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Une analyse de l’utilisation des vidéos
pédagogiques des MOOC par les non-certifiés
Matthieu CISEL (STEF, ENS Paris-Saclay)
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RÉSUMÉ : Nous
montrons, sur la base des traces de six MOOC, que les non-certifiés
effectuent l’essentiel des actions observables réalisées sur
les vidéos du cours. Nous cherchons à quantifier et
interpréter divers comportements mis au jour sur la base de ces traces.
Certains non-certifiés visionnent l’ensemble des vidéos du
cours sur la plateforme ; ils sont minoritaires par rapport aux
certifiés. Plus fréquemment, ils en téléchargent la
totalité, sans les visionner depuis la plateforme. Selon une approche de
méthode mixte, nous cherchons à mettre en lumière les
déterminants de tels comportements. Le fait de se concentrer sur les
seules vidéos pédagogiques correspond parfois à une
décision contrainte, et non nécessairement à une
stratégie d’apprentissage. Le téléchargement des
ressources relève parfois de logiques d’archivage. Il n’est
pas nécessairement suivi d’utilisations effectives des ressources
téléchargées.
MOTS CLÉS : MOOC,
traces d’activité, comportement, méthodes mixtes
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How do non-completers use pedagogical videos of MOOCs? An analysis |
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ABSTRACT : Based
on the learning analytics of six MOOCs, we show that non-completers are
responsible for most of the actions realized on course videos. We aim at
quantifying and interpreting some of the behaviors revealed by learning
analytics. Some non-completers view all of the course videos, but these users
are usually less common than completers. More frequently, they download all of
them without viewing them on the platform. Following a mixed method approach, we
carried out semi-structured interviews in order to interpret such behaviors.
Focusing on the course videos is sometimes a forced decision, rather than a
deliberate learning strategy. Non-completers who download all videos may archive
them without further uses.
KEYWORDS :
MOOC, learning analytics, behavior, mixed methods |
1. Introduction : les faibles taux de certification en question
De nombreux travaux publiés dans la
littérature grise comme dans la littérature scientifique montrent
que le pourcentage des inscrits qui obtiennent le certificat ou
l’attestation d’un MOOC (Daniel, 2012),
autrement appelé taux de certification, est généralement
inférieur à 10% (Ho et al., 2014), (Ho et al., 2015).
Ce constat a engendré un vif débat au sein de la communauté
scientifique quant à la signification de cette forte attrition (Cisel, 2014),
l’attrition étant ici définie comme le pourcentage des
inscrits qui n’obtiennent pas de certificat, c’est-à-dire, le
pourcentage des non-certifiés. Un certain nombre de travaux ont
visé à mettre au jour les caractéristiques des dispositifs (Jordan, 2014), (Jordan, 2015) ou
des participants - variables sociodémographiques, motivations pour
s’inscrire, etc. – dont le lien avec l’obtention du certificat
était statistiquement significatif (Champaign et al., 2014), (Colvin et al., 2014), (Kizilcec et Schneider, 2015), (Barak et al., 2016).
Ces approches se fondent implicitement sur une vision dichotomique des
utilisations qui sont faites des MOOC, entre des certifiés qui
réaliseraient l’ensemble des activités prescrites, et des
non-certifiés dont l’engagement dans la formation serait minimal.
Un certain nombre de travaux ont nuancé cette vision de
l’engagement dans les MOOC en mobilisant diverses analyses de traces
d’activité issues des plateformes hébergeant les cours. Par
exemple, (Kizilcec et al., 2013) mettent au jour une classe de participants n’obtenant pas le certificat
mais visionnant la plus grande partie des vidéos
pédagogiques : ils les appellent les auditeurs libres. Ces analyses
visent à dépasser une vision dichotomique des utilisations qui
sont faites des MOOC, entre certifiés et non-certifiés ;
à cet égard, nous nous inscrivons dans la continuité de
tels travaux. Notre objectif est ici de mieux comprendre, via des
méthodes quantitatives, quelles sont les utilisations
développées par les non-certifiés en termes de
vidéos pédagogiques, et d’en proposer des
interprétations via des méthodes qualitatives.
La question des utilisations des dispositifs faites par les
non-certifiés représente un enjeu de taille dans les débats
entourant les MOOC. Certains acteurs ont minimisé la portée des
faibles taux de certification en arguant du fait que les non-certifiés
développeraient de nombreux usages, importants sur le plan quantitatif,
que l’on négligerait à tort en utilisant un indicateur de
performance comme le taux de certification. L’une des personnes les plus
représentatives de cette tendance est la fondatrice de la plateforme
américaine Coursera (Koller et al., 2013).
Celle-ci avançait en plein cœur des débats que nombre de
non-certifiés, loin de se désengager de la formation, se
concentraient sur les vidéos pédagogiques du cours. Pour reprendre
les termes utilisés par les auteurs, ces « passive
participants » éprouveraient une certaine
« indifférence » pour les certificats. Pour appuyer
leurs propos, ils affirment qu’au sein de la plateforme, les
non-certifiés qui visionnent la quasi-totalité des vidéos
du dispositif sont deux fois plus nombreux que les certifiés et doivent
dès lors être pris en compte dans toute réflexion sur les
formes d’attrition.
Dans le cadre de cet article, nous contesterons au moins en partie les
interprétations faites par ces auteurs. En premier lieu, nous
suggérerons, avec l’analyse de traces de six MOOC de la plateforme
Coursera, que leur position repose vraisemblablement sur l’absence de
distinction entre visionnage d’une vidéo depuis la plateforme et
téléchargement de ladite vidéo. Or rien ne permet
d’affirmer qu’une vidéo téléchargée est
visionnée par la suite. Nous utiliserons le terme consommer une
vidéo, pour désigner soit un visionnage depuis la plate-forme,
soit un téléchargement. En second lieu, nous critiquerons, via
l’analyse d’entretiens, l’interprétation en termes
« d’indifférence vis-à-vis du
certificat ». En effet, le choix de se cantonner aux vidéos
d’un MOOC ne découle pas nécessairement d’une
décision positive, il peut être subi.
2. Des concepts issus des travaux sur l’attrition en formation
Nous avons mené ce travail sur la base de
notions et concepts issus des travaux sur l’attrition en formation,
comprise comme la proportion des inscrits à une formation qui
n’obtiennent pas le certificat ou le diplôme associé. La
question de l’attrition constitue une thématique de recherche
vieille de plusieurs décennies tant au sein de la formation des adultes (Boshier, 1973) – pour mémoire, le public des MOOC est constitué
essentiellement de personnes insérées dans le monde professionnel (Cisel, 2016) – qu’au sein de la formation à distance (Zawacki-Richter, 2014).
Nous en retraçons ici les grandes lignes, en nous focalisant sur des
recherches de nature descriptive. Celles-ci consistent en un
développement de typologies de formes d’attrition, puis de motifs
avancés pour expliquer un désengagement de la part du
participant.
2.1.1. Construction de typologies de formes d’attrition
Les recherches visant à construire des typologies de formes
d’attrition remontent, aux États-Unis, au lendemain de la seconde
guerre mondiale. Elles sont motivées par les coûts que
l’abandon des études fait peser sur les institutions
d’enseignement supérieur en particulier, et sur la
société en général. On voit d’abord
apparaître dans la littérature scientifique la distinction entre le
retrait volontaire (Vaughan, 1968) – décision positive d’interrompre sa participation à
une formation – et l’échec académique –
décision subie, notamment du fait de notes insuffisantes.
Ces typologies évolueront peu par la suite, et ce n’est
qu’à la marge des principaux travaux que des notions susceptibles
d’être mobilisées ici apparaissent. En particulier, (Tinto, 2006) relève la notion d’attainer proposée par (Terenzini, 1987).
Celle-ci n’a jusqu’à présent rencontré que peu
d’écho dans les travaux consacrés à
l’attrition, et l’étayage empirique correspondant est
particulièrement limité. Un attainer, que nous avons
traduit par cibleur, est un participant qui suit la formation avec un
objectif relativement défini – réalisation d’un cours
en particulier au sein d’un diplôme ou maîtrise d’une
compétence particulière – et qui se désengage de la
formation une fois cet objectif atteint. Dans le cadre de cet article, un
objectif pourra être défini en termes d’activité
à réaliser – le visionnage de l’essentiel des
vidéos, par exemple – ou en termes de connaissances ou de
compétences, comme la maîtrise de tel ou tel concept
d’algorithmique. Cet objectif peut avoir été défini
en amont du lancement du cours ou se préciser au fil de la formation.
Cependant, si le choix de se concentrer sur telle ou telle activité
est dicté par une contrainte temporelle – manque de temps, etc.
