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Le choix d’un MOOC, un processus influencé par
l’organisation des cours en catalogues ?
Matthieu CISEL (Laboratoire EDA, Université Paris-Descartes)
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RÉSUMÉ : Dans
cet article, nous analysons les données d’inscription issues de la
plateforme FUN afin d’interpréter les comportements observés
au sein des cours qu’elle héberge. Pour étayer nos propos,
nous mobilisons, d’une part, une enquête au prisme de la notion de
clé d’entrée issue de la littérature sur le
e-commerce et, d’autre part, un million d’inscriptions
réalisées sur FUN. Selon notre interprétation des
données, il existe une forte représentation d’inscriptions
issues de visites expérientielles, qui correspondent à un mode de
navigation où l’utilisateur parcourt un catalogue sans
nécessairement avoir une idée précise du type de MOOC
qu’il souhaite suivre. Ces analyses montrent que les comportements
observés au sein d’une formation en ligne incluse dans un catalogue
peuvent être influencés par les caractéristiques de
celui-ci.
MOTS CLÉS : CLOM, Usages, analyse de traces |
The choice of a MOOC, a process influenced by the organization of courses in catalogues? |
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ABSTRACT : In
this paper, we analyze registration data from the French MOOC platform France
Université Numérique to interpret behaviors observed in individual
courses, based on notions drawn from the webmarketing literature, such as the
type of visit. Our interpretations are based on both surveys sent in a dozen of
courses, and on the quantitative study of more than a million registrations from
FUN. We explore various dimensions of users’ behavior. We show that
learners discover the courses they register to mostly by navigating on the
platform catalog, a particular case called the experiential visit. Our results
show that behaviors observed in an online course included in a catalogue can be
influenced by the characteristics of the said catalogue.
KEYWORDS : MOOC,
Uses, learning analytics |
1. Introduction
Entre 2012 et 2016, des centaines
d’établissements d’enseignement supérieur investissent
à travers le monde dans la conception de MOOC ou Massive Open Online
Courses (Cisel et Bruillard, 2013), (Daniel, 2012).
Parmi les nombreux débats qui virent le jour durant cette période,
l’un d’entre eux prit une place considérable, celui des
faibles taux de certification des MOOC (Cisel, 2015). Les
taux de certification des formations à distance
traditionnelles1 sont en effet plus
bas que ceux de leurs pendants en présentiel (Zawacki-Richter et Anderson, 2014).
Cette tendance est plus nette encore pour les MOOC. Sur les
célèbres plateformes américaines Coursera et edX, seuls 5 à 10 % des inscrits obtiendraient le certificat (Chuang et Ho, 2016).
La propension des utilisateurs à s’inscrire à plus de cours
qu’ils ne peuvent en suivre, conséquence de la gratuité
selon Koller (Koller, 2013),
constitue l’une des explications avancées de manière
récurrente.
Cette considération nous a amené à nous poser une
succession de questions auxquelles nous avons cherché à
répondre sur la base d’enquêtes et des données
d’inscription de la plateforme française France
Université Numérique (FUN). Nous qualifions de
« données d’inscription » l’ensemble des
données permettant de qualifier les inscriptions réalisées
au sein d’une même plate-forme : date de l’inscription,
obtention de l’éventuel certificat suite à cette
inscription, etc. La première série de questions porte sur
les modalités de découverte du cours et leur influence sur le
comportement d’inscription. Comment les utilisateurs de MOOC prennent-ils
connaissance des cours auxquels ils s’inscrivent ? Quelle est leur
propension à s’inscrire à de multiples MOOC, et à
s’investir de manière simultanée au sein de plusieurs de ces
cours ? Comment la modalité de découverte d’un cours
influe-t-elle sur le nombre de cours au sein desquels un utilisateur
s’investit ?
La deuxième série de questions porte davantage sur le
comportement d’inscription au sein de FUN et fait écho aux
propos de Koller (2013). Quel est le lien entre nombre d’inscriptions
réalisées dans une plateforme donnée et investissement dans
les MOOC correspondant, l’investissement étant mesuré sur la
base de l’obtention des certificats ? Dans quelle mesure les
comportements d’inscription peuvent-ils nous donner des indices quant
à la manière dont l’apprenant a pris connaissance du
MOOC ? Enfin, comment les fluctuations des caractéristiques du
catalogue d’une plate-forme peuvent-elles influer sur la manière
dont les utilisateurs s’investissent dans chaque cours pris de
manière individuelle ?
Ce travail est réalisé sous l’angle du
« comportement d’inscription », terme qui
désigne tout comportement observable dont la description se base sur des
données d’inscription : nombre d’inscriptions
réalisées sur la plate-forme, rythme des inscriptions, etc. Sur le
plan notionnel, nous avons cherché à qualifier et à
quantifier les trajectoires qui conduisent à l’inscription au
prisme des notions de clé d’entrée et de visite, toutes deux
issues de la littérature sur les processus de sélection de
produits en ligne (Isaac et Volle, 2008), (Stenger et Bourliataux-Lajoinie, 2014).
Nous reprendrons la typologie de visites qu’ils proposent, en
distinguant notamment visites exploratoires, expérientielles et
expéditives ; nous reviendrons sur leur définition. Les
données d’inscription vont nous amener à proposer
l’hypothèse selon laquelle il existe une forte
représentation d’inscriptions issues de visites
expérientielles, qui correspondent à un mode de navigation
où l’utilisateur parcourt un catalogue sans nécessairement
avoir, en amont, une idée précise du type de MOOC qu’il
souhaite suivre. Cette hypothèse découle notamment d’une
forte représentation dans le jeu de données de ce que nous
appellerons les inscriptions groupées, qui correspondent au fait que les
participants réalisent des séries d’inscription dans un
intervalle de temps réduit, généralement inférieur
à une heure.
Si l’on s’attache à une définition stricte de la
notion de visite expérientielle, il faudrait des données
supplémentaires pour pouvoir identifier à quel type de visite
correspond une inscription en particulier : données de navigation
précédant l’inscription, données déclaratives
sur les intentions des participants au cours de ce processus de choix du cours.
Il est en pratique presque impossible d’obtenir toutes ces données,
et à plus forte raison de les croiser par le biais d’identifiants
uniques. Nous ne proposons pas ici une équivalence entre visite
expérientielle et inscription groupée, d’autant que des
stratégies mixtes peuvent exister : la première inscription
d’une série d’inscriptions groupées peut être
issue d’une visite exploratoire tandis que les suivantes peuvent
être issues d’une visite expérientielle. Notre
hypothèse postule simplement l’existence d’une
corrélation entre un type d’inscription et un type de visite.
En conclusion de cet article, nous proposerons une nouvelle hypothèse
à la suite des différentes analyses que nous aurons
présentées tout au long de l’article : les
caractéristiques des catalogues de cours en ligne (comme le nombre et la
nature des cours proposés), payants ou non, influent de manière
importante sur les comportements observables au sein des cours qu’ils
hébergent. Il peut dès lors être intéressant de se
pencher sur ces catalogues si l’on veut prendre pleinement la mesure des
dynamiques observées au sein de dispositifs individuels, mais aussi sur
les évolutions successives d’un dispositif au fil du temps. Dans
cette contribution, nous écartons la question des apprentissages
réalisés par les utilisateurs, pour nous focaliser sur celle de
leur engagement au sein des dispositifs.
2. Des travaux sur les MOOC aux recherches sur l’attrition en
formation
2.1. Des comportements d’inscription peu étudiés
La rareté des études portant sur le
comportement d’inscription s’explique sans doute par le
caractère stratégique des données d’inscription, de
sorte que les premiers travaux sur la question ne sont pas l’œuvre de
chercheurs, mais des plateformes elles-mêmes. Ainsi la fondatrice de Coursera mobilise ces données avant tout pour minimiser la
portée des faibles taux de certification des MOOC (Koller, 2013), c’est-à-dire pour répondre à la critique
récurrente selon laquelle la faible rétention des apprenants
signifie que les MOOC « ne marchent pas ». Bien que les
quelques chiffres avancés par Koller suggèrent que le
comportement d’inscription constitue l’une des clés de la
compréhension des taux de certification, les statistiques fournies sont
maigres. Elles portent sur des millions d’individus et des centaines de
cours, mais elles manquent de précision : tout au plus sait-on que
les utilisateurs sont inscrits à environ quatre cours en moyenne.
