Sciences et Technologies
de l´Information et
de la Communication pour
l´Éducation et la Formation
 

Volume 19, 2012
Rubrique

De la synchronie médiatisée en formation à distance...

Jacques WALLET (CIVIIC, Université de Rouen),

Le texte qui suit correspond au contenu de la conférence invitée faite par l'auteur au colloque JOCAIR 2012. Il ne se veut en aucun cas prescriptif, il ne cherche pas, par exemple, à affirmer la supériorité d’un mode de formation sur un autre. Son ambition, ou plutôt sa double ambition, est de tenter de questionner des pratiques de formation médiatisée mais aussi, mais surtout, de questionner les recherches, sur ou à partir de ces pratiques. Mon cadre réflexif est essentiellement en sciences de l’éducation.

 

 

En guise d’introduction

Beaucoup d'auteurs ont montré qu'entre les trois modes de formation (frontale/traditionnelle, d’une part ; autoformation, d’autre part ; et last but not least : formation à distance), du fait principalement des usages de l’internet, les frontières, les concepts et les doxas sont questionnés.

Ce mouvement en fait était déjà amorcé depuis la création de l’Open University et la mise en place de ses tuteurs et ses regroupements : à l’époque la FAD s’était ainsi « ouverte », tandis que pour le présentiel, l’émergence de l’enseignement programmé relevait de principes pédagogico-temporels largement étrangers à l’enseignement traditionnel.

Prenons deux exemples contemporains :

- les ENT renforcent et enrichissent mais hybrident le présentiel en brisant sa synchronie ;

- les visio-conférences, mais surtout les classes virtuelles – CV (traduction de virtual classrom, c'est-à-dire « salle de classe virtuelle », la nuance est importante) hybrident l’enseignement à distance, augmentent les temps synchrones. Certains auteurs ou organismes de formation utilisent même l’appellation de « présentiel à distance » (reprenant sans le savoir une expression de Weissberg de 1999 cité par Perraya en 2003).

La consultation des actes des colloques JOCAIR passés et présent montre qu’à chaque édition le nombre de communications qui se situent dans une perspective synchrone ou partiellement synchrone d’apprentissage médiatisé augmente. L’hybridation est décidément de mise.

La présente réflexion qui porte principalement sur les classes virtuelles s’ancre sur :

- mes propres pratiques – mes propres approximations, devrais-je souligner – en enseignement à distance, et celles de mes collègues au sein du dispositif FORSE qui existe depuis 12 ans, formation à distance en sciences de l’éducation, 600 inscrits à l’université de Rouen chaque année, de la L3 au master recherche où nous utilisons les environnements synchrones depuis de nombreuses années ;

- un suivi des publications, sur ce thème, depuis un rapport sur le sujet rédigé pour le MEN en 2004 et plus récemment au travers de l’observation des pratiques ;

- une série de 40 entretiens, menés en 8 vagues, en 2011/12, avec des formateurs et des responsables de formation au sein d’un grand organisme public français où les formateurs utilisent de façon régulière les classes virtuelles.

1. Première partie : Comprendre les enjeux

1.1. L’évolution de la formation à distance et l’émergence des dispositifs synchrones

L’enseignement à distance fut caractérisé pendant longtemps par le fait d’être un mode d’enseignement différé, s’adressant à des apprenants isolés avec une ingénierie, une démarche et une relation pédagogiques qui découlaient de ces caractéristiques.

Mais depuis le e-learning est de mise :

1.2. Le débat entre spécialistes

Nous allons essayer de comprendre ce qui se joue avec l’introduction de la synchronie dans les dispositifs de FAD, particulièrement avec les classes virtuelles (CV).

L’usage en émergence des classes virtuelles, à la suite des visioconférences s’inscrit dans le contexte communicationnel de l’usage synchrone des réseaux : messageries instantanées, flux d’information RSS, microblogging avec twitter, sans compter les réseaux professionnels. De façon plus générale, l’usage des tablettes et des smartphones favorise mobilité et immédiateté dans les usages polymorphes des réseaux dans les pratiques sociales, culturelles et professionnelles.

