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Volume 29, Numéro 2
Sélection de la conférence EIAH 2021
Éditorial
Nour EL MAWAS (CIREL, Université de Lille), Marie LEFEVRE (LIRIS,
Université Lyon 1), Christine MICHEL (TECHNÉ, Université de
Poitiers)
1. Introduction
Ce numéro spécial de la revue STICEF
présente une sélection de six articles qui constituent des
versions développées de papiers présentés lors de la
conférence EIAH 2021, 10e édition de la
conférence EIAH (Environnements Informatiques pour l’Apprentissage
Humain). Cette édition a eu lieu en ligne du 7 au 10 juin 2021, elle
était organisée et portée par la Haute École
Pédagogique Fribourg (HEP|PH FR).
La thématique scientifique de cette édition concernait la
question des transformations dans le domaine des EIAH, souhaitant en particulier
décrire ou discuter les innovations technologiques et d’usage(s),
leurs caractéristiques et leurs effets sur la construction des
connaissances et l’expérience d’apprentissage, mais aussi
plus globalement les transformations qu’elles induisent en fonction des
contextes.
Organisée tous les deux ans, la conférence EIAH est une
conférence internationale, pluridisciplinaire et francophone sur la
conception et l’analyse des environnements numériques pour
l’éducation et la formation, placée sous
l’égide de l’ATIEF (Association des Technologies de
l’Information pour l’Éducation et la Formation).
Cette communauté pluridisciplinaire regroupe des chercheurs en
informatique, en sciences et techniques de l’information et de la
communication et en sciences humaines et sociales (sciences de
l’éducation et de la formation, didactique, psychologie, sciences
de l’information et de la communication, etc.). Elle conduit des
recherches dont la finalité est de problématiser et de
modéliser des environnements informatiques, mais aussi d’analyser
les usages du numérique pour l’éducation et la formation
afin d’en comprendre les effets. Ainsi, les travaux qui sont menés,
souvent en collaboration étroite avec les praticiens du domaine, visent
à produire des résultats de recherche, des modèles et des
environnements informatiques dédiés à la conception, la
mise en œuvre et l’évaluation de situations
d’apprentissage instrumentées avec le numérique. Ces
situations d’apprentissage peuvent se dérouler dans
différents contextes, pour des publics divers (scolaire, universitaire,
formation professionnelle, publics à besoins particuliers), et selon des
modalités variées (en présentiel, à distance ou en
mode hybride). Les thématiques traitées concernent la conception,
les usages, l’adaptation, les interactions, les fondements technologiques,
les contextes d’apprentissage et les questions éthiques et de
protection des données.
2. Présentation du numéro spécial
La révolution des modalités
d’apprentissage liée à la pandémie de COVID’19
avait semblé porter beaucoup de potentiels en termes d’analyse des
innovations technologiques et d’usage(s). Au-delà de cet aspect
conjoncturel, la conférence visait à favoriser les
réflexions systémiques et situées sur les approches, outils
et méthodes permettant de concevoir, déployer ou observer les
dispositifs hybrides à des niveaux micro ou macro, mais également
constituer un panorama de la variété des dispositifs
proposés en considérant les supports technologiques
utilisés, les activités proposées, les effets
observés en termes d’apprentissage et d’expérience
utilisateur, ou les dynamiques sociales soutenant leur émergence ou leur
pérennité, en particulier en termes d’acceptation et
d’appropriation.
Les trois premiers articles de ce numéro spécial ont pour
objectif d’apporter des éléments de réflexion sur les
évolutions en matière de pratiques professionnelles des
enseignants pour la conception et la mise en œuvre de leurs enseignements
avec les technologies.
Les trois derniers articles s’attachent à décrire ou
à évaluer comment différentes techniques de
rétroactions ou de remédiations automatiques peuvent être
utilisées dans les situations d’apprentissage où
l’apprenant interagit avec un environnement informatique.
