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Pratiques pédagogiques en confinement :
évolutions et usages des outils numériques en fonction du niveau
d'enseignement
Pascale CATOIRE, Manuel SCHNEEWELE, Sonia TESSON, Elodie TRICARD (Laboratoire
ÉRCAÉ, Université d’Orléans)
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RÉSUMÉ : Le
confinement, annoncé en France en 2020, a conduit au recours massif aux
outils numériques pour proposer une continuité pédagogique.
Un questionnaire a permis d’interroger les pratiques numériques de
1994 enseignants du supérieur et des premier et second degrés
durant le confinement, ainsi que les facteurs de changement. Bien que
l’utilisation des outils numériques ait augmenté durant le
confinement, les pratiques pédagogiques qui les sous-tendent ont, quant
à elles, peu évolué. Les résultats montrent
l’importance de penser l’appropriation des outils numériques
sur un temps long et passant par une modification a priori des pratiques
d’enseignement.
MOTS CLÉS : enseignement
à distance, outils numériques, pratiques pédagogiques,
confinement. |
Pedagogical practices during the lockdown: changes and uses of digital tools |
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ABSTRACT : The
lockdown, announced on March 16, 2020, led to a massive use of digital
tools to offer pedagogical continuity. A questionnaire measuring their digital
practices during the lockdown, as well as the factors of change, was sent to
them by email. Although the use of digital tools increased during the lockdown,
the underlying pedagogical practices have not changed much. The results of this
study support the idea that the appropriation of digital tools should be
considered over a long period of time and through a change in teaching
practices.
KEYWORDS : online
teaching, digital tools, pedagogical practices, lockdown. |
1. Introduction
1.1. Contexte de l’étude
Le 16 mars 2020, Emmanuel
Macron, Président de la République, annonçait que le pays
allait être confiné pour une durée
indéterminée, afin de faire face à
l’épidémie due à la Covid-19. Dans la foulée,
tous les enseignants et toutes les enseignantes étaient tenus d'assurer
une « continuité pédagogique » auprès
de leurs élèves, étudiantes et
étudiants1.
Dans ce contexte exceptionnel, le temps de préparation donné
aux enseignants pour s’adapter à de nouvelles pratiques fut
très court. L’institution (à savoir l’Éducation
Nationale et l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de
l’Innovation) fut dans l’obligation de s’adapter, en urgence,
aux consignes sanitaires par le recours massif au numérique, avec toutes
les problématiques liées à un manque d’anticipation
vis-à-vis d’une mise à distance brutale de
l’enseignement. Cette situation fut d’autant plus difficile que la
France ne disposait pas d’une solide législation pour
l’encadrement du télétravail dans ces secteurs, ni de moyens
techniques suffisants pour faire face à la demande : surcharge des
serveurs, matériel informatique à domicile pas forcément
adapté, manque de formation, etc. (Ceci, 2018). Comme
d’autres professeurs dans le monde, les enseignants français durent
apprendre à gérer le chaos engendré par cette soudaine
fermeture des écoles (Svetec et Divjak, 2021).
1.2. Problématique de recherche
En l’absence de cadre de définition précis (tant du point
de vue pédagogique que du point de vue légal) permettant de
connaître quelles étaient les nouvelles missions des enseignants et
étant donné l’urgence dans laquelle ces derniers ont
dû s’adapter et le manque de matériel dont ils pouvaient
pâtir, il nous a semblé intéressant de mener une
enquête destinée à définir les changements dans les
pratiques de terrain et à voir comment le terme de
« continuité pédagogique » était mis en
œuvre sur le terrain.
L’objectif principal de cette étude exploratoire est donc de
mieux connaître les pratiques pédagogiques des enseignants pendant
le premier confinement : l’obligation de passer au numérique
a-t-elle eu pour conséquence une évolution des pratiques
d’enseignement existantes ? Lorsque des évolutions sont
observées, qu’est-ce qui peut les expliquer ? Enfin, le type
de public sur lequel l’enseignant intervient (primaire, secondaire,
supérieur2) est-il un
critère pertinent pour expliquer les évolutions de
pratiques ?
2. Cadre théorique
2.1. Des usages contrastés en fonction des niveaux
d’enseignement
Globalement, avant le confinement, les enseignants
français ne mettaient pas le numérique au premier plan dans leurs
enseignements. Comme le soulignaient Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020, p. 7),
« la révolution numérique n’a pas eu
lieu » dans les classes ; en outre, un certain nombre
d’études indiquaient que les usages variaient selon le niveau dans
lequel les professeurs enseignaient, comme nous allons le voir
ci-après.
Dans l’enseignement primaire, l’étude Talis (OECD, 2019) montrait que seulement 14,5 % des enseignants de primaire faisaient
utiliser le numérique par leurs élèves, ce qui
plaçait la France parmi les derniers dans ce domaine. Le rapport de
Delaubier (Delaubier, 2015),
tout comme les travaux de Besneville et al. (Besneville et al., 2019),
expliquaient cette faible utilisation par un matériel insuffisamment
présent ou inadéquat, un manque de formation des enseignants, ou
encore une difficulté à se positionner par rapport à des
injonctions contradictoires. Les usages se centraient surtout sur la
préparation des documents pour la classe et la visualisation collective,
les outils les plus plébiscités étant le
vidéo-projecteur et le TBI.
Dans l’enseignement secondaire, les résultats de
l’enquête PROFETIC (MENER, 2016) montraient chez les enseignants un sentiment de compétence assez fort
(59 % estimaient avoir une maîtrise suffisante ou très
suffisante des matériels et services numériques) et le sentiment
d’être relativement formés (7 enseignants sur 10
considéraient avoir reçu une formation
bénéfique) ; malgré cela et le fait qu’ils
étaient globalement convaincus des bénéfices du
numérique éducatif, 78 % ne faisaient pas manipuler
d’outils numériques par les élèves au moins 1 fois
par semaine. Comme pour le primaire, les usages des enseignants du secondaire
étaient donc surtout centrés sur la préparation des cours.
