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La pédagogie inversée : recherche sur la
pratique de la classe inversée au lycée
Vincent FAILLET
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RÉSUMÉ : Cette
rubrique présente une étude sur la pédagogie
inversée au lycée en cours de sciences physiques et chimiques.
Cette étude montre que les élèves de bon niveau en sciences
dans le système de classe traditionnelle sont globalement moins
performants en classe inversée alors que les élèves de
niveau plus faible dans la classe traditionnelle sont plus performants dans le
système de classe inversée. Cette inversion de la performance est
à rapprocher avec une adaptation des élèves de bon niveau
au système traditionnel et une tendance à travailler plus pour les
élèves de moins bon niveau lorsqu’ils sont dans un
système de classe inversée.
MOTS CLÉS : Classe
inversée, pédagogie inversée, performance, lycée,
sciences physiques et chimiques. |
Flipped Classroom Pedagogy: an Investigation on the Practice of Flipped Classroom in Senior High School. |
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ABSTRACT : This
paper presents a study on the inverted teaching method of physics and chemistry
courses at the high school level. This study shows that students achieving high
grades in the traditional classroom setting are globally less successful in the
flipped classroom setting, while the lower-achieving students in the traditional
classroom demonstrate a better performance in the flipped classroom. This
inversion of student performance is surely explained by the adaptation the
high-achieving students have made to the traditional system, and the tendency of
the lower-achieving students to work harder in the flipped classroom setting.
KEYWORDS : Flipped
classroom, inverted teaching method, high- and low-achieving, performance, high
school, physics and chemistry. |
1. Introduction
Le modèle transmissif
est dans nos institutions éducatives le modèle pédagogique
le plus répandu, il est le modèle de référence pour
de nombreux enseignants principalement dans le secondaire (Beauvais, 2003).
Un modèle traditionnel dans lequel « pour apprendre,
l’élève doit être attentif, écouter, suivre,
imiter, répéter et appliquer » (Gagnebin et al., 1997, p. 36). Cette pédagogie traditionnelle transmissive
« est réglée selon deux phases successives : une
phase d'acquisition (la leçon), une phase d'utilisation des connaissances
(l'exercice d'application) » (Champagnol, 1974, p. 21). On
pourrait ajouter que la première phase – dite d’acquisition
– se déroule en classe, la seconde – dite d’application
– se déroule, quant à elle, en grande partie hors du temps
scolaire. Ce sont ces deux phases successives que la « classe
inversée » propose d’intervertir.
La classe
inversée – flipped classroom selon sa désignation
anglo-saxonne – est une approche éducative apparue aux Etats-Unis
à la fin des années 1990, pour laquelle la leçon est
librement accessible sous format numérique (très souvent
vidéogramme en ligne mais aussi diaporama, site web, etc.) ou sous format
littéral (livre de classe, polycopié, etc.), à charge aux
élèves de la travailler – phase d’acquisition –
en amont, hors de la classe. Le temps de présence en classe, est mis
à profit, quant à lui, pour des exercices applicatifs et des
phases dialoguées explicatives d’une part entre
élèves et d’autre part, entre élèves et
professeur.
Bien que la formalisation de la classe inversée soit relativement
récente, un certain nombre de travaux ont étudié cette
approche pédagogique.
Ainsi, Bissonnette et Clermont ont réalisé une revue
systématique des recherches portant sur la pratique de la classe
inversée en rapport avec ses effets sur le rendement des
élèves (Bissonnette et Clermont, 2013).
Ces auteurs ont répertorié et sélectionné les
articles publiés entre 2005 et 2013. Pour satisfaire aux critères
de sélection, les articles devaient, outre répondre strictement au
sujet, être fondés suivant un devis expérimental ou
quasi-expérimental (avec un groupe témoin) et être
publiés dans une revue à comité de lecture. Il
s’avère que sur les deux cent cinquante-sept articles
repérés, aucun n’a pu être retenu.
