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L’adhésion des étudiants à la
classe inversée : une approche par le style d’apprentissage
Laëtitia THOBOIS-JACOB, Eric CHRISTOFFEL, Pascal MARQUET (Université
de Strasbourg)
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RÉSUMÉ : Les
étudiants peuvent être plus ou moins favorables à la
démarche de la classe inversée (Chevalier et Adjedj, 2014) et, par
conséquent, s’engager dans les tâches proposées
à distance de façon très inégale. Afin de mieux
comprendre ce phénomène, nous avons mobilisé les styles et
les modes d’apprentissage issus du cycle de l’apprentissage
expérientiel de Kolb (1984) pour étudier comment, selon leur style
et leur mode d’apprentissage, les étudiants perçoivent les
capsules vidéo (que nous appellerons
« vidéo-cours ») consultées à distance
et les activités menées en présentiel. Nos résultats
montrent que les étudiants qui apprennent par
« conceptualisation abstraite » sont les plus critiques
envers la classe inversée ; en revanche ceux qui apprennent
principalement par « expérimentation active » ont une
perception plus positive des effets de la classe inversée sur leur
apprentissage.
MOTS CLÉS : Classe
inversée, styles d’apprentissage, pédagogie universitaire. |
Do learning styles influence students‘ commitment in a flipped classroom context? |
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ABSTRACT : All
students do not easily commit to the flipped instructional model (Chevalier et
Adjedj, 2014). As the experiential learning model from D. Kolb (1984) identified
four learning styles and modes, we compared how students of each learning style
and mode group cope with the flipped classroom process. Do learning styles
interfere with the way students perceive these video-lectures? More generally,
can we suspect that flipped classrooms match more one way of learning among
others? Significant differences appear between ways of learning: Flipped
classrooms are especially well-perceived by students who mostly learn from
experience. Those who mostly learn by conceptualization are the least satisfied
in the flipped instructional model.
KEYWORDS : Flipped
classroom, learning styles, higher education pedagogy. |
1. Introduction
Depuis
les travaux de Baker (Baker, 2000) et
de Bergmann et Sams (Bergmann et Sams, 2012),
la classe inversée suscite un vif intérêt au sein de la
communauté éducative car elle semble porteuse d’un potentiel
d’innovation et relève d’une « pédagogie
universitaire numérique », au cœur de
l’actualité universitaire de ces dernières années (Heutte et al., 2010).
Parmi les expérimentations marquantes menées à
l’université, le projet Pedaginnov (Chevalier et Adjedj, 2014) suggère que les étudiants adhèrent très diversement
au dispositif de la classe inversée. Certains plus que d’autres
font preuve de résistance au changement sans que l’on puisse en
expliquer véritablement la cause.
C’est pourquoi, en 2014 et 2015, nous avons eu l’idée
d’intégrer à notre expérimentation de classe
inversée menée auprès d’une quarantaine
d’étudiants de troisième année de licence de
Maths-Physique-Chimie de l’Université de Strasbourg,
l’identification du style et du mode d’apprentissage des
étudiants en nous fondant sur le modèle de Kolb (Kolb, 1984), puis
en avons croisé les résultats avec les effets de la classe
inversée sur les apprentissages, tels qu’ils ont été
perçus par les étudiants eux-mêmes.
2. Etat de l’art
2.1. Fondements et retours d’expérience de classe
inversée
A priori la classe inversée est un
objet encore un peu incongru dans l’enseignement universitaire où
le modèle pédagogique le plus répandu repose sur la
transmission des connaissances par le biais du cours magistral (Bertrand, 2014),
qui reste la forme de cours la plus prestigieuse du point de vue de
l’institution (Albero, 2011).
D’une part, la classe inversée s’inscrit dans les
pédagogies de l’apprentissage, ou « pédagogies
actives », selon lesquelles le savoir est « le produit
de l’activité de l’élève » (Altet, 1997).
D’autre part, elle relève des dispositifs de formation hybrides,
qui articulent « des phases de formation en présentiel et
d’autres organisées à distance » (Peraya et al., 2014) et
bénéficient depuis peu de travaux de recherche d’envergure,
le dernier en date étant la recherche-action du projet européen
HySup (Villiot-Leclercq et al., 2014).
La classe inversée ne propose rien de
moins qu’un renversement des espace-temps de l’enseignement et de
l’apprentissage. L’idée principale est de déplacer le contenu des cours et de les faire consulter par les
élèves ou les étudiants avant la classe ou le cours,
sous forme de vidéos, de diaporamas commentés, ou de les remplacer
par une toute autre ressource pédagogique consultable à distance (Educause, 2012).
Ensuite, les enseignants consacrent le temps de classe ou de cours à l’application des contenus
pédagogiques par le biais de problèmes complexes à
résoudre, par un approfondissement et/ou par la mise en place de travaux
de groupe (Strayer, 2012), (Tucker, 2012).
Selon (Hamdan et al., 2013),
en classe inversée, les contenus enseignés qui sont transmis
quittent l’espace collectif de la classe pour occuper l’espace personnel et individuel à l’aide de
différentes technologies. Pour Saragawi (Saragawi, 2013),
la classe inversée permet de dispenser en dehors des cours les
contenus de bas niveau cognitif ce qui permet de travailler en classe les
activités de haut niveau cognitif, les expressions « haut et
bas niveaux » renvoyant à la taxonomie de Bloom. Ainsi, la
classe inversée s’inscrit-elle d’emblée dans une
logique d’optimisation : celle du temps en face-à-face,
dédié aux tâches cognitives les plus ardues
nécessitant la présence de l’enseignant et par
conséquent celle des interventions de l’enseignant.
Dans un modèle d’enseignement traditionnel, l’enseignant
expose les contenus disciplinaires à travers différentes
situations d’apprentissage, laisse aux étudiants la
responsabilité de l’application des concepts et évalue
l’acquisition des connaissances le plus souvent sous la forme de devoirs
écrits. Dans le modèle inversé, les étudiants ont la
responsabilité d’acquérir les contenus disciplinaires avant
de venir en classe, où l’enseignant propose des situations
d’apprentissage en vue de l’application des contenus (Jensen et al., 2015).
Autrement dit, la principale différence réside dans le
changement de rôle de l’enseignant : dans la classe
inversée, il s’agirait de faciliter le processus
d’application et non plus le processus d’acquisition des
connaissances.
