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Accompagner les politiques d’équipement des
écoles rurales : l’exemple d’un dispositif
d’acculturation des enseignants à l’intégration des
TIC dans la pratique quotidienne
Karine AILLERIE (R&D Réseau Canopé – Université
de Poitiers), Kadri KALDMÄE (R&D Réseau Canopé),
Jean-François CERISIER (Université de
Poitiers)
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RÉSUMÉ : La
présente recherche se situe dans le cadre d’un plan
d’équipement des écoles primaires d’une
communauté de communes rurale. Nous décrivons et analysons un
dispositif d’accompagnement des 13 enseignants concernés,
axé sur « des activités de scénarisation de
l’enseignant par l’intermédiaire de l’environnement
techno-pédagogique » (Poyet, 2015). A partir du cadre
théorique de la médiation instrumentale de Peraya et des
catégories d’interactions culturelles identifiées par
Cerisier, nous interrogeons les modalités d’observation,
d’analyse et de comparaison des postures des acteurs de
l’école rurale avec le numérique, ainsi que les
éventuelles transformations de ces postures.
MOTS CLÉS : politiques
publiques, enseignement primaire, école rurale, pédagogie
numérique |
Accompagner les politiques d’équipement des écoles rurales : l’exemple d’un dispositif d’acculturation des enseignants à l’intégration des TIC dans la pratique quotidienne |
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ABSTRACT : This
research is part of an equipment plan for primary schools in a community of
rural communes. We describe and analyze a support system for the 13 teachers
concerned, focusing on "scriptwriting activities of the teacher through the
techno-pedagogical environment" (Poyet, 2015). We also examine the methods of
observation, analysis and comparison of the postures of the actors (teacher and
student) of the rural school with the digital, as well as the possible
transformations of these postures.
KEYWORDS : public
policies, primary education, rural schools, pedagogical design |
1. Introduction
Le contexte de cet article est celui d’une
communauté de communes rurale, chargée de
l’équipement informatique des écoles primaires du
territoire. Les déploiements successifs, à l’échelle
locale ou nationale, de technologies de l’information et de la
communication (TIC) dans les classes de l’enseignement primaire ou
secondaire ont montré de façon générale leur
caractère aléatoire en termes d’usages effectifs ou
d’intégration dans les pratiques pédagogiques. Cette
situation générale, qui cache en partie la diversité des
pratiques réelles, tend à perdurer malgré les injonctions
institutionnelles de ces dernières années et l’inscription
des compétences numériques dans les référentiels
scolaires (Béziat et Villemonteix, 2012).
Dans le cas présent, les enseignants doivent préciser
auprès des décideurs leurs besoins en équipement et
formaliser un projet pédagogique afférent. Ainsi, pour
l’année scolaire 2015-2016, 13 enseignants exerçant dans 7
écoles primaires de 5 communes, du CP au CM2, sont concernés. Dans
ce cadre, la collectivité a également émis une demande de
financement européen (FEDER) pour la conception d’un dispositif
d’accompagnement des enseignants et la réalisation d’une
étude sur les usages numériques en
classe1.
Ce contexte constitue par ailleurs un des terrains d’étude du
projet de recherche ORPPI (Towards an International Observatory of
Pedagogical and Cultural Appropriation of ICT in the Rural Context: Culture and
Public Policies), visant à créer les bases d’un
observatoire de l’appropriation culturelle et pédagogique des TIC
dans les écoles rurales tenant compte des politiques éducatives
publiques. Les données françaises, ici présentées,
seront ultérieurement confrontées à celles recueillies en
Argentine, au Pérou et au Chili. Le projet ORPPI a en effet le double
objectif de documenter les pratiques et les politiques publiques dans les 4
contextes identifiés et de nourrir et orienter ces dernières,
au-delà de la simple acquisition de matériel.
Cette situation nous a amenés à formuler un double
questionnement, qui est, d’une part, celui de la conception d’un
dispositif d’accompagnement susceptible d’amener les enseignants
à construire des scénarios pédagogiques mobilisant les
technologies dans la pratique quotidienne de la classe, basés sur le
travail en groupe et la production de contenus par les élèves.
D’autre part, nous interrogeons les modalités d’observation,
d’analyse et de comparaison des postures des acteurs (enseignants et
élèves) de l’école rurale avec le numérique,
ainsi que les éventuelles transformations de ces postures.
Nous exposerons tout d’abord le contexte précis dans lequel se
posent ces questions avant de détailler nos choix méthodologiques
en faveur de l’étude de cas. Nos critères d’analyse se
basent sur le cadre théorique de la médiation instrumentale de
Peraya (Peraya, 2008),
enrichie des catégories d’interactions culturelles
identifiées par Cerisier (Cerisier, 2016).
C’est sur cette assise théorique que nos résultats seront
ensuite rapportés.
2. L’école primaire rurale : enjeux liés au
contexte
Les usages des TIC dans l’enseignement primaire
ont fait l’objet de nombreuses études qu’il nous serait
impossible ici de résumer. Ceci n’est pas non plus notre objet,
insistant pour notre part sur la spécificité du contexte alliant
enseignement primaire, usages pédagogiques des TIC et ruralité.
L’action pédagogique de l’enseignant du primaire est
centrée sur l’acquisition de savoirs disciplinaires fondamentaux,
auxquels viennent possiblement s’affilier des enseignements transversaux
tels que l’éducation aux médias ou le recours aux outils
informatiques. L’enseignement primaire constitue à ce titre le
premier palier du B2I (brevet informatique et internet) et relève
d’une perspective d’enseignement/apprentissage basée sur la
validation de compétences grandement manipulatoires (Béziat et Villemonteix, 2012).
Quant au caractère rural de notre contexte, la
spécificité de ce type de zone géographique est, en tant
que telle, difficile à circonscrire au-delà des
représentations communes d’un espace s'opposant à la ville (Alpe, 2012). Au vu
des catégories actuelles, il est possible de définir notre
contexte comme un territoire économique et social en
périphérie et sous l’influence de la ville (Schmittsem et Goffette-Nagotsem, 2000).