Les auteurs de conclure que « les données probantes
associées à la classe inversée sont nettement insuffisantes
pour en recommander l’utilisation, particulièrement dans les
classes des écoles primaires et secondaires pour lesquelles nous ne
disposons actuellement d’aucun résultat de recherche sur la classe
inversée » (Bissonnette et Clermont, op. cit., p.
26).
Les recommandations prudentes de la revue de recherche de Bissonnette
et Clermont sont relativement détonantes avec la ferveur du climat
médiatisé – ou buzz – entourant la classe
inversée(Bishop et Verleger, 2013)).
La présente recherche s’inscrit dans la continuité des
conclusions de Bissonnette et Clermont et tâchera d’apporter un
éclairage expérimental sur une pratique de classe inversée
dans le secondaire, en lycée. Il s’agira notamment d’estimer
les effets de l’apprentissage inversé sur le rendement des
élèves.
2. Méthodologie de recherche
Notre étude concerne deux classes de
première scientifique (n1=28 et n2=30) qui ont
été suivies sur une année scolaire dans un lycée
parisien. Pour ces deux classes, le cours de sciences physiques et
chimiques1 a été conduit
soit en enseignement traditionnel (leçon en classe et exercices
d’application hors du temps scolaire) soit en enseignement inversé
(leçon hors du temps scolaire et exercices d’application en
classe). Ainsi, sur un total de quinze chapitres traités dans le
programme, huit ont été abordés dans le cadre d’un
enseignement traditionnel et sept dans le cadre d’un enseignement
inversé.
Deux enseignants de sciences physiques et chimiques ont travaillé de
concert sur l’élaboration des séquences
pédagogiques ; ils ont suivi une programmation commune pour chacune
de leur classe. Pour les sept chapitres traités en classe
inversée, la leçon était distribuée aux
élèves sous format littéral (feuillets polycopiés),
parfois des ressources numériques (sites internet, animations et
vidéogrammes en ligne) pouvaient être proposées en fonction
des sujets abordés afin de compléter la leçon. A
l’issue de cette phase d’acquisition hors du temps scolaire, le
cours2 inscrit à l’emploi
du temps des élèves était consacré à la
résolution d’exercices d’application dans l’esprit de
l’instruction par les pairs ou peer instruction de Mazur (Mazur, 1997).
Ainsi, des exercices sous format de questions à choix multiples
étaient vidéo-projetés et les élèves
répondaient anonymement avec un boitier de vote. Les résultats du
vote étaient affichés (sans indication de la réponse
correcte) et s’en suivait une discussion en groupe entre proposants et
opposants avant que l’enseignant ne corrige l’exercice.
Chaque cours commençait par un rapide contrôle – comme
cela est souvent d’usage en classe inversée – qui permettait
à l’enseignant d’apprécier, a posteriori, le
niveau de connaissance effectif des élèves sur la leçon
distribuée. L’enseignant pouvait ainsi mettre en relation
d’éventuelles difficultés rencontrées en classe avec
un défaut d’apprentissage de la leçon. Ce contrôle
était noté et la note prise en compte dans la moyenne
générale avec un faible coefficient (0,15).
Tout au long de l’année scolaire, pour chaque évaluation
(sur une échelle de 20), chaque point de note a été
identifié suivant qu’il évaluait une notion acquise dans le
cadre d’un enseignement traditionnel ou dans le cadre d’un
enseignement inversé. Ainsi, nous avons pu, pour chaque
élève, calculer une moyenne annuelle sur 20 points relative
à un enseignement traditionnel – que nous appellerons ici
« moyenne académique », et calculer une moyenne
annuelle, toujours sur 20 points, relative à un enseignement
inversé – que nous appellerons « moyenne classe
inversée ». De plus, nous avons, pour chaque
élève, calculé un indice de performance en classe
inversée (Pi) qui est la différence algébrique entre la
moyenne classe inversée et la moyenne académique. Plus
l’indice de performance est élevé, plus l’impact de la
classe inversée sur la moyenne est bénéfique.
