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Effet des antécédents émotionnels de
contrôle et de valeur sur la résolution de problème dans un
jeu vidéo collaboratif
Sunny AVRY (Université de Genève & UniDistance), Guillaume
CHANEL (Université de Genève), Mireille BETRANCOURT
(Université de Genève), Thierry PUN (Université de
Genève), Gaëlle MOLINARI (Université de Genève &
UniDistance)
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RÉSUMÉ : Des
feedbacks biaisés de contrôle et de valeur ont été
utilisés pour influencer l’évaluation émotionnelle
pendant un jeu collaboratif de résolution de problème. Nous avons
étudié comment ces feedbacks ont modulé
l’intensité des émotions ressenties ainsi que les relations
entre les émotions, la collaboration perçue et la performance du
groupe. Les résultats montrent des patterns de corrélations entre
émotions, processus socio-cognitifs et performance différents en
fonction des perceptions de contrôle et de valeur.
MOTS CLÉS : Jeu
vidéo collaboratif de résolution de problème,
contrôle et valeur perçus, émotions, processus
socio-cognitifs. |
Influence of perceived control and value on collaborative problem solving in a video game: effects on emotions and their relationship with collaborative processes and performance |
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ABSTRACT : Biased
feedbacks of control and value were used to influence the emotional appraisal
during a collaborative problem-solving game. We investigated how these feedbacks
modulate the intensity of experienced emotions as well as the relations between
emotions, perceived collaboration and group performance. Different correlational
patterns between emotions, socio-cognitive processes and performance occurred
depending on the perceived control and value.
KEYWORDS : Collaborative
problem-solving game, perceived control and value, emotions, socio-cognitive
processes. |
1. Introduction
La collaboration se
définit comme l’interaction dynamique de plusieurs espaces :
intra- et interpersonnel, cognitif et relationnel (Andriessen et al., 2011), (Barron, 2003).
La qualité de la collaboration dépend de la mise en œuvre au
cours de la tâche de certains processus de type socio-cognitif comme ceux
grâce auxquels les membres d’un groupe construisent un terrain
commun de connaissances, demandent et/ou apportent des explications,
construisent sur les contributions de leur(s) partenaire(s) (Berkowitz et Gibbs, 1983) et co-construisent de nouvelles connaissances (Dillenbourg et al., 1996).
Par ailleurs, des facteurs socio-émotionnels modulant la qualité
de la relation interpersonnelle interviennent également dans la
performance de groupe (Barron, 2003), (Dillenbourg et al., 1996), (Quintin et Masperi, 2010).
En dépit du rôle non négligeable des aspects
émotionnels dans la réussite de la collaboration, la relation
entre les émotions et les processus socio-cognitifs reste encore peu
explorée. La présente recherche propose d’étudier ces
relations dans une situation de résolution collaborative de
problème dans le jeu vidéo Portal 2®. Deux objectifs sont
associés à cette recherche. D’une part, il s’agit
d’étudier comment l’évaluation subjective de
l’activité collaborative influence les émotions ressenties.
D’autre part, il s’agit d’explorer comment ces émotions
sont liées aux processus socio-cognitifs et à la performance du
groupe. A cette fin, deux types de feedbacks biaisés concernant (1) le
niveau de maîtrise du jeu et (2) la récompense pouvant être
obtenue à l’issue du jeu ont été utilisés pour
influencer l'évaluation de la collaboration et les émotions
ressenties (Pekrun, 2006).
1.1. Émotions dans l’apprentissage individuel et
collaboratif
Dans les théories
cognitives actuelles (Scherer, 1999),
les émotions sont décrites comme le résultat de
l’évaluation cognitive (appraisal) qu’un individu fait
à propos d’un événement. Cette évaluation se
base sur plusieurs critères comme le fait que cet événement
soit nouveau, agréable ou désagréable, pertinent au regard
des buts et besoins de l’individu, ou de sa capacité à
gérer les conséquences de cet événement. Les
relations entre les émotions, la cognition et la motivation dans les
situations d’apprentissage individuel ont été largement
documentées – voir p. ex. (Pekrun, 2014).
La littérature montre ainsi que les émotions influencent les
ressources attentionnelles, l’effort, l’engagement, les
stratégies d’apprentissage et les performances académiques.
Pourtant, les apprenants n’ont que peu conscience des effets de leurs
émotions (Pekrun et Linnenbrick-Garcia, 2012).
Plusieurs catégories d’émotions académiques sont
distinguées comme les émotions épistémiques, les
émotions sociales, les émotions liées au thème
d’apprentissage et les émotions d’accomplissement sur
lesquelles se focalise la présente étude. Ces dernières
sont générées par l’activité elle-même
ou par le résultat de cette activité, et sont classées
selon deux axes, la valence et le niveau d’activation. Ainsi, elles
peuvent être positives et activantes (par ex. plaisir), positives et
désactivantes (p. ex. relaxation), négatives et activantes (p.ex.
frustration), ou négatives et désactivantes (p. ex. ennui) (Pekrun et Linnenbrick-Garcia, 2012).
La théorie Contrôle-Valeur (Pekrun, 2006) postule que ces émotions d’accomplissement sont le produit de
l’évaluation par l’apprenant de l’activité et de
son résultat selon deux critères subjectifs principaux, le
contrôle et la valeur. Le contrôle renvoie à la perception
que l’apprenant a de sa capacité à produire les actions
nécessaires à la réalisation adéquate de la
tâche. La valeur que l’apprenant accorde à
l’activité (ou à son résultat) peut être
intrinsèque (l’intérêt qu’il porte au contenu de
la tâche) ou extrinsèque (le lien qu’il perçoit entre
cette tâche et les buts qu’il poursuit). La théorie
Contrôle-Valeur postule que l’évaluation de
l’activité d’apprentissage (en termes de contrôle et de
valeur) détermine les émotions d’accomplissement ressenties
pendant cette activité. Par exemple, si la tâche est
évaluée comme intéressante et utile (valeur subjective
positive) mais trop difficile (contrôle subjectif négatif), une
émotion négative et désactivante comme le désespoir
pourra être ressentie.
À ce jour, les connaissances sur les effets cognitifs, motivationnels
et sociaux des émotions en contexte d’apprentissage – et en
l’occurrence d’apprentissage médiatisé par ordinateur
– nécessitent d’être approfondies. Les émotions
pourraient influencer à la fois les stratégies cognitives
(facilitant la résolution de problème) et
d’autorégulation (Pekrun, 2014).
Par exemple, les émotions positives telles que la curiosité ou le
plaisir favoriseraient la créativité et l’utilisation de
stratégies d’apprentissage flexibles (Fredrickson et Branigan, 2005), (Pekrun, 2006).
