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De l’évolution du métier
d’enseignant à distance
Cathia PAPI (TELUQ, Université du Québec)
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RÉSUMÉ : Alors
qu’Internet a progressivement été intégré dans
nos modes de vie et de travail, cet article interroge les changements induits
par les évolutions technologiques dans l’activité des
enseignants en formation à distance (FAD). Reposant sur des entretiens
menés auprès de professeurs ayant une longue expérience
dans le domaine, il met en relief que les évolutions technologiques ont
permis de faciliter la production des cours et de resserrer l’encadrement
des étudiants mais n’ont pas conditionné les modèles
pédagogiques, ces derniers ayant toujours été placés
en amont des choix technologiques. De plus, il permet de constater
qu’indépendamment des technologies, les particularités de
cette activité concernant la division des tâches demeurent mais
n’apparaissent pas tant sous l’angle d’une privation de
certains pans de la tâche professorale que sous celui d’une
collaboration servant l’idéologie de la FAD, à savoir
assurer l’accessibilité et la qualité de la formation.
MOTS CLÉS : enseignement
à distance, FAD, TIC, accessibilité. |
On the Development of the E-Teaching Profession |
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ABSTRACT : While
Internet permeates our work and life patterns, this research addresses the
changes introduced via technological developments on the activities of
professors who teach using Distance Education tools [DE]. Based on interview
data obtained from professors with significant experience in the area, this
analysis reveals that technology has allowed better course production as well as
increased student guidance. Nevertheless, such technological tools remain
largely subordinated to the pedagogical approaches deployed. Furthermore, this
research finds that, independently of the technologies deployed, the division of
tasks in DE courses remains largely unchanged due to ideological considerations
proper to the DE model, namely, accessibility and quality.
KEYWORDS : distance
teaching, distance education, ICT, accessibility. |
Ayant initialement
pénétré les institutions à des fins de communication
managériale, surtout administrative, avec l’échange de
courriels, Internet favorise un questionnement des traditions éducatives
depuis son expansion dans les années 1990. En effet, alors que la
connexion et l’accès à l’information sont
désormais possibles en tous lieux, notamment dans les universités,
et que les jeunes ont intégrés multiples technologies dans leurs
activités sociales quotidiennes, comment faire cours et saisir
l’attention des étudiants face à l’attrait des GAFA
(Google, Apple, Facebook, Amazon) (Fléchaux, 2014) ?
Certaines perspectives en appellent à des renversements tels que le
détournement de réseaux sociaux numériques à des
fins éducatives (Gobert, 2014) ou
la classe inversée (Roy, 2014) impliquant le suivi de cours en ligne et la réalisation de travaux en
classe. Toutefois, l’instrumentation des technologies à des fins
pédagogiques prend du temps de telle sorte que, malgré la
banalisation des activités instrumentées, les pratiques
enseignantes révèlent que les usages des technologies de
l’information et de la communication (TIC) qui franchissent le seuil de la
salle de classe sont principalement ceux qui s’inscrivent dans les
modèles technopédagogiques éprouvés (Baron, 2010), (Barbot et Massou, 2011).
C’est davantage hors des campus que l’arrivée
d’Internet semble avoir apporté les plus grandes nouveautés.
En effet, d’une part, elle a permis la création des ressources
éducatives libres (REL) et des cours en ligne ouverts et massifs (CLOM ou
MOOC) offrant ainsi des ressources d’apprentissage libre ne
requérant pas d’inscriptions payantes et susceptibles
d’être convoquées dans le cadre de formations
institutionnelles. D’autre part, Internet a conduit à l’essor
de la formation à distance (FAD). Longtemps pensée comme une
possibilité palliative réservée aux personnes
éloignées des institutions d’enseignement ou souhaitant se
perfectionner voire reprendre des études à l’âge
adulte, la FAD tend désormais à être perçue comme un
mode de formation parmi d’autres dont la qualité ne semble plus
remise en cause (Conseil supérieur de l’éducation, 2015).
Elle attire un public de plus en plus vaste et jeune comme le relèvent
notamment Lamy (Lamy, 2011) au
regard des inscrits à l’Open University et Audet (Audet, 2012a) prenant en considération l’évolution de la FAD au
Québec. Ainsi, avec un accroissement des inscriptions, entre 1995 et
2014, de 425% au niveau secondaire, 76% au niveau collégial et 181% au
niveau universitaire, le Québec compte, en 2013-2014, près de 180
000 apprenants en ligne aux trois cycles d’enseignement confondus (Saucier, 2015).
Mais alors que la formation à distance s’est toujours inscrite en
porte à faux des unités de temps, de lieux et d’action
caractéristiques de la formation en salle et qu’elle implique le
recours à diverses technologies permettant la médiatisation et la
médiation, dans quelle mesure l’arrivée d’Internet
a-t-elle modifié l’activité de l’enseignant à
distance ?
Si les activités et les pratiques d’apprentissage des
étudiants en FAD ont souvent interpellé les chercheurs,
l’évolution des pratiques enseignantes en FAD n’a, quant
à elle, guère fait l’objet de recherches francophones. Aussi
proposons-nous de nous y intéresser en prenant tout d’abord en
considération l’importance des technologies dans l’histoire
de la FAD puis en recoupant les informations recueillies auprès de
professeurs spécialisés dans ce mode de formation. Nous mettrons
ainsi en lumière les évolutions survenues dans le travail de
conception et d’encadrement des cours, puis nous nous pencherons sur les
caractéristiques clés de ce mode de formation avant de discuter
des principaux éléments ainsi dégagés.
1. Les technologies : élément pivot de la formation
à distance ?
Dans la deuxième moitié du XXème
siècle, le grand nombre de jeunes issus du babyboom, l’allongement
de la scolarité obligatoire et les volontés de
démocratisation de l’enseignement dans le secondaire et le
supérieur entraînent d’importants besoins en termes
d’établissements éducatifs et d’enseignants. Ce
contexte inspire, vers la fin des années soixante, la création
d’universités dites « ouvertes » afin de mettre
l’accent sur l’accessibilité offerte (Glikman, 2002).
Permettant d’étudier en lieu, temps et rythmes choisis, les
formations proposées par ces universités telles que l’Open
University au Royaume-Uni et, dans sa lignée, la Téluq au
Québec, semblent apporter des solutions à
l’éloignement géographique des villes universitaires, la
formation continue des adultes et l’accessibilité
sociodémographique (femmes au foyer, handicapés, travailleurs avec
des horaires de nuit, etc.). Sans contrainte de locaux, ces
établissements peuvent former de très grands nombres
d’apprenants grâce à leur mode de diffusion de ressources et
d’activités pédagogiques.
Dès les années 1960, l’enseignement à distance est
pensé selon une approche des systèmes de production industrielle
en raison de l’application des principes caractéristiques de cette
dernière, tels que la rationalisation ou la division du travail, et de la
place accordée à la technologie (Peters, 1967), (Lê Than Khoi, 1967), (Guillemet, 2004), (Miladi, 2006), (Baron, 2011).
Bien qu’encore d’actualité, la compréhension de la
formation à distance par les métaphores mécanistes et
systémistes (Morgan, 1999) de
l’industrialisation a été nuancée au fil du temps. Si
la production peut suivre un processus plus ou moins réglé,
celui-ci ne peut être pleinement automatisé, d’une part, et
l’accompagnement des apprenants, s’il peut être prévu
de manière systématique dans les parcours, ne peut pas faire
l’objet d’une industrialisation en tant que telle, d’autre
part.
Cependant, l’idée de changement social véhiculé
par la technologie paraît toujours pertinente, tout comme celle selon
laquelle la production de cours implique une certaine rationalisation des
activités où les technologies semblent jouer un rôle
central. En effet, nécessitant une médiatisation des contenus et
des communications, la FAD évoluerait au rythme des technologies de telle
manière que plusieurs auteurs (Power, 2002), (Audet, 2012b) présentent la formation en ligne comme la quatrième
génération de formation à distance, la première
étant la formation par correspondance reposant sur l’imprimé
et le courrier, la seconde les cours radiophoniques ou télévisuels
ainsi que les enregistrements audio ou vidéo et la troisième celle
alliant multimédia et informatique.
Cherchant à relativiser ce déterminisme technologique, Anderson
et Dron (Anderson et Dron, 2010) évoquent quant à eux l’existence de trois
générations de pédagogie en FAD. La première
correspondrait aux approches behavioriste et cognitive à une
époque où le service postal est relativement lent et les
possibilités de communication limitées, amenant à un
apprentissage très individuel par la lecture de manuels, le suivi de
programmes radiophoniques voire télévisuels ou les toutes
premières applications de l’enseignement assisté par
ordinateur (EAO). La seconde génération est
considérée comme celle de la pédagogie socioconstructiviste
advenant simultanément au développement des possibilités de
communication synchrone et asynchrone permettant de passer de la transmission
d’information à l’échange entre enseignants et
étudiants. Le premier modèle repose sur le contrôle du
résultat, le second est fondé sur l’analyse des processus de
construction des connaissances. La troisième génération,
dans laquelle nous vivrions actuellement, serait celle de la pédagogie
connectiviste selon laquelle l’apprentissage est inhérent à
la construction de réseaux de ressources permettant de résoudre
des problèmes réels. L’apprentissage est alors autant
basé sur l’appropriation d’informations que sur la
création de contenu. Il s’agit de développer une
réflexion via les médias sociaux, d’où les termes de
« produsage » (Anderson et Dron, 2010) ou de « consocréation » (Gobert, 2008) pour désigner cette activité de consommation et de création
de ressources.
