Sciences et Technologies
de l´Information et
de la Communication pour
l´Éducation et la Formation
 

Volume 29, 2022
Article de recherche

Pratiques pédagogiques en confinement : évolutions et usages des outils numériques en fonction du niveau d'enseignement

Pascale CATOIRE, Manuel SCHNEEWELE, Sonia TESSON, Elodie TRICARD (Laboratoire ÉRCAÉ, Université d’Orléans)

RÉSUMÉ : Le confinement, annoncé en France en 2020, a conduit au recours massif aux outils numériques pour proposer une continuité pédagogique. Un questionnaire a permis d’interroger les pratiques numériques de 1994 enseignants du supérieur et des premier et second degrés durant le confinement, ainsi que les facteurs de changement. Bien que l’utilisation des outils numériques ait augmenté durant le confinement, les pratiques pédagogiques qui les sous-tendent ont, quant à elles, peu évolué. Les résultats montrent l’importance de penser l’appropriation des outils numériques sur un temps long et passant par une modification a priori des pratiques d’enseignement.

MOTS CLÉS : enseignement à distance, outils numériques, pratiques pédagogiques, confinement.

ABSTRACT : The lockdown, announced on March 16, 2020, led to a massive use of digital tools to offer pedagogical continuity. A questionnaire measuring their digital practices during the lockdown, as well as the factors of change, was sent to them by email. Although the use of digital tools increased during the lockdown, the underlying pedagogical practices have not changed much. The results of this study support the idea that the appropriation of digital tools should be considered over a long period of time and through a change in teaching practices.

KEYWORDS : online teaching, digital tools, pedagogical practices, lockdown.

1. Introduction

1.1. Contexte de l’étude

Le 16 mars 2020, Emmanuel Macron, Président de la République, annonçait que le pays allait être confiné pour une durée indéterminée, afin de faire face à l’épidémie due à la Covid-19. Dans la foulée, tous les enseignants et toutes les enseignantes étaient tenus d'assurer une « continuité pédagogique » auprès de leurs élèves, étudiantes et étudiants1.

Dans ce contexte exceptionnel, le temps de préparation donné aux enseignants pour s’adapter à de nouvelles pratiques fut très court. L’institution (à savoir l’Éducation Nationale et l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) fut dans l’obligation de s’adapter, en urgence, aux consignes sanitaires par le recours massif au numérique, avec toutes les problématiques liées à un manque d’anticipation vis-à-vis d’une mise à distance brutale de l’enseignement. Cette situation fut d’autant plus difficile que la France ne disposait pas d’une solide législation pour l’encadrement du télétravail dans ces secteurs, ni de moyens techniques suffisants pour faire face à la demande : surcharge des serveurs, matériel informatique à domicile pas forcément adapté, manque de formation, etc. (Ceci, 2018). Comme d’autres professeurs dans le monde, les enseignants français durent apprendre à gérer le chaos engendré par cette soudaine fermeture des écoles (Svetec et Divjak, 2021).

1.2. Problématique de recherche

En l’absence de cadre de définition précis (tant du point de vue pédagogique que du point de vue légal) permettant de connaître quelles étaient les nouvelles missions des enseignants et étant donné l’urgence dans laquelle ces derniers ont dû s’adapter et le manque de matériel dont ils pouvaient pâtir, il nous a semblé intéressant de mener une enquête destinée à définir les changements dans les pratiques de terrain et à voir comment le terme de « continuité pédagogique » était mis en œuvre sur le terrain.

L’objectif principal de cette étude exploratoire est donc de mieux connaître les pratiques pédagogiques des enseignants pendant le premier confinement : l’obligation de passer au numérique a-t-elle eu pour conséquence une évolution des pratiques d’enseignement existantes ? Lorsque des évolutions sont observées, qu’est-ce qui peut les expliquer ? Enfin, le type de public sur lequel l’enseignant intervient (primaire, secondaire, supérieur2) est-il un critère pertinent pour expliquer les évolutions de pratiques ?

2. Cadre théorique

2.1. Des usages contrastés en fonction des niveaux d’enseignement

Globalement, avant le confinement, les enseignants français ne mettaient pas le numérique au premier plan dans leurs enseignements. Comme le soulignaient Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020, p. 7), « la révolution numérique n’a pas eu lieu » dans les classes ; en outre, un certain nombre d’études indiquaient que les usages variaient selon le niveau dans lequel les professeurs enseignaient, comme nous allons le voir ci-après.

Dans l’enseignement primaire, l’étude Talis (OECD, 2019) montrait que seulement 14,5 % des enseignants de primaire faisaient utiliser le numérique par leurs élèves, ce qui plaçait la France parmi les derniers dans ce domaine. Le rapport de Delaubier (Delaubier, 2015), tout comme les travaux de Besneville et al. (Besneville et al., 2019), expliquaient cette faible utilisation par un matériel insuffisamment présent ou inadéquat, un manque de formation des enseignants, ou encore une difficulté à se positionner par rapport à des injonctions contradictoires. Les usages se centraient surtout sur la préparation des documents pour la classe et la visualisation collective, les outils les plus plébiscités étant le vidéo-projecteur et le TBI.