Dans l’éducation et la formation, l’argument principal qui légitime le mobile learning est de « toucher l’apprenant partout mais aussi immédiatement ».

En matière de tutorat en FAD, l’usage du téléphone (on ne parlait pas encore de Hot Line) depuis plusieurs décennies a peu fait l’objet, à ma connaissance, de publications ; c’est dommage ! Il existe à la marge des dispositifs, en particulier en langues où la FAD s’appuie pour du coaching sur le téléphone. Dans des pays émergents des projets de mobile learning reposent sur le simple téléphone cellulaire car le coût des tablettes reste trop élevé.

Pour ce qui concerne les classes virtuelles, un débat, essentiellement américain, existe cependant sur leurs « bienfaits »... Pour certains auteurs (par exemple M. Power, Université Laval (Power, 2012)), les classes virtuelles conjuguent TOUS les avantages de l’enseignement présentiel (en premier lieu la présence du professeur) et de l’enseignement à distance (éloignement des apprenants) tant au niveau de la pédagogie, qu’au niveau de l’efficience, celle-ci incluant les facteurs économiques.

Près d’une décennie après les premières expérimentations, on constate une augmentation sensible des usages des CV en FAD, légitimés par des arguments qui nous semblent récents :

- la prescription quant à un nombre d’apprenants synchrones n’est plus de mise, seul le nombre d’apprenants autorisés à poser des questions (par volontariat ou tirage au sort et qui reçoivent alors un « droit » d’intervention par l’administrateur/formateur de la CV) l’étant. À la critique d’une interactivité limitée, on oppose un possible turnover des participants actifs durant les sessions d’un cours régulier et, surtout, on relève la pratique du cours présentiel en amphithéâtre où l’enseignant limite, faute de temps, à deux ou trois questions l’interactivité avec ses apprenants...

- le contrôle, même à distance, pour des raisons pédagogiques ou (et) administratives de la présence des apprenants. Certains formateurs ou organismes en France vont même plus loin (enquêtes UCANS, janvier à mai 2012), taisant aux formés les possibilités d’enregistrement des CV pour « forcer la présence » des formés au direct ;

- la réhabilitation de l’enseignant en FAD dans une CV, alors que dans les cours asynchrones en ligne, le rôle principal est délégué au tuteur.

On perçoit à l’inverse pour certains auteurs, spécialistes de FAD, une crainte explicite : ainsi Claude Potvin (Université Laval/Téluq), chargé d’encadrement à la Télé-université :

« La formation à distance (FAD) est une espèce menacée non pas d’extinction, mais de dispersion... elle est exposée aux quatre vents, s’éparpille et prend racine, mais ses branches ne sont pas toujours bien taillées. »(Potvin, 2013)

Pour cet auteur, c’est la crainte d’une iniquité liée à une impossibilité pour les étudiants à participer à des classes virtuelles à des horaires imposés, en quelque sorte « l’étiquette formation à distance serait trompeuse ». Ainsi, pour lui :

« Chaque établissement d’enseignement qui offre de la formation à distance se doit de définir les paramètres qui garantissent à l’étudiant à distance toute la flexibilité attendue.

Si certaines contraintes de déplacement ou d’horaire sont exigées, y compris pour les travaux d’équipe, celles-ci devraient être annoncées dès l’offre de cours afin d’éviter des surprises aux étudiants plus tard dans la session. »

Pour France Henri (Henri, 2008), la crainte est plus diffuse mais plus profonde : la classe virtuelle serait d’essence transmissive, viserait surtout une accumulation de connaissances en répliquant le modèle de l’école, enfin et surtout elle renverrait la FAD vers un modèle artisanal où l’enseignant serait en quelque sorte seul maître – j’utilise ce terme polysémique à dessein – à bord.

