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Pratiques des enseignants durant le confinement lié
à la COVID-19 : niveaux et facteurs d’intégration du
numérique dans les écoles et perspectives pour le
développement des usages
Christine MICHEL, Laëtitia PIERROT (Université de Poitiers,
Unité de recherche Techné)
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RÉSUMÉ : L’objectif
de cet article est d’analyser, à partir d’une enquête
(441 réponses), les pratiques numériques mises en œuvre par
les enseignants d’école primaire et de collège, lors du
confinement du printemps 2020. Cette étude montre que les enseignants ont
de manière marginale adapté leurs pratiques et innové, mais
qu’une évolution significative nécessite un meilleur
accompagnement. Différentes perspectives basées sur une
reconception des environnements numériques de travail (ENT) sont
proposées pour le faire.
MOTS CLÉS : Intégration
du numérique, pratiques pédagogiques, ENT, modèle
d’appropriation, usages numériques. |
Teachers' practices during COVID-19 lockdown: Levels and factors of technologies integration in schools and perspectives for uses' development. |
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ABSTRACT : This
paper examines a survey of the digital practices implemented by French primary
and secondary school teachers during the spring 2020 lockdown. Results show that
teachers have marginally adapted their practices and innovated, but that a
significant evolution requires better support. We propose some improvement
perspectives based on a redesign of virtual learning environments (VLE) to keep
developing digital uses.
KEYWORDS : Technology
Integration, Teaching Practices, VLE, Appropriation Model, Digital Uses. |
1. Introduction
L’épisode de
pandémie lié à la Covid-19 a provoqué la fermeture
des écoles françaises en mars 2020. Dans ce contexte, et dans le
but d’assurer une continuité pédagogique, les
activités d’enseignement et d’apprentissage, initialement
prévues pour se dérouler en présentiel, ont basculé
à distance en intégrant plus ou moins le numérique.
L’intégration du numérique dans les pratiques
professionnelles des enseignants peut être caractérisée par
son utilisation de manière efficace et efficiente (Kaikai, 2014).
Les recherches sur la mise en œuvre de la modalité à distance
révèlent qu’elle repose sur des fondements
pédagogiques similaires à celle en présence, mais le fait
de passer par le biais d’outils numériques transforme la formation (Charlier et al., 2006), (Gérin-Lajoie et al., 2019), (Maulini, 2020).
Du côté des élèves, la distance tend à
renforcer les inégalités entre eux, principalement lorsque
l’activité d’apprentissage repose sur une autonomie forte (Charlier et al., 2006), (Maulini, 2020).
Pour les enseignants, la distance peut contribuer à une
redéfinition de leur rôle (d’enseignant à accompagnant
ou animateur) et surtout une diversification des moyens pédagogiques et
techniques (Gérin-Lajoie et al., 2019).
Cela rejoint le constat fait par Félix et ses collègues (Félix et al., 2020),
d'un « bricolage héroïque » avec les moyens
disponibles observés chez les enseignants.
La disponibilité effective des moyens techniques est donc l’un
des premiers éléments expliquant l’intégration du
numérique dans les pratiques pédagogiques des enseignants. Il
n’est pas le seul : le rapport sur le numérique à
l’École de la Cour des comptes (Cour des comptes, 2019) montre qu’en dépit d’un déploiement croissant des
services et ressources numériques, les usages des enseignants qui en
découlent restent limités. En particulier, l’utilisation qui
est faite de l’environnement numérique de travail (ENT), solution
institutionnelle regroupant des outils et services dans un espace
numérique unique à l’échelle d’un
établissement scolaire (Bruillard, 2011),
a fait l’objet d’études qui montrent des usages restreints
à quelques services (la messagerie, le cahier de textes) pour quelques
finalités (communiquer ou partager des ressources). L’un des
principaux avantages identifiés par les usagers de l’ENT est sa
capacité à faire le lien entre les différents acteurs
susceptibles d’accompagner les enfants dans leurs apprentissages :
les enseignants et autres personnels éducatifs d’une part, les
parents d’autre part (OECD, 2020).
L’objectif de notre travail est de décrire
l’expérience de continuité pédagogique des
enseignants concernant l’usage du numérique en
général et de l’ENT en particulier durant cette
période de mars à juin 2020. Au-delà de contribuer à
des études longitudinales sur l’intégration du
numérique dans et pour l’éducation, notre objectif est
d’identifier comment l’injonction de fournir un enseignement
à distance a joué sur les dynamiques d’appropriation des
enseignants. Notre première question de recherche est de
déterminer quelles tâches ont été mises en œuvre
par les enseignants et quels moyens ont été utilisés :
l’ENT, d’autres outils numériques ou des outils non
numériques (Q1). Notre seconde question de recherche consiste à
décrire et expliquer le niveau d’intégration
numérique (Q2). Plus globalement, nous cherchons à
déterminer quelles leçons peuvent être tirées de
cette expérience pour formaliser des stratégies
d’accompagnement adaptées aux besoins des enseignants afin de
favoriser le développement des technologies numériques dans les
écoles (Q3).
Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé
une enquête de mai à juin 2020 en collaboration avec
l’entreprise Open Digital Education. En effet, nous avons
diffusé sur l’ensemble des territoires français, via les
deux solutions d’ENT de l’entreprise (One pour l’école
primaire, Neo pour le collège ou le lycée), un questionnaire aux
enseignants, parents et élèves. Plus de 5000 réponses ont
été collectées. Dans cet article, nous proposons une
analyse des 441 réponses des enseignants des 1er et
2d degrés. Cette analyse est précédée
d’un état des recherches sur l’analyse des usages
numériques chez les enseignants (section 2) et permet de dresser un bilan
des usages sur la période du premier confinement (section 4). Sur cette
base nous proposons une analyse de l’intégration
réalisée et des pistes pour la favoriser dans le futur (section
5).
2. L’intégration du numérique dans les pratiques
pédagogiques des enseignants
2.1. Des usages numériques limités
En temps ordinaire, si en dehors de la classe, pour
préparer les cours notamment, l’utilisation du numérique par
les enseignants est répandue, elle demeure limitée dans la salle
de classe (MENJS, 2019). Les
causes sont multiples.
L’une des principales conclusions de l’Enquête
européenne sur les TIC dans l’éducation dans les
écoles (European Commission, 2019) est le lien constamment démontré entre l’expérience
des enseignants et l’utilisation de la technologie. La plupart des
enseignants qui intègrent des outils numériques dans leurs classes
ont au moins six ans d’expérience dans l’enseignement.