Dans l’enseignement secondaire, les résultats de l’enquête PROFETIC (MENER, 2016) montraient chez les enseignants un sentiment de compétence assez fort (59 % estimaient avoir une maîtrise suffisante ou très suffisante des matériels et services numériques) et le sentiment d’être relativement formés (7 enseignants sur 10 considéraient avoir reçu une formation bénéfique) ; malgré cela et le fait qu’ils étaient globalement convaincus des bénéfices du numérique éducatif, 78 % ne faisaient pas manipuler d’outils numériques par les élèves au moins 1 fois par semaine. Comme pour le primaire, les usages des enseignants du secondaire étaient donc surtout centrés sur la préparation des cours. Les constats de Ceci (Ceci, 2018) allaient dans ce sens puisqu’ils indiquaient que les usages en situation de classe, bien que plus rares, étaient davantage liés à des activités interactives et créatives (jeux, quiz) au collège, tandis qu’au lycée, le numérique était davantage lié à l’usage de ressources audiovisuelles. Le rapport Becchetti-Bizot (Becchetti-Bizot, 2017) montrait un usage d’outils numériques encore peu répandu dans les classes de collège et lycée en raison du « manque de confiance et d’autonomie accordée aux équipes pédagogiques, [du] peu de marge de manœuvre laissée aux établissements, [de] la difficulté à encourager, accompagner et valoriser des expérimentations et des innovations ».

Dans l’enseignement supérieur, le rapport Dulbecco et al. (Dulbecco et al., 2018) montrait que les outils numériques étaient considérés par les enseignants comme un puissant vecteur de transformation pédagogique pour enrichir les cours, favoriser des modalités de travail différentes, motiver les étudiants, favoriser le développement de compétences transversales. D’après Ceci (Ceci, 2018), les outils numériques utilisés à ce niveau d’enseignement étaient surtout liés à la bureautique, à la lecture numérique et au web 2.0 (réseaux professionnels et sites web). Des innovations pédagogiques ont pu être observées, mais elles étaient souvent limitées à des dispositifs précis et hétérogènes. Duguet et Morlaix (Duguet et Morlaix, 2018) soulignaient également qu’à côté de ces innovations pédagogiques, un enseignement traditionnel et transmissif perdurait.

Face à ce constat qui donne une idée des usages par les enseignants en mars 2020, au moment du premier confinement français, on peut se demander comment les enseignants ont pu s’approprier les outils numériques à leur disposition pour répondre à la soudaine obligation d’assurer la continuité pédagogique à distance de leurs élèves ou étudiants.

2.2. Les processus d’appropriation des outils numériques

Selon Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020) « l’appropriation des outils numériques ne se décrète pas » (p. 8). Ces auteurs montrent que s'approprier un outil suppose d’en sélectionner, regrouper, détourner certaines caractéristiques pour des tâches qui n’étaient pas forcément prévues par le concepteur de l’outil. Ils rappellent aussi que « les humains s’approprient un nouvel outil en fonction de la façon dont ils accomplissaient la tâche préalablement, avec éventuellement un outil plus ancien » (p. 18), ce que des auteurs comme Perriault (Perriault, 2002) qualifient d’effet « diligence » : le praticien a tendance à utiliser une innovation avec la mentalité d’avant son apparition. Or, l’état des lieux de la section précédente montre que le style transmissif est toujours fortement ancré dans les représentations sociales des enseignants français.

La situation inédite du confinement appelait cependant de nouveaux usages, puisque, pour la première fois, les enseignants du primaire et du secondaire, et dans une certaine mesure ceux du supérieur, se voyaient sommés d’utiliser des outils numériques pour assurer un enseignement à distance. Les enseignants du primaire et du secondaire reçurent très rapidement des directives de leurs tutelles. Un accompagnement fut mis en place sous forme de ressources, pistes de travail possibles, contenus clés en main, aides techniques via des forums, sur des sites officiels, (Éduscol, sites académiques, Canopé), largement relayé par les inspecteurs de l’Éducation Nationale.

Quelles pouvaient être les motivations des enseignants à utiliser davantage les outils numériques ?

2.3. Motivations et freins pour le changement

Les travaux de Kelman (Kelman, 1958) distinguent trois types d’influences sociales qui peuvent motiver les individus à changer de comportement : la complaisance, l’identification et l’intériorisation.

La complaisance correspond au fait qu’un individu va adopter un comportement d’utilisation d’un outil parce son utilisation va lui permettre d'obtenir des récompenses ou d’éviter des sanctions (Malhotra et Galletta, 1999). En d’autres termes, une personne se conforme à un « bon usage » de l’outil parce qu’elle espère en contrepartie de son comportement une rétribution symbolique et morale (Dejours, 1993). Le rapport à l’institution pourrait jouer ce rôle de complaisance chez les enseignants. Or, la littérature sur l’utilisation des outils numériques montre une tension entre les cadres institutionnels et de fonctionnement d’une part, et les réalités de terrain d’autre part, dont les pratiques sont contraintes cette fois par des objectifs professionnels. Selon Depover et al. (Depover et al., 2006) « les logiques d’usage conduisent souvent à des formes d’appropriation des technologies fort éloignées de celles auxquelles avaient pensé leurs concepteurs » (p. 6). Ce ne serait ainsi pas les injonctions institutionnelles qui détermineraient les usages des professionnels mais bien les objectifs pédagogiques perçus par les enseignants.

Le deuxième type d’influence est l’identification qui fait référence à une situation dans laquelle un individu modifie ses pratiques en vue de conserver des relations positives avec son environnement social (Malhotra et Galletta, 1999). Chez les enseignants, le rapport aux pairs ou aux apprenants peut avoir ce type d’influence. La pression sociale de l’entourage peut ainsi être un facteur déterminant motivant l’usage de nouveaux outils, comme le rappellent Fishbein et Ajzen (Fishbein et Ajzen, 1975), « la perception de l’individu sur le fait que la plupart des personnes qui sont importantes pour lui, pensent qu'il devrait ou ne devrait pas effectuer le comportement en question » (p. 302). La demande des élèves et des familles pour les plus jeunes, pouvait être une motivation.