Les
élèves étaient notés par leur enseignant dans le
cadre des évaluations du contrôle continu (évaluations
normatives en fin de séquence) ou par un autre enseignant pour ce qui
concerne les deux devoirs communs anonymes. Au total, pour chaque
élève, dix-sept notes ont été prises en compte pour
le calcul des moyennes annuelles de la classe 1 (n1=28) et vingt-deux pour
celles de la classe 2 (n2=30), l’enseignant de cette classe ayant un
rythme d’évaluation plus soutenu que celui de la classe 1. Les
élèves de la classe 1 ont eu neuf notes évaluant les
acquisitions faites en classe inversée et huit notes évaluant
celles faites en classe traditionnelle. Les élèves de la classe 2
ont eu, quant à eux, treize notes portant sur la partie classe
inversée et neuf sur la partie traditionnelle.
Sur l’année, les contrôles proposés ont permis
d’évaluer les cinq premiers niveaux d’objectifs
pédagogiques (connaissance, compréhension, application, analyse et
synthèse) de la taxonomie de Bloom qui en comporte six (Bloom, 1956).
Nous avons choisi une approche expérimentale de type « essai
croisé » : une même cohorte suivie dans deux situations
expérimentales différentes : classe traditionnelle ou classe
inversée. Dans cette approche méthodologique, chaque
élève est son propre témoin ; la variabilité
inter-élèves est supprimée au profit d’une
variabilité intra-élève que nous cherchons
précisément à explorer. Cet essai croisé permet
d’obtenir des données individualisées pour chaque
élève. Ces données seront donc un complément utile
et éclairant lors de la phase d’entretien individuel. En effet,
outre les données quantitatives des moyennes des élèves,
nous avons procédé à l’administration d’un
questionnaire en fin d’expérimentation ainsi qu’à une
série de courts entretiens individuels semi directifs avec des
élèves. Entretiens au cours desquels, il était
demandé en préambule aux élèves de s’exprimer
sur la classe inversée et sur les éventuels apports qu’ils
auraient pu constater les concernant, sans plus autre précision.
3. Résultats
Les figures 1a et 1b en annexe comparent, pour chaque
élève, de chaque classe, les moyennes académiques en classe
normale aux moyennes obtenues en classe inversée.
Si, à
l’échelle de cette classe 1, nous avons pu constater que
l’enseignement inversé n’a pas d’incidence sur la
moyenne générale, il convient cependant de noter que dix-sept
élèves sur les vingt-huit composant la classe 1 ont une moyenne
générale en sciences physiques et chimiques inférieure
lorsqu’il s’agit de suivre un enseignement en classe
inversée.
A l’échelle de la
classe 2, l’enseignement inversé se traduit par un impact positif
sur la moyenne générale. On notera toutefois que onze
élèves sur les trente constituant la classe 2 ont une moyenne
générale en sciences physiques et chimiques supérieure
lorsque l’enseignement est traditionnel.
Les figures 2a et 2b en annexe reportent les indices de performance en classe
inversée pour chaque élève de chaque classe.
Pour
comparer plus aisément la répartition de ces indices de
performance en fonction des résultats des élèves nous avons
attribué à chaque élève un niveau selon sa moyenne
académique i.e. sa moyenne en enseignement traditionnel dans la
discipline concernée par l’étude. Quatre niveaux A+, B, C et
D ont été retenus, les correspondances moyenne
académique/niveau sont indiqués dans les figures 2a et 2b.
Ces
figures sont diagrammes en bâtons horizontaux présentés en
croissance de l’indice de performance, c’est-à-dire que
figure en haut, l’élève pour lequel la pratique de la classe
inversée apporte un gain substantiel dans la moyenne.
Une
première analyse de la figure 2a relative à la classe 1 nous
indique que les élèves de niveau D (moyenne académique
inférieure à 8 ) font partie des plus performants en classe
inversée avec jusqu’à 3 points de moyenne gagnés par
rapport à sa moyenne académique pour le premier. A
l’inverse, les élèves de niveau A+, A et B sont les moins
performants en classe inversée, ils occupent le bas de la figure.