– ou de manière générale par ce qui relève
d’une barrière situationnelle (notion définie par la
suite), nous ne pouvons parler de cibleurs selon notre définition, car il
ne s’agit pas d’une décision positive, mais d’un choix
contraint. À bien des égards, Koller et al. (2013)
identifient l’ensemble des non-certifiés qui visionnent la
totalité des vidéos du cours à ce que nous
définissons ici comme étant des cibleurs, une
interprétation qui nous semble contestable.
Enfin, les recherches sur l’attrition en formation à distance
conduisent à l’apparition d’une autre notion, restée
jusque-là relativement marginale dans les premiers travaux, la
non-participation, que l’on retrouve parfois dans la littérature
anglo-saxonne sous le terme non-start. Le terme apparaît dès
les années 1970 (Orton, 1977) pour
désigner la classe des inscrits qui ne commencent pas les formations, la
définition de « commencer » changeant selon les types
de formation. Plusieurs études prennent comme critère le non-rendu
du premier devoir, pour définir la non-participation (Kempfer, 1996).
Dans le cadre d’un MOOC, on dira ici qu’il y a non-participation si
l’utilisateur ne visionne ni ne télécharge aucun contenu
(vidéo, etc.) et ne réalise aucune activité
évaluée. Cet élément est à prendre en compte
pour éliminer des biais comme les différences de non-participation
d’un cours à l’autre. Cette première typologie nous
permet d’appréhender différents types d’attrition.
Elle ne nous permet en revanche pas de qualifier les mécanismes qui ont
conduit à cette attrition, quelle que soit sa nature. C’est
à cette lacune que se sont adressés les travaux sur les barrières ou obstacles (Cross, 1981), (Garland, 1992), (Garland, 1993).
2.1.2. Les barrières : motifs avancés par les
participants pour expliquer leur désengagement
L'objectif des recherches qualitatives sur les
« obstacles », ou « barrières »,
est de qualifier les éléments qui poussent les participants
à se désengager au sens large, quelle que soit la forme
d’attrition correspondante. Au cours de ses travaux doctoraux, Cross
identifie trois barrières potentielles chez les apprenants adultes (Cross, 1981). Les
barrières d’ordre situationnel sont liées aux
circonstances particulières que rencontre l’apprenant :
responsabilités familiales, manque de temps, etc. Les barrières
d’ordre dispositionnel sont liées aux croyances, attitudes,
ou valeurs de l’étudiant. C’est par exemple le cas
lorsqu’un enquêté déclare ne pas être
suffisamment autonome, de manière générale, pour terminer
avec succès un MOOC. Les barrières d’ordre institutionnel dépendent de l’institution et des
caractéristiques de la formation ; c’est le cas, par exemple,
si un étudiant pointe une défaillance de l’équipe
pédagogique dans la gestion du cours.
(Garland, 1992) développe le travail de Cross en suivant une approche ethnographique,
dans le contexte de recherches sur l’enseignement à distance. Elle
propose une catégorie supplémentaire, la barrière
épistémique, liée notamment aux attentes des
étudiants, à la pertinence du contenu de la formation au regard de
ces attentes, à la maîtrise des prérequis, etc. La
barrière épistémique correspond au contenu
pédagogique de la formation plus qu’à la forme qu’elle
prend. On s’intéresse ici au contenu de la formation défini
en termes de thématiques abordées, d’objectifs
pédagogiques, de pédagogies suivies (pédagogie par projet,
etc.), et non aux caractéristiques de la formation qui en sont
indépendantes, comme la réactivité d’une
équipe pédagogique. La distinction avec la barrière
institutionnelle peut être ténue, ce qui explique sans doute
l’apparition plus tardive de ce concept. Ces barrières peuvent
être mises en jeu dans les différentes formes d’attrition
caractéristiques d’un MOOC ou d’un dispositif de formation
quel qu’il soit. Cette typologie de barrières nous a permis de
structurer les entretiens menés au cours de cette recherche, afin
d’éclairer les analyses de traces d’activités que nous
avons menées par ailleurs. Ces traces sont issues d’un corpus de
six cours sur lesquels nous allons maintenant revenir.
3. Méthodes de collecte des données
3.1. Présentation des cours étudiés
Notre étude est basée sur six MOOC
distincts de l’École Polytechnique et de Centrale-Supelec
disponibles sur la plate-forme Coursera, dont deux correspondent à une
itération de la formation. Les noms de code utilisés pour ces
MOOC, le titre correspondant, les statistiques descriptives et les dates de
lancement sont fournis dans le Tableau 1, où figurent également
les informations suivantes : #Vid., nombre de vidéos
présentes dans le dispositif ; #V-Q, nombre de quiz contenus dans
les vidéos (format dit du In-vidéo quiz) ; #Quiz, nombre de
quiz présents à l’extérieur des vidéos ;
#Dev. Aut., nombre de devoirs évalués automatiquement ; #Dev.
E.P., nombre de devoirs évalués par les pairs.
À l’exception du MOOC AV1, tous les MOOC
étudiés incluaient des devoirs à rendre, qu’ils
soient corrigés automatiquement, comme dans le cas du MOOC ALG, ou
qu’ils soient corrigés exclusivement par les pairs, comme dans les
cas du BP et FA. Nous parlerons d’activité
prescrite, pour désigner toute tâche prescrite explicitement ou
implicitement par les concepteurs du MOOC, et d’activité
évaluée pour désigner toute activité dont la
réalisation permet d’obtenir des points utilisés pour
l’obtention d’un certificat. On notera que tous les certificats
présentés ici sont strictement gratuits, aucun service payant
n’est proposé aux participants. Le MOOC AV1 ne propose que
des vidéos et des quiz, tandis que les certificats des MOOC BP et FA se basent sur des devoirs évalués par les pairs.
Seul le MOOC ALG se base sur des devoirs corrigés automatiquement.
La plupart des exercices automatisés proposés par ces cours,
autrement appelés quiz, sont contenus dans les vidéos
pédagogiques, c’est-à-dire qu’il n’est possible
d’y répondre qu’en visionnant au moins une partie de la
vidéo pédagogique qui le contient. Les MOOC sont organisés
en différents modules, un nouveau module étant diffusé
chaque semaine.
Tableau 1 • Structure des six MOOC de Coursera étudiés
Code Cours |
Titre du cours |
#Vid. |
#V-Q |
#Quiz |
#Dev. Aut. |
Dev. E.P. |
Date de
début |
Date de fin |
ALG1 |
Conception et mise en œuvre d’algorithmes |
45 |
29 |
3 |
8 |
0 |
28/10/2013 |
01/01/
2014 |
ALG2 |
Conception et mise en œuvre d’algorithmes |
47 |
31 |
4 |
9 |
0 |
27/10/2014 |
27/12/
2014 |
FA1 |
An Introduction to Functional
Analysis |
54 |
32 |
8 |
0 |
9 |
02/02/2014 |
07/04/
2014 |
FA2 |
An Introduction to Functional Analysis |
56 |
38 |
8 |
0 |
7 |
12/09/2014 |
06/11/
2014 |
BP1 |
Business and
Philosophy |
38 |
20 |
4 |
0 |
7 |
14/04/2014 |
25/05/
2014 |
AV1 |
Discrete inference And Learning in Artificial Vision |
66 |
37 |
8 |
0 |
0 |
09/01/2014 |
06/03/
2014 |
Le terme certificat désigne toute forme de validation gratuite
permettant d’attester du suivi avec succès d’un MOOC, ce qui
correspond sur Coursera au Statement of Accomplishment. Le terme taux d’attrition, ou l’attrition employée comme
quantité, désigne, pour un cours donné, la proportion des
inscrits qui n’obtiennent pas la note nécessaire à
l’obtention du certificat au moment de la clôture de la formation,
sans pour autant s’être désinscrits à ce
moment-là, ce qui équivaut à (1 - taux de
certification). Les participants qui se sont inscrits puis
désinscrits avant la fin de la formation ne sont pas pris en compte dans
le calcul de cet indicateur.
Les statistiques précises pour chaque cours sont fournies en Annexe.
Le nombre d’inscrits peut dépasser 70.000, et le nombre de
certifiés peut atteindre 2700. Les taux de certification ne
dépassent pas 5% dans le cas des MOOC étudiés, ils varient
entre 1,5% des inscrits pour le MOOC FA1 et 4,6% pour AV1.
L’analyse des traces d’activité des MOOC de Coursera montre
que le taux de connexion, c’est-à-dire le pourcentage des inscrits
qui se connectent au moins une fois au cours, varie selon les six MOOC entre
50,9 et 69,5%. La proportion des participants qui consomment au moins une
vidéo pédagogique est comprise entre 48 et 56% des inscrits selon
les cours, elle est jusqu’à 20% inférieure à ceux qui
se connectent au moins une fois à la plateforme. La proportion des
inscrits qui rendent au moins un devoir varie selon les cours entre 5,8 et 11,4%
des inscrits. Nous avons cherché dans cette recherche à aller
au-delà d’une approche purement descriptive et avons pour cela
mobilisé des méthodes mixtes.