Si cette conception considérant l’existence de trois
générations de FAD prend davantage en compte la dimension
pédagogique, elle comprend cependant aussi le caractère
indissociable avec les technologies. En effet, en conclusion, les auteurs
rappellent : « We have seen how different models of teaching
and learning have evolved when the technological affordances and climate were
right for them. Cognitive-behaviourist pedagogical models arose in a
technological environment that constrained communication to the pre-Web,
one-to-one, and one-to-many modes ; social-constructivism flourished
in a Web 1.0, many-to-many technological context ; and connectivism is
at least partially a product of a networked, Web 2.0 world. » (Anderson et Dron, 2010, p.90).
Et de préciser que, quelles que soient les évolutions
technologiques à venir, leurs impacts sur la formation seront moindres
car elles ne modifieront pas de manière conséquente la nature et
le mode de communication.
Approche répertoriant 4 générations de FAD |
Génération |
1ère |
2ème |
3ème |
4ème |
Technologie |
Courrier Papier |
Radio Télé Bande Disque |
Informatique Multimédia |
Internet
Web 1.0 Web 2.0 |
Pédagogie |
Behaviorisme + cognitivisme |
Socioconstructivisme |
Connectivisme |
Génération |
1ère |
2ème |
3ème |
Approche répertoriant 3 générations de FAD |
Tableau 1 • Prise en compte de la
technologie dans l’évolution de la FAD
Comme le fait ressortir le tableau ci-dessus, quel que soit l’approche
(et bien d’autres auteurs auraient encore pu être cités), la
FAD est pensée comme fondamentalement marquée par les innovations
technologiques. Permettant la mise en œuvre, à distance, d’une
plus large palette de modèles pédagogiques, l’arrivée
d’Internet et l’évolution du web apparaissent comme des
facteurs clés des changements connus dans ce mode de formation et
semblent être à l’origine de son essor depuis la fin du
siècle dernier. Pour autant, reste à savoir dans quelle mesure
elles modifient l’enseignement en FAD.
Tandis que certaines technologies sont parfois adoptées de
façon à remplacer les anciennes sans changement fondamental (le
même cours peut être accessible en version papier ou pdf, par
exemple), d’autres semblent davantage nécessiter une
évolution des pratiques (interagir en discussion écrite synchrone
ou asynchrone implique des situations et compétences différentes
de celle de l’écriture d’un courrier ou d’une
conversation téléphonique, par exemple) (Walters, Hiltz et Rotter, 2002).
De fait, par les fonctionnalités qu’elles offrent, les technologies
sont susceptibles d’influencer les pratiques éducatives
conformément au concept d’affordance. Avec ce dernier, Gibson (Gibson, 1979) souligne que si les propriétés ou potentialités sont
propres aux objets et non à l’expérience du sujet,
c’est bien ce dernier qui les actualise en leur donnant une signification
par son action. De plus, il pointe, notamment avec l’exemple du couteau
qui permet de couper ou de blesser selon son utilisation, que les affordances
peuvent être positives ou négatives. Autrement dit, non seulement
l’existence de technologies n’implique pas nécessairement
leur usage dans l’éducation mais aussi, lorsque c’est le cas,
ce qui en est fait et ses conséquences dépendent pleinement de ses
usagers.
Au-delà de l’arrivée d’Internet, il convient donc
de chercher à comprendre la manière dont les potentialités
du web ont transformé l’activité d’enseignement.
Plusieurs travaux, majoritairement anglo-saxons, ont ainsi cherché
à mettre en évidence les rôles et compétences de
l’enseignant en ligne désigné, selon les cas,
d’enseignant / professeur / formateur en ligne ou
« e-teacher », « online teacher » voire
« online instructor », de modérateur dans les espaces
virtuels de communication ou « e-moderator », de tuteur en
ligne ou « online tutor ». Ces études partent du
postulat que, bien qu’il s’agisse d’une extension de
l’activité traditionnelle d’enseignement sur campus, le
passage à la formation en ligne transforme la nature des interactions
entre les enseignants, les étudiants et les savoirs. Il introduirait
certaines spécificités à prendre en compte dans la
formation des enseignants en vue d’éviter le transfert simpliste de
pratiques usuelles en présentiel dans les environnements virtuels.
Ainsi, Berge (Berge, 1995), (Berge, 2008) décompose l’activité de l’enseignant/facilitateur en
quatre sphères de compétences dans le cadre des interactions en
ligne : pédagogique, sociale, managériale et technique.
Ce modèle est quelque peu revisité par Álvarez, Guasch et
Espasa (Álvarez, Guasch et Espasa, 2009) qui regroupent les compétences en cinq rôles : un
rôle d’organisation/conception
(« designer/planning » dans le texte) relatif à la
conception pédagogique du cours, c’est-à-dire aux
tâches de création ou de sélection du contenu et de
structuration du cours dans un environnement
numérique ; un rôle social concernant la communication en
ligne se caractérisant par des actions visant à favoriser la
coopération entre étudiants, à comprendre et encourager ces
derniers et leurs fournir des rétroactions ; un rôle
cognitif lié aux processus même d’apprentissage, de
mémorisation et de résolution de problèmes impliquant des
tâches d’accompagnement et d’évaluation. A ces trois
rôles principaux s’en ajoutent deux autres correspondant à
des domaines de compétences transversales, dénominateurs communs
de l’ensemble des rôles remplis par les enseignants en
ligne : un domaine technologique relatif aux connaissances et
compétences numériques impliquant notamment la maîtrise des
fonctionnalités d’un environnement numérique et
l’usage d’outils pour l’encadrement ; un domaine
managérial lié à un groupe de compétences permettant
de développer et d’adapter les actions prévues, de
gérer l’ensemble du processus de formation avec des tâches
concrètes de gestion de classe virtuelle ou d’environnement
numérique. Une revue de littérature (Baran, Correia et Thompson, 2011) sur les travaux publiés depuis le début des années 1990,
fait ressortir les cinq mêmes rôles ou domaines de
compétences mais au lieu de faire d’emblée de
l’enseignant un facilitateur, présente cela comme un sixième
rôle en raison de la plus grande autonomie des étudiants en
FAD1. Les auteurs mentionnent ainsi
l’éclatement de l’activité d’enseignement
caractéristique de la formation en ligne : « teachers
design, organize, and schedule the activities and learners assume greater
responsibility for their learning by coordinating and regulating their learning
activities (Anderson et al., 2001 ; Berge, 2008).
In an online learning environment, teachers are not the sole performers on the
online teaching stage. They share the roles and responsibilities with other
actors, such as instructional designers, program coordinators, and graphic
designers. » (Baran et al., 2011, p.429).
Loin du modèle de la « caisse d’œufs »
des classes du XXème siècle selon lequel « chaque
enseignant assume seul l’entièreté de sa tâche
principale », l’enseignement à distance apparaît
ainsi comme un « travail partagé » (Tardif et Borgès, 2009, p. 84),
partage qui ne semble pas tant diminuer les rôles et activités de
l’enseignant que les diversifier et amener une nouvelle répartition
du temps (DiBiase, 2000).
Nous appuyant sur ces différentes études nous proposons donc de
retenir trois domaines de compétences centraux et trois domaines de
compétences transversaux de l’enseignant en ligne, comme
synthétisé dans le tableau ci-dessus.
Tableau 2 • Domaines de compétences
de l’enseignant en ligne
Domaines centraux |
Domaines transversaux |
Pédagogique
(conception de cours) |
Managérial
(gestion de la formation) |
Cognitif
(guide à l’apprentissage, évaluation) |
Technologique
(compétences numériques) |
Social
(communication, rétroaction) |
Facilitation
(accompagnement des étudiants) |
Loin du modèle de la « caisse d’œufs »
des classes du XXème siècle selon lequel « chaque
enseignant assume seul l’entièreté de sa tâche
principale », l’enseignement à distance apparaît
ainsi comme un « travail partagé » (Tardif et Borgès, 2009, p. 84),
partage qui ne semble pas tant diminuer les rôles et activités de
l’enseignant que les diversifier et amener une nouvelle répartition
du temps (DiBiase, 2000).
Nous appuyant sur ces différentes études nous proposons donc de
retenir trois domaines de compétences centraux et trois domaines de
compétences transversaux de l’enseignant en ligne, comme
synthétisé dans le tableau ci-dessus.