à notre connaissance, le lien entre comportement d’inscription
et taux de certification n’a été étudié que
dans un nombre limité de publications (Albo et al., 2016), (Anderson et al., 2014), (Banerjee et Duflo, 2014), (Perna et al., 2016),
et le plus souvent sous l’angle du délai entre la date
d’inscription et la date de lancement du cours. Plusieurs de ces auteurs
cherchent à identifier quelles sont les inscriptions qui sont les plus
susceptibles de déboucher sur un investissement des participants. Ils
montrent que celles qui sont réalisées plusieurs mois en avance
ont nettement moins de chances d’aboutir à l’obtention du
certificat que celles qui sont réalisées dans les jours qui
précèdent ou suivent le lancement du cours.
Quant au problème de l’inscription à de multiples cours
– par là nous entendons le fait d’avoir réalisé
plus d’une inscription sur une plate-forme donnée – elle
reste largement sous-investie. Si certains rapports (Chuang et Ho, 2016), (Université d’Edimbourg, 2013) évoquent la question, ils se cantonnent aux MOOC d’un nombre
réduit d’établissements, sans que l’analyse ne prenne
en compte l’ensemble des cours hébergés par la plate-forme
attenante. On ne peut ainsi voir qu’une partie réduite du
comportement d’inscription. Au-delà de ce problème, les
analyses ne se réclament pas d’une quelconque problématique.
Il s’agit tantôt de fournir des statistiques descriptives –
nombre de participants inscrits à un, deux, trois cours de
l’établissement, tantôt de décrire les trajectoires
des participants d’une discipline à l’autre, des cours
d’informatique aux cours de littérature par exemple.
À notre connaissance, l’analyse des données de MiriadaX (Albo et al., 2016) constitue l’une des seules recherches publiées dans la
littérature scientifique portant sur les comportements
d’inscription à l’échelle de l’ensemble du
catalogue de cours d’une plate-forme. L’étude porte sur
près de 200.000 participants répartis dans 144 cours.
Néanmoins, les auteurs se cantonnent à établir des
corrélations entre le nombre d’inscriptions par cours et des
variables sociodémographiques comme le niveau d’études ou le
pays de résidence. Ils cherchent à montrer qu’il n’y a
pas de différence majeure dans le comportement d’inscription entre
différents pays hispanophones. Nous apprenons par exemple que les
argentins s’inscrivent approximativement à autant de cours que les
espagnols. S’ils se basent sur les données d’inscription, les
auteurs ne cherchent pas à établir de lien entre comportement
d’inscription et taux de certification.
2.2. Les travaux sur l’attrition en formation
Avant de présenter les notions que nous avons mobilisées dans
cet article, nous proposons une brève revue des travaux sur
l’attrition en formation, qui ont largement inspiré les analyses
présentées ici, et sur les taux de certification dans les MOOC.
Les MOOC constituant un cas particulier de formation à distance,
l’attrition que l’on y observe est parfois analysée au prisme
des travaux sur l’attrition en formation à distance (Cisel, 2016). Ces
travaux prennent leur origine dans les recherches sur l’attrition, ou son
contrepoint, la rétention, observée dans les universités
nord-américaines (Tinto, 2006).
L’attrition est alors considérée au sein d’une
institution donnée et correspond à la part des étudiants
inscrits qui n’obtiennent pas le diplôme correspondant (Tinto, 1975). Une
vaste littérature s’est développée sur le sujet
à partir des années 1970. Deux décennies de recherches sur
l’attrition avaient permis d’en distinguer plusieurs formes,
c’est-à-dire plusieurs causes immédiates d’une
interruption des études : retrait volontaire lorsque
l’interruption de la formation correspond à une décision
positive et échec académique lorsque cette décision est
subie, notamment du fait de mauvaises notes (Vaughan, 1968).
Cette première typologie est complétée par des
éléments comme le retour, ou le transfert (Hackman et Dysinger, 1970),
pour prendre en compte le fait que les étudiants peuvent se
réinscrire à l’établissement initial ou
s’inscrire dans un autre établissement.
Si ces quelques notions ont une valeur descriptive certaine, elles montrent
leurs limites dès lors que l’on s’intéresse aux
mécanismes qui ont conduit au retrait volontaire ou à
l’échec académique. C’est dans ce contexte
qu’est apparu le modèle de rétention de Tinto (Tinto, 1975), qui
constitue le point de départ d’une série de travaux dans ce
domaine (Munro, 1981), (Tinto, 1982), (Tinto, 1987). Il
prend notamment en compte l’intégration sociale des
étudiants, c’est-à-dire les relations qu’ils
établissent avec leurs pairs, mais aussi l’intégration
académique, qui se focalise, elle, sur les relations avec le corps
enseignant et le rapport aux disciplines étudiées. Ce type de
modèle connaît de multiples transformations afin de l’adapter
aux caractéristiques de la formation à distance (Boshier, 1973), (Bean et Metzner, 1985), (Garrison, 1985), (Kember, 1989), (Kemp, 2002), (Sweet, 1986). Ces
modèles visent à prendre en compte le fait que l’on
étudie bien souvent des cours isolés dont les
caractéristiques particulières pèsent de manière
considérable dans la décision d’interrompre la formation.
Par ailleurs, le public est souvent constitué d’apprenants adultes
engagés dans la vie professionnelle.
Une grande partie des travaux réalisés sur l’attrition
dans les MOOC se base, explicitement ou implicitement, sur des méthodes
ou des concepts qui ont été développés dans cette
dernière littérature (Barak et al., 2016), (Breslow et al., 2013), (Gillani et Eynon, 2014), (Greene et al., 2015), (Kizilcec et Schneider, 2015), (Rosé et al., 2014).
Les auteurs reprennent ainsi souvent des données issues de questionnaires
(motivations sous-jacentes à l’inscription, intentions,
études passées) qu’ils croisent avec les données
relatives à l’attrition. Qu’ils soient focalisés sur
les universités, la formation à distance ou les MOOC, ces travaux
ont en commun le fait de se concentrer sur ce qui se passe une fois
l’inscription réalisée. Or c’est à ce qui se
passe en amont de l’inscription que nous nous intéressons dans le
cadre de cet article.
Une remarque faite par Tinto (Tinto, 1975) s’est révélée inspirante à cet égard.
L’auteur souligne l’importance de raisonner à
l’échelle d’un système éducatif dans son
ensemble et non à l’échelle d’un cours ou d’une
université. C’est à la suite de cette injonction que nous
avons cherché à aborder la question des utilisations des MOOC en
raisonnant à l’échelle d’une plate-forme.
L’analogie a ses limites (après tout, un cours en ligne n’est
pas une université, pas plus qu’une plate-forme de cours ne
représente un système éducatif), mais nous empruntons
volontiers à Tinto l’idée selon laquelle on ne saurait
appréhender pleinement les dynamiques d’un dispositif qui
s’insère dans un réseau d’autres dispositifs, sans se
pencher sur les dynamiques qui animent ce réseau.
Dans le cas d’un MOOC, cela signifie chercher à
appréhender comment les participants parcourent les catalogues, passent
éventuellement d’un cours à l’autre (comme on peut se
désinscrire d’une unité d’enseignement pour
s’inscrire à une autre, dans une université) et quelles sont
les trajectoires qui ont conduit à l’inscription au cours. En
d’autres termes, nous nous penchons également sur le parcours de
navigation entre les pages Web, qui a précédé
l’inscription au MOOC. Ce changement de perspective impose un
renouvellement des cadres conceptuels guidant les analyses, ce qui nous a
amené à nous pencher sur des notions issues de la
littérature consacrée au processus de sélection de produits
en ligne.
