette
communication s’inscrit dans un travail de recherche centré sur les
changements et les transformations des représentations des
élèves pendant toute la scolarité à
l’école. Elle s’inscrit dans une recherche initiée par
Lebeaume et Perez (Lebeaume et Perez, 2012).
Pour la suite de l’article, les représentations seront
regardées comme une forme de connaissances provenant d’une
pensée non fiable qui peut être considérée comme les
fondations, non stabilisées, de connaissances scientifiques et techniques (Jodelet, 1999).
Le texte rappelle dans un premier temps le contexte d’introduction des
tableaux interactifs dans les écoles maternelles françaises qui
engendre de nouvelles questions didactiques. Il présente, ensuite,
l’enquête centrée sur les représentations des
élèves de maternelle de 3-6 ans et discute les
résultats.
2. Introduction des tableaux interactifs à
l’école : une volonté politique
Les ordinateurs avec un écran tactile, dans un
but d’apprentissage, existent depuis les années 1970 avec notamment
le PLATO IV de chez IBM (Buxton, 2010).
Sans vouloir effectuer une analyse historique complète, nous retiendrons
deux moments importants qui ont conduit au développement de
l’équipement de tels objets dans les écoles. La
première date, 1985, concerne la volonté nationale de former des
élèves à l’utilisation de l’outil informatique
avec la mise en place du plan « Informatique Pour Tous »
(plan IPT). Ce plan IPT est sans nul doute un moment charnière (Dimet, 2001), (Archambault, 2005),
qui fait suite à un processus entamé dès les années
70 avec des recherches exploratoires en éducation et la mise en place de
formations continues longues pour les enseignants (Baron etBruillard, 1996).
Avec ce plan, l’ensemble des établissements scolaires seront
équipés par l’Etat. Le développement
s’accélérera dans les années 2000 avec une
montée de l’intérêt des collectivités
territoriales qui en ont la compétence. En effet, en France, les
orientations politiques éducatives sont nationales mais le financement
des équipements, pour les écoles, est local avec les communes ou
les regroupements de commune. Il faut donc une politique locale pour mettre
à disposition du matériel informatique dans des écoles. La
seconde est l’apparition, dans les textes des programmes de
l’école de 2002, de l’ordinateur comme « un
instrument fécond d’exploration du monde virtuel dès lors
que l’usage en est correctement guidé par
l’adulte »2. Le
clavier de l’ordinateur est un support pédagogique utilisé
pour découvrir les lettres « avant même de savoir les
tracer ». Cette « informatique de
l’usager », en opposition à la programmation (Béziat, 2013),
a développé des savoirs faire et des usages chez les enseignants
et les élèves dans les écoles.
En 2009, un plan intitulé « Ecole Numérique
Rurale » (plan ENR) a été institué pour inscrire
l’école dans une dynamique de modernité (Villemonteix, 2007).
Ainsi, 6700 écoles de commune de moins de 2000 habitants ont
été
équipées3 d’un
tableau interactif et d’ordinateurs portables. Actuellement, en France,
les élèves peuvent côtoyer des tableaux interactifs dans
leur classe. Mais il ne s’agit pas d’une
généralisation. En effet, d’une part, ils ne sont pas
obligatoires dans les écoles et d’autre part, le matériel
scolaire est financé par les collectivités locales créant
ainsi des disparités d’une école à une autre.
Pour ces raisons, l’équipement présent dans les classes
en France est loin derrière la Grande Bretagne, qui selon le rapport de
la British Educational Communications and Technology Agency (British Educational Communications and Technology Agency, 2007) montre qu’il a augmenté d’une manière exponentielle
entre 2002 et 2007 pour arriver en moyenne à 8 tableaux interactifs dans
les écoles primaires et 100 % des écoles
équipées. Cette croissance, pour ce pays, serait due à une
politique volontariste du
gouvernement(Chaptal, 2007).
Au Québec, au 30 juin 2013, plus de la moitié des classes
disposent d’un tableau interactif faisant suite également à
une volonté politique (Lefebvre et Samson, 2015).
En France, selon les sources officielles (ETIC, 2010),
23 % des écoles primaires sont équipées d’au
moins un tableau interactif. La volonté politique est arrivée plus
tardivement et surtout plus modestement.
3. Les usages du tableau interactif à l’école
Dans les classes de l’école primaire, le
tableau interactif, lorsqu’il est présent, est utilisé
généralement comme un support pédagogique au service
d’un enseignement disciplinaire. Karsenti, Collinet Dumonchel (Karsenti, Collinet Dumonchel, 2012) soulignent que le tableau interactif permet d’augmenter la motivation des
élèves en classe. De même, Lisenbee (Lisenbee, 2009) constate que les élèves sont plus engagés et
adhérent plus facilement au processus d’apprentissage. C’est
essentiellement les fonctions interactives, comme le précisent Yi-Fang
Luo et Shu Ching Yang (Yi-Fang Luo et Shu Ching Yang, 2016) que les élèves apprécient surtout lorsqu’ils sont
acteurs et manipulent le tableau interactif. Toutefois, lorsque les enseignants
utilisent le tableau interactif pour un usage basique, comme écrire au
tableau, projeter, diffuser une vidéo, cela crée peu
d’interactions entre l’enseignant et les élèves (Normand, 2015).
De plus, les problèmes techniques rencontrés en classe pendant
l’utilisation du tableau interactif peuvent endeuiller le plaisir que les
élèves avaient développé Yáñez et Coyle, 2010)">(Yáñez et Coyle, 2010).
Ainsi, les usages restent parfois en deçà des attentes comme le
rappel Villemonteix et Béziat (Villemonteix et Béziat, 2014).
