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Les usages des TIC par les lycéens - déconnexion
entre usages personnels et usages scolaires
Nicolas GUICHON (ICAR, Lyon
2)
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RÉSUMÉ : Cette
recherche, qui adopte la perspective de la sociologie des usages, s'appuie sur
une enquête à la fois par questionnaire et par entretiens pour
sonder les usages numériques des lycéens de l'enseignement
secondaire général en France. Deux objectifs sont
visés : d’une part, grâce aux données empiriques
obtenues, un état des lieux des usages numériques des jeunes est
conduit. D’autre part, cette étude investigue de quelles
façons les outils numériques sont utilisés pour le travail
à la maison et pour l'apprentissage des langues étrangères.
Les résultats mettent au jour une déconnexion entre usages des
Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) entre la
sphère privée et la sphère scolaire.
MOTS CLÉS : usages
numériques, fracture numérique, compétences, Technologies
de l’Information et de la Communication (TIC)
DONNÉES ASSOCIÉES : Accessibles via le lien permanent
(Datapublication.org : Tge-adonis.fr.)
http://hdl.datapublication.org/11107/d-001-102 |
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ABSTRACT : This
research adopts a sociological approach to study the use of Information and
Communication Technologies (ICT) by secondary school students in France through
a questionnaire and interviews. Its aims are twofold : first, the empirical
data provide a broad view of this population's digital use. Second, the study
uncovers how digital technologies are used for homework and language learning.
Results indicate a disconnection between home and school with regards to the use
of ICT.
KEYWORDS : Information
and Communication Technologies (ICT), ICT usage, digital divide, competences
ASSOCIATED DATA: Available online by permalink
(Datapublication.org : Tge-adonis.fr.)
http://hdl.datapublication.org/11107/d-001-102 |
1. Introduction
En 2001, Prensky introduisit
une notion qui allait faire florès : les digital natives ou
"natifs numériques" désignent la génération
née en même temps que les technologies numériques se
généralisaient dans la plupart des pays industrialisés. Le
postulat de Prensky est que cette génération, parce qu'elle a
grandi avec ces outils et ces ressources et y a été exposée
de manière prolongée, est naturellement à l'aise pour les
utiliser. L'inconfort - voire la sidération - que ces outils ont produit
chez les adultes qui ont dû apprivoiser des ordinateurs pour des raisons
professionnelles (cf. par exemple les travaux de Singéry (Singéry, 1994) concernant les changements technologiques en entreprise) peut être
contrastée avec l'apparente facilité avec laquelle les adolescents
appartenant à la génération des natifs numériques
semblent adopter les applications technologiques qui sont apparues dans notre
quotidien privé et professionnel. Toutefois si la présence de ces
outils dans l'environnement des natifs numériques crée une
familiarité, cela ne signifie pas que des usages experts se
développent d'eux-mêmes et que les natifs numériques soient
compétents dans l'utilisation des outils technologiques. Quand il s'agit
d'étudier les usages des technologies d'information et de communication
(TIC) qui se font jour parmi les adolescents, se pose avec acuité la
question des compétences développées informellement dans la
sphère privée et amicale, celles qui sont réinvesties
à des fins d'apprentissage formel (par exemple pour faire les devoirs),
et celles qui sont mobilisées dans la sphère scolaire sous
l'impulsion des enseignants dans la lignée de travaux qui ont
différencié usages scolaires, usages privés et usages
"semi-scolaires" des TIC (Dané et Manneux, 2006).
Cette recherche s'appuie sur une enquête par questionnaire (n = 1002)
complétée par des entretiens semi-directifs (n = 13) auprès
de la population des lycéens de classe de Première de
l'enseignement secondaire général en France. Elle vise deux
objectifs. Tout d'abord, les données empiriques obtenues par le biais de
l'enquête par questionnaire permettent d'établir un état des
lieux auprès d'une population homogène au niveau de l'âge et
du niveau d'étude afin de déterminer l'influence d'un certain
nombre de facteurs (sexe, attitudes envers les TIC, sentiment de
compétence) sur les usages des TIC à des fins personnelles. Puis,
pour apprécier une éventuelle circulation entre les usages
personnels et scolaires, cette étude cherche à appréhender
comment les outils numériques sont utilisés, d'une part, pour le
travail à la maison et, d'autre part, pour l'apprentissage des langues
étrangères.
En somme, en s'appuyant sur le courant de recherches de la sociologie des
usages qui a développé des outils pour sonder les pratiques de
communication émergentes (Le Douarin, 2004) ; (Martin, 2004) ; (Cardon et Delaunay-Teterel, 2006),
la présente recherche ajoute une dimension didactique soucieuse de
comprendre les implications de ces pratiques pour les apprentissages scolaires.
2. Cadre théorique
2.1. Les usages numériques des lycéens : deux logiques
à l'œuvre
Les lycéens auxquels s'intéresse cette
enquête sont des adolescents qui, arrivés à l'âge de
17 ans, ont développé, à des degrés divers, une
culture numérique que l'on définira, à la suite de
Fluckiger (Fluckiger, 2008),
comme "l’ensemble de valeurs, de connaissances et de pratiques qui
impliquent l’usage d’outils informatisés, notamment les
pratiques de consommation médiatique et culturelle, de communication et
d’expression de soi". Nous conserverons la notion d'usages
numériques plutôt que celle de culture numérique car elle
permet de mieux saisir l'hétérogénéité des
pratiques et des valeurs multiples qui y sont attachées et s'ancre dans
une tradition déjà bien établie dans la recherche
francophone (Paquelin, 2002) ; (Souchier, Jeanneret et Le Marec, 2003).
Étudier les pratiques implique en particulier de prendre en compte les
rapports que les individus développent vis-à-vis des objets et les
logiques sociales qui façonnent les usages (Davallon et Le Marec, 2000).
Guichon (Guichon, 2011) p. 141-149) a identifié deux logiques à l'œuvre en contexte
scolaire et au-delà concernant les usages numériques, la logique
d'imposition et la logique d'appropriation. La logique d'imposition émane
des autorités sociopolitiques (l'institution scolaire, les
décideurs politiques) et économiques (l'industrie de
l'informatique et des communications, les décideurs économiques)
qui déploient des discours valorisants - voire militants -
vis-à-vis de l'adoption des technologies à des fins
d'apprentissage. Au Canada, Bullen et al. (Bullen et al., 2011) ont bien montré que la presse générale et les recherches
subventionnées par des intérêts privés jouaient un
rôle conséquent pour propager des discours sur les natifs
numériques alors que peu d'enquêtes viennent donner une base
empirique à ces discours sur cette "génération Internet".
En France, Fluckiger (ibid.) parle de "la pression institutionnelle,
sociale ou marchande qui s’exerce pour que l’école
intègre les technologies de l’information et de la communication".
En effet, dès la fin des années 1990, voyant l'arrivée du
numérique comme une opportunité de s'inscrire dans la
modernité (Guichon, 2012) p. 27-37, l'institution scolaire s'est mobilisée pour faire entrer le
numérique à l'école que ce soit en équipant les
établissements avec du matériel informatique, en exigeant (sans
vraiment y réussir) que les enseignants recrutés aient des
compétences informatiques et en mettant en place des incitations pour que
les adolescents intègrent l'informatique dans leurs pratiques scolaires.
La logique d'imposition transparaît par exemple dans les discours des
autorités scolaires françaises qui ont mis en place le Brevet
Informatique et Internet (B2i) au collège au tournant des années
2000. Selon le site du Ministère de l'Education
Nationale1,
pour assurer l'égalité des chances, l'Éducation
nationale doit dispenser à chaque futur citoyen la formation aux
utilisations des technologies de l'information et de la communication qui
lui permettra d'en faire une utilisation raisonnée, de percevoir les
possibilités et les limites des traitements informatisés, de faire
preuve d'esprit critique face aux résultats de ces traitements,
d'identifier les contraintes juridiques et sociales dans lesquelles s'inscrivent
ces utilisations.
