Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation |
Volume 19, 2012 |
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Les usages des TIC par les lycéens - déconnexion entre usages personnels et usages scolairesNicolas GUICHON (ICAR, Lyon 2) RÉSUMÉ : Cette recherche, qui adopte la perspective de la sociologie des usages, s'appuie sur une enquête à la fois par questionnaire et par entretiens pour sonder les usages numériques des lycéens de l'enseignement secondaire général en France. Deux objectifs sont visés : d’une part, grâce aux données empiriques obtenues, un état des lieux des usages numériques des jeunes est conduit. D’autre part, cette étude investigue de quelles façons les outils numériques sont utilisés pour le travail à la maison et pour l'apprentissage des langues étrangères. Les résultats mettent au jour une déconnexion entre usages des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) entre la sphère privée et la sphère scolaire. MOTS CLÉS : usages numériques, fracture numérique, compétences, Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) DONNÉES ASSOCIÉES : Accessibles via le lien permanent (Datapublication.org : Tge-adonis.fr.) http://hdl.datapublication.org/11107/d-001-102
ABSTRACT : This research adopts a sociological approach to study the use of Information and Communication Technologies (ICT) by secondary school students in France through a questionnaire and interviews. Its aims are twofold : first, the empirical data provide a broad view of this population's digital use. Second, the study uncovers how digital technologies are used for homework and language learning. Results indicate a disconnection between home and school with regards to the use of ICT. KEYWORDS : Information and Communication Technologies (ICT), ICT usage, digital divide, competences ASSOCIATED DATA : Available online by permalink (Datapublication.org : Tge-adonis.fr.) http://hdl.datapublication.org/11107/d-001-102
1. IntroductionEn 2001, Prensky introduisit une notion qui allait faire florès : les digital natives ou "natifs numériques" désignent la génération née en même temps que les technologies numériques se généralisaient dans la plupart des pays industrialisés. Le postulat de Prensky est que cette génération, parce qu'elle a grandi avec ces outils et ces ressources et y a été exposée de manière prolongée, est naturellement à l'aise pour les utiliser. L'inconfort - voire la sidération - que ces outils ont produit chez les adultes qui ont dû apprivoiser des ordinateurs pour des raisons professionnelles (cf. par exemple les travaux de Singéry (Singéry, 1994) concernant les changements technologiques en entreprise) peut être contrastée avec l'apparente facilité avec laquelle les adolescents appartenant à la génération des natifs numériques semblent adopter les applications technologiques qui sont apparues dans notre quotidien privé et professionnel. Toutefois si la présence de ces outils dans l'environnement des natifs numériques crée une familiarité, cela ne signifie pas que des usages experts se développent d'eux-mêmes et que les natifs numériques soient compétents dans l'utilisation des outils technologiques. Quand il s'agit d'étudier les usages des technologies d'information et de communication (TIC) qui se font jour parmi les adolescents, se pose avec acuité la question des compétences développées informellement dans la sphère privée et amicale, celles qui sont réinvesties à des fins d'apprentissage formel (par exemple pour faire les devoirs), et celles qui sont mobilisées dans la sphère scolaire sous l'impulsion des enseignants dans la lignée de travaux qui ont différencié usages scolaires, usages privés et usages "semi-scolaires" des TIC (Dané et Manneux, 2006). Cette recherche s'appuie sur une enquête par questionnaire (n = 1002) complétée par des entretiens semi-directifs (n = 13) auprès de la population des lycéens de classe de Première de l'enseignement secondaire général en France. Elle vise deux objectifs. Tout d'abord, les données empiriques obtenues par le biais de l'enquête par questionnaire permettent d'établir un état des lieux auprès d'une population homogène au niveau de l'âge et du niveau d'étude afin de déterminer l'influence d'un certain nombre de facteurs (sexe, attitudes envers les TIC, sentiment de compétence) sur les usages des TIC à des fins personnelles. Puis, pour apprécier une éventuelle circulation entre les usages personnels et scolaires, cette étude cherche à appréhender comment les outils numériques sont utilisés, d'une part, pour le travail à la maison et, d'autre part, pour l'apprentissage des langues étrangères. En somme, en s'appuyant sur le courant de recherches de la sociologie des usages qui a développé des outils pour sonder les pratiques de communication émergentes (Le Douarin, 2004) ; (Martin, 2004) ; (Cardon et Delaunay-Teterel, 2006), la présente recherche ajoute une dimension didactique soucieuse de comprendre les implications de ces pratiques pour les apprentissages scolaires. 2. Cadre théorique2.1. Les usages numériques des lycéens : deux logiques à l'œuvreLes lycéens auxquels s'intéresse cette enquête sont des adolescents qui, arrivés à l'âge de 17 ans, ont développé, à des degrés divers, une culture numérique que l'on définira, à la suite de Fluckiger (Fluckiger, 2008), comme "l’ensemble de valeurs, de connaissances et de pratiques qui impliquent l’usage d’outils informatisés, notamment les pratiques de consommation médiatique et culturelle, de communication et d’expression de soi". Nous conserverons la notion d'usages numériques plutôt que celle de culture numérique car elle permet de mieux saisir l'hétérogénéité des pratiques et des valeurs multiples qui y sont attachées et s'ancre dans une tradition déjà bien établie dans la recherche francophone (Paquelin, 2002) ; (Souchier, Jeanneret et Le Marec, 2003). Étudier les pratiques implique en particulier de prendre en compte les rapports que les individus développent vis-à-vis des objets et les logiques sociales qui façonnent les usages (Davallon et Le Marec, 2000). Guichon (Guichon, 2011) p. 141-149) a identifié deux logiques à l'œuvre en contexte scolaire et au-delà concernant les usages numériques, la logique d'imposition et la logique d'appropriation. La logique d'imposition émane des autorités sociopolitiques (l'institution scolaire, les décideurs politiques) et économiques (l'industrie de l'informatique et des communications, les décideurs économiques) qui déploient des discours valorisants - voire militants - vis-à-vis de l'adoption des technologies à des fins d'apprentissage. Au Canada, Bullen et al. (Bullen et al., 2011) ont bien montré que la presse générale et les recherches subventionnées par des intérêts privés jouaient un rôle conséquent pour propager des discours sur les natifs numériques alors que peu d'enquêtes viennent donner une base empirique à ces discours sur cette "génération Internet". En France, Fluckiger (ibid.) parle de "la pression institutionnelle, sociale ou marchande qui s’exerce pour que l’école intègre les technologies de l’information et de la communication". En effet, dès la fin des années 1990, voyant l'arrivée du numérique comme une opportunité de s'inscrire dans la modernité (Guichon, 2012) p. 27-37, l'institution scolaire s'est mobilisée pour faire entrer le numérique à l'école que ce soit en équipant les établissements avec du matériel informatique, en exigeant (sans vraiment y réussir) que les enseignants recrutés aient des compétences informatiques et en mettant en place des incitations pour que les adolescents intègrent l'informatique dans leurs pratiques scolaires. La logique d'imposition transparaît par exemple dans les discours des autorités scolaires françaises qui ont mis en place le Brevet Informatique et Internet (B2i) au collège au tournant des années 2000. Selon le site du Ministère de l'Education Nationale1, pour assurer l'égalité des chances, l'Éducation nationale doit dispenser à chaque futur citoyen la formation aux utilisations des technologies de l'information et de la communication qui lui