3. Des notions pour appréhender les modalités de
sélection d’un produit sur Internet
3.1. La notion de clé d’entrée
Les notions que nous mobilisons dans cette
contribution ont été développées afin de mieux
comprendre les comportements d’achat sur Internet, et plus
particulièrement les modalités de sélection de toutes
sortes de produits, payants ou non, au sein de catalogues. À cet
égard, nous nous situons, avec les MOOC organisés en catalogues,
dans le domaine de validité de ces notions. Le fait de considérer
un cours en ligne comme un produit comme un autre peut questionner le chercheur
ou le praticien. Certes, nous avons réalisé ce travail sur des
cours gratuits, aux certificats gratuits — nous avons analysé des
processus de sélection de produits et non des processus d’achat
à proprement parler. Mais cette logique de la gratuité des MOOC a
régressé partout dans le monde au cours de ces dernières
années (Cisel, 2016), et
la question de l’achat n’a plus grand-chose de métaphorique,
au moins outre-Atlantique.
Plusieurs notions ont été mobilisées au cours de cette
recherche, notamment « la clé
d’entrée ». Elle désigne le processus qui a
conduit à la sélection d’un produit, ce qui correspond dans
notre cas à l’inscription au cours. Deux modalités y sont
associées, la « clé d’entrée
plate-forme » d’une part, et la « clé
d’entrée produit » d’autre part : « Soit l’internaute se rend sur un site
avec une vague idée des produits qu’il souhaite acheter, soit il
souhaite acheter un ou plusieurs produits sans avoir nécessairement une
idée très précise des sites marchands où il peut les
acheter. Dans le premier cas, la clé d’entrée est le site
marchand à visiter, alors que dans le deuxième cas, la clé
d’entrée est le produit à acheter » (Isaac et Volle, 2008).
Les auteurs font l’analogie entre la « clef
d’entrée plate-forme » et le
« lèche-écran ». Un exemple de
« clef d’entrée plate-forme » est
représenté par le système de recommandation
d’Amazon, qui, sur la base des données
récoltées sur des comportements antérieurs, pousse les
utilisateurs connectés à sélectionner des produits dont ils
ignoraient l’existence. Les auteurs croisent ces deux notions avec le
degré de connaissance des plates-formes et des produits. Soit
l’internaute connaît bien l’offre (les sites, les
catégories de produits), soit il la connaît peu. Le croisement de
ces deux niveaux avec la clé d’entrée génère
quatre types de visites que nous allons définir par la suite :
expérientielle et expéditive pour la clef d’entrée
plate-forme, exploratoire et comparative pour la clef d’entrée
produit.
3.2. Quatre types de visites
Dans le cas de la « visite expérientielle »,
« les motivations de visite sont plutôt hédonistes
(découvrir une offre originale, se faire surprendre, se promener dans un
vaste assortiment, comme une caverne d’Ali Baba, etc.). Les visites
régulières sur PriceMinister ou sur eBay rentrent dans cette
catégorie d’achat expérientiel » (Isaac et Volle, 2008, p. 213).
Ce cas correspond notamment aux participants qui, après avoir
découvert une plate-forme y reviennent régulièrement pour
vérifier si de nouveaux cours sont susceptibles de les intéresser,
sans avoir une idée précise de la thématique sur laquelle
ils désirent se former.
Dans le cas de la « visite expéditive »,
« l’internaute se rend sur un site pour réaliser un achat
assez précis. Soit il connaît l’offre de ce site pour ce
produit (il a vu une offre sur une publicité ou un ami lui en a
parlé, par exemple) ; soit il sait [...] que ce site est le meilleur
pour telle catégorie de produit. [...] À la différence du
précédent, ce processus de décision est guidé par un
objectif précis : les motivations de visite sont plutôt
utilitaires » (ibid.). Cela correspond dans notre cas aux personnes
qui vont s’inscrire à un MOOC après en avoir entendu parler
sur Internet, mais hors de la plate-forme, ou après y avoir
été incitées par un tiers. Ils ne se connectent à la
plate-forme que pour s’inscrire à un cours précis
identifié auparavant.
Dans le cas de la « visite exploratoire »,
« l’internaute souhaite réaliser un achat dans une
catégorie précise, mais ne connaît pas les sites à
visiter. Il choisira probablement de surfer sur des sites connus dans le
commerce physique, ou bien de saisir le nom de la catégorie de produits
sur un moteur de recherche ou sur un comparateur » (ibid.). Dans ce
cas, le participant sait de manière relativement précise dans quel
domaine il souhaite se former. En revanche, il ne sait pas nécessairement
quel site utiliser, ni même quel format d’apprentissage adopter
(MOOC, tutoriels, etc.). Une schématisation de deux types de visite
(exploratoire et expérientielle) conduisant à une inscription est
présentée en figure 1.
Enfin, dans le cas de la « visite comparative ou
évaluative », « l’internaute souhaite
réaliser un achat précis et connaît les sites qui
commercialisent la catégorie de produits recherchée. [...]
L’internaute va donc comparer les différents sites qui font partie
de son ensemble de considération. Ce processus de décision est
guidé par un objectif précis » (ibid.). Pour satisfaire
à la définition de la visite comparative, il faudrait que
l’utilisateur cherche à se former sur un sujet précis via un
MOOC et compare les pages de présentation de ces différents cours
portant sur une thématique similaire. Par ailleurs, il faudrait que la
comparaison entre ces différents cours puisse déboucher sur la
possibilité de s’inscrire à au moins une des formations.
Cela impliquerait qu’elles soient organisées sur des
périodes similaires.
Figure 1 • Schématisation de 2 types de visite menant à une
inscription : exploratoire (A), expérientielle (B)
Pour que l’on puisse parler de visite comparative, nous avons
considéré que la similitude entre les cours devait être
très élevée. Les cours doivent être dans la
même langue, gratuits, avec une date de début et une date de fin
séparées de quelques semaines. L’analyse de la structure de
l’écosystème MOOC au moment de la réalisation de cet
article (Cisel, 2016) montre clairement que FUN constitue l’acteur majoritaire des MOOC
francophones et que, dès lors, c’est au sein même de son
catalogue que des visites comparatives sont le plus susceptibles d’avoir
lieu. Or sur FUN, le nombre de cours ouverts aux inscriptions sur une
période donnée est généralement inférieur
à une vingtaine (Cisel et Leh, 2017),
et les thématiques de ces formations divergent suffisamment pour que
l’on puisse exclure la visite comparative. Le caractère
délimité dans le temps des MOOC fait qu’il y a en pratique,
à un moment donné, peu de compétition entre cours portant
sur les mêmes thématiques (Cisel, 2016).
Dès lors, nous avons fait le choix d’écarter les visites
comparatives de cette étude, pour nous concentrer sur les visites
expérientielles, exploratoires et expéditives.
4. Méthodologie
4.1. Une enquête diffusée dans une douzaine de cours
L’enquête a été
réalisée à l’automne 2015 auprès de douze MOOC
organisés sur FUN et d’un MOOC organisé sur Canvas.net. Elle
se base sur la collecte de données recueillies via des questionnaires
diffusés par nos soins, ou par des partenaires au sein de leur formation.
Elle a permis de collecter 8545
réponses2. Les questionnaires
ont été élaborés sur la base des notions que nous
venons de présenter et de données obtenues par le biais de
quarante entretiens semi-directifs réalisés dans une
précédente étude. L’analyse de ces entretiens nous a
permis d’orienter la formulation des questions en légitimant la
pertinence des catégories de visites issues de la littérature
– voir (Cisel, 2016) pour
une présentation de ces entretiens. Nous qualifierons de
« répondant » toute personne ayant répondu
à un questionnaire.