Mais France Henri invite surtout à la problématisation sur les questions de synchronie en FAD :

« Si la question de la dualité asynchrone/synchrone n’était pas la bonne ? Et si la distance à surmonter n’était autre que la distance spatiale ou temporelle ? S’il s’agissait plutôt d’une distance transactionnelle ? »

Elle nous renvoie ainsi à Moore (Moore, 1993) autour du concept de distance transactionnelle. Jacquinot (Jacquinot, 1993) avec le concept de « distance pédagogique » nous disait presque la même chose ; là encore : « nouvelles technologies »/vieilles questions... On peut remarquer cependant dans tout ce qui précède que le cadre conceptuel reste celui de la formation à distance.

Cette approche en quelque sorte « endogène » à la FAD peut à mes yeux être élargie.

1.3. Le poids des mots

Nous mettons en relation, sur un schéma, trois « mots clefs » disséqués par de nombreux auteurs, souvent mis en tension deux à deux, mais beaucoup plus rarement au sein d’une réflexion d’ensemble. Avant de les aborder, enfonçons une fois de plus une porte ouverte, mais toujours d’actualité : les appellations dominantes en France TIC, TICE, NTIC en usage ne nous facilitent pas la tâche, car elles mettent en avant information et communication ; technologie éducative se révèle bien préférable, dès que l’on approfondit les usages spécifiques en contexte de formation.

Selon nos communautés scientifiques d’appartenance nous n’avons sans doute pas les mêmes compréhensions ou points de vue sur ces termes et leurs inter-relations.

In fine l’enjeu de la triade est sans doute dans sa relation avec les processus de réception, pour utiliser un vocabulaire médiatique.

 

Si pour Dominique Wolton l’homogénéité du message en matière de communication et d’information « n’interdit pas l’hétérogénéité de la réception », on sait depuis longtemps, en matière de formation, que l’hétérogénéité est consubstantielle à tout processus de formation ; c’est donc dans cette direction qu’il va falloir construire notre réflexion.

Là encore le débat n’est pas nouveau. On peut citer Célestin Freinet qui, pour présenter le dispositif des « boîtes enseignantes », soulignait en 1963 :

« L’information dont on tend à exagérer l’importance en éducation, doit être remise à sa vraie place, non pour remplacer l’éducation mais pour en activer et en aider les processus. »

Le même dispositif de communication synchrone peut être utilisé dans trois situations différentes en FAD.

Dans la situation 1, il s’agit de réunion virtuelle « virtual meeting » ce qui renvoie au concept d’information (fut-elle partagée) ; l’environnement synchrone est un atout peu contestable pour les dispositifs de FAD (réunions de régulation des formateurs, des formés, de l’ensemble des acteurs...).

Dans la situation 2 : il convient d’utiliser le terme de séminaire virtuel par exemple lorsqu’un tuteur, un auteur de cours, un directeur de mémoires dialogue avec un groupe (souvent restreint) d’étudiants, lorsqu’un « objet intellectuel commun et à partager » est en jeu. L’efficacité de ces rendez-vous (qui évoquent d’une certaine façon des formes de micro-teaching) a été démontrée par de nombreuses recherches sur les chats, les formes collaboratives de travail à distance.

Dans la situation 3, le terme de classe virtuelle prend tout son sens : situation de formation, un « cours » virtuel en direct. Par l’usage du mot « cours », nous évitons de dégéminer, même si nous ne les confondons pas, les situations d’enseignement et les situations d’apprentissage.

C’est cette dernière situation, là où la métaphore spatiale de la classe est réellement de mise que nous nous proposons d’examiner.

Soulignons au passage que l’on doit interroger les relations de recherche qui examinent par exemple les interactions entre les participants, en prenant appui sur des situations de type 1 ou 2 (en utilisant la dénomination classe virtuelle) pour les comparer avec des situations de classes présentielles, car cette comparaison, surtout si elle a pour but de montrer une supériorité des dispositifs en ligne sur le présentiel, est in fine assez peu légitime.