permettra d'en faire une utilisation raisonnée, de percevoir les possibilités et les limites des traitements informatisés, de faire preuve d'esprit critique face aux résultats de ces traitements, d'identifier les contraintes juridiques et sociales dans lesquelles s'inscrivent ces utilisations. A travers cet extrait, on mesure quel rôle l'institution scolaire a assigné aux enseignants français et pour quels objectifs (accès à la citoyenneté et égalité des chances). Si l'école a été l'un des premiers relais pour faire entrer l'informatique dans les pratiques scolaires des adolescents, ont émergé en parallèle, cette fois dans leur sphère privée, un certain nombre d'usages, d'abord par le jeu vidéo et les cédéroms ludo-éducatifs, puis par l'utilisation d'ordinateurs connectés à Internet. En interaction avec la logique d'imposition, la logique d'appropriation part des individus qui construisent un réseau de significations autour des TIC en même temps qu'ils développent, à des degrés divers, des usages raisonnés, créatifs et émancipatoires autour de ces outils et de leur potentiel d'utilisation. Deux logiques sont donc à l'œuvre, celle qui impose aux adolescents des outils et des comportements par le biais de l'école et développe un discours sur ces mêmes outils (modernité, interactivité) et celle qui voit l'émergence de nouvelles façons de communiquer, de se divertir et de s'informer qui se construisent principalement hors des murs de l'école. Il convient alors de déterminer si ces deux logiques sont en concurrence ou bien complémentaires et si les usages circulent entre la sphère privée et la sphère scolaire. Sans doute, les devoirs à la maison, une activité où la sphère scolaire s'invite dans la sphère privée, constitue-t-elle un bon moyen d'étudier comment des adolescents d'une classe d'âge donnée utilisent ou non les TIC. L'étude des usages nécessite en outre de pouvoir comparer les pratiques numériques des jeunes à la maison et à l'école. Pour étudier les usages numériques scolaires, cette étude choisit de se concentrer sur l'apprentissage des langues étrangères, cette matière ayant bénéficié depuis l'apparition du multimédia d'une attention soutenue de la part des éditeurs scolaires et d'un investissement certain de la part de l'institution scolaire. 2.2. Quels facteurs déterminants pour étudier les usages numériques?Un premier facteur pour étudier les usages numériques consiste à sonder l'accès aux ressources numériques (possession d'un ordinateur et d'une connexion internet), l'accès ou le non accès constituant un des éléments essentiels de ce qui est communément appelé la fracture numérique. Hargittai (Hargittai, 2010), qui a mené une étude sur un échantillon d'étudiants états-uniens en début de cycle universitaire, a établi qu'il existait des variations considérables par rapport à la diversité et à la qualité des usages numériques entre ceux qui disposaient des ressources numériques et ceux qui n'en disposaient que par l'intermédiaire des installations accessibles sur le campus. L'autonomie d'usage dépend de la liberté d'un individu à utiliser les TIC où et quand il le souhaite (Hargittai, 2003). D'évidence, le degré d'autonomie d'un individu variera, d'une part, selon qu'il possède son propre ordinateur, qu'il le partage avec le reste de sa famille, ou bien qu'il doit utiliser le matériel du lycée, et d'autre part, selon qu'il dispose d'un ordinateur portable ou d'un ordinateur fixe. Cette autonomie est donc fortement liée à des facteurs socio-économiques, un aspect qu'il convient donc de prendre en compte dans une enquête sur les usages numériques. Ainsi, l'enquête d'Hargittai (Hargittai, 2010) mentionnée plus haut concluait que les étudiants dont le statut socio-économique était le plus bas faisaient montre d'un niveau de compétence vis-à-vis des usages numériques moins élevé que les autres étudiants de l'échantillon. L'accès et l'autonomie sont deux atouts qui jouent à plein en faveur de ceux qui bénéficient d'un environnement déjà privilégié, renforçant ainsi la fracture numérique avec ceux qui ont moins la possibilité de développer des utilisations compétentes. Eynon (Eynon, 2009), qui a pour sa part conduit une enquête longitudinale sur la population britannique, suggère d'aller au-delà de la question de l'accès. Se fondant sur les travaux de Van Dijk (Van Dijk, 2005), elle remarque que "la fracture numérique n'est plus seulement à envisager comme une catégorisation dichotomique entre ceux qui disposent des ressources numériques et ceux qui en sont dépourvus, mais est plutôt définie comme un continuum où intervient un entrelacs de facteurs déterminants telles que les attitudes, les compétences, la qualité de l'accès et l'aide fournie dans l'environnement" [notre traduction]. Dans la même veine, Le Guel (Le Guel, 2004) propose de distinguer deux niveaux de fracture numérique, le premier concernant les inégalités d’accès aux outils numériques, le second ayant trait aux inégalités d’usage, "désignées comme les différences dans l’aptitude des individus à utiliser l’internet". L'aptitude peut varier selon l'expérience des individus, c'est-à-dire le nombre d'années passées à utiliser les outils numériques et le temps passé en ligne quotidiennement. En outre, la question des usages doit être raffinée avec le type d'activités menées en ligne. DiMaggio et al. (Di Maggio et al., 2004) ont établi une distinction profitable entre deux grands types d'activités qui peuvent être réalisées avec les outils numériques, les unes relevant du domaine des loisirs récréatifs (écouter de la musique, jouer en ligne), les autres telles la lecture de journaux en ligne correspondant à des activités orientées vers le développement des connaissances. Un des enjeux est de déterminer si des usages, a priori récréatifs et informels, peuvent être réinvestis pour des objectifs d'apprentissage et s'il y a une circulation entre la sphère privée et la sphère scolaire. Comme le souligne Develotte (Develotte, 2003), "les pratiques d'apprentissage (et plus encore celle d’auto-apprentissage) étant rarement accessibles (de par la difficulté à pouvoir suivre en direct les comportements des apprenants engagés dans une tâche de recherche menée de manière extensive), il paraît d'un grand intérêt de pouvoir s'appuyer sur les niveaux d'“expérience d'apprentissage” et de “conception d'apprentissage” en tant que “quasi-données”, cruciales pour la compréhension du processus d'apprentissage". C'est parce que les usages recouvrent à la fois des pratiques et des discours sur les pratiques que le choix a été fait pour cette étude de conjuguer une approche quantitative et qualitative. 3. Présentation des méthodes de recueil et de la composition de l'échantillonAu printemps 2011, une enquête par questionnaire (cf. annexe 1) a été élaborée par l’auteur pour recueillir des informations sur les utilisations personnelles et scolaires des TIC d'élèves de Première inscrits dans des lycées généraux français. La construction du questionnaire s’est élaborée grâce à l’analyse d’enquêtes semblables portant sur la problématique des usages des TIC (Martin, 2004) ; (CREDOC, 2009) ; (Hargittai, 2010). Plutôt qu'une enquête en ligne qui aurait pu biaiser les résultats auprès de ceux moins à l'aise avec les formulaires sur Internet, ce questionnaire anonyme a été administré en classe par les soins d'enseignants et de conseillers principaux d'éducation volontaires et d'une assistante de recherche afin d'assurer un taux satisfaisant de questionnaires traitables. Son administration a pris entre vingt et trente minutes et s’est généralement effectuée sur le temps de classe. Le choix de la classe de Première a été fait car les élèves ont déjà assimilé les codes du lycée et sont à l'âge intermédiaire entre l'adolescence et l'entrée dans la vie adulte. L'enquête a été administrée au niveau national auprès de 1300 élèves mais seuls 1002 questionnaires ont été conservés dans l'échantillon pour assurer une représentativité par genre (54,1% de femmes et 45,9% d'hommes, ce qui correspond très exactement à la répartition par sexe de cette