Interrogés sur leurs compétences, ils ont déclaré se
sentir plus confiants (score d’au moins 3 sur 4) avec les tâches de
communication, d’information/littératie, de collaboration et de
sécurité. Ils ont répondu se sentir moins confiants dans la
création de contenu et la résolution de problèmes.
De plus, des manques ou dysfonctionnements matériels dans les
établissements ne permettent pas aux enseignants de réaliser
complètement les activités numériques imaginées (Jalal et al., 2018),
ils manquent de formations techniques, techno-pédagogiques et disposent
d’illustrations d’usage limitées et on observe des
inégalités d’accès ou sociales (Cour des Comptes, 2019) (MEN, 2013).
Outre ces variables externes, les croyances, les opinions et la
diversité des technologies, les politiques d’intégration (Rashid et al., 2021) ont un fort impact sur la détermination de l’utilisation ou de la
non-utilisation des technologies. Dans le contexte français, 5 profils
d’enseignants ont été identifiés en tenant compte de
la fréquence d’utilisation et du bénéfice
perçu des technologies. Le profil A décrit des enseignants
utilisant le numérique ponctuellement, principalement en
préparation de cours, alors que le profil E décrit des
comportements plus réguliers, c’est-à-dire au moins des
usages prescrits pour les élèves en autonomie au moins une fois
par semaine (MENSR, 2016).
Pour autant, la méta-analyse conduite par Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020) rend compte d’un effet plutôt positif du numérique sur les
apprentissages, selon la fonction pédagogique qu’il remplit.
C’est le cas de l’évaluation des apprentissages ou des
activités d’enseignement à distance par exemple.
Le contexte de passage à distance de crise (Hodges et al., 2020) débuté en 2020 a augmenté le recours au numérique,
caractérisé par un effet « millefeuille » (Boudokhane-Lima et al., 2021) :
les enseignants empilent les outils qui permettent de briser les
barrières spatio-temporelles et facilitent la communication
synchrone/asynchrone, pour mener à bien leurs activités (Awang et al., 2018).
Parmi les outils à disposition des enseignants, l’ENT a
constitué une solution intégrée et institutionnelle
déjà disponible.
2.2. Introduction des ENT dans les écoles françaises
En 2006, le ministère français de l’Éducation a
proposé un cadre pour déployer une solution conçue pour
réunir tous les acteurs de l’éducation dans un même
environnement. Sur la base de ce cadre, des éditeurs privés ont
déployé des solutions ENT dans les écoles primaires et
secondaires.
Si la solution regroupe une variété de services et de
ressources, les usages qui se sont développés sont circonscrits
à certaines activités ou fonctions : la messagerie et le
cahier de textes restent les services globalement les plus utilisés,
parce qu’ils permettent de reproduire par un autre moyen des pratiques
traditionnelles déjà existantes (Poyet et Genevois, 2012).
Le sentiment de charge de travail supplémentaire, le manque
d’utilisabilité de certains services comme le forum (Pacurar et Abbas, 2015), (Prieur et Steck, 2011) ou la vision négative qu’en ont les enseignants peuvent expliquer
des usages peu développés (Schneewele, 2014).
Cette solution vient aussi en concurrence des solutions
« bricolées », préférées par les
enseignants les plus passionnés (Schneewele, 2014) car existant avant l’arrivée de l’ENT (Daguet et Voulgre, 2011).
De plus, les stratégies de déploiement de l’ENT suivent la
volonté ministérielle d’homogénéiser des
services, au détriment d’une mise en correspondance des besoins des
usagers et des fonctionnalités de l’outil (Bruillard, 2011), (Puimatto, 2006).
Pour autant, de nouvelles pratiques émergent (Hanna et Charalampopoulou, 2019) et l’ENT construit de nouvelles formes de valorisation du travail des
enseignants (Codreanu et al., 2017).
L’ENT semble donc pouvoir contribuer à mettre en place des
activités dans et en dehors de la classe (MEN, 2013).
2.3. L’observation des usages numériques et des pratiques
pédagogiques
L’observation des usages numériques des enseignants sur
l’ENT vise différents objectifs : produire des études
descriptives des utilisations, identifier et expliquer les facteurs qui
conditionnent les usages/non-usages, ou des effets liés aux usages, ou
bien modéliser ou formaliser les dynamiques d’appropriation.
Les enquêtes par questionnaire sont représentatives, car
à grande échelle, des tendances générales pour une
population. En ce sens, elles sont utiles pour produire des études
descriptives ou des modèles de l’appropriation. Elles se composent
généralement d’une partie déclarative des
caractéristiques sociodémographiques de l’individu, son
parcours professionnel, son environnement de travail (en intégrant son
équipement informatique) et d’une partie déclarative des
usages réalisés concernant tel ou tel type de service ou de
technologie. Des critères complémentaires, identifiés dans
les études plus globales de l’acceptation et de
l’appropriation du numérique, peuvent être ajoutés.
L’analyse de l’utilité, l’utilisabilité et
l’acceptabilité permet d’identifier tous les aspects
« pratiques » de l’utilisation (Tricot et al., 2003).
Plusieurs des études citées dans la section
précédente (Pacurar et Abbas, 2015), (Prieur et Steck, 2011), (Schneewele, 2014) utilisent ces facteurs pour expliquer les usages/non-usages des enseignants. Le
fait que de nombreux tests standardisés existent concernant
l’utilité et l’utilisabilité (Finstad, 2010) facilite leur analyse par des questionnaires. Les analyses opérées
dans ces études, surtout dans une perspective de modélisation,
sont globalement inspirées des recherches en sociologie des usages sur la
diffusion des innovations cherchant à modéliser le niveau
d’adoption (Depover et Strebelle, 2007).
Ces méthodes sont également utiles pour appréhender
l’intégration des technologies, afin de décrire et de
comprendre la diffusion de l’innovation (Dogan et al., 2021), (Nelson et al., 2019).
Ces méthodes restent questionnables sur au moins trois aspects pour
lesquels nous proposons des adaptations.
(1) Ces études ne considèrent souvent que les services les plus
utilisés ou les services les plus courants, laissant de côté
les usages minoritaires, mais en cours d’émergence (Hanna et Charalampopoulou, 2019),
ou les usages spécifiques à un service innovant présent
uniquement sur quelques ENT. De plus, cette approche quantifiée des
usages tend à écarter les finalités d’usage ou les
motivations, qui contribuent pourtant à comprendre les objectifs des
enseignants et à justifier le choix d’un service plutôt
qu’un autre (Tricot et Chesné, 2020).