En revanche, les émotions négatives conduiraient à
l’utilisation de stratégies plus rigides et centrées sur les
détails, et induiraient un traitement plus superficiel de
l’information (Pekrun et Linnenbrick-Garcia, 2012).
L’effet des émotions ne peut pas être
considéré que sur le plan individuel. Les émotions sont
également sociales dans le sens où elles peuvent être
générées par autrui, exprimées pour autrui et
régulées pour influencer autrui (Van Kleef et al., 2016).
La dynamique interpersonnelle ainsi que les décisions prises au sein du
groupe entretiennent donc un lien étroit avec les émotions
ressenties. Dans les situations d’interactions sociales, les
émotions positives comme la joie augmentent les comportements
d’approche et promeuvent l’affiliation, l’engagement, la
confiance interpersonnelle, la cohésion de groupe ou encore la
coopération (Van Kleef et al., 2010).
C’est également le cas de certaines émotions
négatives comme la tristesse dont une des fonctions est de signaler un
besoin d’aide. En revanche, d’autres émotions
négatives comme la colère peuvent être
interprétées comme de la dominance ou un manque
d’affiliation, ce qui peut provoquer des comportements
d’évitement, réduire la coopération et péjorer
la performance de groupe (Van Kleef et al., 2010).
Quintin et Masperi (Quintin et Masperi, 2010) montrent que la qualité du climat interpersonnel explique une part
substantielle de la qualité des productions communes. Barron (Barron, 2003) montre également que les variables cognitives liées à la
résolution de la tâche (p. ex. les connaissances préalables)
échouent à expliquer les différences de performance entre
groupes d’apprenants. L’auteure pointe le fait que certains types
d’interactions associés à un défaut d’attention
conjointe, de la compétition et des violations de tours de parole rendent
les groupes moins performants. Andriessen et al. (2011) ont
formalisé cette idée, et proposent que l’apprentissage
collaboratif implique deux processus d’ajustement interreliés,
l’un socio-cognitif dédié à la divergence et la
convergence des idées, l’autre socio-relationnel
dédié au maintien d’une bonne relation de travail. Dans
cette approche, l’expérience d’apprentissage collaboratif est
vue comme un cycle de tension et de relaxation, tant sur le plan cognitif que
sur le plan relationnel. Les tensions peuvent survenir en cas de conflit
socio-cognitif et/ou d'actes relationnels négatifs (p.ex.
compétition, actes menaçants pour l’estime de soi).
Järvenoja et Järvelä (Järvenoja et Järvelä, 2009) soulignent la nécessité pour les apprenants de réguler
mutuellement ces tensions car elles peuvent générer des
émotions négatives pouvant être préjudiciables
à la collaboration. Il y a relaxation lorsque le conflit socio-cognitif
est dépassé, et également par le biais d'actes relationnels
positifs comme l'humour et le rire qui vont détendre l'atmosphère.
Les phases de relaxation sont généralement associées
à des émotions positives comme le plaisir et le soulagement.
1.2. Problématique
Cette étude vise à approfondir la question du rôle des
émotions dans la résolution collaborative de problème.
L’étude psychologique des émotions dans ce contexte est une
étape primordiale dans la conception d’environnements capables de
prendre en compte l’interaction entre les dimensions cognitives et
émotionnelles de l’apprentissage collaboratif.
L’étude se focalise ici sur les différentes
émotions d’accomplissement (positives activantes et
désactivantes, négatives activantes et désactivantes) qui
émergent consécutivement à l’évaluation
subjective de l’activité collaborative (Pekrun, 2006).
Dans cette étude, les participants travaillaient en dyades et à
distance à la résolution d’une série de puzzles en 3D
de la version collaborative du jeu de réflexion Portal 2®.
L’originalité de cette étude repose sur la manipulation de
la perception de contrôle et de valeur qui interviennent dans
l'évaluation de l'activité et de son résultat et par
là-même dans le déclenchement d’émotions
d’accomplissement. Cette manipulation a été
réalisée en donnant deux types de feedbacks biaisés tout au
long du jeu : un feedback de contrôle qui informait la dyade de son
niveau de maîtrise sur la tâche (contrôle haut versus bas) et
un feedback de valeur extrinsèque qui l’informait – via un
classement – de la récompense qu’elle devait s’attendre
à recevoir en fin de partie, étant donné sa performance
actuelle (valeur haute versus basse).
L’étude s’axe autour de trois questions de recherche
principales. La première concerne l’effet des feedbacks
biaisés de contrôle et de valeur sur les émotions
ressenties. (Q1) : dans quelle mesure les feedbacks biaisés
influencent-ils l’intensité des émotions ressenties ? La
deuxième question concerne le lien entre l’intensité
rapportée de ces émotions et la perception de la collaboration au
sein du groupe. (Q2) : dans quelle mesure les émotions
corrèlent-elles à la fréquence avec laquelle les
participants perçoivent mettre en jeu différents comportements
socio-cognitifs ? Enfin, la troisième question interroge le lien
entre les émotions ressenties et la performance réelle du groupe.
(Q3) : dans quelle mesure les différentes émotions ressenties
corrèlent-elles à la performance réelle du groupe ?
Trois hypothèses théoriques découlent de ces
questions.
H1 : les feedbacks biaisés de contrôle et de valeur modulent
l’intensité des émotions d’accomplissement ressenties.
De manière générale, les feedbacks positifs (maîtrise
et/ou valeur haute) augmentent l’intensité des émotions
positives (H1.1) alors que les feedbacks négatifs (maîtrise et/ou
valeur basse) augmentent l’intensité des émotions
négatives (H1.2).
H2 : il existe une relation entre la qualité perçue de la
collaboration et les émotions ressenties. Plus les participants expriment
ressentir des émotions positives - et en l'occurrence des émotions
positives activantes (espoir, fierté, joie, plaisir, gratitude) - pendant
le jeu, plus ils rapportent mettre en œuvre des processus socio-cognitifs
associés à une collaboration efficace comme la mise en commun
d'informations ou la transactivité (construire sur les idées du
partenaire) (H2.1). En revanche, une relation négative est attendue entre
les émotions négatives - et en l'occurrence les émotions
négatives désactivantes (déception, désespoir,
ennui, tristesse) - et la mise en œuvre perçue de ces processus
socio-cognitifs (H2.2).
H3 : la performance du groupe est corrélée positivement
aux émotions positives tandis qu'elle est corrélée
négativement aux émotions négatives.
