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Réception d’un Environnement Numérique de
Travail par les acteurs de l’éducation
François BURBAN (CREN), Xavière LANÉELLE (CREN)
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RÉSUMÉ : Dans
le but de promouvoir le numérique, pour former les citoyens de demain et
améliorer l’efficacité du système, le
Ministère de l’Éducation Nationale ainsi que les
Régions tentent de favoriser sa diffusion. Les environnements
numériques de travail (ENT) mis en place avec cet objectif ont vocation
à permettre des pratiques pédagogiques nouvelles, à rendre
plus efficace la gestion administrative des établissements et à
les ouvrir aux parents et élèves, rendant par-là plus
transparente l’organisation scolaire. Au niveau local, les membres des
équipes de direction et les enseignants accueillent l’ENT de
manière contrastée. Les chefs d’établissement, qui ne
souhaitent pas heurter leurs équipes, œuvrent au déploiement
du dispositif dans un ordre négocié. En conséquence, une
partie des acteurs se satisfait des bénéfices apportés par
l’outil. Néanmoins, une autre partie contourne l’ENT et/ou le
critique. Cette réticence à l'usage est consolidée par une
crainte diffuse du contrôle de l'activité des enseignants,
renouvelant ainsi la critique portée à l'encontre des
récentes politiques publiques en éducation, qui seraient
fondées sur une logique managériale.
MOTS CLÉS : Environnement
numérique de travail (ENT), politique éducative, ordre
négocié, tensions, lycées, organisation scolaire. |
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ABSTRACT : With
the aim of promoting digital technology, to form tomorrow citizens and improve
the efficiency of the educational system, the French Department of Education in
cooperation with the Regions tries to promote the distribution of advanced
teaching techniques. VLEs (Virtual Learning Environments) set up with this
objective allow new educational practices, make the management more effective
and open high schools to the parents and students, making the school
organization more transparent. The members of management teams and the teachers
receive the VLEs in a different way. The head masters, who do not wish to
abandon their teams, work in the deployment of the device in a negotiated order.
Accordingly, a part of the actors is satisfied with the advantages brought by
the tool while another part criticizes and/or bypasses the VLEs. This reluctance
in the use is strengthened by teachers’ fear of losing control over the
activity, renewing the criticism against the recent public policies in education
that would be based on a managerial logic.
KEYWORDS : Virtual
Learning Environments, Educational Policy, Negotiated order, Tension, High
School, School Organization |
1. Introduction
L’équipement
numérique des établissements scolaires français, le
déploiement en cours des environnements
numériques de travail ainsi que le développement des usages des
outils numériques par les personnels de l’Education Nationale,
participent d’une évolution globale du système
éducatif français. Le modèle français de
l’administration centralisée de l’éducation et sa
forme traditionnelle sont largement questionnés depuis une trentaine
d’années. Le débat insiste désormais sur le transfert
au niveau territorial de la gestion des moyens, le pilotage et l’autonomie
des établissements ; la redéfinition du statut et des missions des
chefs d’établissements ; la collégialité et le
management participatif (Dutercq et Lang, 2002).
Les transformations s’inscrivent dans un mouvement de
déconcentration administrative (Dutercq, 2001) par lequel les structures décisionnaires sont significativement
transférées au niveau des collectivités territoriales. Pour
les personnels d’encadrement, l’incitation va vers un recours
à des démarches plus rationnelles d’organisation de
l’activité, marquées par un type nouveau de management
public (New Public Management)
s’inspirant de nouvelles théories de management fortement
prônées par les organisations intergouvernementales (Muller, 2006),
même si, en France, leur développement a été
freiné par de nombreuses résistances, particulièrement dans
le système éducatif où leur application en
l’état paraît difficile.
Outre la remise en cause d’un système administratif
centralisé, cette référence aux modèles et aux
méthodes de gestion du monde de l’entreprise et aux conceptions
managériales qui s’y sont installées, s’explique par
la recherche de nouvelles formes d’action et l’obligation de
repenser la répartition des rôles entre les nouveaux services des
collectivités territoriales et les services déconcentrés de
l’administration d’État (Dutercq, 2001).
Les travaux de recherche portant sur la modernisation de l’administration
de l’éducation apparaissent dans les années quatre-vingts en
France. Ils étudient les établissements scolaires comme des
organisations dotées d’un certain degré d’autonomie (Baillon et al., 1989) ; (Dubet et al., 1989) ; (Derouet, 1988).
Les chefs d’établissements peuvent adhérer à ce
néo-management dans la mesure où ils sont engagés dans une
recherche d’efficacité, de performances et de nouvelles formes de
mobilisation. La réussite de leur projet d’établissement est
corrélée à celle d’un plan de construction de
carrière dans lequel l’ascension dans la hiérarchie du
groupe, dans ce nouveau mode de fonctionnement, passe par un système de
« coopétition » articulant coopération et
compétition (Boltanski et Chiapello, 1999).
L’ambivalence de leur adhésion relève d’une rupture
avec la culture majoritaire précédemment citée des cadres
de l’éducation (Barrère, 2006).
Cette rupture dans la culture interne des chefs d’établissement
signe également un différentiel croissant avec la culture des
enseignants dans la mesure où celle-ci est pour l’instant moins
directement impactée par les évolutions générales de
gestion du système éducatif et plus inscrite dans une
continuité du modèle historiquement construit, centré sur
leur mission éducative, cœur de leur métier (Barrère, 2002).
En définitive, au niveau local, la position d’acteur
intermédiaire des chefs d’établissement aboutit à la
recherche plus marquée que pour les enseignants d’une
régulation entre les différents niveaux de la hiérarchie de
l’institution (Dutercq, 2005).
Le regard porté différemment par les chefs
d’établissements et les enseignants sur le développement des
usages numériques s’affilie à un ensemble de valeurs
diversement partagées, lorsqu’elles n’entrent pas en tensions
entre les deux groupes. Dans l’évolution récente de leurs
objectifs par exemple, les chefs d’établissements accordent une
attention particulière à la mobilisation de l’ensemble des
personnels qui passe par un travail de terrain privilégiant la
communication et l’écoute. Pour Dutercq et Lang (Dutercq et Lang, 2002) cette attention à leur activité est parfois décrite par les
enseignants comme une ingérence ou une injonction plus ou moins
déguisée à les faire rentrer dans la logique de projet des
premiers. Dans ce sens, l’adhésion à la politique
numérique de l’établissement a-t-elle pour finalité
de permettre l’attribution de
récompenses au mérite, de différencier les parcours des
enseignants ou d’agir sur la constitution de leur service ? La
constitution d’équipes internes de coordination des usages
numériques ou les groupes de pilotage du déploiement d’un
environnement numérique de travail (ENT) dans lesquels les enseignants
sont parties prenantes et dont nous décrirons plus avant la
création et le fonctionnement reflète-t-elle cette orientation
allant vers un management participatif fortement empreint de modernisme
organisationnel (Dutercq et Lang, 2002) ?
Dans le double contexte d’entrée dans une société
numérique et d’inscription de
l’État dans une logique de recherche de performance et d’obligation de
résultats face aux résultats médiocres mis en exergue par
PISA (OCDE, 2010),
ainsi qu’aux lourdeurs bureaucratiques coûteuses, par laquelle
l’État cherche à redonner une légitimité
à ses politiques d’éducation (Dutercq, 2005),
le numérique scolaire constitue un
enjeu important. Depuis le « Plan informatique pour tous » de 1985 qui
visait à équiper les établissements d’ordinateurs,
cette logique a perduré avec l’intensification et la
diversification des acquisitions en matériel numérique (tablettes,
tableaux numériques interactifs etc.). Parallèlement, dans le
cadre de la décentralisation, depuis les années 1980, l’Etat
a délégué un certain nombre de compétences aux
collectivités locales, notamment en matière de financement (Dutercq, 2001).
Les investissements, privilégiant dans un premier temps la
réfection et la construction d’établissements scolaires, se
sont orientés plus récemment sur l’équipement, en
particulier en Technologies de l’Information et de la Communication (TIC).
Depuis 2003, c’est avec la volonté de la
généralisation des Environnements Numériques de Travail
(ENT) que le Ministère de l’Éducation Nationale (MEN), dans
le cadre du Schéma directeur des espaces numériques de travail,
cherche à moderniser la gestion de l’information, à ouvrir
davantage l’école aux parents d’élèves,
à permettre aux élèves d’entrer de plein pied dans la
société de
l’information1.
Suivant cette orientation, chaque Région, accompagnée
(financement, mesures d’audience, documentation) par la Caisse des
Dépôts et Consignations (CDC) (Bruillard, 2011) ; (Puimatto, 2004),
devait doter toutes les académies d’un ENT avant 2007. La date a
été reportée ensuite en 2010 ; mais un certain retard a
été pris puisque seules 8 régions sont dotées en
2013 (CDC, 2013).
Mais, le développement du numérique et plus
particulièrement la mise en place d’un ENT soulève la
question de son appropriation par les acteurs de l’Éducation
Nationale, en particulier les enseignants et les personnels de direction. Alors
que le numérique a vocation à ouvrir les possibles
pédagogiques et que les ENT ont pour objectif de « fournir à
chaque acteur de la communauté éducative (enseignants,
élèves, administratifs, techniciens, mais aussi parents,
intervenants extérieurs, ...) un point d’accès unifié
à l’ensemble des outils, contenus et services numériques en
rapport avec son activité » (Rapport IGEN, IGAEN, mai 2006, 45),
leur réception et leur usage sont d’une part fort différents
et d’autre part parfois traversés de tensions que nous analysons
ici.
Quelques remarques s’imposent sur l’approche
méthodologique ainsi que les questions et les perspectives de recherche
retenues dans le cadre de ce travail.
Notre recherche, porte sur la réception de l’ENT - E-Lyco - dans
une académie de l’ouest de la France, que la Région a choisi
sur appel d’offre, financé puis déployé
progressivement par vagues depuis janvier 2010. Notons qu’il existe en la
matière « une grande disparité des responsabilités
assumées par les collectivités » au niveau national (Bruillard, 2011).