Selon la perception que les enseignants peuvent se faire du tableau interactif,
il se dessine un espace de possible en classe. Les travaux actuels sur les
objets à écrans tactiles, comme le tableau interactif, portent
majoritairement sur cette question des usages en classe et de
l’exploitation pédagogique. Concernant les usages du tableau
interactif (Baffico, 2009),(Ball, 2003), (Michau, 2008), (Linder, 2012),
il s’agit de repérer, de décrire puis d’analyser, dans
le cadre d’un enseignement identifié comme celui des
mathématiques, de l’histoire, de la géographie..., les
pratiques faites pour en dégager des avantages pédagogiques.
D’autres recherches (Legros, 2005), (Villemonteix etStolwijk, 2011) s’intéressent à l’appropriation du tableau interactif
par les enseignants et à l’acquisition technique nécessaire
pour exploiter en classe un tel objet dans le but parfois de développer
et proposer des formations continues ou initiales (Boulc’h et Baron, 2011).
Ces recherches sont centrées sur la question de l’impact du tableau
interactif sur la réussite scolaire mais n’apportent que des
réponses partielles à ce sujet puisque difficile à mesurer
dans le cadre d’un curriculum où les variables en termes de support
et de pédagogie peuvent également influencer
l’apprentissage.
Or, le tableau interactif pris dans le sens de nouvel objet, à
l’usage desquels l’école permet la familiarisation pratique,
intéresse aussi la didactique de la technologie, en particulier la
visée de modélisation de ce système particulier qui traite
une matière d’œuvre singulière :
l’information.
4. Familiarisation pratique avec un tableau interactif
Comme Lebeaume (Lebeaume, 2013),
nous tenons à souligner la nécessité de mieux
connaître, au-delà de la construction des schèmes
d’usage, les connaissances usuelles ou naïves mobilisées lors
de l’explication du fonctionnement ainsi que les éléments,
pouvant être considérés comme appuis ou obstacles dans la
perspective d’une analyse fonctionnelle. L’école maternelle,
par la présence d’un tableau interactif, offre des moments
permettant potentiellement aux élèves d’agir sur ces objets,
d’apprendre à contrôler des actions et de maîtriser un
langage propre.
Cette familiarisation pratique (Martinand, 1986) avec cet objet, les tâches qui lui sont associées pour la mise en
œuvre et les procédés, se caractérisent sous la forme
de connaissances techniques. Par l’observation des pratiques de
l’enseignant ou d’autres élèves de la classe, par la
manipulation personnelle dans le cadre d’une activité
d’apprentissage, par l’observation de l’objet à
distance ou proche en lien avec de la curiosité, la familiarisation
pratique favorise le développement d’un questionnement et la mise
en place de rencontres avec l’objet technique constituant ainsi un
référent empirique pour la compréhension technique et la
définition d’un niveau de maîtrise. Il peut y avoir une
familiarisation pratique au travers de quatre registres pouvant être
indépendant les uns des autres mais aussi complémentaire pour
cerner l’ensemble des contours de l’objet (fig.1).
Suivant le registre, les connaissances qui seront développées
ne seront pas les mêmes : allant de la simple acquisition de mot
à une expertise manipulatoire pouvant être complexe.
Figure n° 1 • Registre de la
familiarisation pratique à l’école
Ce qui est en jeu dans la familiarisation pratique est l’amorce de
processus d’instrumentalisation (Rabardel, 1995) générant une émergence ou une évolution des
schèmes d’utilisation et d’action instrumentée. La
familiarisation pratique commune aux objets techniques, du point de vue de la
didactique de la technologie, met en jeu des formes de connaissances tel
que : reconnaître un objet, savoir à quoi il sert et
identifier son fonctionnement technique. Cette familiarisation qui initie le
processus de domestication des choses devient par la suite de plus en plus
rationnelle. Elle relève de la description structurale et de
l’analyse fonctionnelle des objets utilisés par les
élèves et l’enseignant. Cette familiarisation se
caractérise sous la forme de connaissance technique (LebeaumeetMartinand, 1998).
L’éducation technologique, par les situations
d’apprentissage, fournit à tous l’occasion
d’acquérir un certain niveau de maîtrise ainsi que
l’expérience nécessaire pour comprendre le monde technique
contemporain afin de s’insérer dans le monde social en tant que
citoyen responsable.
Actuellement, comme le soulignait déjà Lasson (Lasson, 2004),
les recherches en didactique de la technologie traitant de la familiarisation
pratique comme « objet » d’étude sont toujours
peu nombreuses. De plus, elles n’apportent pas de réponse
concernant la familiarisation pratique des élèves avec le tableau
numérique et donc de permettre d’identifier les connaissances
acquises. Pour cela, notre étude propose d’identifier les
constituants du référent empirique des jeunes enfants de
maternelle concernant le fonctionnement du tableau interactif.
L’analyse des discours des très jeunes élèves, sur
le fonctionnement d’un objet comme le tableau numérique, peut
permettre d’identifier les connaissances de bases sur lesquelles un
enseignement technologique et informatique pourrait prendre appui.Contrairement
à l’ordinateur, le tableau numérique n’est pas
présent dans le foyer familial. Il ne peut donc pas y avoir de conflit
entre des pratiques domestiques et des pratiques scolaires dans l’usage de
l’objet (Giannoula, 2004).
Cependant, Komis (Komis, 1994) montre qu’il y a des distinctions pour un même objet dans les
représentations des élèves. Ainsi, l’auteur distingue
les représentations conceptuelles liées à l’usage des
représentations imagées liées à l’aspect des
objets. En tenant compte des travaux de recherche cités,nous allons
chercher à identifier les représentations partielles ou fausses
des élèves sur le tableau interactif.