2. Méthode
2.1. Participants
Quatre-vingts participants, majoritairement
étudiants en informatique à l’Université de
Genève (18 femmes et 62 hommes ; M = 22.02 ans,
SD = 3.49 ans) regroupés en 40 dyades de même sexe ont
volontairement participé à cette
étude1. La plus faible
proportion de femmes reflète le déséquilibre
retrouvé dans la population utilisée. Les dyades étaient de
même sexe afin de contrôler les différences inter-sexe en
termes d’expressivité émotionnelle. Chaque dyade
était rémunérée 50 CHF. Les membres de chaque dyade
se connaissaient préalablement. Ils n’avaient jamais joué au
jeu vidéo proposé durant la tâche.
2.2. Design expérimental
Les dyades étaient assignées aléatoirement et en nombre
égal à l’un des 5 groupes, à savoir les 4 conditions
expérimentales et la condition contrôle. Dans les conditions
expérimentales, les participants de chaque dyade recevaient à
intervalles réguliers deux types de feedbacks biaisés, l’un
donnant une information, sous la forme d’un pourcentage, sur le niveau de
maîtrise actuel de leur dyade vis-à-vis de la résolution de
la tâche (feedback de contrôle), l’autre portant sur la
récompense estimée de leur dyade étant donné son
classement actuel parmi 14 dyades aléatoires supposées avoir
réalisé précédemment la tâche (feedback de
valeur). Ces deux types de feedback de groupe visaient à influencer le
contrôle perçu sur la tâche et la valeur extrinsèque
attribuée à la tâche. Selon la condition, les participants
recevaient un feedback biaisé de contrôle indiquant un niveau de
maîtrise de la tâche faible couplé à un feedback
biaisé de valeur indiquant une faible rémunération
(condition Contrôle bas/Valeur basse), un niveau de maîtrise faible
couplé à une rémunération élevée
(condition Contrôle bas/Valeur haute), un niveau de maîtrise
élevé couplé à une rémunération faible
(condition Contrôle haut/Valeur basse) et un niveau de maîtrise
élevé couplé à une rémunération
élevée (condition Contrôle haut/Valeur haute). Le niveau de
maîtrise indiqué aux participants variait de 10 à 20% pour
les conditions de contrôle faible et de 80 à 90% pour les
conditions de contrôle élevé. La rémunération
variait de 10 à 12 CHF pour les conditions de valeur faible, et de 46
à 50 CHF pour les conditions de valeur élevée. Dans la
condition contrôle, les participants ne recevaient aucun feedback. A
l’issue de l’expérience, il était
précisé que les feedbacks étaient biaisés et chaque
dyade recevait le montant maximal de 50 CHF.
2.3. Précautions méthodologiques
Afin de limiter le fait que le feedback biaisé de maîtrise
puisse apparaître en contradiction avec la propre impression de
maîtrise des participants, plusieurs précautions
méthodologiques ont été prises. Premièrement, les
participants étaient tous novices dans le jeu considéré. De
ce fait, ils ne possédaient pas de connaissances préalables leur
permettant de savoir objectivement s’ils maîtrisaient le jeu ou non.
Il leur était cependant indiqué qu’à l’issue de
la phase d’entraînement, ils possédaient à ce stade
toutes les compétences requises pour pouvoir résoudre la
tâche, afin qu’ils ne se considèrent pas automatiquement
comme mauvais du seul fait qu’ils soient novices. Deuxièmement, les
participants n’étaient pas informés de leur progression dans
la tâche afin de ne pas pouvoir déduire leur degré
d’avancement dans le jeu. Troisièmement, les participants ne
connaissaient pas les types d’actions prises en compte dans
l’évaluation par le système de leur niveau de
maîtrise. Ainsi, une progression jugée par les participants comme
lente n’était pas forcément considérée comme
un défaut de maîtrise. Elle pouvait par exemple signifier une
meilleure observation des indices environnants, ce qui pouvait être
considéré comme positif par le système d’analyse.
Ainsi les dyades les moins rapides pouvaient considérer qu’un
niveau de maîtrise affiché élevé et allant à
l’encontre de leur impression subjective était dû aux types
de critères pris en compte par le système. Enfin, les dyades ayant
un degré d’avancement très faible ou nul ont
été tout de même exclues. Ces différentes
précautions visaient à ce que le feedback de maîtrise soit
considéré par les participants comme crédible, quelle que
soit leur performance objective.
Concernant le feedback de valeur, il était indiqué aux
participants que d’autres participants avaient préalablement
réalisé la même tâche et que, considérant leur
niveau de maîtrise au moment de l’apparition des différents
feedbacks, le logiciel leur indiquait un classement provisoire parmi 14
anciennes dyades sélectionnées de façon aléatoire.
Il était également précisé que ces dyades
aléatoires restaient les mêmes pour chaque apparition du feedback
de valeur au cours du jeu. Ainsi, par exemple, un feedback de valeur
élevée donné conjointement à un feedback de
maîtrise faible signifiait que la majorité des dyades
sélectionnées aléatoirement maîtrisaient moins bien
le jeu que la dyade en question, même si son propre niveau de
maîtrise indiqué par le système était faible.
2.4. Matériel
2.4.1. Équipement
Deux ordinateurs, chacun équipé d’un écran de 19
pouces, d’une webcam et d’un système de mesures
électrophysiologiques BioSemi® ont été utilisés.
Les membres de chaque dyade ne se voyaient pas, mais pouvaient communiquer
oralement grâce à des casques avec microphones. Les échanges
verbaux et le visage des participants ont été enregistrés
durant la tâche. Le système BioSemi® a été
utilisé pour la mesure des données physiologiques suivantes : le
niveau de conductance de la peau, le rythme cardiaque, la pression sanguine et
l’amplitude de la respiration. Les données physiologiques et
audio-visuelles ne sont pas traitées dans cet article.
2.4.2. Jeu vidéo
Une carte collaborative du jeu vidéo de résolution de
problèmes en 3 dimensions en vue subjective Portal 2® a
été utilisée (figure 1). Dans ce jeu, les joueurs devaient
trouver un moyen pour sortir de plusieurs salles fermées. Pour cela, ils
pouvaient manipuler les objets présents dans leur environnement afin
d’ouvrir des passages et avancer vers la salle suivante
jusqu’à la sortie. Les joueurs devaient donc trouver une solution
par une réflexion commune puis, lorsqu’une solution possible
était trouvée, mettre en place des actions coordonnées pour
les réaliser en prenant en compte la position courante du partenaire. Ce
jeu a été choisi pour 2 raisons. Premièrement, Portal
2® répond particulièrement aux critères d’une
tâche collaborative telle que décrite par Rochelle et Teasley (Rochelle et Teasley, 1995).