Les
données issues de la classe 2 (figure 2b) confirment ce qui a
été observé pour la classe 1. Tous les élèves
de niveau C et D ont un indice de performance positif et la majorité des
élèves de niveau A+, A et B occupent la fin du classement. Ainsi,
la classe inversée semble d’autant plus profitable à
l’élève que son niveau académique est faible.
Sur les cinquante-quatre élèves ayant répondu au
questionnaire administré en fin d’année, une majorité
d’entre eux préfère la classe en mode inversée (22
élèves). Cela étant, on remarquera également
qu’ils sont très nombreux à ne pas afficher de
préférence (19 élèves). Il n’y a donc pas de
plébiscite de la classe inversée. Nous n’avons pas mis en
évidence de rapport entre cette ventilation des choix et le niveau
académique des élèves ou leur indice de performance.
Il convient ici de mettre en avant que le faible effectif de
l’étude impose un nécessaire recul sur les résultats
chiffrés. Il faut comprendre ces chiffres comme des tendances qui
apporteront un éclairage sur l’analyse qualitative des entretiens
et qui vont suivre dans la discussion.
4. Discussion des résultats
4.1. L’inversion de la performance
Nous avons mis en exergue une tendance pour les
élèves de bon niveau en classe traditionnelle à être
généralement moins performants en classe inversée et une
tendance pour les élèves de faible niveau en classe traditionnelle
à être plus performants en classe inversée. Il convient
dès lors de s’interroger sur les raisons susceptibles
d’expliquer cette inversion de la performance. Pour ce faire, les
entretiens avec les élèves peuvent apporter des
éléments de réponse.
4.2. La place de la leçon et l’adaptation au
système
Les données qui suivent sont issus la partie qualitative de
l’étude, essentiellement des entretiens.
L’élève performant, dans le système traditionnel,
est un élève adapté aux modalités de la
pédagogie transmissive. Nous avons vu qu’il devait écouter,
être attentif et suivre. On pourrait rajouter qu’il sait interagir
avec le professeur lors de la prise de note comme le souligne un
élève (EL11.2, niveau A, Pi :
-3,3)3 : « la
classe normale / on peut directement demander au prof / les
explications ». Cette valeur ajoutée du face à face
pédagogique au moment de la leçon est également
soulignée par une brillante élève (EL27.2, niveau A+,
Pi : +1,2) : « je préfère le
cours normal / c’est plus pratique pour moi / je préfère
comprendre en classe alors que quand on est chez nous on comprend pas
forcément tout / d’un coup / on peut pas poser de
questions ». Cette élève de préciser :
« en fait j’écoute beaucoup en cours / et en
règle générale je comprends bien donc après quand je
rentre chez moi / j’ai moins de travail ».
L’attention lors de la leçon est évoquée par cet
autre élève (EL21.1, niveau A, Pi : -0,9) : « je pense que déjà je suis plus attentif en classe
je retiens mieux quand c’est le professeur qui va parler je vais plus
suivre / que tout seul chez moi à réapprendre ». Le
terme de « réapprendre » est surprenant car la
leçon distribuée est nouvelle, il est signifiant cependant car il
révèle un sentiment de travail supplémentaire pour cet
élève qui déclare en parlant de la classe inversée
que « ça demande peut-être un peu plus de
travail / à préparer » et qui se décrit
spontanément comme étant « un peu
flemmard » et qui « apprend moins à la
maison ».
Il semblerait – et cela pourrait paraître paradoxal – que
nombre d’élèves de bon niveau peinent à travailler
leurs leçons à la maison dans les conditions de la classe
inversée (EL05.2, niveau B, Pi : -1,7) :
« quand / je travaille / chez moi j’ai moins de /
facilités surtout / (...) du coup il y a pas d’explication
d’un professeur / et j’ai moins / j’ai plus de
réticences / je me mets moins au boulot tout de suite / alors que
quand il y a / quand je le fais en classe / je comprends / et j’arrive
à assimiler un minimum du coup les exercices qu’on me donne
à faire / j’ai pas forcément besoin de relire le cours je
sais déjà les faire / après ce que j’ai vu / du coup
je trouve ça beaucoup plus facile ».