3.2. Méthodes mixtes et stratégie séquentielle
explicative
Nous avons collecté d’une part des données quantitatives,
les traces d’activité, et d’autre part des données
qualitatives, au travers des entretiens, que nous avons articulées lors
de la présentation des résultats. Les méthodes mixtes
connaissent une popularité croissante dans le champ des sciences sociales
en général (Mertens, 2003), (Creswell, 2009, p. 203) et dans celui de l’éducation en particulier (Creswell et Clark, 2006).
Creswell propose quatre axes pour discriminer les différentes approches,
dont l’ordre et l’importance relative de la collecte et de
l’analyse des données qualitatives et quantitatives (Creswell, 2009).
Sur la base de ces quatre axes de description, Creswell propose de ranger les
approches mixtes en six grandes catégories, dont la stratégie séquentielle explicative (Ivankova et al., 2006), que nous avons suivie ici. Dans cette stratégie, les
données quantitatives sont collectées et analysées en amont
des données qualitatives, celles-ci contribuant à
l’interprétation des données quantitatives. Nous
décrirons d’abord la manière dont ont été
menées les analyses sur les traces d’activité, qui
correspondent aux données quantitatives, pour nous pencher ensuite sur
les données qualitatives, correspondant aux entretiens
semi-directifs.
3.3. Traces d’activité
3.3.1. Tables fournies par Coursera
Les traces d’activité des MOOC de Coursera étudiés
ici ont été fournies par les deux établissements
partenaires de la plateforme avec lesquels nous avons collaboré. Sur
demande des établissements partenaires, la plateforme Coursera envoie, en sus des logs bruts, un fichier SQL comportant trente-trois
tables, dont nous exploitons deux. L’une de ces tables comprend les
informations sur l’utilisation de vidéos, indiquant notamment si
une vidéo donnée a été visionnée depuis la
plateforme ou si elle a été téléchargée. La
plateforme Coursera se distingue d’autres plateformes comme edX, qui ne fournissent pas d’informations sur les vidéos
téléchargées. La seconde table utilisée comporte les
informations relatives aux notes obtenues par le participant, ainsi que
l’obtention éventuelle du certificat.
3.3.2. Définitions opératoires
Sur la table relative à la consommation de vidéos, nous nous
sommes intéressés notamment à deux
types d’actions liées aux vidéos, avant tout chez les
non-certifiés : le téléchargement d’une part et
le visionnage d’autre part. Par la suite, nous utiliserons le terme visionnage pour désigner le fait de cliquer sur le bouton Lecture de la vidéo depuis le lecteur de la plateforme. On dit en
revanche que la vidéo a été lancée si
l’on a appuyé sur ce bouton, que cela soit depuis la plateforme ou
depuis l’appareil sur lequel la vidéo a été
téléchargée – dans ce dernier cas, l’action
n’est pas visible dans les traces. Notons que même lorsqu’il y
a visionnage – l’action étant relevée dans les
traces – l’on ne peut pas savoir si la vidéo est jouée
dans son intégralité, ni si la vidéo est affichée
à l’écran tandis qu’elle est jouée
(l’utilisateur peut se contenter d’écouter la bande audio)
ou, en d’autres termes, si elle est regardée dans son
intégralité, c’est-à-dire avec l’utilisateur
physiquement présent devant la vidéo durant toute sa durée.
De la même manière, dans le cas du téléchargement, il
est impossible de déterminer si l’utilisateur lance ou non la
vidéo suite au téléchargement. Par conséquent, la
probabilité que la vidéo ait été regardée est
a priori plus élevée si la vidéo est lancée depuis
la plateforme que si elle a été simplement
téléchargée.
Nous parlerons par la suite de consommation de vidéo lorsque
nous désignerons indistinctement le visionnage ou le
téléchargement de vidéos, car c’est une pratique
fréquente de Coursera de ne pas faire cette distinction. En
d’autres termes, si le participant a visionné ou
téléchargé une vidéo, il l’a consommée. L’assiduité concerne, dans le cadre
de cet article, la proportion de vidéos du dispositif consommées.
Nous parlerons de non-certifié visionneur assidu (NCVA) pour
désigner tout non-certifié qui a visionné au moins 90% des
vidéos du dispositif, de non-certifié téléchargeur
assidu (NCTA) pour désigner toute personne qui a
téléchargé au moins 90% des vidéos du dispositif.
Ces deux catégories ne sont pas mutuellement exclusives, car il est
possible d’être simultanément un NCVA et un NCTA. Nous
qualifierons de non-certifié consommateur assidu (NCCA) toute personne
qui a visionné et/ou téléchargé au moins 90% des
vidéos du dispositif. Enfin, un utilisateur qui a consommé au
moins une vidéo est un non-certifié consommateur (NCC). Le Tableau 2 présente la
définition des sigles utilisés.
Tableau 2 •
Définition des sigles utilisés pour qualifier les
non-certifiés
Sigle |
Décomposition du sigle |
Définition opératoire |
NCVA |
Non-certifié visionneur assidu |
Non-certifié qui visionne depuis la plateforme au moins 90% des
vidéos présentes dans le dispositif |
NCTA |
Non-certifié téléchargeur assidu |
Non-certifié qui télécharge depuis la plateforme au
moins 90% des vidéos présentes dans le dispositif |
NCCA |
Non-certifié consommateur assidu |
Non-certifié qui visionne OU télécharge depuis la
plateforme au moins 90% des vidéos présentes dans le
dispositif |
NCC |
Non-certifié consommateur |
Non-certifié qui visionne OU télécharge depuis la
plateforme au moins une vidéo du dispositif |
NCVA-D |
Non-certifié visionneur assidu – devoir rendu |
Non-certifié visionneur assidu rendant au moins un devoir prescrit
(que celui-ci soit évalué par les pairs ou par un programme) |
NCVA-Q |
Non-certifié visionneur assidu – quiz soumis |
Non-certifié visionneur assidu soumettant au moins trois quiz |
Nous chercherons à déterminer si ces différentes
catégories de participants réalisent des quiz ou des devoirs. Dans
cette perspective, nous ajoutons les sigles -Q et -D. Ils fonctionnent par
apposition et permettent respectivement de désigner, parmi les
catégories de participants préalablement définies, ceux qui
ont réalisé au moins trois quiz ou (respectivement) soumis au
moins un devoir, indépendamment de la manière dont celui-ci est
corrigé (nous n’illustrons dans le Tableau 2 que les cas avec les
NCVA). Nous choisissons trois quiz, et non un seul, car pour certains de ces
cours, il existe un ou deux quiz, difficiles à identifier dans les
traces, dont la fonction est de s’assurer que le participant a bien
compris le fonctionnement de la plateforme ; y répondre ne signifie
pas que l’on a commencé à suivre le cours, alors que
c’est probablement davantage le cas lorsque l’on a
réalisé au moins trois quiz.
3.3.3. Logiciels et tests statistiques utilisés pour
l’analyse
Les statistiques rapportées dans les tableaux présentés
dans le corps de l’article ont été réalisées
avec le logiciel R, version 3.2 (http://www.R-project.org). Nous avons
utilisé plusieurs types de tests statistiques, dont une analyse de
survie, et plus précisément le modèle de Cox,
méthode statistique adaptée pour analyser les variables qui
correspondent à des données de survie. Les données de
survie correspondent à des variables correspondant au temps restant avant
un événement donné, comme le départ d’une
formation. Les données comme le nombre de semaines durant lequel un
participant est actif, ou comme la proportion des vidéos d’un
dispositif visionnées, ont le format requis pour être
considérées comme des données de survie (Reich, 2014). La
statistique associée à une analyse de survie est nommée le
Hazard Ratio (HR) ; elle est généralement fournie avec
l’intervalle de confiance à 95% associée à ce HR, le
R2 du modèle (l’équivalent de la part de variance
expliquée pour le modèle linéaire), et la valeur du test z.
Cette dernière est plus intéressante que la p-value lorsque
celle-ci est très basse. Dans les cas que nous allons présenter,
la p-value est systématiquement inférieure à
10-15 et présente donc peu d’intérêt.
Enfin, rappelons que le nombre précédé du signe ±
correspond à l’écart-type ; il est calculé sur
la base des six cours analysés.
3.4. Entretiens semi-directifs
En sus de l’analyse des traces d’activité, nous avons fait
des entretiens semi-directifs. Nous ne présentons ici que succinctement
la méthodologie suivie - voir (Cisel, 2016) pour
de plus amples développements.