Les constats de Ceci (Ceci, 2018) allaient dans ce sens puisqu’ils indiquaient que les usages en situation
de classe, bien que plus rares, étaient davantage liés à
des activités interactives et créatives (jeux, quiz) au
collège, tandis qu’au lycée, le numérique
était davantage lié à l’usage de ressources
audiovisuelles. Le rapport Becchetti-Bizot (Becchetti-Bizot, 2017) montrait un usage d’outils numériques encore peu répandu
dans les classes de collège et lycée en raison du
« manque de confiance et d’autonomie accordée aux
équipes pédagogiques, [du] peu de marge de manœuvre
laissée aux établissements, [de] la difficulté à
encourager, accompagner et valoriser des expérimentations et des
innovations ».
Dans l’enseignement supérieur, le rapport Dulbecco et al. (Dulbecco et al., 2018) montrait que les outils numériques étaient
considérés par les enseignants comme un puissant vecteur de
transformation pédagogique pour enrichir les cours, favoriser des
modalités de travail différentes, motiver les étudiants,
favoriser le développement de compétences transversales.
D’après Ceci (Ceci, 2018), les
outils numériques utilisés à ce niveau d’enseignement
étaient surtout liés à la bureautique, à la lecture
numérique et au web 2.0 (réseaux professionnels et sites web). Des
innovations pédagogiques ont pu être observées, mais elles
étaient souvent limitées à des dispositifs précis et
hétérogènes. Duguet et Morlaix (Duguet et Morlaix, 2018) soulignaient également qu’à côté de ces
innovations pédagogiques, un enseignement traditionnel et transmissif
perdurait.
Face à ce constat qui donne une idée des usages par les
enseignants en mars 2020, au moment du premier confinement français, on
peut se demander comment les enseignants ont pu s’approprier les outils
numériques à leur disposition pour répondre à la
soudaine obligation d’assurer la continuité pédagogique
à distance de leurs élèves ou étudiants.
2.2. Les processus d’appropriation des outils numériques
Selon Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020) « l’appropriation des outils numériques ne se
décrète pas » (p. 8). Ces auteurs montrent que
s'approprier un outil suppose d’en sélectionner, regrouper,
détourner certaines caractéristiques pour des tâches qui
n’étaient pas forcément prévues par le concepteur de
l’outil. Ils rappellent aussi que « les humains
s’approprient un nouvel outil en fonction de la façon dont ils
accomplissaient la tâche préalablement, avec éventuellement
un outil plus ancien » (p. 18), ce que des auteurs comme
Perriault (Perriault, 2002) qualifient d’effet « diligence » : le
praticien a tendance à utiliser une innovation avec la mentalité
d’avant son apparition. Or, l’état des lieux de la section
précédente montre que le style transmissif est toujours fortement
ancré dans les représentations sociales des enseignants
français.
La situation inédite du confinement appelait cependant de nouveaux
usages, puisque, pour la première fois, les enseignants du primaire et du
secondaire, et dans une certaine mesure ceux du supérieur, se voyaient
sommés d’utiliser des outils numériques pour assurer un
enseignement à distance. Les enseignants du primaire et du secondaire
reçurent très rapidement des directives de leurs tutelles. Un
accompagnement fut mis en place sous forme de ressources, pistes de travail
possibles, contenus clés en main, aides techniques via des forums, sur
des sites officiels, (Éduscol, sites académiques, Canopé),
largement relayé par les inspecteurs de l’Éducation
Nationale.
Quelles pouvaient être les motivations des enseignants à
utiliser davantage les outils numériques ?
2.3. Motivations et freins pour le changement
Les travaux de Kelman (Kelman, 1958) distinguent trois types d’influences sociales qui peuvent motiver les
individus à changer de comportement : la complaisance,
l’identification et l’intériorisation.
La complaisance correspond au fait qu’un individu va adopter un
comportement d’utilisation d’un outil parce son utilisation va lui
permettre d'obtenir des récompenses ou d’éviter des
sanctions (Malhotra et Galletta, 1999).
En d’autres termes, une personne se conforme à un
« bon usage » de l’outil parce qu’elle
espère en contrepartie de son comportement une rétribution
symbolique et morale (Dejours, 1993).
Le rapport à l’institution pourrait jouer ce rôle de
complaisance chez les enseignants. Or, la littérature sur
l’utilisation des outils numériques montre une tension entre les
cadres institutionnels et de fonctionnement d’une part, et les
réalités de terrain d’autre part, dont les pratiques sont
contraintes cette fois par des objectifs professionnels. Selon Depover et
al. (Depover et al., 2006) « les logiques d’usage conduisent souvent à des formes
d’appropriation des technologies fort éloignées de celles
auxquelles avaient pensé leurs concepteurs » (p. 6).
Ce ne serait ainsi pas les injonctions institutionnelles qui
détermineraient les usages des professionnels mais bien les objectifs
pédagogiques perçus par les enseignants.
Le deuxième type d’influence est l’identification qui fait
référence à une situation dans laquelle un individu modifie
ses pratiques en vue de conserver des relations positives avec son environnement
social (Malhotra et Galletta, 1999).
Chez les enseignants, le rapport aux pairs ou aux apprenants peut avoir ce type
d’influence. La pression sociale de l’entourage peut ainsi
être un facteur déterminant motivant l’usage de nouveaux
outils, comme le rappellent Fishbein et Ajzen (Fishbein et Ajzen, 1975),
« la perception de l’individu sur le fait que la plupart des
personnes qui sont importantes pour lui, pensent qu'il devrait ou ne devrait pas
effectuer le comportement en question » (p. 302). La demande
des élèves et des familles pour les plus jeunes, pouvait
être une motivation.