Facile. Il est facile pour un élève adapté au
modèle transmissif de s’y épanouir et d’y performer,
adaptation d’autant plus aisée que l’environnement de classe
est relativement fixiste comme le souligne ce même
élève : « depuis le collège
c’était comme ça / le cours à l’école /
enfin en cours / on revoyait bien on posait des questions au professeur si on
avait des problèmes de compréhension / si jamais il y avait
quelque chose / enfin / une formule ou quelque chose qu’on comprenait
pas qu’on voulait approfondir » (EL05.2, niveau B,
Pi : -1,7).
Ainsi, positionner la phase d’acquisition hors du temps scolaire peut
dérouter4 les
élèves que le système transmissif a valorisés et
sélectionnés tout au long de leur scolarité pour leur
qualité d’écoute, de prise de note et d’interaction
avec l’enseignant au moment de la leçon. C’est un
élément à prendre en compte dans la compréhension de
la moindre performance révélée de ces
« bons » élèves.
4.3. Le travail à la maison
La question du travail à la maison vient d’être
ébauchée par ces élèves de bon niveau qui nous
expliquent que leur qualité d’écoute et d’interaction
en classe peut les dispenser d’un travail soutenu hors du temps scolaire.
Un autre excellent élève (EL09.1, niveau A+, Pi :
-2,3) commente sa moindre performance en classe inversée en ces termes
: « je travaille moins quand c’est en inversé /
parce que chez moi j’ai pas forcément envie de
travailler ». Ce commentaire apporte un éclairage nouveau
en introduisant une absence de désir, de volonté à
travailler à la maison. La classe inversée « demande
beaucoup de travail » pour cette élève (EL03.1,
niveau B, Pi : -1,9) de bon niveau qui, si elle reconnait
l’intérêt de la méthode, admet cependant avec
lucidité : « ça m’a pas aidé (...) /
parce que je travaillais pas assez / les cours / donc du coup je les comprenais
pas / alors qu’en classe t’es obligé de travailler (...) /
parce que le prof il te l’impose / alors qu’en cours
inversé c’est toi qui le décides si tu le veux ou si tu le
veux pas / donc il suffisait qu’une semaine on voulait pas le faire et on
comprenait pas le cours donc on avait une mauvaise note ». Ainsi,
nous percevons que la faculté, pour un « bon »
élève, de suivre efficacement une leçon en classe ne
persiste pas forcément lorsqu’il s’agit de faire ce travail
à la maison avec une leçon polycopiée.
Pour autant, la leçon distribuée est de nature à ouvrir
de nouveaux horizons à d’autres élèves moins
performants dans le système traditionnel, comme nous le laisse comprendre
cet élève, faible au demeurant (EL13.2, niveau D,
Pi : +1,2) : « le fait d’avoir la
leçon / ça me donne l’envie de la regarder / alors que quand
j’écris j’ai une écriture pas très jolie donc
ça me donne moins envie de la lire / ça me pousse vraiment
à plus travailler ». Ce cas contraste fortement avec les
autres. Cet élève nous décrit un certain désir de
travailler inhérent aux modalités de la classe inversée, un
désir presque pulsionnel dans l’acception étymologique et
freudienne du terme. Une pulsion dont on imagine qu’elle peut
redéfinir, pour cet élève faible en sciences physiques et
chimiques, les contours de son rapport au savoir. Et du reste certains
élèves faibles semblent s’inscrire dans une heureuse
dynamique avec la classe inversée. Comme cet élève (EL19.1,
niveau C, Pi : +2,2) qui déclare à propos de la
classe inversée : « j’apprends plus / parce que
on est obligé de
compléter5 alors que /
quand on remplit un cours en classe / enfin / j’ai pas forcément
l’habitude de regarder les cours à la maison ».