A travers cet extrait, on mesure quel rôle l'institution scolaire a
assigné aux enseignants français et pour quels objectifs
(accès à la citoyenneté et égalité des
chances). Si l'école a été l'un des premiers relais pour
faire entrer l'informatique dans les pratiques scolaires des adolescents, ont
émergé en parallèle, cette fois dans leur sphère
privée, un certain nombre d'usages, d'abord par le jeu vidéo et
les cédéroms ludo-éducatifs, puis par l'utilisation
d'ordinateurs connectés à Internet. En interaction avec la logique
d'imposition, la logique d'appropriation part des individus qui construisent un
réseau de significations autour des TIC en même temps qu'ils
développent, à des degrés divers, des usages
raisonnés, créatifs et émancipatoires autour de ces outils
et de leur potentiel d'utilisation.
Deux logiques sont donc à l'œuvre,
celle qui impose aux adolescents des outils et des comportements par le biais de
l'école et développe un discours sur ces mêmes outils
(modernité, interactivité) et celle qui voit l'émergence de
nouvelles façons de communiquer, de se divertir et de s'informer qui se
construisent principalement hors des murs de l'école. Il convient alors
de déterminer si ces deux logiques sont en concurrence ou bien
complémentaires et si les usages circulent entre la sphère
privée et la sphère scolaire. Sans doute, les devoirs à la
maison, une activité où la sphère scolaire s'invite dans la
sphère privée, constitue-t-elle un bon moyen d'étudier
comment des adolescents d'une classe d'âge donnée utilisent ou non
les TIC. L'étude des usages nécessite en outre de pouvoir comparer
les pratiques numériques des jeunes à la maison et à
l'école. Pour étudier les usages numériques scolaires,
cette étude choisit de se concentrer sur l'apprentissage des langues
étrangères, cette matière ayant
bénéficié depuis l'apparition du multimédia d'une
attention soutenue de la part des éditeurs scolaires et d'un
investissement certain de la part de l'institution scolaire.
2.2. Quels facteurs déterminants pour étudier les usages
numériques?
Un premier facteur pour étudier les usages numériques consiste
à sonder l'accès aux ressources numériques (possession d'un
ordinateur et d'une connexion internet), l'accès ou le non accès
constituant un des éléments essentiels de ce qui est
communément appelé la fracture numérique. Hargittai (Hargittai, 2010),
qui a mené une étude sur un échantillon d'étudiants
états-uniens en début de cycle universitaire, a établi
qu'il existait des variations considérables par rapport à la
diversité et à la qualité des usages numériques
entre ceux qui disposaient des ressources numériques et ceux qui n'en
disposaient que par l'intermédiaire des installations accessibles sur le
campus. L'autonomie d'usage dépend de la liberté d'un individu
à utiliser les TIC où et quand il le souhaite (Hargittai, 2003).
D'évidence, le degré d'autonomie d'un individu variera, d'une
part, selon qu'il possède son propre ordinateur, qu'il le partage avec le
reste de sa famille, ou bien qu'il doit utiliser le matériel du
lycée, et d'autre part, selon qu'il dispose d'un ordinateur portable ou
d'un ordinateur fixe. Cette autonomie est donc fortement liée à
des facteurs socio-économiques, un aspect qu'il convient donc de prendre
en compte dans une enquête sur les usages numériques. Ainsi,
l'enquête d'Hargittai (Hargittai, 2010) mentionnée plus haut concluait que les étudiants dont le statut
socio-économique était le plus bas faisaient montre d'un niveau de
compétence vis-à-vis des usages numériques moins
élevé que les autres étudiants de l'échantillon.
L'accès et l'autonomie sont deux atouts qui jouent à plein en
faveur de ceux qui bénéficient d'un environnement
déjà privilégié, renforçant ainsi la fracture
numérique avec ceux qui ont moins la possibilité de
développer des utilisations compétentes.
Eynon (Eynon, 2009), qui
a pour sa part conduit une enquête longitudinale sur la population
britannique, suggère d'aller au-delà de la question de
l'accès. Se fondant sur les travaux de Van Dijk (Van Dijk, 2005),
elle remarque que "la fracture numérique n'est plus seulement à
envisager comme une catégorisation dichotomique entre ceux qui disposent
des ressources numériques et ceux qui en sont dépourvus, mais est
plutôt définie comme un continuum où intervient un entrelacs
de facteurs déterminants telles que les attitudes, les
compétences, la qualité de l'accès et l'aide fournie dans
l'environnement" [notre traduction]. Dans la même veine, Le Guel (Le Guel, 2004) propose de distinguer deux niveaux de fracture numérique, le premier
concernant les inégalités d’accès aux outils
numériques, le second ayant trait aux inégalités
d’usage, "désignées comme les différences dans
l’aptitude des individus à utiliser l’internet". L'aptitude
peut varier selon l'expérience des individus, c'est-à-dire le
nombre d'années passées à utiliser les outils
numériques et le temps passé en ligne quotidiennement. En outre,
la question des usages doit être raffinée avec le type
d'activités menées en ligne. DiMaggio et al. (Di Maggio et al., 2004) ont établi une distinction profitable entre deux grands types
d'activités qui peuvent être réalisées avec les
outils numériques, les unes relevant du domaine des loisirs
récréatifs (écouter de la musique, jouer en ligne), les
autres telles la lecture de journaux en ligne correspondant à des
activités orientées vers le développement des
connaissances. Un des enjeux est de déterminer si des usages, a
priori récréatifs et informels, peuvent être
réinvestis pour des objectifs d'apprentissage et s'il y a une circulation
entre la sphère privée et la sphère scolaire. Comme le
souligne Develotte (Develotte, 2003),
"les pratiques d'apprentissage (et plus encore celle d’auto-apprentissage)
étant rarement accessibles (de par la difficulté à pouvoir
suivre en direct les comportements des apprenants engagés dans une
tâche de recherche menée de manière extensive), il
paraît d'un grand intérêt de pouvoir s'appuyer sur les
niveaux d'“expérience d'apprentissage” et de
“conception d'apprentissage” en tant que
“quasi-données”, cruciales pour la compréhension du
processus d'apprentissage".
C'est parce que les usages recouvrent à la fois
des pratiques et des discours sur les pratiques que le choix a été
fait pour cette étude de conjuguer une approche quantitative et
qualitative.
3. Présentation des méthodes de recueil et de la composition
de l'échantillon
Au printemps 2011, une enquête par
questionnaire (cf. annexe 1) a été élaborée par
l’auteur pour recueillir des informations sur les utilisations
personnelles et scolaires des TIC d'élèves de Première
inscrits dans des lycées généraux français. La
construction du questionnaire s’est élaborée grâce
à l’analyse d’enquêtes semblables portant sur la
problématique des usages des TIC (Martin, 2004) ; (CREDOC, 2009) ; (Hargittai, 2010).
Plutôt qu'une enquête en ligne qui aurait pu biaiser les
résultats auprès de ceux moins à l'aise avec les
formulaires sur Internet, ce questionnaire anonyme a été
administré en classe par les soins d'enseignants et de conseillers
principaux d'éducation volontaires et d'une assistante de recherche afin
d'assurer un taux satisfaisant de questionnaires traitables. Son administration
a pris entre vingt et trente minutes et s’est généralement
effectuée sur le temps de classe. Le choix de la classe de
Première a été fait car les élèves ont
déjà assimilé les codes du lycée et sont à
l'âge intermédiaire entre l'adolescence et l'entrée dans la
vie adulte.
L'enquête a été administrée au niveau
national auprès de 1300
élèves mais seuls 1002 questionnaires ont été
conservés dans l'échantillon pour assurer une
représentativité par genre (54,1% de femmes et 45,9% d'hommes, ce
qui correspond très exactement à la répartition par sexe de
cette population en 2009 selon les chiffres fournies par le Ministère de
l'Education nationale), par sections de baccalauréat (36,3% pour la
filière scientifique, 10,6% pour la filière littéraire,
20,7% pour la filière économique et 32,5% pour les filières
technologiques) et par provenance géographique (lycées
implantés en zone semi-rurale, en périphérie de grands
centres urbains, et dans le centre d'une grande ville). Il est également
à souligner que 65,4% des répondants avaient 17 ans au moment de
l'enquête.