Une partie des questions de l’enquête, notamment celles relatives
aux catégories socioprofessionnelles des participants, est issue des
nomenclatures de l’INSEE. L’inscription à de multiples cours
et le suivi simultané de différents cours est également
traitée dans ce questionnaire. Ces questions s’inspirent
partiellement d’une traduction du questionnaire diffusé par la
plate-forme américaine Coursera. La mise au point des questions
relatives aux comportements d’inscription a fait suite à
l’analyse des entretiens (Cisel, 2016) et
à celle des notions de clé d’entrée (cf. section
2.1). La formulation exacte des questions sera présentée dans la
partie consacrée aux résultats.
En ce qui concerne le type de visite, nous avons
cherché à identifier deux paramètres : le média
à travers lequel le participant a entendu parler du cours pour la
première fois, que ce média soit une plate-forme
d’hébergement, un mail, un article de blog ou tout simplement une
autre personne, et le processus qui a conduit à l’inscription. Nous
avons notamment cherché à déterminer dans quelle mesure
l’intention de se former à la thématique du cours
précédait ou non la découverte du MOOC sur la plate-forme.
Dans le reste de l’enquête, nous posons des questions relatives
à l’inscription à d’autres plates-formes de MOOC. En
effet, un certain nombre de participants sont inscrits en plus de FUN à
d’autres plates-formes de cours comme Coursera ou edX, et en
nous cantonnant à la seule plate-forme française,
accessibilité des données oblige, nous ne voyons qu’une
partie du comportement des utilisateurs vis-à-vis des MOOC et
d’autres types de formations auxquelles ils peuvent être inscrits.
L’analyse de l’enquête quantitative permet
d’apprécier partiellement l’importance de ce biais.
Nous avons utilisé Google Form au cours de cette enquête,
cet outil permettant de réaliser des questions « à
tiroir », c’est-à-dire que certaines réponses
appellent des questions spécifiques. Il présente l’avantage
de pouvoir être intégré directement au sein du cours par la
procédure dite de l’embed, cette intégration
augmentant considérablement les taux de réponse, par rapport
à une stratégie qui consisterait à diffuser un lien vers un
outil extérieur à la plate-forme, comme Limesurvey. Tous
les questionnaires étaient diffusés au cours de la première
semaine de la formation, sans que nous ne puissions maîtriser le jour de
la semaine où la diffusion aurait lieu, ce choix étant à la
discrétion des équipes pédagogiques partenaires. Dans la
mesure où il y a souvent une chute de l’engagement des participants
au cours de la première semaine du MOOC (Cisel, 2016), le
choix du jour peut affecter légèrement le nombre de
réponses obtenues. Néanmoins, rien ne laisse à penser que
la répartition des différentes réponses puisse être
affectée par la décision des équipes.
L’approche par enquête présente l’avantage
d’autoriser l’accès à des éléments du
comportement des participants qui ne laissent pas de traces d’interaction,
et d’articuler aisément notions mobilisées et collecte de
données. Elle souffre néanmoins du biais
d’auto-sélection inhérent à toute enquête en
ligne ; aussi avons-nous cherché à compléter cette
approche par l’analyse d’un jeu de données volumineux dont
l’accès nous a été permis grâce à une
collaboration étroite avec FUN.
4.2. Données d’inscription de la plate-forme FUN
Les données d’inscription de FUN ont été
extraites par l’équipe technique de la plateforme au 20/09/2015, et
portent dès lors sur deux années d’inscriptions ; elles
concernent 168 cours. Ces données comportent pour chaque inscription une
date, l’identifiant du cours, l’identifiant anonymisé de
l’utilisateur et l’obtention éventuelle du certificat
associé au cours. Rappelons que l’inscription aux cours est
gratuite et que pendant la période que couvre l’analyse,
l’obtention des certificats sur FUN, qui prennent
généralement le nom d’attestations de réussite, est
elle-même entièrement gratuite.
Le corpus comprend au total 1.047.445 inscriptions. On constate que 308.396
d’entre elles correspondent à des cours qui n’ont pas
commencé ou qui ne sont pas terminés au moment de
l’extraction des données. Elles ont donc été exclues
de toute réflexion sur les taux de certification, le corpus étant
réduit à 119 cours.
À partir des données d’inscription brutes, nous avons
bâti un certain nombre d’indicateurs visant à décrire
chaque inscription. Nous qualifierons une inscription de
« certifiante » dès lors qu’elle
débouche sur l’obtention d’un certificat, et de
« non certifiante » dans le cas contraire. Par ailleurs,
nous parlerons de « certifiés » pour désigner
les utilisateurs obtenant au moins un certificat sur la plate-forme FUN et de « non-certifiés » pour désigner les
autres utilisateurs.
Nous parlerons « d’inscriptions multiples » pour
désigner les inscriptions de participants qui se sont inscrits à
plusieurs MOOC sur la plate-forme hébergeant le cours, et
« d’inscription unique » si le participant ne
s’est inscrit qu’à un seul cours sur la plate-forme, sur la
période que couvre l’analyse.
Une inscription sera dite « groupée » dès lors qu’une autre inscription aura été
réalisée par le même utilisateur dans la même
journée, et « isolée » dans le cas
contraire. On dira d’une inscription qu’elle correspond à un
« retour » si elle a lieu dans un cours où
l’utilisateur s’était déjà inscrit.
La logique qui sous-tend le traitement de ces données diffère
sensiblement de celle de l’enquête présentée
auparavant, dans la mesure où les analyses menées, si elles sont
inspirées de notions comme la clé d’entrée,
relèvent d’une approche plus inductive. Nous sommes conscients du
fait que le comportement d’inscription n’est que partiellement
caractérisé par les données de FUN. Dès lors, dans
la discussion (section 6), nous présenterons un certain nombre
d’arguments pour justifier en quoi les indicateurs que nous avons
mobilisés peuvent être révélateurs des
modalités de découverte des cours.
5. Résultats
Nous présenterons en premier lieu les
résultats de l’enquête, en croisant différentes
variables comme la modalité de découverte du cours et le nombre de
MOOC suivis, puis nous reviendrons sur l’analyse des données
d’inscription, en fournissant un certain nombre de statistiques
descriptives sur des indicateurs d’intérêt.
5.1. L’analyse des types de visite basée sur les
enquêtes
Par les enquêtes diffusées
principalement sur FUN, nous avons analysé la
manière dont les participants avaient entendu parler du cours pour la
première fois et, d’autre part, si la volonté de se former
à la thématique correspondant au cours préexistait à
sa découverte. La combinaison de ces deux éléments suffit
à qualifier de manière relativement précise la nature
d’une visite ou, en d’autres termes, la modalité de
découverte du cours. Dans un second temps, nous nous sommes penché
sur le nombre d’inscriptions réalisées sur la plate-forme et
au nombre de cours suivis en parallèle. Par la suite, nous avons
cherché à établir le lien entre modalité de
découverte du MOOC et nombre de MOOC suivis en parallèle. Ces
cours sont généralement suivis sur la même plateforme
– 80% du temps, les inscriptions multiples sont réalisées
sur FUN (Cisel, 2016),
mais peuvent être aussi suivis sur d’autres plateformes, comme Coursera ou edX. Néanmoins, cette considération
n’affecte pas outre mesure la nature de notre propos.
Concernant la question portant sur la nature de la visite, formulée en
ces termes : « Parmi les affirmations suivantes, quelle est
celle qui correspond le plus à votre situation ? »,
nous proposons quatre modalités de réponse :
1. C’est en naviguant sur la plate-forme que j’ai
découvert ce MOOC et que j’ai décidé de
m’inscrire, mais je n’avais pas l’intention de me former
à cette thématique avant de découvrir cette
formation ;
2. J’ai entendu parler de ce MOOC hors de la plate-forme
(bouche-à-oreille, article, etc.) et j’ai décidé de
m’inscrire de ma propre initiative, mais je n’avais pas
l’intention de me former à cette thématique avant
d’entendre parler de cette formation ;
3. On m’a contraint à m’inscrire, ou fortement
incité ;
4. J’avais l’intention de me former à la thématique
de ce MOOC avant de le découvrir, et c’est en faisant des
recherches que je l’ai découvert et que je m’y suis
inscrit.