population en 2009 selon les chiffres fournies par le Ministère de l'Education nationale), par sections de baccalauréat (36,3% pour la filière scientifique, 10,6% pour la filière littéraire, 20,7% pour la filière économique et 32,5% pour les filières technologiques) et par provenance géographique (lycées implantés en zone semi-rurale, en périphérie de grands centres urbains, et dans le centre d'une grande ville). Il est également à souligner que 65,4% des répondants avaient 17 ans au moment de l'enquête. Pour compléter les résultats obtenus par le biais des questionnaires, 13 entretiens compréhensifs (cf. annexe 2) ont été menés auprès d'un échantillon de cette même population (8 filles et 5 garçons). Les entretiens, d'une durée d'environ 45 minutes, ont porté sur les utilisations des ressources numériques (temps passé, expérience, contenu des activités, habitudes, recours aux TIC pour faire les devoirs, attitudes vis-à-vis des usages numériques pour des usages personnels et pour des usages scolaires). Les discours ainsi recueillis ont permis de donner de la consistance aux chiffres obtenus et d'enrichir la compréhension de certains aspects mis au jour par l'enquête par questionnaire. En effet, même si des enquêtes par questionnaire sont importantes à mener, leurs résultats gagnent à être contextualisés par le biais des expériences d'apprentissage et des discours des utilisateurs (Livingstone et Helsper, 2007). Toutefois, que ce soit par le biais du questionnaire ou de l'entretien, la question de la compétence à utiliser les outils demeure un angle mort. L'analyse mériterait d’être complétée par des observations sur le long terme ou bien de soumettre un échantillon suffisamment large de ces lycéens à des tâches les mettant en une situation d'utiliser des outils pour des activités médiatisées. D'une part, l'observation est difficile à mettre en place car elle supposerait que le chercheur trouve un moyen d'étudier les pratiques d'un échantillon de jeunes dans différentes situations (scolaires, de divertissement, de communication) sans que l'observation ne les altère. D'autre part, une approche expérimentale ne peut donner qu'une idée partielle de la compétence. La position défendue ici est que des méthodologies mixtes sont nécessaires pour étudier les utilisations et prendre en compte un certain nombre de déterminants, élucider les usages, leur variété et les contextes dans lesquels ils se déploient, éclairer des activités instrumentées par les traces observables et les discours des acteurs, en somme, tenter par un appareil méthodologique complexe de saisir les aspects psychologiques et sociologiques liés aux usages numériques de sujets forcément multidimensionnels. 4. Résultats4.1. Accès aux outils numériques et autonomieAfin de déterminer l'importance du contexte d'usage des technologies d'information et de communication, une série de questions ont été posées aux participants quant à leur accès à un ordinateur et à une connexion Internet dans leur vie quotidienne. En effet, la possession d'un ordinateur à soi change le rapport à l'objet et au temps que l'on passe en ligne comme cela apparaît dans le témoignage de Valentin qui explique à quel moment il a commencé à avoir un usage autonome des ressources numériques : Quand j’ai eu l’ordinateur vraiment, parce que avant j’étais sur celui de maman qui était... Je ne pouvais pas y aller tout le temps parce que c’était un peu l’ordi de la famille... Des fois il y a papa qui va travailler, et puis après quand je l’ai eu, je m’y suis mis beaucoup plus. Les résultats révèlent que 77% des répondants possèdent leur propre ordinateur et que 99,3% bénéficient d'une connexion Internet à la maison. Parmi les 704 répondants qui possèdent un ordinateur, 73,9% ont un portable et 41,8% ont un ordinateur fixe. Ils sont 15,7% à posséder l'un et l'autre de ces équipements. Parmi ceux qui n'ont pas d'ordinateur, il n'y a pas de différences notables entre les catégories socioprofessionnelles des parents (à l'exception des agriculteurs et exploitants agricoles et des sans emploi moins dotés) ni entre les sexes, ni encore entre les filières. Parmi les élèves qui ne possèdent pas leur propre ordinateur, 90,1% déclarent toutefois pouvoir bénéficier d'un accès à un ordinateur, que ce soit l'ordinateur familial (97,7%), des ordinateurs disponibles au lycée (25,2%) et chez des amis (11%). Ainsi, il semble que l'institution scolaire, en fournissant un accès à des ordinateurs connectés par exemple dans les Centres de Documentation et d'Information (CDI) des lycées, contribue à réduire en partie la fracture numérique qui existe parmi les lycéens. Ces chiffres révèlent des taux d'équipement et de connexion à domicile très importants à contraster avec le reste de la population française. L'enquête du CREDOC effectuée en 2009 établissait que 74% des individus français possédaient un ordinateur à leur domicile et que 67% des personnes étaient connectées à Internet2. Le taux élevé d'équipement et de connexion pour notre population d'étude peut s'expliquer à la fois par une baisse sensible du coût des matériels informatiques depuis quelques années et par un investissement par le milieu familial (parents et grands-parents) dans des outils considérés comme indispensables pour la réussite scolaire de cette classe d'âge. Ainsi, comme le remarque Fluckiger (Fluckiger, 2008), "les jeunes sont davantage équipés en ordinateurs et connectés à Internet que le reste de la population, ces chiffres reflétant la pression exercée par les enfants sur les parents et la volonté de ces derniers d’inscrire leurs enfants dans la modernité". Ce taux d'équipement permet donc une autonomie certaine quant à l'usage des ressources numériques. Il est d'ailleurs notable que 56,7 % des répondants déclarent que leurs parents sont au courant des utilisations qu'ils font de leur ordinateur (2,4% seulement ont installé un filtre sur l'ordinateur), ce qui signale qu’une partie des parents interviennent dans les usages numériques de leurs enfants et participent à leur développement. 4.2. Attitudes vis-à-vis des outils et compétences perçuesSur une échelle de Likert, il a été demandé aux participants d'apprécier la place que les TIC tiennent dans leur vie. Les résultats indiquent qu'une majorité des élèves (59,6%), sans distinction du genre, accordent une place importante à ces technologies. Ils sont encore 15,9% à les déclarer indispensables (avec un léger différentiel en faveur des garçons). Les entretiens révèlent que, même s'il y avait un ordinateur déjà présent dans leur environnement, c'est en général vers 12 ans que celui-ci commence à prendre un relief particulier dans leurs usages. L'importance des outils numériques s'apprécie également par le temps passé par les répondants à les utiliser. Il faut cependant noter que l'estimation d'une moyenne de temps par jour constitue une mesure imparfaite, d'abord parce qu'elle prend peu en compte les variations sur la semaine (mercredi après-midi et week-end), ensuite parce qu'avoir son ordinateur allumé et connecté à un réseau social comme Facebook pendant qu'on est en train de faire un devoir de mathématiques diffère singulièrement en terme d'engagement d'une activité recourant exclusivement au support informatique comme l'écriture dans un forum. Ainsi, en moyenne, 21,6% des répondants déclarent passer moins d'une heure à utiliser leur ordinateur, 45,9% entre une heure et deux heures, 24,3% entre deux heures et quatre heures et 8,3% plus de quatre heures par jour. Il existe un écart significatif (p=0,051) entre les garçons qui passent en moyenne davantage de temps que les filles à utiliser leur ordinateur, même si, au final, le temps passé à utiliser ces outils reste assez mesuré. Si les outils numériques occupent une place de choix chez les lycéens, la question de la compétence à les utiliser se pose. Même si l'auto-évaluation est une mesure peu fiable de la compétence réelle (Hargittai, 2010), cette appréciation subjective fournit cependant des indications concernant la confiance de cette population à utiliser les TIC. Les jeunes interrogés