Pour compléter les résultats obtenus par le biais des
questionnaires, 13 entretiens compréhensifs (cf. annexe 2) ont
été menés auprès d'un échantillon de cette
même population (8 filles et 5 garçons). Les entretiens, d'une
durée d'environ 45 minutes, ont porté sur les utilisations des
ressources numériques (temps passé, expérience, contenu des
activités, habitudes, recours aux TIC pour faire les devoirs, attitudes
vis-à-vis des usages numériques pour des usages personnels et pour
des usages scolaires). Les discours ainsi recueillis ont permis de donner de la
consistance aux chiffres obtenus et d'enrichir la compréhension de
certains aspects mis au jour par l'enquête par questionnaire. En effet,
même si des enquêtes par questionnaire sont importantes à
mener, leurs résultats gagnent à être contextualisés
par le biais des expériences d'apprentissage et des discours des
utilisateurs (Livingstone et Helsper, 2007).
Toutefois, que ce soit par le biais du questionnaire ou de l'entretien, la
question de la compétence à utiliser les outils demeure un angle
mort. L'analyse mériterait d’être complétée par
des observations sur le long terme ou bien de soumettre un échantillon
suffisamment large de ces lycéens à des tâches les mettant
en une situation d'utiliser des outils pour des activités
médiatisées. D'une part, l'observation est difficile à
mettre en place car elle supposerait que le chercheur trouve un moyen
d'étudier les pratiques d'un échantillon de jeunes dans
différentes situations (scolaires, de divertissement, de communication)
sans que l'observation ne les altère. D'autre part, une approche
expérimentale ne peut donner qu'une idée partielle de la
compétence. La position défendue ici est que des
méthodologies mixtes sont nécessaires pour étudier les
utilisations et prendre en compte un certain nombre de déterminants,
élucider les usages, leur variété et les contextes dans
lesquels ils se déploient, éclairer des activités
instrumentées par les traces observables et les discours des acteurs, en
somme, tenter par un appareil méthodologique complexe de saisir les
aspects psychologiques et sociologiques liés aux usages numériques
de sujets forcément multidimensionnels.
4. Résultats
4.1. Accès aux outils numériques et autonomie
Afin de déterminer l'importance du contexte
d'usage des technologies d'information et de communication, une série de
questions ont été posées aux participants quant à
leur accès à un ordinateur et à une connexion Internet dans
leur vie quotidienne. En effet, la possession d'un ordinateur à soi
change le rapport à l'objet et au temps que l'on passe en ligne comme
cela apparaît dans le témoignage de Valentin qui explique à
quel moment il a commencé à avoir un usage autonome des ressources
numériques :
Quand j’ai eu l’ordinateur vraiment, parce que avant
j’étais sur celui de maman qui était... Je ne pouvais pas y
aller tout le temps parce que c’était un peu l’ordi de la
famille... Des fois il y a papa qui va travailler, et puis après quand je
l’ai eu, je m’y suis mis beaucoup plus.
Les résultats révèlent que 77% des répondants
possèdent leur propre ordinateur et que 99,3% bénéficient
d'une connexion Internet à la maison. Parmi les 704 répondants qui
possèdent un ordinateur, 73,9% ont un portable et 41,8% ont un ordinateur
fixe. Ils sont 15,7% à posséder l'un et l'autre de ces
équipements. Parmi ceux qui n'ont pas d'ordinateur, il n'y a pas de
différences notables entre les catégories socioprofessionnelles
des parents (à l'exception des agriculteurs et exploitants agricoles et
des sans emploi moins dotés) ni entre les sexes, ni encore entre les
filières. Parmi les élèves qui ne possèdent pas leur
propre ordinateur, 90,1% déclarent toutefois pouvoir
bénéficier d'un accès à un ordinateur, que ce soit
l'ordinateur familial (97,7%), des ordinateurs disponibles au lycée
(25,2%) et chez des amis (11%). Ainsi, il semble que l'institution scolaire, en
fournissant un accès à des ordinateurs connectés par
exemple dans les Centres de Documentation et d'Information (CDI) des
lycées, contribue à réduire en partie la fracture
numérique qui existe parmi les lycéens.
Ces chiffres révèlent des taux d'équipement et de
connexion à domicile très importants à contraster avec le
reste de la population française. L'enquête du CREDOC
effectuée en 2009 établissait que 74% des individus
français possédaient un ordinateur à leur domicile et que
67% des personnes étaient connectées à
Internet2. Le taux élevé
d'équipement et de connexion pour notre population d'étude peut
s'expliquer à la fois par une baisse sensible du coût des
matériels informatiques depuis quelques années et par un
investissement par le milieu familial (parents et grands-parents) dans des
outils considérés comme indispensables pour la réussite
scolaire de cette classe d'âge. Ainsi, comme le remarque Fluckiger (Fluckiger, 2008),
"les jeunes sont davantage équipés en ordinateurs et
connectés à Internet que le reste de la population, ces chiffres
reflétant la pression exercée par les enfants sur les parents et
la volonté de ces derniers d’inscrire leurs enfants dans la
modernité".
Ce taux d'équipement permet donc une autonomie certaine quant à
l'usage des ressources numériques. Il est d'ailleurs notable que 56,7 %
des répondants déclarent que leurs parents sont au courant des
utilisations qu'ils font de leur ordinateur (2,4% seulement ont installé
un filtre sur l'ordinateur), ce qui signale qu’une partie des parents
interviennent dans les usages numériques de leurs enfants et participent
à leur développement.
4.2. Attitudes vis-à-vis des outils et compétences
perçues
Sur une échelle de Likert, il a été demandé aux
participants d'apprécier la place que les TIC tiennent dans leur vie. Les
résultats indiquent qu'une majorité des élèves
(59,6%), sans distinction du genre, accordent une place importante à ces
technologies. Ils sont encore 15,9% à les déclarer indispensables
(avec un léger différentiel en faveur des garçons). Les
entretiens révèlent que, même s'il y avait un ordinateur
déjà présent dans leur environnement, c'est en
général vers 12 ans que celui-ci commence à prendre un
relief particulier dans leurs usages. L'importance des outils numériques
s'apprécie également par le temps passé par les
répondants à les utiliser. Il faut cependant noter que
l'estimation d'une moyenne de temps par jour constitue une mesure imparfaite,
d'abord parce qu'elle prend peu en compte les variations sur la semaine
(mercredi après-midi et week-end), ensuite parce qu'avoir son ordinateur
allumé et connecté à un réseau social comme Facebook pendant qu'on est en train de faire un devoir de
mathématiques diffère singulièrement en terme d'engagement
d'une activité recourant exclusivement au support informatique comme
l'écriture dans un forum.
Ainsi, en moyenne, 21,6% des répondants déclarent passer moins
d'une heure à utiliser leur ordinateur, 45,9% entre une heure et deux
heures, 24,3% entre deux heures et quatre heures et 8,3% plus de quatre heures
par jour. Il existe un écart significatif (p=0,051) entre les
garçons qui passent en moyenne davantage de temps que les filles à
utiliser leur ordinateur, même si, au final, le temps passé
à utiliser ces outils reste assez mesuré.
Si les outils numériques occupent une place de choix chez les
lycéens, la question de la compétence à les utiliser se
pose. Même si l'auto-évaluation est une mesure peu fiable de la
compétence réelle (Hargittai, 2010),
cette appréciation subjective fournit cependant des indications
concernant la confiance de cette population à utiliser les TIC. Les
jeunes interrogés estiment que leur compétence à utiliser
les TIC est bonne (53,2%) ou même très bonne (16,1%). Seule une
minorité des répondants considèrent avoir une
compétence faible ou très faible (5,3% en cumulé). Ce taux
est à comparer avec les 47% des français, tous âges
confondus, interrogés en 2009 sur leur propre compétence pour
utiliser un ordinateur qui répondaient qu’elles ne se
considéraient "pas très" ou "pas du tout" compétentes (CREDOC, 2009) p.
16.
Les garçons n'apprécient pas leur compétence de la
même façon que les filles : ils se déclarent très
compétents dans une proportion plus élevée qu'elles
(statistiquement significative), que cette supériorité soit
vérifiée ou pas. L'enquête de Martin (Martin, 2004) souligne d'ailleurs une "sexuation des usages et des compétences" qui
s'installe au moment de l'adolescence et perdure à l'âge adulte.