L’expression de « classe inversée » au
singulier, largement utilisée dans le langage courant, ne doit pas faire
oublier qu’elle est loin de constituer un phénomène
uniforme. Le principe fondamental correspond à ce que Lebrun nomme le
« premier niveau » (Lebrun et Lecoq, 2015) :
on inverse les activités d’apprentissage qui avaient lieu
traditionnellement en classe et à la maison, selon la formule
« Lectures at home and homework in class », en
faisant le pari que la mise en activité des étudiants lors des
séances de cours favorisera l’apprentissage en profondeur des
savoirs découverts préalablement à la maison, à leur
rythme. Mais, selon le contexte d’enseignement et le style personnel de
l’enseignant, le degré d’inversion peut se situer sur un
continuum allant de l’expérimentation ponctuelle limitée
à une ou quelques séances étalées dans le
semestre, à la «classe renversée » où
l’enseignant confie aux étudiants l’élaboration du
cours lui-même (Cailliez, 2014).
Il est aussi possible de combiner ces deux approches (niveaux 2 et 3 de Lebrun, ibid).
Les enseignants voient souvent en la classe inversée un moyen de
« mettre les élèves au travail » durant les
séances de cours (Taurisson et Herviou, 2015).
Par ailleurs, des travaux relevant de la pédagogie universitaire
« en plein développement » (De Ketele, 2010) incitent à penser que la classe inversée permet d’actionner
les leviers qui entrainent un apprentissage en profondeur identifiés
par Poumay (Poumay, 2014) :
(1) améliorer l’alignement pédagogique entre objectifs,
méthodes et évaluations au sein du cours, (2) rendre
l’étudiant plus actif pendant le cours, (3) augmenter la valeur des
activités aux yeux des étudiants en les rapprochant de leur futur
vécu professionnel, (4) augmenter le sentiment de maîtrise ou de
compétence de l’étudiant, (5) donner à
l’étudiant davantage de contrôle sur les tâches
qu’on lui propose, d’autonomie dans le pilotage de ses
apprentissages, (6) introduire l’usage des TIC dans un cours ou un
programme. Quel que soit le degré d’inversion, trois de ces leviers
au moins sont sollicités : les étudiants sont mis en
activité (2), par conséquent leur sentiment de compétence
augmente puisqu’ils peuvent prendre des initiatives, travailler en groupes
et s’auto-évaluer (4) et les technologies numériques sont
nécessairement intégrées dans le parcours
pédagogique (6). En fonction de la qualité de
l’ingénierie pédagogique du cours, les leviers (1), (3) et
(5) peuvent aussi être actionnés en classe inversée et
notamment le (5) dans le cas de la classe renversée. C’est pourquoi
la classe inversée est souvent présentée comme un moyen
innovant d’améliorer l’apprentissage en profondeur des
étudiants, en adoptant une logique de développement des
compétences, et un moyen d’intégrer les technologies
numériques de manière raisonnée, au service d’une
pédagogie centrée sur l’apprenant.
Cependant, la classe inversée ne fait pas l’unanimité
dans la communauté scientifique : Bissonnette et Gauthier (Bissonnette et Gauthier, 2012) déplorent l’insuffisance de « données
probantes » issues de la recherche en termes de plus-value pour
l’apprentissage. Pour Strayer (Strayer, 2012),
tout dépend du niveau d’études : une approche
inversée est peu pertinente pour des étudiants de premier cycle
universitaire qui n’ont pas encore un intérêt profond pour la
matière enseignée.
En termes de réussite académique, il est pour l’instant
difficile de mettre en évidence une plus-value de la classe
inversée. Les examens, fondés sur une conception classique liant
enseignement et connaissances, n’évaluent pas les
compétences transversales développées en classe
inversée. Pour Lebrun, en classe inversée,
« l'évaluation est davantage formative, en cycles
courts » (Lebrun, 2015, p. 75),
par conséquent, au lieu d’une évaluation
« ordinaire » basée sur la restitution de
connaissances dans un champ disciplinaire délimité, il faudrait
passer à une évaluation des compétences construites par les
étudiants (co-évaluation, autoévaluation). Aussi, les
études qui comparent les situations de classe inversée et de cours
magistral sont souvent biaisées par la multiplicité des variables
modifiées d’une situation à l’autre : parfois, en
plus de la classe inversée, il y a introduction de méthodes de
pédagogie active, ou d’autres supports de cours, d’autres
technologies, ou mise en place d’un enseignement par les pairs : il
est alors difficile, voire impossible, d’isoler le bénéfice
de chacun des éléments et d’attribuer la satisfaction des
étudiants uniquement à l’inversion (Jensen et al., 2015).
Malgré tout, il est souvent question de retours positifs de la part des
étudiants et d’un plus grand engagement de leur part en classe
inversée (McLaughlin et al., 2013), (Breivik, 2014), (Galway et al., 2015).
C’est pourquoi le bilan du projet Pedaginnov (Chevalier et Adjedj, 2014),
mis en œuvre au sein du dispositif IDEA de l’Université
Paris-Est, ayant impliqué huit
établissements1, nous a
intrigués : il fait état d’un degré
d’adhésion à la classe inversée très disparate
selon les étudiants ; par « adhésion »
nous entendons le sens figuratif, à savoir le fait de donner son accord
à quelque chose. Ce manque d’adhésion a amené deux
difficultés, identifiées par les auteurs. La première est
la résistance des étudiants au changement : par rapport au
cours magistral, situation d’apprentissage bien connue, il s’agit
d’adopter et de développer des comportements et habiletés
différents. La seconde difficulté est l’apparition
d’un effet indésirable : certains étudiants pointent
qu’ils ont l’impression de ne rien avoir appris d’autre que ce
qu’ils le savaient déjà.
En accord avec (Paivandi, 2015, p. 187),
nous postulons que « pour que les étudiants puissent
développer leurs connaissances, leur autonomie intellectuelle et
s’approprier des environnements universitaires, il faut une
adhésion effective aux démarches pédagogiques
conçues par l’enseignant ». Il nous a donc semblé
judicieux d’accompagner notre expérimentation de classe
inversée non seulement d’une démarche explicative de
présentation du dispositif et des objectifs visés, mais aussi
d’une démarche réflexive, invitant les étudiants
à s’interroger sur leur propre manière d’apprendre.
Dans cette perspective, le modèle de Kolb (Kolb, 1984) qui
définit un cycle d’apprentissage expérientiel, des modes
d’apprentissage dominants et des styles individuels nous a paru
approprié. Nous avons ensuite confronté ces styles et ces modes
à des critères d’adhésion que nous avons
élaborés à partir d’indices de valeur ajoutée
caractérisant un « bon dispositif hybride »,
déjà éprouvés par d’autres travaux de
recherche (Docq et al., 2010), (Lebrun, 2011).