estiment que leur compétence à utiliser les TIC est bonne (53,2%) ou même très bonne (16,1%). Seule une minorité des répondants considèrent avoir une compétence faible ou très faible (5,3% en cumulé). Ce taux est à comparer avec les 47% des français, tous âges confondus, interrogés en 2009 sur leur propre compétence pour utiliser un ordinateur qui répondaient qu’elles ne se considéraient "pas très" ou "pas du tout" compétentes (CREDOC, 2009) p. 16. Les garçons n'apprécient pas leur compétence de la même façon que les filles : ils se déclarent très compétents dans une proportion plus élevée qu'elles (statistiquement significative), que cette supériorité soit vérifiée ou pas. L'enquête de Martin (Martin, 2004) souligne d'ailleurs une "sexuation des usages et des compétences" qui s'installe au moment de l'adolescence et perdure à l'âge adulte. Il semble ainsi que le B2i, mis en place au collège, ne réussisse pas à aplanir les différences de compétences perçues entre filles et garçons. Il est d'ailleurs difficile de mesurer l'impact du B2i, la mise en place de celui-ci variant grandement d'un établissement à un autre. Toujours est-il qu'y a une majorité des répondants à être satisfaits de cette formation (53,3% étant soit très satisfaits ou satisfaits) même si semble poindre un écart entre compétences réelles et savoirs scolaires comme cela apparaît dans le témoignage de Marie à qui il est demandé ce qu'elle pense du B2i : Oui mais alors c’était assez drôle parce qu’on sait tous se servir d’un ordinateur, c’est un peu notre génération, on est nés avec quoi ! On a tout de suite appris à s’en servir, c’est naturel pour nous ! Mais alors ils nous posaient des questions, on ne savait absolument pas ce que ça voulait dire parce qu’on ne sait pas comment ça s’appelle même si on sait s’en servir. Et puis on s’en fout quoi ! Donc en fait on trichait... L'évaluation du B2i dépassant le cadre de cette recherche (Fluckiger, à paraître) pour une perspective critique du B2i), nous n'irons pas plus loin dans cette analyse. On peut toutefois se demander avec Baron et Bruillard (Baron et Bruillard, 2008) si de telles certifications "testent réellement des compétences ou bien si elles vérifient simplement que certaines tâches canoniques peuvent être effectuées" et jusqu'à quel point les compétences acquises dans les usages personnels peuvent se transférer pour des usages scolaires. 4.3. Les usages personnels des TICLe tableau 1 présente un certain nombre d'activités proposées aux répondants afin de déterminer à quelle fréquence ils utilisent une technologie pour une activité donnée. Parce que le genre semble avoir un impact important sur les types d'utilisation, la colonne la plus à droite indique si ce sont les filles de l'échantillon qui s'adonnent davantage que les garçons à une telle ou telle utilisation (F>H) ou bien si c'est l'inverse (H>F), et fournit la significativité statistique des écarts. Tableau 1 : fréquence d'utilisation d'outils TIC
Parmi les utilisations les plus courantes, la recherche d'informations est l'activité numérique la plus courante (78,9% quotidiennement), à part égale entre filles et garçons. La première fonction d'Internet reste donc la possibilité offerte de puiser dans le gisement d'informations disponibles. La nature indifférenciée de la notion d'information ne permet pas de distinguer le type d'information recherchée, si celle-ci est de nature encyclopédique ou bien anecdotique. Le témoignage de Léonard permet aussi de montrer que la recherche d'informations peut être sans objectif précis et se comparer à du zapping télévisuel : Mais sinon j’y vais de manière assez passive, je fais des choses quotidiennes mais sans vraiment les faire. C’est presque un automatisme. Je l’allume et je ne sais même pas pourquoi je l’allume... je regarde mes mails au cas où, je vais aller regarder deux/trois émissions sur Allociné et d’autres sites. Tout ce qui permet de garder ou de construire un lien social (réseaux sociaux et chat et, dans une moindre mesure les outils de visioconférence) emporte la faveur des lycéens. Ils sont ainsi 66,4% à déclarer utiliser chaque jour des outils de chat et 68,1% à participer à des réseaux sociaux quotidiennement. Avoir un compte Facebook est même quasiment un passage obligé pour les jeunes de cet âge comme le précise un répondant pour qui "ne pas être sur Facebook, je ne sais pas, c’est comme ne pas avoir de portable" (César). Ceci signale d'ailleurs que la logique d'imposition peut intervenir également entre pairs avec une pression du groupe sur l'individu pour utiliser certaines applications juste pour faire montre de son appartenance. On constate grâce aux entretiens que Facebook est mis en fond d'une autre activité, permettant de maintenir le lien et d'alterner devoirs et échanges en ligne comme le raconte Constance : "c’est juste s’il y a le bruit « ding ding », je fais « ah c’est bon, je vais me déconnecter du travail et je vais aller sur Facebook". Le panurgisme que semble induire cette application transparaît à travers le commentaire de Clémentine : "On va dire que j’y vais régulièrement, mais je ne sais pas pourquoi j’y vais". Pourtant, certains se révèlent être critiques envers ce genre d'échanges informels au cours desquels les utilisateurs "ne parlent pas vraiment, enfin... enfin ils parlent, mais sans rien dire !" (Laura). Comme l'a remarqué Fluckiger (Fluckiger, 2008), "le contenu de l’échange important finalement moins que le fait de manifester le lien social, [...], ces outils de communication s’inscriv[a]nt dans le processus de construction identitaire des adolescents". Sans conteste, la réussite d'un réseau comme Facebook tient au fait qu'il réussit à agréger des moyens pour échanger photos, clips vidéo et audio et messages écrits, pour chatter (avec ou sans webcam) et même pour jouer comme le note Jérémy : "Bien oui, Facebook a tout remplacé ! Ca fait tout d’un coup ! Ca fait un peu MSN, ça fait aussi un peu les Skyblogs qui existaient avant, ça fait tout ça réuni, donc c’est plus pratique !" Ce succès est d'ailleurs attesté par les réponses des adolescents interrogés qui, à la question ouverte du site le plus utilisé (le questionnaire demandait de citer le blog ou le site ou le forum préféré), placent Facebook largement en tête (58,4%), puis YouTube (32,9%) et Deezer (7%), ces deux derniers sites donnant un accès gratuit à des clips vidéo et musicaux et permettant de les partager. De manière assez prévisible, entretenir leurs réseaux amicaux, et écouter et partager de la musique semblent donc constituer les activités numériques les plus courantes pour ce groupe d'âge. D'ailleurs, parmi les outils préférés des jeunes, ceux qui permettent de regarder ou de télécharger des clips vidéo ou musicaux (49,7 % pour une utilisation quotidienne) occupent une place de choix. Même s'ils sont moins courants (8,3% quotidiennement et 22,3% une à deux fois par semaine), les outils qui permettent de créer ou d'éditer des contenus audio, vidéo ou photographiques témoignent d'un usage en développement. Ceci s'explique certainement par la simplification de ces applications et atteste du goût de ce public pour s'approprier des contenus en ligne, non seulement pour en détenir une copie mais aussi pour les transformer et, éventuellement, les partager avec leurs pairs. L'utilisation du courrier électronique, si courant dans le monde professionnel, est très contrastée pour ce public, cet outil étant surtout utilisé occasionnellement (34,9% des répondants déclarant y avoir recours une à deux fois par mois et 30,8% seulement une à trois fois par mois). Sans doute l'échange de courriels est-il réservé à des écrits plus formels alors que les échanges écrits informels avec les pairs se font préférentiellement par le biais des réseaux sociaux. Enfin, les jeux en ligne, la participation à des forums et la tenue de blogs sont beaucoup plus rares (contrairement à ce qui se passait il y encore quelques années pour les blogs) et montrent des comportements genrés assez marqués, le jeu et la participation à des forums étant des pratiques plutôt masculines tandis que le blog et les échanges par le biais des réseaux sociaux correspondent à des usages plutôt féminins. 