Le troisième type d’influence est l'intériorisation,
c’est-à-dire lorsqu'une personne accepte de changer son attitude ou
ses pratiques, car celles-ci sont en harmonie avec son système de valeurs (Malhotra et Galletta, 1999).
Dans ce dernier cas, le changement est plus durable que dans les deux
premières situations. La volonté de maintenir le contact et
d’éviter le décrochage d’élèves
isolés chez eux fait partie des valeurs fortes des enseignants, qui
pouvaient motiver un usage plus intensif d’outils numériques.
De nombreux travaux autour du courant TAM (Theory Acceptance Model)
porté par des auteurs comme Davis (Davis, 1989),
puis Venkatesh et al. (Venkatesh et al., 2003) ont montré que les facteurs principaux d’adoption de technologies
sont l’utilité, l’utilisabilité et
l’acceptabilité, cette dernière étant fortement
influencée par l’utilité et l’utilisabilité.
Pour les enseignants, on peut donc supposer que l’utilité
pédagogique perçue des outils numériques à leur
disposition pour permettre la continuité pédagogique sera
déterminante. De même, l’utilisabilité,
c’est-à-dire la facilité d’utilisation de ces outils,
devrait être un élément fondamental de leurs motivations
à utiliser certains outils plutôt que d’autres.
Des phénomènes de résistance peuvent cependant freiner
le changement.
Nous avons vu avec Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020) que l’appropriation des outils numériques ne se
décrète pas. En effet, le fait d’avoir un équipement
n’entraîne pas son utilisation. Ceci peut se vérifier en
France mais aussi en Angleterre : bien que 100% des écoles soient
équipées, les ressources sont utilisées de manière
hebdomadaire avec seulement la moitié des élèves en
primaire et 1 élève sur 10 en secondaire (Davies et Pittard, 2009).
Proulx (Proulx, 2001) rappelle qu’il faut trois conditions pour qu’il y ait
changement : maîtrise cognitive et technique, intégration
sociale significative de cet objet, possibilité d’un geste de
création par l’individu. Paquelin (Paquelin, 2009) explique les phénomènes de résistance au changement, en
raison du principe d’économie :
« L’individu a tendance à choisir l’outil
qu’il connaît le mieux, ou l’outil le plus disponible, et
[à] s’en servir pour le maximum de tâches, pour
économiser l’énergie qui devrait être fournie pour
s’approprier et/ou acquérir un autre outil »
(p. 183).
3. Questions de recherche
Nous avons vu que les enseignants français ont
un usage limité des outils numériques. On peut néanmoins
supposer que les enseignants ont davantage utilisé les outils
numériques qui s’avéraient utiles pour maintenir la
continuité pédagogique dans la situation inédite du
confinement français durant la période allant de mars à mai
2020. La pression institutionnelle et sociale peut en effet avoir
été assez forte pour motiver des usages plus importants.
Cependant, le contexte très particulier lié à cette
période et l’urgence dans laquelle la continuité
pédagogique a dû se mettre en place sans préparation
pouvaient laisser penser que des résistances au changement
s’opéreraient et que les pratiques pédagogiques varieraient
peu, d’autant que les phénomènes d’intégration
sociale (Proulx, 2001) et
d’identification (Kelman, 1958) risquaient de peu jouer puisque les enseignants étaient isolés
chez eux.
Nous avons donc posé les questions de recherche suivantes :
- Quels sont les types d’outils numériques
utilisés par les enseignants durant le confinement ? Le 16 mars
2020, l’épidémie de COVID-19 a entraîné la
fermeture des établissements scolaires et des universités de
France. Cette situation inédite a amené les enseignants à
utiliser davantage d'outils numériques pour faire face à cette
situation soudaine d’enseignement à distance, comme le
précise le rapport de Hazard et Cavaillès (Hazard et Cavaillès, 2020, p. 7) qui parle d’un « bond sous contrainte des usages
pédagogiques du numérique » pour cette
période. Nous souhaitons donc dresser un panorama des outils
utilisés durant cette pandémie.
- Dans quelle mesure des modifications des pratiques
pédagogiques ont-elles eu lieu ? En nous appuyant sur les
observations de Paquelin (Paquelin, 2009),
ces usages plus importants en situation de confinement n’ont pas
nécessairement changé les pratiques pédagogiques, en raison
du principe d’économie et de la soudaineté avec laquelle les
choses ont dû se mettre en place.
- Qu’est-ce qui a motivé les changements ? Les moteurs de changements dans les pratiques du numérique peuvent
être dûs à des facteurs différents (Kelman, 1958).
En nous appuyant sur les recherches issues du courant TAM (Theory Acceptance
Model), nous pouvons supposer que l’utilité pédagogique sera
déterminante dans le choix des outils.
- Quelles sont les différences en fonction du public
visé ? Les différents rapports portant sur
l’utilisation du numérique en fonction du niveau scolaire (Dulbecco et al., 2018), (MENER, 2016), (OECD, 2019) montrent une utilisation différenciée du numérique dans les
pratiques pédagogiques des enseignants en fonction du public. Nous
pouvons donc penser que l’usage des outils numériques n’a pas
été le même selon le niveau d’enseignement, du fait de
l’âge des apprenants et des habitudes pédagogiques encore
très transmissives.
4. Méthodologie
4.1. Présentation de l’échantillon
Parmi les 3 165 réponses au
questionnaire, 858 ont été retirées des analyses pour
abandon en cours de questionnaire, questionnaire incomplet ou temps de
réponse au questionnaire inférieur à sept minutes (qui ne
permet pas une réponse détaillée à toutes les
questions) et 313 ont été retirées car les profils de
répondants ne correspondaient pas à notre population
d’étude à savoir les enseignants titulaires des premier et
second degrés et du supérieur, dans la mesure où il
s’agissait principalement d’étudiants et professeurs
stagiaires en formation à l’INSPÉ qui ont répondu
à cette enquête dans le cadre d’un cours sur les TICE.