2.2. Styles d’apprentissage
Il est établi que l’emploi de supports et
d’activités identiques ne produit pas automatiquement les
mêmes résultats d’un étudiant à l’autre,
selon par exemple son rythme d’apprentissage et sa motivation (Poteaux et Berthiaume, 2013).
Les « styles d’apprentissage » supposent
l’existence chez l’individu d’une
« prédisposition » ou
« orientation » qui se manifeste dans son comportement en
situation d’apprendre (Chevrier et al, 2000).
Diverses typologies de styles d’apprentissage individuels ont
été définies (Chartier, 2003) sans que le concept de « style d’apprentissage » ne
soit totalement stabilisé : les constructivistes estiment que le
style d’apprentissage, se fondant sur l’expérience, est
susceptible d’évoluer au gré des situations
d’apprentissage que l’individu rencontre ; au contraire, en
psychologie différentielle, il est considéré relativement
stable (Chartier, op-cit). Parmi les typologies existantes, le
modèle de Kolb a la particularité de proposer un cycle
d’apprentissage valable pour tous, constitué de quatre
étapes privilégiant chacune un mode d’apprentissage
particulier, qui eux-mêmes donnent lieu à quatre styles
d’apprentissage individuels. Les étapes d’apprentissage du
cycle de Kolb constituent une sorte de passage obligé qu’emprunte
toute connaissance en train de se former : le processus du cycle de Kolb
est d’abord initié par (1) l’expérience
concrète (EC), qui fournit une base à (2) l’observation
réfléchie (OR), qui est ensuite assimilée et
déclinée en (3) conceptualisations abstraites (CA) qui à
leur tour demandent à être (4) expérimentées
activement (EA). Selon Chartier (Chartier, 2003, p. 16),
« pour Kolb, tout apprenant se caractérise par la
préférence qu’il donne à l’une de ces quatre
étapes », autrement dit, chaque personne aurait une
manière préférentielle d’apprendre, aussi
appelée « mode d’apprentissage » dominant.
Considérant que les individus ne peuvent
se définir selon un seul mode, Kolb a imaginé des combinaisons
regroupant les modes deux à deux. Ce faisant, il a dégagé
quatre styles d’apprentissage : les accommodateurs (EC-EA),
les assimilateurs (CA-OR), les convergents (CA-EA) et les divergents (EC-OR).
• les accommodateurs (EC-EA) sont des expérimentateurs
attirés par les défis, les nouvelles expériences et
l’achèvement de projets. Ils sont très performants dans des
rôles d’action et d’initiative et préfèrent
travailler en équipe. Ils se fixent des objectifs et essayent
différentes approches pour accomplir leur mission.
• les assimilateurs (« CA-OR) privilégient la logique
et la concision et sont à l’aise avec les concepts et les
théories. Ils préfèrent des explications claires
plutôt que des opportunités de mise en pratique. Ils excellent
à comprendre de grandes quantités d’information et à
les synthétiser.
• les convergents (CA-EA) utilisent leurs connaissances pour
résoudre des problèmes concrets et préfèrent les
tâches techniques. Ils aiment faire des simulations et travailler à
l’application concrète de modèles.
• les divergents (EC-OR) sont capables d’appréhender les
éléments de savoir sous différentes perspectives et
recourent à leur imagination pour résoudre des problèmes.
Kolb les a nommés « Divergents » car ces personnes
atteignent de meilleurs résultats dans les travaux présentant de
la nouveauté, qui nécessitent de la créativité et de
la génération d’idées comme le brainstorming.
La classe inversée propose une configuration qui se rapproche
facilement du modèle de Kolb : sa nature hybride est propice
à la mise en œuvre des quatre étapes du cycle de Kolb.
D’une part, à distance, les activités d’apprentissage
visent principalement l’acquisition des connaissances : elles
relèvent potentiellement de l’expérience concrète, de
l’observation réfléchie et/ou de la conceptualisation
abstraite, suivant le type de ressources pédagogiques mises à
disposition et leur contenu. D’autre part, en présentiel, il
s’agit d’appliquer les connaissances découvertes au
préalable : les activités s’inscrivent donc dans
l’expérimentation active, mais peuvent revenir à
l’observation et à la conceptualisation dans un va-et-vient continu
entre « la théorie et la pratique ». Cette
proximité entre classe inversée et modèle de Kolb a
également été identifiée par Lebrun (Lebrun, 2016, p. 33) :
les contextes d’apprentissage rassemblant nécessairement des
apprenants de styles différents, la classe inversée serait un
moyen de faire de la pédagogie différenciée
puisqu’elle met en œuvre tour à tour chaque étape du
cycle d’apprentissage. Ainsi tous les apprenants y trouveraient leur
compte à un moment ou à un autre du cycle.
3. Problématique et hypothèses
Notre intention est de mieux comprendre le
phénomène d’adhésion ou de non adhésion des
étudiants à la classe inversée, en l’approchant par
les styles et les modes d’apprentissage. Comme nous l’avons vu, le
modèle de Kolb s’articule autour de quatre styles, qui sont des
« orientations », susceptibles de changer pour un même
apprenant si le contexte d’apprentissage l’y incite. Par
conséquent, au-delà des styles d’apprentissage
eux-mêmes, il nous semble intéressant d’observer si la classe
inversée favorise certaines manières d’apprendre, ou modes
d’apprentissage, en fonction des étapes du cycle mis en œuvre
(CA, EC, OR, EA)2.
Notre première hypothèse est que des différences de
perception de la classe inversée apparaitront selon les styles
d’apprentissage des étudiants. Les accommodateurs devraient
apprécier la classe inversée, car le déplacement de la
partie transmissive en amont du cours permet de consacrer plus de temps du cours
lui-même à la réalisation de projets en équipe. Les assimilateurs, qui privilégient la conceptualisation des notions,
devraient se déclarer satisfaits du vidéo-cours, l’essentiel
étant que la partie transmissive soit maintenue. En revanche les convergents pourraient être ceux qui apprécient le moins la
classe inversée : leur préférence va aux applications
concrètes et non à l’exposition de notions
théoriques. Quant aux divergents, ils devraient apprécier
la classe inversée pour sa nouveauté, les interactions sociales
accrues et la créativité qu’elle suscite davantage
qu’un cours classique.