Il semble ainsi que le B2i, mis en place au collège, ne
réussisse pas à aplanir les différences de
compétences perçues entre filles et garçons. Il est
d'ailleurs difficile de mesurer l'impact du B2i, la mise en place de celui-ci
variant grandement d'un établissement à un autre. Toujours est-il
qu'y a une majorité des répondants à être satisfaits
de cette formation (53,3% étant soit très satisfaits ou
satisfaits) même si semble poindre un écart entre
compétences réelles et savoirs scolaires comme cela apparaît
dans le témoignage de Marie à qui il est demandé ce qu'elle
pense du B2i :
Oui mais alors c’était assez drôle parce qu’on
sait tous se servir d’un ordinateur, c’est un peu notre
génération, on est nés avec quoi ! On a tout de suite
appris à s’en servir, c’est naturel pour nous ! Mais
alors ils nous posaient des questions, on ne savait absolument pas ce que
ça voulait dire parce qu’on ne sait pas comment ça
s’appelle même si on sait s’en servir. Et puis on s’en
fout quoi ! Donc en fait on trichait...
L'évaluation du B2i dépassant le cadre de cette recherche
(Fluckiger, à paraître) pour une perspective critique du B2i), nous
n'irons pas plus loin dans cette analyse. On peut toutefois se demander avec
Baron et Bruillard (Baron et Bruillard, 2008) si de telles certifications "testent réellement des compétences ou
bien si elles vérifient simplement que certaines tâches canoniques
peuvent être effectuées" et jusqu'à quel point les
compétences acquises dans les usages personnels peuvent se
transférer pour des usages scolaires.
4.3. Les usages personnels des TIC
Le tableau 1 présente un certain nombre d'activités
proposées aux répondants afin de déterminer à quelle
fréquence ils utilisent une technologie pour une activité
donnée. Parce que le genre semble avoir un impact important sur les types
d'utilisation, la colonne la plus à droite indique si ce sont les filles
de l'échantillon qui s'adonnent davantage que les garçons à
une telle ou telle utilisation (F>H) ou bien si c'est l'inverse (H>F), et
fournit la significativité statistique des écarts.
Tableau 1 : fréquence d'utilisation d'outils
TIC
|
Chaque jour |
1 à 2 fois / semaine |
1 à 3 fois / mois |
Jamais |
Orientation de l'activité par genre |
Tenir un blog |
3.8% |
3.7% |
5.5% |
87.0% |
F>H p*
(assez significatif) |
Participer à des forums |
5.9% |
7.6% |
12.5% |
74.1% |
H>F p***
(très significatif) |
Chatter avec la webcam (Skype, etc) |
9.3% |
12.4% |
18.6% |
59.7% |
H>F p***
(très significatif) |
Jouer à des jeux en ligne (seul ou en réseau) |
17.5% |
18.1% |
19.6% |
44.8% |
H>F p***
(très significatif) |
Utiliser des logiciels pour créer ou éditer des contenus
audio/vidéo/photo |
8.3% |
22.3% |
37.9% |
31.6% |
H >F p*
(assez significatif) |
Envoyer des mails |
14,5% |
34,9% |
30,8% |
19,8% |
H>F p***
(très significatif) |
Regarder ou télécharger des vidéos ou de la musique |
49.7% |
34.1% |
13.0% |
3.2% |
H>F p**
(significatif) |
Chatter (MSN, Facebook) |
66.4% |
21.8% |
4.9% |
6.8% |
F>H p**
(significatif) |
Participer à des réseaux sociaux (Facebook, etc.) |
68.1% |
17.7% |
4.2% |
10.0% |
F>H p***
(très significatif) |
Faire des recherches sur internet |
78.9% |
17.0% |
2.9% |
1.2% |
F=M ; p=0,372 (peu significatif) |
Parmi les utilisations les plus courantes, la recherche d'informations est
l'activité numérique la plus courante (78,9% quotidiennement),
à part égale entre filles et garçons. La première
fonction d'Internet reste donc la possibilité offerte de puiser dans le
gisement d'informations disponibles. La nature indifférenciée de
la notion d'information ne permet pas de distinguer le type d'information
recherchée, si celle-ci est de nature encyclopédique ou bien
anecdotique. Le témoignage de Léonard permet aussi de montrer que
la recherche d'informations peut être sans objectif précis et se
comparer à du zapping télévisuel :
Mais sinon j’y vais de manière assez passive, je fais des
choses quotidiennes mais sans vraiment les faire. C’est presque un
automatisme. Je l’allume et je ne sais même pas pourquoi je
l’allume... je regarde mes mails au cas où, je vais aller regarder
deux/trois émissions sur Allociné et d’autres sites.
Tout ce qui permet de garder ou de construire un lien social (réseaux
sociaux et chat et, dans une moindre mesure les outils de
visioconférence) emporte la faveur des lycéens. Ils sont ainsi
66,4% à déclarer utiliser chaque jour des outils de chat et
68,1% à participer à des réseaux sociaux quotidiennement.
Avoir un compte Facebook est même quasiment un passage
obligé pour les jeunes de cet âge comme le précise un
répondant pour qui "ne pas être sur Facebook, je ne sais
pas, c’est comme ne pas avoir de portable" (César). Ceci signale
d'ailleurs que la logique d'imposition peut intervenir également entre
pairs avec une pression du groupe sur l'individu pour utiliser certaines
applications juste pour faire montre de son appartenance. On constate
grâce aux entretiens que Facebook est mis en fond d'une autre
activité, permettant de maintenir le lien et d'alterner devoirs et
échanges en ligne comme le raconte Constance : "c’est juste
s’il y a le bruit « ding ding », je fais
« ah c’est bon, je vais me déconnecter du travail et je
vais aller sur Facebook". Le panurgisme que semble induire cette
application transparaît à travers le commentaire de
Clémentine : "On va dire que j’y vais régulièrement,
mais je ne sais pas pourquoi j’y vais". Pourtant, certains se
révèlent être critiques envers ce genre d'échanges
informels au cours desquels les utilisateurs "ne parlent pas vraiment, enfin...
enfin ils parlent, mais sans rien dire !" (Laura). Comme l'a
remarqué Fluckiger (Fluckiger, 2008),
"le contenu de l’échange important finalement moins que le fait de
manifester le lien social, [...], ces outils de communication
s’inscriv[a]nt dans le processus de construction identitaire des
adolescents".
Sans conteste, la réussite d'un réseau comme Facebook tient au fait qu'il réussit à agréger des moyens pour
échanger photos, clips vidéo et audio et messages écrits,
pour chatter (avec ou sans webcam) et même pour jouer comme le note
Jérémy :
"Bien oui, Facebook a tout remplacé ! Ca fait tout d’un
coup ! Ca fait un peu MSN, ça fait aussi un peu les Skyblogs qui
existaient avant, ça fait tout ça réuni, donc c’est
plus pratique !"
Ce succès est d'ailleurs attesté par les réponses des
adolescents interrogés qui, à la question ouverte du site le plus
utilisé (le questionnaire demandait de citer le blog ou le site ou le forum préféré), placent Facebook largement en tête (58,4%), puis YouTube (32,9%) et Deezer (7%), ces deux derniers sites donnant un accès gratuit à des clips
vidéo et musicaux et permettant de les partager. De manière assez
prévisible, entretenir leurs réseaux amicaux, et écouter et
partager de la musique semblent donc constituer les activités
numériques les plus courantes pour ce groupe d'âge.
D'ailleurs, parmi les outils préférés des jeunes, ceux
qui permettent de regarder ou de télécharger des clips
vidéo ou musicaux (49,7 % pour une utilisation quotidienne) occupent une
place de choix. Même s'ils sont moins courants (8,3% quotidiennement et
22,3% une à deux fois par semaine), les outils qui permettent de
créer ou d'éditer des contenus audio, vidéo ou
photographiques témoignent d'un usage en développement. Ceci
s'explique certainement par la simplification de ces applications et atteste du
goût de ce public pour s'approprier des contenus en ligne, non seulement
pour en détenir une copie mais aussi pour les transformer et,
éventuellement, les partager avec leurs pairs.