2. Problématique et méthodologie d’enquête
La revue de littérature
présentée ci-dessus met en lumière un manque. En effet,
d’une part, des travaux font ressortir l’importance de la prise en
compte des innovations technologiques et pédagogiques dans
l’évolution de la formation à distance. D’autre part,
des études comparent les rôles et fonctions de l’enseignant
en ligne à celui de l’enseignant en salle de classe. Mais la
manière dont les évolutions des modèles pédagogiques
et des technologies ont impacté l’activité
particulière de l’enseignant à distance semble peu prise en
compte malgré les différentes générations
qu’il est possible de distinguer en s’appuyant sur ces
évolutions technopédagogiques. Cette lacune invite donc à
interroger les transformations qu’a connu le métier-même
d’enseignant à distance au fil du temps.
D’où la problématique suivante : dès
lors que leur intégration suppose l’instrumentation des pratiques,
dans quelle mesure les évolutions technopédagogiques ont-elles
modifié l’activité de l’enseignant en FAD ?
Cette recherche est fondée sur deux hypothèses :
- une hypothèse principale selon laquelle les changements
technologiques, voire pédagogiques, ayant jalonné le passage de
l’enseignement par correspondance à la formation en ligne ont
impliqué des transformations dans l’activité de
l’enseignant à distance ;
- une hypothèse secondaire selon laquelle les domaines de
compétences (tableau 2) de l’enseignant en formation en ligne, qui
semblent novateurs comparés à ceux de l’enseignement en
présentiel, étaient déjà caractéristiques de
la formation à distance avant la diffusion d’internet.
Afin de saisir l’évolution du métier d’enseignant
à distance, il semble nécessaire de recueillir les
témoignages d’acteurs ayant connu les technologies
généralement utilisées pour distinguer différentes
générations de FAD. Arrivée en 2014 à la
Téluq, institution spécialisée en FAD de longue date,
c’est un souhait personnel de connaissance du métier dans lequel
nous nous engagions qui nous a conduits à vouloir en connaître
l’évolution et à mener cette enquête. Si nous
renvoyons à l’ouvrage de Guillemet (Guillemet, 2007) pour une présentation détaillée de l’histoire cette
institution, il nous semble cependant pertinent d’en présenter
quelques points essentiels. Ainsi, la Téluq voit le jour en 1972 sous la
forme d’un projet pilote de télé-université
d’une durée de cinq ans. S’inspirant surtout de l’Open
University britannique -mais aussi de l’University without walls (USA) et
de la FernUniversität (Allemagne)- et créée dans
le cadre de l’Université du Québec, elle vise
l’accessibilité de la formation sur tout le territoire
québécois voire l’ensemble de la francophonie. Elle attire
des milliers d’inscrits dès les premières années et
obtient le statut d’école supérieure en 1992, confirmant sa
double mission d’enseignement et de recherche. Elle propose
désormais des cours de premier, de deuxième et de troisième
cycle dans les domaines de l’administration et de la gestion, des sciences
humaines et sociales et langues, des sciences et technologies et de
l’éducation.
Nous avons analysé les entretiens menés auprès de
huit professeurs2 (dont deux
professeures) retraités ou à quelques mois de la retraite, ayant
fait la majorité de leur carrière à la Téluq dans le
domaine des technologies et de l’éducation. Il s’agit
d’entretiens semi-directifs -en ce sens que des questions étaient
prédéfinies- de type « compréhensif » (Kaufmann, 2001) dans la mesure où l’objectif n’est pas de se limiter à
un jeu de questions-réponses mais d’en apprendre le maximum, en
laissant libre cours à la discussion tout en ramenant doucement vers le
cœur du questionnement au besoin. La consigne de départ invitait
donc les interviewés à raconter leur carrière et
activité au sein de la Téluq. D’où des entretiens
généralement longs (d’une durée de 1h30 à 5h
avec une moyenne de 2h30) qui peuvent être décrits comme des
« récits de carrière », visant à
connaître les parcours professionnels des uns et des autres au gré
des évolutions de l’institution. Afin de tester nos
hypothèses, les propos recueillis ont fait l’objet d’une
analyse thématique permettant de recouper les faits et de croiser les
points de vue des différents acteurs rencontrés sur l’impact
des évolutions techno-pédagogiques sur les pratiques
d’enseignement et les différents domaines de compétences des
enseignants. Tous les professeurs ayant participé à
l’enquête sont spécialisés dans le domaine de
l’éducation et des technologies éducatives. Parmi eux six
ont commencé leur carrière à la Téluq, alors
appelée « Télé-université »,
dans ses 10 premières années d’existence, soit entre 1972 et
1982, les deux autres ont des parcours plus diversifiés, mais toujours
dans l’éducation. Ils sont arrivés l’un au
début des années 1990 et l’autre au début des
années 2000.
Créée dans les années 1970, le développement de
cette institution appartient, comme le pointe la dénomination de
« Télé-université » à ce que
Power (Power, 2002) considère comme la seconde génération de FAD en ce sens que
l’enseignement par correspondance s’enrichi des différents
médias émergeants. « Expérience
pédagogique »3, la
Télé-université, ne s’est dotée d’un
corps professoral que progressivement, à partir de 1976. Six des huit
professeurs ont ainsi commencé leur carrière en tant que
« technologues » (c’est-à-dire concepteur
pédagogique selon la terminologie généralement en vigueur
actuellement) et ont obtenu le doctorat et le statut de professeur plusieurs
années après leurs embauches. Tandis que les faits relatés
concernant l’histoire de la Téluq concordent, les orientations
pédagogiques et intérêts technologiques varient selon les
acteurs et offrent à la réflexion sur l’évolution du
métier de professeur à distance une palette riche en couleurs
primaires et en nuances. En raison de l’importance accordée
à l’évolution des technologies et pratiques dans le temps,
lorsque nous citons des passages des entretiens, nous mettons entre
parenthèse l’année d’arrivée à la
Téluq de la personne citée plutôt qu’un nom ou des
initiales. Cela permet également de rappeler qu’il s’agit de
propos d’anciens professeurs et non des nouveaux arrivés qui
n’ont pas connu cette évolution et dont les visions
différent certainement. Les parties 3 et 4 de cet article constituent des
synthèses des propos tenus lors des entretiens, propos ponctuellement
présentés tels quels dans les verbatim entre guillemets.
3. Du papier au numérique : quels changements pour le
professeur à distance ?
Tandis que les activités de recherche et de
services à la collectivité tendent à être similaires
pour tous les enseignants, que leur université offre des cours sur
campus, en ligne, ou les deux, celle d’enseignement est différente
selon le mode de formation. Enseigner à distance comprend deux missions
principales. La première est de concevoir le contenu et le
déroulement du cours dans le cadre de ce qui est
généralement désigné par l’expression
« conception pédagogique » ou « learning
design » (Baron, 2011). La
seconde consiste à accompagner les étudiants dans leurs parcours,
tâche qui peut être plus ou moins déléguée
à des tuteurs ou autres accompagnateurs. Conformément à
notre problématique, nous allons ainsi tout d’abord nous
intéresser à la manière dont les cours dans leur
création et leur accompagnement ont été influencés
par les nouveautés technologiques voire pédagogiques
pointées comme caractéristiques des différentes
générations de FAD.
3.1. Les changements survenus dans la conception pédagogique des
cours
Il ressort des entretiens que l’une des principales activités de
l’enseignant en FAD est la création de cours. Le passage de
l’enseignement par correspondance au télé-enseignement
émergeant au moment où a été créée
l’institution est décrit comme s’étant
réalisé non seulement parce que les développements
technologiques le permettaient mais aussi et surtout parce que la volonté
de mettre en œuvre des intentions pédagogiques était forte
dès les débuts de la télé-université.
S’ils étaient encore principalement en papier, d’autres
supports d’apprentissage étaient ainsi peu à peu
proposés dans les cours. C’est ainsi que, les premières
formations déployées à la
Télé-université s’adressaient aux membres de
coopératives avec pour support dix émissions
télévisées et des cahiers reliés. En sciences,
certaines avaient aussi des « kit »
d’expérimentation. Cependant, la création des
différents types de ressources, aussi bien papier, qu’audio ou
visuelle était complexe et onéreuse. Un professeur, présent
dès les débuts de la Télé-université comme
technologue, se rappelle les difficultés inhérentes à
toute conception et les moyens à déployer pour que les
différentes ressources d’apprentissage soient accessibles à
tous : « c’était la croix et la
bannière à monter un cahier relié parce que là, il
fallait taper les textes, les mettre en page, les typographier [...]. Alors
aussitôt qu’il y a eu des mouvements technologiques où on a
eu des photocomposeuses électroniques, on les a achetées,
c’étaient des grosses Mikom, c’était effrayant, y
avait des disques, c’était ça de large (signe), ça de
haut (signe) [...] Il y a des coins où la télévision ne se
rendait pas alors on a acheté d’immenses appareils, des
magnétoscopes trois quarts de pouce qu’on faisait voyager en avion
aux îles de la Madeleine etc. »(1973)
L’importance des coûts de production impliquait la justification
pédagogique de chaque ressource dans tout dossier de présentation
déposé pour proposer la création d’un cours. En
effet, dans les premiers temps, c’était avant tout les coûts
techniques de production qui pesaient sur le budget de création de telle
sorte que chaque volume, chaque disque, chaque émission souhaités
par le concepteur n’était créé qu’à
condition d’être considéré vraiment nécessaire.
