De la synchronie médiatisée en formation
à distance...
Jacques WALLET (CIVIIC, Université de Rouen),
Le texte qui suit correspond au contenu de la conférence
invitée faite par l'auteur au colloque JOCAIR 2012. Il ne se veut en
aucun cas prescriptif, il ne cherche pas, par exemple, à affirmer la
supériorité d’un mode de formation sur un autre. Son
ambition, ou plutôt sa double ambition, est de tenter de questionner des
pratiques de formation médiatisée mais aussi, mais surtout, de
questionner les recherches, sur ou à partir de ces pratiques. Mon cadre
réflexif est essentiellement en sciences de l’éducation.
En guise d’introduction
Beaucoup d'auteurs ont montré qu'entre les
trois modes de formation (frontale/traditionnelle, d’une part ;
autoformation, d’autre part ; et last but not least :
formation à distance), du fait principalement des usages de
l’internet, les frontières, les concepts et les doxas sont
questionnés.
Ce mouvement en fait était déjà amorcé depuis la
création de l’Open University et la mise en place de ses tuteurs et
ses regroupements : à l’époque la FAD
s’était ainsi « ouverte », tandis que pour le
présentiel, l’émergence de l’enseignement
programmé relevait de principes pédagogico-temporels largement
étrangers à l’enseignement traditionnel.
Prenons deux exemples contemporains :
- les ENT renforcent et enrichissent mais hybrident le
présentiel en brisant sa synchronie ;
- les visio-conférences, mais surtout les classes virtuelles
– CV (traduction de virtual classrom, c'est-à-dire
« salle de classe virtuelle », la nuance est importante)
hybrident l’enseignement à distance, augmentent les temps
synchrones. Certains auteurs ou organismes de formation utilisent même
l’appellation de « présentiel à
distance » (reprenant sans le savoir une expression de Weissberg de
1999 cité par Perraya en 2003).
La consultation des actes des colloques JOCAIR passés et
présent montre qu’à chaque édition le nombre de
communications qui se situent dans une perspective synchrone ou partiellement
synchrone d’apprentissage médiatisé augmente.
L’hybridation est décidément de mise.
La présente réflexion qui porte principalement sur les classes
virtuelles s’ancre sur :
- mes propres pratiques – mes propres approximations,
devrais-je souligner – en enseignement à distance, et celles
de mes collègues au sein du dispositif FORSE qui existe depuis 12 ans,
formation à distance en sciences de l’éducation, 600
inscrits à l’université de Rouen chaque année, de la
L3 au master recherche où nous utilisons les environnements synchrones
depuis de nombreuses années ;
- un suivi des publications, sur ce thème, depuis un rapport
sur le sujet rédigé pour le MEN en 2004 et plus récemment
au travers de l’observation des pratiques ;
- une série de 40 entretiens, menés en 8 vagues, en
2011/12, avec des formateurs et des responsables de formation au sein d’un
grand organisme public français où les formateurs utilisent de
façon régulière les classes virtuelles.
1. Première partie : Comprendre les enjeux
1.1. L’évolution de la formation à distance et
l’émergence des dispositifs synchrones
L’enseignement à distance fut
caractérisé pendant longtemps par le fait d’être un
mode d’enseignement différé, s’adressant à des
apprenants isolés avec une ingénierie, une démarche et une
relation pédagogiques qui découlaient de ces
caractéristiques.
Mais depuis le e-learning est de mise :
1.2. Le débat entre spécialistes
Nous allons essayer de comprendre ce qui se joue avec l’introduction de
la synchronie dans les dispositifs de FAD, particulièrement avec les
classes virtuelles (CV).
L’usage en émergence des classes virtuelles, à la suite
des visioconférences s’inscrit dans le contexte communicationnel de
l’usage synchrone des réseaux : messageries
instantanées, flux d’information RSS, microblogging avec twitter, sans compter les réseaux professionnels. De façon
plus générale, l’usage des tablettes et des smartphones
favorise mobilité et immédiateté dans les usages
polymorphes des réseaux dans les pratiques sociales, culturelles et
professionnelles.
Dans l’éducation et la formation, l’argument principal qui
légitime le mobile learning est de « toucher
l’apprenant partout mais aussi immédiatement ».