L'utilisation du courrier électronique, si courant dans le monde
professionnel, est très contrastée pour ce public, cet outil
étant surtout utilisé occasionnellement (34,9% des
répondants déclarant y avoir recours une à deux fois par
mois et 30,8% seulement une à trois fois par mois). Sans doute
l'échange de courriels est-il réservé à des
écrits plus formels alors que les échanges écrits informels
avec les pairs se font préférentiellement par le biais des
réseaux sociaux.
Enfin, les jeux en ligne, la participation à des forums et la tenue de
blogs sont beaucoup plus rares (contrairement à ce qui se passait il y
encore quelques années pour les blogs) et montrent des comportements
genrés assez marqués, le jeu et la participation à des
forums étant des pratiques plutôt masculines tandis que le blog et
les échanges par le biais des réseaux sociaux correspondent
à des usages plutôt féminins.
4.4. L'usage scolaire des TIC à la maison
4.4.1. Pour les devoirs
Quand on leur demande à quelle fréquence ils utilisent les
outils numériques pour faire leurs devoirs, on constate que seul un quart
des lycéens disent n’y avoir que rarement ou jamais recours. Il
semble donc que les TIC aient été intégrées dans les
pratiques d'étude de cette population et soient reconnues comme une aide
efficace pour le travail scolaire.
L'échange suivant permet d'illustrer de quelle façon Facebook est utilisé pour réaliser un devoir à la
maison (DM) de manière collaborative :
Valentin : Quand j’ai besoin d’aide ça m’arrive
de demander sur Facebook. Souvent, quand il y a des gros DM de maths, on
s’entraide un peu.
Intervieweur : Tu peux me décrire à quoi ça
ressemble ?
Valentin : On poste un statut, ou quelqu’un a déjà
posté un statut, et puis souvent nous on donne ce qu’on a
trouvé, moi je donne un peu ce que j’ai pu trouver et puis on se
corrige... ça arrive oui !
Intervieweur : Du coup vous avez tous le même DM à la
fin ?
Valentin : Non ! Enfin moi je me débrouille pour ne pas avoir
le même !
Intervieweur : Comment tu fais ?
Valentin : S’il y a quelqu’un qui le poste entier par exemple,
je le reprends moi-même, j’essaie de comprendre ce que je fais, de
détailler s’il y a des calculs à
détailler.
On voit donc que les ressources numériques sont utilisées par
les lycéens non seulement pour des pratiques de sociabilité
électronique mais aussi pour les pratiques scolaires comme, dans le cas
d'espèce, la résolution collaborative de problème. Ce type
de collaboration, invisible par les enseignants car non instituée par
eux, constitue certainement un usage émergent. Elle mobilise un
"collectif provisoire, imparfait et labile" (Cardon et Delaunay-Teterel, 2006) à même de se constituer pour répondre à un besoin
précis et elle nécessite des compétences organisationnelles
et communicationnelles spécifiques. De plus, on voit bien que des enjeux
de coopération (entraide pour la résolution) sont en tension avec
des enjeux d'individualisation (s'approprier une démarche et se
démarquer des membres du collectif pour le rendu final).
4.4.2. Pour les pratiques formelles et informelles spécifiques
à l'apprentissage des langues
Cette partie de l'analyse va se concentrer sur les langues
étrangères pour déterminer comment les TIC sont
utilisées pour cette matière pour le travail scolaire ou
"semi-scolaire" selon les résultats obtenus par le biais du questionnaire
(cf. tableau 2) et dont certains aspects sont éclairés par les
entretiens.
Tableau 2 : fréquence d'utilisation des TIC
pour l'apprentissage de la L2
|
Régulièrement |
Assez souvent |
Rarement |
Jamais |
Faire des recherches
(encyclopédies en ligne, articles...) |
43,7% |
41,2% |
12,1% |
3,0% |
Préparer des exposés |
37,8% |
38,2% |
18,0% |
5,9% |
Pour collaborer lors des Travaux Personnels Encadrés (TPE) |
37,1% |
24,2% |
12,5% |
26,2% |
Améliorer votre compréhension en regardant des
séries/films en VO |
31,3% |
19,3% |
25,3% |
24,2% |
Corriger des productions écrites
(dictionnaire en ligne,
traducteurs...) |
28,0% |
37,6% |
21,3% |
13,1% |
Echanger avec les camarades de classe ou le professeur |
21,5% |
25,6% |
30,2% |
22,7% |
Réviser les leçons et les cours |
6,7% |
15,9% |
36,1% |
41,4% |
Faire des exercices |
4,5% |
10,8% |
34,3% |
50,4% |
Les TIC semblent principalement utilisées par les élèves
comme une ressource documentaire pour effectuer des recherches (84,9% en
pourcentages cumulés pour des utilisations régulières ou
assez fréquentes), et très souvent en préparation d'un
exposé. La description d'Ophélie reflète bien l'usage qui
est fait des moteurs de recherche par les élèves :
Ophélie : En général on va sur le moteur de
recherche, on tape les mots clés. Après il y a des sites
qu’on connaît comme Wikipédia, après on va pas non
plus sur n’importe quel site parce qu’on ne sait jamais vraiment si
c’est sûr ou pas. Mais oui, on tape les mots clés, on regarde
les informations.
Intervieweur : Tu sélectionnes au fur et à mesure ou tu
prends tout et après tu tries ?
Ophélie : En général je sélectionne ce qui
m’intéresse. Je fais un dossier ou je fais des copier-coller mais
souvent je re-rédige par rapport à ce que demande le professeur.
Mais oui, je mets de côté les informations qui
m’intéressent et après j’essaie de faire une
synthèse.
Intervieweur : Tu fais un petit bilan de tout ce que tu as
trouvé ?
Ophélie : Oui voilà ! Après il y a des
informations ce n’est pas vraiment la recherche qu’on fait mais on a
quand même des informations mais qui ne nous serviront plus, mais on prend
le plus intéressant. Mais bon, il y a quand même des aides
extérieures. Moi des fois je peux m’aider avec des bouquins.
Vraiment, je collectionne les informations.
Les opérations en jeu dans la recherche d'information sont donc de
déterminer quels mots clés vont mener à l'information
pertinente, l'évaluation de la fiabilité des informations, la
sélection des éléments adéquats, la synthèse
et l'enrichissement avec d'autres ressources. Internet devient donc un recours
naturel à la recherche d'information sans que les moyens traditionnels
(livres, cercle familial ou amical) soient pour autant délaissés.
Si Wikipédia s’impose comme une source d'information de choix,
les lycéens interrogés lors des entretiens déclarent
apprendre progressivement à vérifier la véracité des
informations données et apprécient quand les enseignants sont
eux-mêmes pourvoyeurs de contenus comme le remarque Marie :
Mais après il y a des sites de profs où ils mettent pour des
[Devoirs Surveillés], des méthodes, des choses comme ça, et
là c’est vachement intéressant parce que ce sont des profs
qui le font, donc c’est vrai ! Pour le coup ça nous donne plus
confiance !
En plus d'apprendre à vérifier la qualité de leurs
informations, les lycéens disent mettre en place des stratégies
pour travailler l'information et sont en mesure, du moins pour une partie
d'entre eux, d'opérer une distinction entre accéder à
l'information et se l'approprier :
Oui. Je ne fais jamais de copier-coller parce que la prof le repère
direct et en plus c’est idiot parce que si je ne comprends même pas
ce que je fais c’est débile. Et puis ça ne m’aidera
pas pour le bac. (Marie)
Comme on l'a vu avec l'exemple du devoir de maths réalisé par
Valentin et ses camarades, une proportion non négligeable des
répondants déclarent utiliser les fonctions de collaboration quand
il s'agit pour les élèves de travailler en groupe pour les travaux
personnels encadrés (37,1% déclarent une telle pratique comme
régulière) et d'échanger avec leurs camarades et,
éventuellement, leurs professeurs. A ce sujet, il est important de
distinguer les activités qui instituent une collaboration scolaire comme
c'est le cas lors de travaux de groupe encadrés par un ou plusieurs
enseignants (par exemple par le biais d'un forum dédié ou d'un
wiki) et les activités qui génèrent des collaborations
instrumentées (par exemple par le biais de Facebook) mais demeurent
invisibles aux enseignants.