Cette recherche s’appuie sur une enquête empirique qualitative
menée en 2012-2013 et a consisté en :
- un travail monographique dans un établissement de ville moyenne,
classé sensible, où nous nous sommes installés deux
semaines non-consécutives, la première semaine nous sommes
restés dans l’établissement de 8h à 18h pour
observer, enquêter. Nous avons pu mener deux séries
d’entretiens semi-directifs auprès de 24 personnes, dont 21
enseignants, le proviseur et un adjoint, et un CPE. Nous avons donc
veillé à ce que la variété des fonctions et des
enquêtés permette de cerner les diverses situations ;
- nous avons aussi mené des entretiens auprès de 9 proviseurs
ou adjoints ainsi qu’auprès de 8 intervenants académiques
dans le domaine des technologies de l’information et de la communication
pour l’enseignement (IA-TICE) et un interlocuteur de la Région
;
- par ailleurs nous avons disposé d’un corpus d’entretiens
menés par d’autres chercheurs mis à notre disposition qui
concerne 17 établissements divers tant par la taille des villes où
ils sont implantés que par la nature de l’établissement (28
professeurs et 3 CPE).
Le guide d’entretien semi-directif pour les enseignants nous
était commun. Le canevas visait à repérer le parcours des
enseignants, la manière dont ils s’étaient approprié
les TIC, leurs pratiques, ainsi que la vision qu’ils avaient de cet
artefact règlementaire et de son inscription dans les politiques
publiques. Pour ce qui concerne les équipes de direction
l’entretien était davantage compréhensif, moins directif,
néanmoins les chefs d’établissements ont abordé
d’eux-mêmes les mêmes items. Les entretiens ont
été menés entre novembre 2012 et mars 2013 dans des
établissements où l’ENT était déjà
introduit depuis au moins un an (vagues 1 à 3 du déploiement, la
vague 4 était juste amorcée au moment de l’enquête).
Les enquêtés sont très variés tant sur le plan du
statut (proviseur/CPE/documentalistes/autres professeurs), de l’âge,
du sexe que de l’expérience des TICE. Les disciplines
représentées sont variées : Lettres, Philosophie, Langues,
Mathématiques, Sciences physiques, Sciences de la Vie et de la Terre,
Histoire-Géographie, Sciences Economiques et Sociales, Sciences de
l’ingénieur, Documentation. Ces matériaux ont tous
été retranscrits, puis ont fait l’objet d’une analyse
de contenu. Il s’est agi dans une première phase de l’analyse
d’identifier pour chaque entretien les propositions signifiantes en regard
des dimensions retenues lors de la constitution du guide commun par
l’équipe de recherche mais également des dimensions
émergentes posées par l’interviewé et de
l’importance qu’il leur accorde dans sa logique discursive. La
seconde phase d’analyse consiste en une catégorisation reposant sur
le croisement opéré à partir des analyses individuelles
permettant d’identifier les axes de convergence mais aussi les
positionnements spécifiques ou les points de tensions repérables (Giglione et Matalon, 1978) ; mais in fine c’est
le canevas d’entretien et notre cadre
théorique qui délimitent les unités globales de sens.
Par ce guide, nous approchons les logiques d’acteurs en nous inscrivant
dans la perspective de la sociologique des organisations (Bernoux, 1990) ; (Crozier et Friedberg, 1992) ; (Boltanski et Chiapello, 1999).
En effet, l’usage de l’ENT impacte potentiellement (et
différemment) l’activité des acteurs de
l’organisation, proviseurs et adjoints, équipe éducative.
Leur travail au quotidien se voit en partie transformé par le recours
à ce nouvel outil. La réalisation concrète des tâches (Barrère, 2002),
tant dans leur forme que dans leur temporalité, se transforme
partiellement sous l’effet des ressources numériques mises à
disposition ou soumises à l’injonction par l’institution.
Le positionnement respectif de ces deux groupes d’acteurs dans la
hiérarchie de l’institution scolaire implique également la
construction de discours distincts dans lesquels sont mis en avant ou
réfutés un ensemble de valeurs et qui fondent la justification de
leur action (Boltanski et Thévenot, 1991) ; (Boltanski et Chiapello, 1999).
Le déploiement des environnements numériques de travail est
abordé dans notre recherche comme un objet sensible discuté in situ par les acteurs en
présence dans leur contexte d’activité professionnelle.
À ce niveau, ce sont les jeux de position et enjeux respectifs qui sont
observés et analysés.
Dans un premier temps, nous analysons la réception globale du
numérique par les acteurs de l’école sollicités -
chefs d’établissements et enseignants - puis celle du
déploiement de l’ENT. Nous mettons l’accent sur le consensus
pragmatique qu’entretiennent les acteurs sur de nombreuses facettes de
l’outil avant de repérer les tensions puis de conclure.
2. La réception du numérique dans les
établissements
2.1. Les équipes de direction et le numérique
Les chefs d’établissement
rencontrés lors de notre enquête ont des usages variés des
outils numériques. Cette diversité n’apparaît
cependant que dans un second temps dans la mesure où leur fonction et la
définition des tâches qui leur incombent reposent pour une part
significative sur l’utilisation d’un ensemble étendu de
ressources numériques, imposées, préconisées ou
laissées au libre choix de l’utilisateur. D’un avis
partagé par tous les proviseurs et proviseurs adjoints
interviewés, la gestion administrative et humaine d’un
établissement en ce début de XXIème siècle
n’échappe pas à une tendance globale dans la grande
majorité des secteurs d’activité professionnelle et de la
société dans son ensemble, qui pose les technologies
numériques comme des artefacts incontournables de réalisation de
l’activité, qu’elle soit ou non professionnelle (Baron et Bruillard, 1996) ; (Bruillard, 2011).
Au cœur de cette activité, c’est évidemment le
recours à l’ordinateur qui dorénavant s’est
imposé. Ce support matériel englobe un ensemble de ressources
logicielles jugées désormais incontournables, tant pour les
dimensions informationnelles ou communicationnelles (lettre de cadrage rectoral,
bulletin officiel etc.) que pour la gestion administrative de
l’établissement (planning des salles ; calendrier de
l’établissement ; présences etc.) : « L'outil numérique, quel qu'il
soit, aide à la fabrication des emplois du temps, relevés de notes
etc. C'est autant de facilités pour nous, en termes de
réactivité, dans un métier qui aujourd'hui, est assez
prenant. Pour tout le monde, y compris pour les profs. Et, pour moi l'image
personnelle des TIC c'est le moyen, le levier qui nous permet d'avoir une
relative maîtrise sur notre, comment dire... sur notre engorgement de
travail. » (Boris, Proviseur, 60 ans, Lycée D).
La création récente de réseaux internes (type Intranet)
et plus généralement la connectivité accrue des
établissements accentuent ce recours aux technologies numériques.
Celles-ci transforment les modalités de travail des chefs
d’établissement mais également leurs temporalités.
À des tâches antérieurement organisées de
façon plus séquentielles et distribuées dans les
temporalités de l’établissement (quotidiennes,
hebdomadaires, mensuelles, trimestrielles, annuelles) viennent se substituer des
agencements tendant à superposer et croiser leur réalisation de
façon quasi simultanée et dans des chronologies relevant du «
temps réel ».
Pour une majorité des chefs d’établissements
interviewés, le développement important des usages
numériques ne se présente pas en soi comme un changement radical
des missions des équipes de direction. Les usages qui découlent de
l’installation importante des technologies numériques dans les
établissements relèveraient plutôt d’un «
déplacement », d’un changement de forme plus que de fond. Ce
développement suppose par exemple une redéfinition et une
redistribution des fonctions dans l’équipe de direction, entre le
proviseur, son ou ses adjoints et le secrétariat de direction en fonction
notamment des compétences attendues ou reconnues ainsi que des
responsabilités imputables au positionnement hiérarchique de
chacun.
Ce changement est toutefois important, diversement interprété
et mis en œuvre en fonction d’un ensemble large de dimensions locales
(type d’établissement, taille, situation géographique etc.)
et souvent liées au propre parcours professionnel du chef
d’établissement (âge, ancienneté dans
l’établissement ou dans la fonction, carrière, parcours
antérieur etc.).
L’organisation au sein de l’établissement est
partiellement renouvelée par les technologies numériques et leurs
usages. Le niveau d’engagement individuel et collectif au sein de
l’équipe de direction a une incidence importante sur la dynamique
globale de l’établissement (Barrère, 2008) ; (Dutercq, 2005).
Le numérique peut alors jouer un rôle important et être
mobilisé de façons différentes et dans des
stratégies de niveau et de forme variables, au service de cette dynamique
d’ensemble de l’établissement.
2.2. Les enseignants et le numérique
Si les technologies numériques sont des artefacts incontournables de
réalisation de l’activité chez les enseignants comme chez
les personnels de direction, la diversité des pratiques des enseignants
interrogés apparaît immédiatement comme l’ont
montré de nombreuses typologies (Cuban, 1986) ; (Rogers, 2003) ; (MEN, 2012) ; (Basque et Lundgren-Cayrol, 2002).
En effet, du fait de la variété des disciplines enseignées,
les enseignants sont moins soumis à des directives institutionnelles
communes.
Certains sont réticents comme Élodie
(Histoire-Géographie, 50 ans, lycée H) ou encore Marc
(Philosophie, 46 ans, lycée A) : ils « doutent de
l’intérêt des TICE » comme les 3% des enseignants
interrogés dans l’enquête Profetic (MEN, 2012) ou en
ont un faible recours (17%). Cependant, tous les enseignants que nous avons
interrogés sont équipés personnellement d’un
ordinateur et utilisent le traitement de textes pour rédiger leurs cours
et/ou pour produire des documents. Ils font aussi leurs recherches documentaires
en étant connectés à l’internet à domicile.