En matière de tutorat en FAD, l’usage du téléphone
(on ne parlait pas encore de Hot Line) depuis plusieurs décennies a peu
fait l’objet, à ma connaissance, de publications ; c’est
dommage ! Il existe à la marge des dispositifs, en particulier en
langues où la FAD s’appuie pour du coaching sur le
téléphone. Dans des pays émergents des projets de mobile
learning reposent sur le simple téléphone cellulaire car le
coût des tablettes reste trop élevé.
Pour ce qui concerne les classes virtuelles, un débat, essentiellement
américain, existe cependant sur leurs
« bienfaits »... Pour certains auteurs (par exemple M.
Power, Université Laval (Power, 2012)),
les classes virtuelles conjuguent TOUS les avantages de l’enseignement
présentiel (en premier lieu la présence du professeur) et de
l’enseignement à distance (éloignement des apprenants) tant
au niveau de la pédagogie, qu’au niveau de l’efficience,
celle-ci incluant les facteurs économiques.
Près d’une décennie après les premières
expérimentations, on constate une augmentation sensible des usages des CV
en FAD, légitimés par des arguments qui nous semblent
récents :
- la prescription quant à un nombre d’apprenants
synchrones n’est plus de mise, seul le nombre d’apprenants
autorisés à poser des questions (par volontariat ou tirage au sort
et qui reçoivent alors un « droit »
d’intervention par l’administrateur/formateur de la CV)
l’étant. À la critique d’une interactivité
limitée, on oppose un possible turnover des participants actifs
durant les sessions d’un cours régulier et, surtout, on
relève la pratique du cours présentiel en
amphithéâtre où l’enseignant limite, faute de temps,
à deux ou trois questions l’interactivité avec ses
apprenants...
- le contrôle, même à distance, pour des raisons
pédagogiques ou (et) administratives de la présence des
apprenants. Certains formateurs ou organismes en France vont même plus
loin (enquêtes UCANS, janvier à mai 2012), taisant aux
formés les possibilités d’enregistrement des CV pour
« forcer la présence » des formés au
direct ;
- la réhabilitation de l’enseignant en FAD dans une CV,
alors que dans les cours asynchrones en ligne, le rôle principal est
délégué au tuteur.
On perçoit à l’inverse pour certains auteurs,
spécialistes de FAD, une crainte explicite : ainsi Claude Potvin
(Université Laval/Téluq), chargé d’encadrement
à la Télé-université :
« La formation à distance (FAD) est une espèce
menacée non pas d’extinction, mais de dispersion... elle est
exposée aux quatre vents, s’éparpille et prend racine, mais
ses branches ne sont pas toujours bien
taillées. »(Potvin, 2013)
Pour cet auteur, c’est la crainte d’une iniquité
liée à une impossibilité pour les étudiants à
participer à des classes virtuelles à des horaires imposés,
en quelque sorte « l’étiquette formation à
distance serait trompeuse ». Ainsi, pour lui :
« Chaque établissement d’enseignement qui offre de
la formation à distance se doit de définir les paramètres
qui garantissent à l’étudiant à distance toute la
flexibilité attendue.
Si certaines contraintes de déplacement ou d’horaire sont
exigées, y compris pour les travaux d’équipe, celles-ci
devraient être annoncées dès l’offre de cours afin
d’éviter des surprises aux étudiants plus tard dans la
session. »
Pour France Henri (Henri, 2008),
la crainte est plus diffuse mais plus profonde : la classe virtuelle serait
d’essence transmissive, viserait surtout une accumulation de connaissances
en répliquant le modèle de l’école, enfin et surtout
elle renverrait la FAD vers un modèle artisanal où
l’enseignant serait en quelque sorte seul maître –
j’utilise ce terme polysémique à dessein –
à bord.
Mais France Henri invite surtout à la problématisation sur les
questions de synchronie en FAD :
« Si la question de la dualité asynchrone/synchrone
n’était pas la bonne ? Et si la distance à surmonter
n’était autre que la distance spatiale ou temporelle ?
S’il s’agissait plutôt d’une distance
transactionnelle ? »
Elle nous renvoie ainsi à Moore (Moore, 1993) autour du concept de distance transactionnelle. Jacquinot (Jacquinot, 1993) avec le concept de « distance pédagogique » nous
disait presque la même chose ; là encore :
« nouvelles technologies »/vieilles questions... On peut
remarquer cependant dans tout ce qui précède que le cadre
conceptuel reste celui de la formation à distance.