Un élève qui, s’il n’a pas la culture de revoir la
leçon à la maison à l’instar de ses pairs de bon
niveau, se meut dans un nouvel élan – et ce presque malgré
lui – avec une notion d’obligation de travailler. Une vision
partagée par cet autre élève très faible (EL16.2,
niveau D, Pi : +3,8) qui performe en classe
inversée : « (la classe inversée) c’est
bien car on va dire on écrit pas trop / on a déjà le cours
(...) / on a pas besoin en gros d’écrire / on
réfléchit juste sur le sujet (...) / en fait / normalement / quand
j’écris mon cours en fait / je réfléchis pas trop
à retourner dans le cahier alors qu’en inversé t’es un
peu obligé parce que t’a rien écris du cours et tu dois
l’apprendre par cœur ». Un autre élève au
niveau académique très faible (EL24.2, niveau D,
Pi : +2,7) : « moi je trouve personnellement
qu’il y a / pas trop de différences / mais / en inversé
ça / ça nous oblige à travailler / parce qu’on sait
qu’en cours on va pas le faire / et qu’on doit le faire à la
maison ». Devoir et obligation tels sont les maître-mots
assez prégnants et récurrents dans certains entretiens
d’élèves. Ces élèves paraissent, par leur
attitude, accepter les termes du contrat de transfert de responsabilité
d’accès au savoir énoncé par l’enseignant.
Cette mise au travail est également très liée avec le
contrôle de connaissances proposé en début de cours
inversé. Un contrôle qui semble particulièrement important
pour les élèves de faible niveau : « (la
classe inversée) ça me force plus à travailler (...) /
quand c’est en cours / après quand je rentre chez moi je
regarde pas trop le cours alors que quand c’est en inversé je
travaille plus et si c’était inversé on faisait une petite
interro » (EL14.1, niveau C, Pi : +2,1). Une
idée reprise par cet autre élève (EL22.2, niveau C,
Pi : +1,7) : « c’est automatique quand il y a
un contrôle après ben ça donne envie d’apprendre le
cours et d’avoir / une note facile / et après ça / et
après au gros contrôle c’est / comme on a retenu le cours ben
on sait des choses » alors que « ça donne pas
envie d’apprendre quand on fait un truc
normal6 ». Cet
élève nous dépeint la facilité –
« note facile » – et l’aspect
mécanique inconscient d’un schéma action/réaction
– « c’est automatique » – à
court terme pour des élèves qui paraissent avoir du mal à
se projeter dans le temps.
Un élève de bon niveau (EL04.2,
niveau B, Pi : +4,0) qui performe malgré tout en classe
inversée se montre plus précis sur les us et coutumes du groupe
classe : « la classe inversée (...) / ça fait
apprendre l’élève / quand on est pas en séquence
inversée / on a pas l’obligation d’apprendre le cours alors
qu’en séquence inversée on l’a / car il y aura interro
on le sait tous », alors que sans ce contrôle de
début de cours « on attendrait le contrôle comme
d’habitude et on réviserait / pour certains / la veille / tout
le cours ». Une autre élève (EL30.2, niveau C,
Pi : +3,0) : « je trouve que / c’est
meilleur parce que / j’apprends mieux les cours / chez moi (...) / parce
que (...) / j’essaie de les apprendre par cœur » alors
que lorsque la classe est non-inversé « j’apprends
moins / parce que je pense pas à / parce que je sais qu’il
n’y aura pas de contrôle ». Ce fameux contrôle
est important pour cette élève qui analyse sa bonne performance en
classe inversée ainsi : « j’apprends deux fois
mieux parce que je les apprends en deux fois ». Ce faisant, cette
élève nous apporte les clefs de cette étude.