Notre deuxième hypothèse concerne les manières
d’apprendre : nous supposons que les étudiants apprenant le
mieux par « conceptualisation abstraite » (CA) ne devraient
pas être sensibles à l’usage du vidéo-cours en classe
inversée, car celui-ci ne diffère pas tellement d’un cours
transmissif en présentiel si ce n’est de permettre une plus grande
flexibilité organisationnelle. En revanche, les étudiants
apprenant le mieux par « expérimentation active »
(EA) lui donneraient les scores les plus élevés, car la classe
inversée favorise la mise en activité et la réalisation de
projets.
4. Contexte et méthodologie de l’observation
4.1. Intentions et mise en œuvre de la classe inversée
Notre expérimentation est intervenue dans un
cours d’Électronique analogique, en troisième année
d’une licence de Maths-Physique-Chimie à l’Université
de Strasbourg. Ce cours s’articule autour de trois thèmes
principaux : les diodes, les transistors et les amplificateurs
opérationnels. Les séances de classe inversée ont
été placées au début des deuxième et
troisième thèmes.
Avec la classe inversée, la mise à distance de la partie
transmissive, expositive, des notions théoriques a permis de consacrer
quasiment l’intégralité du temps aux exercices et d’en
modifier l’approche : les étudiants sont confrontés
à une question et un schéma par exercice sans recevoir
d’indice de la part de l’enseignant, qui passe dans les groupes,
questionne et le cas échéant valide la démarche et les
résultats. Il revient donc aux étudiants répartis en
îlots, par équipe de quatre ou librement constituée, de
mobiliser les connaissances adéquates pour utiliser au mieux le
dispositif dans un circuit plus complexe et d’en imaginer des usages
nouveaux. En deux heures, les étudiants réalisent quatre à
cinq exercices, soit autant qu’auparavant, mais le fait qu’ils aient
le temps de chercher la solution par eux-mêmes permet le
« déclic » de la compréhension : le but
n’est donc plus l’application de formules, mais ce
« déclic » qui révèle que
l’étudiant a compris et qu’il ne se contente plus
d’apprendre la démarche par cœur, ce qui le rend capable de
transférer ses connaissances à des situations nouvelles. En
résumé, alors que le TD classique conduisait les étudiants
à admettre les définitions, le passage à la classe
inversée ambitionne que les étudiants deviennent capables de les
comprendre et d’en faire usage de manière autonome.
En amont de la séance, les étudiants étaient
invités à consulter via Moodle des
vidéo-cours3 ainsi que les
notes de cours, accessibles une semaine avant la séance de TD. Cinq
à six vidéos de cours présentent les définitions et
les concepts de base, qu’il faut connaître avant d’utiliser le
dispositif : ces vidéo-cours répondent par exemple à
des questions de type « qu’est-ce qu’un
transistor ? comment fonctionne-t-il ? », en dehors de
tout contexte d’utilisation. C’est principalement la phase
« conceptualisation abstraite » qui est sollicitée
à ce moment-là et, dans une moindre mesure, la phase
« observation réfléchie », notamment lors du
petit QCM d’autoévaluation qui induit un mécanisme de
mémorisation des définitions : l’étudiant teste
et observe sa propre rétention des notions, sans toutefois entrer
véritablement dans une « expérimentation
active », car il n’y a pas encore de contexte
d’application. La durée totale de ce travail personnel
préparant la séance est estimée à une heure
environ.
Pendant le cours (un TD de deux heures), une première étape
rappelle brièvement les notions présentées dans les
vidéos mais sans en reproduire les démonstrations. Puis arrivent
les exercices qui présentent des applications concrètes des
notions théoriques pour répondre à des questions mettant en
œuvre une fonctionnalité (par exemple, comment insérer un
transistor dans un circuit pour créer une alarme ?). La
séance mobilise ainsi principalement la phase
« expérimentation active » puisque la notion
théorique (le transistor et son fonctionnement) s’inscrit
dans un montage plus complexe ayant un intérêt dans le contexte de
la vie quotidienne (le déclenchement d’un signal
d’alarme) et nourrit finalement l’« expérience
concrète ».
4.2. Protocole d’observation
Pour chacune des promotions 2014 et 2015, l’observation s’est
déroulée en deux temps. En début de semestre, les
étudiants ont effectué le test de positionnement de Kolb pour
déterminer leur style et leur mode d’apprentissage dominant. En fin
de semestre, le degré d’adhésion des étudiants a
été estimé au moyen d’un questionnaire (tableaux 1 et
2), déposé sur Moodle pendant quatre semaines, composé de
cinq items de positionnement sur une échelle de Likert à 6
degrés d’accord, de 0 « pas du tout
d’accord » à 5 « tout à fait
d’accord ». Les items ont été inspirés par
des indicateurs de la qualité d’un dispositif de formation hybride (Docq et al., 2010) :
ils portent sur les interactions (items A et C), l’information (item B),
la motivation (item D) et l’activité (item E). Ensuite, les
étudiants pouvaient rédiger ou non un commentaire libre à
propos de leur expérience de classe inversée. En
complément, en 2015, un petit sondage de satisfaction a été
introduit directement « à chaud » après les
séances de classe inversée : la participation à ce
sondage était laissée à la discrétion des
étudiants.
Pour répondre à notre
première hypothèse, une première étape a
consisté à relever les scores par styles d’apprentissage et
par item (tableau 1). La deuxième hypothèse fait l’objet de
la deuxième étape, à savoir l’analyse des
résultats sous l’angle des manières d’apprendre, ou
« modes d’apprentissage » (tableau 2). Enfin, la
troisième étape complète la précédente par
les verbatim et par les réponses des étudiants de la
promotion 2015 au sondage « à chaud »,
consécutif aux séances de classe inversée.
Nous avons également examiné l’activité globale de
consultation des vidéo-cours par les étudiants pour nous assurer
qu’ils avaient effectivement été soumis aux stimuli
« vidéo » et ainsi limiter les biais d’analyse
(figures 1a et 1b).
5. Résultats
5.1. Etape 1 : Résultat pour les styles d’apprentissage dans
les deux dispositifs pédagogiques
Le questionnaire a été
complété par tous les étudiants (n total = 42,
dont 19 pour la promotion 2014 et 23 pour la promotion 2015) et 10 verbatim ont été recueillis. En 2015, 11 des 23
étudiants ont participé au petit sondage « à
chaud » consécutif aux séances de classe
inversée.
Figures 1a et 1b • Consultation des vidéo-cours par
les étudiants
Nous observons d’abord que les étudiants ont effectivement
consulté les vidéo-cours avant les séances de classe
inversée : les pics de consultation correspondent aux jours
précédant les deux séances de classe inversée
(figures 1a et 1b, CI, triangles noirs) et les trois évaluations (note,
points rouges).