5. Clarification du fonctionnement d’un tableau interactif
Pour recueillir puis interpréter les
représentations des élèves sur le fonctionnement interne
d’un objet comme le tableau interactif, il convient d’abord
d’en clarifier le fonctionnement (Denhièreet Baudet, 1992).
Le tableau interactif peut être considéré comme une
tablette graphique connectée à un ordinateur et transformée
en tableau (Petitgirard, Abry et Brodin, 2011).
La souris est remplacée soit par un stylet soit par un doigt, avec le
périphérique qu’est le vidéoprojecteur. Ce dernier a
pour fonction de projeter l’image présente sur l’écran
de l’ordinateur, sur une surface plane, celle du tableau. Pour
fonctionner, le tableau interactif doit être alimenté
électriquement et être paramétré. Ce
paramétrage consiste à ce que l’image projetée soit
synchronisée avec le déplacement du doigt ou du stylet. Le recueil
des informations émanant de l’utilisateur est effectué par
l’intermédiaire d’une surface composée d’un
quadrillage permettant ainsi de localiser la position du doigt ou du stylet.
Ce quadrillage est composé suivant les marques et les modèles
de plus de 6000 lignes horizontales et autant en verticales. Un calculateur
permet ensuite de transmettre des informations numériques vers
l’ordinateur par l’intermédiaire d’un câble USB,
d’un port série ou par une connexion sans fil par exemple du type
Wifi. Le tableau interactif ne stocke pas de données. Il est seulement
une interface de communication entre l’humain et l’ordinateur.
Chaque bloc fonctionnel qui compose le tableau interactif (fig. 2),
« acquérir des données », « traiter
des données » et « transmettre des
données », traite des informations et les transmets comme
valeur d’entrée au suivant. Le bloc fonctionnel transforme une
matière d’œuvre d’entrée en une matière
d’œuvre de sortie, représentée par les flèches
à gauche et à droite de chacun des blocs. Pour assurer cette
transformation, un bloc fonctionnel a besoin d’énergie ou
d’ordre (représentés par les flèches du dessus).
Figure n° 2 • Analyse fonctionnelle
d’un tableau interactif4
Le tableau interactif est un objet technique dialoguant avec d’autres
objets comme l’ordinateur, le vidéo projecteur dont
l’ensemble forme un système technique plus complexe.
6. Questionnement et hypothèses
Cet article s’inscrit dans une recherche qui
rend compte d’une étude exploratoire examinant, par la
familiarisation pratique des objets à écrans tactiles à
l’école, les connaissances techniques acquises par des
élèves de maternelle entre 3 et 6 ans. Afin de recueillir les
représentations, le corpus sera constitué de discours
d’enfants très jeunes, il est donc vraisemblable que ces derniers
ne se soient jamais posés de questions concernant le fonctionnement
interne d’un tableau interactif. De plus, les tableaux interactifs ne sont
pas présents dans les milieux familiaux, ce qui peut supposer, a priori,
qu’il n’y a pas d’acquisition de connaissances dans le cercle
familial sur cet objet comme cela pourrait être le cas avec un ordinateur (Holo, 2010) ou une
tablette. Les élèves étant dans leurs trois
premières années de scolarisation, les activités scolaires
autour et avec le tableau interactif, les éventuelles manipulations et
les usages de l’enseignant en classe sont des situations sociales (Vygotski, 1997) permettant aux élèves de constituer une base de connaissances qui,
en fonction de l’âge et de la maturité cognitive (Piaget, 2003) peut évoluer. Ainsi, différents travaux de recherche dont les
résultats sont soulignés par Cordier et Tiberghien (Cordier et Tiberghien, 2002),
ont montré que des connaissances naïves sont acquises par des jeunes
enfants à partir des expériences qu’ils vivent dans leurs
environnements. Comme le précise Hatano (Hatano, 1990),
les apprentissages se font au quotidien par des pratiques, par de
l’observation de pratiques et par le langage.
Cependant, les élèves peuvent rencontrer des difficultés
conceptuelles dans la construction des notions en lien avec le tableau
interactif. Avec les spécificités des composants matériels
et logiciels, des difficultés d’ordre technique sont susceptibles
d’être générées (Levy, 1992). De
plus, pour comprendre un objet inconnu certains élèves vont
effectuer, spontanément, des analogies avec des dispositifs plus
familiers comme l’ordinateur ou encore la tablette qui peuvent être
utilisés dans le cadre familial. Mais, l’acquisition de
connaissances par analogie peut être un obstacle
épistémologique qui résistera à tout
apprentissage(Bachelard, 2004).
L’usage de l’objet mais sans enseignement spécifique sur
cet objet peut, comme le soulevaient Giannoula et Baron (Giannoula et Baron, 2002) concernant l’utilisation de l’ordinateur à la maison en
absence d’enseignement, limiter la conceptualisation des
élèves et retrouver uniquement dans le discours de ces derniers un
inventaire des parties extérieures du tableau interactif sans en saisir
son fonctionnement. De plus, Peyssonneaux (Peyssonneaux, 2001) affirme que les élèves peuvent avoir une conception assez large
des usages de certains objets numériques et une bonne connaissance du
matériel même s’ils connaissent mal le fonctionnement de la
machine.
Ainsi, nous supposons que les rencontres scolaires avec un objet technique
non familier permettent d’acquérir des connaissances
langagières mais aussi techniques, servant de bases à des
connaissances scientifiques et techniques disciplinaires.
Cette recherche propose donc d’apporter des réponses aux
questions suivantes : d’une part, y a-t-il une éducation
technologique avec l’objet tableau interactif par les rencontres que
l’école propose directement ou indirectement aux
élèves ? Et d’autre part, quelle base de connaissance
technique est constituée ?