Ainsi, pour cette recherche, seules les 1 994 réponses des
enseignants du primaire, secondaire et supérieur ont été
traitées. Parmi les répondants, 702 enseignaient dans une
école primaire (de la maternelle au CM2), 1 034 enseignaient dans le
secondaire (collège ou lycée) et 258 enseignaient dans le
supérieur (université, INSPÉ, IUT). Le tableau 1
présente les caractéristiques sociodémographiques des
participants de l’expérience.
Tableau 1 • Caractéristiques
des participants en fonction de leur lieu d’exercice
|
Enseignants du primaire
(N = 702) |
Enseignants du secondaire
(N = 1034) |
Enseignants du supérieur
(N = 258) |
Âge
(années) |
44,05 ans (ET 11,04)
Min : 27 ans
Max : 64 ans |
45,41 ans (ET 8,84)
Min : 24 ans
Max : 65 ans |
44,84 ans (ET 8,34)
Min : 23 ans
Max : 65 ans |
Genre
(N) |
Femme : 607
Homme : 74
Non réponse : 21 |
Femme : 697
Homme : 283
Non réponse : 54 |
Femme : 41
Homme : 18
Non réponse : 199 |
Expérience en enseignement
(N) |
- de 5 ans : 48
5 à 10 ans : 58
10 à 20 ans : 296
+ de 20 ans : 300 |
- de 5 ans : 84
5 à 10 ans : 127
10 à 20 ans : 332
+ de 20 ans : 484 |
- de 5 ans : 36
5 à 10 ans : 37
10 à 20 ans : 44
+ de 20 ans : 92 |
4.2. Outils de collecte utilisés
L’enquête a été réalisée sur le
logiciel Sphinx IQ v2 et envoyée à des établissements
scolaires en France. Des enseignants de primaire, du secondaire et du
supérieur ont été sollicités pour répondre.
Un lien permettant d’accéder au questionnaire en ligne a permis
d’enregistrer les réponses du 4 mai au 1er juillet
2020.
Le temps de réponse moyen au questionnaire était de
34 minutes et la passation se faisait en plusieurs étapes :
- Recueil d’informations socio-démographiques des
participants. Des questions fermées étaient utilisées pour
recueillir l’âge, le genre, l’établissement
d’enseignement, la durée d’expérience dans
l’enseignement et la région d’exercice.
- Recueil d’informations sur les conditions d’exercice
durant le confinement. Des questions à choix multiples permettaient de
recueillir les conditions matérielles et spatiales disponibles pour le
travail à domicile. Ces questions ne seront pas analysées dans le
cadre de cet article.
- Recueil d’informations sur les outils utilisés avant
et pendant le confinement. Deux questions à choix multiples permettaient
aux participants de cocher les outils utilisés avant et pendant le
confinement. Une première question concernait l’utilisation des
outils institutionnels qui étaient regroupés en sept
catégories d’usages pédagogiques. Une seconde question
permettait d’interroger les participants sur les détournements
d’usages de certains outils.
- Recueil d’informations sur leur impression d’avoir
soudainement ou progressivement modifié leurs pratiques.
- Recueil d’informations sur les critères qui ont
justifié le choix des outils. Deux questions proposaient de classer les
raisons qui poussaient à utiliser ou arrêter d’utiliser un
outil. Enfin, une question fermée permettait de relever le but
pédagogique associé à une modification des pratiques.
Les statistiques descriptives obtenues ont été
réalisées grâce au logiciel Sphinx IQ v2. Les
augmentations ou diminution des pourcentages indiqués dans la partie
résultats se rapporte à l'augmentation du nombre total
d'enseignants interrogés (échantillon total).
5. Résultats
5.1. Évolution par rapport à l’avant confinement des
usages du numérique en situation d’enseignement à distance
subie
Les résultats obtenus (voir figure 1)
mettent en évidence que la messagerie institutionnelle est l’outil
majoritairement utilisé par les enseignants avant mais aussi pendant le
confinement. Il est cité par plus de 70 % des répondants.
Avant le confinement, 63 % des enseignants du premier degré
l’utilisaient, 84 % dans le second degré et 95 % dans le
supérieur. Pendant le confinement, on observe - 7 %
d’utilisateurs pour le supérieur (différence de pourcentage
sur l’échantillon total), + 3 % dans le second
degré et + 20 % dans le premier degré.
Figure 1 • Usages du numérique
avant vs. pendant le confinement
Les formulaires et enquêtes étaient déclarés
être utilisés avant le confinement par 19 % des enseignants du
premier degré, 21 % des enseignants du second degré et par
34 % des enseignants du supérieur. Pendant le confinement, on
observe une augmentation de ce taux de + 14 % dans
l’enseignement primaire, de + 15 % dans le secondaire et de
+ 35 % dans l’enseignement supérieur.
Les contenus clés en main de type Etincel, Eduthèque, etc. sont
déclarés être utilisés par 9 % des enseignants
du premier degré, 11 % du second degré et 3 % dans le
supérieur. L’usage de ces contenus a peu convaincu les enseignants
même lors du confinement puisque leur utilisation augmente de
+ 9 % dans le premier degré, + 4 % dans le second
degré et + 1 % dans l’enseignement supérieur.
Les banques de ressources numériques pour l’école restent
quant à elles encore faiblement utilisées : 20 % des
enseignants du premier degré affirment qu’ils l’utilisaient
avant le confinement, contre 16 % des enseignants du second degré et
7 % dans le supérieur. Les usages ont été
légèrement modifiés pendant le confinement pour les
enseignants du premier degré avec + 13 %, dans le second
degré avec + 5 %, tandis que dans le supérieur il n'a
presque pas évolué avec - 1 %.