Au sein du système éducatif français, l’enseignement
primaire en milieu rural répond toutefois de particularités
organisationnelles, telles que les regroupements pédagogiques
intercommunaux (RPI) qui visent l’optimisation des moyens et de la gestion
administrative par la mutualisation. On peut également penser aux classes
à plusieurs niveaux, à l’implication des parents dans la vie
fonctionnelle de l’école ou aux enseignants assurant aussi des
charges de direction. Une construction professionnelle propre à
l’enseignement en milieu rural a par ailleurs été
d’ores et déjà décrite (Rothenburger et Champollion, 2013).
Des enjeux éducatifs particuliers sont également à noter,
relatifs à un certain éloignement des grands centres culturels et
économiques ainsi qu’à la dispersion des publics, pour
lesquels le recours aux TIC représente une orientation majeure. Ce
terrain a ainsi fait l’objet en France d’un plan
d’équipement national « Ecoles Numériques
Rurales » en 2009, qui a doté 6700 établissements
(tableaux numériques interactifs et classes mobiles). Les
équipements restent cependant insuffisants dans un grand nombre
d’écoles et les pratiques numériques des enseignants
demeurent fortement hétérogènes, en fonction de
différents facteurs, formation initiale ou expérience personnelle
notamment (Béziat et Villemonteix, 2012).
Malgré une érosion des effectifs, les écoles rurales
constituent encore une part très importante du paysage éducatif
français. Ce contexte est donc à la fois singulier et commun
à l’échelle nationale. A ce titre, les questions qu’il
suscite, quant aux politiques publiques et quant aux pratiques professionnelles
avec les TIC, sont d’envergure. Des recherches sont ainsi toujours
nécessaires pour rendre compte de cette diversité et concevoir des
outils susceptibles de décrire ces pratiques dans toute leur
complexité.
Les usages numériques domestiques des enseignants participent de cette
complexité. En effet, les enseignants correspondent aux catégories
de population pour lesquelles les usages numériques sont quantitativement
importants et qualitativement diversifiés (Brice et al., 2015), (IPSOS, 2011). Ces
pratiques ne se perçoivent pourtant que difficilement dans les usages
scolaires. L’enquête nationale Profetic décrit ainsi des
enseignants équipés et pratiquants, convaincus de
l’intérêt potentiel des TIC pour l’enseignement, dont
les usages professionnels restent timides. A ce titre l’enquête
Profetic 2015, nouvellement élargie aux enseignants du premier
degré, est parlante. Elle montre que (MEN, 2015, p. 7-9) :
- Les séquences d'activités avec manipulation sont
pratiquées (avec régularité) par moins d'1/4 des
répondants ;
- L'utilisation du numérique en vue de personnaliser
l'apprentissage est répandue chez ± 3 répondants sur
10 ;
- Les répondants souhaitent prioritairement franchir deux
caps [que sont] le travail individualisé en autonomie [et] la
manipulation de matériel par les élèves ;
- Près de 4 enseignants sur 10 (39 %) exploitent le
numérique exclusivement en dehors de la classe.
Parmi les facteurs limitants déclarés, si les
déficiences en matière d’équipement ou de maintenance
(« équipement informatique obsolète, défectueux
ou inadapté », « débit réseau ou
internet insuffisant », « absence d'un dispositif efficace
de maintenance ») arrivent en premier lieu, la question de la
formation (« une formation inexistante ou insuffisante à
l'utilisation pédagogique ») arrive très vite, sachant
que les déclarations pointent en grande majorité l'auto-formation
au numérique, pour 90 % des répondants (MEN, 2015, p. 14).
En effet, au-delà des prescriptions, l’investissement des
technologies à des fins pédagogiques implique pour
l’enseignant de concevoir des objectifs et des modalités
d’usage spécifiques, qui font sens eu égard aux exigences
disciplinaires et à sa posture d’enseignant (Baron et Bruillard, 2004).
La question de la formation des enseignants recoupe celle des politiques
publiques en matière de numérique pour l’éducation.
Mais d’un point de vue conceptuel tout autant
qu’opérationnel, cette formation est d’autant plus
délicate à mettre en œuvre qu’elle doit tenir compte de
la diversité des publics et des équipements, assurer une formation
de base à la manipulation des technologies tout en visant
« l’intégration » du numérique dans les
pratiques enseignantes et dans les processus d’apprentissage proprement
dits. Tout dispositif de formation doit de plus engager l’enseignant qui
seul peut décider de l’usage ou non des TIC dans sa classe (Béziat, 2012).
3. Cadre théorique
Au vu des enjeux ci-dessus exposés, la
formation des enseignants de l’école rurale à la
« pédagogie numérique » représente un
défi majeur. Certains ressorts de l’appropriation ont
été mis à jour, relatifs à la posture enseignante et
ancrés dans les stratégies pédagogiques aussi bien que dans
les valeurs accordées par l’enseignant à sa mission (Peraya et al., 2002).
Il s’agit en effet de passer des dispositifs technologiques vus comme des
moyens « auxiliaires » au statut de « technologies
intellectuelles » (ibid.), de rompre avec l’opposition
entre « anciennes » et « nouvelles »
technologies pour intégrer « le » numérique
dans le paysage des supports de mémoire et de connaissance faisant partie
intégrante de l’activité humaine et du rapport au savoir (Jeanneret, 2000).
Les processus d'appropriation des technologies par les enseignants ont ainsi
été décrits par de multiples modèles
théoriques, qui tous se rejoignent sur la prise en compte de nombreux
facteurs contextuels et la juxtaposition de paliers progressifs, depuis la
simple utilisation jusqu’à la transformation de l’action
pédagogique (Depover et Strebelle, 1997), (Mishra et Koehler, 2008), (Puentedura, 2014).
Dans l’article précédemment cité, Peraya, Viens et
Karsenti nous précisent des pistes concrètes pour
l’élaboration d’actions de formation, en premier lieu :
« [...] il s’agit, non pas d’utiliser les technologies,
mais de les intégrer ; dans cette perspective, le
développement d’un scénario pédagogique constitue
sans doute un moyen à privilégier » (Peraya et al., 2002, p. 253).