3.4.1. Sélection des interviewés
Plusieurs stratégies ont été employées pour
atteindre d’éventuels enquêtés : diffusion
d’une annonce via la lettre d’information du MOOC Monter un MOOC
de A à Z, et diffusion via les réseaux sociaux. Les personnes
répondant à nos sollicitations étaient
catégorisées selon leurs caractéristiques
socioprofessionnelles (PCS) dans un tableur, puis recontactées par la
suite, en cherchant à maximiser la diversité de PCS. On notera ici
que les enquêtés ont suivi d’autres MOOC que ceux
étudiés dans le volet quantitatif de l’article. Ceci tient
à plusieurs raisons ; tout d’abord, la réglementation
de Coursera interdisait de contacter les inscrits d’un cours
à des fins de recherche aussi longtemps après son
déroulement. Ensuite, l’objectif n’était pas, à
travers ces entretiens, d’interpréter les comportements
observés dans le cas particulier de notre corpus, mais de proposer des
contre-exemples à l’interprétation faite par (Koller et al., 2013).
La population d’enquête, à majorité
féminine (24 femmes pour 17 hommes) était en moyenne
âgée de 41 (±11) ans. Le nombre de MOOC suivis par ces
apprenants était plus élevé que la moyenne, qui est de 2,3
selon les données d’inscription de FUN (Cisel, 2016) :
5,8 (±7,5) MOOC suivis en moyenne, l’écart-type
élevé résultant de l’existence d’utilisateurs
inscrits à plusieurs dizaines de cours. Il n’est pas surprenant
qu’un utilisateur qui réponde à une sollicitation
d’entretien ne soit pas tout à fait représentatif des
utilisateurs de MOOC ; le biais est trop important pour que l’on
puisse inférer à partir de la fréquence des comportements
rapportés au cours des entretiens. S’ils ne visent pas la
représentativité, les extraits d’entretien indiquent en
revanche des possibles et constituent de ce fait une aide précieuse pour
l’interprétation.
3.4.2. Condition de réalisation et d’analyse des
entretiens
Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs durant en
moyenne une quarantaine de minutes avec quarante-et-un enquêtés. Le
canevas d’entretien était composé de plusieurs parties,
répondant chacune à une fonction particulière. Outre le
talon sociologique (âge, catégorie socioprofessionnelle, etc.), un
certain nombre de questions étaient posées, relatives notamment
aux motivations pour s’inscrire et aux intentions sous-jacentes aux
actions réalisées au sein du MOOC.
Les trois questions suivantes sont à la base d’un certain nombre
des extraits qui suivent :
- « Quand vous vous inscrivez, est-ce que vous savez avec
certitude si vous allez terminer le cours ? » ;
- « Est-ce qu’il vous arrive de butiner dans un
MOOC, c’est-à-dire ne regarder que les contenus qui vous
intéressent, sans vous contraindre à suivre la séquence
prescrite, et si oui pourquoi ? » ;
- « Vous est-il arrivé de suivre un MOOC en ne
faisant que consulter les ressources pédagogiques, sans participer aux
activités évaluées ? Si oui,
pourquoi ? ».
La structure de l’entretien n’étant pas figée, il
arrivait fréquemment que les éléments
d’intérêt émergent au détour d’une autre
question. La majorité des entretiens ont été
réalisés via l’outil de visioconférence Skype ou par téléphone. Les entretiens réalisés
étaient enregistrés par Camtasia, puis retranscrits dans leur
intégralité. Une fois retranscrits, les entretiens ont
été analysés selon le principe de l’analyse
thématique (Blanchet et Gotman, 2010), (Beaud et Weber, 2010).
L’objectif est avant tout d’assurer une correspondance
élevée entre les explications fournies par un enquêté
et les comportements observables qu’un extrait d’entretien est
supposé éclairer. Nous nous sommes en particulier
intéressés aux actions des non-certifiés qui se sont
investis dans la formation, notamment pour ne regarder que les vidéos, ou
qu’une partie des vidéos du dispositif. C’est sur cette
thématique que l’essentiel des extraits d’entretiens
présentés ici sont issus.
4. Résultats
Nous présenterons d’abord une analyse
des traces d’activité et poursuivrons par une présentation
d’extraits d’entretiens, suivant la logique de la stratégie
séquentielle explicative appliquée dans cette étude.
4.1. Analyse des traces d’activité
L’analyse des traces est décomposée en trois temps. Dans
un premier temps, nous comparons les parts respectives de
l’activité observable du cours réalisées par les
certifiés et les non-certifiés, et chercherons, pour les seconds,
à déterminer dans quelle mesure il existe un recouvrement entre
visionnage et téléchargement des vidéos. Nous nous
intéressons ensuite à l’importance quantitative des NCVA et
des NCTA par rapport aux certifiés, afin de réaliser une
comparaison avec les résultats de (Koller et al., 2013).
Enfin, nous nous penchons sur la participation des NCVA et des NCTA aux
activités évaluées, afin, notamment, de trouver des indices
relatifs au devenir des vidéos téléchargées.
4.1.1. La part des non-certifiés dans l’activité
observable du cours
Selon une logique similaire à celle d’une étude
menée sur des MOOC de Unow (Cisel et al., 2015),
nous avons réalisé une synthèse des parts respectives des
certifiés et des non-certifiés dans l’activité
observable du cours, mesurée en termes de consommation de vidéos.
Cette synthèse est présentée dans le Tableau 3, où
la dernière ligne (Moy.) indique la moyenne sur les six cours et
les écarts-types correspondants. La distinction est faite pour la
consommation de vidéos entre le visionnage de vidéos sur la
plate-forme et le téléchargement de vidéos. Les deux types
d’actions sont confondus pour le calcul des sommes. Les certifiés
sont responsables en moyenne de 17% des actions réalisées sur les
vidéos, l’action de visionnage dominant. Les non-certifiés
sont responsables en moyenne de 83% des actions sur les vidéos,
l’action de téléchargement dominant sur l’action de
visionnage. Au vu de la taille de notre corpus de six cours, le seul test
statistique valide est le test du chi-deux, réalisé sur les deux
variables que sont la nature des actions réalisées et
l’obtention du certificat. Le test du chi-deux montre qu’à
l’échelle d’un MOOC, les non-certifiés sont
responsables de davantage de téléchargements que de visionnages
(chi=49850, ddl=1, p-value<10-16), tandis que nous observons
l’inverse pour les certifiés. Ceci souligne l’importance de
la prise en compte du devenir des vidéos
téléchargées.
Tableau 3 • Part des certifiés et des
non-certifiés dans l’activité observable des six cours
analysés, en termes de consommation de vidéos
|
Certifiés |
Non-certifiés |
|
|
Visionnage (%) |
Téléchargement (%) |
Visionnage (%) |
Téléchargement (%) |
Total actions |
ALG1 |
11 |
9 |
24 |
56 |
116439 |
ALG2 |
11 |
6 |
31 |
51 |
74565 |
FA1 |
5 |
3 |
65 |
26 |
384984 |
FA2 |
10 |
4 |
36 |
49 |
251296 |
BP1 |
13 |
6 |
43 |
37 |
781363 |
AV1 |
14 |
10 |
17 |
58 |
439452 |
Moy. |
11 (±3) |
6 (±3) |
36 (±17) |
47 (±12) |
|
L’activité observable des non-certifiés est bien
supérieure à celle des certifiés en termes de consommation
de vidéos. Les non-certifiés pris dans leur ensemble sont
systématiquement responsables de l’essentiel de
l’activité observable du cours en termes de consommation de
vidéos, que celle-ci soit mesurée en termes de visionnage, de
téléchargement, ou indistinctement en termes de consommation.
Néanmoins, un tel résultat ne corrobore pas à ce stade
l’idée avancée par (Koller et al., 2013) selon laquelle nombreux sont les non-certifiés qui visionnent la plupart
des vidéos du dispositif. Tout d’abord, rappelons que les
non-certifiés sont beaucoup plus nombreux que les certifiés.
Ensuite, leur activité observable peut être concentrée sur
les premières vidéos des cours. Enfin, le
téléchargement n’implique pas le visionnage.
Nous ne dirons que quelques mots sur la participation aux activités
évaluées (Tableau 4), qui ne constitue pas la focale de cet
article. On constate que pour deux des trois MOOC qui mobilisent des quiz, les
non-certifiés sont responsables de la plus grande partie de
l’activité observable en termes de quiz effectués, ce qui
est cohérent avec les résultats concernant le visionnage des
vidéos, puisque les quiz sont le plus souvent intégrés dans
les vidéos. En revanche, les certifiés sont
systématiquement responsables de l’essentiel de
l’activité mesurée en termes de devoirs rendus, que ces
devoirs soient corrigés automatiquement ou par les pairs.