En effet, la collaboration implique l’engagement mutuel des participants
dans un effort coordonné pour résoudre le problème
ensemble. Deuxièmement, Portal 2® met en jeu des compétences
sollicitées dans le domaine académique telles que des
compétences de résolution de problème, de cognition
spatiale ou de persistance à l’effort – voir (Shute et al., 2014) pour une description complète des compétences cognitives et
motivationnelles sollicitées par le jeu Portal 2®.
2.4.3. Logiciel de feedback
Une fenêtre disposée à droite de l’écran
(figure 1), à côté de la fenêtre de jeu, permettait
d’indiquer le temps écoulé depuis le début de la
tâche ainsi que les feedbacks biaisés : le degré de
maîtrise du jeu pour le feedback de contrôle (haut), le classement
et la rémunération associée pour le feedback de valeur
(bas). Ces feedbacks apparaissaient 6 fois au cours de la tâche, et
étaient mis à jour toutes les 5 minutes. Un signal sonore
signalait l’apparition de la mise à jour des feedbacks. Les
participants étaient invités à en prendre connaissance
à chaque signal sonore. Dans la condition contrôle, le logiciel
était présent mais n’indiquait que le temps
écoulé.
Figure 1 • Le jeu collaboratif Portal
2® (à gauche) et la fenêtre indiquant les feedbacks (à
droite)
2.4.4. Questionnaires
Avant l’expérience, les participants répondaient
individuellement à 24 questions tirées du test des matrices de
Raven PM38 (Raven et al., 1998).
Ce test évalue l’intelligence fluide (capacité à
formuler de nouveaux concepts face à de nouvelles informations, à
extraire du sens de situations ambigües et à penser les
évènements complexes de façon claire). Ce test était
soumis aux participants afin de contrôler qu’il n’existait pas
de différence significative entre les groupes concernant ces
capacités, ce qui a été effectivement
retrouvé : F(4, 64) = 0,972, p = 0.43
> .05.
Juste après la phase de jeu collaboratif, 4 questionnaires
constitués d’échelles de Likert à 7 points
étaient proposés. Le questionnaire « Emotions
ressenties pendant le jeu » (Q1, Annexe 1) demandait aux
participants d’évaluer l’intensité (de 1 : pas du
tout à 7 : très fortement) de leurs propres
émotions et de celles de leur partenaire pendant le jeu sur la base
d’une liste de 16 émotions issues du Achievement Emotions
Questionnaire (Pekrun et al., 2011) :
4 émotions négatives activantes (anxiété,
colère, frustration et honte), 4 émotions négatives
désactivantes (déception, désespoir, ennui et tristesse), 5
émotions positives activantes (espoir, fierté, joie, plaisir,
gratitude) et 3 émotions positives désactivantes (relaxation,
soulagement, satisfaction).
Le questionnaire « Qualité perçue de la
collaboration » (Q2, Annexe 2) a été inspiré de
celui utilisé dans (Molinari et al., 2013) ainsi que du schéma de codage développé par Meier et
al. (Meier et al., 2007) pour évaluer les processus socio-cognitifs qui participent à la
qualité de l'apprentissage collaboratif médiatisé par
ordinateur. Le questionnaire 2 demandait aux participants d’évaluer
leur perception de la fréquence (de 1 : jamais à
7 : très souvent) avec laquelle ils avaient mis en œuvre les
processus collaboratifs appartenant à 6 dimensions
socio-cognitives : 1) maintenir une compréhension partagée,
2) mettre en commun et donner des explications, 3) construire sur les
idées du partenaire (transactivité), 4) argumenter et rechercher
un consensus, 5) gérer la tâche, et 6) gérer le temps.
Chacune de ces dimensions comportait entre 2 et 5 items. Les questionnaires 3 et
4 évaluaient les processus relationnels et le flow perçus. Les
réponses à ces deux derniers questionnaires n’ont pas
été analysées dans le cadre de cette étude.
2.5. Performance
La tâche a été préalablement divisée en 28
étapes correspondant à une difficulté à
résoudre dans le jeu collaboratif, telle que le déclenchement
d’une action suite à une manipulation d’objets ou le
franchissement d’un palier. La performance correspond ainsi au ratio du
nombre de ces étapes réalisées par le temps de
résolution de la tâche en secondes.
2.6. Procédure
Après avoir équipé les participants avec des capteurs
physiologiques, un entraînement individuel était proposé
afin de les familiariser avec l’environnement et les bases du jeu. Cette
phase durait environ 15 minutes. Les participants réalisaient ensuite la
tâche collaborative qui consistait à sortir de la salle en
résolvant les problèmes leur permettant de franchir chacune des
pièces et cela durant 30 minutes. À l’issue de la phase de
jeu collaboratif, les participants complétaient sur ordinateur les 4
questionnaires. Le but de l’expérience leur était ensuite
expliqué, et ils recevaient leur rémunération.
3. Résultats
Quatre dyades ont été exclues des
analyses. Une dyade possédait un niveau de maîtrise des jeux
vidéo trop faible et est restée bloquée au tout
début de la première salle. Une dyade a été exclue
à cause d’un dysfonctionnement du jeu. Après
l’expérience, il était explicitement demandé aux
participants dans quelle mesure ils avaient cru aux feedbacks biaisés.
Tous les participants ont répondu avoir cru aux feedbacks à
l’exclusion de deux dyades pour lesquelles au moins l’un des
participants a révélé avoir compris que les feedbacks
fournis étaient biaisés. Ces deux dyades ont donc
été exclues des analyses.
3.1. Effet des feedbacks biaisés sur les émotions ressenties
(Q1)
D’un point de vue descriptif, le tableau 1 montre
l’intensité moyenne de chacune des émotions
considérées pour chaque condition expérimentale (moyenne la
plus haute en gras, la plus basse en italique). Les intensités
rapportées des émotions négatives et désactivantes
(ennui, désespoir, tristesse et déception) apparaissent
systématiquement les plus élevées dans la condition
Contrôle bas/Valeur basse et les plus basses dans la condition
Contrôle haut/Valeur haute. Les intensités de la plupart des
émotions positives et activantes (en l’occurrence ici plaisir,
fierté et gratitude) apparaissent, quant à elles, les plus
élevées dans la condition Contrôle haut/Valeur haute. Ce
n’est cependant pas le cas dans la condition Contrôle bas/Valeur
basse où ces émotions ne sont pas systématiquement les
moins ressenties. Enfin, les intensités maximales des émotions
négatives activantes et positives désactivantes sont
réparties de façon plus équilibrée entre les
différentes conditions.