7. Méthodologie
En prenant appui sur les travaux de Luquet (Luquet, 1927) concernant les différents stades dans l’évolution des
dessins, le réalisme des représentations graphiques des jeunes
enfants est éloigné de la réalité d’une part
à cause d’une motricité pas entièrement
maîtrisée et d’autre part car les tracés sont souvent
polysémiques. De plus, obtenir des représentations sur le
fonctionnement interne d’un objet technique, comme le tableau interactif,
semble difficile à représenter par un dessin. D’ailleurs
Pelpel (Pelpel, 2000) souhaitant recueillir les représentations des élèves de 10
ans concernant l’ordinateur énonçait déjà les
limites suivantes : « Les dessins ne permettent pas de saisir
les représentations que les enfants ont du fonctionnement de
l’ordinateur... le dessin n’est pas nécessairement, pour
répondre à la question donnée, la forme la mieux
adaptée pour
tous »5. Toujours pour
des raisons liées à l’âge des enfants,
l’expression écrite, non encore maîtrisée, ne peut
être utilisée pour le recueil de données.
En conséquence, l’enquête s’est basé sur des
entretiens. Un guide d’entretien semi-directif constitué de
questions ouvertes avec des relances a été utilisé. Ainsi,
la libre expression était favorisée tout en permettant le recueil
de réponses spontanées. Il s’agissait donc de recueillir les
propos des élèves qui constituaient des traces de leurs
représentations, de leurs connaissances mobilisées
spontanément face à une question posée. Le guide tendait
à inciter la prise de parole, favorisait la libre expression et surtout
permettait de recentrer et recadrer pour éviter la dispersion. Il
était constitué de quatre parties :
- Quelle connaissance de l’objet ?
- Comment ça marche ?
- Comment l’utiliser ?
- Quel exemple d’utilisation ?
Le guide, utilisé auprès des élèves, permettait
de limiter la durée des entretiens entre 6 et 12 minutes, suivant les
groupes. En effet, après avoir testé notre guide (Grugier, 2014) nous avions constaté, face à la population concernée, que
ce temps permettait à la fois de recueillir suffisamment de
données et de garder l’attention des élèves
interrogés pendant le temps de la récréation. En effet,
nous nous sommes aperçus qu’au bout de 7 à 8 minutes,
l’attention des élèves diminuait surtout pour les plus
jeunes.
Afin de rassurer les élèves, nous les avons rencontrés
à plusieurs reprises dans le cadre de sorties scolaires et pendant les
récréations. De plus, les entretiens se sont
déroulés dans leur propre classe et à côté du
tableau interactif ce qui leur permettait d’être dans un
environnement connu. Enfin, afin de permettre à tous les
élèves de s’exprimer, les entretiens se sont
déroulés sous la forme d’un débat entre trois enfants
animé par le chercheur. Les groupes ont été
constitués à partir de l’ordre alphabétique tout en
préservant les tranches d’âge.
8. Rencontre avec des élèves de maternelle
8.1. Terrain de recherche
Le choix de l’école maternelle a
été arrêté par rapport à
l’équipement dans les classes. Ainsi l’école choisie
est équipée d’un tableau interactif dans chaque classe.
Ce matériel, identique dans toutes les classes de cette école,
est fixé au mur sur un support permettant au tableau interactif de monter
et descendre jusqu’à 20 cm du sol sans modifier les réglages
du vidéo projecteur. Cette action se fait par la simple pression
d’un bouton. Le tableau interactif fait ainsi partie de
l’environnement scolaire des élèves au même titre
qu’un tableau classique. Ces conditions sont susceptibles de favoriser la
mise en place de moments d’enseignement-apprentissage avec et sur le
tableau interactif.
L’école où nous avons mené notre enquête se
situe dans un village rural de la grande banlieue orléanaise. Elle est
composée de 5 classes accueillant des enfants de 3 ans à 11 ans.
Les enfants sont issus d’un milieu socioprofessionnel moyen composé
de cadres, de fonctionnaires, de professions libérales, de
commerçants et d’ouvriers. L’école accueille entre 100
et 110 élèves de la petite section de maternelle au cours moyen de
deuxième année.
La collectivité territoriale en charge de l’école a
profité du plan Ecole Numérique Rurale pour introduire ces objets
numériques dans les classes. Les enseignants ont suivi différentes
formations, techniques et pédagogiques pour exploiter ce
matériel.
Après une première approche durant l’année
scolaire 2012-2013, dont le corpus était constitué de 12 enfants
de première année de maternelle provenant d’une classe
à deux niveaux, une seconde série d’entretiens s’est
déroulée durant l’année scolaire 2013-2014
auprès de 39 élèves (tab. 1) allant de la petite section
à la grande section de maternelle.
Tableau n° 1 • Composition du
corpus
Niveau |
Dénomination des trinômes interrogés |
Durée des entretiens |
Petite Section : enfants de 3 à 4 ans |
PS 1 |
8 min10 |
PS 2 |
6 min42 |
PS 3 |
7 min40 |
Moyenne Section : enfants de 4 à 5 ans |
MS 1 |
9 min40 |
MS 2 |
9 min40 |
MS 3 |
6 min45 |
MS 4 |
9 min24 |
MS 5 |
10 min35 |
MS 6 |
12 min10 |
Grande Section : enfants de 5 à 6 ans |
GS 1 |
9 min30 |
GS 2 |
8 min34 |
GS 3 |
9 min |
GS 4 |
7 min18 |
8.2. Description de la pratique des enseignants
Dans cette école, les deux classes de
maternelle constituées sont à double niveau PS-MS et MS-GS. Dans
la première classe, deux enseignants interviennent chacun deux
journées par semaine : un enseignant de plus de 50 ans et une
enseignante d’une trentaine d’années. Le premier a suivi une
formation technique et pédagogique sur et avec le TI. Le tableau
interactif est utilisé régulièrement pour visualiser des
images et des photographies mais aussi pour faire participer les
élèves à des activités de manipulations
d’objets sur l’écran. Par contre, l’enseignante de
cette même classe n’a pas suivi de formation sur le tableau
interactif.