Tendances globales
D’une manière générale, tous les étudiants
apprécient le soutien qu’apporte le vidéo-cours à
leur apprentissage en classe inversée (tableau 1), notamment le fait
qu’il leur permette de bien se préparer en amont de la
séance en présentiel aux interactions qu’ils auront avec
l’enseignant (item A : 3,4/5) et aux activités qu’ils
réaliseront en présentiel (item B : 3,6/5). Ils sont aussi
nombreux à considérer que le vidéo-cours apporte une aide
à leur organisation personnelle (item E : 3,5/5). En revanche, les
étudiants accordent des scores peu élevés aux interactions
entre pairs à distance (item C : 2,7/5) et établissent peu de
lien entre la classe inversée et l’accroissement de leur motivation
(item D : 2,8/5).
Tendances par styles d’apprentissage
Les étudiants accommodateurs sont ceux qui attribuent les
scores les plus élevés à la classe inversée :
dans le détail, ils apprécient surtout l’opportunité
d’interactions avec l’enseignant, l’aide à
l’organisation personnelle (item A et E : 4,4/5) et au travail de
groupe (item B : 4/5). Cependant ils n’établissent que plus
modérément un lien entre classe inversée et augmentation de
leur motivation (item D : 3,6/5) et entre classe inversée et
augmentation des interactions entre pairs (item C : 3,2/5).
Tableau 1 • Moyennes des scores par style
d’apprentissage
|
Cours en classe inversée |
Accom |
Assim |
Conv |
Div |
Tous |
A |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, me permet de
préparer des items que je poserai à l’enseignant (classe
inversée). |
4,4 |
3,0 |
3,0 |
3,1 |
3,4 |
B |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, me prépare aux
travaux de groupe (classe inversée). |
4,0 |
3,3 |
3,3 |
3,6 |
3,6 |
C |
Après avoir consulté un vidéo-cours, il m’est
arrivé de discuter de notions de cours avec d’autres
étudiants (classe inversée). |
3,2 |
2,7 |
2,2 |
2,6 |
2,7 |
D |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, accroît ma
motivation (classe inversée). |
3,6 |
2,7 |
2,3 |
2,4 |
2,8 |
E |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, me permet de mieux
m’organiser (classe inversée). |
4,4 |
3,4 |
2,8 |
3,6 |
3,5 |
Les étudiants assimilateurs apprécient surtout le
critère de l’organisation personnelle (item E : 3,4/5). Les
étudiants convergents dans la globalité sont moins
favorables au vidéo-cours en classe inversée que les autres
étudiants : si on observe une différence entre les
étudiants des promotions 2014 et 2015 (figure 2), les scores des convergents sont globalement inférieurs, bien que la classe
inversée leur donne davantage l’occasion de se livrer à des
applications concrètes des notions théoriques lors des
séances en présentiel. Enfin, les étudiants divergents, censés apprécier la nouveauté et la
créativité, donnent les scores les plus élevés aux
aspects organisationnels facilités par la classe inversée, tant
sur le plan personnel que sur le plan du travail de groupe (respectivement item
B et item E : 3,6/5).
Figure2 • Moyennes des scores par
styles d’apprentissage (cumul des items A, B, C, D, E)
Au terme de cette première étape, nous voyons bien des
différences se dessiner selon les styles d’apprentissage en accord
avec nos hypothèses, notamment entre les scores globaux des accommodateurs et des convergents. Mais ce ne sont que des
tendances, l’analyse de la variance ne permet pas de constater
d’écart significatif entre les styles d’apprentissage :
(Fclasse-inv (3,38) = 1,204 ;
P = .321 ; ns).
5.2. Etape 2 : tendances globales par manière d’apprendre
(mode d’apprentissage dominant)
Notre deuxième étape consiste à reprendre les
résultats en isolant les modes dominants d’apprentissage :
l’expérience immédiate ou concrète (EC),
l’observation et la réflexion (OR), la conceptualisation abstraite
(CA) et l’expérimentation active (EA). Au sein de notre
échantillon de 42 étudiants, le mode « conceptualisation
abstraite » est le plus représenté, avec 17
étudiants (figure 3). C’est précisément ce
mode d’apprentissage qui serait favorisé par les vidéo-cours
tels qu’ils ont été proposés par
l’enseignant.
Figure 3 • Répartition des
modes d’apprentissage (manières d’apprendre)
En classant nos résultats par manière d’apprendre
dominante (tableau 3), nous constatons que, selon les groupes, il y a une
différence significative d’adhésion au vidéo-cours en
classe inversée.
Paradoxalement, alors que le vidéo-cours faisait essentiellement appel
à l’étape de « conceptualisation
abstraite » du cycle d’apprentissage, ce sont
précisément les étudiants ayant un mode
d’apprentissage dominant en CA qui attribuent les scores les plus bas aux
items, les écarts étant significatifs avec les étudiants EA
et OR : (Fclasse-inv (3,38) = 3,131 ;
P = .037).
Tableau 2 • Moyennes par manières
d’apprendre et par item
n° |
Cours en classe inversée |
CA |
EA |
EC |
OR |
Tous |
A |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, me permet de
préparer des questions que je poserai à l’enseignant (classe
inversée). |
2,7 |
4,2 |
3,1 |
3,3 |
3,3 |
B |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, me prépare aux
travaux de groupe (classe inversée). |
2,9 |
4,2 |
3,6 |
3,8 |
3,6 |
C |
Après avoir consulté un vidéo-cours, il m’est
arrivé de discuter de notions de cours avec d’autres
étudiants (classe inversée). |
2,3 |
3,1 |
2,3 |
2,9 |
2,6 |
D |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, accroît ma
motivation (classe inversée). |
2,2 |
3,5 |
2,0 |
3,0 |
2,7 |
E |
Le vidéo-cours, donné avant le cours, me permet de mieux
m’organiser (classe inversée). |
2,9 |
4,1 |
3,9 |
3,4 |
3,6 |
Figure 4 • Moyennes des scores par modes
d’apprentissage (cumul des items A, B, C, D, E)
Les scores des étudiants apprenant par
« expérimentation active » (EA) sont en revanche les
plus élevés (figure 4) : l’impression dominante est
favorable au vidéo-cours dont les étudiants ont reconnu
l’utilité pour se préparer aux séances
présentielles. Toutefois, c’est seulement avec les scores des
étudiants CA que ceux des EA diffèrent significativement.