5. Conclusion
Il ressort de notre étude que –
paradoxalement et pour les deux classes observées –
l’apprentissage au quotidien de la leçon à la maison, ne
fait pas partie des habitus des élèves dans le cadre de la classe
traditionnelle. Les élèves de bon niveau n’en
éprouvent pas le besoin du fait certainement de la qualité de leur
attention en classe, ils n’en ressentent pas l’envie non plus. De
même, les élèves de niveau plus faible, n’ont
guère l’envie de revoir la leçon régulièrement
ou n’y pensent même pas. Dans le cadre de la classe inversée,
les élèves de bon niveau ne semblent pas modifier leur
comportement : ils ne compensent pas l’absence de leçon
magistrale par un travail à la maison et ce, contrairement aux
élèves de plus faible niveau. Ces derniers, se sentent
obligé d’apprendre la leçon et souvent par cœur. Un de
ces élèves (EL16.2, niveau D, Pi : +3,8) nous
éclaire sur la valeur de la leçon sous format
littéral : « les professeurs nous expliquent
directement le cours / ce qu’il y a à comprendre ».
Un peu comme si cette leçon distribuée était un
prêt-à-penser polycopié, une « substantifique
moelle » dont l’appropriation par un jeu
d’action/réaction presque skinnerien était susceptible
d’apporter une récompense, la fameuse « note
facile ». Cela étant, la majorité des
élèves travaillent les leçons pour
l’évaluation normative en fin de séquence – et souvent
au dernier moment.
En somme, le rapport de force cognitif entre élèves
s’inverse suivant le cadre pédagogique. Ce rapport est à
deux contre un en faveur des élèves de bon niveau
académique dans le cadre de la classe traditionnelle. Deux temps
d’apprentissage pour les élèves de niveau
élevé (écoute performante en classe et révision
avant l’évaluation) contre un seul pour ceux de niveau plus faible
(révision avant l’évaluation). Mais ce rapport passe
à deux contre un, cette fois à l’avantage des
élèves de faible niveau académique, lorsqu’il
s’agit de la classe inversée. Deux temps d’apprentissage pour
les élèves de niveau plus faible (apprentissage par cœur
avant la séance de classe et révision avant
l’évaluation) contre un seul pour ceux de niveau
élevé (révision avant l’évaluation).
C’est ce rapport de force cognitif inversé qui explique
vraisemblablement les variations constatées de l’indice de
performance des élèves.
Nous pensions que cette étude – au travers des questionnaires
administrés et des entretiens avec les élèves –
permettrait d’apprécier les vertus supposées des phases
dialoguées entre pairs que nous considérions – et persistons
à considérer – comme étant la pièce
maîtresse de la classe inversée. Force est de constater que cela
n’a pas été le cas. Si certains élèves
reconnaissent que le cours inversé est plus animé, seulement deux
d’entre eux ont abordé cet aspect de dialogue en classe en
indiquant préférer « le cours inversé car on
interagissait tous ensembles » (EL25.2, niveau B,
Pi : +0,3) ou trouvant que « les boitiers de
vote sont bien et il est intéressant de comparer les réponses des
camarades » (EL05.2, niveau B, Pi : -1,7). Ce sont
les élèves qui, au final, ont orienté la teneur et la
coloration de ce travail dans sa composante d’accès aux savoirs,
plutôt que dans sa composante d’utilisation pratique de ces savoirs
au travers du dialogue argumenté par exemple. Cela ne signifie nullement
que la discussion entre pairs est sans effet mais plutôt que cet effet,
s’il existe, est moins prégnant au regard des élèves
qu’il ne le serait à celui du chercheur, or c’est au travers
du regard des élèves que notre étude s’est
fondée.
Il pourrait cependant être intéressant
d’élucider la ou les raisons qui ont conduit les
élèves à taire, lors des entretiens, la pratique
dialoguée entre pairs, il pourrait être également judicieux
de chercher un lien éventuel entre la qualité de la prise de note
des élèves et le statut de la leçon polycopiée. De
même, une étude sur un plus long terme permettrait
d’apprécier la capacité d’adaptation des
élèves de bon niveau car si l’élève la plus
brillante de la classe 2 (EL27.2, niveau A+, Pi : +1,2)
déclare s’être rapidement adaptée en changeant son
organisation, qu’en serait-il des autres si les nouvelles conditions de la
classe inversée devaient persister ?