Nombreux sont ceux qui enrichissent leurs cours grâce au numérique
(41%), ainsi que ce soit en Philosophie, en Lettres ou en Mathématiques,
bien des enseignants utilisent des PowerPoint pour présenter leurs
cours mais ne le font qu’occasionnellement soit parce qu’ils ne le
jugent pas toujours opportun, soit parce qu’ils sont dans des salles qui
ne sont pas encore équipées. Nadège (Lettres, 32 ans,
lycée A) le dit : « Donc DVD,
vidéoprojecteur, rétroprojecteur, à l'ancienne avec le
transparent (...) [parce que] nous les lettres modernes et classiques, on se
sent un peu mis de côté par rapport à l'équipement
multimédia ». Moins nombreux (34%) sont ceux qui ont une
pratique numérique variée pour « l’évidence des
bénéfices » (MEN, 2012).
C’est le cas par exemple de Ludovic (Histoire-Géographie, 40 ans,
lycée B) qui utilise un logiciel pour dessiner des cartes, faire des
graphiques, échanger des fichiers, développer l’esprit
critique en croisant des sources sur la toile, mais qui finalement n’a pas
modifié radicalement ses pratiques. D’une part, parce qu’il
continue à utiliser le manuel et « la craie » ; d’autre part, parce qu’il menait ces activités
auparavant sur des supports papier. Mais c’est le cas aussi de Gilbert
(Histoire-Géographie, 52 ans, lycée A) qui individualise le
travail – entre autres activités - grâce à une
plate-forme Moodle « en salle
multimédia où chaque élève travaille sur son
ordinateur, il a son casque, il a la vidéo, il s’arrête
où il veut, il la remet au début. Tandis que si je passe au
vidéoprojecteur le film en entier, tout le monde ne le regarde pas, alors
que si on le lance en salle multimédia, chaque élève
travaille à son rythme ». Parmi ceux qui utilisent le
numérique au quotidien (5%), nous avons surtout rencontré des
enseignants des filières technologiques. Cependant, très rares
sont ceux qui ont bouleversé leurs pratiques. La catégorie
n’est même pas envisagée par l’enquête Profetic.
Pourtant quelques-uns se distinguent en montant des scenarii pédagogiques
sophistiqués. C’est le cas de Lionel (physique, 42 ans,
lycée A) qui a élaboré avec deux collègues un
environnement numérique de travail dont l’infrastructure technique
comporte différentes « briques » qu’il a collecté
(avec pour principe de n’utiliser que des logiciels libres), et qui permet
une « activité inversée » (Bachy et al., 2010).
Les élèves construisent leurs connaissances grâce aux
documents mis en ligne par l’enseignant et d’autres sources
accessibles grâce à la toile - la part magistrale de
l’enseignement étant réduite – ils sont motivés
par des projets davantage contextualisés et co-élaborés (CV
dynamique, algorithmes de classement chorégraphié), puis
appliquent leurs connaissances en classe, à leur rythme, en multipliant
les interactions avec leurs pairs mais surtout avec l’enseignant qui
circule pendant la classe et apporte une aide individualisée. Une trace
étant aussi mutualisée grâce au net.
On ne peut donc pas conclure que les pratiques pédagogiques
liées au numérique seraient en retard en France comme
d’ailleurs outre-Atlantique (Chaptal, 2011) ; (Karsenti et al., 2002).
La grande diversité des pratiques indique au contraire que si retard il y
a, il n’est pas partagé par l’ensemble des acteurs.
3. Stratégies de déploiement : régulations internes et
ordre négocié
3.1. La logique de déploiement de l’ENT
3.1.1. Mise en adéquation avec les recommandations
académiques
Le déploiement de l’ENT E-Lyco dans les
établissements de la région où nous avons
enquêté suit le SDET, schéma général
conçu en amont par les partenaires du projet, Ministère de
l’Éducation Nationale et CDC (Puimatto, 2004) ; (Bruillard, 2011).
Le Rectorat de l’académie et la Région ont ensuite
organisé le déploiement local dans les lycées avec une
logique d’intégration linéaire (Bruillard, 2011).
Au niveau de l’établissement, ce cadrage du déploiement se
traduit par des préconisations en termes d’échelonnement des
usages de l’outil et d’organisation interne des ressources humaines
sur lesquelles prend appui le dispositif.
Rappelons qu’un ENT a pour objectif de permettre aux différents
acteurs de l’école un accès à un ensemble
d’outils : cahier de textes, espaces pour la publication de pages web et
le dépôt de fichiers, blog, forum et messagerie s’appuyant
sur un annuaire. Certains outils, qui existaient déjà pour
recenser les absences et les notes, calculer des moyennes et éditer les
emplois du temps (Pronote et EDT), sont désormais inclus à la
demande des chefs
d’établissements2.
En amont, l’idée est qu’à partir d’un design
technologique et organisationnel, l’ENT, les décideurs politiques
pensent accroître les compétences TIC des utilisateurs en les
familiarisant progressivement avec les usages numériques permis par
l’ENT.
Nous sommes donc face à une logique, jamais discutée, qui
relève du nouveau management public : décentralisation des choix
avec recours au privé (ni la Région ni l’État
n’ayant produit d’ENT) par un appel d’offre suivi d’un
contrat marchand (Hatcher, 2003).
Cependant, comme souvent dans l’Éducation Nationale, la logique
hiérarchique descendante reste prégnante puisque c’est le
Ministère qui a fixé un cadrage des cahiers des charges et a
confié à la CDC, institution financière publique au service
de l’intérêt général et du développement
économique du pays, le financement partiel en complément de
l’apport des Régions et l’évaluation des usages par la
publication mensuelle, avec un regard rétrospectif de six mois, de
tableaux de bord (Bruillard, 2011).
Ces derniers donnent aux établissements des mesures d’audience
sensées permettre un meilleur « ciblage catégoriel de
l’ensemble de vos actions ». Conçues comme des instruments de
pilotage, il ne serait pas impossible que ces données puissent servir
dans le futur à la mise en concurrence des établissements.
3.1.2. Entrée programmée pour toutes les tâches
administratives et négociée en interne pour les usages
pédagogiques
E-Lyco a été progressivement déployé depuis
janvier 2010 (début de la vague 1). L’entrée se fait
clairement à partir des fonctionnalités administratives
qu’offre l’outil : «
C'était très très clairement annoncé que la
boîte d'entrée était E-Lyco. Donc, il fallait que tout le
monde l’utilise (...). Le cahier de textes, il fallait passer par E-Lyco
ainsi que pour accéder à Pronote. Et si vous vouliez
réserver des salles, notamment des salles informatiques, c'était
aussi via E-Lyco. Donc il fallait savoir s'en servir. » (Christophe,
proviseur adjoint, 43 ans, Lycée M).
L’entrée par la gestion des tâches administratives
s’adosse au pragmatisme des enseignants, pour lesquels l’adoption de
l’ENT est corrélée à l’intérêt
qu’il peut leur apporter dans un rapport coût-bénéfice (Barrère, 2002).
Si l’outil numérique peut permettre un gain de temps ou faciliter
la gestion de tâches, il aura plus de chance de trouver sa place dans les
usages des enseignants : « Pour les
enseignants, c’est clair, soit ça apporte un plus ou alors on
l’abandonne ! » (Vincent, proviseur adjoint, 35 ans,
Lycée F). Les enseignants ont d’ailleurs dans leur ensemble
accepté ces fonctionnalités administratives.
Un exemple d’avantage incontestable et incontesté est la gestion
de l’attribution des salles. Les enseignants expriment leurs besoins sur
E-Lyco et les proviseurs ou leurs adjoints veillent à respecter certaines
priorités, notamment au regard de leur équipement numérique
et de l’évolution qualitative et quantitative de leurs
équipes (Christophe, proviseur adjoint, 43 ans, Lycée M).
L’outil permet aussi d’être très réactif en
gérant quasiment en « flux tendu
» les occupations de salles, en cas d’absence d’un
enseignant par exemple (Luc, Proviseur adjoint, 42 ans, Lycée B). Il
permet en outre aux parents et aux élèves de voir ces
absences.
En outre, l’ENT procure une nouvelle lisibilité. Celle-ci permet
de comprendre le fonctionnement implicite et les arrangements locaux qui,
dès lors, pourront être négociés différemment.
Ainsi, les pratiques des collègues qui « squattent les salles multimédia
» sont observables et sont jugées sur leur pertinence
(Gilbert, Histoire-Géographie, 52 ans, Lycée A) et les enseignants
peuvent négocier entre eux un arrangement. Dans ce sens, l’ENT est
accepté puisqu’il permet d’avoir une organisation plus
transparente du fonctionnement (et permet de voir les éventuels
dysfonctionnements) : l’ENT, en modifiant l’appropriation
territoriale des espaces physiques, est alors au service d’une
efficacité dans la gestion des équipements, au service à la
fois d’un intérêt commun et à la fois des
régulations internes au groupe qui par ailleurs pouvaient lui
échapper (Derouet, 1988).
Par contre les fonctionnalités pédagogiques offertes par
l’outil sont laissées au libre choix, à la liberté
pédagogique3,
des enseignants « on ne leur demandait
pas d'utiliser des fonctionnalités du type "travail en groupe", "
collaboratif ", etc. qu'on trouve sur E-Lyco » (Christophe,
proviseur adjoint, 43 ans, Lycée M). D’ailleurs, les proviseurs ne
le pourraient guère. Nadège (Lettres, 32 ans, Lycée A), en
début d’entretien précise au sujet de l’ENT : « Moi j'aime bien ne pas me sentir
forcée d'avoir l'usage de tel ou tel outil. Je l'utilise mais quand moi
je trouve pertinent ». Mais l’immense majorité des
enseignants ne fait même pas référence à la
liberté pédagogique (1 seule occurrence), elle va de soi. En
effet, s’il est prescrit dans les textes que les chefs
d’établissement doivent animer pédagogiquement les
établissements, de fait ils n’entrent pas dans la classe, «
20% seulement citent des initiatives prises concernant les pratiques
enseignantes » mais ils sont pour ce faire prudents (Barrère, 2007).