Pour mieux comprendre ce résultat, un petit sondage
complémentaire, introduit en 2015, nous a permis de collecter les
réponses de 14 étudiants sur les 23, dont celles de 8 CA, 2 OR, 2
EA et 2 EC. Ce sondage posait deux questions aux étudiants : (1)
Avez-vous regardé le vidéo-cours et (2) L’avez-vous
trouvé utile ? Les 8 étudiants CA ont tous consulté
les vidéo-cours précédant les séances de classe
inversée (question 1) mais seulement 5 d’entre eux estiment
que le vidéo-cours leur a été utile (question 2). En
revanche, les 2 étudiants EA, ainsi que les 2 OR et les 2 EC, ont tous
répondu positivement aux deux questions.
5.3. Étape 3 : commentaires libres des étudiants,
classés par mode d’apprentissage dominant
En fin de questionnaire, les étudiants pouvaient rédiger ou non
un commentaire libre à propos de leur expérience de classe
inversée. En 2015, nous avons recueilli les réponses de 10
étudiants sur les 23 étudiants de cette promotion. Tous les modes
d’apprentissage sont représentés (3 CA, 3 OR, 2 EA et 2
EC) dans des proportions toutefois non représentatives de
l’ensemble de cette promotion (10 CA, 5 OR, 4 EA et 4 EC) : en
comparaison aux autres modes, les représentants du mode CA ont moins
souvent participé. Un tableau récapitulatif des commentaires avec
la mention du mode d’apprentissage dominant permet d’avoir un
aperçu général de leurs réponses (tableau 3).
Tableau 3 • Récapitulatif des
thématiques des commentaires par mode d’apprentissage
Thématiques des 10 commentaires émis par les
étudiants |
Modes |
CA |
EA |
OR |
EC |
Amélioration de l’apprentissage en classe inversée |
1 |
1 |
1 |
2 |
Nouveauté du dispositif par rapport aux cours magistraux |
|
|
1 |
|
Manque de travail de la part de tous les étudiants pour les
activités à distance |
1 |
1 |
|
|
Manque d’interaction avec l’enseignant dû au
vidéo-cours |
1 |
|
|
|
Manque de temps pour réaliser les activités en
présentiel |
|
|
1 |
|
Parmi ces 10 étudiants, 3 CA , qui privilégient la
conceptualisation abstraite pour apprendre, c’est-à-dire
« ceux dont l’apprentissage est fondé sur la
réflexion » (Lebrun et Lecoq, 2015, p. 82),
ont rédigé un commentaire plus détaillé à
propos de leur expérience de la classe inversée. L’un
d’eux admet que l’« accès aux cours avant la
séance [me] permet de prendre le temps nécessaire pour sa
compréhension », mais les deux autres pointent des
dysfonctionnements. Pour l’un, tous les étudiants ne jouent pas le
jeu, ce qui se traduit par un sentiment de moindre efficacité : « la classe inversée marche très bien si tous les
étudiants regardent les vidéos cours avant de venir en TD. Ce
n'est pas le cas et on perd du temps à expliquer à tout le monde.
C'est un travail qui devrait être fait avant. On fait donc moins
d'exercices en classe inversée ». Pour l’autre, le
vidéo-cours entraîne une modification du rapport à
l’enseignant et au savoir : « une chose me
dérange par rapport à un enseignement traditionnel : nous ne
regardons plus le professeur d'université mais un écran où
l'on voit un cours qui se développe. Je suis féru de nouvelles
technologies [qui] peuvent améliorer notre quotidien. Néanmoins je
trouve qu'il manque une interaction avec l’enseignant ».
Ainsi, l’utilité du vidéo-cours est reconnue mais son
articulation avec l’ensemble du dispositif est discutée :
d’une part émerge une frustration de ne pas pouvoir faire autant
d’exercices que souhaité en raison du rattrapage de ceux qui
n’ont pas fait le travail. D’autre part, il nous est rappelé
que l’acte d’enseignement est éminemment social : un
besoin d’interaction avec l’enseignant se fait sentir dans la phase
d’acquisition des connaissances et pas seulement dans la phase
d’application. Pour cet étudiant, ce n’est pas la même
chose de suivre l’explication de notions de cours en présentiel et
à distance par l’intermédiaire d’un
vidéo-cours. En résumé, bien que les vidéo-cours mis
en place dans notre expérimentation correspondent à la
manière d’apprendre par « conceptualisation
abstraite » de ces étudiants CA, ils craignent de perdre en
quantité, en termes d’activités d’apprentissage et en
qualité, en termes de relation pédagogique dans le dispositif de
classe inversée.
Les deux étudiants EA, qui privilégient
l’expérimentation active sont tout aussi partagés.
L’un souligne que « le système de la classe
inversée est très bénéfique et utile ; le fait
de travailler en groupe, pour ma part, me permet de mieux apprendre les
cours ». L’autre pointe que « les
vidéo-cours/classe inversée et les TD sont parfois un peu
redondants... Il serait intéressant de trouver un équilibre
[cours] classique/[classe]inversée... le but étant de ne pas
désintéresser les élèves ayant bien
préparé et de forcer les autres à préparer un
minimum ». En résumé, si l’utilité du
vidéo-cours est reconnue, la reprise des notions en début de
séance est perçue comme une inutile répétition.
Ce constat nuance les résultats du questionnaire (Tableau 2) : un
net écart apparaissait entre les scores des étudiants CA,
apparemment peu enthousiastes concernant l’usage du vidéo-cours et
ceux des étudiants EA très favorables au vidéo-cours. Les
quelques verbatim des étudiants CA et EA ont cependant un point
commun : ils considèrent que l’articulation du
vidéo-cours avec les séances présentielles est
déterminante. Les étudiants qui consultent assidûment les
vidéo-cours attendent que l’enseignant les sollicite davantage au
lieu de consacrer trop de temps à rattraper ceux qui ne se seraient pas
investis suffisamment à distance pour préparer le cours. Ainsi,
malgré leurs différences d’appréciation
générale (Tableau 2), ces étudiants CA et EA
perçoivent la classe inversée comme un ralentisseur potentiel de
leur progression personnelle si le cours débute par un temps de
remédiation visant à raccrocher les étudiants qui ne jouent
pas le jeu.