Tableau 4 • Part des certifiés et des
non-certifiés dans l’activité observable des six cours
analysés en termes de participation à des activités
évaluées
|
Soumission de quiz |
Rendu de devoirs |
|
Certifiés (%) |
Non-certifiés (%) |
Tot. actions |
Certifiés (%) |
Non-certifiés (%) |
Tot. actions |
ALG1 |
28 |
71 |
14364 |
73 |
27 |
30018 |
ALG2 |
59 |
40 |
18973 |
60 |
39 |
12618 |
FA1 |
|
|
|
56 |
43 |
3925 |
FA2 |
|
|
|
59 |
40 |
3163 |
BP1 |
|
|
|
84 |
15 |
17527 |
AV1 |
36 |
63 |
51183 |
|
|
|
4.1.2. Visionner, télécharger, ou les deux à la
fois ?
Le deuxième élément que nous avons étudié
est le degré de recouvrement entre visionnages depuis la plateforme et
téléchargements, et ce pour les seuls non-certifiés. On
constate sur la base de deux indicateurs que ce recouvrement est au final
relativement faible, indicateurs que nous présentons dans les
premières colonnes du Tableau 5. Le premier indicateur (% Vid. Vis.
Tél.) est le pourcentage de vidéos visionnées
également téléchargées (indépendamment de
l’ordre dans lequel ces deux actions sont réalisées), tandis
que ρ est coefficient de corrélation de Spearman, pour
la corrélation entre le nombre de vidéos visionnées et le
nombre de vidéos téléchargées.
Le recouvrement est toujours inférieur à 26%, et peut diminuer
jusqu’à 14%. Il est en moyenne de 19% (±4,5). En somme, soit
on télécharge une vidéo, soit on la visionne ; seule
une minorité des vidéos, quoique non négligeable, sont
à la fois visionnées et téléchargées par les
non-certifiés. Pour étayer cette affirmation avec un test
statistique, nous avons calculé le coefficient de corrélation de
Spearman entre le nombre de vidéos téléchargées et
le nombre de vidéos visionnées, pour un NCC, selon une logique de
test apparié : la corrélation est presque toujours non
statistiquement significative. Dans le seul cours où elle l’est,
FA1, le coefficient est négatif, et relativement faible, ce qui
suggère que le comportement qui consiste à visionner une
vidéo puis à la télécharger, pour une raison ou pour
une autre, est relativement peu représenté.
Tableau 5 • Indicateurs de consommation de
vidéos pour les Non-Certifiés Consommateurs
|
% Vid. Vis. Tél. |
ρ
(p-value) |
M vid. vis. (décile) |
M vid. tél. (décile) |
HR |
HR Inf |
HR Sup |
Z |
BP1 |
14 |
6.10-4 (0.96) |
1.1 |
4.7 |
0.466 |
0.455 |
0.478 |
-60.2 (0.11) |
ALG1 |
26 |
0.06 (0.03) |
1.0 |
4.4 |
0.298 |
0.279 |
0,219 |
-36.1 (0.24) |
ALG2 |
19 |
-0.020 (0.58) |
1.0 |
4.4 |
0.293 |
0.271 |
0.318 |
-29.8 (0.23) |
FA1 |
18 |
-0.060
(<0.001) |
2.6 |
5.7 |
0.294 |
0.283 |
0.304 |
-64.1 (0.23) |
FA2 |
14 |
0.020 (0.34) |
1.4 |
5.1 |
0.305 |
0.290 |
0.321 |
-46.1 (0.21) |
AV1 |
19 |
0.015 (0.46) |
1.1 |
5.2 |
0.272 |
0.256 |
0.285 |
-55.7 (0.27) |
4.1.3. Visionnage des vidéos et désengagement rapide
Nous avons vu que les non-certifiés étaient peu investis dans
les activités évaluées, mais responsables d’une part
importante de l’activité observable d’un MOOC en termes de
consommation de vidéos. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils
soient nombreux à faire preuve d’assiduité vis-à-vis
des vidéos. Nous cherchons ici à contraster les comportements de
visionnage et de téléchargement, avant de comparer nos
résultats à ceux de (Koller et al., 2013).
Pour chaque cours, nous nous sommes intéressés aux indicateurs
que sont les nombres moyens de vidéos qu’un individu visionne ou
télécharge, en raisonnant en déciles, pour comparer des
cours contenant des nombres différents de vidéos. Si un
participant a visionné plus de 10% des vidéos du cours, on
considère qu’il a visionné le premier décile. Il est
préférable de raisonner en déciles plutôt qu’en
pourcentages au vu du faible nombre de vidéos par dispositif, quelques
dizaines au plus. Cette approche est par ailleurs recommandée pour le
test statistique mobilisé, à savoir l’analyse de survie, qui
ne nécessite pas obligatoirement un modèle dépendant du
temps. Nous présentons ces analyses dans la suite du Tableau 5.
« M vid. vis. » y représente, pour ceux
qui visionnent au moins une vidéo, le nombre moyen de déciles de
vidéos visionnées. « M vid. tél. » correspond, pour ceux qui téléchargent au moins une
vidéo, au nombre moyen de déciles de vidéos
téléchargées. HR est le Hazard Ratio
(statistique spécifique des analyses de survie), tandis que HR Inf et HR Sup sont les valeurs supérieures et
inférieures du HR avec un intervalle de confiance à 95%. Z est la valeur du test réalisé (modèle de Cox).
On constate que les non-certifiés qui visionnent au moins une
vidéo visionnent en moyenne à peine au-delà du premier
décile, à l’exception d’un cours, où les
non-certifiés visionnent 2,6 déciles en moyenne. La situation est
relativement différente pour le téléchargement, où
ceux qui téléchargent au moins une vidéo vont en moyenne
au-delà du quatrième, voire, pour certains cours, au-delà
du cinquième décile.
Pour chacun des cours, nous utilisons une analyse de survie pour
vérifier que ces différences sont statistiquement significatives.
L’analyse de survie permet d’estimer le risque d’arrêt
d’une activité à un instant donné, ou plutôt la
différence qui peut exister entre deux activités données
vis-à-vis du risque d’interruption. On considère le
visionnage et le téléchargement comme deux modalités de la
variable « consommation de vidéos ». Le Hazard Ratio
calculé est issu de la comparaison de l’activité de
téléchargement et de l’activité de visionnage, cette
dernière servant de référence : s’il est
inférieur à 1, cela signifie que la chute de
l’activité de téléchargement (toujours mesurée
en proportion de vidéos du dispositif) est plus faible que celle de
l’activité de visionnage. On observe (Tableau 5) que le HR est
toujours systématiquement inférieur à 0.5, voire à
0.3 et que les valeurs du test z sont très négatives, ce qui
suggère que les différences sont statistiquement très
significatives entre activité de téléchargement et
activité de visionnage pour tous les cours que nous avons
analysés.
En résumé, un NCC visionne en moyenne peu de vidéos,
mais quand il en télécharge, il télécharge en
moyenne une partie significative de ces vidéos, voire la majorité.
L’activité observable du cours en termes de visionnage de
vidéos s’explique largement par l’existence de
non-certifiés qui visionnent une faible proportion des vidéos
pédagogiques disponibles dans le dispositif. L’activité de
consommation de vidéos, constatée dans le Tableau 3, est due
essentiellement au grand nombre de non-certifiés qui visionnent les
premières vidéos de la formation et au plus petit nombre de
non-certifiés qui téléchargent une partie significative des
vidéos téléchargées (sans les avoir
visionnées depuis la plateforme, comme nous l’avons vu plus
tôt). Le grand nombre de non-certifiés compense leur faible
investissement individuel et explique qu’ils génèrent
souvent davantage d’activité observable que les certifiés
lorsque l’on raisonne à l’échelle du cours.
4.1.4. Calcul de différents ratios et comparaison avec Koller et al.
(2013)
Complétons ces analyses en comparant nos résultats avec les
conclusions de l’article de Koller et al. (2013). Nous
présentons en premier lieu les ratios entre les participants de type
NCVA, NCTA ou NCCA et le nombre de certifiés Cf, indicateurs
utilisés par ces auteurs. Ils sont calculés sur la base de la
moyenne des ratios des six cours étudiés (Figure 1, Gauche).