Par conséquent sur le numérique, ils peuvent inciter, favoriser
l’émergence et la vie de projets novateurs mais il ne saurait
être question de contraindre au-delà des instructions
officielles.
L’usage des outils numériques pour la gestion des tâches
administratives, présenté comme la fonction centrale
d’E-Lyco par les chefs d’établissement, est donc
accepté par les enseignants à partir du moment où ceux-ci
répondent à un besoin ou, plus pratiquement, permettent à
terme un gain de temps ou d’énergie et accroissent
l’efficacité dans la réalisation de la tâche : « Le vecteur de pilotage que j'ai
c’est, dès lors qu'il m'apparaît qu'un outil informatique est
intéressant et quand j'en démontre son utilité en termes de
gain de temps et d'efficacité, que les gens y adhèrent.
» (Boris, proviseur, 60 ans, Lycée D). L’idée
développée, qui repose sur le modèle diffusionniste de
Rogers (Rogers, 2003),
est que les pratiques se développeront dans la durée en prenant
appui sur les pratiques déjà existantes et qu’il faut se
centrer sur leur émergence de deux façons : la première en
valorisant le travail d’enseignants moteurs en la matière, la
seconde en organisant animation et formation. Nous interrogerons plus loin ce
modèle qui mérite d’être discuté. Cette
volonté affichée de dynamisation de l’activité des
établissements et d’une valorisation de l’approche
participative et de l’engagement de soi des enseignants s’apparente
à une forme de management par projet du système éducatif (Dutercq et Lang, 2002).
3.2. L’essaimage, une visée à moyen et long terme
3.2.1. Constitution d’équipes motrices
Le déploiement des ENT impacte significativement l’ensemble du
collectif établissement par une redéfinition des tâches dans
un portefeuille global de compétences attendues (techniques,
administratives, pédagogiques, communicationnelles). À ce niveau,
la création d’équipes numériques est remarquable.
Elle repose d’abord sur la constitution dans chaque établissement
d’une équipe de pilotage du projet de déploiement
constituée d’un administrateur réseau, d’un
coordonnateur et de référents pédagogiques, placés
sous l’administration d’un membre de l’équipe de
direction. Ces équipes sont constituées d’individus
déjà actifs dans l’établissement, identifiés
par l’équipe de direction sur la base de compétences
spécifiques et complémentaires (techniques, relationnelles,
pédagogiques). L’architecture de cette équipe TICE peut
varier en fonction du type d’établissement et de ses besoins, des
ressources matérielles et humaines déjà présentes ou
en émergence et du volontarisme affiché de
l’établissement.
De plus quelques enseignants ayant développé des usages
spécifiques du numérique sont souvent repérés par
les chefs d’établissement : « Des gens que je suis allé
solliciter. C'est des gens qui aiment ça. Qui ont bien voulu. Et puis, on
a voulu voir ce qu'on pouvait faire, donc tester les différentes
fonctionnalités.» (Christophe, proviseur adjoint, 43 ans,
Lycée M). Dans certains cas, le chef d’établissement propose
ensuite à ces personnes de prendre une part active dans le
développement de l’activité numérique de
l’établissement. L’ensemble des compétences
disponibles est recherché par les chefs d’établissement (Dubet et al., 1989).
Le technicien informatique (agent technique territorial) par exemple peut jouer
un rôle important car c’est de ses compétences que
dépend la fiabilité du système et par voie de
conséquence, une partie de l’adhésion de
l’équipe éducative (absence de pannes, réseau
opérationnel, bon fonctionnement du système) : « On a aussi un agent technique
territorial qui s'occupe d'informatique au niveau du lycée qui est de
très bon niveau et qui solutionne les problèmes, ce qui fait qu'on
a un réseau et des outils qui fonctionnent aussi. Les postes ne restent
pas en panne pendant des jours et des semaines dans les salles.» (Luc, proviseur adjoint, 42 ans, Lycée B).
Les membres des équipes ont accepté ces fonctions de par leurs
compétences et motivations mais aussi par stratégie. Ainsi Lionel
(Physique, 42 ans, Lycée A) dit : « J’avais lancé la
construction d’un ENT maison (...) très en avance sur ce qui allait
être déployé, mais [je savais] que notre expérience
ne pouvait pas être généralisée. » En
effet, les initiatives locales ne sont pas retenues par le rectorat qui craint
que l’équipe ne soit pas pérenne et que son
délitement ait un effet délétère sur
l’organisation. Pour protéger la solution maison, Lionel devient
stratège : « je savais que
ça allait disparaître si je ne prenais pas la main dessus
».
Au-delà des spécificités locales, la constitution de
cette équipe initiale est fondamentale dans la logique de
déploiement promue par l’institution.
3.2.2. Formation et essaimage
Dans tous les établissements, la première année est plus
particulièrement dédiée à l’information
à faire autour de l’ENT en direction de l’équipe.
L’équipe de pilotage, constituée dans
l’établissement et formée par le Rectorat, informe et forme
à son tour les personnes volontaires dans le lycée : « Il y a eu de la formation
proposée pour l'administrateur et, le référent
pédagogique [le documentaliste]. Les professeurs qui étaient
impliqués ont eu aussi un peu de formation par le Rectorat. Et puis
derrière, en interne, cette équipe-là a proposé de
la formation aux collègues. On avait organisé plusieurs
séances de formation et s'inscrivait qui voulait » (Christophe, proviseur adjoint, 43 ans, Lycée M). Lors du dernier
trimestre de la fin de la première année de déploiement,
certaines fonctionnalités, déjà existantes, sont mises
à disposition des enseignants via E-Lyco (appel, rentrée des
notes). À la rentrée suivante, les chefs
d’établissement le leur prescrivent explicitement.
Les enseignants ressources sont un pivot essentiel dans la stratégie
de déploiement d’E-Lyco car ils assurent la jonction entre
l’équipe de direction et l’équipe éducative,
favorisant de la sorte l’essaimage espéré. Partant de leurs
expériences du numérique scolaire, souvent à partir de leur
pratique pédagogique dans leur discipline d’appartenance, ils
peuvent être à l’initiative de formations en direction des
enseignants. Leur contribution n’est pas uniquement technique car elle
permet de faire tomber des réticences, de faire accepter les usages du
numérique à partir d’exemples, en faisant « la preuve
» de son intérêt et de son efficacité : « Un enseignant moteur, pivot du
développement de l’ENT dans l’établissement a
proposé des formations pour les professeurs qui étaient un petit
plus réticents par peur. » (Luc, proviseur adjoint). Et
surtout, l’enseignant-animateur TICE peut aller au-delà du simple
usage « souvent c’est des
formations sur l’outil pour l’outil (...) ce n’est pas
suffisant. On a des intentions pédagogiques quand on vient dans sa classe
» et d’organiser depuis 2-3 ans des formations davantage
centrées sur les usages pédagogiques (Lionel, Physique, 42 ans,
Lycée A).
Les enseignants comme les équipes administratives regrettent pourtant
que ces formations aient été réduites : quelques
demi-journées pour les animateurs, une demi-journée ou deux pour
les enseignants : « Ce n’est pas
assez. C’est parce qu’après on a plein de questions. Et
arrivé à la maison, ça fonctionne pas comme on voudrait
alors on est... on ne peut pas harceler le collègue de nos propres
problèmes, donc on renonce assez facilement en fait » (Andréa, Anglais, 41 ans, Lycée C). Il est vrai que dans certains
établissements, une formation spécifique peut avoir lieu à
la demande : ainsi Chloé (SES, 41 ans, lycée A) a obtenu une heure
de formation pour utiliser la fonction blog afin de faire une revue
commentée de l’actualité économique et sociale avec
ses élèves.
3.3. Paix sociale et ordre négocié
Depuis une trentaine d’années les personnels d’encadrement
de l’Éducation Nationale sont amenés à travailler
dans un compromis entre une hiérarchie verticale dont ils tentent
partiellement de s’affranchir et un appui sur des ressources locales,
selon un principe d’autonomie recherchée de gestion des
établissements (Derouet, 1988) ; (Derouet, 1992).
La posture des chefs d’établissements tend à concilier les
attentes parfois contradictoires entre ces différents niveaux dans un
ordre négocié (Dutercq, 2005).
Au-delà de leur position intermédiaire dans la
hiérarchie de l’institution, la préoccupation
première des chefs d’établissements consiste à mettre
en œuvre au quotidien les conditions du fonctionnement du lycée dont
ils ont la charge. A ce niveau de leur activité, la gestion de
l’établissement aidée des outils numériques leur
permet d’installer un climat de confiance et de négocier une paix
sociale : « Tout ce système de
gestion au jour le jour, c'est aussi un choix. Bon, moi je m'y retrouve parce
que je trouve que derrière, ça permet d'avoir un climat de travail
beaucoup plus serein. » (Luc, proviseur adjoint, 42 ans,
Lycée B).
Mais une position de défiance ou de méfiance des enseignants
tend à mettre à distance un possible contrôle
extérieur de leur travail. Elle serait due, au moins en partie, à
une posture individualiste des enseignants mis en face d’un nouvel objet
potentiellement dérangeant qui pourrait remettre en cause leur
degré d’autonomie réel ou revendiqué dans
l’organisation de leur activité (Barrère, 2002).