Tableau 1 • Intensité des
émotions positives (activantes et désactivantes) et
négatives (activantes et désactivantes) dans les
différentes conditions expérimentales
Si le plaisir apparaît être l’émotion la plus
fortement ressentie dans toutes les conditions à l’exception de la
condition Contrôle bas/Valeur basse, où elle est
légèrement devancée par la frustration, on peut toutefois
noter des patterns émotionnels assez différenciés en dehors
de cette émotion dans chacune des conditions expérimentales (voir
figure 2). Dans cette figure, les émotions positives et activantes sont
représentées en vert, les émotions positives et
désactivantes en bleu, les émotions négatives et activantes
en rouge et les émotions négatives et désactivantes en
violet ; les émotions dont l’intensité est proche ont
été regroupées dans les mêmes bulles.
De manière générale, les conditions où le
contrôle est bas sont caractérisées par une dominance de
frustration. Les conditions où le contrôle est haut sont quant
à elles caractérisées par une dominance de joie et de
satisfaction. En outre, les conditions où la valeur est haute semblent se
distinguer de celles où la valeur est basse par l’émergence
d’émotions négatives et désactivantes
(déception et désespoir). Ainsi, la joie, l’espoir et la
satisfaction semblent remplacer la déception, le désespoir et la
relaxation quand le contrôle est bas mais que la valeur augmente,
malgré un niveau de frustration maintenu élevé de part et
d’autre. La fierté quant à elle, semble remplacer la
déception quand le contrôle est haut mais que la valeur augmente.
Enfin, la condition Contrôle (sans feedback) semble révéler
un pattern intermédiaire entre les conditions Contrôle bas/Valeur
basse et Contrôle haut/Valeur haute, avec une prédominance de joie
et d’espoir mêlées à de la frustration et de la
relaxation.
Figure 2 • Patterns émotionnels
représentant les 5 émotions les plus intensément ressenties
dans chaque condition expérimentale
D’un point de vue inférentiel, une série d’ANOVA
à un facteur a été conduite afin de comparer l’effet
du facteur expérimental sur l’intensité rapportée des
émotions d’accomplissement. Un test de Levene
d’homogénéité des variances a été
réalisé pour chacune des variables dépendantes
considérées. Ces tests se sont avérés tous non
significatifs à l’exception du test concernant
l’émotion fierté, F(4,66) = 2.65, p = .04. Un test
non-paramétrique de Kruskal-Wallis a donc été
réalisé dans ce cas. Un effet significatif global a seulement
été retrouvé pour l’émotion de honte, F(4,
66) = 4.95, p = .001, eta2 = 0.22. La comparaison post hoc montre
que l’intensité moyenne de la honte dans la condition
Contrôle bas/Valeur basse (M = 3.58, ET = 1.97) est
significativement supérieure à celles observées dans les
conditions Contrôle bas/Valeur haute (M = 2.25,
ET = 1.29), Contrôle haut/Valeur basse (M = 1.41,
ET = 0.66), Contrôle haut/Valeur haute (M = 1.5,
ET = 0.89) et sans feedback (ou condition Contrôle :
M = 2.12, ET = 1.70).
3.2. Corrélations entre les émotions rapportées, les
processus collaboratifs socio-cognitifs et la performance du groupe (Q2)
3.2.1. Processus collaboratifs socio-cognitifs
Une analyse de corrélation a été effectuée entre
l’intensité des émotions d’accomplissement (moyenne de
l’intensité rapportée des deux participants de la dyade) et
la fréquence rapportée de l’utilisation des processus
socio-cognitifs (moyenne de la fréquence rapportée des deux
participants de la dyade) pour chaque condition expérimentale. Un test de
permutation pour corrélations multiples a été
effectué et seules les corrélations dont la valeur p est
inférieure au seuil .05 sont rapportées ici. Les émotions
n’entretenant aucune corrélation avec les processus collaboratifs
ne sont pas rapportées pour des raisons de lisibilité.
3.2.1.1. Contrôle bas/Valeur basse
Comme présenté dans le tableau 2, c’est dans cette
condition que le nombre de corrélations significatives entre les
émotions et les processus socio-cognitifs perçus est le plus
important (16) ; 7 émotions et 5 processus sont concernés
ici. C’est également dans cette condition que les
corrélations sont les plus fortes (entre .51 et .86). Parmi les 7
émotions, 6 sont positives et entretiennent des relations positives avec
la qualité perçue de la collaboration. La fierté et
la satisfaction s’avèrent toutes deux les plus corrélées avec les processus socio-cognitifs
(corrélations les plus fortes avec 5 des 6 processus
étudiés). Le processus de maintien d’une
compréhension partagée est quant à lui le plus
corrélé avec les émotions. Par ailleurs, la
déception est la seule émotion négative qui soit
significativement et négativement corrélée avec deux
processus socio-cognitifs, à savoir rechercher un consensus et
maintenir une compréhension partagée.
Tableau 2 • Corrélations entre
les émotions et les 6 processus socio-cognitifs étudiés
dans les différentes conditions expérimentales
3.2.1.2. Contrôle bas/Valeur haute
Contrairement à la condition précédente, les
corrélations significatives entre les émotions et les processus
collaboratifs perçus sont beaucoup moins nombreuses (6) (Tableau 2).
Trois émotions activantes, dont 2 négatives, sont
concernées ici et sont positivement corrélées avec 4
processus socio-cognitifs perçus. Il est à noter que ces 3
émotions – plaisir, frustration et anxiété –
sont différentes de celles qui corrèlent avec les processus
collaboratifs dans la condition Contrôle bas/Valeur basse. Ainsi, la
frustration est corrélée avec la recherche d’un
consensus, la transactivité (construire sur les contributions du
partenaire) et la gestion de la tâche. L’anxiété est également corrélée avec la transactivité et
la mise en commun des informations. Enfin, le plaisir est la seule
émotion positive qui corrèle avec la perception que les
participants ont de leur collaboration et en l’occurrence des processus
qu’ils mettent en œuvre pour partager des informations.
3.2.1.3. Contrôle haut/Valeur basse
Cette condition est quasiment équivalente à la condition
Contrôle bas/Valeur haute en termes de nombre de corrélations
significatives (5), de nombre d’émotions (3) et de processus
socio-cognitifs perçus concernés (4) (tableau 2). Ces derniers
sont toutefois uniquement corrélés à des émotions
positives – espoir, joie et satisfaction – lesquelles sont
différentes de celles observées dans la condition Contrôle
bas/Valeur haute. Il est également à noter que parmi ces 3
émotions, l’espoir est la seule qui n’entretient pas de
relation avec les processus collaboratifs dans la condition Contrôle
bas/Valeur basse. L’espoir semble donc jouer ici un rôle
prépondérant en corrélant positivement avec la recherche du
consensus, la transactivité et la mise en commun des informations.