Le troisième type d’influence est l'intériorisation, c’est-à-dire lorsqu'une personne accepte de changer son attitude ou ses pratiques, car celles-ci sont en harmonie avec son système de valeurs (Malhotra et Galletta, 1999). Dans ce dernier cas, le changement est plus durable que dans les deux premières situations. La volonté de maintenir le contact et d’éviter le décrochage d’élèves isolés chez eux fait partie des valeurs fortes des enseignants, qui pouvaient motiver un usage plus intensif d’outils numériques.

De nombreux travaux autour du courant TAM (Theory Acceptance Model) porté par des auteurs comme Davis (Davis, 1989), puis Venkatesh et al. (Venkatesh et al., 2003) ont montré que les facteurs principaux d’adoption de technologies sont l’utilité, l’utilisabilité et l’acceptabilité, cette dernière étant fortement influencée par l’utilité et l’utilisabilité. Pour les enseignants, on peut donc supposer que l’utilité pédagogique perçue des outils numériques à leur disposition pour permettre la continuité pédagogique sera déterminante. De même, l’utilisabilité, c’est-à-dire la facilité d’utilisation de ces outils, devrait être un élément fondamental de leurs motivations à utiliser certains outils plutôt que d’autres.

Des phénomènes de résistance peuvent cependant freiner le changement.

Nous avons vu avec Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020) que l’appropriation des outils numériques ne se décrète pas. En effet, le fait d’avoir un équipement n’entraîne pas son utilisation. Ceci peut se vérifier en France mais aussi en Angleterre : bien que 100% des écoles soient équipées, les ressources sont utilisées de manière hebdomadaire avec seulement la moitié des élèves en primaire et 1 élève sur 10 en secondaire (Davies et Pittard, 2009). Proulx (Proulx, 2001) rappelle qu’il faut trois conditions pour qu’il y ait changement : maîtrise cognitive et technique, intégration sociale significative de cet objet, possibilité d’un geste de création par l’individu. Paquelin (Paquelin, 2009) explique les phénomènes de résistance au changement, en raison du principe d’économie : « L’individu a tendance à choisir l’outil qu’il connaît le mieux, ou l’outil le plus disponible, et [à] s’en servir pour le maximum de tâches, pour économiser l’énergie qui devrait être fournie pour s’approprier et/ou acquérir un autre outil » (p. 183).

3. Questions de recherche

Nous avons vu que les enseignants français ont un usage limité des outils numériques. On peut néanmoins supposer que les enseignants ont davantage utilisé les outils numériques qui s’avéraient utiles pour maintenir la continuité pédagogique dans la situation inédite du confinement français durant la période allant de mars à mai 2020. La pression institutionnelle et sociale peut en effet avoir été assez forte pour motiver des usages plus importants.

Cependant, le contexte très particulier lié à cette période et l’urgence dans laquelle la continuité pédagogique a dû se mettre en place sans préparation pouvaient laisser penser que des résistances au changement s’opéreraient et que les pratiques pédagogiques varieraient peu, d’autant que les phénomènes d’intégration sociale (Proulx, 2001) et d’identification (Kelman, 1958) risquaient de peu jouer puisque les enseignants étaient isolés chez eux.

Nous avons donc posé les questions de recherche suivantes :

- Quels sont les types d’outils numériques utilisés par les enseignants durant le confinement ? Le 16 mars 2020, l’épidémie de COVID-19 a entraîné la fermeture des établissements scolaires et des universités de France. Cette situation inédite a amené les enseignants à utiliser davantage d'outils numériques pour faire face à cette situation soudaine d’enseignement à distance, comme le précise le rapport de Hazard et Cavaillès (Hazard et Cavaillès, 2020, p. 7) qui parle d’un « bond sous contrainte des usages pédagogiques du numérique » pour cette période. Nous souhaitons donc dresser un panorama des outils utilisés durant cette pandémie.

- Dans quelle mesure des modifications des pratiques pédagogiques ont-elles eu lieu ? En nous appuyant sur les observations de Paquelin (Paquelin, 2009), ces usages plus importants en situation de confinement n’ont pas nécessairement changé les pratiques pédagogiques, en raison du principe d’économie et de la soudaineté avec laquelle les choses ont dû se mettre en place.

- Qu’est-ce qui a motivé les changements ? Les moteurs de changements dans les pratiques du numérique peuvent être dûs à des facteurs différents (Kelman, 1958). En nous appuyant sur les recherches issues du courant TAM (Theory Acceptance Model), nous pouvons supposer que l’utilité pédagogique sera déterminante dans le choix des outils.

- Quelles sont les différences en fonction du public visé ? Les différents rapports portant sur l’utilisation du numérique en fonction du niveau scolaire (Dulbecco et al., 2018), (MENER, 2016), (OECD, 2019) montrent une utilisation différenciée du numérique dans les pratiques pédagogiques des enseignants en fonction du public. Nous pouvons donc penser que l’usage des outils numériques n’a pas été le même selon le niveau d’enseignement, du fait de l’âge des apprenants et des habitudes pédagogiques encore très transmissives.

4. Méthodologie

4.1. Présentation de l’échantillon

Parmi les 3 165 réponses au questionnaire, 858 ont été retirées des analyses pour abandon en cours de questionnaire, questionnaire incomplet ou temps de réponse au questionnaire inférieur à sept minutes (qui ne permet pas une réponse détaillée à toutes les questions) et 313 ont été retirées car les profils de répondants ne correspondaient pas à notre population d’étude à savoir les enseignants titulaires des premier et second degrés et du supérieur, dans la mesure où il s’agissait principalement d’étudiants et professeurs stagiaires en formation à l’INSPÉ qui ont répondu à cette enquête dans le cadre d’un cours sur les TICE.