Néanmoins actuellement, le déploiement semble majoritairement bien
accepté par les enseignants, au moins pour les tâches
administratives de base (appel, réservation des salles, saisie des
notes), parce que ces tâches étaient déjà
routinisées. Un CPE (Patrick, 51 ans, Lycée A) se félicite « [les enseignants] commencent leurs
cours par ça quasiment. (...) ils rentrent les absences (...) On peut
réagir en temps réel. On appelle les familles immédiatement
». Le numérique pris dans sa globalité (les pratiques
pédagogiques et administratives) est donc souvent décrit par les
chefs d’établissement comme un « allant de soi » en
regard de la massification de ses usages dans et hors des activités
professionnelles. Cependant les professeurs sont divers dans cette acceptation :
nous avons rencontré peu de réticences chez les enseignants peu
utilisateurs de TICE, ou utilisant les TICE aux seules fins
d’enrichissement de pratiques pédagogiques antérieures, par
conséquent simplement importée. Comme nous le voyons dans la
partie suivante, l’essaimage est un sujet polémique chez les
praticiens confirmés du numérique. Cette dimension est
particulièrement présente chez ceux qui ont « essuyé
les plâtres », car entrés dans la vague 1 et qui, même
si l’outil a été amélioré, continuent de
véhiculer la controverse.
4. De quelques tensions dans la réception de l’ENT
Les tensions que nous analysons ne se manifestent
pas, ou peu, entre les partenaires à l’intérieur de
l’école. En effet, les personnels de direction et les enseignants
œuvrent pour le fonctionnement de l’établissement et ne
sauraient se confronter ouvertement sur des points qui ne relèvent pas de
leur pouvoir de décision. Les tensions par conséquent se
manifestent par rapport à l’outil lui-même et ceux qui
l’ont conçu ou imposé. Notons qu’elles sont
datées et spatialement situées, notre méthode
compréhensive sur la base d’un nombre limité
d’entretiens ne visant pas la généralisation. Ces tensions
peuvent se manifester de différentes façons : bricolages (Linhart, 1978) ; (Perriault, 1989) ; (Perriault, 2002) dénonciation d’un aveuglement organisationnel (Boussard et al., 2004),
ou encore rejet au nom de certains principes (Boltanski et Thévenot, 1991).
4.1. Bricolages et stratégies de contournement
À la suite de Linhart (Linhart, 1978) qui a montré que le salarié ne se soumet pas toujours au one best
way taylorien : il bricole les outils conçus par le bureau des
méthodes, Perriault (Perriault, 2008),
a analysé pour le monde enseignant les « déviances dans les
motivations et les usages de l’outil ». Ainsi, si l’«
objectif initial de l’introduction de l’informatique à
l’école était de familiariser les jeunes avec
l’ordinateur dans les différentes disciplines enseignées
» dès 1970-76, avec l’expérience dite des « 58
lycées », l’essentiel du résultat a été
la constitution d’un réseau d’affinités entre
professeurs intéressés » !
Ainsi pour ce qui nous concerne le produit du consortium
Région/Rectorat/éditeur : « on a eu un message des chefs
d’établissements qui nous ont dit surtout laissez-nous nos outils
de gestion des notes et des absences, donc on a entendu ce message et on a
demandé explicitement dans notre appel d’offres à ce que la
solution n’intègre pas nécessairement des outils de notes et
d’absences mais par contre puisse bénéficier d’un
connecteur qui permette à partir de l’ENT de lancer ces
applications » (Stéphane, 42 ans, Chargé de mission,
Région). Ainsi, de nombreux enseignants ne passent pas par E-Lyco pour y
accéder alors que c’est « le
choix qu’on recommande fortement » (Stéphane,
chargé de mission, Région). En effet, la qualité souvent
déficiente de la connexion dans les établissements, est un
obstacle récurrent à l’acceptation de l’usage de
l’ENT : « Les connexions sont hyper
lentes. Alors effectivement, quand vous ouvrez quarante-cinq sessions de Pronote
en même temps entre 8h et 8H10... un escargot va plus vite quoi. Donc du
coup, ça fait un petit peu grincer des dents au niveau des enseignants.
» (Denis, proviseur adjoint, 47 ans, Lycée H). De nombreux
enseignants ont donc extrait Pronote, que l’éditeur avait
intégré dans l’ENT. Cela leur évite une manipulation
supplémentaire, entrer son nom et son mot de passe dans E-Lyco avant
d’entrer dans Pronote, et donc un gain de temps et un confort accru.
Nous trouvons aussi des stratégies de contournement, voir
Hénocq in (Bruillard, 2011).
C’est le cas pour l’utilisation de la messagerie : « On a des profs pour lesquels on voit le
message qui revient "Boîte over quota". Ça, c'est indicatif d'un
prof qui ne gère pas, qui ne suit pas... Il y en a, ce n’est pas
leur culture. Et puis, vous savez, on est dans l'Éducation Nationale. Il
y a une certaine coquetterie.» (Boris, proviseur, 60 ans,
Lycée D). Les chefs d’établissement décrivent plus
ces « façons de faire » sur le mode de l’antijeu ou du
contournement que d’une opposition frontale, individuelle ou collective,
et les minimisent comme Boris qui parle de « coquetterie ». Cette
présentation positive est contredite par celle d’une partie des
enseignants interviewés. Le mail sur E-Lyco est critiqué pour son
inefficacité : « quand un
élève ou un enseignant fait un message ça vous envoie une
alerte sur votre messagerie personnelle pour dire, vous avez reçu un
message. Vous avez le début de la phrase et ensuite il faut se connecter
sur E-Lyco avec ses identifiants pour voir la suite du message. » (Lionel, Physique, 42 ans). Julien (Génie électronique, 33 ans,
Lycée A) le dit aussi : « la boite
mail c’est une catastrophe (...) il n’y pas de gestion de contenu,
enfin on ne peut pas organiser son travail, on ne peut pas faire des
réponses automatiques (...) Moi j’utilise ma boite Gmail classique.
Sinon (...) je ne m’en sors pas. ». Loin d’être
une simple « coquetterie »,
le bricolage ne recouvre pas qu’un aspect pragmatique pour la
réalisation de l’activité, mais il constitue en
l’occurrence une véritable stratégie de contournement de
politiques de mise en place de l’ENT.
Enfin, des enseignants privilégient des solutions alternatives
qu’ils ont élaborées avant l’arrivée de
l’ENT. Ainsi Gilbert (Histoire-Géographie, 52 ans, Lycée A)
qui « prépare tous les documents,
je scanne les images etc. les fichiers, y compris les liens vidéos
parfois (...) Alors tous ces documents-là, moi je les mets dans un
dossier, puis ce dossier après je le mets sur ma plateforme Moodle et je
construis mon cours à partir de là. Alors on peut mettre des
fichiers de 100 Mo (...) Donc j'utilise ça, c'est-à-dire que moi
sur la plate-forme j'ai mon cahier de textes, je n’ai pas tous mes cours
en lignes mais j'ai des dossiers... Alors, pas E-Lyco, moi je n'utilise pas
E-lyco ». En effet, E-Lyco ne permet pas de déposer des
fichiers de plus de 20 Mo, le contournement est donc, dans certaines
disciplines, pour certaines pratiques pédagogiques, obligatoire. Les
animateurs TICE se gardent d’essaimer ces pratiques alternatives
lorsqu’une solution E-Lyco existe, « je fais ce qu’il faut
» dit Lionel (Physique, 42 ans, Lycée A), soucieux
d’être loyaux pour une tâche qui est
rémunérée, cependant certains correspondants TICE
disciplinaires les essaiment auprès de leurs collègues : « j'ai proposé un petit stage.
Pour les collègues d'histoire-géographie, il y en a quatre ou cinq
qui l'utilisent aujourd'hui comme tout le monde » (Gilbert,
Histoire-Géographie, 52 ans, Lycée A).
La logique de l’usage est donc bien « un comportement
cohérent de choix, d’instrumentation et d’évaluation
d’un appareil en vue de l’exécution d’un projet
» (Perriault, 2002). Mais au-delà de ces contournements, des blocages existent sur
certains outils.
4.2. Malentendus organisationnels
Si la démarche communément adoptée par les chefs
d’établissements se fonde sur la recherche d’un consensus
entre les différents acteurs et passe par un déploiement
progressif - qui repose implicitement ou de manière prescrite par
l’organisation sur la logique diffusionniste de Rogers (Rogers, 2003) -
visant l’appropriation consentie des ressources proposées dans
l’ENT, certaines fonctionnalités deviennent des passages
obligés qui, par leur dimension d’obligation vont significativement
favoriser le développement du recours à l’ENT. Ainsi en
est-il de l’obligation d’usage du cahier de texte numérique,
qui illustre bien le passage de la recommandation à l’obligation
par la circulaire n° 2010-136, publiée au bulletin officiel
n°32 du 9 septembre 2010 : « Le cahier de textes mentionnera, d'une
part, le contenu de la séance et, d'autre part, le travail à
effectuer, accompagnés l'un et l'autre de tout document, ressource ou
conseil à l'initiative du professeur, sous forme de textes, de fichiers
joints ou de liens. (...) Les textes des devoirs et des contrôles
figureront au cahier de textes, sous forme de textes ou de fichiers joints. Il
en sera de même du texte des exercices ou des activités lorsque
ceux-ci ne figureront pas sur les manuels scolaires. En ce qui concerne les
travaux effectués dans le cadre de groupes, ou de sous-groupes
d'élèves de différents niveaux de compétences, et en
vue de favoriser un accompagnement plus personnalisé, le contenu de ces
activités spécifiques sera également mentionné dans
le cahier de textes ».
Les arguments avancés par les enseignants à l’encontre du
cahier de textes numérique, les proviseurs le savent bien, se
développent dans des registres variés allant des limites
techniques de l’outil - « les gros
fichiers que les profs voulaient mettre sur le cahier de textes ne passaient pas
par exemple. » (Denis, proviseur adjoint, 47 ans, Lycée H) -
à son ouverture aux parents, en passant par la « chronophagie »
engendrée par ce nouveau mode de communication : « La deuxième
problématique, c'est l'utilisation et la saisie sur le cahier de textes.
C'est vrai que bon, voilà c'est une obligation, c'est passé sur
les textes officiels, on n'en discute pas. Mais (...) c’est chronophage
pour un enseignant.» (Denis, proviseur adjoint, 47 ans, Lycée
H).