Cette vision est soutenue et opérationnalisée par les travaux de
Poyet à partir de projets de recherche menés dans le cadre de
l’utilisation de la plateforme Spiral (Lyon 1) et du projet
européen Hy-sup (dispositifs hybrides : nouvelle perspective pour
une pédagogie de l’enseignement supérieur). L’auteure
évoque plusieurs leviers sur lesquels nous nous appuyons pour
élaborer notre dispositif d’accompagnement tel que décrit
plus bas (Poyet, 2015). En
premier lieu, elle souligne à son tour le rôle central d’un
processus de scénarisation pédagogique de nature
socio-constructiviste : « ce sont les activités de
scénarisation de l’enseignant par l’intermédiaire de
l’environnement techno-pédagogique qui permettent de faire la
différence entre des dispositifs qui sont utilisés essentiellement
pour leurs fonctions de mise à disposition de ressources
pédagogiques et ceux qui créent des conditions
d’apprentissage reposant sur le travail collaboratif et l’autonomie
des apprenants » (Poyet, 2015, p. 142).
A ce titre doivent être pris en compte l’activité et les
interactions humaines, les éléments permanents et/ou provisoires
du contexte, la dimension temporelle. Poyet et Régnier ont par ailleurs
montré que la participation des enseignants à des groupes de pairs
pouvait représenter un facteur de diffusion des usages numériques (Poyet et Régnier, 2013).
L’élaboration d’un scénario pédagogique
incluant le recours à une ou des technologies, et donc
l’éventuelle continuité entre pratiques professionnelles et
pratiques domestiques, s’inscrit dans des pratiques existantes,
relève d’un choix très personnel de l’enseignant et ne
peut lui être imposé de l’extérieur. A la
lumière des apports de la sociologie des usages, rappelons que
l'appropriation est un processus complexe, intégrant différentes
étapes depuis un « minimum de maîtrise technique et
cognitive », jusqu’à la « possibilité de
détournements, de contournements, de réinvention, de participation
directe » en passant par « l’intégration de
manière significative et créatrice à la vie
quotidienne » (Chambat, 1994).
C’est en ce sens que nous faisons principalement appel au terme
« accompagnement » plutôt qu’à celui de
« formation ». Dans un premier temps, le contexte du projet
ne s’apparente pas à proprement parler à une
« formation », au sens que peut accorder le ministère
de l’éducation à ce terme comme dispositif
d’apprentissage visant à l’exercice optimal du métier
et au développement continu des connaissances et compétences
professionnelles. Dans un deuxième temps, tout en gardant à
l’esprit ce contexte, nous accordons au terme
« accompagnement » la définition qu’en donne
Cros quand elle parle de « processus d’émergence de ces
[ses] compétences aux yeux mêmes de l’acteur pour qu’il
puisse par la suite, non seulement, en prendre conscience mais les mobiliser et
les développer » (Cros, 2009, p. 47).
Ainsi la question essentielle n’est pas tant d’intégrer ou
non les technologies dans la pratique quotidienne de tel ou tel enseignant que
de comprendre comment et pourquoi elles peuvent être utilisées,
dans un contexte précis et multidimensionnel, et d’expliciter le
sens qu’accorde l’enseignant lui-même à cette
utilisation, au risque de descriptions peu généralisables.
La nature et les objectifs des politiques publiques, ici locales, font partie
intégrante des multiples dimensions qui caractérisent un contexte
d’usage ou de non usage. Ces éléments doivent être mis
en perspective avec ce qui se passe, du point de vue de l’enseignant et de
ses élèves, lorsqu’une technologie informatisée est
convoquée au service de l’action pédagogique ou en est
constitutive. A ce titre, notre matériel méthodologique, à
savoir grille d’observation et guides d’entretien, ainsi que
l’analyse des données recueillies, s’inscrit dans un cadre
théorique précis qui est celui des registres de la
médiation instrumentale, tels que définis par Peraya (Peraya, 2008) et
enrichis des 5 catégories d’interactions culturelles
identifiées par Cerisier (Cerisier, 2016).
L’approche de l’instrumentation de la communication humaine
proposée par Daniel Peraya se situe dans une définition de
l’objet technique comme « outil cognitif »
inhérent à l’action de l’homme sur son environnement
extérieur et social. Il prolonge en cela les travaux de Rabardel
concernant les processus de genèse instrumentale, à savoir la
transformation de l’artefact en instrument par l’utilisateur dans le
cadre de son activité, en fonction des valeurs fonctionnelles et
subjectives que l’artefact peut prendre au sein même de cette
activité (Rabardel, 1995).
Peraya souligne le fait que l’instrument contribue à
déterminer et modeler les actions et les contenus qu’il
médiatise. Dans cette perspective, il délimite 5 registres de la
médiation technologique, c’est-à-dire 5 catégories
d’effet des formes de médiatisation sur les comportements humains
(registres sémiocognitif, sensorimoteur, praxéologique,
relationnel et réflexif). En s’appuyant sur ces registres de la
médiation instrumentale et en les couplant aux 6 dimensions descriptives
de la culture selon Certeau (Certeau, 1980),
Cerisier spécifie pour sa part les interactions entre culture et
médiation instrumentale selon les catégories suivantes (Cerisier, 2016) :
- Rapport de l’individu à l’information et aux
connaissances (interactions conceptuelles) ;
- Rapport de l’individu à l’espace et au temps
(interactions spatiotemporelles) ;
- Rapport de l’individu à autrui (interactions
relationnelles) ;
- Rapport de l’individu aux normes sociales (interactions
sociales) ;
- Rapport de l’individu à la création
(interactions poïétiques).
Ce sont ces catégories qui nous ont été utiles pour la
conception de notre matériel d’observation (grille
d’observation et guides d’entretien) et d’analyse.