L’utilisation d’outils de diffusion de contenus et
d’informations permettant la transmission des notes, de feedbacks ou
d’informations diverses est très largement répandue dans le
second degré : 85 % des enseignants utilisent des outils comme
Pronote, contre 15 % dans le primaire et 20 % dans le supérieur
avant le confinement. Leurs usages ont faiblement augmenté pendant le
confinement avec + 8 % des enseignants du premier degré,
+ 3 % pour ceux du second degré, et + 10 % dans
l’enseignement supérieur.
Les plateformes d’apprentissage ou d’accompagnement (type Moodle,
Ma classe à la maison, etc.) sont diversement utilisées avant le
confinement : on observe un recours à ces outils par 4 %
d’enseignants du premier degré, 29 % pour le second
degré et 58 % pour le supérieur. Du fait de la situation
d’obligation d’enseignement à distance, leurs usages ont
fortement bondi pour les enseignants du premier degré avec
+ 40 % ainsi que dans le second degré avec
+ 38 % ; dans l’enseignement supérieur,
l’augmentation n’est que de + 5 %.
Les outils de stockage et de partage des fichiers étaient avant le
confinement utilisés par 25 % des enseignants du premier
degré, 51 % de ceux du second degré, et 65 % des
enseignants du supérieur. L’augmentation des enseignants
déclarant utiliser ces outils est de + 27 % dans le premier
degré, + 12 % dans le second degré et seulement de
+ 3 % dans l’enseignement supérieur.
Les outils de conférence étaient d’une manière
générale peu utilisés avant le confinement. On observe que
moins de 3 % des enseignants dans les premier et second degrés
déclarent utiliser des outils de webconférence mais ce taux est de
31 % dans l’enseignement supérieur. Avec le confinement, ces
chiffres ont fortement progressé : une augmentation de 40 % est
constatée pour les enseignants du premier degré, de 38 % pour
ceux du second degré, et de 50 % pour les enseignants du
supérieur.
Figure 2 • Évolution des
pratiques d'usages du numérique pour s'adapter à l'enseignement
à distance
Les enseignants interrogés sur les changements de leurs pratiques
liés au confinement sont plus de 60 % à reconnaître une
modification de leur manière de travailler. De plus, 34 % des
enseignants du premier degré, 33 % du second degré et
38 % du supérieur déclarent avoir « tout de
suite » fait évoluer leur façon de faire les cours,
tandis que 37 % du premier degré, 35 % du second degré
et 22 % du supérieur considèrent avoir fait ce changement
« progressivement ». Cependant, 19 % des enseignants du
premier degré, 14 % du second et 16 % du supérieur ont
essayé de mener leurs cours à la manière d’un
présentiel autant qu’ils le pouvaient. Enfin, 10 % des
enseignants du premier degré, 18 % du second et 24 % du
supérieur estiment avoir conservé pendant le confinement une
pratique basée sur des outils du numérique qu’ils
utilisaient déjà avant.
5.2. Justification des choix des outils numériques par le personnel
enseignant
À la question « Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez
commencé à utiliser un nouvel outil ? », la
perception de l’intérêt pédagogique est la
première raison évoquée par les enseignants (82 % des
répondants dans les premier et second degrés, 61 % dans
l’enseignement supérieur). De même, à la question
« Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez arrêté
d’utiliser un outil ? », on constate qu’un manque
d’intérêt pédagogique pousserait à
l’abandon d’un outil pour 90 % des enseignants du
supérieur, 68 % dans les premier et second degrés.
Néanmoins, le nombre d’enseignants ayant
préféré ne pas se prononcer sur cette question est
particulièrement élevé, il est de 35 % dans les
premier et second degrés, et de 40 % dans le supérieur.
Figure 3 • Motifs justifiant le choix
des outils par le personnel enseignant
La demande institutionnelle a modérément pesé dans la
décision d’usage de nouveaux outils. Elle est évoquée
par un peu moins de 20 % des enseignants du premier et du second
degré. Les enseignants du supérieur ont quant à eux
davantage ressenti une demande institutionnelle puisqu’elle est
évoquée par 47 % des répondants comme la raison qui
les a poussés à adopter un nouvel outil. À l’inverse,
une interdiction institutionnelle ne constitue une justification pour modifier
sa pratique que pour 24 % des enseignants du supérieur ayant choisi
de se prononcer sur cette question, un chiffre qui tombe à 17 % dans
le second degré et à 13 % dans le premier degré.
Le fait d’utiliser un outil suite à une demande des apprenants
est évoqué dans les questions ouvertes comme pouvant être
une raison suffisante pour l’adoption d’un outil. Cela ne constitue
cependant une raison suffisante pour changer sa pratique que pour 8 % des
répondants du premier degré, 15 % dans le second degré
et 20 % dans le supérieur. Moins de 5 % des enseignants tous
niveaux confondus se disent prêts à changer les outils qu’ils
utilisent sur la demande des apprenants.
5.3. L’utilité perçue des outils utilisés par les
enseignants
Figure 4 • Ordre de priorité
des préoccupations pédagogiques dans l’utilisation des
outils
La comparaison des outils utilisés avant et pendant le confinement
montre un ordre de priorités dans les préoccupations
pédagogiques qui président à leur utilisation. Nous
présentons ici ces préoccupations dans un ordre d’importance
perçu décroissant, sachant que plusieurs réponses
étaient possibles :
- déposer du contenu pour 90 % des enseignants du
secondaire et du supérieur, pour 70 % des enseignants du premier
degré ;
- mettre en ligne des activités pour environ 60 % des
enseignants du premier degré et du supérieur, pour 80 % du
second degré ;
- rétablir le contact humain pour moins de 59 % des
enseignants dans le second degré et le supérieur, alors
qu’il est de 63 % dans le premier degré ;
- réaliser des évaluations pour moins de 17 % des
enseignants du premier degré, 57 % dans le second degré et
tout de même 60 % dans le supérieur.