2.1. Évolutions en matière de pratiques professionnelles des
enseignants
Le premier article, rédigé par Christine Michel et
Laëtitia Pierrot, et intitulé « Pratiques des enseignants
durant le confinement lié à la COVID-19 : niveaux et facteurs
d’intégration du numérique dans les écoles et
perspectives pour le développement des usages », a pour
objectif d’analyser, à partir d’une enquête (441
réponses), les usages et pratiques numériques mis en œuvre
par les enseignants d’école primaire et de collège, lors du
confinement du printemps 2020. En explorant la manière dont les
enseignants intègrent les technologies numériques dans leurs
pratiques, cet article identifie deux logiques différentes : (1)
diversifier les canaux de communication avec les élèves, en
particulier via les notifications, et proposer des formes d’apprentissage
plus actif, collaboratif et engageant, et (2) améliorer
l’auto-efficacité dans la conception des ressources et des
activités grâce à l’auto-formation.
L’Environnement Numérique de Travail (ENT) semble plus facile
à intégrer dans les pratiques des enseignants que d’autres
outils numériques. Il occupe en effet une place privilégiée
en raison de son statut d’environnement de travail partagé avec les
élèves et les parents, mais nécessite d’être
reconçu sur certains aspects : la personnalisation, la
rationalisation du parcours utilisateur et les services d’auto-formation.
Le deuxième article, rédigé par Maëlle Planche,
Cédric d’Ham, Christian Hoffmann, Nadine Mandran, Isabelle Girault,
Claire Wajeman, Nicolas Balacheff et Patricia Marzin, et intitulé
« Caractérisation des transformations pédagogiques
impulsées par une plateforme numérique », a pour
objectif d’analyser les transformations pédagogiques liées
à la plateforme numérique LabNbook, dédiée à
l’enseignement des sciences expérimentales. Les résultats de
l’évaluation longitudinale, conduite auprès
d’enseignants du supérieur, pointent le rôle joué par
LabNbook pour soutenir les pédagogies actives déjà en place
et pour impulser des transformations dans les activités
pédagogiques proposées aux étudiants. Une évolution
des objectifs d’apprentissage des enseignants, notamment au niveau
disciplinaire, et un questionnement de l’alignement pédagogique
sont également observés. Cet article propose pour conclure une
caractérisation en quatre niveaux de la transformation pédagogique
induite par l’utilisation prolongée d’un outil
numérique, que les auteurs recommandent de confirmer par des
études supplémentaires.
Le troisième article, rédigé par Gaëlle Lefer
Sauvage et intitulé « Pratique contextualisée des
tablettes tactiles : une intentionnalité
empêchée ? », réinterroge les rapports
contextuels, voire culturels, dans la conception de l'intentionnalité de
pratique des tablettes tactiles par les professeurs des écoles stagiaires
(PES) de l'académie de Mayotte (académie
caractérisée par des contraintes et dynamiques
spécifiques), à partir d’une enquête par questionnaire
(87 réponses). Sur la base d’analyses de profils,
l’intentionnalité est expliquée en partie par l'importance
du sentiment de compétences des PES vis-à-vis de leur formation
universitaire. Cette explication reste tempérée par le poids du
contexte technique et des variables psychologiques propres à chaque
individu. Des analyses lexicométriques permettent de comprendre des
usages et des besoins contextualisés des pratiques des tablettes
tactiles. En conclusion, la modélisation de l'intentionnalité est
débattue, en considérant en particulier les liens entre
l'intention d'utilisation et les contextes réels d’application dans
les écoles. Cette discussion vise en particulier les limites des
enseignements universitaires actuels des PES, qui ne permettent pas une
construction identitaire professionnelle adaptée vis-à-vis de la
maîtrise et de l’usage des TICE.
2.2. Évaluation de rétroactions ou remédiations
automatiques dans les EIAH
L’article rédigé par Sébastien Jolivet, Amel
Yessad, Mathieu Muratet, Elann Lesnes, Brigitte Grugeon-Allys et Vanda Luengo,
et intitulé « Rétroactions dans un environnement
numérique d’apprentissage : modèle de description et
décision » a pour objectif de proposer une formalisation
permettant d’une part, de décrire et choisir automatiquement une
rétroaction épistémique et, d’autre part, de pouvoir
analyser de façon plus fine les rétroactions proposées par
différents environnements informatiques d’apprentissage ainsi que
leurs effets. Dans cet article, la rétroaction est définie comme
une intervention faite par un système informatique suite à
l’exécution d’une tâche d’apprentissage. Cet
article introduit deux modèles : un modèle de description des
rétroactions épistémiques et un modèle informatique
de décision de ces rétroactions. Le modèle de description
est fondé sur des connaissances didactiques et a pour objectif
d’être suffisamment explicite pour aider à la décision
automatique des rétroactions. Le modèle informatique de
décision combine des connaissances expertes et un algorithme
d’apprentissage par renforcement. La faisabilité de
l’approche est évaluée avec la réification du
modèle et son intégration à une implémentation du
modèle décisionnel. Sur cette base l’article propose
différentes perspectives de poursuite du travail : utiliser le
modèle pour étudier des environnements numériques
d’apprentissage ou aider à leur conception, et contrôler et
valider le modèle en situation écologique.