Pour pallier cette limite, nous proposons d’analyser l’ensemble des
services existant sur un ENT et de croiser ces analyses avec, d’une part,
des questions fermées relatives aux tâches réalisées
pour atteindre différents objectifs, aux bénéfices
observés (Codreanu et al., 2017), (DeLone et McLean, 2003) ou à la valeur construite dans l’usage (Michel et al., 2014) et, d’autre part, des questions ouvertes de type « pourquoi » (Poyet, 2016).
(2) Certains critères sur les niveaux de compétences des
enseignants sont mal formalisés. Nous proposons d’utiliser le
modèle Technological Pedagogical Content Knowledge (TPACK) (Mishra et Koehler, 2006) qui décrit les trois principaux champs de connaissance que les
enseignants sont amenés à mobiliser lors de
l’intégration d’une technologie (connaissances liées
aux contenus à enseigner, celles sur la pédagogie et celles sur la
technologie).
(3) Le caractère linéaire de ces modèles diffusionnistes
ne permet pas de comprendre la progression des usages qui ne sont pas
unifiés pour tous les services ou applications considérés (Poyet et Genevois, 2012).
Pour pallier cette limite, nous proposons d’utiliser des processus de
classification multidimensionnels potentiellement plus adaptés (Kozdras et Welsh, 2018), (Poyet, 2016).
De manière à pouvoir positionner les résultats de notre
étude comme un prolongement longitudinal des résultats des autres
études, nous avons choisi d’utiliser la même méthode
de recueil (questionnaire) et d’intégrer des questions sur les
éléments classiquement observés. Pour fournir des
diagnostics plus précis, nous avons complété le
questionnaire en interrogeant les enseignants sur les sujets suivants :
- l’utilité des services et la qualité de
conception de l’ENT,
- les tâches et les objectifs qui motivent l’utilisation
des technologies,
- leur sentiment d’évolution en termes de motivation,
d’auto-efficacité et de compétence au début et
à la fin du confinement.
Nous proposons également d’utiliser des méthodes de
classification multidimensionnelles pour explorer de manière globale et
croisée l’ensemble des données.
3. Étude Open Digital Education-Nunc
3.1. Contexte de l’étude
L’enquête, conçue dans une optique
d’évaluation et d’analyse des conditions
d’appropriation du numérique, a été proposée
aux utilisateurs de la solution d’ENT fournie par l’éditeur Open Digital Education. Le questionnaire a été
administré et diffusé à grande échelle (cet ENT
étant présent dans des académies en France
métropolitaine et ultramarine) entre les mois de mai et de juin 2020.
L’invitation à répondre au questionnaire était
proposée directement sur l’ENT. Le questionnaire comprend 3 parties
(tableau 1) :
- la première porte sur le profil du
répondant ;
- la deuxième porte sur l’expérience du
numérique et de l’ENT :
• exploitation du numérique/ENT pour la réalisation de
l’activité, exprimé en fonction de tâches
pédagogiques structurées selon l’approche envisagée (Kozdras et Welsh, 2018) ;
• expérience de l’ENT, selon l’échelle
d’utilisabilité UMUX1 (Finstad, 2010) et les services préférés ; des questions ouvertes sont
posées pour illustrer les avis ;
- la troisième partie porte sur l’expérience
globale de la continuité pédagogique. Elle permet de collecter les
ressentis exprimés pour le début et la fin du confinement,
utilisés ensuite pour calculer les
bénéfices/dégradations sur le plan personnel. Ces ressentis
sont formulés en termes de :
• motivation,
• efficacité,
• compétence, caractérisée selon les dimensions
TPACK (Mishra et Koehler, 2006),
• liens sociaux,
• autonomie.
Les ressentis exprimés pour le début et pour la fin du
confinement sont utilisés pour calculer les
bénéfices/dégradations sur le plan personnel.
Tableau 1 • Structure du
questionnaire
Section |
Description |
1 - Profil |
Caractéristiques sociodémographiques (genre, âge,
ancienneté, niveau d’enseignement, discipline) |
|
Caractéristiques de l’établissement (taille,
privé/public, localisation, école/collège/lycée) |
|
Conditions du travail à la maison (nombre d’enfants en
continuité pédagogique au foyer, aide pour gérer ces
enfants) |
2 – Numérique et ENT |
Mode de réalisation des tâches pédagogiques ou de
gestion (4 modes de réalisation, 24 tâches) |
|
Score de l’expérience avec l’ENT selon
l’échelle UMUX (4 items, échelle en 7points) |
|
Services ENT préférés (classement sur 25 services) |
3 – Continuité pédagogique |
Ressentis globaux au début et à la fin du confinement (12
items, échelle en 7 points). |
En complément du questionnaire, des entretiens
d’approfondissement et une collecte de récits
d’expérience ont été organisés, à
distance entre juin et juillet 2020, pour obtenir des illustrations
d’usages et mieux appréhender les motivations, les finalités
et les éventuels bénéfices exprimés (Michel et al., 2021).
3.2. Participants
467 enseignants ont répondu au questionnaire. Seules 26
réponses (5 %) proviennent d’enseignants de niveau
Lycée. Au regard de leur faible représentativité, nous
avons choisi de ne pas les considérer dans cette étude. Le corpus
d’analyse est donc composé de 441 réponses
d’enseignants (279 à l’école primaire, 162 au
collège). 79% des répondants sont des femmes. 89% des
répondants sont âgés de 25 à 55 ans et 94% occupent
un poste permanent. 90% des répondants ont plus de 11 ans de service dans
le système éducatif national et 97% travaillent dans des
institutions publiques. Près du quart (24 %) des enseignants ont
déclaré que moins de 5 % de leurs élèves
n’avaient pas terminé les activités proposées, tandis
que 14 % ont déclaré que la moitié ou plus de leurs
élèves se trouvaient dans cette situation. Les réponses des
enseignants proviennent de différentes régions de France avec une
prédominance pour deux départements : la Somme (24 %) et la
Martinique (10 %).
3.3. Analyse des données
Nous avons identifié les stratégies d’usage des
enseignants (Q1) en dénombrant les réponses sur les
modalités de réalisation (avec l’ENT ou d’autres
outils, numériques ou non numériques) ou la non-réalisation
de 24 tâches scolaires (section 2 du questionnaire)
caractérisées par les six objectifs de niveau supérieur
visés (conception, transmission, facilitation, vérification,
communication et autoformation).