De façon intéressante, la satisfaction apparaît
négativement corrélée avec la gestion du temps. Les
émotions négatives ne montrent ici aucune corrélation
significative avec les processus socio-cognitifs.
3.2.1.4. Contrôle haut/Valeur haute
Cinq corrélations significatives, toutes positives et concernant 3
émotions positives (dont 2 activantes et une désactivante,
à savoir l’espoir, la fierté et le soulagement) et 4
processus socio-cognitifs perçus, sont observées ici.
L’espoir est l’émotion commune aux conditions Contrôle
haut/Valeur basse et Contrôle haut/Valeur haute. L’espoir est
corrélé avec la transactivité, la fierté avec
la gestion de la tâche et du temps, le soulagement avec la gestion du
temps et la mise en commun des informations. Dans cette condition
également, aucune émotion négative n’entretient de
relations significatives avec les processus collaboratifs.
3.2.1.5. Contrôle (sans feedback)
Comme présenté dans le tableau 2, seule
l’anxiété, qui est une émotion activante, corrèle avec la transactivité dans cette condition.
3.2.2. Performance
L’analyse des corrélations (tableau 3) indique que les
émotions positives sont positivement corrélées avec la
performance réelle du groupe, des corrélations négatives
étant observées avec les émotions négatives.
L’ennui, désactivante (dans la condition Contrôle bas/Valeur
basse) et la frustration, activante (dans la condition
Contrôle bas/Valeur haute) sont les seules émotions
négatives corrélées négativement avec la
performance. Par ailleurs, le soulagement et la satisfaction, toutes deux
désactivantes, sont très fortement et positivement
corrélées avec la performance dans les conditions Contrôle
bas/Valeur basse (soulagement) et Contrôle haut/Valeur basse
(satisfaction). La condition Contrôle haut/Valeur basse est la seule
où la performance corrèle avec les émotions activantes de
plaisir et de joie. La gratitude, également activante, n’intervient que dans la condition Contrôle haut/Valeur haute.
Dans la condition Contrôle (sans feedback) enfin, seule
l’émotion activante de fierté entretient un lien positif
avec la performance.
Tableau 3 • Corrélations entre
les émotions et la performance réelle de groupe dans les
différentes conditions expérimentales *
4. Discussion
Dans le contexte de la résolution
collaborative de problème médiatisée par ordinateur, cette
recherche visait à rendre compte de la façon dont des feedbacks
biaisés destinés à influencer l’évaluation
subjective de l’activité collaborative en termes de contrôle
et de valeur peuvent moduler l’intensité des émotions
d’accomplissement ressenties. Il s’agissait également
d’explorer les relations entre ces émotions, la perception des
processus socio-cognitifs mis en œuvre et la performance du groupe.
4.1. Les émotions ressenties reflètent des stratégies
de régulation émotionnelle distinctes
Il apparaît des différences d’intensité
rapportée des émotions notables sur le plan descriptif.
L’analyse des patterns émotionnels des 5 émotions les plus
ressenties dans les différentes conditions expérimentales
révèle que le jeu semble générer avant tout du
plaisir, quelques soient les feedbacks. Mis à part cette émotion,
la frustration semble intervenir de façon plus intense lorsque le
feedback de contrôle est bas plutôt que haut alors que la
déception semble intervenir plus fortement quand la valeur est basse
plutôt que haute. Ces différents patterns semblent également
pouvoir mettre au jour différentes stratégies de régulation
émotionnelle. Par exemple, dans la condition Contrôle bas/Valeur
basse, une intensité similaire est rapportée pour la relaxation et
le désespoir. On peut ainsi imaginer que dans cette condition, ces
émotions puissent distinguer les participants déçus mais se
faisant une raison de cet état de fait, et qui ainsi se relâchent,
de ceux qui voient la situation comme désespérée. De
façon similaire, dans la condition Contrôle bas/Valeur haute, on
peut également penser que certains participants éprouvant de la
joie puissent être simplement satisfaits puisque la récompense
espérée est haute, alors que d’autres éprouvent
davantage l’espoir d’améliorer leur contrôle sur la
tâche. Des analyses complémentaires permettront de vérifier
si ces patterns distinguent effectivement certains participants.
D’un point de vue inférentiel, seule l’émotion de
honte s’avère significativement plus ressentie dans la condition
Contrôle bas/Valeur basse que dans les autres conditions.
L’hypothèse H1 n’est donc que très partiellement
validée. Si le Tableau 1 montre bien que certaines émotions sont
plus ou moins fortement ressenties selon le groupe expérimental, les
différences s’avèrent trop faibles pour que l’analyse
inférentielle le confirme. Un nombre plus important de participants par
groupe expérimental aurait sans doute pu permettre de valider plus
largement l’hypothèse H1.
4.2. Les émotions ressenties reflètent la mise en jeu de
processus socio-cognitifs distincts
Toutefois, des différences sont retrouvées entre les
différents groupes expérimentaux concernant les
corrélations entre émotions, processus socio-cognitifs
perçus et performance. C’est dans la condition qui pourrait
être perçue comme la plus défavorable par les participants,
à savoir la condition Contrôle bas/Valeur basse, que beaucoup
d’émotions, principalement positives, corrèlent fortement
avec différents processus socio-cognitifs. Dans cette condition
particulièrement défavorable, le fait de ressentir des
émotions positives, en l’occurrence de la fierté et de la
satisfaction, pourrait s’accompagner de la mise en œuvre de processus
comme le maintien d’une compréhension partagée ou de la
transactivité (construire sur les contributions du partenaire) reconnus
comme étant déterminants dans le succès de la
collaboration. A contrario, ressentir de la déception pourrait
décourager les collaborateurs à élaborer un terrain commun
et un espace de négociation. Ce résultat amène à
poser l’hypothèse que la capacité collective à
réévaluer positivement une situation d’apprentissage
négative (donc à éprouver davantage d’émotions
positives concernant l’accomplissement de la tâche) pourrait
s’avérer essentiel à l’établissement et au
maintien d’échanges collaboratifs efficaces. A contrario, un
échec du groupe à réévaluer positivement une
tâche négative (augmentation de la déception) pourrait
conduire à une diminution des échanges collaboratifs. Par
ailleurs, et au contraire de toutes les autres conditions, il semble exister un
lien particulièrement prégnant entre le ressenti de certaines
émotions positives ou négatives et la perception de la mise en jeu
du processus de maintien de la compréhension partagée,
c’est-à-dire d’échanges visant à comprendre son
collaborateur et à se faire comprendre de lui. Enfin, le soulagement et
l’ennui semblent être les émotions les plus
prédictrices de la performance finale du groupe bien qu’elles ne
semblent pas intervenir dans la perception des processus socio-cognitifs.