Le ratio entre le nombre de NCVA et le nombre de certifiés est en
moyenne égal à 0,33 (±0,26) – il varie entre 0,13 et
0,79, respectivement pour le MOOC ALG1 et pour le MOOC BP1. Le
ratio entre le nombre de NCTA et le nombre de certifiés vaut en moyenne
2,34 (±1,35) – il varie entre 1,38 et 5,06. Enfin, le ratio entre le
nombre de NCCA et le nombre de certifiés vaut en moyenne 2,72
(±1,44) – il varie entre 1,71 et 5,63.
Ces comparaisons n’appellent pas de tests statistiques, car même
lorsque la nature de la comparaison pourrait légitimer un tel test, le
nombre de cours étudiés est trop faible pour que les conditions de
validité soient respectées. On retrouve des statistiques
relativement similaires à celles avancées par (Koller et al., 2013) – des non-certifiés assidus plus nombreux que les certifiés
– si l’on prend en considération uniquement le ratio ayant
pour numérateur les NCCA ou les NCTA. L’emploi de cet indicateur
peut conduire à surestimer le nombre de personnes ayant lancé une
vidéo, pour les raisons citées en introduction : on ne peut
savoir quelle est la proportion des vidéos
téléchargées qui ont été visionnées
par la suite. Si l’on se base sur l’indicateur qu’est le
nombre de NCVA, les seuls inscrits pour lesquels on puisse dire avec certitude
qu’ils ont lancé la vidéo, le ratio est beaucoup plus bas
que suggéré par ces auteurs.
Les cours mobilisés dans notre article, produits par
l’École Polytechnique et l’École Centrale, sont certes
postérieurs à l’analyse proposée par (Koller et al., 2013) ;
par ailleurs, nous ne pouvons pas écarter le fait que les
thématiques abordées – algorithmique, entrepreneuriat,
ingénierie - comme la structure des dispositifs de notre corpus puissent
introduire des biais. Mais il est peu probable que les cours de notre corpus
constituent autant d’exceptions à la règle
énoncée par les auteurs, et que de tels biais suffisent à
expliquer les différences observées dans la comparaison des deux
corpus.
Nous avons effectué des calculs supplémentaires en prenant
comme dénominateur tous les non-certifiés (Cisel, 2016). Les
calculs montrent que les NCVA représentent systématiquement moins
de 1% des non-certifiés, à l’exception du MOOC BP1,
où ce taux est 2,9%. Les NCTA constituent une forme d’attrition non
négligeable, puisqu’ils peuvent représenter
jusqu’à 7,6% de l’attrition. De manière
générale, les NCCA ne représentent jamais plus de 10% des
non-certifiés dans les six cours étudiés. Ce sont des
formes d’attrition marginales.
Si l’on ne peut estimer à partir des traces
d’activité dans quelle mesure les NCTA visionnent les vidéos
qu’ils téléchargent, on peut en revanche analyser leur
participation en termes d’activités évaluées,
soumissions de quiz ou de devoirs. Une participation aux activités
évaluées suggère que les vidéos sont
vraisemblablement visionnées. Pour ce faire, nous calculons le
pourcentage, au sein des NCVA ou des NCTA, de ceux qui réalisent au moins
trois quiz et de ceux qui rendent au moins un devoir. On constate que, sur les
six MOOC étudiés, 79,8%(±7,8) des NCVA réalisent trois
quiz, tandis que cet indicateur chute à 20,2%(±8,9) pour les NCTA
(Figure 1, Droite). Le différentiel est également frappant en ce
qui concerne les devoirs : 14,3%(±12,1) des NCVA ont rendu un devoir,
contre 4,3%(±3,8) des NCTA. Pour les six cours étudiés,
environ 80% des NCTA ne réalisent donc aucune activité
évaluée, quelle qu’elle soit. Cela ne signifie pas
qu’ils ne visionnent pas les vidéos, mais les traces liées
aux activités évaluées ne suggèrent pas que ces
vidéos soient regardées.
Figure 1 • Importance relative des différentes
catégories de participants Gauche : Ratios NCVA, NCTA et NCCA
/ nombre de certifiés CfDroite : Engagement dans les
activités évaluées des NCVA et NCTA
Notons que nombre de quiz sont inclus dans les vidéos, et qu’il
faut visionner la vidéo pour pouvoir y répondre, ce qui peut
contribuer à expliquer la forte représentation des NCVA-Q par
rapport aux NCVA. Le ratio NCTA-Q/NCTA peut s’expliquer en grande partie
du fait du recouvrement, c’est-à-dire par le fait que ce sont des
NCTA qui ont également visionné les vidéos depuis la
plateforme. Le temps nécessaire à la réalisation des
devoirs est bien supérieur à celui nécessaire pour la
passation des quiz, ce qui explique sans aucun doute la faible
représentation des NCVA-D et des NCTA-D. Ce n’est pas tant les
différences entre ces catégories de participants qui
méritent un éclaircissement, que les mécanismes qui
conduisent à adopter ces comportements. À cet égard, nous
atteignons la limite de ce que peut nous apporter l’analyse des traces
d’activité, d’où un recours à des entretiens
semi-directifs qui nous offriront des pistes d’interprétation.
4.2. Analyse des entretiens
Nous avons
établi dans le Tableau 2 une distinction entre NCVA et NCTA, et, au sein
de ces catégories de participants, entre ceux qui réalisent des
activités évaluées, devoirs (NCVA-D par exemple), ou quiz
notés (NCVA-Q), et ceux qui ne le font pas. Nous allons chercher dans les
entretiens des éléments susceptibles d’interpréter
ces divers comportements sur la base de la notion de
« barrière ». Si ces extraits nous permettront de
mieux comprendre la pertinence de la distinction entre NCVA et NCTA, ils
n’ont pas vocation à expliquer ce qui mène à
l’apparition des divers types de NCVA ou de NCTA. Nous mettrons en
évidence une certaine diversité de mécanismes pouvant
conduire à des résultats relativement proches en termes de
comportements observables, afin de nuancer l’affirmation selon laquelle
ces comportements correspondent essentiellement à des décisions
positives. Dans une première partie de l’analyse des entretiens,
nous illustrerons les barrières qui peuvent conduire à devenir un
NCVA. Dans une seconde partie, nous nous intéresserons au devenir des
vidéos téléchargées par les NCTA.
Sur les quarante-et-un enquêtés, quatre ont
déclaré s’être contentés de visionner la
quasi-totalité des vidéos pédagogiques du cours, sans
participer aux activités évaluées, et correspondent ainsi
à des NCVA, ou à des NCTA ayant visionné toutes les
vidéos téléchargées. Huit enquêtés
supplémentaires ont dit avoir visionné la majorité des
vidéos de cours dont ils n’ont pas obtenu le certificat, sans pour
autant en avoir visionné la quasi-totalité. Nous
interprétons les justifications apportées par ces
enquêtés pour expliquer leur comportement selon les quatre
catégories de barrières proposées par (Garland, 1992).
Notons que ces extraits illustrent différents types de barrières,
mais que ces barrières peuvent correspondre à des cas bien plus
divers que ne le laissent supposer les extraits mobilisés.
4.2.1. Une diversité de barrières pour les NCVA
Nous commencerons par illustrer le cas de la barrière
dispositionnelle, qui correspond dans une large mesure à
l’hypothèse d’un désintérêt pour le
certificat. Dans ce cas de figure, et bien que l’on parle de
« barrière », il s’agit d’une
décision positive de ne pas chercher à obtenir le certificat, tout
en visionnant un certain nombre de vidéos ou en participant à des
activités évaluées par intérêt pour les
ressources. Cette situation correspond à cet égard au cas des
cibleurs. Nous allons illustrer ce cas de figure par deux extraits
d’entretiens. Dans les deux cas qui suivent, les interviewés ne
correspondent pas à proprement parler à des NCVA, car ils
n’ont pas visionné la quasi-totalité des vidéos, mais
ils consomment la majeure partie des vidéos de la formation et
réalisent éventuellement quelques activités
évaluées. Commençons par les propos de cet ingénieur
web, qui considère ne pas avoir à suivre exactement ce que propose
l’équipe pédagogique, et pour qui le MOOC représente
une sorte de « buffet » dans lequel il se sert.
Je ne vais pas courir après les attestations ou autres, ce
n’est pas le but ; ce qui m’intéresse c’est
d’apprendre. [...] Si c’est pour me former dans le domaine technique
sur un point bien particulier, je vais m’accrocher et je vais essayer de
bien creuser le truc. Si c’est juste pour apprendre de nouvelles choses,
piocher des idées ou des connaissances, à droite, à gauche,
c’est un peu le buffet où je me sers. Je ne suis pas obligé
de suivre ce qui est proposé exactement. (E24)
Nous considérons que cet extrait illustre parfaitement le cas du
cibleur, qui sait très bien ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut
pas, dans la mesure où c’est une attitude par rapport à la
formation qui le conduit à « piocher » parmi les
éléments disponibles. La logique hédonique, prendre du
plaisir à apprendre, prévaut dans certains MOOC sur une logique
utilitariste, qui le conduirait à être plus assidu dans la
réalisation des activités évaluées. C’est donc
une décision positive, fondée sur la motivation qui l’a
poussé à s’inscrire au MOOC, qui le conduit à devenir
un NCVA.