4. Précisions méthodologiques
Le protocole méthodologique imaginé et
mis en œuvre, pour correspondre à la situation et être
susceptible d’apporter des éléments de réponse
à nos deux questions de recherche, s’articule autour d’une
réflexion sur le dispositif d’accompagnement des enseignants,
d’une part, et d’une réflexion sur les modalités
d’analyse des situations, d’autre part. 13 enseignants se sont
engagés dans le projet : 9 femmes et 4 hommes, dont 3
exerçant des fonctions de directeur d’école, enseignant dans
6 classes de cours moyens, 5 classes de cours élémentaire et 2
classes de cours préparatoire. Leur implication a consisté
à participer à un entretien préliminaire, à deux
séances de travail en présentiel (2 fois 3 heures), à un
suivi à distance de l’activité de conception
pédagogique et de mise en œuvre en classe (entretiens
téléphoniques et journaux de bord). 4 de ces enseignants ont
accueilli les chercheurs dans leur classe pour une étude de cas
(observation critériée et captation, entretiens avec les
différents types d’acteurs). A l’issue du projet, des
scénarios très divers ont été
élaborés, tels que : fêter les 100 jours de
l'école, créer et animer un jardin, documenter et exploiter des
classes découverte à la mer et à la montagne, créer
un trombinoscope de l'école, concevoir une série
d’exposés interactifs sur les 7 merveilles du monde, documenter la
visite du musée de la Résistance ainsi que le témoignage
d’une déportée, créer une bande dessinée
à partir des fables de La Fontaine.
4.1. Cadrer et stimuler la scénarisation pédagogique :
les activités iTEC
Pour ce qui concerne le dispositif d’accompagnement, nous avons fait le
choix de proposer aux enseignants de réfléchir chacun à un
scénario pédagogique intégrant les modalités
concrètes et les objectifs précis d'utilisation en classe des
technologies à disposition ou à venir. Afin de proposer un cadre
de nature heuristique pour cette scénarisation pédagogique, nous
nous sommes appuyés sur les résultats du projet européen de
recherche-action, iTEC (innovative Technologies for an Engaging
Classroom). Mené de 2010 à 2014, iTEC a permis de formaliser
un ensemble d’activités pédagogiques, adaptables à
chaque contexte ou niveau d’enseignement, visant à structurer le
scénario pédagogique imaginé par l’enseignant (McNicol et Lewin, 2013), (Aillerie, 2015).
La pensée créatrice (design thinking) et
l’action de l’élève sont au principe de ces
activités (Brown, 2008), (Cassim, 2013) :
« Rêver », « Explorer »,
« Cartographier »,
« Réfléchir », « Faire »,
« Poser des questions », « Montrer »,
« Collaborer ». Elles peuvent être mises en œuvre
de façon linéaire ou placées chacune à
différents moments du scénario, notamment les activités
« Collaborer » et
« Réfléchir ». La figure 1 reprend la
présentation visuelle de ces activités, telle
qu’élaborée dans le cadre du pojet iTEC.
Figure 1 • Les activités
iTEC
Les activités iTEC nous ont paru judicieuses, car partant
précisément de l’activité de
l’élève et sollicitant l’outil technique en fonction
d’objectifs pédagogiques explicités. Les travaux de Poyet
cités plus haut nous permettent de dégager les ambitions de ce
dispositif d’accompagnement (Poyet, 2015, p. 134) :
- Entrer par la scénarisation pédagogique,
« travailler les activités et ce qu’en permettent les
instruments » ;
- Placer l’enseignant en situation
d’apprenant ;
- Encourager la réflexion collective ;
- Susciter la réflexion de l’enseignant sur ses
pratiques, ses représentations ;
- Prendre en compte la situation, les parcours personnels ;
- Susciter un sentiment d’auto-efficacité.
Les enseignants concernés ont donc imaginé des scénarios
pédagogiques sur la base de ces activités lors de deux
séances de conception participative de 3 heures chacune. A l’issue
de ces deux séances, un suivi à distance a été
aménagé, pour la finalisation du scénario et pour
documenter sa mise en œuvre.
4.2. Etudes de cas
Afin de cerner la mise en œuvre de ces scénarios par les acteurs,
enseignants et élèves, nous avons procédé à 4
études de cas dans 4 écoles différentes.
L’étude de cas est une méthode de recherche qualitative, ne
répondant pas à des objectifs de représentativité,
mais visant le recueil d’un ensemble de données empiriques (Bichindaritz, 1995) sur une situation constituée comme unité d’analyse.
L’objectif fondamental de l’étude de cas, de par son origine
clinique, vise à approfondir des cas individuels, rapportés
à des situations particulières. La dimension écologique de
l’étude de cas, au sens de la prise en compte de
l’environnement réel dans lequel le(s) sujet(s) évolue(nt)
et mène(nt) l’activité étudiée, est cruciale.
Les études de cas ici menées incluent l’observation
d’une situation ainsi que des entretiens semi-directifs avec les acteurs.
Ici, la situation renvoie à une séance pédagogique.
Concrètement, 4 séances en classe ont été
observées dans 4 classes et inscrites dans les scénarios
pédagogiques suivants : concevoir une série
d’exposés interactifs sur les 7 merveilles du monde (CM1/CM2),
documenter la visite du musée de la Résistance ainsi que le
témoignage d’une déportée (CE2, CM1-CM2),
créer une bande dessinée à partir des Fables de La fontaine
(CM1, CM1/CM2).
Le matériel de recueil était constitué d’une
grille d’observation de la séance, d’un enregistrement, de
notes libres et de photos. Basés sur deux guides d’entretien
préalables, les entretiens semi-directifs individuels avec chacun des 4
enseignants et collectifs avec un petit groupe d’élèves par
classe (3 à 5 élèves) ont été
enregistrés puis retranscrits avant d’être analysés.
Au total, pour ce qui concerne les études de cas, 4 enseignants (1 homme,
3 femmes) et 15 élèves du CE2 au CM2 ont été ainsi
interrogés.