Une méthode de classification K-means à 5 niveaux a été suivie pour
modéliser le niveau d’intégration de l’ENT et des
autres outils numériques (Q2). Le calcul des K-means a
porté sur des valeurs moyennes normalisées des déclarations
d'utilisation des deux types de technologies regroupées (pour faire la
moyenne) selon les objectifs de niveau supérieur. En effet, cette
méthode considère chaque observation (ici les 441 enseignants)
comme un point dans un espace vectoriel à k dimensions (ici 6 pour les
six objectifs). Les valeurs sur chaque dimension correspondent à
l’intensité d’utilisation de l’ENT (vs des outils
numériques hors ENT) pour réaliser chaque objectif (ici les
moyennes normalisées des usages pour chaque objectif). La classification K-means partage l'espace de données en n classes (ici
n = 5) prédéfinies avant l’analyse, de telle
manière que les variances à l'intérieur des classes soient
minimales. Le nombre 5 a été choisi de manière à
respecter les 5 niveaux d’intégration des technologies de la
matrice TIM (Kozdras et Welsh, 2018) :
entrée, adoption, adaptation, infusion, et transformation. Cette matrice
décrit pour chaque niveau les usages possibles des technologies selon le
type d’apprentissage (actif, collaboratif, etc.) proposé par
l’enseignant.
Une analyse de co-variance2 (niveau
de signification à 0,05) a été réalisée entre
le niveau d’intégration et respectivement les variables profil,
score d’expérience UMUX de l’ENT, expérience globale
de continuité pédagogique (motivation, auto-efficacité,
compétence, liens sociaux et autonomie). L’objectif était
d’identifier s’il existait une relation linéaire
significative entre le niveau d’intégration et les autres variables
descriptives des enseignants. Toutes les analyses statistiques (analyses
bivariées ou multivariées) ont été effectuées
à l’aide d’Excel, XLStat et Jmp.
Les questions ouvertes n’ont pas été analysées
à ce stade de l’étude, qui a un objectif global et
exploratoire.
4. Résultats
4.1. Stratégies de réalisation des tâches
professionnelles par les enseignants pendant le confinement
La figure 1 présente, pour le collège
et l’école élémentaire, le pourcentage
d’enseignants ayant réalisé 24 tâches
professionnelles. Les enseignants ont indiqué si ces tâches
étaient réalisées ou non, et si oui par quels moyens (ENT,
outils numériques, outils non numériques). Les tâches sont
réorganisées selon les 6 objectifs visés à plus haut
niveau :
- conception
• T1 - Adapter les activités pour certains
élèves
• T2 - Créer des activités
- transmission
• T3 - Mettre à disposition des cours, ressources
• T4 - Mettre à disposition les activités du
jour
• T5 - Mettre à disposition des exercices
• T6 - Mettre à disposition des séquences
d’activité
• T7 - Mettre à disposition des activités
pédagogiques pour développer les interactions-la collaboration
entre les élèves
- animation
• T8 - Travailler avec la vidéo (YouTube, tutoriels,
etc.)
• T9 - Publier, écrire avec les élèves
(journal, blog, pad, etc.)
• T10 - Travailler à l’oral (fichiers audio,
webradio, podcast, etc.)
• T11 - Enseigner avec des applications spécifiques
dédiées (Excel, Edumedia, Sesamath, Quidoo... )
• T12 - Organiser des classes virtuelles avec de la
vidéo
• T13 - Organiser des classes virtuelles avec des forums
- vérification
• T14 - Réceptionner les productions des
élèves
• T15 - Vérifier que le travail a été
fait
• T16 - Évaluer les élèves
- communication
• T17 - Gérer les demandes individuelles
• T18 - Maintenir le lien entre les élèves
malgré la distance
• T19 - Organiser des points de suivi réguliers avec
les familles
• T20 - Rendre visibles les questions de chacun
- autoformation
• T21 - Coopérer entre enseignants de mon
établissement
• T22 - Me former sur les technologies à utiliser
• T23 - Coopérer entre enseignants d’autres
établissements
• T24 - Chercher des informations sur les activités
à faire faire aux élèves
Figure 1 • Pourcentages
d’enseignants ayant réalisé des tâches selon le type
d’établissement et les outils
Les comportements des enseignants de collège et d’école
primaire sont globalement assez similaires.
Les tâches les plus réalisées relèvent de quatre
objectifs (transmission, communication, conception et recherche
d’information). Si l’on regarde plus en détail, la
transmission des activités concerne des cours, des ressources et des
exercices (T3, T5). Elle se fait plutôt avec l’ENT et unitairement
(souvent au jour le jour) (T4). Les enseignants proposent moins souvent des
séquences d’activité (T6) ou des activités à
faire en groupe (T7). La communication est, de la même manière,
plutôt réalisée avec l’ENT, pour maintenir le lien
avec les élèves (T18) et gérer les demandes individuelles
(T17). Elle se fait principalement de manière interpersonnelle, les
enseignants ne partagent pas les questions et les réponses de
façon collective (T20). L’autoformation se fait principalement par
des recherches sur Internet (T24) et par des échanges entre enseignants
du même établissement via l’ENT ou d’autres outils
numériques (mails, téléphone) (T21). La conception
d’activités (T2) se fait plutôt avec des outils accessibles
sur Internet et peu avec l’ENT, sauf pour quelques enseignants du
primaire. La vérification du travail des élèves (T14, T15,
T16) se fait de la même manière, principalement avec l’ENT en
collège et avec l’ENT et le numérique en primaire. Il
n’y a pas de modalités privilégiées pour
l’évaluation du travail des élèves.
Les tâches les moins réalisées sont des tâches
d’animation. Les enseignants animent principalement les cours en utilisant
des ressources vidéo. Les autres formes d’animation
(écriture collaborative, travail à l’oral, classes
virtuelles, utilisation d’outils spécifiques) restent moins
développées, mais quand elles sont faites, l’ENT permet
plutôt des animations d’écriture (T9) et les autres outils
numériques des animations de classe virtuelle (T12, T13).