2. Deuxième partie : Questionnements pédagogiques

Nous examinerons les « classes virtuelles » avec un triple éclairage :

- approche communicationnelle

- approche historique des technologies

- approche pédagogique

2.1. Approche communicationnelle

D’abord et avant toute chose, il faut souligner que ce qui revient dans les entretiens avec les usagers ou au travers de notre propre expérience ce sont les témoignages sur des « incidents techniques », parfois liés à l’inexpérience des usagers mais aussi à des raisons objectives (firewall empêchant les connexions, débits insuffisants des connexions, interruptions dans le son). Dans les témoignages recueillis, surtout lorsque les usagers sont peu motivés par le direct, ces problèmes peuvent prendre une dimension rédhibitoire.

Autre exemple : les connexions à internet, lorsqu’elles sont trop inégalitaires par leurs débits, introduisent des distorsions temporelles de plusieurs secondes entre les apprenants, ce qui ne facilite pas les situations d’interactions...

Si mon approche se structurait autour d’études de cas précises, il conviendrait d’analyser en premier lieu quels sont les canaux de communication et les protocoles utilisés dans l’environnement par le formateur, d’une part, par les formés, d’autre part. À titre d’exemples, on peut citer l’utilisation ou non du tableau blanc, d’un powerpoint, de documents partagés, de documents « passifs » ; l’utilisation de la vidéo, du son, des icônes/smileys...

- Les choix (pour des questions pédagogiques ou techniques) des canaux de communication sont déterminants pour les tâches, les interactions médiatisées.

- Les choix sur les droits d’usage de telle ou telle fonctionnalité, attribués ou non, aux formés renforcent ce qui précède sur les niveaux de tâches et les interactions, mais aussi sur le « poids » hiérarchique du formateur, par exemple pour l’écriture sur le tableau blanc ou sa gestion du droit d’écriture ou de parole à tel ou tel apprenant.

- Les consignes données (et leur niveau de respect) jouent aussi leur rôle dans le déroulement des séquences...

Ainsi la classe virtuelle, selon les cas, pourra parfois ressembler à une conférence téléphonique, à une visioconférence, à une situation interactive de micro enseignement, voire à un jeu télévisé...

Dans un autre contexte Viviane Glikman rappelait :

« Il faut cesser d’investir les technologies de l’information et de la communication du pouvoir magique de transformer, par leur seule existence, des modes de connaissance et des rapports à la formation dont elles ne sont que des instruments parmi d’autres »

C’est à la même conclusion que Dumont et Peraya (Dumont et Peraya, 2003) arrivent dans un article concernant les CV :

« on doit s’interroger sur l’importance des représentations et des attentes de chacun à propos de son rôle, de sa tâche à réaliser dans un tel environnement. On le sait, la technologie n’est pas porteuse en soi d’innovation pédagogique ».

Reste à savoir qui est « on » mais cela est une autre histoire.

2.2. L’histoire des technologies éducatives : la crainte récurrente du « direct » en formation

La crainte de la synchronie, du direct, du « non-vérifié », via les machines à enseigner ou plus exactement via les programmes ou les ressources qu’elles délivrent, n’est pas née avec les classes virtuelles, elle fut par exemple omniprésente durant la période de la télévision scolaire. Dès l’origine de celle-ci, des critiques portèrent sur la maîtrise du média. Il y a 60 ans, par exemple, Maurice Pierre, un enseignant/usager, souligne :

« Dans le domaine scolaire, on ne voit pas ce que la télévision peut apporter d’autre par rapport au cinéma ou à la projection fixe. Par contre, on voit très bien quels sont les inconvénients : horaires imposés, programme imposé, pas de répétition possible, impossibilité d’intervention du maître, et surtout impossibilité d’adaptation au niveau de la classe. La télévision scolaire, c’est un faux progrès, un progrès à rebours. » (Pierre, 1953)

Les mêmes arguments sont développés quatorze ans plus tard par Michel Souchon, qui dresse un bilan de la télévision scolaire :