5. La réception du dispositif d’accompagnement
De manière générale, les
participants n’ont initialement pas exprimé d’attentes
préalables fortes à l’égard du dispositif
d’accompagnement. Ils exposent des besoins de formation technique mais
déclarent également souhaiter
« dépasser » leurs pratiques habituelles pour
réfléchir à la place des technologies, au quotidien, dans
leur classe : « Moi, mon objectif, c’est de pouvoir faire
vraiment entrer le numérique dans ma pratique pédagogique de tous
les jours. Faire en sorte que ce soit quelque chose de naturel, et pas LA
séance dans l’année, où, ô gloire, on va se
servir de l’ordinateur ! »
A l’issue de sa mise en œuvre, les apports du dispositif
d’accompagnement se situent en premier lieu autour de la découverte
d’outils numériques directement utilisables en classe (par ex.,
Padlet, Vikidia, Qwant junior), palliant le manque de temps des enseignants pour
effectuer ce type de veille. La participation au projet a fonctionné
à ce titre comme un élément déclencheur, d’une
part, pour utiliser le matériel existant ou tester le matériel
récemment arrivé et, d’autre part, pour se poser la question
de la pertinence pédagogique d’une technologie par rapport à
une autre dans une situation d’apprentissage donnée :
« Moi, ça m’a motivée, en tout cas, pour m’y
mettre. Parce que, finalement, j’avais le matériel, mais là,
j’ai commencé, voilà, à plus mettre le nez dedans,
à entrer dedans. »
Un autre aspect positif du dispositif d’accompagnement tel qu’il
a été perçu par les participants est relatif à sa
dimension collective, aux échanges entre collègues.
Adapter les ressources et les outils existants en fonction des objectifs des
enseignants et au sein d’un scénario structuré sur le long
terme constituait l’un des objectifs initiaux du dispositif
d’accompagnement. Cette perspective doit cependant tenir compte des
contraintes parfois très fortes dans les écoles et qui orientent
certains choix : l’équipement à disposition, le partage
de ce matériel entre les classes, les contraintes de maintenance ou
techniques telles que la connectivité faible ou aléatoire.
C’est ici une limite imposée à la dimension créative
revendiquée par notre dispositif.
L’implication des élèves est centrale dans les
activités iTEC et elle est effectivement identifiée comme un
objectif pédagogique notable par les participants : « Et
puis surtout, là, ce qui est pour moi, entre guillemets,
révolutionnaire, c’est la possibilité pour les
élèves de participer. C’est-à-dire qu’avant, un
site, c’était juste fait pour regarder ce qu’on avait fait et
ça s’arrêtait là. Tandis que là, ils peuvent
participer. » La marge de décision accordée aux
élèves renvoie au sentiment d’efficacité ou de
maîtrise des objets techniques par l’enseignant lui-même. Par
ailleurs, la formalisation d’un scénario, telle
qu’envisagée par le dispositif d’accompagnement, oblige les
enseignants à expliciter les compétences qu’impliquent les
activités qu’ils envisagent. Le constat est unanime quant à
l’hétérogénéité des
élèves en termes de compétences numériques et
d’autonomie, ce qui constitue une contrainte capitale quant aux objectifs
fixés par l’enseignant, susceptible de freiner la participation
effective des élèves.
La formalisation d’un scénario pédagogique à
partir des activités iTEC constituait un attendu important du dispositif
qui n’a pas été pleinement atteint. Ce travail de
formalisation, jugé chronophage et parfois inutile, ne fait pas partie
des pratiques quotidiennes de tous ces enseignants. Certaines des personnes
interrogées insistent pourtant sur une nécessaire
mémorisation/capitalisation de l’expérience :
« Et ça me sert de guide à moi pour synthétiser
le projet, parce qu’on oublie souvent des choses, en
fait » ; « C’est toutes les fois où...
finalement, quand on fait ça, il y a énormément de
ramifications auxquelles on ne pense pas et ce carnet c’est tout ce qui va
me permettre à la fin de me dire “Ah ben, tiens, à tel
moment, oui, j’ai raccroché dans telle matière, sur le
projet...” et ça fait finalement une
arborescence... »
6. Interactions conceptuelles
6.1. Les compétences et usages numériques des
élèves
Les situations pédagogiques observées
sont très diverses, en particulier quant à la fréquence du
recours à l’outil numérique, utilisé tous les jours
ou « sorti » à l’occasion d’une
activité ponctuelle. Cela dit, au vu des données analysées,
les activités que les élèves mènent au moyen des TIC
à disposition se recoupent essentiellement autour de la production
écrite, de la recherche documentaire, d’exercices de
mathématiques et de l’alimentation du site internet de
l’école. Ces activités se rapportent à des
activités scolaires classiques et à des compétences
académiques préexistantes au déploiement des technologies
dans les classes.
L’activité de recherche d’information est ainsi
systématiquement évoquée par les participants, enseignants
et élèves. Il s’agit pour ces derniers de collecter des
informations sur Internet (images et textes) qui viendront nourrir une
leçon (par ex., répondre à un questionnaire) ou une
production finale (par ex., exposé, billet sur le site de
l’école). L’activité de recherche
d’informations, si elle est envisagée comme une activité
scolaire classique, mobilise toutefois des compétences exigeantes qui
recoupent celles traditionnellement listées par les
référentiels de maîtrise de l’information (AASL, 2007), (FADBEN, 1997).
Dans les difficultés dont ils font part, enseignants et
élèves font référence aux mêmes domaines de
compétences : évaluer la pertinence des informations, les
trier, juger de la fiabilité des sources, traiter l’information.
Ainsi cette activité fait l’objet de stratégies de
pré-sélection de sources par l’enseignant, ensuite mises
à la disposition des élèves qui devront effectuer leurs
recherches dans cet environnement dédié, via le site de
l’école ou le portail de l’académie par exemple. Dans
ce cas, l’aspect identification/validation des sources est minimisé
au profit du traitement de l’information. Ce peut être aussi
l’étape de sélection de l’information qui se trouve
balisée, au moyen d’un questionnaire préétabli par
l’enseignant et que l’élève devra suivre pour orienter
sa recherche et son travail de restitution. Quant à cette activité
courante, les enseignants émettent donc un fort besoin de baliser la
démarche de l’élève. Aucun des enseignants
interrogés ne considère que les élèves puissent agir
en totale autonomie. Une dimension supplémentaire vient s’ajouter
à ces exigences, liée à la gestion des systèmes
d’information (par ex., gestion des dossiers de stockage ou de partage sur
le serveur de l’établissement). L’élève doit
alors organiser et gérer son environnement informationnel et de travail
dans sa dimension individuelle mais aussi collective dans le cas d’un
travail à plusieurs.