Dans la seconde classe, deux enseignantes d’une trentaine
d’années se répartissent la responsabilité des
élèves dans la semaine. L’une des enseignantes a suivi la
même formation que son collègue, de la classe de PS-MS, sur le TI.
Ce n’est pas le cas pour la seconde enseignante. L’utilisation du
tableau interactif est moins importante que dans la première classe. Il
s’agit pourtant du même objet qui permet les mêmes
fonctionnalités. Les élèves manipulent peu et les
fonctionnalités d’interactivités sont par conséquent
peu utilisées.
9. Ce que nous disent les élèves : présentation
des résultats et discussion
Chaque entretien a été
enregistré sur un support audio afin de pouvoir en effectuer une
retranscription écrite et analysable. La difficulté, dans les
discours, est de pouvoir faire une distinction entre le n’importe quoi, ce
que Piaget (Piaget, 1947) désigne par le terme « commode », ou encore les
fabulations des croyances de l’enfant et les réactions liées
au sujet de l’étude. Les discours décalés ou hors
champ ne sont donc pas étudiés, dans cet article.
Nous choisissons de présenter l’analyse du discours des
élèves dans l’ordre des thèmes abordés pendant
les entretiens sachant que le vocabulaire utilisé par ces derniers
à la fin, émane d’un travail d’émergence
effectué au début de l’entretien. Le discours des
élèves ainsi que le vocabulaire utilisé sont donc
présentés dans l’ordre chronologique des entretiens.
9.1. Dénomination de l’objet technique
Pour introduire le débat, la première question posée aux
élèves leur demandait d’identifier l’objet sur lequel
nous avons discuté. Pour cela, le tableau interactif disponible dans la
classe est montré du doigt tout en posant la question suivante :
comment appelez-vous cet objet ?
Deux réponses apparaissent (tab.2) : le terme de tableau et celui
de TBI
Sur les dix groupes d’élèves, le nom de TBI est
cité dans huit groupes et celui de tableau dans six. Il s’agit du
vocabulaire employé par les enseignants des classes. D’ailleurs les
petites sections précisent que c’est Monsieur B. qui le
désigne ainsi.
Le terme tableau semble être plus lié à l’usage qui
est fait du tableau interactif. En effet, les élèves
précisent :
MS 3 : Tableau parce que c’est un tableau pour regarder des
choses.
MS 4 : Tableau, parce qu’il y a des crayons.
Pour un groupe, l’appellation TBI est associée au terme
d’écran. Par contre la justification se fait par rapport à
l’usage de l’objet :
MS 1 : Moi parfois, je l’appelle l’écran
Aucune différence n’apparaît, entre les enfants de 3 ans
et ceux de 6 ans, dans la dénomination de l’objet et
l’argumentaire.
Tableau n° 2 • Dénomination de
l’objet par les enfants
Niveau
|
Nom groupes
|
Dénomination
|
Argumentation développée
|
P. Section :
3 à 4 ans |
PS 1 |
TBI |
Monsieur B., il dit ça ! |
PS 2 |
Tableau |
|
PS 3 |
TBI |
C’est monsieur B. |
M. Section :
4 à 5 ans |
MS 1 |
TBI, écran |
Moi parfois, je l’appelle l’écran |
MS 2 |
Tableau |
|
MS 3 |
Tableau |
Parce que c’est un tableau pour regarder des choses |
MS 4 |
Tableau, TBI |
Un tableau car il y a des crayons.
TBI, parce que monsieur B. Il l’appelle TBI |
MS 5 |
TBI |
C’est la maîtresse qui l’appelle TBI |
MS 6 |
TBI, ordinateur |
C’est Séverine qui l’appelle TBI |
G Section :
5 à 6 ans |
GS 1 |
Tableau |
|
GS 2 |
TBI |
C’est la maîtresse qui le dit. |
GS 3 |
Tableau |
|
GS 4 |
TBI |
Parce que la maîtresse, elle nous l’a déjà
dit. |
Deux groupes font un lien avec le terme ordinateur pour préciser que
c’est un tableau mais différent.
MS 5 : C’est un TBI
Chercheur : Comment le sais-tu ?
MS 5 : Parce que, à mon avis, ça ressemble à un
ordinateur mais c’est un TBI.
Pour les plus grands :
GS 3 : C’est un tableau
GS 3 : Non c’est... Parce que c’est avec un ordinateur et un
tableau, il ne fait pas avec l’ordinateur.
Il y a donc eu l’acquisition de mots, provenant du vocabulaire
employé par les enseignants de ces classes.
9.2. Qui utilise le tableau interactif ?
Les enfants sont unanimes : les utilisateurs principaux du tableau
interactif sont les enseignants.
Cependant, dans les discours des enfants nous pouvons supposer qu’il
existe une utilisation ponctuelle par les élèves :
MS 1 : On l’utilise un peu pour s’entraîner. Pas
beaucoup.
MS 5 : Pas les enfants, c’est que la maîtresse qui
l’utilise. Avant dans la classe des petits, on pouvait écrire sur
le TBI mais pas là. On ne peut plus.
GS 4 : On y a déjà touché quand on était en
petite section.