Cette approche en quelque sorte « endogène »
à la FAD peut à mes yeux être élargie.
1.3. Le poids des mots
Nous mettons en relation, sur un schéma, trois « mots
clefs » disséqués par de nombreux auteurs, souvent mis
en tension deux à deux, mais beaucoup plus rarement au sein d’une
réflexion d’ensemble. Avant de les aborder, enfonçons une
fois de plus une porte ouverte, mais toujours
d’actualité : les appellations dominantes en France TIC, TICE,
NTIC en usage ne nous facilitent pas la tâche, car elles mettent en avant
information et communication ; technologie éducative se
révèle bien préférable, dès que l’on
approfondit les usages spécifiques en contexte de formation.
Selon nos communautés scientifiques d’appartenance nous
n’avons sans doute pas les mêmes compréhensions ou points de
vue sur ces termes et leurs inter-relations.
In fine l’enjeu de la triade est sans doute dans sa relation
avec les processus de réception, pour utiliser un vocabulaire
médiatique.
Si pour Dominique Wolton l’homogénéité du message
en matière de communication et d’information « n’interdit pas
l’hétérogénéité de la
réception », on sait depuis longtemps, en matière de
formation, que l’hétérogénéité est
consubstantielle à tout processus de formation ; c’est donc
dans cette direction qu’il va falloir construire notre
réflexion.
Là encore le débat n’est pas nouveau. On peut citer
Célestin Freinet qui, pour présenter le dispositif des
« boîtes enseignantes », soulignait en 1963 :
« L’information dont on tend à exagérer
l’importance en éducation, doit être remise à sa vraie
place, non pour remplacer l’éducation mais pour en activer et en
aider les processus. »
Le même dispositif de communication synchrone peut être
utilisé dans trois situations différentes en FAD.
Dans la situation 1, il s’agit de réunion virtuelle « virtual meeting » ce qui renvoie au concept
d’information (fut-elle partagée) ; l’environnement
synchrone est un atout peu contestable pour les dispositifs de FAD
(réunions de régulation des formateurs, des formés, de
l’ensemble des acteurs...).
Dans la situation 2 : il convient d’utiliser le terme de séminaire virtuel par exemple lorsqu’un tuteur, un auteur de
cours, un directeur de mémoires dialogue avec un groupe (souvent
restreint) d’étudiants, lorsqu’un « objet
intellectuel commun et à partager » est en jeu.
L’efficacité de ces rendez-vous (qui évoquent d’une
certaine façon des formes de micro-teaching) a été
démontrée par de nombreuses recherches sur les chats, les
formes collaboratives de travail à distance.
Dans la situation 3, le terme de classe virtuelle prend tout son
sens : situation de formation, un « cours » virtuel en
direct. Par l’usage du mot « cours », nous
évitons de dégéminer, même si nous ne les confondons
pas, les situations d’enseignement et les situations
d’apprentissage.
C’est cette dernière situation, là où la
métaphore spatiale de la classe est réellement de mise que nous
nous proposons d’examiner.
Soulignons au passage que l’on doit interroger les relations de
recherche qui examinent par exemple les interactions entre les participants, en
prenant appui sur des situations de type 1 ou 2 (en utilisant la
dénomination classe virtuelle) pour les comparer avec des situations de
classes présentielles, car cette comparaison, surtout si elle a pour but
de montrer une supériorité des dispositifs en ligne sur le
présentiel, est in fine assez peu légitime.
2. Deuxième partie : Questionnements pédagogiques
Nous examinerons les
« classes virtuelles » avec un triple
éclairage :
- approche communicationnelle
- approche historique des
technologies
- approche pédagogique
2.1. Approche communicationnelle
D’abord et avant toute chose, il faut souligner que ce qui revient dans
les entretiens avec les usagers ou au travers de notre propre expérience
ce sont les témoignages sur des « incidents
techniques », parfois liés à l’inexpérience
des usagers mais aussi à des raisons objectives (firewall empêchant
les connexions, débits insuffisants des connexions, interruptions dans le
son). Dans les témoignages recueillis, surtout lorsque les usagers sont
peu motivés par le direct, ces problèmes peuvent prendre une
dimension rédhibitoire.