Une question ouverte sur les avantages perçus de l’enseignement
à distance nous permet d’apporter un éclairage
complémentaire : les enseignants du premier degré ont
majoritairement déclaré que cela permettrait surtout de remettre
du « lien », du
« contact » avec les
« familles » et, de ce fait, engendrait
« plus d’investissement des parents ». Pour les
enseignants du second degré, le numérique permettrait
« davantage d’échanges », en particulier
avec les élèves « timides » ou
« discrets », de même qu’il permettrait
de travailler leur « autonomie ». Pour les
enseignants du supérieur, le numérique offrirait plus de
« flexibilité », de « souplesse
dans les enseignements », ainsi qu’un « gain
sur les temps vis-à-vis des transports », et
l’approfondissement d’une « réflexion
entamée en cours ».
6. Discussion
La situation de confinement a entrainé une
augmentation des usages numériques. Cependant, une proportion
d’enseignants déclare ne pas avoir modifié leurs pratiques
numériques (entre 10 % et 24 % selon le niveau). On retrouve
cette constante dans d’autres études internationales sur la
même période, par exemple celle de (Svetec et Divjak, 2021) :
le recours aux outils numériques a augmenté pour répondre
à la situation d’urgence, mais de manière inégale
entre les enseignants, les structures, et les pays, le niveau de maîtrise
technologique antérieur et la capacité de chacun à
intégrer le changement jouant un rôle majeur.
Comme nous l’avions supposé avec notre première question
de recherche, les enseignants ont globalement eu davantage recours aux outils
qui permettaient d’assurer la continuité pédagogique :
ainsi, les outils de conférence ont très largement augmenté
pour tous les niveaux. De même, des outils peu utilisés avant le
confinement, comme ceux permettant le stockage et le partage de fichiers dans le
premier degré, les plateformes d’enseignement et
d’accompagnement dans les premier et second degrés, sont devenus
plus importants. La messagerie institutionnelle, qui était
déjà assez largement utilisée par les enseignants, a
augmenté dans le premier degré. Cette augmentation
s’explique sans doute par la nécessité de compenser le
manque d’interactions et de garder du lien malgré la distance.
L'urgence à transmettre des informations peut sans doute expliquer la
préférence pour la messagerie institutionnelle. Dans le
supérieur en revanche, l’usage des outils de conférence et
de plateformes d’apprentissage peut expliquer la baisse de l’usage
de la messagerie institutionnelle.
On aurait pu penser que, dans l’urgence, les enseignants se
tourneraient vers des sites contenant des ressources toutes faites. Or, les
contenus clés en main et les banques de ressources numériques
restent peu utilisés à tous les niveaux. On retrouve ce
résultat dans le rapport (Hazard et Cavaillès, 2020) qui montre que les enseignants ont peu utilisé les ressources
documentaires et institutionnelles. Cela pourrait s’expliquer par le fait
que les enseignants français sont habitués à créer
leurs propres ressources, que ce soit de manière individuelle ou
collective (Bruillard et al., 2018).
On retrouve cette même tendance avec les manuels numériques, ils
ont tendance à aller « piocher des choses à droite et
à gauche » pour enrichir leurs cours (Fluckiger et al., 2016).
Le peu de recours aux nouvelles ressources institutionnelles
créées dans cette période et mises à la disposition
des enseignants pourrait également s’expliquer par le fait que les
individus ont tendance à utiliser des outils qu’ils connaissent.
Cela est souligné dans le rapport (Hazard et Cavaillès, 2020) qui indique que 50 à 70 % des enseignants ont choisi des outils
qu’ils maîtrisaient déjà. Cette donnée est
fréquemment relevée dans les recherches sur les usages du
numérique, par exemple le dossier réalisé par (Fluckiger, 2020).
Notre deuxième question de recherche apparaît par ailleurs
validée puisque c’est d’abord pour déposer du contenu
que les enseignants déclarent avoir utilisé des outils
numériques, puis pour stocker et partager des fichiers. On peut en
conclure qu’une pédagogie traditionnelle, orientée par la
transmission de savoirs, reste encore très présente dans
l’enseignement français comme le rappellent plusieurs rapports tels
que celui de Becchetti-Bizot (Becchetti-Bizot, 2017) ou l’étude de Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020).
Une majorité d’enseignants déclarent pourtant avoir
modifié leur façon de faire cours, à court ou moyen terme.
Cette contradiction apparente peut s’expliquer par le fait qu’il y a
une différence entre le ressenti et la pratique effective : les
enseignants ont sans doute ressenti une modification dans la manière de
travailler parce que la situation, à distance, était
forcément différente. Malgré tout, pour bon nombre
d’entre eux, les choix pédagogiques semblent avoir
été dictés par le principe d’économie
développé par Paquelin (Paquelin, 2009) et les outils numériques utilisés ont servi à reproduire
autant que possible à distance ce qui était fait en classe (Caron, 2020).
Cette apparente contradiction se retrouve dans d’autres études sur
les usages durant la période de confinement, comme le rapport de Hazard
et Cavaillès (Hazard et Cavaillès, 2020).
On y lit tout d’abord que 70 % des enseignants du primaire et du
secondaire déclarent avoir adapté leur approche didactique, puis
que les enseignants du primaire ont « tenté de conserver
dans l’enseignement à distance la colonne vertébrale de leur
enseignement en classe » (p. 20), et que « si
certains enseignants ont cherché des solutions nouvelles, d’autres
ont modifié leur pratique en revenant vers un enseignement qu’ils
qualifient eux-mêmes de plus
‘’traditionnel’’ » (p. 21). Ainsi,
comme les enseignants dans ce rapport, il est normal que la majorité des
enseignants que nous avons interrogés ressentent une modification dans
leurs façons de faire cours dans cet enseignement à distance, que
ce soit dans le choix des outils d’enseignement ou des contenus et
activités simplifiés. Cela ne signifie pas nécessairement
qu’ils aient modifié leurs choix didactiques en profondeur, ni que
ces modifications aient entraîné une évolution vers des
pratiques didactiques considérées comme plus
« innovantes ».