Ainsi, pour cette recherche, seules les 1 994 réponses des enseignants du primaire, secondaire et supérieur ont été traitées. Parmi les répondants, 702 enseignaient dans une école primaire (de la maternelle au CM2), 1 034 enseignaient dans le secondaire (collège ou lycée) et 258 enseignaient dans le supérieur (université, INSPÉ, IUT). Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des participants de l’expérience.

Tableau 1 • Caractéristiques des participants en fonction de leur lieu d’exercice


Enseignants du primaire
(N = 702)

Enseignants du secondaire
(N = 1034)

Enseignants du supérieur
(N = 258)

Âge
(années)

44,05 ans (ET 11,04)
Min : 27 ans
Max : 64 ans

45,41 ans (ET 8,84)
Min : 24 ans
Max : 65 ans

44,84 ans (ET 8,34)
Min : 23 ans
Max : 65 ans

Genre
(N)

Femme : 607
Homme : 74
Non réponse : 21

Femme : 697
Homme : 283
Non réponse : 54

Femme : 41
Homme : 18
Non réponse : 199

Expérience en enseignement
(N)

- de 5 ans : 48
5 à 10 ans : 58
10 à 20 ans : 296
+ de 20 ans : 300

- de 5 ans : 84
5 à 10 ans : 127
10 à 20 ans : 332
+ de 20 ans : 484

- de 5 ans : 36
5 à 10 ans : 37
10 à 20 ans : 44
+ de 20 ans : 92

4.2. Outils de collecte utilisés

L’enquête a été réalisée sur le logiciel Sphinx IQ v2 et envoyée à des établissements scolaires en France. Des enseignants de primaire, du secondaire et du supérieur ont été sollicités pour répondre. Un lien permettant d’accéder au questionnaire en ligne a permis d’enregistrer les réponses du 4 mai au 1er juillet 2020.

Le temps de réponse moyen au questionnaire était de 34 minutes et la passation se faisait en plusieurs étapes :

- Recueil d’informations socio-démographiques des participants. Des questions fermées étaient utilisées pour recueillir l’âge, le genre, l’établissement d’enseignement, la durée d’expérience dans l’enseignement et la région d’exercice.

- Recueil d’informations sur les conditions d’exercice durant le confinement. Des questions à choix multiples permettaient de recueillir les conditions matérielles et spatiales disponibles pour le travail à domicile. Ces questions ne seront pas analysées dans le cadre de cet article.

- Recueil d’informations sur les outils utilisés avant et pendant le confinement. Deux questions à choix multiples permettaient aux participants de cocher les outils utilisés avant et pendant le confinement. Une première question concernait l’utilisation des outils institutionnels qui étaient regroupés en sept catégories d’usages pédagogiques. Une seconde question permettait d’interroger les participants sur les détournements d’usages de certains outils.

- Recueil d’informations sur leur impression d’avoir soudainement ou progressivement modifié leurs pratiques.

- Recueil d’informations sur les critères qui ont justifié le choix des outils. Deux questions proposaient de classer les raisons qui poussaient à utiliser ou arrêter d’utiliser un outil. Enfin, une question fermée permettait de relever le but pédagogique associé à une modification des pratiques.

Les statistiques descriptives obtenues ont été réalisées grâce au logiciel Sphinx IQ v2. Les augmentations ou diminution des pourcentages indiqués dans la partie résultats se rapporte à l'augmentation du nombre total d'enseignants interrogés (échantillon total).

5. Résultats

5.1. Évolution par rapport à l’avant confinement des usages du numérique en situation d’enseignement à distance subie

Les résultats obtenus (voir figure 1) mettent en évidence que la messagerie institutionnelle est l’outil majoritairement utilisé par les enseignants avant mais aussi pendant le confinement. Il est cité par plus de 70 % des répondants. Avant le confinement, 63 % des enseignants du premier degré l’utilisaient, 84 % dans le second degré et 95 % dans le supérieur. Pendant le confinement, on observe - 7 % d’utilisateurs pour le supérieur (différence de pourcentage sur l’échantillon total), + 3 % dans le second degré et + 20 % dans le premier degré.

Figure 1 • Usages du numérique avant vs. pendant le confinement

Les formulaires et enquêtes étaient déclarés être utilisés avant le confinement par 19 % des enseignants du premier degré, 21 % des enseignants du second degré et par 34 % des enseignants du supérieur. Pendant le confinement, on observe une augmentation de ce taux de + 14 % dans l’enseignement primaire, de + 15 % dans le secondaire et de + 35 % dans l’enseignement supérieur.

Les contenus clés en main de type Etincel, Eduthèque, etc. sont déclarés être utilisés par 9 % des enseignants du premier degré, 11 % du second degré et 3 % dans le supérieur. L’usage de ces contenus a peu convaincu les enseignants même lors du confinement puisque leur utilisation augmente de + 9 % dans le premier degré, + 4 % dans le second degré et + 1 % dans l’enseignement supérieur.

Les banques de ressources numériques pour l’école restent quant à elles encore faiblement utilisées : 20 % des enseignants du premier degré affirment qu’ils l’utilisaient avant le confinement, contre 16 % des enseignants du second degré et 7 % dans le supérieur. Les usages ont été légèrement modifiés pendant le confinement pour les enseignants du premier degré avec + 13 %, dans le second degré avec + 5 %, tandis que dans le supérieur il n'a presque pas évolué avec - 1 %.