Autre exemple : les connexions à internet, lorsqu’elles
sont trop inégalitaires par leurs débits, introduisent des
distorsions temporelles de plusieurs secondes entre les apprenants, ce qui ne
facilite pas les situations d’interactions...
Si mon approche se structurait autour d’études de cas
précises, il conviendrait d’analyser en premier lieu quels sont les
canaux de communication et les protocoles utilisés dans
l’environnement par le formateur, d’une part, par les formés,
d’autre part. À titre d’exemples, on peut citer
l’utilisation ou non du tableau blanc, d’un powerpoint, de
documents partagés, de documents « passifs » ;
l’utilisation de la vidéo, du son, des
icônes/smileys...
- Les choix (pour des questions pédagogiques ou techniques)
des canaux de communication sont déterminants pour les tâches, les
interactions médiatisées.
- Les choix sur les droits d’usage de telle ou telle
fonctionnalité, attribués ou non, aux formés renforcent ce
qui précède sur les niveaux de tâches et les interactions,
mais aussi sur le « poids » hiérarchique du
formateur, par exemple pour l’écriture sur le tableau blanc ou sa
gestion du droit d’écriture ou de parole à tel ou tel
apprenant.
- Les consignes données (et leur niveau de respect) jouent
aussi leur rôle dans le déroulement des séquences...
Ainsi la classe virtuelle, selon les cas, pourra parfois ressembler à
une conférence téléphonique, à une
visioconférence, à une situation interactive de micro
enseignement, voire à un jeu télévisé...
Dans un autre contexte Viviane Glikman rappelait :
« Il faut cesser d’investir les technologies
de l’information et de la communication du pouvoir magique de transformer,
par leur seule existence, des modes de connaissance et des rapports à la
formation dont elles ne sont que des instruments parmi
d’autres »
C’est à la même conclusion que Dumont et Peraya (Dumont et Peraya, 2003) arrivent dans un article concernant les CV :
« on doit s’interroger sur l’importance des
représentations et des attentes de chacun à propos de son
rôle, de sa tâche à réaliser dans un tel
environnement. On le sait, la technologie n’est pas porteuse en soi
d’innovation pédagogique ».
Reste à savoir qui est « on » mais cela est une
autre histoire.
2.2. L’histoire des technologies éducatives : la crainte
récurrente du « direct » en formation
La crainte de la synchronie, du direct, du
« non-vérifié », via les machines à
enseigner ou plus exactement via les programmes ou les ressources qu’elles
délivrent, n’est pas née avec les classes virtuelles, elle
fut par exemple omniprésente durant la période de la
télévision scolaire. Dès l’origine de celle-ci, des
critiques portèrent sur la maîtrise du média. Il y a 60 ans,
par exemple, Maurice Pierre, un enseignant/usager, souligne :
« Dans le domaine scolaire, on ne voit pas ce que la
télévision peut apporter d’autre par rapport au
cinéma ou à la projection fixe. Par contre, on voit très
bien quels sont les inconvénients : horaires imposés,
programme imposé, pas de répétition possible,
impossibilité d’intervention du maître, et surtout
impossibilité d’adaptation au niveau de la classe. La
télévision scolaire, c’est un faux progrès, un
progrès à rebours. » (Pierre, 1953)
Les mêmes arguments sont développés quatorze ans plus
tard par Michel Souchon, qui dresse un bilan de la télévision
scolaire :
"La programmation des émissions éducatives pose des
problèmes insurmontables. Dans le cas d’une réception
médiatisée, celui de la rigidité des horaires. Dans le cas
d’une réception isolée, celui de la fidélité
du public... Il est paradoxal qu’on ait tenu contre vents et marées
et en dépit de toutes les évidences sur
l’incompatibilité des deux programmations (celle du temps
d’antenne et celle de l’emploi du temps scolaire) et qu’on
renonce au moment où le magnétoscope rend l’entreprise de la
télévision scolaire enfin réalisable et raisonnable." (Souchon, 1982)
Plus tard Régis Debray (Debray, 1991) décrit le domaine médiatique comme celui du "direct"
s’opposant au domaine scolaire qui devrait, pour utiliser un vocabulaire
issu des médias, être celui du "différé".