4.4. L'usage scolaire des TIC à la maison4.4.1. Pour les devoirsQuand on leur demande à quelle fréquence ils utilisent les outils numériques pour faire leurs devoirs, on constate que seul un quart des lycéens disent n’y avoir que rarement ou jamais recours. Il semble donc que les TIC aient été intégrées dans les pratiques d'étude de cette population et soient reconnues comme une aide efficace pour le travail scolaire. L'échange suivant permet d'illustrer de quelle façon Facebook est utilisé pour réaliser un devoir à la maison (DM) de manière collaborative : Valentin : Quand j’ai besoin d’aide ça m’arrive de demander sur Facebook. Souvent, quand il y a des gros DM de maths, on s’entraide un peu. Intervieweur : Tu peux me décrire à quoi ça ressemble ? Valentin : On poste un statut, ou quelqu’un a déjà posté un statut, et puis souvent nous on donne ce qu’on a trouvé, moi je donne un peu ce que j’ai pu trouver et puis on se corrige... ça arrive oui ! Intervieweur : Du coup vous avez tous le même DM à la fin ? Valentin : Non ! Enfin moi je me débrouille pour ne pas avoir le même ! Intervieweur : Comment tu fais ? Valentin : S’il y a quelqu’un qui le poste entier par exemple, je le reprends moi-même, j’essaie de comprendre ce que je fais, de détailler s’il y a des calculs à détailler. On voit donc que les ressources numériques sont utilisées par les lycéens non seulement pour des pratiques de sociabilité électronique mais aussi pour les pratiques scolaires comme, dans le cas d'espèce, la résolution collaborative de problème. Ce type de collaboration, invisible par les enseignants car non instituée par eux, constitue certainement un usage émergent. Elle mobilise un "collectif provisoire, imparfait et labile" (Cardon et Delaunay-Teterel, 2006) à même de se constituer pour répondre à un besoin précis et elle nécessite des compétences organisationnelles et communicationnelles spécifiques. De plus, on voit bien que des enjeux de coopération (entraide pour la résolution) sont en tension avec des enjeux d'individualisation (s'approprier une démarche et se démarquer des membres du collectif pour le rendu final). 4.4.2. Pour les pratiques formelles et informelles spécifiques à l'apprentissage des languesCette partie de l'analyse va se concentrer sur les langues étrangères pour déterminer comment les TIC sont utilisées pour cette matière pour le travail scolaire ou "semi-scolaire" selon les résultats obtenus par le biais du questionnaire (cf. tableau 2) et dont certains aspects sont éclairés par les entretiens. Tableau 2 : fréquence d'utilisation des TIC pour l'apprentissage de la L2
Les TIC semblent principalement utilisées par les élèves comme une ressource documentaire pour effectuer des recherches (84,9% en pourcentages cumulés pour des utilisations régulières ou assez fréquentes), et très souvent en préparation d'un exposé. La description d'Ophélie reflète bien l'usage qui est fait des moteurs de recherche par les élèves : Ophélie : En général on va sur le moteur de recherche, on tape les mots clés. Après il y a des sites qu’on connaît comme Wikipédia, après on va pas non plus sur n’importe quel site parce qu’on ne sait jamais vraiment si c’est sûr ou pas. Mais oui, on tape les mots clés, on regarde les informations. Intervieweur : Tu sélectionnes au fur et à mesure ou tu prends tout et après tu tries ? Ophélie : En général je sélectionne ce qui m’intéresse. Je fais un dossier ou je fais des copier-coller mais souvent je re-rédige par rapport à ce que demande le professeur. Mais oui, je mets de côté les informations qui m’intéressent et après j’essaie de faire une synthèse. Intervieweur : Tu fais un petit bilan de tout ce que tu as trouvé ? Ophélie : Oui voilà ! Après il y a des informations ce n’est pas vraiment la recherche qu’on fait mais on a quand même des informations mais qui ne nous serviront plus, mais on prend le plus intéressant. Mais bon, il y a quand même des aides extérieures. Moi des fois je peux m’aider avec des bouquins. Vraiment, je collectionne les informations. Les opérations en jeu dans la recherche d'information sont donc de déterminer quels mots clés vont mener à l'information pertinente, l'évaluation de la fiabilité des informations, la sélection des éléments adéquats, la synthèse et l'enrichissement avec d'autres ressources. Internet devient donc un recours naturel à la recherche d'information sans que les moyens traditionnels (livres, cercle familial ou amical) soient pour autant délaissés. Si Wikipédia s’impose comme une source d'information de choix, les lycéens interrogés lors des entretiens déclarent apprendre progressivement à vérifier la véracité des informations données et apprécient quand les enseignants sont eux-mêmes pourvoyeurs de contenus comme le remarque Marie : Mais après il y a des sites de profs où ils mettent pour des [Devoirs Surveillés], des méthodes, des choses comme ça, et là c’est vachement intéressant parce que ce sont des profs qui le font, donc c’est vrai ! Pour le coup ça nous donne plus confiance ! En plus d'apprendre à vérifier la qualité de leurs informations, les lycéens disent mettre en place des stratégies pour travailler l'information et sont en mesure, du moins pour une partie d'entre eux, d'opérer une distinction entre accéder à l'information et se l'approprier : Oui. Je ne fais jamais de copier-coller parce que la prof le repère direct et en plus c’est idiot parce que si je ne comprends même pas ce que je fais c’est débile. Et puis ça ne m’aidera pas pour le bac. (Marie) Comme on l'a vu avec l'exemple du devoir de maths réalisé par Valentin et ses camarades, une proportion non négligeable des répondants déclarent utiliser les fonctions de collaboration quand il s'agit pour les élèves de travailler en groupe pour les travaux personnels encadrés (37,1% déclarent une telle pratique comme régulière) et d'échanger avec leurs camarades et, éventuellement, leurs professeurs. A ce sujet, il est important de distinguer les activités qui instituent une collaboration scolaire comme c'est le cas lors de travaux de groupe encadrés par un ou plusieurs enseignants (par exemple par le biais d'un forum dédié ou d'un wiki) et les activités qui génèrent des collaborations instrumentées (par exemple par le biais de Facebook) mais demeurent invisibles aux enseignants. Les séries télévisées ou autres documents télévisuels disponibles en ligne constituent un exemple d'un potentiel d'apprentissage informel pour les langues. Déjà largement importés dans les cours de langue par les enseignants, ces documents constituent une valeur ajoutée indéniable pour l'apprentissage d'une langue en permettant de développer les compétences de compréhension. Ici, le goût pour ces séries qui rencontrent la faveur des jeunes va amener à des pratiques où la barrière de la langue est surmontée comme cela est rapportée par Valentin: Je regarde des séries en anglais mais à part ça... je suis sur les sites qui sortent tout de suite après les épisodes. Donc, si je ne veux pas attendre, je les regarde en anglais sans les sous-titres, sinon j’attends deux trois jours et j’ai les sous-titres. Mais l’allemand pas du tout. Ce qui est notable, c'est que l'activité de loisir (regarder une série américaine) se confond avec une activité d'apprentissage. Cependant, les élèves font une distinction entre ce qu'ils aiment regarder et des documents à visée didactique : "Par contre les reportages et tout en anglais qu’ils nous font voir, c’est nul quoi ! les profs qui nous mettent les liens et tout c’est nul quoi !" (Constance). D'ailleurs, les répondants font bien la différence entre apprentissage formel et informel comme le souligne Ophélie quand elle parle de son attention lors de l'écoute de musique et du visionnage de séries en anglais : Je dirais « inconsciemment » parce que j’écoute de la musique anglaise comme tout ado je pense... et c’est vrai que les séries que je regarde, les épisodes n’ont pas été traduits en version française donc ce sont des versions