9.3. Des usages en classe
Le tableau interactif se réduit à un usage se rapportant
davantage à celui d’un vidéoprojecteur associé
à un écran qu’à un usage faisant appel à des
activités de manipulation et d’interactivité
homme-interface. Il semble être majoritairement utilisé comme un
support pédagogique permettant d’utiliser des ressources
facilement. Cependant, le discours des élèves montre
également un usage où l’élève est acteurs en
agissant sur des objets virtuels afin de les modifier comme le coloriage ou
encore le déplacement de lettres de l’alphabet. La figure 3 reprend
les différents usages déclarés par les
élèves. (fig.3).
Figure n° 3 • Usages déclarés
avec le tableau interactif
PS 1 : (en parlant de l’utilisation du TBI en classe par
l’enseignant). Il a montré plein de choses. Il a montré
plein d’images. On a vu des lapins. Il y a plein de dessins animés.
Il nous a montré des choses de Pâques.
MS 5 : On regarde des photos de peintre.
MS 6 : Il montre des peintres et des dessins qu’ils font. Aussi,
il y a des photos où on est allé.
GS 4 : On regarde des choses. La maîtresse nous montre des
tableaux.
Le côté ludique est également nommé à
travers des activités :
PS 3 : Il y a des jeux de lettres.
GS 2 : On fait des jeux dessus.
D’autres indices laissent supposer que les élèves de
moyennes et de grandes sections utilisent ponctuellement l’objet pour des
moments d’apprentissage :
GS 2 : On écrit, on apprend à écrire.
GS 3 : On fait des vagues.
GS 4 : On a fait des coloriages.
Pendant certaines activités, les élèves vont pouvoir
manipuler le tableau interactif.
MS 1 : Avec la souris on fait des trucs. Tout à l’heure
quand on fait avec les fleurs, on prenait avec le doigt pour les remettre dans
l’ordre sur le tableau.
Les activités déclarées par les élèves
avec le tableau interactif sont centrées sur de la visualisation
d’images, de photographies ou encore d’animations. Quelques
activités manipulatoires, comme l’écriture et le coloriage,
sont également évoquées.
9.4. Procédure de mise en œuvre de l’objet
Malgré une posture de spectateur plutôt qu’acteur les
élèves décrivent des procédures de mise en
fonctionnement de l’objet. Ce discours s’appuie sur de
l’observation de pratiques régulières.
Une histoire de télécommande et de bouton vert :
PS 2 : Il faut appuyer. Le vert (bouton). Le vert tout en bas.
MS 1 : On appuie sur des boutons. Il y a une télécommande.
On voit un petit rond avec un trait.
MS 4 : T’appuie sur un bouton du TBI.
GS 2 : On appuie sur un bouton. Il y a une télécommande.
Il y a plein de boutons mais faut pas appuyer dessus.
GS 4 : Il y a une petite télécommande et on doit appuyer
sur le bouton vert.
Si les enfants de moyenne et de grande section de maternelle ont tous
décrit une procédure pour allumer le tableau interactif, ce
n’est pas le cas pour l’ensemble des groupes des petits.
En effet, un groupe de trois élèves ne s’est pas
exprimé sur ce sujet. De plus, l’objet télécommande
n’est pas évoqué systématiquement alors que pour les
moyennes sections, il revient régulièrement.
À partir de 4 ans, un groupe d’élèves sur les six,
de moyenne section et tous ceux de grande section ont identifié un lien
entre l’ordinateur et le tableau interactif.
MS 5 : Pour le faire marcher, on appuie sur un truc. On attend un peu et
après ça ouvre. Elle (la maîtresse) appuie sur les boutons
de l’ordinateur est après ça ouvre. Après, on appuie
sur un bouton, je ne sais pas lequel et après ça
s’allume.
GS 1 : L’ordinateur. En fait, on l’allume, après on
allume le TBI. Et quand on clique, il y a plein d’images et ça
commence à apparaître. La télécommande, elle sert
pour allumer en haut. Si on voit le vert, ça s’allume.
GS 3 : En fait, on utilise l’ordinateur pour l’allumer.
Après, on appuie sur un des carrés avec la souris. Il y a aussi
une petite télécommande.
La maturité des enfants, le développement cognitif mais surtout
la confrontation à des situations d’observation d’une
pratique des enseignants a permis aux élèves
d’acquérir des connaissances concernant la mise en fonctionnement
du tableau interactif de la classe. Ainsi, après deux années
scolaires dans une classe de maternelle en présence d’un tableau
interactif, les élèves ont observé, par rapport à la
pratique de l’enseignant, un élément supplémentaire
et qui leur semble nécessaire pour la mise en fonctionnement de
l’objet (fig.4).
Figure n° 4 • Évolution des
représentations des élèves dans l’identification des
éléments utilisés pour la procédure de mise
œuvre d’un tableau interactif
Il s’agit de l’ordinateur. Au fur et à mesure des
rencontres, le tableau interactif n’est plus perçu comme un objet
isolé mais comme un objet faisant partie d’un système plus
large dont les limites ne sont pas encore connues
9.5. Tableau interactif et ses périphériques
Comme pour la procédure de mise en œuvre d’un tableau
interactif, les différents périphériques qui entourent le
tableau interactif sont identifiés au cours des années. Peu
à peu le tableau interactif s’inscrit dans un système
composé d’autres objets en interactions entre eux.
L’ordinateur et ses fonctions :
PS 1 : L’ordinateur sert à faire des trucs.
MS 1 : Il y a un ordinateur et une souris. Comme ça, on voit les
deux images en parallèle.
MS 2 : (l’ordinateur). C’est pour voir. Il
(l’enseignant) voit sur l’ordi et après sur le tableau.
MS 3 : ça (l’ordinateur), c’est pour mettre des trucs
sur le tableau.
MS 5 : C’est l’ordinateur qui le fait marcher.
GS 3 : L’ordinateur sert à voir la même photo.
S’il n’y a pas d’ordinateur, il ne marche pas.