La première réponse correspond à une visite
expérientielle, dans la mesure où le participant découvre
le cours pour la première fois via la plate-forme et n’a pas en
amont de la visite une idée précise du produit qui
l’intéresse. Les réponses 2 et 3 correspondent à une
visite expéditive. La seule différence entre ces deux cas de
figure réside dans le fait que dans un cas, le cours n’est pas
prescrit, tandis qu’il l’est dans l’autre cas. En termes de
visite, le résultat est le même, puisqu’il se passe a priori
peu de temps entre la connexion à la plate-forme et l’inscription
au cours. La dernière réponse correspond à une visite
exploratoire.
Nous labélisons respectivement ces différentes réponses
par le type de visite correspondant : expérientiel, expéditif
non prescrit, expéditif prescrit, et exploratoire. Les pourcentages
suivants portent sur l’ensemble des cours de
l’étude3 :
54 %(±15) (N = 8545) des répondants
considérés n’avaient pas l’intention de se former
à la thématique du cours avant de le découvrir. Parmi les
réponses, 38 % (±13) correspondent à une visite
expérientielle, 16 % (±6) à une visite expéditive
non prescrite, 7 % (±11) à une visite expéditive
prescrite et 33 % (±10) à une visite exploratoire. Enfin,
6 % (±2) estiment être dans une autre situation.
Au sein des enquêtes, la visite expérientielle est la plus
représentée des visites et la clé d’entrée
plate-forme en général – qui combine visites
expérientielle et expéditive – semble l’emporter sur
la clé d’entrée produit. Les biais
d’auto-sélection limitent néanmoins la
représentativité de ces réponses, d’autant que les
enquêtes ont été diffusées principalement sur la
plateforme FUN, sans qu’il soit aisé de déterminer de quelle
manière.
Etudions maintenant le lien entre modalité de découverte du
cours et nombre d’inscriptions réalisées dans d’autres
MOOC. Pour ce faire, nous avons utilisé les deux questions
suivantes :
« Combien de MOOC avez-vous commencé jusqu’à
présent en dehors de ce MOOC-ci ? Par
« commencer », nous entendons avoir consacré au moins
une heure au MOOC » ;
« Combien de MOOC êtes-vous en train de suivre en ce
moment en plus de celui-ci ? Par « suivre », nous
entendons vous investir au moins une heure par semaine sur le
MOOC ».
La plupart des répondants s’étaient déjà
inscrits à un autre MOOC, et la majorité – 63 % –
suivait au moins un autre cours en
parallèle4 (tableau 1).
Tableau 1 • Nombre
d’inscriptions réalisées à d’autres MOOC et
nombre de MOOC concomitants avec le cours où est diffusée
l’enquête. N = 8545.
Nous avons ensuite croisé la variable que représente la modalité de
découverte du cours avec le nombre de MOOC suivis en parallèle.
Après avoir regroupé les différents types de visites
expéditives dans une même catégorie, on constate que les
participants dont la visite est expéditive sont ceux qui suivent le moins
de cours en simultané (voir figure 2), la différence avec les
autres formes de visites étant statistiquement significative
(chi = 535, ddl = 10,
p-value < 10-4). Seuls 27 % des répondants
issus d’une visite expérientielle à ne suivre aucun autre
cours en simultané. Cette proportion monte à 68 % pour les
participants issus d’une visite expéditive. Le cas de la visite
exploratoire est intermédiaire, avec 41 % des participants qui en
sont issus qui ne suivent aucun autre MOOC. Il existe une corrélation
entre le nombre de MOOC suivis en simultané, ainsi que le nombre de MOOC
auxquels le participant s’est inscrit, et le type de visite associé
à l’inscription.
Cet élément constitue à nos yeux un indice concordant en
faveur de l’hypothèse selon laquelle l’inscription à
de multiples cours est plus représentée dans le cas des visites
expérientielles. Les données d’inscription de la plate-forme
FUN vont nous permettre de préciser notre propos en nous permettant de
quantifier l’importance des inscriptions groupées.
Figure 2 • Croisement
entre type de visites ayant conduit à l’inscription et nombre de
MOOC suivis en parallèle par le participant, sur la base de
l’enquête. N = 7850.
5.2. Une analyse des données d’inscription de FUN
L’analyse des données de FUN peut être
décomposée en trois temps. Dans un premier temps, nous analysons
la propension des utilisateurs à s’inscrire à de multiples
cours au sein de la plate-forme, ainsi qu’au rythme auquel sont
réalisées ces inscriptions. Notre interprétation de ces
données est que les inscriptions sont, dans une large mesure, issues de
visites expérientielles. Dans une deuxième partie, nous nous
fondons sur cette interprétation pour montrer que les comportements
observés au sein de cours individuels sont influencés par le
contexte dans lequel s’inscrit un cours, et en particulier des
caractéristiques du catalogue auquel il appartient. Nous verrons que des
caractéristiques des inscriptions, déterminantes pour
l’engagement dans le cours, peuvent fluctuer au fil du temps, du fait de
dynamiques propres aux plates-formes d’hébergement et à leur
catalogue. Dans une troisième partie, nous nous pencherons sur la
question du retour, c’est-à-dire sur le fait qu’un
utilisateur se réinscrit parfois à la deuxième ou à
la troisième itération d’un cours après
s’être inscrit à une version antérieure de la
formation, ce qui peut modifier sensiblement les utilisations qui sont faites du
cours.
5.2.1. Inscriptions groupées et taux de certification
L’analyse des données d’inscriptions montre que 51 %
des utilisateurs de FUN ne s’inscrivent qu’à un
seul cours à l’échelle de la plate-forme, ils
représentent 20,2% des inscriptions ; 79,8 % des inscriptions
sont donc le fait d’utilisateurs s’inscrivant à plusieurs
cours et correspondent dès lors à ce que nous avons défini
comme des inscriptions multiples. À l’échelle de FUN, les
utilisateurs s’inscrivent à 2,7 cours en moyenne.
L’inscription à de nombreux cours constitue un
phénomène central au sein de la plate-forme : 29,3 % des
inscriptions sont réalisées par des participants ayant
réalisé dix inscriptions ou plus et, parmi celles-ci, 7,3 %
sont le fait de participants qui ont réalisé trente inscriptions
ou davantage. Les utilisateurs qui ont obtenu au moins un certificat sur la
plate-forme, i.e. les certifiés, représentent 11,3% des
utilisateurs. Ils s’inscrivent généralement à plus de
cours que ne le font les non-certifiés. En effet, ces derniers sont
inscrits à 2,3 cours en moyenne, tandis que les certifiés sont
inscrits à 4,5 cours en moyenne.
Sur les 669.423 inscriptions multiples étudiées, 46 % sont
groupées, c’est-à-dire qu’une autre inscription a
été réalisée dans une même journée. Le
reste des inscriptions est isolé. Pour 18 % des inscriptions
multiples étudiées, entre un jour et un mois sépare deux
inscriptions consécutives et dans 33 % des cas, cet écart est
compris entre un mois et un an. Ces résultats suggèrent que
près de la moitié des inscriptions de FUN sont le
fait d’utilisateurs qui s’inscrivent la même journée
à plusieurs cours d’affilée. De plus, 73 % de ces
inscriptions groupées sont réalisées le premier jour de
l’inscription sur la plate-forme.