sous-titrées, ça m’aide à assimiler des mots parce que j’entends parler anglais, même si je vois la traduction en dessous, mais sinon je veux dire ce n’est pas conscient. Je ne vais pas particulièrement sur un site pour écouter de l’anglais et pour m’améliorer en anglais. Internet fournit également des ressources pour produire des énoncés en langue étrangère et corriger les productions écrites. Les élèves déclarent apprendre à se méfier des outils de traduction automatique sur lesquels "quand on met les mots ils nous les traduisent à l’infinitif, donc forcément si on écrit la phrase comme ça, ça ne veut rien dire !" (Jérémy). En revanche, la fonction d'exercisation, très prisée au début du multimédia, est une pratique marginale sans doute parce que ce qui est généralement disponible en ligne relève d'une pratique de la langue mécanique et décontextualisée : Intervieweur : Et toi tu as déjà essayé peut-être des logiciels d’apprentissage? Constance : Genre « répéter le mot après moi ?», ça non jamais, jamais essayé je trouve ça complètement nul. Intervieweur : Pourquoi ? Constance : Je trouve ça bête. « Répète après moi machin », hop on répète mais bon... après tu oublies deux secondes après quoi ! Souligner la disjonction qu'établissent eux-mêmes les jeunes entre apprentissages formels et informels revient à nuancer les discours techno-centrés qui ont tendance a entretenir une confusion entre le gisement de ressources disponibles sur la Toile (par exemple des documents authentiques en langue étrangère) et un réel travail d'appropriation intellectuelle de ces ressources. Cela permet de souligner que les apprentissages de savoirs permis par la consultation de la Toile risquent d'être marginaux car ils dépendent de la capacité et de la volonté des jeunes à transformer des pratiques de loisirs (regarder une série) en pratiques d'auto-apprentissage (prendre des notes pour mémoriser une expression entendue pour la réutiliser en contexte scolaire). L'institution scolaire, qui est souvent trop tendue vers des objectifs externes comme la réussite au baccalauréat, sait mal développer ce type de motivation intrinsèque auprès des adolescents dont elle a la charge. On peut d'ailleurs présumer que ceux d'entre eux qui bénéficient d'un entourage soucieux de créer des liens entre motivations intrinsèques et extrinsèques seront plus à même de tirer profit de ces ressources. S'il y a fracture numérique, elle n'est donc plus à apprécier en terme d'accès mais bien en terme d'appropriation. En somme, pour ce qui concerne les devoirs à la maison, une tension véritable se fait jour entre - la collaboration et la capacité à individualiser les apprentissages ; - l'accès à une information diversifiée et la capacité à sélectionner, hiérarchiser et traiter cette information pour qu'elle se transforme éventuellement en connaissance ; - l'accès à une culture étrangère actuelle (musique, séries) et le développement réel de compétences langagières. Un des enjeux éducatifs consiste donc à prendre en compte ces formes émergentes d'usages numériques (qui sont parfois des usages recyclés comme dans le cas du dictionnaire) pour sensibiliser les enseignants à ces pratiques mal identifiées et les aider à formuler des propositions pour résoudre, au moins en partie, certaines de ces tensions. 4.5. L'usage scolaire des TIC dans la classe de langueCette dernière section de résultats se focalise sur l’usage scolaire des TIC dans l’enseignement des langues. Il faut souligner que les enseignants de cette matière ont traditionnellement exploité, dès leur apparition, toutes les nouvelles technologies disponibles comme le rappelle Puren (2009) du gramophone, à la radio, en passant par le tourne-disque, le magnétophone, le magnétoscope et, plus récemment par les ordinateurs. On constate d’ailleurs que les répondants déclarent une utilisation régulière de moyens technologiques dans les cours de langue (32,3%), par rapport aux matières littéraires (24,3%) et aux matières scientifiques (7,5%). Le tableau 3 compile les résultats concernant l'utilisation d'outils dans les cours de langues. Tableau 3 : Utilisation de technologies dans les cours de langues
Les technologies généralement utilisées par les enseignants du secondaire, selon l’appréciation de leurs élèves, sont principalement des outils de diffusion permettant de donner accès à la langue étrangère pendant l'interaction pédagogique. Ainsi le magnétophone, le magnétoscope, le vidéo-projecteur et, dans une moindre mesure, le tableau interactif, sont principalement utilisés pour fournir un accès à une langue étrangère authentique, pour organiser la prise de notes et pour capter l'attention des élèves. Toutefois, les entretiens permettent de repérer quelques critiques vis-à-vis de ces outils de diffusion qui "mettent encore plus de la distance entre le prof et l’élève" ou bien qui "obligent à fermer les rideaux et provoquent la somnolence" (Constance). Certains enseignants mettent en place un blog qui leur sert de centre de documentation et assure le lien entre la classe et le hors classe mais cela demeure un moyen contrôlé par l'enseignant comme le relève Constance : en anglais on a un blog, c’est le blog de la prof. Elle nous dit d’y aller tout le temps machin... elle nous met des liens Youtube comme ça pour le cours et tout. En revanche, tous les outils qui permettent aux élèves de manipuler eux-mêmes la langue étrangère (MP3 et wiki), de publier leurs travaux (blog) ou d'interagir à l'écrit ou à l'oral (forum et visioconférence) ne sont utilisés que de manière très marginale par les enseignants. Guichon (Guichon, 2012), qui a étudié les utilisations de ces outils par les enseignants de langue, conclut que les enseignants favorisent les outils de diffusion au détriment des outils de manipulation et de publication car ces derniers modifient en profondeur le rôle joué par l'enseignant en entraînant une perte de contrôle d'une partie de la situation pédagogique et impliquent une réorganisation matérielle chronophage, difficile à mettre en place, et nécessitant des compétences techno-pédagogiques plus avancées. Quand on demande aux lycéens ce qu'ils souhaiteraient que leurs enseignants utilisent (colonne " Non, mais j'aimerais bien" dans le tableau 3), on voit que les réponses des élèves sont plutôt conservatrices et qu'ils reconnaissent, mais dans une proportion qui demeure faible, un potentiel d'apprentissage pour le tableau blanc interactif, les MP3 et les outils de visioconférence. La mise en miroir de ces résultats avec ceux présentés dans le tableau 1 permet de montrer combien les usages scolaires des technologies diffèrent des usages personnels. 5. Discussion : Une déconnexion entre la sphère privée et la sphère scolaireCette recherche permet de vérifier le rôle important joué par les technologies numériques chez les lycéens mais aussi de mettre au jour une forte variabilité dans les usages. Dans la panoplie des outils disponibles pour les jeunes de cet âge, l'ordinateur connecté fonctionne comme une sorte d'agrégateur de médias (la radio, la télévision, la presse, le dictionnaire, l'encyclopédie, le téléphone, le courrier) qui concentre progressivement la plupart de leurs pratiques de consommation, de loisir et de communication, les unes et les autres se recouvrant parfois. L'ordinateur, surtout quand c'est un portable, trouve une place de choix dans la chambre de ces adolescents au même titre que leur téléphone portable, la fonction d'échange leur permettant de garder un lien constant avec leurs pairs à un âge où ils sont avides de construire leur identité par eux-mêmes mais aussi en lien avec les autres. On note également que les taux d'équipement et de connexion sont importants, les adolescents jouant souvent un rôle d'accélérateur au sein des foyers pour que leurs parents s'équipent. La différence entre ceux qui ont accès de chez eux aux ressources numériques et ceux qui n'y ont pas accès est minime et s'estompe progressivement. Toutefois, Fluckiger (Fluckiger, 2008) a montré que l'équipement ne suffisait pas et que des différences sociales pouvaient se faire