Si les dossiers de présentation, sorte de cahiers des charges
pédagogiques, existent toujours, les marges de manœuvre se sont
accrues avec les développements technologiques ayant
entraîné une baisse des coûts de production. Mais alors
qu’un corps professoral a progressivement été
constitué et qu’il travaille à la conception des cours avec
les conseillers pédagogiques dits « spécialistes en
sciences de l’éducation », les réviseurs
linguistiques, les graphistes et autres professionnels des médias et de
la mise en ligne, ce n’est plus tant la production technique que la
conception qui est onéreuse. De fait, ce sont désormais davantage
les ressources humaines que les ressources technologiques dont la
nécessité est évaluée à chaque
création de cours. Le professeur précédemment cité
évoque ainsi un renversement de paradigme porté par la
numérisation.
A l’instar du transport des magnétoscopes déjà
mentionné, des livres étaient envoyés dans les villages
où il n’y avait pas de bibliothèque, puis, dès la fin
des années 1970, des camions remplis d’ordinateurs allaient
d’un endroit à un autre pour délivrer les premiers cours
d’informatique. Ces quelques exemples sont révélateurs
d’un fait intéressant : les acteurs n’ont pas
attendu que les technologies soient se soient démocratisées pour
les convoquer dans les cours. En ce sens, si l’innovation technologique
devait, certes, avoir eu lieu en amont, ce n’est pas tant cette
dernière et ses affordances qui ont influencé la création
des cours que des conceptions de l’enseignement, de l’apprentissage
et des connaissances ou compétences à développer dans une
société en perpétuelle évolution qui, en tirant
profit des technologies existantes, ont contribué à leur
diffusion. Ainsi, « le premier réseau X25 qui a
été formé au Québec, le premier réseau
Internet, c’est la Téluq qui l’a mis en place au
Québec. » (1973)
Bien que réalisés majoritairement à distance avec un
volume imprimé, les premiers cours d’informatique donnés
à la Téluq impliquaient, pour les apprenants, des
déplacements dans des centres relativement proches pour accéder
aux ressources (livres, ordinateurs comprenant le logiciel auteur Platon et différents cas possibles de mises en pratique) ainsi qu’à
certaines formes d’accompagnement comme nous l’expliciterons dans la
partie suivante. Les développements technologiques ont progressivement
entraîné la diminution des déplacements de technologies et
de personnes et favorisé une certaine individualisation. Or, cette
dernière ne va pas sans contrainte.
En effet, l’une des premières difficultés
rencontrées lors de la création de cours à distance est de
ne pas connaître les destinataires et de ne pas avoir de
possibilité d’ajustement selon les réactions de ces derniers
comme cela serait possible en face-à-face. De même, le cours
à distance ne repose pas sur le séquençage traditionnel des
cours en présence avec un certain nombre d’heures chaque semaine
étalé sur un semestre mais est réalisé en fonction
du nombre d’heures (en lien avec le nombre de crédits)
supposé que l’apprenant devra étudier pour réaliser
les activités pédagogiques et s’approprier la
matière. Il convient donc de repenser le cours voire la matière
enseignée autrement. Les témoignages des différents acteurs
montrent ainsi que l’enseignement à distance implique une forte
créativité. Un professeur arrivé à la Téluq
au début des années 1980, explique, par exemple, qu’il
s’est inspiré des pratiques théâtrales d’un
collègue pour mettre en scène ses enseignements sous forme de
radio-théâtre enregistré sur des cassettes ou bien encore
avoir pris le modèle du Mille bornes pour faire créer un
jeu sur l’interaction.
Les développements des systèmes de reproduction puis de
l’informatique et du web ont progressivement facilité la production
des cours et leur mise en ligne. Les témoignages révèlent
que de telles évolutions ont impliqué d’importants
changements relativement à la conception de cours majoritairement
imprimés. La révision d’anciens cours papier en vue de les
mettre sur une plateforme implique ainsi leur
reconception : « c’est comme une maison en briques
dont tu défais des pans de murs pour la reconstruire autrement, ça
reste la même brique mais c’est plus du tout la même chose.
Alors, le contenu il est là, mais redistribué dans une interface
en ligne, c’est pas pareil. » (1991) Les changements
technologiques ont donc impliqué une restructuration des cours.
Cependant, le passage des cours papier à des cours en ligne n’a
été consenti que lorsque les plateformes proposées
semblaient adéquates : « on résistait
à faire nos cours sur ces technologies qui nous imposaient des
modèles qu’on ne voulait pas, des cadres dans lesquels on
n’était pas à l’aise. » (1991)
Qu’il s’agisse de télé-enseignement, de formation
multimédia ou en ligne, la trame pédagogique apparaît ainsi
toujours comme précédant les investissements technologiques au
risque d’accuser ce qui pourrait être perçu comme un retard
technologique à un moment donné. Par exemple, au début des
années 2000, période où les tablettes numériques
n’existaient pas encore, des étudiants appelaient pour
réclamer des versions imprimées des cours pour travailler dans les
transports en commun et confortait ainsi un professeur dans sa volonté de
continuer à produire des cours sur support papier
considérés comme mieux adaptés aux pratiques
d’apprentissage.
Cependant, avec la généralisation progressive d’Internet
et des technologies numériques qui élargissent les
possibilités de diffusion ainsi que l’accès à
l’information, le contenu même des cours a été
appelé à changer. En effet, l’idée n’est plus
tant de transmettre un contenu notionnel en cherchant à le restreindre
aux éléments considérés comme nécessaires,
que de profiter des ressources en ligne pour proposer à
l’étudiant diverses pistes de travail afin que ses
apprentissages lui soient directement utiles dans ses pratiques professionnelles
ou culturelles. D’où, chez les professeurs interviewés, un
passage progressif du modèle de la transmission d’un contenu
décomposé en petites unités sous l’influence
behavioriste et systémique à des synthèses sur
différents points et des pistes de réflexion permettant à
l’apprenant de cheminer selon ses centres d’intérêt
conformément à un modèle plus constructiviste voire
socioconstructiviste. Seul un des huit professeurs se présente comme
ayant conservé un modèle cognitiviste du début à la
fin de sa carrière, refusant ce qui relevait du design pédagogique, trop marqué par le behaviorisme aussi bien que du
socioconstructivisme à tout va, défendant l’idée
selon laquelle : « il n’y a pas de vertu
inhérente au travail en équipe, au travail collaboratif. Il y a
certaines situations pour certains types d’objectifs peut-être, avec
certains types de contenus, où le travail collaboratif peut avoir des
avantages pertinents, intéressants mais cela doit être
utilisé avec parcimonie et être très bien mis en relief avec
les objectifs et les contenus » (1980). Difficile à mettre
en place et risquant de réduire l’accessibilité, le travail
collaboratif n’est présent que dans quelques cours, la
majorité semblant actuellement davantage reposer sur des modèles
individualistes. Les cours sont ainsi dépeints comme
« autoportants » en ce sens qu’ils peuvent être
suivis avec un encadrement pédagogique minimal. Pour autant, il ne
s’agit pas d’apprendre de manière isolée. Dans la
mesure où l’objectif est de faire réfléchir les
étudiants et de les amener à construire leurs propres
systèmes de références, une grande importance est
accordée à l’accompagnement.
3.2. Les changements survenus dans l’accompagnement
La Télé-université avait initialement été
créée pour permettre la formation des individus
éloignés des grands centres québécois,
c’est-à-dire de Québec et de Montréal. Comme nous
avons pu le voir, les cours comprenaient, selon les cas, des volumes
imprimés, des disques ou des émissions de télévision
mais aussi de l’accompagnement, davantage désigné par le
terme d’« encadrement », comprenant des rencontres sur
place ou par téléphone : « Les rencontres
on les faisait partout sur le territoire, on disait c’est jamais plus loin
que 20 à 30 km de chez vous. Une fois qu’on a eu moins
d’étudiants par cours, on a commencé à faire des
rencontres téléphoniques. On avait inventé les
conférences téléphoniques, au Québec on était
les premiers, on avait acheté des appareils aux États-Unis,
c’était tout nouveau, c’était des gros appareils
blancs, des grosses boîtes, tu ne pouvais pas être plus que trois ou
quatre sur la ligne en même temps puis cela a
progressé. » (1973) De plus, les professeurs les plus
intéressés par les technologies rappellent que les recherches
visant la création de plateformes et d’outils efficaces et simples
à utiliser ont commencé très tôt à la
Téluq et que la télématique était déjà
vue comme un moyen supplémentaire d’encadrement. Ainsi, dès
la fin des années 1980, avant même l’arrivée du web,
ont eu lieu les premières expériences de communication avec les
étudiants sur des forums de discussion.