De plus, « il y a beaucoup de
professeurs aussi qui ont peur du regard qu'on apporte. Alors, il y a le regard
des parents (...) on peut voir l'aspect positif avec "mais je suis
désolée le prof a écrit que t'as telle et telle chose
à faire, que t'as les verbes réguliers à réviser".
Enfin vous voyez ce que je veux dire. Mais il y a aussi une surveillance du
contenu. » (Andréa, Anglais, 41 ans, Lycée C). Corinne
(Lettres, 60 ans, lycée L) nous a même relaté que les
parents d’élèves de l’un de ses collègues
avaient comparé son enseignement avec d’autres, usant des
identifiants d’amis ayant des adolescents en classe avec d’autres
enseignants, pour les comparer à son désavantage.
Considérant le cahier de textes comme une « double imposture », certains
enseignants comme Pierre-Yves (Philosophie, 48 ans, Lycée H) refusent de
le remplir : «pour deux raisons :
d’abord une raison technique (...) pour l’instant ce n’est pas
encore très bien configuré, ce n’est pas très souple.
Il faut tout éteindre, tout rallumer, etc. (...) [ensuite] Soit on met
deux mots sur ce qu’on fait, qui ne dit vraiment rien du fond de la
séance, qui n’est qu’une indication, qui n’a aucun sens
(...) Soit on fait un cahier de texte, mais un vrai, avec ce que l’outil
permet et d’ailleurs invite à faire : on indique les ressources, le
cours, le contenu du cours, l’argumentaire, les documents utilisés.
Mais là, c’est un temps de travail gigantesque ».
En conséquence, alors que le cahier de textes pourrait être une
avancée puisqu’il devrait permettre l’engagement et le
soutien des parents dans le suivi de la scolarité de leur enfant et
l’amélioration de la communication
établissement-enseignants/parents, il n’y parvient pas. On peut en
avancer une explication, c’est que les différents acteurs qui ont
conduit au cahier de textes (Ministère pour le B.O., éditeur
privé concepteur technique du cahier de textes, Région, Rectorat,
enseignants) n’appartiennent ni aux mêmes strates d’une
organisation feuilletée, ni aux mêmes cercles qui réunissent
des acteurs aux tâches communes, mais qui ne poursuivent pas les
mêmes objectifs et n’entrent pas forcément en contact (Boussard et al., 2004).
Chaque cercle perçoit un niveau de la réalité. Pour le
Ministère, le Rectorat, les inspecteurs, le cahier de textes
au-delà de ses fonctions pédagogiques et communicationnelles, est
aussi un instrument de contrôle. Il est visé notamment lors des
inspections puisqu’il dresse un panorama d’ensemble du travail
effectué par l’enseignant dans sa classe. Pour les enseignants, la
fonction de contrôle existe aussi, mais elle est atténuée
par le fait que les inspecteurs regardent davantage les cahiers/classeurs des
élèves que le cahier de textes. Ce dernier est aussi à la
fois un mémo lorsqu’on a plusieurs classes de même niveau qui
n’avancent pas au même rythme et un outil de transmission au
collègue qui viendrait le remplacer en cas d’absence. Pour la
Région et l’éditeur de l’ENT, c’est un objet mal
connu, même si la Région a pris soin de recruter des enseignants
pour suivre le processus d’installation de l’ENT. Quant aux parents,
même s’ils avaient déjà la possibilité
d’accès, ils n’allaient généralement pas dans
les établissements pour le consulter. Le feuilletage donne une
multiplicité de cadres qui engendre malentendus et dysfonctionnements. La
Région et l’éditeur de l’ENT ont « oublié
» d’interagir avec les enseignants, qui n’ayant pas
été consultés pour la construction technique de ce
qu’ils attendaient d’un cahier de textes : « ils ne savent pas ce que c’est un
cahier de textes, alors c’est n’importe quoi » (Julien,
Génie électronique, 33 ans, Lycée A). En conséquence
de quoi certains enseignants le dénoncent, le remplissent a minima, voire ne le remplissent pas,
ce faisant on assiste à ce que Boussard, Mercier et Tripier (Boussard et al., 2004) qualifient d’« aveuglement organisationnel », les acteurs des
différents cercles ne parvenant pas à interagir pour lever le
malentendu né d’une erreur de conception initiale, mais aussi
d’une absence de dialogue et de concertation entre les différentes
parties lors des phases de déploiement puis d’usage.
On sait que la participation des enseignants à l’ensemble du
processus depuis sa conception et tout au long de sa mise en œuvre est un
facteur de réussite (Bruillard, 2011).
Or, dans le cas présent ce n’est pas le cas, il s’agit
d’une « innovation dogmatique » (Alter, 2010),
sans qu’il y ait eu de procédure de choix éclairés et
réfléchis - de l’artefact et de son design - de type «
design
defense4 » (Lipka, 2012).
C’est d’ailleurs ce que dénoncent aussi les syndicats. Dans
une lettre intersyndicale, datée du 27 mars 2013, intitulée «
E-Lyco : trop de questions sans réponses », la CGT éducation,
le CNT, le SNES, Sud éducation, et le Snetap dénoncent : « Si
certaines fonctionnalités ont leur intérêt et
répondent à de réels besoins, d’autres en revanche
sont plus discutables et nous ont été imposées sans
concertation », et demandent entre autres à « Discuter des
usages et des modalités de mise en place : activation ou non de certains
services / Refus d’une partie ou de l’ensemble du dispositif
».
4.3. Quand des justifications entrent en tension
Le paradigme de la justification élaboré par Boltanski et
Thévenot (Boltanski et Thévenot, 1991),
est fécond pour analyser des tensions dans le monde scolaire comme en
témoignent de nombreux travaux (Derouet, 1992) ; (Derouet et Dutercq, 1997).
En effet, chaque individu affronte au quotidien « des situations relevant
de mondes distincts, qu’il peut analyser en référence
à différents principes de justice, dans la mesure où ils
sont tous admis par les membres de la société, et qui construisent
autant d’ordres de généralité. Boltanski et
Thévenot parlent pour qualifier ces principes de "cités" et pour
qualifier ces ordres de "grandeurs". Les grandeurs se sont empilées dans
le temps et correspondent à autant d’idéaux porteurs de
justifications dont les individus peuvent variablement se réclamer selon
les circonstances » (Dutercq et Lanéelle, 2013).
Les arguments de plusieurs mondes sont mobilisés dans les discours des
acteurs. Au premier abord, l’outil appartient au registre de la
cité industrielle, celle de l’efficacité et de
l’efficience. Simultanément, l’ENT en ouvrant
l’école aux parents à partir du domicile, renvoie à
la cité domestique. Il en est de même pour les enseignants, qui
accèdent de façon nomade à l’ENT. N’oublions
pas aussi que l’ENT et plus globalement le numérique engagent le
renom de l’école, s’inscrivant alors dans la cité de
l’opinion. Quant au choix de l’ENT, il s’est fait par la
concurrence, renvoyant alors à la cité marchande, mais la
recherche de l’égalité des territoires au nom de laquelle la
Caisse des Dépôts et Consignations s’est mobilisée
relève de la cité civique. Les ENT, mais plus globalement le
numérique, constitueraient aussi une incitation à innover et
à la créativité pédagogique et concourraient alors
à la cité inspirée. Enfin, l’intégration des
ENT dans le new public management fait
référence à la cité par projet (Boltanski et Chiapello, 1999).
Passons en revue quelques-uns de ces arguments.
4.3.1. Efficacité organisationnelle versus perte d’autonomie
professionnelle des enseignants ?
Les équipes de direction des établissements invoquent
fréquemment l’augmentation de l’efficacité
administrative, par le transfert des tâches vers le numérique
qu’ils pensent sans incidence sur la charge de travail. « Aujourd’hui on gagne du temps,
c’est clair. Aujourd’hui sur le traitement des absences,
l’envoi des courriers, toutes ces choses-là on gagne vraiment
énormément de temps qu’on peut passer à faire autre
chose, notamment à recevoir les élèves, à...
à traiter d’autres problèmes de fond » (Patrick,
CPE, 51 ans, lycée A). Nous l’avons vu aussi pour la gestion des
salles, pour la saisie des notes etc. Le principe d’efficacité
étant au cœur de leurs missions, cela n’est pas
étonnant qu’ils en soient satisfaits. Si a priori bien des enseignants n’y
trouvent guère à redire, il en est tout de même qui jugent
que l’administration a délégué ses propres
tâches à leurs dépens. C’est le cas de Pascal
(Génie mécanique, 50 ans, lycée A) : « L’évolution de ces
plateformes dans l’Education Nationale et ailleurs est à peu
près similaire à l’évolution des caisses
enregistreuses de supermarchés. Les caissières (...) viennent
soulager le travail de gestion qui se fait au-dessus mais cela ne change en
rien, parfois cela aggrave même leur relation avec le client
». Alors efficace administrativement l’outil ? Certainement,
mais au prix d’un transfert qui accroît la polyvalence de
l’enseignant, et qui est susceptible d’empiéter sur son temps
et donc sur sa propre efficacité dans la préparation de ses cours,
ses corrections de copies, sa recherche documentaire. De plus, « le bémol (...) c’est la
trace qui est laissée sur ces outils-là. (...) aujourd’hui
on est capable d’analyser le degré de stress d’un individu en
fonction de son niveau de frappe, de l’intensité, de la vitesse
etc. (...) on systématise, on archive le traçage qui existait
auparavant de l’activité vie scolaire d’un enseignant. (...)
C’est des choses qui existaient (...) Par contre tout est archivé
en dynamique, consultable pas forcément avec tous les accords de
l’enseignant » (Pascal, Génie mécanique, 50 ans,
lycée A), puisqu’il n’y a pas eu de charte
d’utilisation d’E-Lyco de signée... Si la crainte du
contrôle de leur activité est parfois fantasmée : « Chaque fois, que je propose une
innovation, d'ouvrir une fonctionnalité qu'on n’utilisait pas
avant, c'est toujours Big Brother qui vient le premier, qui est le premier
à sauter sur la table. » (Boris, proviseur, 60 ans,
Lycée D) ; on peut voir dans cette traçabilité et le
contrôle redouté de leur activité par les enseignants, un
alignement des pratiques de la fonction publique sur les pratiques
managériales du secteur privé (Boltanski et Chiapello, 1999).