jour, par exemple dans le domaine de la navigation, celle-ci étant "plus aisée pour les élèves dont les parents, disposant d’un fort capital culturel et technique, sont en situation de leur transmettre des habitudes d’usage des outils informatiques plus proches des usages scolaires". L'enquête met au jour une sexuation marquée des usages numériques, les filles étant prônes à la communication tandis que les garçons favorisent davantage des pratiques plus individuelles (jeu, édition de contenu). La sexuation intervient également au niveau des compétences perçues, les garçons se sentant plus experts dans le maniement des différentes applications. Le Douarin (Le Douarin, 2004), qui a étudié les rapports sexuellement différenciés à l’ordinateur au sein de couples français, relève une telle différentiation : pour les femmes, des usages fonctionnels et pragmatiques et des usages qui relèvent davantage du domaine de la communication, tandis que pour les hommes des usages plutôt ludiques et techniques. La sexuation des usages relevée dans notre enquête (cf. tableau 1) paraît donc reproduire celle que l'on identifie chez leurs parents. Toutefois, comme le souligne Le Douarin (ibid.) "l’ordinateur révèle, dans les rapports masculin/féminin, davantage d’idéologie dans les compétences – affirmées pour les uns, déniées pour les autres – que de réalité effective". En outre, la maîtrise des outils numériques semble plus grande chez les élèves que chez leurs parents et leurs enseignants, ce qui signale une rupture importante avec d'autres technologies du passé qui étaient davantage maîtrisées par les adultes. On constate d'ailleurs que les jeunes se montrent indulgents vis-à-vis du manque d'appétence des enseignants pour les outils numériques, contrastant leurs propres usages avec ceux de leurs professeurs : Oui, oui, nous c’est vrai qu’on est nés dedans donc on est habitués, mais je pense que si j’avais découvert l’ordinateur à 40 ans, je n’aurais peut-être pas envie des changer mes habitudes. (Ophélie) Mais certains sont critiques envers leur manque de compétences techniques à les utiliser : Moi ce qui m’étonne c’est pourquoi les jeunes profs qui arrivent n’ont pas déjà reçu une formation et ne savent pas utiliser tout le matériel qu’il y a. Parce que moi j’ai déjà vu des profs qui ont eu des difficultés rien qu’avec des lecteurs DVD ou un vidéoprojecteur ! Ils perdent un peu en crédibilité devant les élèves. (Clémentine) ou envers l'offre techno-pédagogique existante : Après, si on peut inventer des choses, le tableau interactif moi je trouve ça pourri, mais si vous inventez d’autres choses mieux, peut-être que si les profs s’en servent, peut-être que ça serait bien quoi ! (Constance) On a vu également que les ressources numériques étaient perçues comme des auxiliaires valables pour faire les devoirs, en particulier pour la recherche et la vérification d'informations et la collaboration pour certains travaux. Toutefois, les pratiques d'auto-apprentissage pour les langues s'avèrent être assez marginales, l'écoute de musique étrangère et le visionnage de séries étant revendiquées comme des pratiques de loisir plutôt que des pratiques de découverte des langues et des cultures étrangères. De plus, on peut reprendre à notre compte les conclusions de Baron et Bruillard (Baron et Bruillard, 2008) pour qui si "les utilisations des technologies sont fréquentes, [elles demeurent] dans un spectre très limité et avec un degré d’autonomie relatif". Les résultats obtenus par cette enquête établissent qu' il n'existe qu'une faible circulation entre les pratiques numériques des jeunes, tournées vers la communication et le divertissement et s'appuyant sur des outils du Web 2.0, et les pratiques scolaires des lycéens. Ces dernières font la part belle aux outils de diffusion mais n'intègrent que marginalement les outils de collaboration et de communication, témoignant d'une dichotomie des usages entre l'une et l'autre de ces deux identités (jeunes et lycéens) qui ne se recouvrent qu'en partie. Pourtant, les recherches en didactique des langues ont montré combien ces outils pouvaient être bénéfiques à l'apprentissage d'une langue en favorisant le développement de nouvelles littératies (par exemple faire des choix appropriés selon la modalité de communication), en enrichissant le répertoire communicationnel en langue étrangère, en ménageant des situations de communication potentiellement propices au développement des compétences langagières (Chapelle, 2009), et en favorisant davantage de contrôle sur les apprentissages (Guichon, 2012) p. 156. Comme le soulignait Warschauer dès 1998, "bien connaître une langue étrangère à notre époque suppose également de savoir comment lire, écrire et communiquer dans des environnements numériques. [...] Apprendre à composer un courrier électronique ou avoir une utilisation experte de la Toile sont des compétences aussi essentielles qu'apprendre à parler au téléphone ou faire une recherche en bibliothèque" [notre traduction]. En outre, certaines fonctions des ressources numériques en ligne (par exemple la correction linguistique par le biais de dictionnaires en ligne ou de traducteurs) mériteraient certainement d'être accompagnées par les enseignants pour éviter les problèmes de plagiat et de contre-sens que le recours à ces ressources semble parfois induire. Il est possible que les lycéens préfèrent réserver certains outils numériques pour des usages personnels plutôt que scolaires comme le souligne Léonard : J’aime bien faire la différence entre ce que je fais au lycée et ce que je fais chez moi, parce qu’il y a beaucoup de matières que je n’aime pas au lycée, et je déteste les comparer à des activités personnelles en fait. Je déteste ma prof de français et je n’ai pas envie que ce qu’elle me dise de faire, me rappelle ce que je suis moi. Il semble bien que les lycéens apprécient une différentiation des usages entre les deux sphères et que certains éprouvent une réelle réticence à voir l'école coloniser leurs pratiques numériques privées et entrer en conflit avec leur sphère personnelle. Ainsi, une déconnexion se fait jour entre ce que font les élèves chez eux et ce qu'ils font au lycée. En effet, pour ce qui concerne l'apprentissage des langues, les usages des TIC à l'école sont essentiellement orientés vers la diffusion d'information et l'exposition à la langue alors que le potentiel de communication de ces outils, si évident pour les apprentissages langagiers, est peu valorisée comme le regrette Marie : Niveau technologies les profs ne sont pas... D’ailleurs c’est assez débile parce qu’ils savent très bien qu’on ne fait que ça, on est presque tous sur Facebook, il y a 90 % des élèves qui sont sur Facebook. Ils devraient vraiment jouer là-dessus. Je ne sais pas, nous donner des correspondants, les ajouter sur Facebook par exemple, parler un peu avec eux ! Ca serait vachement intéressant mais je ne sais pas, ça n’a pas l’air de les intéresser. Ce n'est pas le réseau Facebook qu'il s'agit forcément de récupérer pour une exploitation pédagogique (on a d'ailleurs vu que certains élèves se montreraient réfractaires à ce type d'empiètement sur la sphère privée) mais du potentiel communicationnel que permettent ces technologies. En effet, les outils de communication médiatisée par ordinateur (blog, wiki, audio et visioconférence, réseaux sociaux) s'ils sont insérés dans une progression pédagogique appropriée pourraient ménager des opportunités pour amener les jeunes à collaborer, à utiliser la langue étrangère à des fins pragmatiques et à développer des compétences langagières parfois négligées comme l'interaction écrite ou orale (Guichon, 2012) p. 213). Pourtant, notre enquête montre que ce potentiel est rarement exploité dans l'enseignement d'une langue étrangère en lycée. Une telle exploitation nécessiterait certainement qu'une nouvelle norme pédagogique se fasse jour où l'interaction occupe une place plus importante que cela semble être le cas actuellement. Comme d’autres chercheurs (Baron et Bruillard, 2008), cette enquête nous conduit enfin à nuancer les discours