L’utilisation d’outils de diffusion de contenus et d’informations permettant la transmission des notes, de feedbacks ou d’informations diverses est très largement répandue dans le second degré : 85 % des enseignants utilisent des outils comme Pronote, contre 15 % dans le primaire et 20 % dans le supérieur avant le confinement. Leurs usages ont faiblement augmenté pendant le confinement avec + 8 % des enseignants du premier degré, + 3 % pour ceux du second degré, et + 10 % dans l’enseignement supérieur.

Les plateformes d’apprentissage ou d’accompagnement (type Moodle, Ma classe à la maison, etc.) sont diversement utilisées avant le confinement : on observe un recours à ces outils par 4 % d’enseignants du premier degré, 29 % pour le second degré et 58 % pour le supérieur. Du fait de la situation d’obligation d’enseignement à distance, leurs usages ont fortement bondi pour les enseignants du premier degré avec + 40 % ainsi que dans le second degré avec + 38 % ; dans l’enseignement supérieur, l’augmentation n’est que de + 5 %.

Les outils de stockage et de partage des fichiers étaient avant le confinement utilisés par 25 % des enseignants du premier degré, 51 % de ceux du second degré, et 65 % des enseignants du supérieur. L’augmentation des enseignants déclarant utiliser ces outils est de + 27 % dans le premier degré, + 12 % dans le second degré et seulement de + 3 % dans l’enseignement supérieur.

Les outils de conférence étaient d’une manière générale peu utilisés avant le confinement. On observe que moins de 3 % des enseignants dans les premier et second degrés déclarent utiliser des outils de webconférence mais ce taux est de 31 % dans l’enseignement supérieur. Avec le confinement, ces chiffres ont fortement progressé : une augmentation de 40 % est constatée pour les enseignants du premier degré, de 38 % pour ceux du second degré, et de 50 % pour les enseignants du supérieur.

Figure 2 • Évolution des pratiques d'usages du numérique pour s'adapter à l'enseignement à distance

Les enseignants interrogés sur les changements de leurs pratiques liés au confinement sont plus de 60 % à reconnaître une modification de leur manière de travailler. De plus, 34 % des enseignants du premier degré, 33 % du second degré et 38 % du supérieur déclarent avoir « tout de suite » fait évoluer leur façon de faire les cours, tandis que 37 % du premier degré, 35 % du second degré et 22 % du supérieur considèrent avoir fait ce changement « progressivement ». Cependant, 19 % des enseignants du premier degré, 14 % du second et 16 % du supérieur ont essayé de mener leurs cours à la manière d’un présentiel autant qu’ils le pouvaient. Enfin, 10 % des enseignants du premier degré, 18 % du second et 24 % du supérieur estiment avoir conservé pendant le confinement une pratique basée sur des outils du numérique qu’ils utilisaient déjà avant.

5.2. Justification des choix des outils numériques par le personnel enseignant

À la question « Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez commencé à utiliser un nouvel outil ? », la perception de l’intérêt pédagogique est la première raison évoquée par les enseignants (82 % des répondants dans les premier et second degrés, 61 % dans l’enseignement supérieur). De même, à la question « Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez arrêté d’utiliser un outil ? », on constate qu’un manque d’intérêt pédagogique pousserait à l’abandon d’un outil pour 90 % des enseignants du supérieur, 68 % dans les premier et second degrés. Néanmoins, le nombre d’enseignants ayant préféré ne pas se prononcer sur cette question est particulièrement élevé, il est de 35 % dans les premier et second degrés, et de 40 % dans le supérieur.

Figure 3 • Motifs justifiant le choix des outils par le personnel enseignant

La demande institutionnelle a modérément pesé dans la décision d’usage de nouveaux outils. Elle est évoquée par un peu moins de 20 % des enseignants du premier et du second degré. Les enseignants du supérieur ont quant à eux davantage ressenti une demande institutionnelle puisqu’elle est évoquée par 47 % des répondants comme la raison qui les a poussés à adopter un nouvel outil. À l’inverse, une interdiction institutionnelle ne constitue une justification pour modifier sa pratique que pour 24 % des enseignants du supérieur ayant choisi de se prononcer sur cette question, un chiffre qui tombe à 17 % dans le second degré et à 13 % dans le premier degré.

Le fait d’utiliser un outil suite à une demande des apprenants est évoqué dans les questions ouvertes comme pouvant être une raison suffisante pour l’adoption d’un outil. Cela ne constitue cependant une raison suffisante pour changer sa pratique que pour 8 % des répondants du premier degré, 15 % dans le second degré et 20 % dans le supérieur. Moins de 5 % des enseignants tous niveaux confondus se disent prêts à changer les outils qu’ils utilisent sur la demande des apprenants.

5.3. L’utilité perçue des outils utilisés par les enseignants

Figure 4 • Ordre de priorité des préoccupations pédagogiques dans l’utilisation des outils

La comparaison des outils utilisés avant et pendant le confinement montre un ordre de priorités dans les préoccupations pédagogiques qui président à leur utilisation. Nous présentons ici ces préoccupations dans un ordre d’importance perçu décroissant, sachant que plusieurs réponses étaient possibles :

- déposer du contenu pour 90 % des enseignants du secondaire et du supérieur, pour 70 % des enseignants du premier degré ;

- mettre en ligne des activités pour environ 60 % des enseignants du premier degré et du supérieur, pour 80 % du second degré ;

- rétablir le contact humain pour moins de 59 % des enseignants dans le second degré et le supérieur, alors qu’il est de 63 % dans le premier degré ;

- réaliser des évaluations pour moins de 17 % des enseignants du premier degré, 57 % dans le second degré et tout de même 60 % dans le supérieur.