S’il est admis que les technologies numériques ont
considérablement augmenté le nombre d’informations à
disposition du public, la question de la possibilité cognitive d’en
tirer bénéfice reste très prégnante (Brotcorne et al., 2010).
Ainsi, dans le discours des enseignants interrogés, la question du
rapport à l’information et au savoir est rapidement abordée
en termes de compétences ou de capacités. Or, il paraît
difficile pour ces enseignants d’estimer le réel niveau de maitrise
des TIC par les élèves, au-delà du constat d’une
grande hétérogénéité des compétences
et des contextes d’acquisition : « ils se
débrouillent », « mais, ça [un logiciel de
carte heuristique], eux, ils ne l’utiliseront peut-être pas
forcément, parce que je ne sais pas si c’est vraiment utilisable
par les gamins facilement, ça, je n’en sais rien... ». La
représentation des enfants « natifs du
numérique » demeure paradoxalement très
présente : « Les gamins, tout ce qui est tablettes,
ordinateurs, ils connaissent. »
Les compétences numériques que les élèves doivent
acquérir sont essentiellement énoncées par les enseignants
interrogés en référence aux items du B2I. Ces
compétences sont dépendantes, dans les discours recueillis,
d’une compétence plus globale, un savoir-être qui est
l’autonomie, la capacité à utiliser tout seul les outils ou
à solliciter de l’aide. Ainsi, les enseignants interrogés
décrivent des séances pédagogiques avec le
numérique, conçues et menées en fonction du degré
d’autonomie qu’ils perçoivent chez les élèves.
Dans le même ordre d’idées, ils constituent les
équipes d’élèves, dans le cas de travaux de groupes,
en fonction de cette autonomie perçue, veillant à associer des
élèves perçus comme autonomes et d’autres
perçus comme l’étant moins. Avec la réactivité
ou l’état du matériel, c’est ici une des contraintes
essentielles des activités pédagogiques impliquant le
numérique.
Cette question des compétences, nous l’avons vu, ne concerne pas
uniquement les élèves. Les enseignants eux-mêmes affirment
avoir besoin au préalable d’acquérir des compétences
suffisantes pour aider les élèves : « Et donc, moi,
je vais utiliser des choses que je maîtrise. Et donc, après, je
pourrai aider les enfants quand ils sont en difficulté. »
6.2. Primauté des disciplines
Une certaine prévalence des savoirs disciplinaires, tant en termes
d’objectifs pédagogiques que de critères
d’évaluation, est à noter là où il est
rarement fait mention de l’objet technique comme objet
d’apprentissage. Les technologies viennent en appui, au service des
disciplines, tel que cela est énoncé dans les instructions
officielles (Béziat et Villemonteix, 2012),
ou parfois assimilées au jeu, à une forme de récompense
après l’effort que représente l’acquisition de savoirs
disciplinaires. L’utilisation des objets techniques par les
élèves dans certaines situations ou à certains moments de
l’activité peut être parfois considérée par
l’enseignant comme un obstacle à l’attention des
élèves et donc aux acquis disciplinaires. C’est en ce sens
que peut être fait le choix de ne pas laisser les élèves
manipuler par eux-mêmes les outils, au risque que leur attention ne
privilégie la seule dimension technique : « J’avais
mon appareil photo, moi, j’ai pris des photos, et... non, en fait, je
voulais qu’ils soient attentifs à ce qui se
disait » ; « [...] j’avais un dictaphone, que
j’ai mis en place pour pouvoir faire ma trace écrite aussi, puisque
j’écoutais mais je photographiais en même temps, donc...
Déjà, c’était difficile pour moi de tout faire, donc,
je me dis que pour les enfants, ça n’aurait pas été
possible, si je voulais qu’ils soient attentifs, surtout. »
6.3. Interactions spatiotemporelles
Les situations de collaboration/coopération, lorsque les
élèves sont amenés à utiliser un objet technique
(tablette ou ordinateur) à plusieurs, peuvent amener l’enseignant
à modifier les espaces physiques d’apprentissage (Brown, 2005). A
ce titre, il est notable de constater que les 4 études de cas rendent
compte de 3 dispositions spatiales différentes. Une enseignante
différencie ce temps de travail par projet des autres séances de
cours plus traditionnelles en demandant aux élèves de positionner
deux tables en face à face de façon à pouvoir travailler
par groupe de 4 élèves, en respectant un espace suffisant pour la
circulation entre les îlots. Dans une autre classe, les tables restaient
disposées en îlots en permanence et ce sont les
élèves qui se déplaçaient pour le temps de travail
collectif. Dans les deux salles de classes restantes, les élèves
travaillaient par deux sur les tables situées en rangées, sans
déplacement particulier.
L’utilisation d’un ordinateur ou d’une tablette à
plusieurs peut induire des postures différentes des élèves
(face à l’écran, sur le côté, derrière
l’écran). En fonction de la position physique et symbolique dans le
groupe, les élèves n’ont pas forcément les
mêmes informations (derrière l’écran par exemple) ou
le même rôle au sein du groupe (celui qui tape au clavier, par
exemple). En parallèle, ils doivent gérer la multiplicité
des supports de travail, par exemple un cahier de brouillon ou des feuilles
volantes, souvent positionnés à côté de
l’ordinateur, des fichiers de traitement de texte pour les questionnaires
ou les consignes, des ressources en ligne, voire un affichage au tableau blanc
interactif. Cette dimension est observée mais n’est pas
évoquée lors des entretiens.