La condition Contrôle bas/Valeur haute diffère significativement
de la précédente. Dans ce cas, ce sont cette fois-ci deux
émotions négatives et activantes, à savoir la frustration
et l’anxiété qui sont positivement associées de
façon prédominante à la perception de la mise en œuvre
de processus socio-cognitifs cruciaux pour la collaboration. Concernant ces
émotions, la littérature rapporte que la frustration est
généralement ressentie dans une tâche non suffisamment
contrôlable (Pekrun, 2006) ou
lorsqu’aucun plan n’est disponible pour résoudre le
problème (Lehman et al., 2012).
Cette émotion aurait également tendance à réduire la
coopération, diminuer la mémoire de travail, l’attention, la
créativité ou encore la recherche de stratégies efficaces (Lehman et al., 2012).
L’anxiété, par ailleurs, diminuerait les performances
cognitives mais augmenterait les tendances affiliatives (Fredrickson et Branigan, 2005).
Ce dernier résultat semble être cohérent avec le fait que
les groupes les plus anxieux sont également ceux qui utilisent davantage
les propositions de leur partenaire (transactivité) et partagent
davantage les informations pertinentes à la résolution de la
tâche. La tendance à rechercher et à utiliser davantage les
conseils donnés sous l’effet de l’anxiété a
été rapportée dans la littérature (Gino et al., 2015).
Le résultat concernant la frustration, cependant, semble à
première vue contradictoire avec ceux provenant de la littérature.
Dans la présente étude en effet, la frustration est positivement
corrélée avec la perception de la mise en jeu de processus comme
la gestion de la tâche, la transactivité et la recherche d’un
consensus. Dans cette situation particulière où la
récompense espérée est haute, mais la maîtrise du jeu
basse, le fait de ressentir de la frustration s’accompagne d’un
renforcement de ce type d’échanges collaboratifs, lesquels
pourraient apparaître comme un moyen d’améliorer la
maîtrise du jeu afin d’éviter la diminution de la
récompense espérée. Toutefois, la frustration
s’avère négativement corrélée avec la
performance du groupe. Il semble ainsi exister une contradiction apparente entre
une augmentation de l’intensité de la frustration
corrélée d’une part à une augmentation de la
qualité perçue de la collaboration et de l’autre à
une diminution de la performance réelle du groupe. Une hypothèse
pourrait être que cette émotion pousse les participants à
surévaluer la fréquence ou la qualité réelle avec
laquelle ils ont mobilisé les processus collaboratifs en question.
Dans la condition Contrôle haut/Valeur basse, l’émotion
associée à la mise en œuvre perçue des processus comme
la mise en commun des informations, la transactivité et la recherche
d’un consensus est l’espoir. Dans cette condition, le fort
contrôle perçu sur la tâche pourrait au contraire de la
condition précédente, entretenir l’espoir d’une
récompense espérée haute, même si celle-ci
s’avère faible au moment de la présentation du feedback
biaisé. Ainsi, plus les participants auraient l’espoir d’une
récompense haute, plus ils s’engageraient dans la mise en
œuvre d’échanges socio-cognitifs. De façon
intéressante, on peut noter que dans cette condition, ressentir de la
satisfaction s’accompagne d’une perception moindre de la gestion du
temps bien que cette même émotion soit positivement
corrélée à la performance du groupe. On peut rapprocher ce
résultat de celui relatif à l’état de flow,
état de bien-être et de performance optimale observé dans
des situations où les individus ont le sentiment de contrôler
totalement leurs actions et dont la distorsion du temps est l’une des
conséquences (Csikszentmihalyi, 2014).
Tout comme la satisfaction, le plaisir et la joie, toutes deux activantes,
semblent également être des émotions fortement
prédictrices de la performance du groupe dans cette condition.
Dans la condition Contrôle haut/Valeur haute, les émotions
associées à la mise en œuvre perçue des processus
socio-cognitifs, à savoir l’espoir, la fierté et le
soulagement, sont celles prédites par la théorie
Contrôle-Valeur de Pekrun (2006) dans les situations où les
apprenants sentent qu’ils ont un certain contrôle et accorde une
grande valeur à ce qu’ils font. Dans cette condition, la certitude
du succès de la tâche, tant en termes de contrôle sur la
tâche qu’en termes de récompense espérée, est
forte ce qui peut expliquer que les émotions impliquées soient
toutes positives et positivement corrélées à la perception
de la collaboration. Deux de ces émotions, à savoir la
fierté et le soulagement, sont également fortement et positivement
corrélées à la performance du groupe, cela avec la
gratitude et la satisfaction.
Enfin, les résultats concernant la condition Contrôle (sans
feedback) révèle une quasi-absence de corrélation entre les
processus collaboratifs perçus et les émotions. Seule
l’anxiété s’avère positivement
corrélée avec le processus de transactivité dans cette
condition. Ce résultat laisse à penser que dans les autres
conditions, les corrélations observées entre les émotions
et la perception de la qualité de la collaboration ont bien pour
antécédents les feedbacks d’accomplissement biaisés.
En l’absence de feedback concernant leur niveau d’accomplissement,
les participants pourraient ressentir de l’anxiété qui
pourrait les inciter à renforcer la qualité de leurs
échanges.
L’hypothèse H2 (relation entre émotions et qualité
perçue de la collaboration) est donc également partiellement
validée.
4.3. Les émotions positives plus impliquées que les
émotions négatives
Mis à part la frustration et l’anxiété, ce sont
bien des émotions positives qui corrèlent avec la perception des
processus socio-cognitifs pendant le jeu. En revanche, les émotions
négatives ne corrèlent pas avec ces mêmes processus. Ainsi,
deux explications peuvent être proposées à ce
résultat. Dans un contexte émotionnel positif, les processus
socio-cognitifs pourraient être plus facilement mis en jeu, ce qui ne
serait pas le cas dans un contexte émotionnel négatif. A
contrario, les émotions positives pourraient influencer la perception de
la collaboration, sans toutefois se traduire par un nombre plus important
d’actes collaboratifs émis. Des analyses futures permettront de
dissocier la perception des processus de leur mise en jeu effective au cours de
la collaboration. L’hypothèse H3 (relation entre émotions et
performance de groupe) est également partiellement validée.