"La programmation des émissions éducatives pose des problèmes insurmontables. Dans le cas d’une réception médiatisée, celui de la rigidité des horaires. Dans le cas d’une réception isolée, celui de la fidélité du public... Il est paradoxal qu’on ait tenu contre vents et marées et en dépit de toutes les évidences sur l’incompatibilité des deux programmations (celle du temps d’antenne et celle de l’emploi du temps scolaire) et qu’on renonce au moment où le magnétoscope rend l’entreprise de la télévision scolaire enfin réalisable et raisonnable." (Souchon, 1982)

Plus tard Régis Debray (Debray, 1991) décrit le domaine médiatique comme celui du "direct" s’opposant au domaine scolaire qui devrait, pour utiliser un vocabulaire issu des médias, être celui du "différé".

D. Wolton au début d’Internet (Wolton, 1999) se défie de la même façon du direct, de l’accumulation des données. Il reprend des analyses antérieures sur la télévision : « Plus on est en direct, plus il faut réintroduire du recul » (Wolton, 1997)

2.3. Le synchrone en formation médiatisée : pour une approche multi référencée intégrant l’analyse de la temporalité dans une séquence présentielle classique

Ma première hypothèse est que les CV structurées en séquences programmées peuvent évoquer par certains traits un retour du behaviorisme.

Depuis Jonassen (Jonassen, 1993), la corrélation entre technologie pour l’éducation et constructivisme a souvent été évoquée, revendiquée, parfois démontrée mais à mes yeux au cas par cas, il peut y avoir donc dans cette perspective une tentation de critique explicite du modèle des CV.

Prenons un exemple de déroulé vertueux de classe virtuelle recommandé par un organisme de formation : le mot-clef pour le formateur est « régulation ».

1. Prenez le temps d’informer les participants.

2. Préparez un guide d’utilisation de la classe virtuelle.

3. Impliquez les participants dans la préparation de la séance

4. Invitez les participants à se connecter dans la salle environ 15 minutes avant.

5. Prévoyez le maximum d’interactions.

6. Rédigez le scénario détaillé de la session.

7. Rédigez le « storyboard » de la séance.

8. Déposez les ressources à l’avance si votre solution de classe virtuelle le permet.

9. Tapez à l’avance et conservez dans un fichier toutes vos questions et consignes écrites.

10. Concevez un diaporama adapté à votre classe virtuelle.

11. Faites une répétition générale !

12. Prévoyez un plan B !

 

A titre d’exemple, nous avons également modélisé un storyboard de CV à partir de plusieurs plans de cours de CV trouvés sur le net.

Contrôle, planification, certes mais à y regarder de près, cet amalgame CV/béhaviorisme doit être nuancé, car on est sous une forme collective temporelle de la progression... c’est peut-être d’ailleurs là où le bât blesse : l’illusion que la « réception » est la même pour tous les apprenants...

Ma seconde hypothèse est que convoquer les cadres réflexifs de l’enseignement présentiel pour comprendre ce qui se joue durant le temps synchrone médiatisé d’apprentissage est nécessaire... mais pas suffisant !

Condition nécessaire ? Car quelle que soit leur entrée théorique, tous les travaux « sur le présentiel » renvoient à un constat in fine commun : la durée de la séquence ne correspond pas aux temps d’apprentissages des apprenants.

Si le constat est globalement commun, les cadres théoriques pour y arriver sont variés. Selon ses tropismes, on ira du côté des travaux des didacticiens, des pédagogues, ou vers d’autres disciplines...

• Travaux des didacticiens sur la transmission du savoir, comme par exemple ceux d’Alain Mercier sur les temps didactiques, où, à la suite des travaux de Chevallard sur la transposition didactique, il postule que le temps personnel d’apprentissage se construit par épisodes...

« l’observation des phénomènes relatifs aux temps cherche à identifier les resynchronisations des temporalités multiples qui se rencontrent dans une classe et la production de nouveaux décalages ».