Loin du manque d’interaction craint dans les premiers temps de la FAD,
les étudiants bénéficiaient dès les années
1970 de possibilités d’échange non seulement avec les
animateurs mais aussi entre eux : « il y avait une sorte
d’apprentissage social, aujourd’hui c’est comme ça
qu’on appellerait ça, mais dans ce temps on se disait
« c’est de la motivation par le groupe » (1973). L’évaluation systématique des cours
révélait la grande appréciation que les étudiants
accordaient à ces échanges. Si une professeure décrit le
fait de permettre aux étudiants de partager, voire de travailler ensemble
comme une activité exigeante mais favorable à
l’apprentissage, elle reconnaît les difficultés
inhérentes à sa mise en
œuvre : « c’est très difficile
d’arriver à ce que les étudiants se parlent en synchrone,
c’est souvent laborieux parce que chacun a son emploi du temps,
c’est pour cela qu’ils ont pris la formation à distance. On
n’a pas encore réussi à exploiter à fond tout le
potentiel des technologies » (1982). Deux autres professeurs qui
avaient proposé d’utiliser des wikis ou des forums dans leur cours
précisent : « j’avais même
demandé aux chargés d’encadrement d’animer les wikis
mais ils étaient les seuls à écrire. Si je l’avais
noté c’est certain que les étudiants y seraient allés
mais ce n’est pas ce qu’on voulait. Au début il y avait
encore des forums, des blogs mais il n’y a rien qui marchait, et je
comprenais, ce qui fait qu’à un moment donné je
n’insistais plus. » (2003) Les récits permettent de
comprendre que des forums avaient été introduits dans la
majorité des cours. Or, laissés libres, ils n’étaient
pas investis par les étudiants. L’idée de les rendre
obligatoire dans le cadre de travaux avait quant à elle suscité un
débat sur l’accessibilité dans la mesure où cela
aurait introduit des contraintes temporelles, notamment en ce qui concerne
l’inscription continue au cours, mais aussi en termes de travail pour
l’étudiant : « Dans nos cours on met
beaucoup de travaux, [...] la charge de travail est importante, quand
t’arrives avec un forum qui en rajoute faut que sa pertinence soit
très clairement établie, il faut qu’il contribue de
façon évidente à aider l’étudiant à
atteindre les objectifs du cours et à réaliser ses travaux sans
ça, il va mettre ça de côté. » (1976).
Les animateurs des premières formations sont devenus des
« tuteurs » recrutés spécifiquement pour
favoriser le bon déroulement de la formation des étudiants de
premier cycle et corriger leurs travaux. De même, suite à la
création de formations de deuxième cycle, plusieurs professeurs en
éducation ont défendu la nécessité d’embaucher
des « chargés d’encadrement ». Le statut et
mode de rémunération de ces derniers différent de ceux des
tuteurs dans la mesure où ils doivent accompagner les étudiants
dans des travaux impliquant des formes de recherche et de réflexion plus
poussées que dans les travaux de premier cycle souvent davantage
centrés sur les connaissances.
Si le tutorat ne relève généralement pas de
l’activité des professeurs, ces derniers encadrent cependant les
étudiants dans la réalisation de projets personnels,
d’essais ou de mémoires. Ils disent ne pas avoir de
stratégies d’accompagnement toutes faites car les apprenants et
leurs sujets sont tous différents et qu’ils cherchent à
s’y adapter au mieux. Les étudiants sont considérés
comme « la priorité » par les professeurs
rencontrés qui leur répondent ainsi rapidement et encouragent leur
progression par des rétroactions
détaillées : « Ce que les étudiants
me disent de façon générale c’est qu’ils
n’ont jamais eu autant de commentaires que je leur en fais et ils sont
renversés, les étudiants qui m’envoient un chapitre de 15
pages, je peux leur envoyer 20 pages de commentaires. » (1980) Par
ailleurs, les étudiants produisant des travaux de qualité sont
encouragés à publier, d’une part pour le plaisir
d’écrire et, d’autre part pour l’intérêt
d’avoir déjà des publications en cas de continuité
vers un doctorat. Un professeur explique ainsi avoir souvent fait des
copublications avec ses étudiants pour leur mettre le pied à
l’étrier. Il présente la création de la revue Distances comme s’inscrivant dans cette logique, au moins la
moitié des articles de chaque numéro devant être des textes
d’étudiants.
L’accompagnement à la Téluq s’est ainsi
développé de façon multiforme : dès ses
premiers contacts avec l’institution, les services de coordination
renseignent et aiguillent l’étudiant dans ses choix
d’inscription, il est également soutenu dans chacun de ses
cours par des tuteurs ou chargés d’encadrement ainsi que par un
professeur pour les travaux plus conséquents. Des activités ont
été mises en place afin d’optimiser ces formes
d’accompagnement : « j’explique à
l’étudiant ce qu’il va se passer pendant le contact de
démarrage, comment en profiter, que faire s’il n’a pas
été contacté. Une autre activité sur la
rétroaction écrite pour qu’il sache comment faire en
sorte d’en profiter pour son apprentissage... » (1991).
Tandis qu’elle n’a guère favorisé le
développement de l’interaction entre étudiants, difficile
à mettre en place dans un système ouvert, l’arrivée
d’Internet semble toutefois avoir contribué à diminuer la
distance entre les apprenants et leurs différentes formes
d’accompagnateurs : « on a encadré les
étudiants de façon beaucoup plus serrée avec Internet dans
le sens que les programmes comme les "chats", les trucs comme ça,
permettaient aux tuteurs de parler aux étudiants et de répondre
à leur questions. » (1975) Cette facilité de
communiquer de façon simultanée en différents points du
globe et d’aller au plus près des apprenants, peut ainsi amener
à remettre en cause la « distance » propre à
ce mode de formation. Le professeur précédemment cité
considère ainsi la formation en ligne comme caractéristique
d’un passage de la formation à distance à la formation de
« proximité ». L’idée de
proximité ramène alors aux volontés originelles de la
Téluq : rendre accessible à tous des formations de
qualité.
4. Enseigner en formation ouverte et à distance : quelques
spécificités
La proximité accrue permise par le
développement d’Internet semble favoriser l’atteinte des
objectifs d’accessibilité et de qualité de la formation
à l’origine de la Téluq. Cependant, comme l’illustrent
les transports de technologies, il n’a pas été attendu la
diffusion d’Internet pour chercher à atteindre ces buts. Nous
proposons ainsi de nous intéresser à la manière dont les
visées d’accessibilité et de qualité de la formation
influencent l’activité des enseignants à distance dans le
cadre de l’organisation dans laquelle elle se déroule.
4.1. Entre technologie et pédagogie : viser
l’accessibilité
Pour les professeurs rencontrés, la distance n’est pas tant une
gêne qu’un atout puisque les technologies permettent une plus grande
« proximité » non seulement dans l’interaction,
fonction des besoins de l’apprenant, mais aussi dans le contact de
l’apprenant avec le savoir dans la mesure où l’accès
au contenu est direct et favorise une
« désaffectivation » du rapport au
savoir : « le savoir ne s’acquiert pas dans une
relation affective entre deux individus, c’est l’étudiant qui
se rapproche du savoir, toi, une fois que tu as mis le savoir là, tu te
tasses, tu te places à l’extérieur du processus, même
quand c’est toi qui encadres, tu es à l’extérieur de
ce processus » (1976). Favoriser l’accès à la
formation implique d’encourager l’apprenant à
développer un rapport au savoir qui lui est propre.
Si l’idée de « désaffectivation » des
savoirs ne fait pas l’unanimité entre les professeurs, celle selon
laquelle il s’agit de mettre le savoir à disposition des apprenants
et de se tenir à la marge est présenté par tous comme
étant au cœur de la FAD dès ses débuts. Cependant, se
passer de l’intermédiation en temps réel de
l’enseignant adaptant sa présentation à ses apprenants
implique un travail de conception de cours spécifique. Ainsi, bien que
les technologies aient évolué, le fil directeur de la conception
des cours ne change pas forcément, comme l’explique cette
professeure comparant les cours qu’elle concevait il y a trente ans dans
un autre contexte avec ceux conçus avant son départ en
retraite : « Ce qui m’a toujours conduit
c’est l’apprentissage : qu’est-ce que je peux mettre
en place pour que la personne puisse apprendre ? [...] Cette
dynamique-là, c’est ça qui m’a conduit pendant toute
ma carrière, cette espèce de respect de l’adulte, de
désir de mettre en place les moyens nécessaires pour qu’il
puisse apprendre s’il le veut, de l’accompagner dans son
cheminement. » (1991). C’est ainsi le fait de placer
l’étudiant au cœur de la formation qui amène
l’enseignant à distance à développer des
compétences particulières en termes de conception
pédagogique et d’accompagnement des étudiants.