Peu de jeunes élèves ont identifié la présence
d’un ordinateur à côté du tableau interactif. Pour les
enfants de 4 à 6 ans, l’ordinateur permet d’avoir un double
écran.
Naturellement, plus les élèves sont grands et plus ils
identifient d’objets faisant partie du système à
côté du tableau interactif. Les enfants de 3 à 4 ans citent
l’ordinateur et la souris, ceux de 4 à 6 ans mentionnent aussi la
clé USB et le son
Même s’il y a une identification d’autres objets, les
fonctions de ces derniers ne sont pas bien maîtrisées :
MS 1 : Avec la souris, on fait des trucs.
MS 6 : (Comment ça fonctionne un TBI ?) Avec le truc
(vidéo-projecteur) en haut. En haut du TBI, de l’écran. Il y
a un truc.
Il y a bien une acquisition de vocabulaire mais, ce dernier, n’est pas
forcément bien maîtrisé par les
élèves. :
MS 1 : La souris c’est la flèche.
MS 5 : On utilise la télécommande USB.
9.6. Utiliser le tableau interactif
Les jeunes élèves de 3 à 4 ans ne décrivent
aucune procédure pour utiliser le tableau interactif alors que
l’ensemble des groupes de grandes sections se sont exprimés.
C’est, en partie, lié à l’âge des
élèves avec un manque de maturité cognitive pour comprendre
et mettre en mot ce qu’ils observent. Car, il apparaît dans le
discours des plus grands que c’est en petite section qu’ils ont
utilisé le plus le tableau interactif.
MS 1 : Tout à l’heure, quand on a fait avec des fleurs, on
prenait avec le doigt pour remettre dans l’ordre sur le tableau. Il faut
mettre le doigt sur le tableau.
MS 6 : On prend les crayons.
GS 4 : On peut prendre le crayon ou le doigt. Que les crayons comme
là (il montre ceux dédiés au TBI). On choisit des
couleurs.
De plus, les élèves qui se sont exprimés pour
décrire comment utiliser le tableau interactif soulèvent des
contraintes techniques qu’ils ont identifiées en le
manipulant :
MS 1 : Il ne faut pas mettre la main.
MS 6 : On met sa main derrière son dos et après on
dessine. Si on ne met pas sa main derrière son dos et ben, ça
n’écrit pas. Si, ça écrit mais, on fait du
gribouillibouilla.
GS 3 : Il faut prendre le crayon mais pas poser la main, sinon ça
fait un petit point. Par exemple, je veux dessiner un cœur, je prends le
crayon et je mets ma main sur le tableau et ça fait un trait. On
n’a pas le droit d’écrire avec la main sinon ça fait
du gribouillage.
La manipulation, même faible, a permis aux élèves de
définir les certaines conditions d’utilisation du tableau
interactif. Des stratégies, comme mettre une main dans le dos, ont
été développées soit d’une manière
instinctive soit en suivant les consignes des enseignants.
9.7. Dedans, comment ça fonctionne ?
Lorsque la discussion aborde ce qu’il y a à
l’intérieur et de quoi est composé le tableau interactif,
les réponses des élèves sont évidemment moins
précises. Les enfants de 3 à 4 ans ne formulent aucune
réponse par contre, les moyennes sections et surtout les grandes sections
formulent des hypothèses. Le terme d’électricité,
comme réponse spontanée, apparaît comme si ce mot regroupait
une solution évidente mais, qu’il conviendrait d’explorer
spécifiquement :
MS 1 : Il y a une batterie. De l’électricité.
MS 2 : Des piles. Une batterie. Moi je sais parce que c’est ma
mère qui me l’a dit.
MS 4 : Il faut de l’électricité pour le TBI.
Beaucoup d’électricité.
MS 5 : Des prises d’électricité et puis ça
vibre et c’est ça qui fait marcher.
Pour les grandes sections, les représentations sont sensiblement
identiques :
GS 1 : Des prises. Il y a des fils qui se branchent.
GS 2 : Des fils d’électricité. De
l’électricité. Ça vient de la centrale
nucléaire.
GS 4 : Il y a des fils pour allumer.
La familiarisation pratique des élèves avec le tableau
interactif constitue, ici, un référent empirique pour
l’enseignement du concept d’électricité. Difficile,
par rapport à la taille du corpus, d’affirmer que les
représentations ont évolué entre ceux qui évoquent
les piles ou les batteries et l’élève de grande section qui
cite la centrale nucléaire. Ce qui peut être noté,
c’est que les élèves de petite section ne se sont pas
posés de question sur ce qu’il pouvait y avoir derrière
l’écran, d’un point de vue technique. Alors que dès la
deuxième année de scolarité, les élèves
formulent des hypothèses qui mériteraient d’être
explorées (piles, batteries, fils électriques, centrale
nucléaire).
9.8. Tableau interactif : une unité de stockage pour les
élèves
En effectuant des relances, par rapport à l’usage décrit
par les élèves, le tableau interactif est considéré
comme un lieu de stockage de l’information tout comme l’ordinateur.
Cependant, comme précédemment, les élèves ne
s’expriment pas tous à ce sujet.
PS 1 : Les petits lapins, ils sont dans le TBI et l’ordinateur
aussi.
MS 1 : Les œufs de Pâques restent dedans parce que quand on
rallume, ils restent dedans.
MS 5 : Elles (les photos) sont dans l’ordinateur et dans le TBI.
Elles sont dans les deux.
D’autres émettent des hypothèses
différentes :
GS 1 : Il faut aller sur Internet.
GS 2 : Dans la clé USB.
Mais, le manque d’expérimentation conduit les
élèves à avouer les ignorances :
GS 3 : On ne sait pas parce que c’est la maîtresse qui les
met.