4.2. Intégration des technologies dans les pratiques des
enseignants
4.2.1. Niveaux d’intégration des technologies
La figure 2 présente les niveaux d’intégration de
l’ENT et des autres outils numériques, selon la méthode des K-means, pour réaliser les 6 objectifs présentés
précédemment. Ainsi, chaque niveau (ou classe) regroupe les
enseignants ayant un comportement similaire en termes d’usage de
l’ENT (vs des autres outils numériques) pour réaliser les
objectifs. Les niveaux d’intégration sont décrits selon
l’intensité de la réalisation des objectifs (de 0 à
1, 0 lorsqu’aucune des tâches de l’objectif de haut niveau
n’est réalisée, 1 lorsque toutes les tâches de
l’objectif de haut niveau sont réalisées). Ils sont
ordonnés par ordre croissant de moyenne d’intensité
d’utilisation des outils tous objectifs confondus. La figure 2
présente aussi le nombre d’enseignants dans chaque niveau. La
figure 3 décrit le nombre d’enseignants selon les deux niveaux
d’intégration (ENT et autres outils numériques). Le
paragraphe suivant décrit les stratégies des enseignants dans
l’intégration des technologies.
Figure 2 • Nombre d’enseignants
et intensité d’utilisation des outils (ENT, autres outils
numériques) par objectifs, selon les niveaux d’intégration
technologique
À partir de la figure 2, on peut voir que la stratégie
d’intégration de l’ENT se fait en variant et en intensifiant
les modalités d’interaction avec les élèves, dans un
premier temps par la transmission de cours, de ressources,
d’activités (niveau 1 à 2). Les niveaux 3 et 4 sont assez
proches. Ils sont caractérisés par l’ajout d’objectifs
de communication. En complément, au niveau 3, les enseignants
intègrent la vérification du travail fait et, au niveau 4, la
conception et l’animation d’activités. Le niveau 5 correspond
à une intensification de ces 5 types d’objectifs et
représente la plus grosse classe d’usage avec 139 enseignants (31
%). À tous les niveaux, les objectifs d’autoformation sont faibles.
À l’inverse, les premiers niveaux d’intégration des
technologies numériques (niveaux 1-2-3) servent principalement des
objectifs de productivité pour les enseignants (Autoformation,
Conception). Au niveau 4, les enseignants utilisent ces technologies pour la
conception d’activités et la vérification de leur
réalisation. Au niveau 5, tous les objectifs sont réalisés.
Les niveaux 1 et 2 représentent les plus grosses classes
d’enseignants avec respectivement 103 et 127 enseignants, soit un total de
51 %.
En comparant l’intégration conjointe des deux moyens (figure 3),
on observe 5 types de groupes d’enseignants.
Figure 3 • Nombre d’enseignants
selon les niveaux d’intégration
En vert, 3 groupes représentant les comportements les plus
observés : G1 comprend 57 et 80 enseignants utilisant l’ENT au
niveau 5 et les autres outils au niveau 1 et 2, c’est-à-dire
utilisant l’ENT pour l’interaction avec les élèves,
les autres outils numériques pour l’autoformation et l’un ou
l’autre pour la conception en fonction de l’activité ;
G2 comprend 63 enseignants ayant un usage à niveau 5 uniquement des
autres technologies et G3 comprend 51 enseignants ayant intégré
les deux moyens au niveau 3, c’est-à-dire ne faisant pas
d’animation, utilisant l’ENT pour la transmission, le contrôle
et la communication, et les autres outils numériques pour
l’autoformation et la conception. En jaune, un groupe (G4) de 93
enseignants présentant différents niveaux (de 1 à 4)
d’intégration de l’ENT dans leurs pratiques, mais ayant une
intégration faible ou consolidée (de 1 à 2) d’autres
outils pour la conception et l’autoformation. En rouge, un groupe
restreint d’enseignants (G5) utilisant l’un ou l’autre des
outils pour tous les objectifs en fonction du contexte.
Nous avons cherché à identifier les facteurs expliquant ces
niveaux d’intégration en procédant à des analyses de
covariance (seuil de significativité à 0,05) avec les variables
descriptives du profil, de l’avis, des usages et des ressentis
(motivation, auto-efficacité, compétence, liens sociaux et
autonomie) au début et à la fin du confinement (tableau 1). Les
parties 4.2.2 et 4.2.3 décrivent ces facteurs en précisant le
coefficient de corrélation linéaire r quand ils sont
significatifs.
4.2.2. Facteurs d’intégration de l’ENT
Les variables contextuelles (caractéristiques de
l’établissement) et sociodémographiques (âge, genre,
ancienneté) ne contribuent pas de manière significative à
expliquer le niveau d’intégration de l’ENT.
La variable qui a le plus contribué de manière significative
à l’intégration de l’ENT est une opinion positive sur
sa conception (UX) (r = 0,27). D’autres variables
contribuent de manière plus marginale : le fait, pour les
enseignants, de savoir pouvoir compter sur une communauté quand ils
ressentaient des difficultés (r = 0,15), le fait
de réaliser qu’ils pouvaient découvrir de nouvelles
pratiques (r = 0,09), qu’ils pouvaient
évoluer professionnellement (r = 0,02) et
travailler de manière autonome (r = 0,07), le
sentiment que l’utilisation de l’ENT ne nécessite pas
beaucoup d’efforts spécialement pour la conception de contenu
(r = 0,05), le sentiment qu’ils sont capables de
produire des activités (r = 0,05) et que les
activités sont utiles aux élèves
(r = 0,02).
Cette expérience a favorisé la confiance des enseignants
concernant leurs capacités professionnelles et leur efficacité. On
voit donc que l’expérience utilisateur proposée par
l’ENT est le facteur le plus important pour son intégration dans
les pratiques. Les réponses portant sur l’expérience
utilisateur montrent que cette dernière est dans l’ensemble bonne
(score UMUX de 4,07 sur 7, car les enseignants le trouvent facile à
utiliser et les fonctionnalités répondent à leurs
exigences. L’importance de savoir construire des contenus se
matérialise en termes d’intégration par les actions de
transmission et de conception qui sont les pratiques les plus
représentatives des niveaux d’intégration
élevée, comme celles du groupe G1 décrit en 4.2.1. Mais ce
score de 4,07 montre aussi que cette expérience reste frustrante pour
beaucoup d’enseignants, qui rencontrent différents problèmes
d’utilisation, en particulier au collège. En effet, la
présence de la communauté, l’intérêt de
l’outil pour l’évolution des pratiques professionnelles ou
pour l’apprentissage des élèves sont des facteurs qui
contribuent à la persévérance des enseignants à
s’approprier l’ENT (comme ceux du groupe G4 qui centrent leurs
usages sur l’ENT plutôt qu’explorer d’autres moyens
numériques). Mais, l’analyse des réponses aux questions
ouvertes montre qu’il persiste des problèmes intrinsèques.