D. Wolton au début d’Internet (Wolton, 1999) se
défie de la même façon du direct, de l’accumulation
des données. Il reprend des analyses antérieures sur la
télévision : « Plus on est en
direct, plus il faut réintroduire du recul » (Wolton, 1997)
2.3. Le synchrone en formation médiatisée : pour une
approche multi référencée intégrant l’analyse
de la temporalité dans une séquence présentielle
classique
Ma première hypothèse est que les CV structurées en
séquences programmées peuvent évoquer par certains traits
un retour du behaviorisme.
Depuis Jonassen (Jonassen, 1993),
la corrélation entre technologie pour l’éducation et
constructivisme a souvent été évoquée,
revendiquée, parfois démontrée mais à mes yeux au
cas par cas, il peut y avoir donc dans cette perspective une tentation de
critique explicite du modèle des CV.
Prenons un exemple de déroulé vertueux de classe virtuelle
recommandé par un organisme de formation : le mot-clef pour le
formateur est « régulation ».
1. Prenez le temps d’informer les participants.
2. Préparez un guide d’utilisation de la classe
virtuelle.
3. Impliquez les participants dans la préparation de la
séance
4. Invitez les participants à se connecter dans la salle environ 15
minutes avant.
5. Prévoyez le maximum d’interactions.
6. Rédigez le scénario détaillé de la
session.
7. Rédigez le « storyboard » de la
séance.
8. Déposez les ressources à l’avance si votre solution
de classe virtuelle le permet.
9. Tapez à l’avance et conservez dans un fichier toutes vos
questions et consignes écrites.
10. Concevez un diaporama adapté à votre classe
virtuelle.
11. Faites une répétition
générale !
12. Prévoyez un plan B !
A titre d’exemple, nous avons également modélisé
un storyboard de CV à partir de plusieurs plans de cours de CV
trouvés sur le net.
Contrôle, planification, certes mais à y regarder de
près, cet amalgame CV/béhaviorisme doit être nuancé,
car on est sous une forme collective temporelle de la progression... c’est
peut-être d’ailleurs là où le bât blesse :
l’illusion que la « réception » est la
même pour tous les apprenants...
Ma seconde hypothèse est que convoquer les cadres réflexifs de
l’enseignement présentiel pour comprendre ce qui se joue durant le
temps synchrone médiatisé d’apprentissage est
nécessaire... mais pas suffisant !
Condition nécessaire ? Car quelle que soit leur entrée
théorique, tous les travaux « sur le
présentiel » renvoient à un constat in fine
commun : la durée de la séquence ne correspond pas aux temps
d’apprentissages des apprenants.
Si le constat est globalement commun, les cadres théoriques pour y
arriver sont variés. Selon ses tropismes, on ira du côté des
travaux des didacticiens, des pédagogues, ou vers d’autres
disciplines...
• Travaux des didacticiens sur la transmission du savoir, comme par
exemple ceux d’Alain Mercier sur les temps didactiques, où,
à la suite des travaux de Chevallard sur la transposition didactique, il
postule que le temps personnel d’apprentissage se construit par
épisodes...
« l’observation des phénomènes relatifs aux
temps cherche à identifier les resynchronisations des temporalités
multiples qui se rencontrent dans une classe et la production de nouveaux
décalages ».
Marie-Pierre Chopin analyse, elle, les moments de l’étude et la
temporalité de la diffusion des connaissances autour d’une
séquence. Elle critique le temps didactique de Chevallard et Mercier (Mercier, 1999) envisagé comme la programmabilité de l’enseignement du
savoir à un niveau méso et met en avant ce qu’elle nomme le
temps micro didactique : « Outre la volonté de
rétablir le dialogue entre l’étude de l’enseignement
d’un côté et de l’apprentissage de l’autre, ce
sont plus fondamentalement les notions de contextualisation, de processus et de
dynamique qui gagnent le centre des préoccupations sur les
pratiques ».
• Les pédagogues « de
l’apprentissage » (Freinet, (Rogers, 1962)...)
sans surprise, insisteront sur le libre arbitre des acteurs et (ou) sur la
dimension emphatique qui respecte les rythmes d’apprentissage. Ainsi pour
ne citer qu’un seul exemple contemporain tiré des écrits de
Frédérique Lerbet-Sereni : « Chacun par ses
relations à l’autre et à l’environnement
développe son autonomie propre, sa connaissance, ses
potentialités » (Lerbet-Sereni, 2013).