Lorsque la séance implique des outils synchronisés en ligne ou
du matériel sans fil, les élèves peuvent prendre la main
sans se déplacer. Les enseignants formulent à ce sujet beaucoup de
remarques, évoquant les déplacements, qui prennent du temps et de
l’attention : ceux des élèves qui peuvent se trouver
fluidifiés par l’informatique et ceux de l’enseignant qui au
contraire, et en particulier dans le cas de travaux de groupes, peuvent se
multiplier : « Je dois toujours me déplacer de groupe en
groupe pour les re-guider... voilà, leur redonner des précisions,
sur ce qu’ils doivent écrire, ce qu’ils doivent
chercher. »
Dans cette gestion des groupes, dans la sollicitation de l’attention de
tous les élèves pour reformuler des consignes par exemple, on peut
noter une dimension physique et corporelle importante, dimension plutôt
décrite comme une contrainte et qui n’est sans doute pas
inhérente aux technologies informatisées en tant que telles. On
peut toutefois déceler là une situation paradoxale, entre les
facilités permises par l’informatique et des contraintes
matérielles très fortes, à la fois dans la manutention
physique des machines, à la place qu’elles occupent physiquement
dans la classe, et dans la circulation des personnes dans l’espace.
Du point de vue de la temporalité, les enseignants soulignent de
manière générale la nécessité de
délimiter un temps dédié à l’utilisation des
technologies, temps incluant la préparation (sortir les machines,
vérifier l’état des batteries, connecter les
périphériques, etc.). Mais ils émettent aussi le souhait
d’y recourir de manière plus constante, voire tout le temps, et de
façon transversale, dans toutes les matières. La phase
d’installation/désinstallation peut faire l’objet de
responsabilités partagées avec les élèves et
délimiter les temps d’apprentissage, de manière parfois
très structurée (la durée d’une chanson
diffusée sur l’ordinateur du professeur, par exemple).
Les activités impliquant une production à long terme par les
élèves peuvent entrainer un allongement des temps de travail
au-delà du temps de classe, ce que Rinaudo désigne par
« l’extension du domaine de l’action
pédagogique » (Rinaudo, 2013).
Les élèves continuent leur projet lors des
récréations ou à la maison, mais cette décision est
laissée à leur initiative. Dans le temps proprement imparti pour
la classe, ces activités peuvent bouleverser l’organisation et le
déroulé habituels des séances (par ex., mise en place
d’ateliers tournants en fonction des tâches ou des
équipements disponibles) et se poser potentiellement en concurrence avec
les apprentissages disciplinaires. Nous l’avons évoqué pour
ce qui concerne la logistique, mais les enseignants soulignent aussi le temps de
prise en main et le temps de gestion de
l’hétérogénéité constatée des
compétences des élèves : « Si on fait la
carte heuristique après tout ça, avec les enfants, c’est moi
qui vais le faire, parce que le temps qu’ils
maîtrisent... »
6.4. Interactions relationnelles
Les séances observées et les entretiens permettent de faire
état de nombreux temps de travail individuels avec les technologies ou
par binômes. Le travail en équipes n’est pas directement
lié à l’usage de technologies informatiques, mais demande
à l’enseignant des compétences en gestion des groupes et en
régulation des apprentissages individuels et collectifs. La
responsabilité revient à l’enseignant quant à
déterminer des groupes suffisamment hétérogènes en
termes de compétences ou de profils des élèves comme gage
de réussite de l’activité. A ce titre, l’enseignant
peut choisir d’attribuer des tâches à chaque membre des
groupes ou laisser les élèves se répartir librement le
travail. La gestion des travaux de groupes et la régulation des
dynamiques sont énoncées en termes de personnalités ou
d’attitudes, même si cela implique pour les élèves de
progresser en termes d’autonomie, d’organisation, de prise de
décision ou d’écoute par exemple : « Mais
justement, ça, ça fait partie des compétences à
acquérir, être capable de travailler en groupe et
d’écouter les autres, de prendre en compte ce qu’ils ont dit,
ce n’est pas facile pour tout le monde. »
6.5. Interactions sociales
La situation scolaire est associée au respect des normes sociales en
vigueur dans l’école en tant qu’institution, liée au
respect des statuts et des fonctions de chacun. L’usage des TIC en
général et d’internet en particulier, peut venir bousculer
le positionnement du maître devant ses élèves.
L’enseignant met ainsi en place des stratégies pour garder le
contrôle sur le déroulement de la classe (avoir la main, avoir les
codes, maîtriser les outils avant que les élèves ne soient
amenés à les utiliser, regarder ce qu’ils font,
contrôler les sources). Le rôle assuré ici par
l’enseignant relève en partie d’une dimension
éducative qui, dans le discours des élèves, rejoint celui
du parent : les garder d’un usage excessif ou irraisonné des
technologies, contrer leur penchant « naturel » à en
abuser. Les élèves sont en effet tout à fait conscients de
ce contrôle exercé par l’enseignant, qui dans l’exemple
ci-dessous consiste à maintenir les élèves
concentrés sur l’activité en cours. A ce titre, nous
retrouvons l’objet technique comme interférant potentiellement avec
les objectifs disciplinaires : « Oui, il [le maître] passe
derrière les tables et il regarde. Surtout pour voir si on ne va pas sur
d’autres sites. Par exemple, comme d’autres... Il y en a qui sont
allés sur des jeux. Minecraft. Oui. Qui regardent des
vidéos. Sur Youtube, ils regardent les vidéos. Au lieu
de... par exemple, de chercher des images sur Jean de la Fontaine, ils regardent
des voitures... »
Relativement au fait de travailler en groupes et à la gestion de
l’hétérogénéité des
élèves, le rôle du pair peut apparaître comme tout
à fait important et prolonger ou compléter l’action de
l’enseignant. Ainsi, la nécessité pour l’enseignant de
maintenir sa position s’accompagne de la volonté de faire
participer les élèves, de leur laisser une part
d’initiative, de prendre en compte ce qu’ils sont susceptibles
d’apporter à la classe, même si c’est en dernier lieu
lui qui valide. L’enseignant peut aussi considérer que le chemin
à parcourir en matière de numérique en classe est un
parcours effectué avec les élèves, l’objet
technologique obtenant ici le statut d’outil de travail commun :
« Et puis, [...] pouvoir facilement manier l’outil
numérique, que ça devienne assez... enfin, que ce ne soit pas
exceptionnel et que ça devienne un outil de travail aussi
[...] ».