Par exemple, les enseignants citent les problèmes techniques
d’accès aux plateformes observés pour tous les ENT au
début du confinement. Ils expriment aussi leur frustration et celle des
parents et des élèves, concernant les processus de travail avec
les documents (taille de l’espace de stockage trop petite, processus de
chargement des documents fastidieux, manque de notification ou
d’accès direct au travail rendu par les élèves,
contraintes sur le format du travail rendu en un seul fichier, absence
d’une confirmation de lecture des ressources), l’ergonomie de
l’accès aux applications (rationaliser/limiter les applications
accessibles par défaut, faciliter l’accès, faciliter la
bascule entre les applications) et le manque d’une application de classe
virtuelle.
Les variables qui ont contribué le plus et de manière
significative à la non-intégration de l’ENT sont un niveau
élevé d’intégration des autres outils
numériques (r = -0,62) et des difficultés
avec l’utilisation des technologies numériques
(r = -0,39). De manière plus marginale, mais
quand même significative, l’intégration a été
freinée par le sentiment que l’effort de production est trop
important, en particulier pour créer du contenu
(r = -0,05), et aussi par la peur de perdre la relation
avec les collègues (r = -0,01), ou les parents et
les élèves (r = -0,01).
Le coefficient de corrélation r = −0,62 montre que
lorsque l’intégration de l’ENT ou des autres outils est
terminée (niveau 5), les enseignants ne gardent qu’une seule
façon de travailler et n’adaptent pas leurs pratiques en fonctions
du contexte. Ces résultats sont cohérents avec ceux de la figure 3
(groupes 1 et 2). Les difficultés matérialisées par le
coefficient de -0,39 correspondent aux limites intrinsèques
d’utilisation de l’ENT et sont liées à des
problèmes, techniques ou de conception, décrits
précédemment. Elles ont aussi joué sur la peur de perdre le
contact avec les élèves et les parents, ou avec leurs
collègues qui rencontraient les mêmes problèmes. Elles ont
conduit les enseignants à utiliser des moyens qu’ils connaissaient
déjà comme leur propre messagerie électronique, ou des
moyens proposés par les élèves ou les parents comme Discord
ou WhatsApp (Michel et al., 2021).
Ces enseignants appartiennent aux groupes 3 et 4 et ont des stratégies
d’adaptation pour choisir la technologie la plus adaptée en
fonction du contexte d’usage.
4.2.3. Facteur d’intégration du numérique
Comme pour l’ENT, les variables contextuelles et
sociodémographiques ne contribuent pas de manière significative
à expliquer le niveau d’intégration du numérique. Les
variables qui contribuent le plus et significativement à
l’intégration du numérique sont une non-intégration
de l’ENT (r = -0,62) et le sentiment de ne pas
avoir de difficultés avec les outils numériques
(r = -0,13). De manière bien plus marginale,
d’autres variables influent significativement sur
l’intégration du numérique : le fait de
considérer que l’activité est utile aux
élèves, combiné à la peur de perdre le lien avec eux
(r = 0,05), le sentiment d’un effort minime
nécessaire (r = 0,04), et enfin une
expérience positive de l’ENT combinée au fait de pouvoir
compter sur une communauté (r = 0,04).
Pour résumer, les facteurs les plus critiques
d’intégration des ENT sont l’intégration
d’autres outils dans les pratiques numériques et la qualité
de conception qui conditionnent l’expérience d’utilisation de
l’ENT. Réciproquement l’intégration du
numérique est favorisée par l’autoformation et le fait de
n’avoir pas su comment intégrer l’ENT. Ainsi,
l’intégration du numérique et celle de l’ENT se font
de manière conjointe, la première poussant la seconde sur
l’innovation pédagogique, la seconde poussant la première
sur l’organisation collective et collaborative de l’activité.
La section suivante a pour objectif d’identifier plus
précisément les utilisations qui sont faites de l’ENT, de
manière à identifier les stratégies à mettre en
œuvre pour mieux développer son intégration et ainsi stimuler
l’intégration du numérique plus globalement.
4.3. Les utilisations de l’ENT
Pour affiner l’analyse de l’utilisation de l’ENT, nous
avons examiné les services qui étaient
préférés par les utilisateurs ayant un niveau
d’intégration de 5 pour l’ENT en fonction des objectifs
visés (figure 4). L’objectif est de caractériser les formes
d’intégration élevée de l’ENT qui correspondent
au groupe 1 de la figure 3. En vert sont mentionnées les valeurs
supérieures ou égales au 3e quartile
(Q3 = 11) de la série de données.
Les résultats sont globalement cohérents avec les
résultats des précédentes enquêtes concernant
l’utilisation massive de la messagerie, du cahier de textes, du cahier
multimédia et du blog (Daguet et Voulgre, 2011), (Hanna et Charalampopoulou, 2019), (Poyet, 2016). On
peut observer, pour ces niveaux d’intégration avancée, une
utilisation en forte progression du gestionnaire de notification, de la version
mobile de l’ENT et du fil de nouveauté, ce qui confirme
l’intérêt de l’ENT pour organiser
l’activité collectivement. Les utilisations sont en cours de
développement pour certains services : Exercice et
évaluation, Compétences, Mur collaboratif, Présence et
Réservation de ressources. Certains services commencent à
être réutilisés pour la conception
d’activités : le blog, le cahier d’exercices
multimédia, l’exercice et l’évaluation, les
compétences, le mur collaboratif. Ces services ont favorisé
l’émergence de pratiques d’écriture collaborative avec
les élèves ou la conception de séquences
d’activités qui intègrent plus de ressources
multimédias, ou de vérification. Néanmoins, des obstacles
persistent pour réaliser des activités d’animation et
d’autoformation. Les enseignants n’utilisent pas les
fonctionnalités de communication et de collaboration de la plateforme
pour s’entraider et peu d’entre eux utilisent le forum, la carte
mentale ou le pad collaboratif proposé dans l’ENT pour faire de
l’animation. Plus globalement, 12 services sur 25 sont
sous-utilisés.