Marie-Pierre Chopin analyse, elle, les moments de l’étude et la temporalité de la diffusion des connaissances autour d’une séquence. Elle critique le temps didactique de Chevallard et Mercier (Mercier, 1999) envisagé comme la programmabilité de l’enseignement du savoir à un niveau méso et met en avant ce qu’elle nomme le temps micro didactique : « Outre la volonté de rétablir le dialogue entre l’étude de l’enseignement d’un côté et de l’apprentissage de l’autre, ce sont plus fondamentalement les notions de contextualisation, de processus et de dynamique qui gagnent le centre des préoccupations sur les pratiques ».

• Les pédagogues « de l’apprentissage » (Freinet, (Rogers, 1962)...) sans surprise, insisteront sur le libre arbitre des acteurs et (ou) sur la dimension emphatique qui respecte les rythmes d’apprentissage. Ainsi pour ne citer qu’un seul exemple contemporain tiré des écrits de Frédérique Lerbet-Sereni : « Chacun par ses relations à l’autre et à l’environnement développe son autonomie propre, sa connaissance, ses potentialités » (Lerbet-Sereni, 2013).

Les approches de psychologues (Palo Alto, ergonomie cognitive...) comme les écrits de philosophes (M. Serres (Serres,1991), par exemple) ou ceux de sociologues de l’éducation (Sue,1993) distinguent temps normatif et activités liées à un temps évolutif où inter-agissent les acteurs du temps : « Le système relationnel sera donc auto-producteur de sa dynamique propre et créateur de lui-même s’il sait se situer dans son temps propre, multiple, varié, tourbillonnaire » (F. Lerbet-Sereni). En clair, ce qui se joue en présentiel « classique » ou au sein du synchrone en classe virtuelle, même dans une logique transmissive, obéit à un jeu complexe. Un concepteur de dispositif en FAD synchrone aurait tort de l’oublier.

Mais si la convocation des cadres réflexifs sur la temporalité d’une séquence présentielle est une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante, car la plupart du temps la situation vécue en CV ou en synchrone médiatisé par le formateur et les apprenants est spécifique, et ce pour quatre raisons.

• Le pouvoir renforcé en apparence du formateur (contrôle machinique), l’isolement sensoriel de tous (micro/casque pour tous) est, comme nous le montrent des entretiens récents, compensé par la crainte qu’à côté de son écran (et de sa caméra) l’apprenant fasse autre chose (interviews UCANS), alors que dans une « vraie » classe le « hors-champ » est limité. Il y a donc bien ce que j’ai appelé autrefois un crypteur médiatique à l’activité.

• La classe virtuelle peut être précédée et (ou) prolongée par des activités asynchrones à distance... en quelque sorte, pour jargonner, du « présentiel à distance enrichi » – l’asynchrone en boomerang du synchrone !

• La dimension synchrone n’est efficace que si elle est pensée au cœur d’un système organisé d’éléments en interaction dynamique. J’aurais pu employer le terme de dispositif. Une ingénierie de formation est toujours nécessaire. Le choix d’un outil et d’une temporalité d’usage ne doit pas intervenir « a priori ».

• La dernière raison tient à l’appropriation réelle par les acteurs. Monique Linard (Linard, 1990) soulignait le fossé entre les espérances et les appropriations réelles des acteurs du système éducatif, elle constatait :

« une confusion épistémologique permanente qui confond la logique idéale de la description des savoirs acquis, avec la logique individuelle de l’acquisition de ces savoirs par des processus cognitifs mis en œuvre en situation concrète. Il serait aujourd’hui nécessaire de savoir mieux comment les processus interactifs modifient les processus cognitifs et les conduites de socialisation ».

Monique Linard nous introduisait dans un autre texte (Linard, 2002)à cette complexité :

« Quand on veut bien s’intéresser à la réalité de ses usages spontanés, le dispositif agit comme un révélateur qui met en évidence toutes les conditions humaines non strictement rationnelles de l’action efficace : en particulier les tensions entre intention et réalisation, objectif et stratégie, pratique et théorie, contraintes sociales et autonomie individuelle.