Le deuxième type d’outils utilisés par ordre de
préférence (pour mettre en ligne des activités) va sans
doute dans ce sens puisque la mise en activité des élèves
est reconnue comme une nécessité dans les approches
pédagogiques contemporaines, basées sur des postulats
constructivistes. Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020) rappellent bien que l’appropriation des outils numériques est un
processus complexe et long. Malgré les outils mis à disposition
des enseignants, malgré l’accompagnement qui était
pensé par les institutions, malgré l’injonction à
agir, le peu de temps de formation reçue par les enseignants ne leur
permettait sans doute pas d’innover, de tirer parti de la situation
à distance pour initier d’autres usages pédagogiquement
intéressants, par exemple des interactions orales et écrites plus
importantes entre les apprenants. Ils ne sont pas plus de 21 % à
déclarer avoir « détourné de leurs
usages » certains outils, comme Discord ou WhatsApp. Il est cependant
probable que les termes « détourner des
outils » n’aient pas été bien compris par les
répondants.
Comme nous le supposions dans notre troisième question de recherche,
l’intérêt pédagogique a primé dans le choix des
outils utilisés, et la demande institutionnelle ou celle des apprenants a
peu influencé les pratiques. Si les enseignants français
apparaissent comme une catégorie professionnelle plutôt
indépendante sur laquelle les influences sociales jouent peu,
l’adoption par ce groupe des outils numériques dépend bien
de la perception qu’ils ont de leur utilité pédagogique,
ainsi que de leur utilisabilité et de leur acceptabilité (Davis, 1989), qui
doivent être compatibles avec l’organisation du temps et de
l’espace (Tricot et Chesné, 2020).
Des différences notables apparaissent cependant selon les niveaux
auxquels les enseignants s’adressent, validant ainsi notre
quatrième question de recherche. L’augmentation des usages peut
être expliquée par trois facteurs.
Tout d’abord, l’augmentation est plus importante lorsqu’un
outil a subitement été perçu comme pertinent du fait du
contexte particulier de confinement. Ainsi, l’utilisation de la messagerie
institutionnelle ou des outils de stockage et de partage de fichiers a plus
largement progressé pour les enseignants du premier degré. De
même, si l’utilisation des plateformes d’apprentissage et
d’accompagnement a peu augmenté dans le supérieur,
c’est probablement du fait que leur usage était déjà
bien plus répandu à ce niveau, les étudiants étant
plus à même de travailler en autonomie.
De même, l’utilisation de formulaires ou enquêtes se
prêtait sans doute mieux à un usage avec les étudiants
(d’où l’importante augmentation de ces outils dans le
supérieur), leur maturité permettant une prise en compte de leur
opinion ; ces outils qui permettent d’interagir avec les apprenants
semblent pratiques pour maintenir un contact avec un large public et proposer
des feedbacks. De même, l’utilisation plus large des outils
numériques pour évaluer dans le supérieur peut
s’expliquer par le poids et la place des examens dans le cursus
universitaire. Les avantages perçus par les professeurs concernant
l’enseignement à distance est également fortement
conditionné par l’âge de leurs apprenants : en primaire,
les enseignants ont vu que les outils numériques permettaient de
renforcer le contact avec les familles ; dans le secondaire, les
enseignants ont vu l’intérêt qu’ils
représentaient pour conduire les élèves vers
l’autonomie. Dans le supérieur, les enseignants pensent que les
outils numériques ont permis aux étudiants de poursuivre par
eux-mêmes la réflexion amorcée en cours ou qu’ils
offraient plus de souplesse, en particulier par rapport aux
problématiques de déplacements et de présence des
étudiants. En revanche ils déclarent que cette expérience
ne modifiera pas à long terme leur pratique. Le niveau de
compétence que les enseignants s’attribuent pourrait cependant
avoir une conséquence sur les changements à plus long terme. Enfin
l’augmentation de l’utilisation de certains outils peut
s’expliquer par des raisons institutionnelles : l’utilisation
plus large des banques de ressources numériques pour le premier
degré s’explique sans doute par l’offre institutionnelle plus
grande pour ce niveau, ainsi que par le lien plus étroit entre ces
enseignants et l’institution qui les forme. On peut supposer qu’ils
connaissent donc mieux ces ressources. De même, le poids de
l’institution comme facteur ayant incité à modifier ces
pratiques est plus important pour le supérieur. Pour cette population,
l’institution peut être celle dont, à l’échelle
de la composante universitaire, émanent les décisions qui ont
été prises durant le confinement. Elle est donc plus directe et
plus proche que pour les enseignants du primaire ou du secondaire pour lesquels
l’institution est assimilée aux inspecteurs, voire au
ministère, qui sont plus éloignés (peu de consignes ont en
effet été données par les établissements). Ce sont
aussi ces enseignants qui déclarent davantage être formés
aux usages numériques. La plus grande proportion d’enseignants du
secondaire déclarant ne pas avoir utilisé d’outils
numériques pendant le confinement (21 % contre 2 % pour le
primaire et 4 % pour le supérieur) nous interroge puisque les
différents rapports ne montrent pas que ces enseignants sont ceux qui
utilisent le moins les outils numériques. Cette différence
s’explique peut-être par le fait que ces enseignants sont de fait
les plus éloignés de leur institution, qu’ils ont
peut-être été les moins équipés, et
qu’ils se sont sentis pendant le confinement les plus isolés.
7. Conclusion
Le confinement a mis tous les enseignants
français face à une situation inédite. En quelques
semaines, avec un accompagnement limité, ils ont dû avoir recours
à des outils numériques qu’ils avaient peu l’habitude
d’utiliser de façon à assurer la continuité
pédagogique.