Concernant les étudiants OR, 3 des 5
étudiants de la promotion ont rédigé un verbatim, dont deux
sont positifs. Le premier souligne la nouveauté du dispositif
« rafraîchissant par rapport à d'autres
cours » ; le second suggère de « faire
plus souvent des séances de classe inversée... J’ai
apprécié travailler en groupe, réfléchir et me poser
des questions à propos d'un sujet et ne pas simplement recopier sans
forcément comprendre les réponses du professeur. Je retiens mieux
de mes propres erreurs. ». Ces étudiants sont tout à
fait en phase avec les intentions de l’enseignant. Néanmoins, le
troisième étudiant propose de « laisser un peu plus
de place pour que les étudiants essayent de résoudre les exercices
en TD ». Là aussi, le fait de ne pas faire une
synthèse du contenu des vidéo-cours en début de
séance permettrait d’accorder plus de temps aux activités
d’apprentissage pendant la classe.
Enfin sur les 4 étudiants EC qui privilégient
l’expérience concrète, 2 ont laissé un
commentaire en fin de semestre : l’un estime que
« [Le fait que les vidéos montrent un cours qui
s’écrit] permet de facilement mettre [les cours] à
l'écrit une fois que l'on a appris le contenu des vidéos et du
cours. L'apprentissage est donc facilité ». L’autre
valorise le soutien à la mémorisation du cours que joue la
vidéo en amont d’une classe inversée, surtout si elle est
disponible bien en amont du cours : « La classe inversée me
permettait de me "remettre dans le bain" avant le cours en présentiel.
Globalement, bien que ce soit plus chronophage, j'ai retenu plus de choses lors
des cours en classe inversée. À mon sens, l'idéal serait de
faire plus de cours type classe inversée avec des vidéos
immédiatement disponibles (pas toujours évident de
s'organiser lorsque l'on se rend compte de la nécessité de
visionner les vidéos un samedi pour le cours du lundi
suivant) ».
Finalement, quel que soit le mode d’apprentissage des étudiants,
nous constatons que les retours sont globalement favorables à
l’usage des vidéo-cours en classe inversée, aussi bien comme
soutien à l’apprentissage « de surface »
c’est-à-dire la mémorisation à court terme des
notions, mais aussi à l’apprentissage « en
profondeur » qui fait appel à la compréhension et
à la capacité de mettre en œuvre en classe les notions
théoriques présentées dans les vidéo-cours. Mais la
question de l’articulation du vidéo-cours à la séance
de cours en présentiel est posée : il apparaît que la
phase de rappel des notions principales en début de cours est
perçue comme une répétition du vidéo-cours et par
conséquent vécue comme une perte de temps et qu’elle
génère de surcroît un sentiment d’injustice de la part
des étudiants qui ont bien préparé le cours en amont. Ce
constat questionne la qualité des interactions entre les
étudiants, tout comme le lien entre classe inversée et motivation,
ces deux items ayant obtenu les scores les plus bas tous modes
d’apprentissage confondus (Tableau 2, items C et D).
6. Discussion
Si notre travail nous a permis de mettre en
perspective un lien entre vidéo-cours, classe inversée et
manière d’apprendre, nous sommes bien conscients de ses limites,
parmi lesquelles le petit effectif d’étudiants, l’observation
sur un temps court et aussi la particularité du dispositif lui-même
qui présente une forme de classe inversée parmi d’autres.
Au-delà des styles d’apprentissage, l’entrée par
les manières d’apprendre semble indiquer que ce sont les
étudiants apprenant de préférence par
« expérimentation active » qui adhèrent le
plus à la classe inversée. Les réactions des
étudiants sont cependant plus nuancées : nous avons vu que
les étudiants ont perçu positivement le vidéo-cours en
classe inversée comme un soutien à la mémorisation de
contenus et à leur organisation personnelle, surtout en raison de la
flexibilité que l’enregistrement vidéo des cours
permet : ils peuvent les visionner autant que de besoin. Aussi, beaucoup
ont vu dans la classe inversée un moyen de travailler autrement, en ayant
la possibilité d’aborder différemment les exercices :
il ne s’agit plus d’en apprendre les solutions mais de comprendre
véritablement en quoi les connaissances peuvent être
sollicitées pour répondre à tous types de situations avec
pertinence.
Nous avons vu également que les étudiants
n’établissent pas un lien fort entre l’inversion de la classe
et l’augmentation de leur motivation à apprendre. Dans cette
perspective, nous pouvons d’abord supposer qu’en consacrant le
vidéo-cours à autre chose qu’à la consultation de
savoirs constitués, il serait possible de soutenir la motivation des
étudiants : il serait envisageable d’adopter une
démarche inductive qui demanderait aux étudiants de construire
leurs connaissances de manière collaborative à partir de consignes
sur un thème donné, de manière à proposer un
dispositif de classe inversée plus ouvert,
« centré sur l’apprenant » (Deschryver et Lebrun, 2014) et susceptible de développer la curiosité, le désir de
savoir des étudiants. Par ailleurs, le cours de physique AP50 de Mazur
peut être une source d’inspiration (Mazur, 2009), (Dumont et Mazur, 2016) :
ce cours ne contient aucune vidéo, les activités à distance
consistent essentiellement en des annotations du livre de physique par les
étudiants. Celles-ci sont certes facilitées par le
développement d’un outil d’annotation en ligne propre
à Harvard, mais l’idée intéressante est que
c’est une activité difficile que les étudiants ont à
résoudre en groupe, ils n’ont d’autre choix que de collaborer
pour résoudre ensemble le problème qui leur est posé ou
pour formuler les questions auxquelles ils ne parviennent pas à trouver
une solution. Ce type d’activité présente donc deux
avantages. Sa difficulté constitue un défi pour les
étudiants et donne de la valeur à l’activité, or il
est établi que ce sont les activités exigeantes qui soutiennent la
motivation des étudiants estimant avoir un bon niveau de
compétence dans un domaine donné (Viau, 1997, p. 141).
L’autre avantage est qu’il favorise les interactions :
c’est en essayant de résoudre un problème ensemble et en
étant incités à s’entraider que les étudiants
vont apprendre à travailler en groupe et valoriser ce que chaque membre
du groupe peut apporter. Au lieu de laisser les étudiants gérer
leur relation (Bédard et Raucent, 2015),
l’explicitation de l’objectif « apprendre à
travailler en groupe » pourrait rendre les étudiants plus
attentifs à la nécessité de travailler de manière
plus collaborative avec leurs pairs.
Dans un autre domaine, la classe renversée (Cailliez, 2014) ne propose pas autre chose : en demandant aux étudiants
d’adopter la posture de l‘enseignant, ceux-ci ont pour objectif la
co-construction du cours à partir de diverses ressources (dont le livre
et le web) et celle des modalités d’évaluation.