Pour l’utilisateur, l’écran support de ses interactions avec le système condense au minimum trois domaines fonctionnels différents : celui des contenus et de la tâche proprement dite ; celui de sa navigation pratique dans le micro monde virtuel proposé par le système technique ; celui du pilotage de son propre apprentissage par rapport aux deux autres domaines. Ces trois domaines interagissent continûment dans le cours naturel de l’action. »

3. Conclusion/Synthèse

Une nouvelle étape est nécessaire pour la recherche : penser non seulement une hybridation des modes de formation et de leurs temporalités, mais aussi une hybridation conceptuelle touchant à la pédagogie intégrant dans sa structuration des paradigmes hérités des trois systèmes de formation. Les concepts hérités de la FAD ne suffiront pas seuls à tout expliquer. On peut penser que le débat autour du temps passif/temps actif de l’apprenant, qui est de mise dans le discours autour de la flip education (It’s called "flip teaching" and "reverse teaching" or a "backwards classroom" and "reverse instruction »1)" et de l’approche de type MOCC (Massive online open course), y contribuera.

« L’espace hybride de la culture numérique constitue une nouvelle manière de faire société. L’humanisme numérique est une manière de penser cette nouvelle réalité ». (Doueihi, 2012)

Bibliographie/sitographie (en juin 2012)

DEBRAY R. (1991) Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard

DOUEIHI M. (2012). Pour un humanisme numérique, Seuil, 2012.

GLIKMAN V. (2003) Du télé-enseignement au e-learning, PUF, Paris

HENRI F. (2008) Le synchrone en formation à distance, Amorce de réflexion, Séminaire TEMATICE, 21 novembre 2008.

JACQUINOT, G. (1993). Apprivoiser la distance et supprimer l’absence ? ou les défis de la formation à distance. Revue Française de Pédagogie, 102, 55–68. Disponible sur internet http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfp_05567807_1993_num_102_1_1305

JONASSEN, D. H., MAYES, J. T., & McALEESE, R (1993). A manifesto for a constructivist approach to technology in higher education. In T. Duffy, D. Jonassen& J. Lowyck (Eds.), Designing constructivist learning environments. Heidelberg, FRG: Springer-Verlag.

LERBET SERENI F. (s.d.). La relation pédagogique éclairage systémique et travail des paradoxes. Disponible sur internet http://www.mcxapc.org/fileadmin/docs/ateliers/6_doc1.pdf

LINARD M. (1990) Des machines et des hommes, éditions universitaires, Paris 1990.

LINARD M. (2002). Conception de dispositif et changement de paradigme en formation, Education permanente 152/2002-3.

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MOORE, M.G. (1993). Theory of transactional distance. In : Keegan, D (dir.publ.). Theoretical Principles of Distance Education. New York, Routledge. pp. 22 - 38.

PERAYA, D., & DUMONT, P. (2003). Interagir dans une classe virtuelle : analyse des interactions verbales médiatisées dans un environnement synchrone. Revue française de pédagogie, Vol. 145, p. 51–61. Disponible sur internet http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise-de-pedagogie/INRP_RF145_4.pdf

PIERRE M. (1953) Tribune : "Cinéma ou télévision scolaire", Revue Films et Documents, mars 1953

POTVIN C. (s.d.). Aux frontières de la formation à distance, réflexions pour une appellation mieux contrôlée. Université Laval/Téluq. Disponible sur internet http://distances.teluq.ca/comite-editorial/

POWER T. M. http://www.fse.ulaval.ca/cv/Michael.Power consulté en 2012

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SERRES M. (1991). Le tiers instruit, Odile Jacob

SOUCHON M. Actes du colloque du centenaire E.N.S de Saint Cloud 1882/1982 : les formes médiatisées de la communication éducative, p 87

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WOLTON D. (1999) Eloge de l'"interniet" enseignant in Le monde de l'éducation, de la culture et de la formation, 271 (06/1999) p. 18-19


1 http://www.thedailyriff.com/articles/teachers-doing-the-flip-to-help-students-become-learners-531.php