Enfin, les inscriptions isolées sont celles dont les taux de
certification sont les plus élevés - 12,5 % en moyenne, 19%
pour les inscriptions isolées réalisées lors de la
première inscription à un cours de la plate-forme, tandis que les
taux de certification des inscriptions groupées avoisinent 5 %. Une
régression logistique publiée précédemment (Cisel, 2017) confirme le lien statistique entre non-obtention du certificat et
caractère groupé de l’inscription. Nous interprétons
ce résultat comme découlant du fait que les visites
expérientielles, où l’inscription est moins synonyme
d’investissement, sont surreprésentées parmi les
inscriptions groupées.
Le deuxième élément qui, selon nous, vient étayer
le fait que les inscriptions groupées découlent de visites
expérientielles réside dans le faible écart temporel qui
les sépare. Pour la plupart des inscriptions groupées
réalisées dans la même journée, celui-ci se compte en
minutes. Nous avons analysé pour 376.541 inscriptions groupées ne
correspondant pas à une première inscription l’écart
temporel qui les séparait de l’inscription précédente
(figure 3).
Figure 3 • Pour les inscriptions groupées,
répartition des écarts temporels (T) en minutes, séparant
l’inscription réalisée de l’inscription
précédente. N = 376541.
Cet écart est inférieur à une
minute dans 13% des cas ; il est compris entre une et deux minutes dans 33%
des cas, entre deux et dix minutes dans 29% des cas, et supérieur
à dix minutes dans seulement 25% des cas. On conçoit difficilement
que des visites exploratoires, qui nécessitent par définition de
réaliser un certain nombre de recherches sur Internet, ou même des
visites expéditives, puissent déboucher, en un temps aussi court,
sur diverses inscriptions au sein de la plate-forme. Pour aller plus loin, il
serait nécessaire de disposer des traces de la navigation
éventuelle sur la plate-forme qui a pu précéder les visites
ayant conduit à l’inscription (Clow, 2013) ;
elles nous permettraient de préciser la manière dont l’offre
a été explorée et dont les décisions ont
été prises.
L’analyse des données montre que les inscriptions
groupées, et de manière plus générale les
inscriptions multiples, correspondent à des cours qui sont
organisés sur des périodes similaires, ce qui peut faire
décroître encore la probabilité qu’ils
débouchent sur l’obtention du certificat. Nous constatons que, dans
près de 12 % des cas, les cours consécutifs, pour un individu
donné, commencent le même jour ; dans 40 % des cas, le
délai entre deux cours consécutifs d’un utilisateur est
compris entre une journée et deux semaines, et ce délai
n’est supérieur à deux mois que dans 21 % des cas. Ceci
est à mettre en relation avec le fait que les cours durent en moyenne six
semaines sur FUN (Cisel, 2016) ;
lorsque le délai entre deux cours est inférieur à six
semaines, il y a de fortes chances que ceux-ci se superposent.
Ainsi, pour les inscriptions multiples, le taux de certification est de
7,4 % lorsque deux cours sont lancés le même jour, pour les
deux cours considérés ; le taux monte à 14,1 %
pour le premier cours lorsque le délai le séparant du suivant est
supérieur à deux mois. En d’autres termes, plus les dates de
lancement sont rapprochées les unes des autres, plus faible est la
probabilité de terminer chacun de ces cours pris individuellement. La
régression logistique (Cisel, 2017) confirme que ces différences sont statistiquement très
significatives. Il est fort probable que les participants s’inscrivent
sans avoir les moyens temporels de suivre simultanément autant de cours
qui se superposent. Ce choix est-il délibéré ou non ?
Cette question sera traitée dans la discussion.
Il existe donc un lien fort entre le fait de faire des inscriptions
groupées et le fait de ne pas obtenir le certificat. Nous allons voir que
la proportion des inscriptions groupées au sein des inscriptions
d’un MOOC varie considérablement d’un cours à
l’autre, et au fil des mois, pour des raisons qui sont
indépendantes des caractéristiques du cours.
5.2.2. Une fluctuation temporelle du nombre d’inscriptions
groupées
Pour 25 des 119 cours analysés, la proportion d’inscriptions
groupées est inférieure à 20 % ; pour 11 autres
d’entre eux, elle est supérieure à 40 %. Compte tenu
des faibles taux de certification associés à ces inscriptions,
cette proportion d’inscriptions groupées affecte le taux de
certification moyen d’un cours, comme nous l’avons vu dans les
régressions logistiques. Or la proportion des inscriptions
groupées réalisées à un instant donné fluctue
au fil du temps (figure 4). Ainsi, au moment du lancement de la plate-forme fin
2013, plus de 60 % des inscriptions multiples étaient
groupées. Cette proportion a chuté à 30 % juste avant
l’été 2014, pour remonter par la suite.
Il faudrait approfondir l’analyse pour mieux appréhender les
déterminants de ces évolutions, mais il est vraisemblable que
cette proportion soit liée à un certain nombre de
caractéristiques de la plate-forme, comme le nombre et la nature des
cours ouverts aux inscriptions sur une période donnée. Cette
hypothèse nous a amené à représenter sur la
même figure (figure 4), en bleu, l’évolution du nombre de
cours lancés au fil du temps. Mis à part au cours des premiers
mois de la plateforme, période durant laquelle aucun cours n’est
lancé mais où des inscriptions sont malgré tout
engrangées, on observe un certain parallélisme entre le nombre de
MOOC lancés et la proportion d’inscriptions groupées.
Néanmoins, une analyse statistique plus poussée incluant sans
doute davantage de plateformes, et fondée sur des analyses de
séries temporelles, serait nécessaire pour établir
rigoureusement le lien entre ces deux
Figure 4 • Évolution de la
proportion d’inscriptions groupées parmi les inscriptions de la
plate-forme en fonction de la date d’inscription
5.2.3. Le cas du retour des participants d’une itération sur
l’autre
À la question de l’environnement dans lequel s’inscrit le
MOOC s’ajoute celle de la trajectoire du dispositif, car un MOOC peut
connaître de multiples itérations susceptibles d’être
analysées globalement (Anderson et al., 2014).
C’est là une particularité des MOOC qui ne sont pas ouverts
en permanence, il peut y avoir retour d’inscrits d’une
itération sur l’autre (Bouchet et Bachelet, 2015).
Nous allons quantifier son importance avant d’en tirer les
conséquences en termes d’interprétation des analyses de
traces.
Pour appréhender l’importance quantitative de la
réinscription, nous avons analysé les données
d’inscription de quarante-six MOOC de FUN ayant connu au moins une
deuxième itération au cours de la période sur laquelle
porte l’étude, dont la moitié exactement est terminée
au moment de l’extraction des données. Ils correspondent à
101 itérations au total et à 603476 inscriptions, et
représentent donc l’essentiel des inscriptions de la plate-forme.
Comme (Chuang et Ho, 2016),
nous constatons une chute quantitative de l’audience au fil des
différentes itérations d’un même MOOC. En moyenne, le
nombre d’inscrits au cours d’une deuxième itération
d’un cours correspond à 74% (±33%) du nombre d’inscrits
de la première. Par ailleurs, on observe un phénomène de
réinscription d’une édition sur l’autre.
Sur ces quarante-six cours, si l’on se cantonne uniquement aux
deuxièmes itérations, on constate que 12,8 % des inscriptions
correspondent à des réinscriptions de participants à la
première itération. La proportion de ces réinscriptions
dans l’audience d’un cours ne passe jamais sous la barre des
5 %, et peut atteindre 37 % des inscrits dans certains cas. Les
individus qui se réinscrivent représentent en moyenne 7,8 %
des participants de la première itération du cours ; la
probabilité d’obtenir le certificat pour les participants qui se
réinscrivent est sensiblement inférieure à celle des autres
utilisateurs du cours : 9 % pour un réinscrit contre
10,5 % pour les autres participants.