Autant, l’observation de la pratique enseignante par les
élèves leur permet de décrire une procédure de mise
en fonctionnement du tableau interactif autant, le manque de manipulation de
l’objet les conduit à formuler des affirmations fausses quant
à la notion de lieu de stockage des données.
Finalement les enfants, dans l’ensemble, ont attribué un nom
à cet objet : tableau ou TBI. Il s’agit des termes
utilisés par les enseignants. D’ailleurs, selon les
déclarations des enfants, c’est bien l’enseignant qui utilise
principalement le tableau interactif pour projeter des photographies et des
images. Ainsi, l’usage qui est fait du tableau interactif laisse peu de
place aux fonctions tactile et interactive.
10. Conclusion et perspectives
Cette contribution permet d’affirmer que
l’objet tableau interactif, dans son fonctionnement externe et son usage
n’est pas complètement cerné par ces élèves
mais ils commencent à en avoir une vision en termes de mise en
fonctionnement. Le travail de recherche qui se poursuit auprès
d’élèves élémentaires de cette même
école devrait permettre de préciser encore plus les connaissances
et les compétences acquises par la manipulation ou
l’observation.
Toujours d’un point de vue externe, il est identifié qu’il
faut agir sur des boutons et qu’il est nécessaire d’avoir de
l’électricité pour le faire fonctionner. De même les
enfants ont repéré un autre objet qui est placé à
côté, l’ordinateur, mais sans faire de lien, technique, entre
les deux. Il s’agit d’avoir un double écran. Cette perception
générale d’autres organes a déjà
été identifiée auprès d’élèves
de collège (Lebeaume et Perez, 2012) ce qui conforte le constat du masquage du fonctionnement par l’observation
d’usage.
Les savoirs et les connaissances sont acquis essentiellement par
l’observation de pratiques enseignantes. Les élèves ont
également développé des techniques manipulatoires de
l’objet en tant qu’utilisateur. Ils savent, en effet, qu’avec
un doigt, il est possible de déplacer des éléments ou de
laisser des traces sur le tableau interactif avec des crayons
spécifiques. Par contre, ils ne se posent pas de question entre
l’action de leur main sur l’objet et l’interprétation
faite par ce dernier.
Les élèves émettent l’hypothèse que le
tableau interactif peut-être un endroit de stockage. La notion de stockage
qui renvoie plus tard à la question de l’arborescence de fichiers
sera peut-être un obstacle dans leurs scolarités à venir. En
effet, certains élèves de maternelles font des analogies en termes
d’usage d’un artefact à un autre et notamment entre le
tableau interactif et la tablette (Grugier, 2014).
Pour conclure, il apparaît que les élèves sont curieux et
se posent des questions pour mettre en fonctionnement et utiliser le tableau
interactif. Par contre, ils restent sur le registre
d’observateur-utilisateur, et peu d’interrogations sont faites
concernant un fonctionnement interne qui nécessite une posture
différente. En effet, la familiarisation avec l’objet ne
s’opère que sur le registre de l’observation et non de la
manipulation. Un usage centré sur du déplacement d’objet
virtuel, sur de la conception collaborative avec l’écran tactile,
sur de l’exploitation de document d’une séance à une
autre peut favoriser une meilleure compréhension de cet objet. Une
entrée par l’usage est une autre approche pour mieux comprendre le
fonctionnement d’un objet.
En reprenant la figure 2, présente dans cet article, les trois blocs
fonctionnels qui appartiennent au tableau interactif (acquérir, traiter
et transmettre des données) ne sont pas perçus par ces
élèves de maternelle comme les fonctions du tableau interactif.
Cependant, les rencontres régulières avec l’objet à
écran tactile ont permis, aux élèves, l’acquisition
d’un vocabulaire spécifique et l’acquisition de
premières connaissances techniques mais ayant encore des bases fragiles
même si les usages qui sont effectués en classe ne permettent pas
d’avoir une réelle éducation technologique puisque
l’objet est considéré comme un support d’enseignement
et non un objet d’étude.
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À
propos de l’auteur
Olivier GRUGIER est maitre de conférences en
sciences de l'éducation à l’ESPE de Paris Université
Paris Sorbonne et membre du laboratoire EDA à Paris Descartes. Ses
recherches actuelles portent sur les représentations des
élèves de l’école par rapport aux nouveaux objets
numériques à écran tactile, que les enfants rencontrent et
manipulent. Elles s’inscrivent à l’articulation de la
didactique de la technologie et des sciences de l’information et de la
communication. Ses thèmes de recherche concernent les enjeux didactiques
des objets numériques dans les classes, l’appropriation et la
compréhension de ce monde par de jeunes élèves. Il est
également expert international concernant les curricula pour
l’éducation technologique et l’artisanat dans
l’enseignement obligatoire en Afrique et plus particulièrement au
Tchad.
Adresse : Laboratoire EDA,
Université Paris Descartes, Faculté de sciences humaines et
sociales-Sorbonne, 45, rue des saints pères, 75006 Paris
Courriel : olivier.grugier@espe-paris.fr
1 Ministère de
l’éducation nationale (2008). Programme de l’école
maternelle. Petite section, moyenne section, grande section. BO
hors-série n°3 du 19 juin 2008.
2 Ministère de
l’éducation nationale (2002). Programme de l’école
primaire. Ecole maternelle. BO n°1 du 14 février 2002.
3 http://eduscol.education.fr/cid56257/ecole-numerique-rurale.html consulté le 13 mai 2013
4 Représentation
inspirée du modèle SADT (StructuredAnalysis and Desidn
Technique)
5 Pelpel, N. (2000). Dessine-moi
une souris. Etude comparative de représentations
d’élèves. Revue de l’EDP n°100, 133-146
p142
|