Figure 4 • Utilisation des services de
l’ENT par objectif
5. Leçons à retenir pour promouvoir l’utilisation du
numérique dans les pratiques des enseignants
5.1. Les pratiques des enseignants pendant le premier confinement.
Pour répondre à la première
question de recherche (quelles tâches ont été mises en
œuvre par les enseignants et quels moyens ont été
utilisés), cette étude a montré que, dans l’ensemble,
les comportements des enseignants étaient assez cohérents en
termes de pratique avec ce que les études précédentes ont
identifié : ils ont utilisé l’ENT principalement pour
les tâches de communication et la transmission des activités (European Commission, 2019) (Poyet et Genevois, 2012) et les autres outils numériques (ressources sur Internet et applications
sur leur ordinateur) pour l’autoformation et la conception (Jalal et al., 2018).
Les enseignants ont principalement utilisé les technologies qu’ils
connaissaient déjà, mais à l’instar Pace et
al. (Pace et al., 2020),
certains enseignants ont développé de nouvelles pratiques pour
répondre au besoin impératif de rester en contact avec les
élèves. L’utilisation d’Internet et
d’applications personnelles a favorisé la découverte de
nouvelles pratiques et de nouvelles ressources d’apprentissage
(vidéo, documents texte, exercices) qui ont souvent été
directement réutilisées ou adaptées pour créer de
nouvelles activités. Les difficultés des élèves et
des familles à utiliser l’ENT ont également conduit les
enseignants à utiliser davantage leur courrier électronique
personnel et leur messagerie instantanée. De plus, l’ENT a
favorisé l’émergence de pratiques d’écriture
collaborative avec les étudiants ou la conception de séquences
d’activités qui intègrent plus de ressources
multimédias, ou de vérification. En ce sens, la crise a conduit
les enseignants qui étaient plus réticents aux technologies
à des pratiques d’enseignement plus actives, collaboratives et
engageantes. Cette expérience a rendu les enseignants plus confiants
quant à leur efficacité personnelle et à la qualité
de leur pratique professionnelle. Comme le rapporte Holm (Holm, 2020), nous
pensons que cette crise a déclenché une évolution
significative des pratiques des enseignants, qui peut être pleinement
réalisée avec une meilleure formation à l’utilisation
des technologies pour l’éducation (Blume, 2020), (Gouëdard et al., 2020).
Cependant, comme pour toutes les méthodes, la collecte de
données par questionnaire envoyé via l’ENT peut avoir induit
un biais ; les enseignants qui ont répondu peuvent également
avoir été les plus impliqués dans les activités
scolaires et dans l’utilisation de la technologie numérique en
général. Mais la cohérence de nos observations avec
d’autres études internationales nous amène à croire
que ce n’est probablement pas le cas ou que le biais est
limité.
5.2. Caractériser l’intégration du numérique
Pour répondre à la deuxième question (quels sont les
niveaux d’intégration numérique), l’intégration
des technologies numériques (hors ENT) et celle de l’ENT se font
conjointement. L’intégration des technologies numériques a
été plus efficace pour l’ENT que pour d’autres outils.
De nombreux enseignants ont rapidement développé des pratiques
couvrant plusieurs objectifs liés à leur activité, alors
que moins d’enseignants ont pu le faire avec d’autres outils.
Cependant, cette intégration n’aurait pas pu être
réalisée sans l’utilisation d’Internet ou
d’applications externes à l’ENT. Ces deux moyens stimulent la
créativité des enseignants et leur capacité à
concevoir de nouvelles activités ou à trouver des ressources
adaptées aux besoins des élèves et des familles. Internet
favorise l’utilisation de l’ENT vers l’innovation
pédagogique (conception, animation), et l’ENT favorise
l’organisation d’activités collectives et collaboratives
(transmission, communication). Néanmoins, à partir du seuil
d’intégration 3, un choix se fait pour les enseignants qui
favorisent l’un ou l’autre des moyens pour réaliser
l’ensemble de leurs pratiques. Peu d’enseignants ont des niveaux
d’intégration élevés sur les deux moyens.
Ces observations sur l’intégration du numérique dans les
pratiques des enseignants doivent être mises en perspective avec les
résultats de l’enquête annuelle Profetic 2016 (MENSR, 2016). Les
enseignants qui ont une pratique quotidienne des technologies, ENT ou autres
outils numériques (dans cette étude, groupes 1 et 2), trouvent
qu’il est facile d’accéder à des ressources en ligne
qui peuvent expliquer leur capacité d’autoformation. Les
enseignants du groupe 3 partagent le même niveau (niveau 3)
d’intégration sur l’ENT et sur d’autres outils
numériques, principalement parce qu’ils essaient d’adapter et
de diversifier les activités selon les besoins des élèves
et des familles. Enfin, le groupe 4 est similaire aux enseignants Profetic qui
utilisent le moins la technologie numérique et sont le moins convaincus
de sa pertinence. Pour ces profils, les ressources institutionnelles, telles que
l’ENT, doivent être favorisées, car elles sont
déjà disponibles et ne nécessitent pas
d’équipement supplémentaire. Cela pourrait expliquer
l’augmentation de l’utilisation de l’ENT, sans qu’il y
ait une utilisation plus importante d’autres outils numériques dans
ce groupe.
L’effet « millefeuille » (Boudokhane-Lima et al., 2021),
que nous observons aussi, ne nous semble pas si négatif sur le plan des
pratiques et témoigne plutôt d’une bonne capacité
d’adaptation des enseignants. Néanmoins, pour favoriser une
intégration aux niveaux 4 ou 5, et limiter le sentiment de surcharge
professionnelle, nous rejoignons Boudokhane-Lima et al. sur la
nécessité de fournir aux enseignants des éléments
complémentaires de formation en ingénierie pédagogique de
manière à leur permettre de construire une analyse
réflexive plus transversale de leurs pratiques instrumentées.
5.3. Promouvoir les technologies numériques dans les
écoles
Différentes études mettent en évidence les besoins de
formation et d’autoformation des enseignants pour mieux intégrer le
numérique dans leurs pratiques (DeCoito et Richardson, 2018), (Fourgous et al., 2012).
Notre étude montre (1) l’importance de créer de nouvelles
ressources (activités, applications, documents...) accessibles sur
internet pour favoriser l’autoformation, ainsi que (2) les limites de
l’ENT pour servir cet objectif et plus globalement son intégration
dans les pratiques des enseignants. Il nous semble donc utile d’explorer
la piste de la conception ou de la reconception des services de l’ENT, en
particulier en termes d’ergonomie et de gestion documentaire, pour limiter
les freins et les frustrations.