L’engagement cognitif dans les activités d’apprentissage est
par conséquent très élevé : il revient aux
étudiants de s’entraider pour construire les chapitres de cours qui
leur seront nécessaires pour réussir l’examen et pour
construire les sujets d’évaluations que l’enseignant devra
effectuer. Ce point est confirmé par les récents travaux qui ont
cherché à établir une typologie des classes
inversées (Lebrun et al., 2017) :
en ce qui concerne la motivation, on constate que la simple
délocalisation des connaissances à distance est moins
intéressante qu’une démarche de découverte voire de
construction de ces connaissances par les élèves eux-mêmes.
Une autre piste susceptible de développer la motivation des
étudiants serait d’accorder plus d’attention aux interactions
enseignant-étudiants : il n’est pas certain que le suivi
d’un cours à distance soit perçu de la même
manière par l’étudiant qu’un cours en
présentiel. Comme l’ont montré les travaux portant sur les
dispositifs hybrides, dont relève la classe inversée, une
réflexion sur la « médiation des savoirs » (Charlier et al., 2006) est nécessaire afin de prendre en compte l’effet du dispositif
sur les processus cognitifs et relationnels de la communication. En
résumé, non seulement la classe inversée nécessite
un accompagnement soutenu de la part de l’enseignant dans la partie
d’appropriation des connaissances mais aussi dans la phase
d’acquisition, car elle constitue pour de nombreux étudiants
« un choc culturel », selon Talbert (2012) cité par (Nizet et Meyer, 2016).
Ceci implique un questionnement des enseignants quant au développement de
leur pratique professionnelle en termes de conception de dispositifs
d’apprentissage et, par conséquent, la nécessité
d’un accompagnement en la matière à destination des
enseignants.
Plus généralement, la phase à distance de la classe
inversée pose la question de la représentation qu’ont les
enseignants de l’autonomie des étudiants : le passage à
la classe inversée nécessite sans doute une
« acculturation » progressive des étudiants (Coulon, 2005),
c’est-à-dire un soutien au développement de
l’autonomie. Comme le fait remarquer Paivandi (Paivandi, 2015, p. 115) « l’autonomie ne peut se développer qu’au cours
d’un processus formatif de maturation ». Il convient
également de s’interroger sur le type d’autonomie qui est
visé par l’enseignant et comment il compte accompagner
l’apprentissage de celle-ci.
En conclusion, au-delà des observations des différents modes
d’apprentissage, notre observation confirme que la conception des
ressources à distance ne doit pas absorber toute l’énergie
que l’enseignant consacre à l’inversion du contenu de son
enseignement. En amont, il s’agit de mettre en perspective les objectifs
et les finalités visées par le cours et les ressources et
activités qui seront proposées aux étudiants. En aval,
l’articulation des activités réalisées à
distance et celles effectuées en présence est déterminante.
Une planification rigoureuse des activités qui évite une redite de
ce qui a été vu ou entrepris à distance est essentielle,
mais ces activités doivent être rigoureusement définies pour
que les étudiants leur accordent de la valeur : d’une part,
elles doivent être engageantes sur le plan cognitif, d’autre part
elles devraient être perçues comme pertinentes au-delà de la
simple restitution des connaissances et de la réussite d’un examen.
Autrement dit, si la question de la constitution des ressources
numériques et celle de l’utilisation des outils a pu paraître
centrale dans les premiers temps de la classe inversée, elle n’en
reste pas moins un dispositif pédagogique à part entière,
pour lequel une solide connaissance des processus de la motivation à
apprendre est indispensable.
À
propos des auteurs
Laetitia Thobois-Jacob est Attachée temporaire
d’enseignement et de recherche (ATER) et Doctorante en Sciences de
l’Education à l’Université de Strasbourg. Son travail
de thèse au sein du LISEC-Alsace (EA-2310) traite de la classe
inversée en contexte universitaire et en étudie les effets sur
l’apprentissage et la motivation des étudiants.
Adresse : Faculté de Sciences de
l’Education – 7 rue de l’Université - 67000
Strasbourg
Courriel : jacobl@unistra.fr
Eric Christoffel est Maître de Conférences en
Sciences Physiques à l’Université de Strasbourg, où
il enseigne l’électronique et l’informatique, et est
rattaché au LISEC-Alsace (EA-2310). Fortement impliqué dans la
Formation Ouverte À Distance (FOAD), il contribue, depuis plus de 10 ans,
à l’évolution des pratiques en FOAD à
l’Université de Strasbourg. Ses travaux portent sur l’usage
du Tablet PC par l’enseignant et sur l’expérimentation de la
classe inversée et en étudie l’impact sur
l’apprentissage des étudiants.
Adresse : Faculté de Physique et
Ingénierie – 3-5 rue de l’Université – 67000
Strasbourg
Courriel : christof@unistra.fr
Pascal Marquet est Professeur de Sciences de
l’éducation à l’Université de Strasbourg,
où il dirige la Faculté de Sciences de l’éducation et
le LISEC-Alsace (EA-2310). Ses travaux portent depuis une vingtaine
d’années sur les usages des TIC dans l’enseignement et la
formation, dans ce qu’ils transforment les conditions et les objets
d’apprentissage. Il est notamment l’auteur ou le co-auteur de 160
publications scientifiques. Il est aussi expert international et a
réalisé au cours des 15 dernières années une
centaine d’expertises pour des universités étrangères
ou des organismes internationaux.
Adresse : Faculté de Sciences de
l’Education – 7 rue de l’Université – 67000
Strasbourg
Courriel : Pascal.Marquet@unistra.fr
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universitaire à l’heure du numérique (p. 189-203).
Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.
1 Les huit établissements
membres de l’Université Paris-Est participant au projet sont :
l’Upec (Université Paris -Est-Créteil-Val de Marne),
l’Upem (Université Paris-Est Marne-la-Vallée), l’ENPC
(École des Ponts ParisTech), l’École des ingénieurs
de la Ville de Paris, l’École spéciale des travaux publics,
du bâtiment et de l’industrie, l’ESIEE Paris,
l’École nationale supérieure d’architecture de la
ville et des territoires à Marne-la-Vallée et l’École
nationale vétérinaire d’Alfort.
2 EC (expérience
concrète) ; OR (observation réfléchie) ; CA
(conceptualisation abstraite) ; EA (expérimentation active).
3 Le processus de
réalisation de ces vidéo-cours a été décrit
dans (Trestini et al., 2010).
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