Les approches de psychologues (Palo Alto, ergonomie cognitive...) comme les
écrits de philosophes (M. Serres (Serres,1991), par exemple) ou ceux de
sociologues de l’éducation (Sue,1993) distinguent temps normatif et
activités liées à un temps évolutif où
inter-agissent les acteurs du temps : « Le système
relationnel sera donc auto-producteur de sa dynamique propre et créateur
de lui-même s’il sait se situer dans son temps propre, multiple,
varié, tourbillonnaire » (F. Lerbet-Sereni). En clair, ce
qui se joue en présentiel « classique » ou au sein du
synchrone en classe virtuelle, même dans une logique transmissive,
obéit à un jeu complexe. Un concepteur de dispositif en FAD
synchrone aurait tort de l’oublier.
Mais si la convocation des cadres réflexifs sur la temporalité
d’une séquence présentielle est une condition
nécessaire, elle n’est pas suffisante, car la plupart du temps la
situation vécue en CV ou en synchrone médiatisé par le
formateur et les apprenants est spécifique, et ce pour quatre
raisons.
• Le pouvoir renforcé en apparence du formateur (contrôle
machinique), l’isolement sensoriel de tous (micro/casque pour tous) est,
comme nous le montrent des entretiens récents, compensé par la
crainte qu’à côté de son écran (et de sa
caméra) l’apprenant fasse autre chose (interviews UCANS), alors que
dans une « vraie » classe le
« hors-champ » est limité. Il y a donc bien ce que
j’ai appelé autrefois un crypteur médiatique à
l’activité.
• La classe virtuelle peut être précédée et
(ou) prolongée par des activités asynchrones à distance...
en quelque sorte, pour jargonner, du « présentiel à
distance enrichi » – l’asynchrone en boomerang du
synchrone !
• La dimension synchrone n’est efficace que si elle est pensée au
cœur d’un système organisé
d’éléments en interaction dynamique. J’aurais pu
employer le terme de dispositif. Une ingénierie de formation est
toujours nécessaire. Le choix d’un outil et d’une
temporalité d’usage ne doit pas intervenir « a
priori ».
• La dernière raison tient à l’appropriation
réelle par les acteurs. Monique Linard (Linard, 1990) soulignait le fossé entre les espérances et les appropriations
réelles des acteurs du système éducatif, elle
constatait :
« une confusion épistémologique permanente qui
confond la logique idéale de la description des savoirs acquis, avec la
logique individuelle de l’acquisition de ces savoirs par des processus
cognitifs mis en œuvre en situation concrète. Il serait
aujourd’hui nécessaire de savoir mieux comment les processus
interactifs modifient les processus cognitifs et les conduites de
socialisation ».
Monique Linard nous introduisait dans un autre texte (Linard, 2002)à
cette complexité :
« Quand on veut bien s’intéresser à la
réalité de ses usages spontanés, le dispositif agit comme
un révélateur qui met en évidence toutes les conditions
humaines non strictement rationnelles de l’action efficace : en
particulier les tensions entre intention et réalisation, objectif et
stratégie, pratique et théorie, contraintes sociales et autonomie
individuelle.
Pour l’utilisateur, l’écran support de ses interactions
avec le système condense au minimum trois domaines fonctionnels
différents : celui des contenus et de la tâche proprement
dite ; celui de sa navigation pratique dans le micro monde virtuel
proposé par le système technique ; celui du pilotage de son
propre apprentissage par rapport aux deux autres domaines. Ces trois domaines
interagissent continûment dans le cours naturel de
l’action. »
3. Conclusion/Synthèse
Une nouvelle étape est nécessaire pour
la recherche : penser non seulement une hybridation des modes de formation
et de leurs temporalités, mais aussi une hybridation conceptuelle
touchant à la pédagogie intégrant dans sa structuration des
paradigmes hérités des trois systèmes de formation. Les
concepts hérités de la FAD ne suffiront pas seuls à tout
expliquer. On peut penser que le débat autour du temps passif/temps actif
de l’apprenant, qui est de mise dans le discours autour de la flip
education (It’s called "flip teaching" and "reverse teaching" or a
"backwards classroom" and "reverse
instruction »1)" et de
l’approche de type MOCC (Massive online open course), y contribuera.
« L’espace hybride de la culture numérique
constitue une nouvelle manière de faire société.
L’humanisme numérique est une manière de penser cette
nouvelle réalité ». (Doueihi, 2012)
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