Le rôle de facilitateur, souvent pensé comme se déroulant
dans l’interaction avec les étudiants, semble dès lors
présent dès la conception des cours tout comme le rôle de
guide à l’apprentissage. Tandis que l’intérêt
pour les technologies et le design pédagogique est resté central
pour certains professeurs ayant commencé comme technologues, la
prédominance accordée à l’apprentissage a conduit
à ce qu’il décroisse pour d’autres. C’est ainsi
qu’un professeur explique qu’il a progressivement
arrêté de s’intéresser aux langages de programmation
et qu’au cours de design pédagogique qu’il avait prévu
de créer, il a finalement préféré substituer un
cours sur les visions de l’éducation pour « permettre
aux gens de se situer comme acteurs de l’enseignement »
(1976). De même, parmi les professeurs embauchés plus tardivement,
se dégagent des discours nettement plus centrés sur les
technologies mettant l’accent sur les potentialités des plateformes
pédagogiques et d’autres insistant davantage sur la
pédagogie centrée sur le développement de la
réflexion des étudiants. Si tous les professeurs ont les
compétences technologiques permettant l’accompagnement à
distance, ces compétences ne sont pas identiques pour tous, notamment en
ce qui concerne la création de cours. Ce contraste est d’autant
plus possible que les professeurs ne sont pas spécifiquement
formés aux usages des TIC et que les services audiovisuels
s’occupent de la réalisation et du montage des vidéos et les
services techniques de la mise en ligne des cours avec
l’intégration des outils prévus.
Quelles que soient les orientations pédagogiques et technologiques des
uns et des autres, la visée apparaît comme étant la
même : favoriser l’accessibilité définie,
par des enseignants de la Téluq, comme « la capacité du
système d’éducation à soutenir l’apprenant face
aux contraintes qui limitent ses chances de s’inscrire, de poursuivre et
de compléter un projet de formation. » (Deschênes et Maltais, 2006, p. 39).
D’où des débats autour des rencontres synchrones et du
travail collaboratif, favorisés par les évolutions du web, dans la
mesure où ils imposent des contraintes allant à l’encontre
de l’accessibilité au niveau temporel (date de début de
cours, horaire des rencontres) et technologique (d’équipement et de
compétences spécifiques) mais sont susceptibles
d’élargir l’accessibilité dans sa dimension
psychosociale et permettre d’autres types d’apprentissage. De fait,
l’accessibilité implique, au niveau pédagogique, de proposer
à l’étudiant une démarche qui lui convienne mais
les styles d’apprentissages et besoins des étudiants étant
tous différents les uns des autres, c’est alors davantage par la
liberté de choix entre des cours variés que
l’accessibilité paraît garantie. Si l’ouverture du
système semble ainsi établie, les professeurs mettent
également en relief les processus assurant la qualité de la
formation considérée comme nécessaire au processus de
développement des compétences et à la réussite des
étudiants conformément à la visée
d’accessibilité.
4.2. Entre division du travail et collaboration : des
créations originales et de qualité
Comme cela apparaît en filigrane dans plusieurs des verbatim
déjà cités, chaque cours est une création à
part entière, lieu de recherche des modes de présentation du
savoir, activités pédagogiques, outils technologiques et types
d’accompagnement les plus propices à maximiser
l’apprentissage d’étudiants potentiellement tous très
différents.
Les propos des huit interviewés font ressortir un subtil
mélange de liberté de création et de collaboration avec les
divers professionnels qui fait de l’enseignement à distance une
activité fort
appréciée : « j’ai eu
énormément de plaisir à travailler tous les jours,
j’ai eu énormément de frustration aussi [...] La frustration
c’était de ne jamais pouvoir faire les choses comme on les avait
envisagées, de devoir renoncer à certaines choses, et le plaisir
c’était de toujours avoir de nouvelles choses, de nouvelles avenues
qui s’ouvraient devant nous, de pouvoir exercer notre
créativité, c’est ça. » (1976). Bien
qu’elles impliquent des négociations avec les autres acteurs de
l’organisation, les « possibilités
d’innover » (1980) et le travail en équipe
apparaissent ainsi au cœur de l’attachement à
l’enseignement à distance.
Les phénomènes de division du travail
généralement pointés comme caractéristiques de
l’industrialisation de la formation à distance, loin
d’engendrer la standardisation des produits et services semblent ainsi
favoriser leur originalité grâce à cet essentiel partage du
travail : « Le professeur à distance, c’est
quelqu’un qui voit son travail éclaté, qui repose non pas
entièrement sur ses épaules mais sur les épaules de
plusieurs spécialistes, c’est ce qui lui permet de faire de la
formation à distance, parce que j’ai essayé d’en faire
quand j’étais sur campus mais j’étais tout,
j’étais tous les services tout seul, on va dire que ça
évite les conflits, mais à part ça c’est une
tâche impossible. Faire un cours tout seul c’est 600 heures si tu
fais tout, il n’y a pas un prof, ni campus ni à distance, qui a 600
heures à mettre sur un cours » (2003). La
spécialisation des tâches et des compétences
n’apparaît pas tant comme source de dépossession que de
concertation. Ainsi, quelles que soient les technologies employées pour
communiquer ou pour produire des ressources et offrir des services
d’accompagnement, les cours sont décrits dès les premiers
temps de la Téluq comme des œuvres collectives.
Tout d’abord, l’idée de cours proposée par le
professeur a toujours du être approuvée par ses collègues et
la direction académique avec la soumission d’un dossier de
présentation c’est-à-dire un « syllabus, dans
lequel tout doit être planifié de façon serrée et
exhaustive » (1976), précisant les objectifs du cours, son
contenu, ses orientations pédagogiques et technologiques ainsi que le
budget nécessaire à sa création. Par la suite, si le
professeur est l’auteur du contenu du cours, il n’est souvent pas le
seul puisqu’il propose des lectures d’articles ou de manuels
écrits par d’autres et qu’il peut embaucher des
spécialistes du domaine pour rédiger certaines parties du contenu.
De plus, il travaille à la structuration du cours et
l’élaboration d’activités pédagogiques et de
travaux notés avec une personne appelée
« technologue » ou « spécialiste en
sciences de l’éducation » selon les époques.
Même si la plupart des professeurs interrogés a commencé en
tant que technologue et serait donc en mesure de remplir les deux rôles,
tous disent concevoir le cours de concert avec ces personnes afin de
l’améliorer en profitant de leur créativité et
également en vue de conserver du temps pour d’autres
activités professorales. Une fois conçu, des réviseurs
linguistiques proposent des corrections et améliorations concernant
l’écriture puis les graphistes, services audiovisuels et services
techniques prennent en charge le cours jusqu’à sa sortie, quelle
que soit sa forme (papier, multimédia, web...). Bien
qu’imaginé et planifié, le résultat final est alors
souvent source d’étonnement et de satisfaction pour les professeurs
tant le cours est pédagogiquement riche, technologiquement fonctionnel et
esthétiquement attrayant.
Résultant de l’investissement de différents corps de
métier ayant à cœur d’accomplir le mieux possible leur
part de cette œuvre collective, les professeurs ne se sentent pas
propriétaires du cours : « je peux pas dire que ce
soit mon œuvre, le produit final c’est un collectif qui l’a
fait » (1973). Enfin, une fois offert, les enseignants disent ne
pas conserver l’encadrement du cours mais le confier à un tuteur
(1er cycle) ou à un chargé d’encadrement
(2e cycle). Pour autant, il ne s’agit pas de reléguer ce
cours à la préoccupation d’autrui mais de chercher à
l’améliorer en fonction des remarques de ces acteurs au fait des
difficultés rencontrées par les étudiants.
Les professeurs décrivent ainsi leur activité comme ayant de
tout temps été celle de « gestionnaires de
projet ». Le travail en équipe implique de nombreuses
négociations entre les acteurs, les règles de l’institution,
du programme et les contraintes des apprenants. Ces négociations
constructives ou « transactions » semblent présentes
dans les différentes pratiques du professeur à
distance : « Cette notion de transaction, c’est
vrai dans le quotidien de notre travail et c’est vrai aussi avec nos
étudiants, c’est-à-dire quand on encadre des
étudiants on est presque toujours en transaction aussi. [...] la
transaction, c’est voir ce qui est le plus proche de
l’étudiant pour lui faciliter la tâche, faire en sorte
qu’il progresse dans son apprentissage » (1991).
Selon le rôle à jouer dans la conception ou l’encadrement
du cours, les acteurs vont effectivement avoir des approches distinctes comme le
met en avant cette analyse des différentes visions entre les deux types
d’acteurs au centre de l’élaboration du
cours : « le spécialiste de contenu, qu’il
soit prof ou qu’il soit simplement contractuel que t’embauches pour
développer un contenu de cours, pour lui, écrire un cours
c’est un problème essentiellement rhétorique, c’est un
acte d’écriture d’un document qui s’adresse à
quelqu’un, qui est écrit par quelqu’un qui a un statut qui
est didactiquement supérieur, et le but du texte est de ramener le
lecteur plus ou moins au niveau de celui qui écrit le texte. Alors que
pour le technologue de l’éducation c’est plus de concevoir un
cheminement d’activités qui amène logiquement à
l’atteinte des objectifs du cours. Et quelque part ces deux
problématiques ne sont pas faciles à inter-relier »
(1976). Afin de permettre un travail conjoint d’acteurs ayant des
objectifs et méthodes spécifiques, la stratégie est donc
d’avancer par approximations successives, processus itératifs
permettant de combiner progressivement les diverses logiques. La souplesse ainsi
obtenue permet d’éviter ou d’apaiser les potentielles
tensions et de créer des cours originaux et de qualité.