Les séries télévisées ou autres documents
télévisuels disponibles en ligne constituent un exemple d'un
potentiel d'apprentissage informel pour les langues. Déjà
largement importés dans les cours de langue par les enseignants, ces
documents constituent une valeur ajoutée indéniable pour
l'apprentissage d'une langue en permettant de développer les
compétences de compréhension. Ici, le goût pour ces
séries qui rencontrent la faveur des jeunes va amener à des
pratiques où la barrière de la langue est surmontée comme
cela est rapportée par Valentin:
Je regarde des séries en anglais mais à part ça... je
suis sur les sites qui sortent tout de suite après les épisodes.
Donc, si je ne veux pas attendre, je les regarde en anglais sans les
sous-titres, sinon j’attends deux trois jours et j’ai les
sous-titres. Mais l’allemand pas du tout.
Ce qui est notable, c'est que l'activité de loisir (regarder une
série américaine) se confond avec une activité
d'apprentissage. Cependant, les élèves font une distinction entre
ce qu'ils aiment regarder et des documents à visée didactique :
"Par contre les reportages et tout en anglais qu’ils nous font voir,
c’est nul quoi ! les profs qui nous mettent les liens et tout
c’est nul quoi !" (Constance). D'ailleurs, les répondants font
bien la différence entre apprentissage formel et informel comme le
souligne Ophélie quand elle parle de son attention lors de
l'écoute de musique et du visionnage de séries en anglais :
Je dirais « inconsciemment » parce que
j’écoute de la musique anglaise comme tout ado je pense... et
c’est vrai que les séries que je regarde, les épisodes
n’ont pas été traduits en version française donc ce
sont des versions sous-titrées, ça m’aide à assimiler
des mots parce que j’entends parler anglais, même si je vois la
traduction en dessous, mais sinon je veux dire ce n’est pas conscient. Je
ne vais pas particulièrement sur un site pour écouter de
l’anglais et pour m’améliorer en anglais.
Internet fournit également des ressources pour produire des
énoncés en langue étrangère et corriger les
productions écrites. Les élèves déclarent apprendre
à se méfier des outils de traduction automatique sur lesquels
"quand on met les mots ils nous les traduisent à l’infinitif, donc
forcément si on écrit la phrase comme ça, ça ne veut
rien dire !" (Jérémy).
En revanche, la fonction d'exercisation, très prisée au
début du multimédia, est une pratique marginale sans doute parce
que ce qui est généralement disponible en ligne relève
d'une pratique de la langue mécanique et décontextualisée
:
Intervieweur : Et toi tu as déjà essayé
peut-être des logiciels d’apprentissage?
Constance : Genre « répéter le mot après
moi ?», ça non jamais, jamais essayé je trouve ça
complètement nul.
Intervieweur : Pourquoi ?
Constance : Je trouve ça bête.
« Répète après moi machin », hop on
répète mais bon... après tu oublies deux secondes
après quoi !
Souligner la disjonction qu'établissent eux-mêmes les jeunes
entre apprentissages formels et informels revient à nuancer les discours
techno-centrés qui ont tendance a entretenir une confusion entre le
gisement de ressources disponibles sur la Toile (par exemple des documents
authentiques en langue étrangère) et un réel travail
d'appropriation intellectuelle de ces ressources. Cela permet de souligner que
les apprentissages de savoirs permis par la consultation de la Toile risquent
d'être marginaux car ils dépendent de la capacité et de la
volonté des jeunes à transformer des pratiques de loisirs
(regarder une série) en pratiques d'auto-apprentissage (prendre des notes
pour mémoriser une expression entendue pour la réutiliser en
contexte scolaire). L'institution scolaire, qui est souvent trop tendue vers des
objectifs externes comme la réussite au baccalauréat, sait mal
développer ce type de motivation intrinsèque auprès des
adolescents dont elle a la charge. On peut d'ailleurs présumer que ceux
d'entre eux qui bénéficient d'un entourage soucieux de
créer des liens entre motivations intrinsèques et
extrinsèques seront plus à même de tirer profit de ces
ressources. S'il y a fracture numérique, elle n'est donc plus à
apprécier en terme d'accès mais bien en terme d'appropriation.
En somme, pour ce qui concerne les devoirs à la maison, une tension
véritable se fait jour entre
- la collaboration et la capacité à individualiser les
apprentissages ;
- l'accès à une information diversifiée et la
capacité à sélectionner, hiérarchiser et traiter
cette information pour qu'elle se transforme éventuellement en
connaissance ;
- l'accès à une culture étrangère actuelle
(musique, séries) et le développement réel de
compétences langagières.
Un des enjeux éducatifs consiste donc à prendre en compte ces
formes émergentes d'usages numériques (qui sont parfois des usages
recyclés comme dans le cas du dictionnaire) pour sensibiliser les
enseignants à ces pratiques mal identifiées et les aider à
formuler des propositions pour résoudre, au moins en partie, certaines de
ces tensions.
4.5. L'usage scolaire des TIC dans la classe de langue
Cette dernière section de résultats se focalise sur
l’usage scolaire des TIC dans l’enseignement des langues. Il faut
souligner que les enseignants de cette matière ont traditionnellement
exploité, dès leur apparition, toutes les nouvelles technologies
disponibles comme le rappelle Puren (2009) du gramophone, à la radio, en
passant par le tourne-disque, le magnétophone, le magnétoscope et,
plus récemment par les ordinateurs. On constate d’ailleurs que les
répondants déclarent une utilisation régulière de
moyens technologiques dans les cours de langue (32,3%), par rapport aux
matières littéraires (24,3%) et aux matières scientifiques
(7,5%).
Le tableau 3 compile les résultats concernant l'utilisation d'outils
dans les cours de langues.
Tableau 3 : Utilisation de technologies dans les
cours de langues
|
Oui |
Non |
Non, mais j'aimerais bien |
Un magnétophone (ou lecteur CD) |
76,6% |
18,8% |
4,6% |
Un magnétoscope (ou lecteur DVD) |
67,8% |
18,7% |
13,5% |
un vidéo-projecteur |
60,4% |
24,7% |
14,9% |
Un TBI |
16,1% |
54,5% |
29,4% |
Des MP3 |
14,6% |
66,2% |
19,2% |
Des outils de visioconférence |
6,4% |
70,8% |
22,8% |
Un blog |
5,9% |
82,2% |
11,9% |
Un wiki |
2,6% |
85,9% |
11,4% |
Un forum |
2,4% |
85,2% |
12,4% |
Les technologies généralement utilisées par les
enseignants du secondaire, selon l’appréciation de leurs
élèves, sont principalement des outils de diffusion permettant de
donner accès à la langue étrangère pendant
l'interaction pédagogique. Ainsi le magnétophone, le
magnétoscope, le vidéo-projecteur et, dans une moindre mesure, le
tableau interactif, sont principalement utilisés pour fournir un
accès à une langue étrangère authentique, pour
organiser la prise de notes et pour capter l'attention des élèves.
Toutefois, les entretiens permettent de repérer quelques critiques
vis-à-vis de ces outils de diffusion qui "mettent encore plus de la
distance entre le prof et l’élève" ou bien qui "obligent
à fermer les rideaux et provoquent la somnolence" (Constance).
Certains enseignants mettent en place un blog qui leur sert de centre de
documentation et assure le lien entre la classe et le hors classe mais cela
demeure un moyen contrôlé par l'enseignant comme le relève
Constance :
en anglais on a un blog, c’est le blog de la prof. Elle nous dit
d’y aller tout le temps machin... elle nous met des liens Youtube comme
ça pour le cours et tout.
En revanche, tous les outils qui permettent aux élèves de
manipuler eux-mêmes la langue étrangère (MP3 et wiki), de
publier leurs travaux (blog) ou d'interagir à l'écrit ou à
l'oral (forum et visioconférence) ne sont utilisés que de
manière très marginale par les enseignants. Guichon (Guichon, 2012),
qui a étudié les utilisations de ces outils par les enseignants de
langue, conclut que les enseignants favorisent les outils de diffusion au
détriment des outils de manipulation et de publication car ces derniers
modifient en profondeur le rôle joué par l'enseignant en
entraînant une perte de contrôle d'une partie de la situation
pédagogique et impliquent une réorganisation matérielle
chronophage, difficile à mettre en place, et nécessitant des
compétences techno-pédagogiques plus avancées.