trop enthousiastes de certains chercheurs au sujet d'une génération dont les membres seraient uniformément capables d'utiliser de manière critique les ressources et les outils à leur disposition "pour remettre en question les idées, les personnes et les affirmations" (Tapscott, 2009) p. 88. Si différents témoignages mettent en lumière quelques postures critiques vis-à-vis des ressources numériques, certains adolescents interrogés font état de leur passivité face à l'écran d'ordinateur ou d'un certain esprit grégaire. Il convient donc de remettre en cause l'image d'un adolescent expert dans les utilisations des outils numériques qui traverse les discours médiatiques et façonne la logique d'imposition selon laquelle les enseignants devraient adopter de nouvelles pédagogies recourant aux TIC parce que leurs élèves en seraient particulièrement friands. On peut même supputer que la logique d'imposition a créé de toutes pièces la fable des natifs numériques à laquelle les jeunes eux-mêmes semblent participer ("nous c’est vrai qu’on est nés dedans donc on est habitués", dit Ophélie) et à laquelle souscrivent les parents, les enseignants et la société dans une belle unanimité. Pas plus que la génération née avec la télévision n'est devenue experte en décryptage d'images, celle qui est née avec Internet n'est pas aussi universellement compétente qu'on serait porté à le croire. 6. ConclusionDu point de vue méthodologique, une telle enquête conjuguant questionnaires et entretiens permet de donner un aperçu des usages numériques des lycéens en mettant en lumière certaines pratiques et certains discours. Les entretiens ont permis de détecter des directions de recherche (comme la sexuation des usages et l'importance de l'entourage sur les usages numériques) qu'il conviendra de scruter plus précisément dans une future étude. De plus, le travail à la maison, parce qu'il fonctionne comme un trait d'union entre sphère personnelle et sphère scolaire, constitue sans doute un terrain à explorer plus avant pour sonder les usages numériques des adolescents. C'est dans cet espace intermédiaire que les chercheurs en didactique peuvent en particulier débusquer ce que Penloup (Penloup, 2007) p. 7 a appelé des "connaissances ignorées", c'est-à-dire des ressources construites "à l'insu de l'école" et qui pourraient servir de "points d'appui pour la réalisation des apprentissages institutionnellement visés". Saisir les aspects psychologiques et sociologiques liés aux usages numériques des adolescents constitue un projet dont la recherche en didactique peut s'emparer pour mieux déconstruire les discours technicistes et fournir des éléments de compréhension à une communauté éducative qui peine à penser l'intégration des TIC dans les pratiques pédagogiques (Guichon, 2012) p. 212-214. Cette démarche psycho-sociale pourrait ainsi se donner les moyens méthodologiques pour appréhender les discours et les pratiques des usagers (enseignants et apprenants), comprendre les écarts qui se font jour entre représentations et activité réelle, et apprécier les contraintes et les ressources qui modèlent les usages des TIC. Cette démarche est congruente avec la nécessité des chercheurs en sciences sociales de prendre en compte, comme (Lahire, 2012) p. 24) le propose, à la fois les "contraintes contextuelles" et les "dispositions socialement constituées à partir desquelles les acteurs perçoivent et se représentent la situation et sur la base desquelles ils agissent dans cette situation." Un tel projet, attentif à analyser les sociogenèses des pratiques du point de vue des acteurs et des contextes multiples dans lesquels ils évoluent, pourrait dès lors contribuer à appréhender les enjeux de l’intégration des TIC à des fins d’apprentissage et, éventuellement, informer les politiques de formation et de pilotage institutionnel. En tout état de cause, une telle enquête mérite d'être répétée à intervalles réguliers pour déterminer comment les usages évoluent, si certaines pratiques se font jour et d'autres disparaissent et si la disparité des usages entre sphère personnelle et sphère scolaire s'amenuise ou bien au contraire continue de croître. C’est ce que fait, chaque année depuis 1990, le Campus Computing Project3, un projet longitudinal d’envergure nationale, qui étudie le rôle des TIC au sein de la population des étudiants états-uniens et joue un rôle crucial pour informer les politiques institutionnelles. L'école numérique, portée par certains comme un objectif de civilisation, demeure pour l’heure un horizon d'autant plus lointain que la formation des enseignants est lacunaire dans ce domaine (Guichon, 2012) et que l'institution éducative parie trop lourdement sur le transfert de compétences acquises dans la sphère privée vers des compétences mobilisables en situation scolaire alors que les travaux récents (Fluckiger et Bruillard, 2008) ; (Hargittai, 2010) font état de sérieuses limitations quant à la qualité de ce transfert. Entre les natifs numériques et les experts numériques, il y a donc un écart que l'institution scolaire peut s'employer utilement à combler. Remerciements L’auteur remercie Audrey Mouillard qui a participé au recueil des données ainsi qu’à leur prétraitement grâce au logiciel Modalisa pour les questionnaires et à la retranscription des entretiens. Ma reconnaissance va également aux trois relecteurs de Sticef dont les remarques sur une version préalable ont contribué à améliorer cet article. BIBLIOGRAPHIEBARON, G.-L., BRUILLARD, É. (2008). Technologies de l'information et de la communication et indigènes numériques : quelle situation ? Rubrique, STICEF, Vol. 15. http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2008/09r-baron/sticef_2008_baron_09.htm BULLEN, M., MORGAN, T., QAYYUM, A. (2011). Digital Learners in Higher Education: Generation is not the issue. Canadian Journal of learning and technology, Vol. 37 n°1. CARDON D., DELAUNAY-TETEREL H., (2006). La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics, Réseaux, n° 138, p.17-71. CHAPELLE, C. A. (2009). The Relationship between Second Language Acquisition theory and Computer-Assisted Language Learning. The Modern Language Journal, Vol. 93, Focus Issue, p. 741-753. CREDOC (2009). 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SINGÉRY, J. (1994). Représentations sociales et projet de changement technologique en entreprise. In Abric, J.-C. (dir.), Pratiques sociales et représentations. PUF. p. 179-238. SOUCHIER, E., JEANNERET, Y., LE MAREC, J. (2003). Lire, écrire, récrire. Paris : Bibliothèque Centre Pompidou. TAPSCOTT, D. (2009). Grown up digital: How the net generation is changing your world. Toronto : McGraw-Hill. VAN DIJK, J. (2005). The deepening divide: Inequality in the information society. London: Sage. WARSCHAUER, M. (1998). Researching technology in TESOL: Determinist, instrumental, and critical approaches. TESOL Quarterly, Vol. 32 n° 4, p. 757-761. A propos de l'auteurNicolas Guichon est professeur des universités en sciences du langage, spécialisé en didactique des langues, à l’université Lyon 2. Il appartient au laboratoire ICAR (Interactions, Corpus, Apprentissage, Représentations). Ses recherches portent sur l’apprentissage des langues médiatisé par les technologies, sur les interactions en ligne et sur l’appropriation des TICE. Courriel : nicolas.guichon@univ-lyon2.fr Toile : http://pagesperso-orange.fr/nicolas.guichon 1 http://eduscol.education.fr/dossier/b2ic2i 2 L'enquête du CREDOC explique aussi les différences d'équipement par la composition familiale, 90% vivant dans des familles de 4 personnes ou plus disposent d'au moins un ordinateur en 2009 (CREDOC, 2009) p.54. 3 Cf. http://www.educause.edu/E2011/Program/SESS070 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Référence de l´article :
Nicolas GUICHON (ICAR, Lyon ), Les usages des TIC par les lycéens - déconnexion entre usages personnels et usages scolaires, Revue STICEF, Volume 19, 2012, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 20/10/2012, http://sticef.org © Revue Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation, 2012 |