6.6. Interactions poïétiques
Les activités iTEC visent à optimiser les tâches de
gestion de projet et de création assumées par les
élèves. Cette dimension est toujours liée, dans les
activités iTEC, à la valorisation des productions au sein de la
classe ou hors de l’école. Ce sont les productions finales
essentiellement qui ont été ici valorisées, même si
tout un cheminement (brouillon, mise au propre, validation, publication) se met
en place au cours de l’activité et qu’un certain nombre de
traces ou de productions intermédiaires sont collectées.
La participation des élèves est souvent décrite
relativement aux travaux de groupes. Sont aussi évoquées là
des compétences quant à la prise de décision, quant
à la répartition des tâches et à
l’organisation, dans leur dimension collective.
Les participants expriment le souci de multiplier les supports de
communication. Susciter la créativité des élèves,
par le biais d’exemples, constitue ainsi un objectif pédagogique
sous-jacent : « En fait, j’ai fait exprès de leur
montrer quelque chose où on a de tout, où on peut avoir du son, de
la vidéo, des images, pour essayer que ça leur vienne à
l’esprit. »
Et nous retrouvons pour ces enseignants la maîtrise préalable
nécessaire des outils de création (logiciels en ligne par exemple)
avant d’envisager concrètement la participation des
élèves et de leur déléguer des tâches
précises. Il y va du rôle de l’enseignant qui doit être
en mesure d’aider les élèves et de leur donner des
instructions claires, de pallier leurs difficultés ou
d’étayer leurs tâtonnements. Il y va également de la
qualité des productions finales, a fortiori lorsqu’elles
sont destinées à être
« montrées ». Ainsi, la participation réelle
des élèves et leur contribution effective dans
l’accomplissement de productions, depuis leur conception initiale
jusqu’au produit fini, le « faire faire aux
élèves », semble constituer un pallier réflexif
important pour ces enseignants et qui dépasse largement la simple
maitrise technique des outils : « [...] parce que je sais
utiliser Internet, mais après comment le faire utiliser dans le quotidien
par les enfants, là... voilà, c’est un peu plus... Faut y
penser, quoi ».
7. Conclusion
Les choix d’équipement des
écoles primaires dépendent de décisions extérieures
(communes ou communauté de communes) et auxquelles les enseignants ne
peuvent être associés que de façon marginale.
L’expérience de gestion publique ici décrite est à ce
titre singulière, car elle a permis la conception d’un dispositif
d’accompagnement, centré sur la scénarisation
pédagogique et les activités de production des
élèves, au-delà d’une liste de compétences
à acquérir ou de la simple utilisation des outils informatiques.
Ce dispositif révèle de forts besoins de formation technique
complémentaire, mais il permet bien de travailler l’inscription des
technologies numériques et des enjeux sociaux qu’elles posent au
cœur des objectifs d’enseignement.
Du point de vue des pratiques de classe, les spécificités de ce
dispositif (implication des élèves et formalisation notamment),
permettent d’éclairer des zones d’ombres telles que les
compétences et usages réels des élèves et les
dynamiques de groupes. Nous constatons ainsi que les scénarios
pédagogiques mis en place sont basés sur le profil scolaire des
élèves et ce qu’ils savent faire, ou plus exactement sur ce
que les enseignants imaginent que leurs élèves savent faire. Cette
représentation des capacités des élèves vient
enrichir les descriptions de la culture numérique enseignante en termes
de « savoirs flottants » (Béziat et Villemonteix, 2012),
c’est-à-dire de conceptions inexactes du fonctionnement des outils.
Le degré de compétence des élèves et la nature de
leurs usages quotidiens constituent dès lors une sorte de
« boite noire » qui, associée à une conscience
toute relative de ses propres capacités par l’enseignant,
gêne la mise en place des apprentissages et d’activités
d’autonomisation des élèves.
À
propos des auteurs
Karine Aillerie est chargée d’études
à la Direction de la recherche et du développement sur les usages
du numérique éducatif de Réseau Canopé (DRDUNE) et
chercheure associée au laboratoire TECHNÉ (EA 6316) de
l’université de Poitiers. Elle est docteur en sciences de
l’information et de la communication.
Adresse : Téléport 1
Bât. @4 BP 80158 - 86961 Futuroscope cedex France
Courriel : karine.aillerie@reseau-canope.fr
Toile : http://techne.labo.univ-poitiers.fr/non-classe/karine-aillerie/
Kadri Kaldmäe est chargée
d’études à la Direction de la recherche et du
développement sur les usages du numérique éducatif de
Réseau Canopé (DRDUNE). Elle est titulaire d’un double
master de Sciences du Langage et Sémiotique à
l’Université Lumière Lyon 2 et Université de Limoges.
Kadri Kaldmäe coordonne au sein de Réseau Canopé des
études d’usages portant sur des outils de préparation de
cours, de réseaux sociaux professionnels pour l’éducation et
de déploiement d’outils informatiques dans les écoles.
Adresse : Téléport 1
Bât. @4 BP 80158 - 86961 Futuroscope cedex France
Courriel : kadri.kaldmae@reseau-canope.fr
Jean-François Cerisier est professeur de sciences
de l’information et de la communication à l’université
de Poitiers dont il est vice-président et où il dirige le
laboratoire TECHNÉ (EA 6316). Après avoir travaillé sur
l’impact de certains services numériques sur les interactions entre
les différents acteurs d’un dispositif de formation (chats, forums,
portfolios numériques, environnements numériques de travail), il
mène actuellement des recherches sur les processus d’acculturation
numérique et sur le rôle des systèmes éducatifs dans
le développement de la culture numérique des jeunes.
Adresse : Laboratoire TECHNE - UFR
Lettres et Langues - Bâtiment A3
1 rue Raymond Cantel - TSA 11102 - 86073 POITIERS CEDEX 9
Courriel : cerisier@univ-poitiers.fr
Toile : http://techne.labo.univ-poitiers.fr/non-classe/jean-francois-cerisier/
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1 À l’issue de
l’appel d’offre, Réseau Canopé, opérateur
public de l’éducation nationale, a été retenu pour
concevoir et mettre en œuvre cet accompagnement ainsi que cette
étude. Ce travail a été mené en partenariat avec
l’équipe d’accueil Techne (6316) de l’université
de Poitiers.
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