Une question ouverte sur les avantages perçus de l’enseignement à distance nous permet d’apporter un éclairage complémentaire : les enseignants du premier degré ont majoritairement déclaré que cela permettrait surtout de remettre du « lien », du « contact » avec les « familles » et, de ce fait, engendrait « plus d’investissement des parents ». Pour les enseignants du second degré, le numérique permettrait « davantage d’échanges », en particulier avec les élèves « timides » ou « discrets », de même qu’il permettrait de travailler leur « autonomie ». Pour les enseignants du supérieur, le numérique offrirait plus de « flexibilité », de « souplesse dans les enseignements », ainsi qu’un « gain sur les temps vis-à-vis des transports », et l’approfondissement d’une « réflexion entamée en cours ».

6. Discussion

La situation de confinement a entrainé une augmentation des usages numériques. Cependant, une proportion d’enseignants déclare ne pas avoir modifié leurs pratiques numériques (entre 10 % et 24 % selon le niveau). On retrouve cette constante dans d’autres études internationales sur la même période, par exemple celle de (Svetec et Divjak, 2021) : le recours aux outils numériques a augmenté pour répondre à la situation d’urgence, mais de manière inégale entre les enseignants, les structures, et les pays, le niveau de maîtrise technologique antérieur et la capacité de chacun à intégrer le changement jouant un rôle majeur.

Comme nous l’avions supposé avec notre première question de recherche, les enseignants ont globalement eu davantage recours aux outils qui permettaient d’assurer la continuité pédagogique : ainsi, les outils de conférence ont très largement augmenté pour tous les niveaux. De même, des outils peu utilisés avant le confinement, comme ceux permettant le stockage et le partage de fichiers dans le premier degré, les plateformes d’enseignement et d’accompagnement dans les premier et second degrés, sont devenus plus importants. La messagerie institutionnelle, qui était déjà assez largement utilisée par les enseignants, a augmenté dans le premier degré. Cette augmentation s’explique sans doute par la nécessité de compenser le manque d’interactions et de garder du lien malgré la distance. L'urgence à transmettre des informations peut sans doute expliquer la préférence pour la messagerie institutionnelle. Dans le supérieur en revanche, l’usage des outils de conférence et de plateformes d’apprentissage peut expliquer la baisse de l’usage de la messagerie institutionnelle.

On aurait pu penser que, dans l’urgence, les enseignants se tourneraient vers des sites contenant des ressources toutes faites. Or, les contenus clés en main et les banques de ressources numériques restent peu utilisés à tous les niveaux. On retrouve ce résultat dans le rapport (Hazard et Cavaillès, 2020) qui montre que les enseignants ont peu utilisé les ressources documentaires et institutionnelles. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les enseignants français sont habitués à créer leurs propres ressources, que ce soit de manière individuelle ou collective (Bruillard et al., 2018). On retrouve cette même tendance avec les manuels numériques, ils ont tendance à aller « piocher des choses à droite et à gauche » pour enrichir leurs cours (Fluckiger et al., 2016). Le peu de recours aux nouvelles ressources institutionnelles créées dans cette période et mises à la disposition des enseignants pourrait également s’expliquer par le fait que les individus ont tendance à utiliser des outils qu’ils connaissent. Cela est souligné dans le rapport (Hazard et Cavaillès, 2020) qui indique que 50 à 70 % des enseignants ont choisi des outils qu’ils maîtrisaient déjà. Cette donnée est fréquemment relevée dans les recherches sur les usages du numérique, par exemple le dossier réalisé par (Fluckiger, 2020).

Notre deuxième question de recherche apparaît par ailleurs validée puisque c’est d’abord pour déposer du contenu que les enseignants déclarent avoir utilisé des outils numériques, puis pour stocker et partager des fichiers. On peut en conclure qu’une pédagogie traditionnelle, orientée par la transmission de savoirs, reste encore très présente dans l’enseignement français comme le rappellent plusieurs rapports tels que celui de Becchetti-Bizot (Becchetti-Bizot, 2017) ou l’étude de Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020). Une majorité d’enseignants déclarent pourtant avoir modifié leur façon de faire cours, à court ou moyen terme. Cette contradiction apparente peut s’expliquer par le fait qu’il y a une différence entre le ressenti et la pratique effective : les enseignants ont sans doute ressenti une modification dans la manière de travailler parce que la situation, à distance, était forcément différente. Malgré tout, pour bon nombre d’entre eux, les choix pédagogiques semblent avoir été dictés par le principe d’économie développé par Paquelin (Paquelin, 2009) et les outils numériques utilisés ont servi à reproduire autant que possible à distance ce qui était fait en classe (Caron, 2020). Cette apparente contradiction se retrouve dans d’autres études sur les usages durant la période de confinement, comme le rapport de Hazard et Cavaillès (Hazard et Cavaillès, 2020). On y lit tout d’abord que 70 % des enseignants du primaire et du secondaire déclarent avoir adapté leur approche didactique, puis que les enseignants du primaire ont « tenté de conserver dans l’enseignement à distance la colonne vertébrale de leur enseignement en classe » (p. 20), et que « si certains enseignants ont cherché des solutions nouvelles, d’autres ont modifié leur pratique en revenant vers un enseignement qu’ils qualifient eux-mêmes de plus ‘’traditionnel’’ » (p. 21). Ainsi, comme les enseignants dans ce rapport, il est normal que la majorité des enseignants que nous avons interrogés ressentent une modification dans leurs façons de faire cours dans cet enseignement à distance, que ce soit dans le choix des outils d’enseignement ou des contenus et activités simplifiés. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils aient modifié leurs choix didactiques en profondeur, ni que ces modifications aient entraîné une évolution vers des pratiques didactiques considérées comme plus « innovantes ».