Une partie des chefs d’établissements partage cette position qui
voit dans E-Lyco un possible outil de contrôle standardisé de
l’activité des enseignants ou de celle des établissements et
des équipes de direction. Cette conception de la part des chefs
d’établissements semble renforcée
lorsqu’eux-mêmes ont un passé d’enseignant, ce qui
reste un parcours professionnel courant. La critique est principalement
argumentée à partir d’une perception technocentriste de
l’ENT, non adapté à la situation locale et aux
spécificités des établissements : « Je rejoins le scepticisme de certains
des collègues devant les outils informatiques. Je me méfie des
outils qui sont mis à disposition sans que le besoin soit
avéré. » (Boris, proviseur, 60 ans, Lycée D).
Les chefs d’établissement ne sont pas de simples courroies de
transmission des politiques publiques : ils gardent une certaine distance et
participent aussi au renouvellement de la critique portée à
l'encontre des récentes politiques publiques en éducation.
4.3.2. De la relation école-famille
Le Ministère et les Régions ont eu pour objectif de permettre
l’ouverture des établissements aux parents
c’est-à-dire d’être un outil au service des relations
équilibrées entre l’école,
l’élève et la famille (Bruillard et Baron, 1996).
Les chefs d’établissement aussi considèrent L’ENT
comme un outil au service à la fois du fonctionnement et de
l’efficacité attendue de l’établissement. La
qualité des relations est centrale dans cette conception et passe
notamment par la qualité de la communication et de l’information
entre les différents acteurs : «
Ma position a été de mettre en pratique l'adage suivant : " L'éducation dans le second degré est affaire de triangulation
entre l'école - l'institution scolaire -, l'élève qu'elle
accueille et la
famille".
J'aime bien le triangle parce qu'il doit montrer la notion d'équilibre.
» (Boris, proviseur, 60 ans, Lycée D). On entre ici dans le
monde domestique des familles, en l’élargissant, en permettant aux
parents d’entrer dans l’école pour suivre leur enfant. Le
principe est « grand » tant dans l’intention que dans la
réception potentielle des parents.
Selon les orientations, la direction des établissements peut faire le
choix de centraliser la diffusion de l’information en direction des
familles via E-Lyco. L’ENT permet alors d’entrer dans une forme de
rationalisation de la communication en en faisant le vecteur central, sinon
unique, de la communication entre l’établissement et les familles : « On fait en sorte, dans notre
manière d'utiliser E-Lyco, que de plus en plus les gens soient
obligés de converger s'ils veulent avoir l'information. On la donne.
» (Boris, proviseur, 60 ans, Lycée D). Outre le gain de temps
qu’elle procure, cette orientation accroît potentiellement la
qualité de la communication en limitant les pertes ou les distorsions des
informations transmises. Ce déplacement des modalités de
communication semble en pleine expansion et de plus en plus partagé dans
les lycées visités, intégrant une phase relativement courte
de transition entre la communication « papier » et la communication
« numérique » : « On
affiche une obligation pour eux [les parents] de créer leur compte et on
explique qu'il y a un certain nombre d'informations qui ne passeront que par ce
canal-là. Là, sur les réunions parents/profs, on a
supprimé le cahier de textes [papier], le carnet de correspondance pour
les élèves de Première et de Terminale.» (Luc,
proviseur adjoint, 42 ans, Lycée B). En réduisant les temps de
diffusion des informations et les distorsions possibles dues aux
intermédiaires, l’espace numérique de travail devrait
améliorer qualitativement la communication avec les parents.
Ce travail en direction des élèves et des familles est
important pour les chefs d’établissement car il permet de mettre en
relief les usages d’E-Lyco, de les dissocier des pratiques de
sociabilités numériques courantes à
l’extérieur de l’école. L’usage de l’ENT
par les élèves doit être contrôlé afin
d’éviter tout détournement. Son utilisation doit
s’inscrire dans une finalité scolaire. Ce faisant, l’outil
concourt à la mise en adéquation de l’école avec les
pratiques de communication socialement majoritaires tout en s’en
démarquant. De la sorte, la légitimité du système
éducatif est préservée, voire renforcée : imposition
du respect de sa position mais aussi adaptation sociale (contrecarrant un
certain nombre de critiques émises sur le conservatisme ou
l’inertie du système éducatif) : « On s'aperçoit que les
élèves détournent E-Lyco tout de suite. Parce qu'on est
obligé de faire de la modération sur des discussions, qui sont des
discussions de types réseaux sociaux (...) On voit des gens utiliser
E-Lyco comme un réseau social. C'est-à-dire avec du babillage
informe, crétin. Enfin, enfin qui n'est pas à usage de
communication scolaire » (Boris, proviseur, 60 ans, Lycée D).
L’objectif est ici d’identifier, auprès des
élèves et des familles, l’ENT comme un outil institutionnel
de communication, dissocié des outils ludiques utilisés dans la
sphère privée (FaceBook, par exemple) afin de conforter voire
même d’accroître la crédibilité de
l’établissement dans son action et, plus globalement, la
légitimité de l’institution scolaire dans la
réalisation de ses missions : «
Globalement, la légitimité à communiquer avec
l'élève, ou la famille, c'est parce que c'est la
légitimité professionnelle. Alors évidemment à
l'intérieur, chacun dans cet ensemble [enseignants, Direction, CPE] a une
légitimité professionnelle qui est distincte... Mais qui
concourent toutes à la même chose. », poursuit-il.
Néanmoins, si on se tourne vers le point de vue enseignant, on ne
rencontre pas forcément les mêmes principes relevant de la
même cité domestique. Ainsi, suite à la demande des
enseignants, au lycée A, les parents n’ont pas accès
à la totalité des espaces de l’ENT, les notes par exemple.
La proviseure a en effet rallié les enseignants et dérogé
au principe général de l’ENT. Elle l’explique
d’une part par la volonté de ne pas mettre son équipe en
difficulté face aux familles qui pourraient établir « un comparatif avec des choses parfois
peut-être difficiles de gérer... Par exemple dans une classe tel
prof a mis tant de notes et tel professeur dans telle classe a mis tant de
notes. Est-ce qu’on met une moyenne ? [mettre toutes les notes pourrait
avoir] un effet qui serait négatif sur l’établissement et
puis pour les personnes aussi » (Aline, Proviseur, 56 ans,
Lycée A). D’autre part, elle justifie son choix par rapport aux
élèves : « Si un enfant ne
dit pas ses notes à ses parents et si on donne directement accès,
ce lien [école-élèves] là où il est ? (...)
Et puis ce sont des adolescents et je crois qu’ils peuvent avoir leur vie
». Pour Aline il y a réel « enjeu » à
laisser une autonomie aux adolescents, y compris aux dépens des familles.
À cela des enseignants ajoutent des raisons docimologiques : la note
attribuée à l’élève est « une mesure. C’est son
métier, il sait à quoi ça correspond, il sait
qu’à certains moments peut-être qu’il a fait un devoir
facile ou difficile dans un contexte où il y a une stratégie
derrière et la note brute en soi ne veut rien dire (...) Donc ça,
seul l’enseignant peut le maitriser, maintenant je sais qu’il y a
une demande très forte de la part des parents
d’élèves pour avoir accès aux notes en continu. Ce
à quoi il faut faire attention, c’est que le parent soit un simple
consommateur d’une prestation, je mets mon enfant à
l’école donc je veux en échange ses notes le soir
» (Lionel, Physique, 42 ans, Lycée A). Raisons qui
relèvent d’une valeur professionnelle essentielle, le respect du
métier.
4.3.3. L’aplatissement des temps sociaux
Quant au monde domestique des enseignants, il est perçu comme
malmené par bien des professeurs, parce que les tâches sont
chronophages et brouillent la frontière entre la sphère
privée et la sphère professionnelle. C’est un des freins
à l’utilisation des outils numériques qui découle
d’un accroissement, réel au moins dans un premier temps, de leur
charge de travail. Leur réticence est d’autant plus importante que
ces nouveaux temps d’activité professionnelle ne font l’objet
d’aucune reconnaissance de la part de l’institution. Ainsi en est-il
de la gestion par les enseignants de la messagerie électronique : « les profs croulent sous les
boîtes aux lettres, parce que ça dégringole de partout.
E-Lyco, qui retransmet, quand on est dans la messagerie... on se retrouve
à traiter 100 messages par jour ! » (Simon,
proviseur5,
55 ans, Lycée I). La dématérialisation, via les outils numériques,
d’une partie des tâches qui leur incombe transforme en profondeur
les agencements temporels de leur activité. C’est alors la crainte
d’un infléchissement de la frontière entre sphères
professionnelle et privée qui est mise en avant : « La principale réticence, c'est
comment la communication, par le biais de l'ENT, va être
gérée par les parents ? Est-ce que le prof va se retrouver avec
quarante messages tous les soirs chez lui ? C'est ça la première
problématique. » (Denis, proviseur adjoint, 47 ans,
Lycée H). « Dans les craintes
qu'on pouvait entendre quand on a parlé de cet espace numérique,
chez les enseignants, c'était aussi effectivement par rapport aux pertes
de repères dans le temps. C'est-à-dire qu'on peut être
questionné n'importe quand, n'importe où, à tout moment. Et
du coup, comme on a une communication qui se fait très très vite
comme ça, ça sous-entend qu'on doit y répondre. Et du coup,
on travaille de huit heures le matin à dix-huit heures le soir, mais on
est encore sollicité à vingt-deux heures, à vingt-trois
heures et il n'y a plus de limite quoi. » (Christophe, proviseur
adjoint, 43 ans, Lycée M). Le brouillage des repères traditionnels
qui tendent à séparer l’activité de travail et
l’activité hors travail est vécu comme une agression par les
enseignants : « C'est vrai que vous
pouvez vous retrouver le soir avec un nombre certain de messages de parents,
dans certaines situations. Donc c'est vrai que pour l'enseignant, ça peut
être aussi vécu comme une agression, parce que là, du coup,
il est chez lui, on est sur le temps privé et on se retrouve quand
même confronté à devoir échanger. » (Denis, proviseur adjoint, 47 ans, Lycée H). Il y a comme un
aplatissement des temps sociaux. Autrefois, les temporalités de la vie
sociale restaient cloisonnées : travail, famille, loisirs, formation etc.