5. Synthèse et discussion
5.1. Vers l’émergence d’un nouveau paradigme ?
Confirmant notre première hypothèse,
les récits des acteurs rencontrés sont révélateurs
des liens étroits existants entre les innovations technologiques et
pédagogiques et l’évolution de la FAD. Mais tandis que les
découpages générationnels, présentés dans la
revue de littérature, pourraient laisser penser que la seconde est une
conséquence de la première, force est de constater que, dans
l’histoire ainsi retracée, une technologie ou une approche
pédagogique n’est pas tant venue en remplacer une
précédente qu’offrir des possibilités
supplémentaires saisissables en fonction des choix pédagogiques.
Autrement dit, si l’évolution généralement
décrite comme allant du behaviorisme au cognitivisme puis au
(socio)constructivisme est observable et s’avère bien liée
aux évolutions technologiques, comme dans les idées de
générations de la FAD, il appert que ce ne sont pas les secondes
qui ont induites les premières et qu’il n’y a pas de
« rupture franche » (Baron, 2011) entre les différents modèles ou générations.
Cependant, Internet, dont la généralisation a entrainé
un passage presque obligé à la conception de cours et à
l’encadrement en ligne, se distingue des technologies
précédentes en mettant à portée de main toutes les
fonctionnalités offertes par les précédentes (lecture,
écoute, visionnement, communication, etc.) et plus encore. Les points de
vue exprimés par les professeurs interrogés sur les changements
survenus dans leur activité, s’accordent ainsi pleinement avec les
travaux de recherche dans le domaine montrant que la formation en ligne semble
induire un changement de paradigme passant de ce qui sépare à ce
qui relie, c’est-à-dire de la distance à la proximité (Villardier et Do, 2008), (Paquelin, 2011), (Brassard et Teutsch, 2014).
En effet, il ne s’agit plus tant de mettre des moyens pour vaincre la
distance que de profiter de l’accès aisé aux ressources et
interactions, de ce que Peraya (Peraya, 2011, p.447) présente comme de la
« téléprésence » dans laquelle se
dissout la distance, pour créer des situations d’apprentissage
favorables à l’émergence de la proximité. Cette
dernière est à entendre dans sa forme non seulement spatiale,
relative au territoire investi par les acteurs dans le dispositif, mais aussi
organisationnelle au sens d’organisation pédagogique de la
formation, cognitive c’est-à-dire concernant les outils et
stratégies pédagogiques, relationnelle en ce qui à trait
aux liens sociaux entre les différents acteurs de la formation,
technologique relativement aux usages du numérique impliqués dans
le dispositif et, enfin, systémique en ce qui concerne les règles
de conduites des acteurs (Brassard et Teutsch, 2014).
Facilitée par Internet, la volonté de passer de la distance
à la proximité n’est pas nouvelle. En effet, même si
l’importance accordée au contenu était plus grande lorsque
celui-ci était moins accessible, il semble que dans une institution
spécialisée dans la FAD telle que la Téluq,
l’apprenant a toujours été placé au cœur de la
formation. Ainsi, autant le professeur, expert extérieur, était un
pourvoyeur de contenu lorsque la Téluq ne comptait que des
« technologues », c’est-à-dire des concepteurs
pédagogiques, autant à partir du moment où elle s’est
dotée d’un corps professoral, ce dernier a d’emblée
assumé divers rôles pour stimuler la persévérance et
l’apprentissage des étudiants. L’endossement de ces
rôles a sans doute été d’autant plus naturel que les
professeurs les plus anciens n’étaient pas des professeurs passant
d’une longue carrière dans l’enseignement en
présentiel à la formation à distance que des
« technologues » habitués à une
démarche de création de cours centrée sur
l’activité de l’apprenant. Ce modèle s’est ainsi
diffusé dans le corps professoral, tout particulièrement dans le
département d’éducation, et est constamment renforcé
par le travail étroit avec les concepteurs pédagogiques.
Aussi les témoignages recueillis permettent-ils de vérifier
notre seconde hypothèse : le professeur à distance
semble toujours avoir eu des activités de conception pédagogique
et de soutien cognitif et social aussi bien lors de la création des cours
que de l’accompagnement, il a constamment fait montre de
compétences managériales présentées comme de la
« gestion de projet », a systématiquement
cherché les moyens technologiques les plus adéquats aux objectifs
pédagogiques et usé de technologies plus ou moins variées
pour encadrer les étudiants. Enfin, bien qu’il n’encadre pas
l’ensemble des étudiants inscrits dans les cours sous sa
responsabilité, il a de tout temps joué un rôle de
facilitateur dans la façon de concevoir les enseignements,
d’adapter ces derniers en fonction des observations des tuteurs ou
chargés d’encadrement ainsi que dans l’accompagnement des
apprenants dans la réalisation de travaux de type
« mémoire ». Ce travail de facilitation
apparaît bien transversal et semble devenu plus aisé grâce
à la diffusion des technologies et, tout particulièrement,
d’Internet. Il apparaît ainsi, d’une part, que le souhait des
enseignants de faire acquérir une réflexion critique aux
étudiants (Boissoneault, 2009) continue de se renforcer avec la facilité d’accès à
l’information. D’autre part, les idéaux
d’accessibilité et de qualité ne cessent de constituer une
forme d’idéologie partagée dans laquelle s’ancre la
liberté de création et le « travail
partagé » des différents acteurs participant à la
conception des cours et à l’accompagnement des apprenants.
5.2. Plaisir et défis de la collaboration
La qualité de la formation, dimension jouant un rôle important
sur l’apprentissage et la réussite des étudiants et, ce
faisant, sur l’accessibilité de la formation, paraît
grandement reposer sur celle de la collaboration entre les différents
acteurs tant lors de la création du cours que de l’encadrement des
étudiants. Bien que difficilement mesurable, le plaisir qui se
dégage des propos (ton, vocabulaire et syntaxe) relatifs à la
création collaborative des cours est tel qu’il semble
s’apparenter, chez certains professeurs, à une réelle
expérience de « flow », ce sentiment de
bien-être engendré par un état de fonctionnement optimal
lors d’une réalisation (Csikszentmihalyi, 1990).
Les entretiens font ainsi ressortir un sentiment d’entière
liberté permettant de créer des cours novateurs, sentiment
d’autant plus fort dans les premiers temps de l’institution que les
faiblesses technologiques devaient être compensées par une
créativité accrue et que le financement de la conception des cours
était plus conséquent qu’à la période de
restriction budgétaire actuelle. Cependant, en dépit des
aléas financiers, la liberté reste importante et le plaisir
à collaborer demeure. Ces témoignages contrastent ainsi avec le
sentiment d’isolement généralement relevé chez les
professeurs sur campus invités à faire de la formation à
distance (Miladi, 2006), (Boissoneault, 2009), (Papi, 2014). Il
est notable que les professeurs rencontrés disent avoir majoritairement
réalisé leurs activités sur leur lieu de travail facilitant
ainsi la collaboration entre les différents acteurs et évitant
tout isolement. Trois observations presque paradoxales peuvent alors être
faites : 1) tandis que les développements du web sont connus
pour avoir participé à une redéfinition des repères
spatiotemporels, rythmes de travail et brouillage des sphères
d’activité (Peraya, 2011), (Rinaudo, 2012), (Lesourd, 2014) et que les professeurs sur campus travaillent souvent chez eux de manière
isolées en dehors des cours, c’est grâce à une
collaboration, en grande partie en face à face, que les différents
acteurs parviennent à concevoir des formations flexibles. 2) Alors que le
modèle industriel est généralement pensé comme
source de standardisation et de diminution des compétences mises en
œuvre par les acteurs en raison de la division du travail, c’est
cette dernière qui, dans le cadre de la collaboration entre les
différents acteurs, permet de créer des cours tous
différents les uns des autres et de qualité. 3) La collaboration
est forte au sein de l’institution et gage de qualité mais elle est
peu présente dans les démarches d’apprentissage
proposées malgré les possibilités offertes par le web dit
« social », de la montée d’intérêt
pour le socioconstructivisme et le connectivisme (Siemens, 2005), (Duplàa et Talaat, 2012) et de la volonté de favoriser la proximité notamment
relationnelle.