Le deuxième type d’outils utilisés par ordre de préférence (pour mettre en ligne des activités) va sans doute dans ce sens puisque la mise en activité des élèves est reconnue comme une nécessité dans les approches pédagogiques contemporaines, basées sur des postulats constructivistes. Tricot et Chesné (Tricot et Chesné, 2020) rappellent bien que l’appropriation des outils numériques est un processus complexe et long. Malgré les outils mis à disposition des enseignants, malgré l’accompagnement qui était pensé par les institutions, malgré l’injonction à agir, le peu de temps de formation reçue par les enseignants ne leur permettait sans doute pas d’innover, de tirer parti de la situation à distance pour initier d’autres usages pédagogiquement intéressants, par exemple des interactions orales et écrites plus importantes entre les apprenants. Ils ne sont pas plus de 21 % à déclarer avoir « détourné de leurs usages » certains outils, comme Discord ou WhatsApp. Il est cependant probable que les termes « détourner des outils » n’aient pas été bien compris par les répondants.

Comme nous le supposions dans notre troisième question de recherche, l’intérêt pédagogique a primé dans le choix des outils utilisés, et la demande institutionnelle ou celle des apprenants a peu influencé les pratiques. Si les enseignants français apparaissent comme une catégorie professionnelle plutôt indépendante sur laquelle les influences sociales jouent peu, l’adoption par ce groupe des outils numériques dépend bien de la perception qu’ils ont de leur utilité pédagogique, ainsi que de leur utilisabilité et de leur acceptabilité (Davis, 1989), qui doivent être compatibles avec l’organisation du temps et de l’espace (Tricot et Chesné, 2020).

Des différences notables apparaissent cependant selon les niveaux auxquels les enseignants s’adressent, validant ainsi notre quatrième question de recherche. L’augmentation des usages peut être expliquée par trois facteurs.

Tout d’abord, l’augmentation est plus importante lorsqu’un outil a subitement été perçu comme pertinent du fait du contexte particulier de confinement. Ainsi, l’utilisation de la messagerie institutionnelle ou des outils de stockage et de partage de fichiers a plus largement progressé pour les enseignants du premier degré. De même, si l’utilisation des plateformes d’apprentissage et d’accompagnement a peu augmenté dans le supérieur, c’est probablement du fait que leur usage était déjà bien plus répandu à ce niveau, les étudiants étant plus à même de travailler en autonomie.

De même, l’utilisation de formulaires ou enquêtes se prêtait sans doute mieux à un usage avec les étudiants (d’où l’importante augmentation de ces outils dans le supérieur), leur maturité permettant une prise en compte de leur opinion ; ces outils qui permettent d’interagir avec les apprenants semblent pratiques pour maintenir un contact avec un large public et proposer des feedbacks. De même, l’utilisation plus large des outils numériques pour évaluer dans le supérieur peut s’expliquer par le poids et la place des examens dans le cursus universitaire. Les avantages perçus par les professeurs concernant l’enseignement à distance est également fortement conditionné par l’âge de leurs apprenants : en primaire, les enseignants ont vu que les outils numériques permettaient de renforcer le contact avec les familles ; dans le secondaire, les enseignants ont vu l’intérêt qu’ils représentaient pour conduire les élèves vers l’autonomie. Dans le supérieur, les enseignants pensent que les outils numériques ont permis aux étudiants de poursuivre par eux-mêmes la réflexion amorcée en cours ou qu’ils offraient plus de souplesse, en particulier par rapport aux problématiques de déplacements et de présence des étudiants. En revanche ils déclarent que cette expérience ne modifiera pas à long terme leur pratique. Le niveau de compétence que les enseignants s’attribuent pourrait cependant avoir une conséquence sur les changements à plus long terme. Enfin l’augmentation de l’utilisation de certains outils peut s’expliquer par des raisons institutionnelles : l’utilisation plus large des banques de ressources numériques pour le premier degré s’explique sans doute par l’offre institutionnelle plus grande pour ce niveau, ainsi que par le lien plus étroit entre ces enseignants et l’institution qui les forme. On peut supposer qu’ils connaissent donc mieux ces ressources. De même, le poids de l’institution comme facteur ayant incité à modifier ces pratiques est plus important pour le supérieur. Pour cette population, l’institution peut être celle dont, à l’échelle de la composante universitaire, émanent les décisions qui ont été prises durant le confinement. Elle est donc plus directe et plus proche que pour les enseignants du primaire ou du secondaire pour lesquels l’institution est assimilée aux inspecteurs, voire au ministère, qui sont plus éloignés (peu de consignes ont en effet été données par les établissements). Ce sont aussi ces enseignants qui déclarent davantage être formés aux usages numériques. La plus grande proportion d’enseignants du secondaire déclarant ne pas avoir utilisé d’outils numériques pendant le confinement (21 % contre 2 % pour le primaire et 4 % pour le supérieur) nous interroge puisque les différents rapports ne montrent pas que ces enseignants sont ceux qui utilisent le moins les outils numériques. Cette différence s’explique peut-être par le fait que ces enseignants sont de fait les plus éloignés de leur institution, qu’ils ont peut-être été les moins équipés, et qu’ils se sont sentis pendant le confinement les plus isolés.

7. Conclusion

Le confinement a mis tous les enseignants français face à une situation inédite. En quelques semaines, avec un accompagnement limité, ils ont dû avoir recours à des outils numériques qu’ils avaient peu l’habitude d’utiliser de façon à assurer la continuité pédagogique.