Les deux derniers articles présentent des évaluations en
situation pédagogique de deux EIAH intégrant des principes de
rétroaction pour favoriser l’auto-régulation des apprenants.
En effet, différents travaux de recherche montrent que la capacité
à auto-réguler son apprentissage a un impact significatif positif
sur les résultats scolaires.
L’article rédigé par Laëtitia Pierrot, Christine
Michel, Julien Broisin, Nathalie Guin, Marie Lefevre et Rémi Venant,
intitulé « Évaluation de l’utilité et de
l’utilisabilité du service COMPER pour soutenir
l’autorégulation dans le travail en autonomie », a pour
objectif d’évaluer l’utilisabilité et la pertinence de
combiner deux outils, utilisables en présence ou à distance, pour
soutenir les stratégies d’autorégulation des
étudiants en s’appuyant sur l’approche par
compétences : l’accès à des exercices pour le
renforcement des compétences et différentes visualisations du
profil des compétences développées. Les visualisations des
profils de compétences s’appuient sur les principes des Open
Learning Model (OLM) et des tableaux de bord, elles correspondent à des
outils d’awareness de l’état des connaissances de
l’apprenant à partir de son activité dans le cours. Au
regard de la complexité d’usage de ces types d’outils,
l’analyse de leur combinaison en situation pédagogique vise
à apporter des réponses sur la manière dont il est
recommandé de les mobiliser pour répondre aux besoins de tous les
profils d’apprenants en termes d’auto-régulation :
décrocheur, suiveur, appliqué solitaire et efficace.
L’évaluation a été réalisée à
partir de questionnaires, entretiens et traces d’activité,
auprès de 181 étudiants de DUT1 Informatique entre 2020 et 2021.
Les résultats montrent qu’en dépit d’une utilisation
restreinte, le service est dans l’ensemble jugé utile et
utilisable, mais de manière différente en fonction des profils
autorégulés des étudiants. Les services sont jugés
comme pertinents par les étudiants en situation de travail en autonomie,
et ils viennent répondre aux besoins de ceux qui ont
développé peu de stratégies autorégulatrices.
Le dernier article de ce numéro spécial est
rédigé par Thomas Sergent, Morgane Daniel, François Bouchet
et Thibault Carron, et est intitulé « Détection de
déficits d'auto-évaluation et d'auto-efficacité et
remédiation dans un EIAH ». Il présente une étude
visant à détecter des déficits d'auto-régulation de
l'apprentissage pour de jeunes élèves, dans le contexte d'une
application web d'apprentissage de la lecture. À partir des
réponses de 467 116 élèves à deux questions
évaluant la difficulté perçue et la difficulté
voulue, cet article propose une définition opérationnelle de
différentes formes de déficits et mesure ensuite l'impact de deux
stratégies de remédiation de l'auto-évaluation et de
l'auto-efficacité : l’utilisation d’une jauge (resp. un
enregistrement audio) montrant (resp. énonçant) le nombre de
réponses correctes et incorrectes pour aider les élèves
à évaluer leur performance réelle lors des réponses
aux énoncés d'auto-régulation. Les résultats
montrent : (a) une réduction significative des déficits
d'auto-évaluation lorsque les réponses étaient soutenues
par une jauge visuelle, (b) une réduction significative des futurs
déficits d'auto-évaluation lorsque l'on donne aux
élèves un feedback audio les aidant à prendre conscience de
leur déficit et à y remédier. Ces résultats
soulignent la possibilité d'étayer les compétences
d'apprentissage autorégulé dans une application Web dès le
plus jeune âge, tout en apprenant une autre compétence.
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