Sans être négligeable, le phénomène du retour ne
joue que marginalement sur la question des taux de certification. Il est
plausible que les comportements de ces réinscrits diffèrent
sensiblement de ceux des autres participants, en particulier s’ils ont
déjà visualisé au cours de la première inscription
une partie des ressources du cours5.
Pour cette raison, ce n’est pas tant l’existence de nouvelles
itérations d’un cours qui nous semble intéressante à
prendre en compte pour mieux interpréter l’engagement des
participants dans le cours, mais plutôt celle du nombre de cours ouverts
à un moment donné. Sans pouvoir le démontrer formellement
à partir des données que nous avons présentées,
celles-ci nous amènent à émettre l’hypothèse
selon laquelle plus le nombre de cours ouverts à un instant donné
est élevé, plus un participant a tendance à réaliser
des inscriptions groupées, et plus l’engagement moyen dans chaque
cours décroît, qu’on le mesure en heures ou en nombre
d’actions réalisées.
6. Discussion
Nous introduirons la discussion par une
réflexion sur le lien entre les indicateurs issus de l’analyse des
données de FUN et les notions que nous avons présentées en
introduction. Sur la base de l’analyse de questionnaires et des
données d’inscription, nous avons étayé
l’hypothèse selon laquelle les MOOC de FUN étaient
caractérisés par une prédominance de la clé
d’entrée plate-forme sur la clé d’entrée
produit, via notamment les visites expérientielles. Cette
interprétation nécessite néanmoins une démonstration
plus poussée que celle que nous avons fournie jusqu’à
présent.
6.1. L’inscription groupée, un indicateur de visite
expérientielle ?
Nous expliquons l’importance des inscriptions groupées par
l’hypothèse selon laquelle la visite expérientielle
correspond à la modalité de découverte du cours la plus
fréquente ; en d’autres termes, les utilisateurs n’ont
généralement pas une idée précise du sujet sur
lequel ils veulent se former lorsqu’ils naviguent dans un catalogue.
D’autres explications sont néanmoins possibles ; les
paragraphes qui suivent visent à démontrer la plausibilité
moindre de ces interprétations.
Première explication alternative : l’inscription
groupée est associée le plus souvent à des visites
exploratoires, où le participant a déjà en tête une
idée de ce qu’il souhaite apprendre et il explore Internet à
la recherche d’une formation appropriée. Dès lors, une forte
représentation des visites exploratoires parmi les inscriptions
groupées signifierait qu’au cours d’une même
journée, un participant donné ait voulu, sans connaître
l’offre de la plate-forme, se former sur plusieurs sujets distincts, et
qu’incidemment l’offre de FUN ait correspondu à
ces différentes attentes, déclenchant une succession
d’inscriptions. Le nombre de cours de FUN ouverts aux inscriptions
à un moment donné ne dépasse qu’exceptionnellement la
trentaine (Figure 4). C’est assez pour autoriser des inscriptions
groupées, mais c’est vraisemblablement trop peu pour coïncider
avec des besoins préexistants d’autant de participants. Il est en
effet peu plausible qu’un nombre si élevé de participants,
d’une part, ait eu en tête une liste de thématiques sur
lesquelles se former et, d’autre part, ait trouvé dans
l’offre de la plate-forme, relativement réduite à un instant
donné, de nombreux cours correspondant à cette liste.
Deuxième cas, celui de la visite expéditive ; rappelons
qu’elle implique que l’utilisateur ait identifié en amont,
parce qu’un tiers lui aura suggéré un MOOC en particulier,
le cours auquel il veut s’inscrire dans le catalogue. Il ne navigue sur la
plate-forme que pour s’y inscrire. La prépondérance des
visites expéditives parmi les inscriptions groupées impliquerait
que nombre de participants ne se connectent que pour s’inscrire
successivement à plusieurs cours dont ils avaient entendu parler en
amont. Là encore, ce scénario paraît peu vraisemblable, si
tant est que l’on considère que les courriels envoyés par la
plate-forme aux utilisateurs pour les informer des nouveaux cours ne sont
qu’un prolongement du catalogue. Il faudrait pour cela qu’on leur
ait recommandé deux, trois, quatre cours parfois – ou qu’ils
les aient découverts dans un article de journal par exemple – cours
dont les inscriptions, incidemment, seraient ouvertes au moment où
l’utilisateur se connecte. Le scénario n’est pas impossible,
mais on peut douter de sa plausibilité.
Par élimination, la prévalence de visite expérientielle
constitue la meilleure explication pour interpréter la forte
représentation des inscriptions groupées. Cette hypothèse
ne signifie pas qu’il existe une équivalence entre inscriptions
groupées et visites expérientielles, mais simplement qu’il
existe une forte corrélation entre les deux. En effet, les entretiens que
nous avons menés par ailleurs (Cisel, 2016) suggèrent que la première inscription d’une série
d’inscriptions groupées peut être issue d’une
visite exploratoire ou d’une visite expéditive, et que seules la ou
les suivantes découlent à proprement parler de visites expérientielles. Le participant découvre la plate-forme car il
a entendu parler d’un cours en particulier, ou parce qu’il cherche
à se former sur un sujet défini ; après avoir
effectué cette première inscription, il parcourt pour le plaisir
l’offre de la plate-forme et s’inscrit à de nombreux autres
cours. Il est néanmoins impossible de détecter l’existence
de telles stratégies mixtes sur la base des seules données
d’inscription, sans donnée auto-déclarée. A
défaut de pouvoir collecter pour chaque inscription les modalités
de découverte du cours, la dimension qualitative (Cisel, 2016) de
notre enquête a permis d’éclairer certains des
mécanismes sous-jacents à ces inscriptions groupées, et de
manière générale, pourquoi les utilisateurs
s’inscrivent à plus de cours qu’ils ne peuvent en suivre a
priori.
6.2. De l’intention de l’utilisateur au moment de
l’inscription
Les entretiens nous ont permis en premier lieu de constater que les
participants peuvent sous-estimer le temps que prendra chaque MOOC
individuellement, réaliser une fois la formation commencée le
problème de la contrainte temporelle et se désengager d’au
moins un d’entre eux. Ils peuvent vouloir les comparer, pour choisir un
cours en particulier après quelques heures d’investissement. Ils
peuvent n’avoir aucune intention de s’engager dans la formation,
notamment lorsqu’ils cherchent avant tout, par l’inscription
à de multiples cours, à bénéficier de la
possibilité de retrouver le lien vers la formation plus facilement
s’ils veulent en consulter plus tard les ressources (on ne peut
accéder aux ressources d’un cours terminé qu’en
s’étant inscrit en amont). A cet égard, nos analyses vont
dans le sens des propos de Koller (Koller, 2013),
lorsqu’elle affirme que nombre d’utilisateurs s’inscrivent
sans véritable intention de suivre l’ensemble des cours choisis,
d’une part, et/ou qu’ils sont dans l’impossibilité de
suivre autant de MOOC de manière simultanée, d’autre
part.
Il s’agit d’un panel non exhaustif d’hypothèses dont
il est bien malaisé de mesurer l’importance respective du fait des
limites de l’approche par enquête. Certains auteurs ont
montré (Reich, 2014), sur
la base d’analyses croisant traces d’interaction et données
de questionnaire, que les biais d’auto-sélection limitaient
considérablement la possibilité d’appréhender les
intentions des répondants au moment de l’inscription.
6.3. Organisation en catalogues, trajectoires de dispositifs et analyses de
traces
Rappelons enfin que nous avons saisi l’opportunité offerte par
ces analyses pour montrer que les caractéristiques des inscriptions, et
donc l’engagement au sein des cours, pouvaient dépendre de
dynamiques propres à la plate-forme. Nous faisons en particulier
l’hypothèse que la visite expérientielle est d’autant
plus prépondérante au sein d’une plate-forme que
l’offre est riche sur le plan quantitatif. Toutes choses restant
égales par ailleurs, la multiplication des inscriptions est selon cette
hypothèse positivement corrélée au nombre de cours dont les
inscriptions sont ouvertes. Cette hypothèse pourrait être
testée sur la base d’études corrélationnelles
menées à l’échelle de différentes
plates-formes, visant à établir un lien entre le nombre de cours
ouverts à un instant donné et l’inscription multiple.