Quand on demande aux lycéens ce qu'ils souhaiteraient que leurs
enseignants utilisent (colonne " Non, mais j'aimerais bien" dans le tableau 3),
on voit que les réponses des élèves sont plutôt
conservatrices et qu'ils reconnaissent, mais dans une proportion qui demeure
faible, un potentiel d'apprentissage pour le tableau blanc interactif, les MP3
et les outils de visioconférence.
La mise en miroir de ces résultats avec ceux présentés
dans le tableau 1 permet de montrer combien les usages scolaires des
technologies diffèrent des usages personnels.
5. Discussion : Une déconnexion entre la sphère privée
et la sphère scolaire
Cette recherche permet de vérifier le
rôle important joué par les technologies numériques chez les
lycéens mais aussi de mettre au jour une forte variabilité dans
les usages. Dans la panoplie des outils disponibles pour les jeunes de cet
âge, l'ordinateur connecté fonctionne comme une sorte
d'agrégateur de médias (la radio, la télévision, la
presse, le dictionnaire, l'encyclopédie, le téléphone, le
courrier) qui concentre progressivement la plupart de leurs pratiques de
consommation, de loisir et de communication, les unes et les autres se
recouvrant parfois. L'ordinateur, surtout quand c'est un portable, trouve une
place de choix dans la chambre de ces adolescents au même titre que leur
téléphone portable, la fonction d'échange leur permettant
de garder un lien constant avec leurs pairs à un âge où ils
sont avides de construire leur identité par eux-mêmes mais aussi en
lien avec les autres.
On note également que les taux d'équipement et de connexion
sont importants, les adolescents jouant souvent un rôle
d'accélérateur au sein des foyers pour que leurs parents
s'équipent. La différence entre ceux qui ont accès de chez
eux aux ressources numériques et ceux qui n'y ont pas accès est
minime et s'estompe progressivement. Toutefois, Fluckiger (Fluckiger, 2008) a montré que l'équipement ne suffisait pas et que des
différences sociales pouvaient se faire jour, par exemple dans le domaine
de la navigation, celle-ci étant "plus aisée pour les
élèves dont les parents, disposant d’un fort capital
culturel et technique, sont en situation de leur transmettre des habitudes
d’usage des outils informatiques plus proches des usages scolaires".
L'enquête met au jour une sexuation marquée des usages
numériques, les filles étant prônes à la
communication tandis que les garçons favorisent davantage des pratiques
plus individuelles (jeu, édition de contenu). La sexuation intervient
également au niveau des compétences perçues, les
garçons se sentant plus experts dans le maniement des différentes
applications. Le Douarin (Le Douarin, 2004),
qui a étudié les rapports sexuellement différenciés
à l’ordinateur au sein de couples français, relève
une telle différentiation : pour les femmes, des usages fonctionnels et
pragmatiques et des usages qui relèvent davantage du domaine de la
communication, tandis que pour les hommes des usages plutôt ludiques et
techniques. La sexuation des usages relevée dans notre enquête (cf.
tableau 1) paraît donc reproduire celle que l'on identifie chez leurs
parents. Toutefois, comme le souligne Le Douarin (ibid.)
"l’ordinateur révèle, dans les rapports
masculin/féminin, davantage d’idéologie dans les
compétences – affirmées pour les uns, déniées
pour les autres – que de réalité effective".
En outre, la maîtrise des outils numériques semble plus grande
chez les élèves que chez leurs parents et leurs enseignants, ce
qui signale une rupture importante avec d'autres technologies du passé
qui étaient davantage maîtrisées par les adultes.
On constate d'ailleurs que les jeunes se montrent indulgents vis-à-vis
du manque d'appétence des enseignants pour les outils numériques,
contrastant leurs propres usages avec ceux de leurs professeurs :
Oui, oui, nous c’est vrai qu’on est nés dedans donc on
est habitués, mais je pense que si j’avais découvert
l’ordinateur à 40 ans, je n’aurais peut-être pas envie
des changer mes habitudes. (Ophélie)
Mais certains sont critiques envers leur manque de compétences
techniques à les utiliser :
Moi ce qui m’étonne c’est pourquoi les jeunes profs qui
arrivent n’ont pas déjà reçu une formation et ne
savent pas utiliser tout le matériel qu’il y a. Parce que moi
j’ai déjà vu des profs qui ont eu des difficultés
rien qu’avec des lecteurs DVD ou un vidéoprojecteur ! Ils
perdent un peu en crédibilité devant les élèves. (Clémentine)
ou envers l'offre techno-pédagogique existante :
Après, si on peut inventer des choses, le tableau interactif moi je
trouve ça pourri, mais si vous inventez d’autres choses mieux,
peut-être que si les profs s’en servent, peut-être que
ça serait bien quoi ! (Constance)
On a vu également que les ressources numériques étaient
perçues comme des auxiliaires valables pour faire les devoirs, en
particulier pour la recherche et la vérification d'informations et la
collaboration pour certains travaux. Toutefois, les pratiques
d'auto-apprentissage pour les langues s'avèrent être assez
marginales, l'écoute de musique étrangère et le visionnage
de séries étant revendiquées comme des pratiques de loisir
plutôt que des pratiques de découverte des langues et des cultures
étrangères. De plus, on peut reprendre à notre compte les
conclusions de Baron et Bruillard (Baron et Bruillard, 2008) pour qui si "les utilisations des technologies sont fréquentes, [elles
demeurent] dans un spectre très limité et avec un degré
d’autonomie relatif".
Les résultats obtenus par cette enquête établissent qu'
il n'existe qu'une faible circulation entre les pratiques numériques des
jeunes, tournées vers la communication et le divertissement et s'appuyant
sur des outils du Web 2.0, et les pratiques scolaires des lycéens. Ces
dernières font la part belle aux outils de diffusion mais
n'intègrent que marginalement les outils de collaboration et de
communication, témoignant d'une dichotomie des usages entre l'une et
l'autre de ces deux identités (jeunes et lycéens) qui ne se
recouvrent qu'en partie. Pourtant, les recherches en didactique des langues ont
montré combien ces outils pouvaient être bénéfiques
à l'apprentissage d'une langue en favorisant le développement de
nouvelles littératies (par exemple faire des choix appropriés
selon la modalité de communication), en enrichissant le répertoire
communicationnel en langue étrangère, en ménageant des
situations de communication potentiellement propices au développement des
compétences langagières (Chapelle, 2009),
et en favorisant davantage de contrôle sur les apprentissages (Guichon, 2012) p. 156. Comme le soulignait Warschauer dès 1998, "bien connaître
une langue étrangère à notre époque suppose
également de savoir comment lire, écrire et communiquer dans des
environnements numériques. [...] Apprendre à composer un courrier
électronique ou avoir une utilisation experte de la Toile sont des
compétences aussi essentielles qu'apprendre à parler au
téléphone ou faire une recherche en bibliothèque" [notre
traduction].
En outre, certaines fonctions des ressources numériques en ligne (par
exemple la correction linguistique par le biais de dictionnaires en ligne ou de
traducteurs) mériteraient certainement d'être accompagnées
par les enseignants pour éviter les problèmes de plagiat et de
contre-sens que le recours à ces ressources semble parfois induire.
Il est possible que les lycéens préfèrent
réserver certains outils numériques pour des usages personnels
plutôt que scolaires comme le souligne Léonard :
J’aime bien faire la différence entre ce que je fais au
lycée et ce que je fais chez moi, parce qu’il y a beaucoup de
matières que je n’aime pas au lycée, et je déteste
les comparer à des activités personnelles en fait. Je
déteste ma prof de français et je n’ai pas envie que ce
qu’elle me dise de faire, me rappelle ce que je suis moi.
Il semble bien que les lycéens apprécient une
différentiation des usages entre les deux sphères et que certains
éprouvent une réelle réticence à voir l'école
coloniser leurs pratiques numériques privées et entrer en conflit
avec leur sphère personnelle.