Les usages du numérique ont été globalement plus
importants durant cette période, mais de manière assez variable
selon les outils et les niveaux d’enseignement. Les outils permettant de
maintenir un contact avec les apprenants et les outils permettant de poursuivre
les mêmes visées pédagogiques que celles du
présentiel ont été les plus utilisés. Les outils
numériques ont tout d’abord été choisis en fonction
de l’intérêt pédagogique qu’ils
représentaient pour les professeurs. Ils ont également
été choisis en fonction des caractéristiques des
apprenants : transmettre des informations aux familles dans
l’enseignement primaire, transmettre des contenus et développer
l’autonomie des élèves du secondaire, permettre aux
étudiants du supérieur d’organiser, de
réfléchir à leur travail mais aussi de les évaluer
en vue des examens. Le rapport à l’institution des enseignants a
joué une part importante dans l’évolution des pratiques, les
enseignants du supérieur étant ceux pour lesquels
l’institution, perçue comme plus proche d’eux, a eu le plus
grand rôle. Dans cet espace nouveau que représentait
l’enseignement à distance, dans le temps court qui était
donné aux enseignants pour se réorganiser et maîtriser des
outils modérément utilisés avant le confinement, les
enseignants ont peu investi de nouvelles pratiques pédagogiques.
Nous devons cependant garder en tête les limites de cette
étude : elle repose sur des réponses à un
questionnaire, donc sur ce que les enseignants ont eux-mêmes
souhaité déclarer de leurs pratiques. Des observations auraient
été nécessaires pour vérifier les pratiques
décrites. De plus, les enseignants, absorbés par de nouvelles
obligations, ont sans doute eu du mal à analyser cette pratique pour
répondre à des questions dont les formulations nuancées
étaient parfois assez proches. Cela explique sans doute les nombreux
abandons en cours de questionnaires, et le peu de réponses sur certaines
questions que nous avons dû extraire des résultats. Cela peut avoir
modifié la sociologie de nos répondants : ceux qui ont pris
le temps de répondre et de réfléchir aux questionnaires
pourraient être les enseignants les plus intéressés par
cette recherche exploratoire et par l’usage des outils numériques.
Les résultats que nous avons obtenus permettraient de travailler
d’autres pistes. Ce questionnaire ayant été distribué
à des professeurs stagiaires, il serait pertinent d’observer en
quoi les enseignants en formation initiale présentent les mêmes
caractéristiques que les enseignants titulaires. Nous n’avons pas
non plus exploité ici nos données concernant les conditions
matérielles des enseignants pendant le confinement ; il serait
intéressant de voir dans quelle mesure ces conditions peuvent avoir eu un
effet sur les usages numériques déclarés.
Notre étude se situe dans un contexte particulier, celui du
confinement français du printemps 2020. Au-delà de ce
contexte, elle vient apporter un éclairage sur les leviers et freins
explicitant l’appropriation des technologies éducatives dans divers
types d’établissement d’enseignement français. Elle
contribue à ouvrir la réflexion sur l’accompagnement
nécessaire des enseignants dans l’avenir, où les formes
d’enseignement hybride et à distance seront sans doute de plus en
plus fréquentes.
À
propos des auteurs
Pascale CATOIRE est docteure en
sciences du langage et enseigne à l’Inspé Centre-Val de
Loire à Orléans. Ses recherches portent sur l’usage des
outils numériques en éducation, et en particulier par rapport
à la didactique des langues vivantes étrangères. Elles
couvrent des questions concernant l’usage et l’appropriation des
outils numériques par les enseignants, ainsi que l’apport des
outils numériques pour développer des compétences de
compréhension en langue étrangère chez les apprenants.
Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ
(EA 7493), INSPÉ CVL, 72 Faubourg Bourgogne, 45 000
Orléans
Courriel : Pascale.catoire@univ-orleans.fr
Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/pascale-catoire
Manuel SCHNEEWELE est maître de conférences
en sciences de l’éducation à l’Inspé Centre-Val
de Loire à Orléans. Son domaine de recherche porte sur
l’appropriation, l’évaluation et les changements de pratiques
d’apprentissage ainsi que de communications liés à
l’introduction de dispositifs numériques permettant le suivi et
l’accompagnement des apprenants. Il est notamment l’auteur
d’un ouvrage sur l’appropriation d’un ENT dans
l’enseignement secondaire français.
Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ
(EA 7493), INSPÉ CVL, 72 Faubourg Bourgogne, 45 000
Orléans
Courriel : Manuel.schneewele@univ-orleans.fr
Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/manuel-schneewele
Sonia TESSON est docteure en littérature
française, professeure certifiée de Lettres modernes et enseigne
à l’UFR LLSH de l’université d’Orléans
où elle assume également les fonctions de directrice-adjointe. Ses
recherches portent sur les littéracies universitaires et sur les moyens
didactiques (notamment l’apport des outils numériques) pour
enseigner l’écriture aux adultes et jeunes adultes
spécialistes d’autres disciplines.
Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ
(EA 7493), UFR LLSH, 10 rue de Tours, 45 100 Orléans
Courriel : sonia.tesson@univ-orleans.fr
Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/sonia-tesson
Élodie TRICARD est maîtresse de
conférences en psychologie et enseigne à l’Inspé
Centre-Val de Loire à Blois. Ses travaux de recherches portent sur le
développement cognitif et émotionnel des enfants et
l’analyse des effets de dispositifs pédagogiques numériques
sur les apprentissages des élèves.
Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ
(EA 7493), INSPÉ CVL, 72 Faubourg Bourgogne, 45 000
Orléans
Courriel : elodie.tricard@univ-orleans.fr
Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/elodie-tricard
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1 Par commodité et souci de
rapidité de lecture, l’utilisation du masculin sera entendue comme
une forme générique dans la suite de notre texte.
2 En France, l’enseignement
primaire est celui dispensé aux classes d’âge allant de 3
à 12 ans, le secondaire celui allant de 12 à 16 ans, et
le supérieur se situe après le baccalauréat.
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