Considérant les freins sur les aspects ergonomiques, il serait
intéressant, comme le recommande (Pace et al., 2020),
d’offrir aux enseignants les moyens de personnaliser les services de leur
espace de travail personnel ou collectif, en
sélectionnant/désélectionnant les services (sur le
modèle des stores), et en proposant un modèle « par
défaut » intégrant uniquement les services les plus
pertinents. En complément, les enseignants devraient pouvoir
paramétrer la mise en œuvre des services, par exemple concernant les
notifications ou la synchronisation du stockage. L’ENT offrirait ainsi des
utilisations plus flexibles et plus en adéquation avec les usages
spécifiques des enseignants.
De plus, des études supplémentaires sur la continuité
pédagogique montrent que les enseignants, les élèves et les
parents sont souvent perdus entre les différentes façons possibles
d’identifier, de réaliser, de transmettre ou d’obtenir un
retour sur les activités pédagogiques (Genevois et al., 2020), (Rakotomalala Harisoa, 2020).
Pour pallier ces problèmes de complexité, une reconception de
l’architecture de l’information des ENT pourrait
s’opérer sur la base d’une analyse des parcours utilisateurs.
Cela permettrait d’identifier les moyens de mieux articuler les services
de gestion de document, de notification, de communication, de production
d’activité et de contrôle/vérification, en
rationalisant l’accès aux services dans les espaces de travail, en
redéfinissant les services par fonctionnalité (faire converger les
multiples services d’alerte et de notification), mais aussi en optimisant
certains traitements (synchronisation des ressources dans les espaces
documentaires, type de notification/alerte orienté en fonction de
l’activité). Les études complémentaires sur
l’organisation de la continuité pédagogique montrent en
effet que les enseignants, les élèves et les parents sont souvent
perdus entre les différents moyens possibles d’identifier, de
réaliser, de transmettre ou d’avoir un retour sur les
activités pédagogiques.
La troisième stratégie de reconception est de mieux identifier
et développer les moyens d’autoformation via l’ENT, en
particulier sur les formes d’animation des formations. Si l’on
observe les stratégies globales des enseignants (figures 1 et 2),
l’autoformation se fait principalement par la recherche de ressources
documentaires, puis par de la collaboration, dans l’établissement
et dans une moindre mesure à l’extérieur de
l’établissement. Actuellement, les seuls moyens
d’autoformation que propose l’ENT sont la communication avec les
pairs (messagerie) et la bibliothèque d’activités (service
ouvert début mars 2020). Ce service nous semble extrêmement
prometteur, mais peut être retravaillé pour accueillir, en plus des
modèles d’activité réalisés par les
enseignants, des ressources de formation ou des liens vers des ressources
externes. Cette ouverture, concomitante avec une ouverture des profils
utilisateur vers les acteurs académiques comme les enseignants
référents, les Interlocuteurs académiques pour le
numérique (IAN) ou les inspecteurs chargés de la mission
numérique, permettrait d’agréger et de valoriser les actions
de cette communauté autour des objectifs de formation, d’animation
et d’innovation.
6. Conclusion et perspectives pour développer les usages de
l’ENT
L’épisode de continuité
pédagogique vécue au printemps 2020 a été
l’occasion de traiter à nouveau la question de
l’intégration du numérique dans les pratiques
pédagogiques des enseignants français. Une étude
réalisée auprès des usagers des ENT One et Neo a pu mettre
en évidence des usages essentiellement à des fins de conception,
de transmission, de communication et, dans une plus faible mesure, de
vérification et d’autoformation. Les usages d’animation
restent moins développés. En explorant la manière dont les
enseignants intègrent les technologies numériques dans leurs
pratiques, nous avons identifié deux logiques différentes :
(1) diversifier les canaux de communication avec les élèves, en
particulier via les notifications, et proposer des formes d’apprentissage
plus actif, collaboratif et engageant ; (2) améliorer
l’auto-efficacité dans la conception des ressources et des
activités grâce à l’autoformation. L’ENT semble
plus facile à intégrer dans les pratiques des enseignants que
d’autres outils numériques. Il occupe en effet une place
privilégiée en raison de son statut d’environnement de
travail partagé avec les élèves et les parents, tout en
étant une solution institutionnelle, qui nécessite cependant
d’être reconçu sur certains aspects : la
personnalisation, la rationalisation du parcours utilisateur et les services
d’autoformation.
REMERCIEMENT
Cette étude a été financée par le
projet FUI AAP21 « REPI ».
À
propos des auteurs
Christine Michel est professeure
en sciences de l'information et de la communication à l'Université
de Poitiers et au laboratoire Techné. Ses recherches portent sur
l’analyse des usages de technologies pour l’éducation et la
formation et la conception de nouvelles formes d’activité ou de
dispositifs basés sur l’autonomisation et
l’autorégulation des acteurs (enseignants, apprenants) pour
favoriser l’apprentissage.
Adresse : Unité de recherche
Techné – UFR Lettres et Langues, Bâtiment A3 – 1 rue
Raymond Cantel TSA 11102 86073 Poitiers Cedex 9
Courriel : christine.michel@univ-poitiers.fr
Toile : https://techne.labo.univ-poitiers.fr/membres/christine-michel/
Laëtitia Pierrot est chercheure postdoctorante sur le
projet ANR COMPER pour lequel elle conduit des études d’usages en
s’appuyant sur des données mixtes. Elle a fait son doctorat dans
l’unité de recherche Techné de l’université de
Poitiers et s’intéresse à l’appropriation du
numérique en contexte éducatif. Sa recherche doctorale en sciences
de l’information et de la communication a porté
particulièrement sur la circulation sociale des pratiques
numériques juvéniles et ses contributions plus récentes
Adresse : Unité de recherche
Techné – UFR Lettres et Langues, Bâtiment A3 – 1 rue
Raymond Cantel TSA 11102 86073 Poitiers Cedex 9
Courriel : Laetitia.pierrot@univ-poitiers.fr
Toile : https://techne.labo.univ-poitiers.fr/membres/laetitia-pierrot/
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l’apprentissage humain (EIAH 2003) (p. 391‑402).
1 L'échelle UMUX (Usability
Metric for User Experience) est une échelle d'évaluation de
l'expérience utilisateur qui permet de mesurer la satisfaction et la
facilité d'utilisation d'un service à travers un score UMUX.
2 L’analyse de la co-variance
ou ANCOVA fait partie de la famille des modèles linéaires
généralisés. Sa spécificité est de
mélanger des variables quantitatives et qualitatives pour expliquer une
variable quantitative.
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