Certaines émotions positives corrèlent positivement avec la
performance réelle alors que d’autres émotions
négatives (en l’occurrence l’ennui et la frustration) sont
corrélées négativement avec celle-ci.
5. Limites et conclusion
La présente contribution se veut apporter une
compréhension plus fine du rôle des émotions sur les
comportements collaboratifs dans le domaine de la résolution de
problème en situation médiatisée (à distance via une
interface de jeu partagée). Globalement, les résultats mis au jour
ici montrent que des feedbacks d’accomplissement de la tâche
différenciés amènent à l’établissement
de liens préférentiels entre certaines émotions et la
perception par les participants de la mise en jeu de certains processus
collaboratifs de type socio-cognitifs. Selon les feedbacks fournis aux
participants, certaines émotions seront également plus à
même de prédire la performance du groupe.
L’expérience proposée ici présente toutefois
plusieurs limites. Premièrement, bien que plusieurs précautions
méthodologiques aient été prises afin de garantir la prise
en compte des feedbacks par les participants et de maximiser leur croyance en la
véracité de ceux-ci, il peut subsister un conflit entre le
contrôle réel sur la tâche tel qu’il est perçu
par le participant et tel qu’il est donné par le feedback.
Deuxièmement, le profil des joueurs, selon qu’ils soient davantage
motivés intrinsèquement (but de maîtrise) ou
extrinsèquement (but de performance) pourrait influencer la prise en
compte des feedbacks par les participants et demanderait à être
évalué pour permettre une meilleure mise en perspective des
résultats. Enfin, on peut penser que la perception subjective de la
qualité de leur collaboration n’est pas totalement
corrélée à la qualité réelle de la
collaboration. Des phénomènes de préservation de
l’estime de soi ou l’état émotionnel du moment peuvent
en effet biaiser la perception et le jugement de ce que les participants ont
réellement fait. L’encodage et la classification de
l’ensemble des échanges verbaux sont en cours afin d’apporter
une réponse à cette question.
Nombre de questionnements s’avèrent également en suspens.
Par exemple, le caractère exploratoire de cette étude ne permet
pas de fournir des explications convaincantes concernant le lien
privilégié de certaines émotions avec certains processus
socio-cognitifs. L’approfondissement de ce lien causal (entre les
émotions ressenties et les actes de collaboration qui en
découlent) pourrait permettre 1) de mieux comprendre comment les
émotions interfèrent de façon positive ou négative
sur la dynamique collaborative et 2) de développer des outils permettant
l’utilisation optimisée (Mikolajczak et Quoidbach, 2009) des émotions en situations d’apprentissage et de résolution
de problèmes collaboratifs.
À
propos des auteurs
Sunny AVRY est doctorant à l'Université de
Genève et travaille dans le cadre du projet EATMINT du Pôle de
Recherche Nationale en Sciences Affectives. Ses recherches concernent le
rôle des émotions sur les dynamiques collaboratives dans
l’apprentissage et la résolution de problème.
Courriel : sunny.avry@unige.ch
Guillaume CHANEL est maître-assistant et
chargé de cours à l’université de Genève
(Computer Vision and Multimedia Laboratory et centre Suisse en sciences
affectives). Ses intérêts de recherches concernent le
développement de machines pouvant adopter des comportements affectifs et
sociaux. Il est particulièrement intéressé par
l’utilisation de mesures multimodales (signaux physiologiques, expression
faciales, voix...) pour l’amélioration des interfaces
hommes-machine et des interactions humaines. Il travail par exemple sur
l’ajustement dynamique de jeux en se basant sur les émotions des
joueurs et sur l’inclusion d’indices émotionnels et
physiologiques dans les interactions sociales.
Courriel : Guillaume.chanel@unige.ch
Mireille BÉTRANCOURT est professeur en sciences de
l’information et processus d’apprentissage à la
faculté de psychologie et de sciences de l’éducation de
l’Université de Genève, où elle dirige
l’unité académique TECFA (Technologies de Formation et
d’Apprentissage). Ses recherches actuelles portent sur deux axes. Le
premier axe étudie l’impact de facteurs de conception des
ressources numériques pédagogiques (multimédia, logiciels
éducatifs, rééducation) sur les processus
d’apprentissage dans une perspective cognitive et ergonomique. Le
deuxième axe explore les usages des technologies numériques dans
des situations de formation et d’enseignement, en documentant leurs effets
(perçus et observables) et leur appropriation par les acteurs.
Courriel : mireille.betrancourt@unige.ch
Toile : http://tecfa.unige.ch/perso/mireille/
Thierry PUN est professeur au Département
d'informatique et au Centre Suisse de Sciences Affectives, Université de
Genève. Ses intérêts de recherche actuels se situent en
informatique affective et analyse des émotions, traitement des signaux
sociaux et interaction multimodale. Il est impliqué dans des projets
touchant au rôle des émotions dans le travail collaboratif, au
développement de jeux affectifs, à l'analyse des émotions
esthétiques générées par des films, et à
l'analyse des impressions créées auprès d'un humain par un
personnage virtuel. Il est auteur ou coauteur de plus de 350 publications, et
membre de l'Académie Suisse des Sciences Techniques.
Courriel : thierry.pun@unige.ch
Gaëlle MOLINARI est professeure assistante conjointe
à l’Université de Genève (Unité TECFA
centrée sur les technologies éducatives) et à la Formation
Universitaire à Distance Suisse (UniDistance). Ses travaux de recherche
s’inscrivent principalement dans le domaine de l’apprentissage
collaboratif médiatisé par ordinateur (Computer-Supported
Collaborative Learning). Elle s’intéresse actuellement à
la dimension affective de l’apprentissage en situation
médiatisée, notamment aux questions relatives aux émotions
et à l’engagement dans les dispositifs de formation en ligne
à distance. Elle travaille de concert avec des chercheurs en Informatique
pour comprendre comment concevoir des EIAH affectifs.
Courriel : gaelle.molinari@unidistance.ch
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Emotions. Frontiers in Psychology, 7.
ANNEXE 1 : Questionnaire émotionnel
Lisez attentivement chacune des émotions proposées et répondez, sur l’échelle située en face, en entourant un nombre correspondant le mieux à ce que vous pensez.
Tout au long de la tâche que j’ai accomplie avec mon partenaire, avec quelle intensité j’ai ressenti les émotions suivantes lorsque j’ai reçu les différentes informations concernant la performance de notre groupe ?
ANNEXE 2 : Processus
socio-cognitifs
1 L’étude a
été préalablement validée par la commission
d’éthique de la faculté de Psychologie et de Science de
l’Education de l’Université de Genève.
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