La classe inversée telle que nous l’avons suivie au cours
d’une année scolaire révèle une inversion de la
performance des élèves par rapport à la classe
traditionnelle. Il convient toutefois d’avoir à l’esprit que
l’inversion de la performance ne signe en rien l’inversion du niveau
de l’élève. Un élève peut être moins
performant en classe inversée mais rester d’un niveau
convenable.
A la lumière de nos travaux, nous pensons que la classe
inversée, dans les conditions de cette étude, est un outil de
remédiation performant pour redonner ponctuellement de l’allant
à certains élèves du lycée dépassés
par un système trop souvent transmissif et pas assez permissif. Cela
étant, nous ne saurions recommander, en l’état, un usage
extensif de cette méthode qui n’est pas une panacée
éducative. Du reste faut-il en rechercher ? La sagesse recommandant au
pédagogue de ne pas s’enfermer dans un seul et unique
modèle...
BIBLIOGRAPHIE
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the learning environment: A comparison of learning activity in a traditional
classroom and a flip classroom that used an intelligent tutoring
system. Ohio State University.
ANNEXES
Figure 1a • Moyennes académiques (en
abscisse) vs moyennes en classe inversée (en ordonnée) pour
chaque élève de la classe 1
La bissectrice rouge représente l’égalité des
moyennes académiques et inversées. Les points situés
à droite de cette bissectrice référencent les
élèves pour lesquels les résultats obtenus sont meilleurs
en classe traditionnelle.
Figure 1b • Moyennes académiques (en
abscisse) vs moyennes en classe inversée (en ordonnée) pour
chaque élève de la classe 2
La bissectrice rouge représente l’égalité des
moyennes académiques et inversées. Les points situés
à droite de cette bissectrice référencent les
élèves pour lesquels les résultats obtenus sont meilleurs
en classe traditionnelle. L’impact de l’enseignement inversé
est globalement positif pour la moyenne générale de cette
classe.
Figure 2a •
Ventilation du niveau des élèves en fonction de l’indice de
performance pour la classe 1
On remarque que ce sont les élèves de niveau faible (C et
D) qui sont majoritairement performants en classe inversée (indice de
performance positif).
Figure 2b •
Ventilation du niveau des élèves en fonction de l’indice de
performance pour la classe 2
On remarque que ce sont les élèves de
niveau faible (C et D) qui sont majoritairement performants en classe
inversée (indice de performance positif). Tous les élèves
qui sont moins performants (indice de performance négatif) se
révèlent être de bon niveau académique (A+, A voire
B).
1Classiquement, dans le
modèle transmissif qui prévaut au lycée, le
déroulement des activités en sciences physiques et chimiques
s’inscrit dans la temporalité suivante : leçon –
TP (travaux pratiques)/TD (travaux dirigés) – évaluation
normative en fin de séquence (d’après Beauvais, 2003,
modifié), les exercices étant essentiellement prévus hors
du temps scolaire. Lors de l’inversion de la classe la position, la
finalité et les moyens des TP/TD n’ont pas été
modifiés.
2Nous emploierons le terme de cours
pour faire référence à la séance de classe.
3Nous indiquerons pour chaque
retranscription d’entretien, le numéro de
l’élève concerné, son niveau et son indice de
performance (Pi) en classe inversée.
4Un phénomène
déjà observé par Strayer (Strayer, 2007).
5Les leçons
polycopiées distribuées par les enseignants en classe
inversée pouvaient comporter des zones vierges à compléter
après une recherche documentaire.
6« Truc
normal » : comprendre évaluation normative en fin de
séquence, ce que cet élève appelle également
« gros contrôle ».
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