Les usages du numérique ont été globalement plus importants durant cette période, mais de manière assez variable selon les outils et les niveaux d’enseignement. Les outils permettant de maintenir un contact avec les apprenants et les outils permettant de poursuivre les mêmes visées pédagogiques que celles du présentiel ont été les plus utilisés. Les outils numériques ont tout d’abord été choisis en fonction de l’intérêt pédagogique qu’ils représentaient pour les professeurs. Ils ont également été choisis en fonction des caractéristiques des apprenants : transmettre des informations aux familles dans l’enseignement primaire, transmettre des contenus et développer l’autonomie des élèves du secondaire, permettre aux étudiants du supérieur d’organiser, de réfléchir à leur travail mais aussi de les évaluer en vue des examens. Le rapport à l’institution des enseignants a joué une part importante dans l’évolution des pratiques, les enseignants du supérieur étant ceux pour lesquels l’institution, perçue comme plus proche d’eux, a eu le plus grand rôle. Dans cet espace nouveau que représentait l’enseignement à distance, dans le temps court qui était donné aux enseignants pour se réorganiser et maîtriser des outils modérément utilisés avant le confinement, les enseignants ont peu investi de nouvelles pratiques pédagogiques.

Nous devons cependant garder en tête les limites de cette étude : elle repose sur des réponses à un questionnaire, donc sur ce que les enseignants ont eux-mêmes souhaité déclarer de leurs pratiques. Des observations auraient été nécessaires pour vérifier les pratiques décrites. De plus, les enseignants, absorbés par de nouvelles obligations, ont sans doute eu du mal à analyser cette pratique pour répondre à des questions dont les formulations nuancées étaient parfois assez proches. Cela explique sans doute les nombreux abandons en cours de questionnaires, et le peu de réponses sur certaines questions que nous avons dû extraire des résultats. Cela peut avoir modifié la sociologie de nos répondants : ceux qui ont pris le temps de répondre et de réfléchir aux questionnaires pourraient être les enseignants les plus intéressés par cette recherche exploratoire et par l’usage des outils numériques.

Les résultats que nous avons obtenus permettraient de travailler d’autres pistes. Ce questionnaire ayant été distribué à des professeurs stagiaires, il serait pertinent d’observer en quoi les enseignants en formation initiale présentent les mêmes caractéristiques que les enseignants titulaires. Nous n’avons pas non plus exploité ici nos données concernant les conditions matérielles des enseignants pendant le confinement ; il serait intéressant de voir dans quelle mesure ces conditions peuvent avoir eu un effet sur les usages numériques déclarés.

Notre étude se situe dans un contexte particulier, celui du confinement français du printemps 2020. Au-delà de ce contexte, elle vient apporter un éclairage sur les leviers et freins explicitant l’appropriation des technologies éducatives dans divers types d’établissement d’enseignement français. Elle contribue à ouvrir la réflexion sur l’accompagnement nécessaire des enseignants dans l’avenir, où les formes d’enseignement hybride et à distance seront sans doute de plus en plus fréquentes.

À propos des auteurs

Pascale CATOIRE est docteure en sciences du langage et enseigne à l’Inspé Centre-Val de Loire à Orléans. Ses recherches portent sur l’usage des outils numériques en éducation, et en particulier par rapport à la didactique des langues vivantes étrangères. Elles couvrent des questions concernant l’usage et l’appropriation des outils numériques par les enseignants, ainsi que l’apport des outils numériques pour développer des compétences de compréhension en langue étrangère chez les apprenants.

Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ (EA 7493), INSPÉ CVL, 72 Faubourg Bourgogne, 45 000 Orléans

Courriel : Pascale.catoire@univ-orleans.fr

Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/pascale-catoire

Manuel SCHNEEWELE est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Inspé Centre-Val de Loire à Orléans. Son domaine de recherche porte sur l’appropriation, l’évaluation et les changements de pratiques d’apprentissage ainsi que de communications liés à l’introduction de dispositifs numériques permettant le suivi et l’accompagnement des apprenants. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage sur l’appropriation d’un ENT dans l’enseignement secondaire français.

Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ (EA 7493), INSPÉ CVL, 72 Faubourg Bourgogne, 45 000 Orléans

Courriel : Manuel.schneewele@univ-orleans.fr

Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/manuel-schneewele

Sonia TESSON est docteure en littérature française, professeure certifiée de Lettres modernes et enseigne à l’UFR LLSH de l’université d’Orléans où elle assume également les fonctions de directrice-adjointe. Ses recherches portent sur les littéracies universitaires et sur les moyens didactiques (notamment l’apport des outils numériques) pour enseigner l’écriture aux adultes et jeunes adultes spécialistes d’autres disciplines.

Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ (EA 7493), UFR LLSH, 10 rue de Tours, 45 100 Orléans

Courriel : sonia.tesson@univ-orleans.fr

Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/sonia-tesson

Élodie TRICARD est maîtresse de conférences en psychologie et enseigne à l’Inspé Centre-Val de Loire à Blois. Ses travaux de recherches portent sur le développement cognitif et émotionnel des enfants et l’analyse des effets de dispositifs pédagogiques numériques sur les apprentissages des élèves.

Adresse : Laboratoire ÉRCAÉ (EA 7493), INSPÉ CVL, 72 Faubourg Bourgogne, 45 000 Orléans

Courriel : elodie.tricard@univ-orleans.fr

Toile : https://www.univ-orleans.fr/fr/ercae/elodie-tricard

RÉFÉRENCES

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1 Par commodité et souci de rapidité de lecture, l’utilisation du masculin sera entendue comme une forme générique dans la suite de notre texte.

2 En France, l’enseignement primaire est celui dispensé aux classes d’âge allant de 3 à 12 ans, le secondaire celui allant de 12 à 16 ans, et le supérieur se situe après le baccalauréat.