Ainsi, une déconnexion se fait jour entre ce que font les
élèves chez eux et ce qu'ils font au lycée. En effet, pour
ce qui concerne l'apprentissage des langues, les usages des TIC à
l'école sont essentiellement orientés vers la diffusion
d'information et l'exposition à la langue alors que le potentiel de
communication de ces outils, si évident pour les apprentissages
langagiers, est peu valorisée comme le regrette Marie :
Niveau technologies les profs ne sont pas... D’ailleurs c’est
assez débile parce qu’ils savent très bien qu’on ne
fait que ça, on est presque tous sur Facebook, il y a 90 % des
élèves qui sont sur Facebook. Ils devraient vraiment jouer
là-dessus. Je ne sais pas, nous donner des correspondants, les ajouter
sur Facebook par exemple, parler un peu avec eux ! Ca serait vachement
intéressant mais je ne sais pas, ça n’a pas l’air de
les intéresser.
Ce n'est pas le réseau Facebook qu'il s'agit forcément de
récupérer pour une exploitation pédagogique (on a
d'ailleurs vu que certains élèves se montreraient
réfractaires à ce type d'empiètement sur la sphère
privée) mais du potentiel communicationnel que permettent ces
technologies. En effet, les outils de communication médiatisée par
ordinateur (blog, wiki, audio et visioconférence, réseaux sociaux)
s'ils sont insérés dans une progression pédagogique
appropriée pourraient ménager des opportunités pour amener
les jeunes à collaborer, à utiliser la langue
étrangère à des fins pragmatiques et à
développer des compétences langagières parfois
négligées comme l'interaction écrite ou orale (Guichon, 2012) p. 213). Pourtant, notre enquête montre que ce potentiel est rarement
exploité dans l'enseignement d'une langue étrangère en
lycée. Une telle exploitation nécessiterait certainement qu'une
nouvelle norme pédagogique se fasse jour où l'interaction occupe
une place plus importante que cela semble être le cas actuellement.
Comme d’autres chercheurs (Baron et Bruillard, 2008),
cette enquête nous conduit enfin à nuancer les discours trop
enthousiastes de certains chercheurs au sujet d'une génération
dont les membres seraient uniformément capables d'utiliser de
manière critique les ressources et les outils à leur disposition
"pour remettre en question les idées, les personnes et les affirmations" (Tapscott, 2009) p. 88. Si différents témoignages mettent en lumière
quelques postures critiques vis-à-vis des ressources numériques,
certains adolescents interrogés font état de leur passivité
face à l'écran d'ordinateur ou d'un certain esprit
grégaire. Il convient donc de remettre en cause l'image d'un adolescent
expert dans les utilisations des outils numériques qui traverse les
discours médiatiques et façonne la logique d'imposition selon
laquelle les enseignants devraient adopter de nouvelles pédagogies
recourant aux TIC parce que leurs élèves en seraient
particulièrement friands. On peut même supputer que la logique
d'imposition a créé de toutes pièces la fable des natifs
numériques à laquelle les jeunes eux-mêmes semblent
participer ("nous c’est vrai qu’on est nés dedans donc on est
habitués", dit Ophélie) et à laquelle souscrivent les
parents, les enseignants et la société dans une belle
unanimité. Pas plus que la génération née avec la
télévision n'est devenue experte en décryptage d'images,
celle qui est née avec Internet n'est pas aussi universellement
compétente qu'on serait porté à le croire.
6. Conclusion
Du point de vue méthodologique, une telle
enquête conjuguant questionnaires et entretiens permet de donner un
aperçu des usages numériques des lycéens en mettant en
lumière certaines pratiques et certains discours. Les entretiens ont
permis de détecter des directions de recherche (comme la sexuation des
usages et l'importance de l'entourage sur les usages numériques) qu'il
conviendra de scruter plus précisément dans une future
étude. De plus, le travail à la maison, parce qu'il fonctionne
comme un trait d'union entre sphère personnelle et sphère
scolaire, constitue sans doute un terrain à explorer plus avant pour
sonder les usages numériques des adolescents. C'est dans cet espace
intermédiaire que les chercheurs en didactique peuvent en particulier
débusquer ce que Penloup (Penloup, 2007) p. 7 a appelé des "connaissances ignorées", c'est-à-dire
des ressources construites "à l'insu de l'école" et qui pourraient
servir de "points d'appui pour la réalisation des apprentissages
institutionnellement visés".
Saisir les aspects psychologiques et sociologiques liés aux usages
numériques des adolescents constitue un projet dont la recherche en
didactique peut s'emparer pour mieux déconstruire les discours
technicistes et fournir des éléments de compréhension
à une communauté éducative qui peine à penser
l'intégration des TIC dans les pratiques pédagogiques (Guichon, 2012) p. 212-214. Cette démarche psycho-sociale pourrait ainsi se donner les
moyens méthodologiques pour appréhender les discours et les
pratiques des usagers (enseignants et apprenants), comprendre les écarts
qui se font jour entre représentations et activité réelle,
et apprécier les contraintes et les ressources qui modèlent les
usages des TIC. Cette démarche est congruente avec la
nécessité des chercheurs en sciences sociales de prendre en
compte, comme (Lahire, 2012) p.
24) le propose, à la fois les "contraintes contextuelles" et les
"dispositions socialement constituées à partir desquelles les
acteurs perçoivent et se représentent la situation et sur la base
desquelles ils agissent dans cette situation." Un tel projet, attentif à
analyser les sociogenèses des pratiques du point de vue des acteurs et
des contextes multiples dans lesquels ils évoluent, pourrait dès
lors contribuer à appréhender les enjeux de
l’intégration des TIC à des fins d’apprentissage et,
éventuellement, informer les politiques de formation et de pilotage
institutionnel.
En tout état de cause, une telle enquête mérite
d'être répétée à intervalles réguliers
pour déterminer comment les usages évoluent, si certaines
pratiques se font jour et d'autres disparaissent et si la disparité des
usages entre sphère personnelle et sphère scolaire s'amenuise ou
bien au contraire continue de croître. C’est ce que fait, chaque
année depuis 1990, le Campus Computing
Project3, un projet longitudinal
d’envergure nationale, qui étudie le rôle des TIC au sein de
la population des étudiants états-uniens et joue un rôle
crucial pour informer les politiques institutionnelles.
L'école numérique, portée par certains comme un objectif
de civilisation, demeure pour l’heure un horizon d'autant plus lointain
que la formation des enseignants est lacunaire dans ce domaine (Guichon, 2012) et que l'institution éducative parie trop lourdement sur le transfert de
compétences acquises dans la sphère privée vers des
compétences mobilisables en situation scolaire alors que les travaux
récents (Fluckiger et Bruillard, 2008) ; (Hargittai, 2010) font état de sérieuses limitations quant à la
qualité de ce transfert.
Entre les natifs numériques et les experts numériques, il y a
donc un écart que l'institution scolaire peut s'employer utilement
à combler.
Remerciements L’auteur remercie Audrey Mouillard qui a
participé au recueil des données ainsi qu’à leur
prétraitement grâce au logiciel Modalisa pour les questionnaires et
à la retranscription des entretiens. Ma reconnaissance va
également aux trois relecteurs de Sticef dont les remarques sur une
version préalable ont contribué à améliorer cet
article.
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A
propos de l'auteur
Nicolas Guichon est professeur des universités en
sciences du langage, spécialisé en didactique des langues,
à l’université Lyon 2. Il appartient au laboratoire ICAR
(Interactions, Corpus, Apprentissage, Représentations). Ses recherches
portent sur l’apprentissage des langues médiatisé par les
technologies, sur les interactions en ligne et sur l’appropriation des
TICE.
Courriel : nicolas.guichon@univ-lyon2.fr
Toile : http://pagesperso-orange.fr/nicolas.guichon
1 http://eduscol.education.fr/dossier/b2ic2i
2 L'enquête du CREDOC explique aussi les
différences d'équipement par la composition familiale, 90% vivant
dans des familles de 4 personnes ou plus disposent d'au moins un ordinateur en
2009 (CREDOC, 2009) p.54.
3 Cf.
http://www.educause.edu/E2011/Program/SESS070
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