Aujourd’hui il y a comme un déversement du temps de travail sur les
autres temps sociaux : l’enseignant travaille de plus en chez lui lorsque
par exemple il remplit son cahier de textes ou répond à ses mails
professionnels (Nanteuil-Miribel et El Akremi, 2005).
5. Conclusion
Alors que le numérique a bouleversé
bien des pratiques sociales, sa diffusion dans les lycées français
est encore inégale malgré la forte dotation en équipement
informatique qui est opérée depuis deux décennies. Si les
équipes administratives utilisent le numérique depuis longtemps
avec des logiciels achetés sur le budget des établissements, les
pratiques pédagogiques des enseignants restent en majorité peu
impactées par les TICE puisque plus de 60% ne l’utilisent
qu’occasionnellement pour leur enseignement. Pourtant, la
société d’aujourd’hui est déjà une
société numérique et l’Éducation Nationale se
doit6 de permettre aux élèves de s’y intégrer pleinement.
De plus, la relative inefficacité du système en matière de
réussite scolaire (OCDE, 2010) et les
lourdeurs bureaucratiques dans une période de réduction drastique
des budgets nationaux (Dutercq, 2005) imposent un renouvellement des politiques publiques
d’éducation.
Dans le cadre de la décentralisation, l’État et les
Régions se sont réparti les rôles pour promouvoir le
numérique, considéré comme outil incontournable dans
l’amélioration du système scolaire. La dotation en
équipement et la mise en place sur l’ensemble du territoire
national français d’environnements numériques de travail,
comme E-Lyco dans la Région où nous avons mené notre
enquête, figurent parmi les instruments de cette politique.
Les ENT présentent plusieurs avantages dans la mesure où ils
ont vocation à permettre des pratiques pédagogiques nouvelles,
à rendre plus efficace la gestion administrative des
établissements et à les ouvrir aux parents et
élèves, rendant par-là plus transparente
l’organisation scolaire et permettant une amélioration de la
relation école-famille, bénéfique on le sait aux
résultats scolaires des élèves.
Ce sont les membres des équipes de direction qui sont chargés
du pilotage du déploiement de ces ENT dans l’établissement
qu’ils ont en responsabilité. Cependant, tout comme les
enseignants, ils les reçoivent de manière contrastée. Les
chefs d’établissement, qui ne souhaitent pas heurter leurs
équipes, œuvrent au déploiement du dispositif dans un ordre
négocié en faisant entrer les outils consensuels dans un premier
temps. En conséquence, à la fois les personnels de direction et
les enseignants se satisfont des bénéfices apportés par
l’outil, lorsqu’ils sont supérieurs aux
inconvénients, comme
l’amélioration de la gestion des salles ou des absences par
exemple. Néanmoins, certains outils présents dans l’ENT
suscitent critiques et/ou contournements de l’ENT. Si les chefs
d’établissement espèrent que le temps jouera dans le
déclin des réserves, certains d’entre eux sont conscients
des obstacles générés, pérennisés ou
accentués. En effet, les réticences à l'usage sont
consolidées par une crainte diffuse du contrôle de
l'activité des enseignants. Ainsi en est-il par exemple pour le cahier de
textes, devenu obligatoire. Cette circonspection repose à la fois sur
l’analyse de dysfonctionnements organisationnels et de tensions sur les
principes. Elle prolonge la critique portée à l’encontre des
récentes politiques publiques d’éducation, fondées
sur une logique managériale.
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ROGERS, E. M. (2003). Diffusion of innovations (5ème
ed.). New York : Free Press.
7. Annexe
Nom |
Fonction |
Âge |
Type d’établissement |
Public |
Aline |
Proviseur |
56 ans |
Cité scolaire, Lycée Général et Technologique
(LGT) ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Andréa |
Prof. d’Anglais |
41 ans |
Cité scolaire, grande ville, chef-lieu d’académie,
lycée C |
Mixte |
Boris |
Proviseur |
60 ans |
LGT, centre grande ville, Lycée D |
Favorisé |
Chloé |
Prof. de SES |
41 ans |
Cité scolaire, LGT ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Christophe |
Proviseur adjoint |
43 ans |
LGT, centre grande ville, Lycée M |
Mixte |
Corinne |
Prof. de Lettres |
60 ans |
Lycée Général (LG) ; Centre grande ville, chef-lieu
d’académie, Lycée L |
Favorisé |
Denis |
Proviseur adjoint |
47 ans |
LGT, petite ville de banlieue, Lycée H |
Mixte |
Élodie |
Prof. Histoire-Géographie |
50 ans |
LGT, petite ville de banlieue, Lycée H |
Mixte |
Frédérique |
Prof. Histoire-Géographie |
40 ans |
Cité scolaire, LGT ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Gilbert |
Prof d’Hist-Géo. |
52 ans |
Cité scolaire, LGT ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Jacques |
Prof. Lettres |
58 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Jules |
Proviseur |
59 ans |
LGT, ville moyenne, Lycée E |
Favorisé |
Julien |
Prof. de STI2D
Gén. Electro . |
33 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Laurent |
Prof d’Hist-Géo. |
58 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Lionel |
Prof. de Phys. Ap. |
42 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Luc |
Proviseur adjoint |
42 ans |
LGT, grande ville, Lycée B |
Mixte |
Ludovic |
Histoire-Géographie |
40 ans |
LGT, grande ville, Lycée B |
Mixte |
Marc |
Prof. de Philosophie |
46 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Marie |
Prof. d’Anglais |
55 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Nadège |
Lettres |
32 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Nicolas |
Proviseur adjoint |
37 ans |
Cité scolaire, grande ville, chef-lieu d’académie,
lycée C |
Mixte |
Pascal |
Prof. de STI2D
Génie mécanique |
50 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Patrick |
CPE |
51 ans |
Cité scolaire, LGT, ville moyenne, Lycée A |
Mixte |
Pierre-Yves |
Prof. de Philosophie |
48 ans |
LGT, Petite ville, Lycée H |
Favorisé |
Simon |
Proviseur |
55 ans |
LGT, petite ville, Lycée I |
Favorisé |
Stéphane |
Chargé de mission |
42 ans |
Région |
|
Vincent |
Proviseur adjoint |
35 ans |
Lycée Professionnel, petite ville de banlieue, Lycée F |
Défavorisé |
Tableau 1 • Les
enquêtés cités
A
propos des auteurs
François BURBAN est maître de
conférences en Sciences de l’Education à
L’université de Nantes et membre du Centre de Recherche en
Education de Nantes (CREN EA 2661). Ses recherches portent sur la socialisation
professionnelle des acteurs du monde de l’éducation et de la
formation, dans et hors de l’Education Nationale. Une attention
particulière est accordée dans ses études aux approches par
compétences, aux dispositifs expérimentaux, ainsi qu’aux
politiques éducatives.
Adresse : CREN – Université
de Nantes – Chemin de la Censive du Tertre - BP 81227 - 44312 Nantes Cedex
3
Courriel : francois.burban@univ-nantes.fr
Xavière LANÉELLE est
maître de conférences honoraire en Sciences de
l’éducation à l’Université de Nantes et membre
du Centre de Recherche en Education de Nantes (CREN EA 2661). Ses recherches
portent sur les interactions en jeu dans les situations d’apprentissage
instrumenté, qu’elles relèvent du tutorat ou de la
collaboration/coopération. Les sciences expérimentales et la
technologie comme domaines d’étude font l’objet d’une
attention particulière.
Adresse : CREN – Université
de Nantes – Chemin de la Censive du Tertre - BP 81227 - 44312 Nantes Cedex
3
Courriel : xaviere.laneelle@univ-nantes.fr
1 Vincent Peillon a présenté ses orientations sur le
numérique lors d'un séminaire gouvernemental le jeudi 28
février 2013. Deux mesures concernent l'École : l'entrée du
numérique dans les enseignements scolaires et une politique ambitieuse de
formation des enseignants aux usages du numérique (MEN, 2013).
2 EDT est une solution de gestion d’emploi du temps et Pronote est un
service pour recenser les notes, les absences et contient un cahier de textes.
Ils sont édités par Index-éducation. D’autres
éditeurs existent comme ONT avec Molière et 1-2 temps comme
outils. Chaque établissement est maître de son choix, 80% des
établissements de la Région ont choisi le premier
éditeur.
3 La liberté pédagogique est garantie aux enseignants par la loi du
23 avril 2005, art 48 : « La liberté pédagogique de
l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des
instructions du ministre de l’éducation nationale et dans le cadre
du projet d’école ou d’établissement avec le conseil
et sous le contrôle des membres des corps d’inspection ».
4 “In any design, there are choices that
one must work through. There are always alternative designs, but the one you
choose should have skilled and comprehensive thinking behind it. Design Defense
is about explaining those choices quickly to other stakeholders. It is critical
that they understand the rationale and assumptions used in the decision making
process.” (Lipka, 2012).
5 Nous avons privilégié dans cette sous-partie le choix de donner la
parole aux proviseurs afin de montrer une fois encore qu’ils participent
de la critique du néo-management.
6 Il faut tout de même noter que cela participe en partie d’une
croyance technophile, dont nous ne pouvons développer l’analyse
ici.
|