Une telle considération est sans doute pertinente dès lors que
l’on s’intéresse aux traces des cours en ligne
organisés en catalogues, qu’ils soient ou non payants et ouverts
à tout moment. Il en va de même pour la question de la trajectoire
d’un dispositif (que nous avons illustrée avec la question du
retour d’utilisateurs revenant de manière régulière).
Le problème du retour et de son impact sur les comportements des
utilisateurs n’a ici été
qu’évoqué ; il est spécifique des cours aux
itérations multiples, mais on peut arguer que la trajectoire du
dispositif mérite également d’être explorée
pour les cours en ligne ouverts en permanence. Sans parler de retour à
proprement parler, puisqu’il n’y a pas nécessairement
désinscription puis réinscription, il est vraisemblable que
certains apprenants ne s’engagent dans le cours que par à-coups.
Ils suivent une partie du cours sur un laps de temps réduit, quelques
jours par exemple, pour y retourner plusieurs semaines voire plusieurs mois plus
tard afin de bénéficier du reste de la formation, ou afin de
réviser des segments de la formation. Si la question a été
dans une certaine mesure étudiée sur les MOOC dits
« archivés » (Campbell et al., 2014),
c’est-à-dire inactifs mais accessibles aux personnes
s’étant déjà inscrites, elle n’a, à
notre connaissance, pas été étudiée dans le cas des
cours ouverts en permanence.
7. Conclusion
Nous conclurons cet article en discutant de
l’une des principales limitations de ce travail,
l’impossibilité d’obtenir certaines données cruciales
pour étayer plus solidement nos hypothèses, et en soulignant les
questions éthiques que soulève ce type d’analyse.
L’une des principales limites de notre démonstration est que
nous ne disposons pas des données sur la navigation
précédant la session menant à l’inscription au cours.
À notre connaissance, seul un article (Clow, 2013) a
abordé la question des données de navigation
précédant l’inscription, sur la base des données de
trois MOOC connectivistes. Ces résultats restent embryonnaires et
mériteraient d’être étendus à un travail sur
une plate-forme prise dans sa totalité.
Ces données pourraient nous aider à identifier un type de
visite donnée. On peut par exemple supposer qu’un utilisateur
naviguant sur les pages de présentation de nombreux cours correspondant
à des disciplines distinctes, avant de s’inscrire à un cours
donné, est probablement en train de réaliser une visite
expérientielle. À l’inverse, une visite rapide, pour
laquelle le délai entre la connexion à la plate-forme et
l’inscription est minimal, correspond plus vraisemblablement à une
visite expéditive. Enfin, elles permettraient de déterminer si un
apprenant a visité en amont la page de présentation du cours,
peut-être plusieurs heures ou plusieurs jours auparavant, avant de prendre
la décision de s’inscrire. Le principal problème
associé à ce type de données réside dans le fait que
très souvent, les participants naviguent sur le catalogue sans
s’être identifiés – ils ne s’identifient
qu’au moment de l’inscription. Alternativement, ils prennent souvent
connaissance des cours qui les intéressent par les courriels
envoyés par la plateforme et « naviguent » sur une
version tronquée du catalogue au sein de leur messagerie. L’un
comme l’autre de ces deux phénomènes complexifieraient
l’interprétation de ces données de navigation
précédant l’inscription.
Par ailleurs, l’utilisation de telles données par les
plateformes soulève des questions éthiques, analogues à
celles que présente l’existence de publicités ciblées
fondées sur les cookies, lors d’une navigation sur Internet. Le
respect de la vie privée n’est pas ici la seule dimension à
prendre en compte ; après tout, si les données sont
anonymisées rigoureusement, le problème n’est que
secondaire. L’utilisation des données de navigation et
d’inscription soulève en revanche d’autant plus de questions
qu’elles sont utilisées au quotidien par les plates-formes
américaines comme edX ou Coursera à des fins de
recommandation. Ces acteurs envoient régulièrement des courriels
à leurs utilisateurs proposant des listes de cours susceptibles de les
intéresser, listes dont la personnalisation est fondée sur les
données d’inscription.
Une bonne compréhension du processus de sélection et de suivi
des cours peut certes être utilisée pour mieux répondre aux
besoins réels ou supposés des utilisateurs, mais elle peut
également être mobilisée pour permettre aux plateformes
payantes d’augmenter leurs ventes, sans que la question de
l’intérêt de l’apprenant ne soit centrale. Et si
l’on ne saurait reprocher aux acteurs de l’écosystème
de vouloir assurer leur viabilité économique, il est à
craindre que les intérêts économiques de ces derniers ne
soient pas systématiquement alignés avec les intérêts
des utilisateurs des plates-formes en termes d’objectifs
d’apprentissage. Nous voilà à nouveau face aux
contradictions des acteurs des MOOC, pris entre la difficulté à
établir des modèles économiques et la
velléité, présente au moins dans les discours (Koller, 2013),
d’accroître toujours plus l’accessibilité de cours en
ligne de qualité.
La compréhension des processus de choix au sein d’une offre
toujours croissante présente sans doute un intérêt pour la
communauté scientifique et pour celle des praticiens. Espérons
néanmoins qu’elle ne contribue pas à soutenir une logique
essentiellement mercantile de l’apprentissage en ligne, incompatible avec
les idéaux qui animèrent sans doute au moins une partie des
acteurs impliqués initialement dans le phénomène MOOC.
Remerciements
L’auteur tient à adresser ses remerciements
à l’équipe de France Université Numérique pour
l’accès à des données que peu de plateformes ont
accepté de partager. Il remercie également Monique Baron pour sa
relecture des dernières versions de l’article et pour ses retours,
toujours précis et pertinents.
À
propos de l'auteur
Matthieu Cisel a fait son doctorat au laboratoire STEF de
l’ENS Paris-Saclay sur les indicateurs de performance dans les MOOC, et
plus précisément sur la question des taux de certification. Ses
recherches doctorales, fondées sur les méthodes mixtes, ont
porté sur les analyses de traces d’interaction, et notamment sur le
comportement d’inscription. Il est actuellement post-doctorant au
laboratoire EDA de l’Université Paris-Descartes, où il
travaille sur la conception et l’usage de technologies pour
l’enseignement des sciences. Ses travaux s’inscrivent dans les
sciences de l'éducation, mais mobilisent dans une large mesure des
méthodes employées par l’informatique.
Adresse : Laboratoire EDA, EA 4071, Université Paris Descartes, Faculté
des Sciences Humaines et Sociales – Sorbonne, 45 rue des Saints
Pères, 75006 Paris, France
Courriel : mathieucisel@parisdescartes.fr,
matthieucisel@gmail.com
Toile : http://blog.educpros.fr/matthieu-cisel
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1 Par
« traditionnelles », nous entendons des formations à
distance payantes et intégrées dans un diplôme ou une
certification reconnue sur le marché du travail.
2 Le détail de ces cours,
ainsi que le nombre de réponses obtenues par cours est disponible dans (Cisel, 2016)
3 Les chiffres introduits par le
symbole ± correspondent à des écarts-types,
représentant la variabilité entre les différents cours
4 Les apprenants qui
répondent aux questionnaires font certes partie des plus investis et ne
sont pas représentatifs de l’ensemble des utilisateurs de MOOC.
Néanmoins, les données d’inscription fournies par la
plate-forme FUN vont montrer que l’inscription à de multiples cours
constitue le cas majoritaire.
5 Néanmoins, de telles
différences ne sont pas visibles avec les seules données
d’inscription ; il serait nécessaire de mobiliser les traces
d’interaction de chaque cours pris individuellement.
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