Ce dernier paradoxe rappelle que la formation à distance
individualisée semble ainsi loin d’être une chimère (Distances et savoirs, 2005),
et que ce sont davantage les approches plus collectives qui constituent un
défi dans les institutions traditionnelles de FAD. Du papier à
Internet, l’orientation reste celle de l’individualisation des
apprentissages. Si les étudiants choisissent ce modèle en raison
de sa souplesse permettant une meilleure conciliation avec leurs
activités (Jézégou, 1998) et qu’il convient bien à certains d’entre eux, on sait
également que l’isolement qu’il occasionne est un facteur
susceptible d’aller à l’encontre de la persistance de bon
nombre d’apprenants (Hart, 2012).
Tandis que l’encadrement par des professionnels du domaine est
déjà institué, la mobilisation de réseaux sociaux
pour favoriser le sentiment de présence sociale, l’échange
et la création de communautés d’apprenants apparaît
ainsi comme une piste intéressante à développer (Guillemet, 2014).
Cependant, un tel espace virtuel n’est pas forcément propice au
développement d’un réel soutien au niveau cognitif ou
métacognitif. S’ajoutant à l’encadrement des tuteurs
ou chargés d’encadrement, le tutorat entre pairs (Papi, 2013),
quelques temps mis en œuvre dans le 2e cycle au
département d’éducation (Maltais et Deschênes, 2013),
peut ainsi être envisagé comme une piste à développer
pour concilier, dans une certaine mesure, les avantages de
l’individualisation des parcours et des interactions dans
l’apprentissage.
6. Eléments de conclusion
Il est généralement
considéré que les évolutions technologiques sont propices
à l’innovation pédagogique et que les étudiants
étant habitués à utiliser quotidiennement diverses
technologies, il convient de s’en servir dans la formation. Quelque peu
éloigné de telles perspectives, c’est une vision de la
technologie au service de la pédagogie que défendent les
professeurs rencontrés, ce qui ne va pas sans rappeler que les
idées de réseaux et de pédagogies actives au goût du
jour au XXIème siècle existaient bien avant la
diffusion d’Internet (Siemens, 2008).
De fait, si les évolutions technologiques ont permis de diminuer les
coûts de production des cours et de faciliter la diffusion du savoir et la
communication, il ressort que les technologies n’ont pas été
adoptées de manière aveugle - à l’exception,
peut-être, des forums qui semblent avoir été mis à
disposition suivant un effet de mode avant d’être majoritairement
retirés faute d’investissement par les étudiants. Les
témoignages mettent effectivement en avant des résistances
relatives aux plateformes dont les affordances ne correspondaient pas aux
visions pédagogiques des enseignants, de même qu’aux moyens
de communication n’ayant pas fait la preuve de leur plus-value en termes
d’apprentissage. Les compétences pédagogiques, cognitives et
sociales semblent ainsi toujours avoir été centrales dans
l’activité d’enseignement à distance, tout comme
celles plus transversale de facilitation, de gestion et maîtrise des
technologies. Inspirées des travaux menés jusqu’alors dans
la formation à distance, cette grille a cependant pour limite
d’être assez large de telle sorte qu’elle pourrait de plus en
plus s’appliquer à l’enseignement en présentiel.
Il est par ailleurs nécessaire de rappeler que seuls d’anciens
professeurs ont été rencontrés et qu’aucun de ces
derniers n’était dans le département d’administration
où sont actuellement inscrits la majorité des étudiants.
Ces derniers n’ont pas été consultés dans le cadre de
cette recherche, pas plus que les tuteurs ou les professeurs arrivés
après l’essor d’Internet. Il s’agit donc d’une
approche restreinte en raison de la visée historique et de l’objet,
à savoir l’influence des changements technopédagogiques et,
plus particulièrement de l’arrivée d’internet, sur
l’évolution du métier d’enseignant à
distance.
Toujours est-il que les propos recueillis révèlent que la
volonté d’accessibilité de la formation, à
l’origine même de la création de l’institution,
demeure, une quarantaine d’années plus tard, la ligne directrice
des actions mises en œuvre tant au niveau de la conception que de
l’encadrement des cours. D’où la constante recherche
d’adaptabilité des formations aux contraintes et besoins des
étudiants. Bien qu’elle ne change pas fondamentalement les
conceptions, la diffusion d’Internet apparaît alors comme un moyen
supplémentaire de favoriser différentes formes de
proximité.
Cette recherche de proximité à différents niveaux semble
de plus en plus présente dans tous les modes de formation en raison de la
diversification croissante des étudiants et de leurs contraintes.
S’inspirant du modèle de la FAD, des universités campus
tendent depuis quelques années à développer des cours en
FAD basés sur le travail associé des enseignants et concepteurs
pédagogiques. Ayant plus de professeurs, la mise en ligne de leurs cours
permet de proposer rapidement une large offre de cours. Il s’agit alors,
pour les concepteurs pédagogiques, de retravailler un contenu
initialement pensé pour le présentiel. Il semble envisageable que
cette façon de faire ne constitue qu’une étape et que les
multiples compétences du professeur en FAD, notamment celles relatives
à l’ingénierie pédagogique, deviennent
également de plus en plus nécessaires aux enseignants sur campus
dès lors que l’hybridation et la bimodalité se
répandent. Mais alors que les rôles des enseignants sur campus et
à distance convergent progressivement de telle sorte que la distinction
paraît appelée à devenir obsolète, quid du
développement des autres corps de métiers dans l’offre de
cours en présence ?
Pour l’instant deux tendances sont observables : soit des
concepteurs pédagogiques sont embauchés pour adaptés
à la diffusion à distance les cours prévus pour
l’enseignement en salle de classe ; soit des conseillers TICE,
souvent plus spécialisés en technologie qu’en
pédagogie, sont recrutés dans les universités
traditionnelles pour aider les enseignants incités à mettre leur
cours en ligne davantage que pour collaborer avec eux. De même, dans les
universités traditionnelles proposant désormais la
bimodalité ou des cours hybrides, l’encadrement des
étudiants nécessaire à l’offre d’un
accompagnement individualisé, reste souvent l’apanage des
enseignants, les quelques chargés de cours parfois embauchés sont
loin d’avoir un métier tel que celui presque abouti des tuteurs de
la Téluq4. Par ailleurs, tandis
que le développement des environnements informatiques s’orientent
vers toujours plus de « convivialité » (Papi, 2012) pour
permettre des usages « intuitifs », les professeurs et
concepteurs pédagogiques en FAD sembleraient de plus en plus à
même de se passer de certains services de mise en ligne de leurs cours.
Cela serait susceptible d’assouplir quelque peu l’organisation mais
le temps consacré à l’appropriation de cette tâche
diminuerait celui disponible pour d’autres activités et, supprimant
certains échanges, risquerait de finir par diminuer
l’originalité des cours. Dès lors, il reste à voir,
dans l’avenir, au-delà des constants changements terminologiques
dans le domaine, dans quelle mesure les évolutions
technopédagogiques et sociales entraineront de nouvelles
répartitions de rôles sur campus et en FAD...
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À
propos de l’auteur
Cathia PAPI est professeure dans le département
d’éducation à la Téluq et membre du CURAPP-ESS UMR
7319 de l’université de Picardie Jules Verne. Au croisement de la
sociologie, des sciences de l’éducation et des sciences de
l’information et de la communication, ses recherches portent sur les
usages des TIC dans l’éducation ainsi que sur les interactions
médiatisées et les pratiques d’apprentissage,
d’enseignement et, tout particulièrement, d’accompagnement,
en formation hybride ou à distance.
Adresse : Téluq – 455, rue
du Parvis, Québec (Québec) G1K9H6, Canada
Courriel : cathia.papi@teluq.ca
Toile : www.teluq.ca/siteweb/univ/cpapi.html
1 Dans leur revue de littérature,
Bawane et Spector (Bawane et Spector, 2009) distinguent quant à eux huit rôles : professionnel,
pédagogique, social, évaluateur, administrateur, technologue,
conseiller, chercheur et notent que leur enquête auprès de
professionnels révèle une prédominance du rôle
pédagogique, suivi du rôle professionnel puis du rôle
d’évaluateur, du rôle social et du rôle de technologue.
Ainsi, différentes typologies sont possibles mais elles ne sont pas
toujours claires. Il semble, par exemple, difficile de saisir ce qu’est un
rôle « professionnel ».
2 Les entretiens ont initialement
été menés à des fins personnelles de connaissance de
l’histoire de la Téluq et de ses acteurs. Nous profitons de cet
article pour remercier vivement les professeur(e)s rencontré(e)s pour
leur disponibilité à partager leurs histoires professionnelles.
3 Les termes ainsi mis entre
guillemets (« expérience pédagogique »,
« technologue », etc.) correspondent au vocabulaire
employé dans cette institution, ils se retrouvent donc dans les
entretiens et plus généralement dans les discussions ayant lieu au
sein de cette institution voire dans l’ouvrage de Guillemet (2007) sur
l’histoire de la Téluq. Dans la mesure où ils sont propres
à un contexte et non à une personne, ils ne sont pas
référés à un auteur en particulier.
4Viviane Glikman (2011)
précise que le seul élément qui fait défaut pour
considérer le tutorat à la Téluq comme un réel
métier est une formation spécifique certifiée.
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