Néanmoins, le fait de devenir un NCVA ne peut
s’interpréter uniquement en termes de motivation,
d’intérêt, d’objectif d’apprentissage (Tough, 1971).
Certaines caractéristiques de la formation comme le contexte qui entoure
l’inscription peuvent conduire à faire le choix d’adopter ce
type de comportement, ce qui amène à discuter des barrières
institutionnelles et situationnelles. Le premier argument consiste à
avancer que les activités évaluées sont trop exigeantes en
termes d’investissement temporel. Le participant préfère
alors se contenter de visionner les vidéos pédagogiques. Ce cas de
figure est illustré par les propos de ce lycéen de dix-huit ans,
qui ne fait que visionner les vidéos d’un MOOC de
géopolitique du fait de la charge de travail trop
importante associée aux devoirs évalués par les
pairs :
Il y a certains MOOC, Géopolitique, de Grenoble Ecole de
Management, la charge de travail était très très
élevée, parce qu’il fallait faire des dissertations toutes
les deux semaines. Je pouvais pas, mais j’ai vraiment regardé les
vidéos. (E41)
Cet argument correspond à une barrière institutionnelle (Garland, 1992, p.126),
dans la mesure où ce sont des caractéristiques de la formation qui
sont utilisées pour légitimer le fait de ne pas réaliser
les activités prescrites, mais aussi une barrière situationnelle,
car l’enquêté fait référence à un manque
de temps. Dans le second exemple, une arrivée trop tardive dans la
formation fait obstacle à l’obtention du certificat, les dates
limites de réalisation des activités évaluées ne
permettant pas de rattraper le retard. Ce cas de figure est illustré par
ce formateur à la retraite qui, malgré son incapacité
à obtenir le certificat, visionne l’ensemble des vidéos
d’un MOOC de télécommunication :
J’avais essayé aussi celui sur les
télécommunications, mais je suis arrivé en cours de route
et il ne restait qu’une ou deux semaines donc en fait j’ai suivi les
cours, j’ai regardé les vidéos, mais je n’ai pas
passé les examens car les deadlines étaient passées.
(E7)
Ce cas de figure correspond davantage à une barrière
situationnelle, dans la mesure où la non-obtention du certificat est
liée aux circonstances particulières que rencontre
l’apprenant, responsabilités familiales (Garland, 1992, p.124),
ou, dans le cas présent, la date d’arrivée dans le cours.
Les deux cas que nous venons de citer suggèrent que l’on ne peut
interpréter uniquement en termes d’objectif d’apprentissage
le fait de devenir un NCVA. Dans les paragraphes qui suivent, nous allons
chercher à étendre la réflexion au cas des NCTA, pour
mettre en lumière les spécificités de ce type de
comportement.
4.2.2. Interpréter le téléchargement
Dans certains cas, la différence entre les deux comportements NCVA et
NCTA se réduit au fait que l’un visionne les vidéos depuis
la plateforme, et l’autre depuis un autre support, ordinateur personnel ou
support mobile. Dans ce cas, les comportements sont relativement analogues, y
compris si l’on se place du point de vue des barrières qui les
déterminent. La question qui nous intéresse ici est le devenir des
vidéos téléchargées, en particulier chez ceux qui ne
les visionnent pas dans leur intégralité, bien qu’ils aient
téléchargé la quasi-totalité des vidéos du
dispositif.
Les entretiens suggèrent au moins deux types d’usages :
d’une part un téléchargement suivi d’un visionnage qui
intervient peu après, voire immédiatement après, notamment
dans les transports en commun, et d’autre part un
téléchargement pour un visionnage postérieur
éventuel, selon une logique d’archivage. Le premier cas est
illustré par cet entrepreneur, qui considère le visionnage de MOOC
comme une activité qu’il réalise dans les transports en
commun, en substitut d’activités comme la lecture :
Parce que dans FUN par exemple pour télécharger les
vidéos, c’est tout un truc quoi, il faut se préparer, il
faut ouvrir le site. Sur Coursera avec l’appli, là j’ai deux
cours que je regarde comme ça du coin de l’œil, toc je mets
comme ça les vidéos, moi je prends la 13, la 14, et la 13 donc
c’est toujours un peu long, bah du coup moi je perds pas de temps
c’est l’alternative à la lecture. (E8)
On peut supposer que ce cas de figure est notamment représenté
parmi les participants qui téléchargent les vidéos depuis
un appareil mobile. L’autre cas est le stockage dans une logique
d’archivage, qui n’implique pas nécessairement ni un
visionnage préalable, ni un visionnage postérieur. Ainsi, cette
chargée de projet dans une association explique qu’elle ne consulte
que rapidement les ressources d’un MOOC, mais qu’elle en archive
généralement l’ensemble des contenus
téléchargeables pour un éventuel usage
ultérieur :
Non, mais ce que j’ai trouvé génial, c’est le
fait de pouvoir télécharger. Enfin voilà quoi. Sur chaque
module, j’en ai pris ce que je pouvais dans une première lecture,
mais je les ai, j’ai le truc, le jour où je m’y colle,
j’ai ça sous le coude. (E12)
Un participant de ce type pourrait être un NCTA qui a priori visionne
peu, voire aucune des vidéos qu’il télécharge, en
tout cas pour la durée du cours. À la lueur de cet entretien, nous
avançons qu’il est possible qu’une partie des NCTA
téléchargent des vidéos à des fins
d’archivage, sans réaliser le moindre visionnage, avec comme seul
objectif la possibilité de pouvoir accéder aux contenus si le
cours venait à ne plus être accessible.
5. Discussion
5.1. Le devenir des vidéos téléchargées, une
inconnue majeure
Nos résultats nous amènent à
mettre en doute la position selon laquelle les usages des non-certifiés,
notamment des non-certifiés visionneurs assidus, seraient importants sur
le plan quantitatif, ce qui est la position défendue par (Koller et al., 2013).
Ces auteurs basent probablement leur affirmation sur la consommation de
vidéos, qui prend en compte tant le visionnage que le
téléchargement des vidéos. Nous ne disposons pas des
données permettant de confirmer ou d’infirmer cette
hypothèse, mais nous avons pu constater, dans les six cours
analysés, que la participation des NCTA aux activités
évaluées était minime. Certains entretiens suggèrent
qu’il est possible que pour certains d’entre eux, il y ait un usage
minimal ou inexistant des ressources pédagogiques une fois
téléchargées. Des analyses supplémentaires seraient
nécessaires pour trancher à ce stade, car l’analyse de
traces d’activité montre rapidement ses limites à cet
égard.
Dans l’impossibilité de détecter toute utilisation de la
ressource postérieure au téléchargement, une approche par
enquêtes s’avère selon nous souhaitable pour
appréhender le devenir des ressources. On pourrait en effet demander
à toute personne téléchargeant les ressources
pédagogiques du cours de répondre à des questions relatives
à l’utilisation qu’elle envisage de faire des ressources
téléchargées. Si une telle pratique peut être
légitimement considérée comme antinomique avec
l’esprit des MOOC, les questionnaires obligatoires pour accéder au
cours ont représenté une pratique courante pour toute inscription
sur Coursera. Un certain nombre de travaux ancrés dans le champ de
l’Open Education ont adopté cette démarche. Des
enquêtes ont ainsi été diffusées auprès
d’individus téléchargeant des ressources de l’Open
University sur ItunesU (Rosell-Aguilar, 2013),
mais ces travaux ont jusqu’à présent été
centrés sur la question des profils et des motivations des
téléchargeurs plus que sur celle du devenir des ressources
téléchargées. L’approfondissement de cette question
nous semble incontournable pour une meilleure compréhension des usages
qui sont faits des ressources du cours.
D’autres pistes peuvent être explorées pour identifier des
barrières situationnelles susceptibles de conduire au fait de se
cantonner au visionnage ou au téléchargement de vidéos. On
peut supposer, sur la base d’un des entretiens, que le temps disponible
pour les MOOC se situe pour certains participants sur le temps de trajet pour
aller au travail : ils visionneraient alors les vidéos juste
après les avoir téléchargées. Le fait de travailler
dans les transports constitue une barrière situationnelle pour la
réalisation des activités évaluées, dont on pourrait
apprécier l’importance par des enquêtes. On pourra
s’intéresser par ailleurs aux barrières situationnelles
d’ordre technologique (Roberts, 2004).
Il n’est pas impossible que certains participants n’aient la
possibilité d’accéder au cours que depuis un
téléphone mobile, faute d’un accès suffisant à
un ordinateur, en particulier dans les pays du Sud. Le visionnage de
vidéos depuis le téléphone, s’il ne suffit pas pour
obtenir le certificat, permet à défaut de s’approprier le
cours. On pourrait ainsi multiplier les travaux sur l’impact des
barrières situationnelles sur les usages qui sont fait du cours, pour
nuancer l’interprétation selon laquelle les NCCA sont avant tout
des cibleurs.
5.2. Importance du certificat dans la persistance des apprenants
Le dernier point de notre discussion porte sur le désengagement rapide
des participants qui se cantonnent au visionnage des vidéos
pédagogiques. On peut imaginer qu’en ne participant pas aux
activités évaluées, ou de manière insuffisante pour
obtenir le certificat, les apprenants se privent d’un des principaux
mécanismes qui influent le plus significativement sur leur persistance.
Il est possible qu’existe alors une forme d’effet circulaire,
où le faible engagement initial et le désintérêt pour
les activités évaluées conduisent à un
affaiblissement de l’engagement. Ce résultat a déjà
été observé dans les travaux sur les Open Coursewares, ces
cours universitaires filmés diffusés gratuitement en ligne. Dans
un travail d’enquête mené auprès de plus de sept cents
individus, (Arendt et Shelton, 2009) constatent que le principal obstacle identifié par les utilisateurs
d’Open Courseware réside dans l’impossibilité
d’obtenir un certificat à l’issue de leur apprentissage.
Le relatif désintérêt pour les certificats a
été démontré dans la plupart des enquêtes
diffusées dans les MOOC (Cisel, 2016) et,
plus généralement, corroboré par nombre de recherches sur
l’éducation non formelle des adultes, des enquêtes
séminales comme celle de (Johnstone et Rivera, 1965) aux travaux des sociologues des loisirs (Dumazedier, 1962),
ainsi que par les travaux qui s’en inspirèrent. Néanmoins,
le fait que le certificat ne constitue que rarement une motivation
première pour s’inscrire n’exclut pas le fait qu’il
puisse jouer un rôle majeur dans la persistance au sein du dispositif.
6. Conclusion
Nous synthétisons les résultats de cet
article avant d’évoquer les évolutions des plateformes de
MOOC et leurs conséquences.
6.1. Synthèse des résultats
Nous nous sommes intéressés au cours de cet article à la
question de l’activité observable des non-certifiés, et plus
particulièrement aux questions de visionnage et de
téléchargement de vidéos. Nous avons montré sur la
base des données de six cours que les non-certifiés étaient
responsables d’une partie importante de cette activité, mais que le
nombre d’actions diminuait au fil des modules. Nous avons vu en
particulier que les NCVA étaient généralement largement
minoritaires par rapport aux certifiés, contrairement aux NCTA. La part
que les non-certifiés jouent dans l’activité observable est
due à leur grand nombre, relativement au nombre de certifiés, qui
compense le faible nombre moyen d’actions qu’ils réalisent
individuellement au sein de la plateforme.
Lorsque l’on utilise des indicateurs de performance du MOOC tels que le
nombre de vidéos vues, il faut prendre en considération le fait
qu’une partie significative de cette statistique correspond à
l’activité observable liée aux premières
vidéos du dispositif. Nous avons dans la suite de ce travail
cherché à interpréter le comportement des NCVA et NCTA au
prisme des barrières de (Garland, 1992).
Nous avons vu au travers d’entretiens que le choix de se cantonner aux
vidéos pédagogiques n’était pas nécessairement
dû à un désintérêt pour le certificat, ce qui
nous amène à contester l’interprétation des NCVA
comme relevant principalement de cibleurs. Des barrières situationnelles,
comme une inscription tardive, peuvent peser dans la balance. Nous avons
suggéré qu’il était possible qu’une partie
importante des vidéos téléchargées ne soient pas
visionnées.
6.2. Conséquences des mutations des plateformes de MOOC
La question du comportement des non-certifiés est d’autant plus
importante que des plateformes aussi centrales que Coursera sont en
pleine mutation. La plateforme a subi un profond changement en 2016 (Koller, 2015).
Les contenus des MOOC sont désormais accessibles en permanence, ce qui
constitue un passage du format temporalisé au format atemporel ; en
revanche, les activités notées et les certificats ne sont
généralement plus disponibles qu’aux utilisateurs ayant
payé pour le cours. Seules les vidéos pédagogiques sont
pour le moment encore accessibles à tous les inscrits. Cette mutation
constitue à certains égards un retour à un modèle
traditionnel de formation à distance dont les ressources
pédagogiques seraient librement accessibles, et dont l’Open
University a constitué l’un des pionniers (Rosell-Aguilar, 2013).
Le premier paramètre dont il faudrait étudier l’effet est
celui de l’accessibilité permanente des vidéos, variable
étudiée sur quelques cours par (Mullaney et Reich, 2014),
dont on peut supposer qu’elle est susceptible d’affecter, à
terme, les stratégies des participants.
Ensuite, le fait de devoir payer pour participer aux activités
évaluées peut conduire un certain nombre d’utilisateurs,
qui, dans d’autres conditions, auraient suivi le parcours menant au
certificat gratuit, à faire d’autres choix. On peut supposer
qu’une partie cessera sa participation aux MOOC, qu’une autre se
« convertira » en NCVA. Si le taux de conversion est faible,
ou en d’autres termes si les utilisateurs traditionnellement les plus
investis mais ne souhaitant pas payer ne deviennent pas des NCVA, alors il est
vraisemblable que l’on assiste à une chute globale du nombre
d’utilisateurs de MOOC à l’échelle planétaire,
ce qui pose la question suivante : en diminuant le nombre de services
gratuits, limitera-t-on les usages faits des MOOC, ou contribuera-t-on à
développer de nouveaux usages ? La disparition des certificats
gratuits, qui semble concerner un nombre croissant de plateformes, doit nous
inciter à étudier la traduction des changements de modèles
économiques dans les usages des apprenants. En effet, il est probable que
cette mutation sonne le glas de ce qui faisait l’une des
spécificités des dispositifs MOOC, à savoir leur
caractère « massif » et
« ouvert ».
À
propos de l’auteur
Matthieu Cisel a fait son doctorat au laboratoire STEF de
l’ENS Paris-Saclay sur les indicateurs de performance dans les MOOC, et
plus précisément sur la question des taux de certification. Ses
recherches doctorales, fondées sur les méthodes mixtes, ont
porté sur les analyses de traces d’interaction, et notamment sur le
comportement d’inscription. Il travaille désormais au laboratoire
EDA de l’Université Paris-Descartes sur la conception et
l’usage de technologies pour l’enseignement des sciences. Ces
travaux s’inscrivent dans les sciences de l'éducation, mais
mobilisent dans une large mesure des méthodes employées par
l’informatique.
Adresse : UMR STEF ENS Paris-Saclay
– INRP, Bâtiment Cournot - ENS de Cachan, 61 Avenue du
Président Wilson 94235 Cachan cedex
Courriel : matthieucisel@gmail.com
Toile : http://blog.educpros.fr/matthieu-cisel
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Press.
ANNEXE : Statistiques des six MOOC de Coursera utilisés dans
cette étude
# inscr. : Nombre
d’inscrits. # cert. : Nombre de certifiés.
% : pourcentage des inscrits. cert. : inscrits ayant obtenu un
certificat, avec ou sans distinction. conn. : inscrits s’étant
connectés au moins une fois au cours. vid. : inscrits ayant
visionné ou téléchargé au moins une
vidéo. dev. : inscrits ayant rendu au moins un devoir.
Code Cours |
Titre du cours |
# inscr. |
#cert. |
% cert. |
% conn. |
% vid. |
% dev. |
ALG1 |
Conception et mise en œuvre d’algorithmes |
8950 |
246 |
2,7 |
62,3 |
49,7 |
6,9 |
ALG2 |
Conception et mise en œuvre d’algorithmes |
6341 |
133 |
2,1 |
58,0 |
48,7 |
11,4 |
FA1 |
An Introduction to Functionnal Analysis |
25354 |
382 |
1,5 |
57,5 |
55,8 |
5,8 |
FA2 |
An Introduction to Functionnal Analysis |
16691 |
405 |
2,4 |
67,5 |
55,1 |
7,3 |
BP1 |
Business and Philosophy : what managers |
72633 |
2709 |
3,7 |
50,9 |
43,5 |
7,0 |
AV1 |
Discrete inference And Learning in Artificial Vision |
19461 |
889 |
4,6 |
69,5 |
49,4 |
NA |
|