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Volume 24, 2017
Article de recherche

Numéro Spécial
Sélection de la conférence
EIAH 2015



Contact : infos@sticef.org

Les effets d’une ludification adaptative sur l’engagement des apprenants

 

Baptiste MONTERRAT (LIRIS, INSA de Lyon), Élise LAVOUÉ (LIRIS, Université Jean Moulin Lyon3), Sébastien GEORGE (LIUM, Université du Maine), Michel DESMARAIS (École polytechnique de Montréal)

 

RÉSUMÉ : La ludification est une approche de plus en plus utilisée pour répondre au manque de motivation des apprenants. Cependant, chacun a des sensibilités différentes aux mécaniques de jeu, et cela n’est généralement pas pris en compte. Cet article présente un modèle pour adapter les fonctionnalités ludiques selon les profils de joueur des apprenants. Une évaluation de ce modèle a montré que l’utilisation de fonctionnalités ludiques adaptées rend les apprenants plus engagés, tandis que l’utilisation de fonctionnalités ludiques contre-adaptées diminue leur motivation.

MOTS CLÉS : Ludification, adaptation, motivation, profils de joueurs.

The impact of adaptive gamification on learners engagement

ABSTRACT : Gamification is increasingly used to address the lack of learner motivation. However, gamification systems generally do not consider learner's preferences for game mechanics. This paper presents a model to adapt the gamification features to the learners according to their player profile. An evaluation of this model shows that adapted game features increase learner engagement, while counter-adapted game features decrease their motivation.

KEYWORDS : Gamification, adaptation, motivation, player profile.

 

1. Introduction

Les environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) deviennent de plus en plus efficaces, en particulier grâce au développement des tuteurs intelligents qui prennent en compte l’état des connaissances de l’apprenant (Aleven et al., 2015) (Craig et al., 2013) (Desmarais et Baker, 2012). Cependant, ces technologies ne rendent pas nécessairement les EIAH plus motivants. Une solution pour y remédier est de proposer des activités d’apprentissage plus ludiques, soit en concevant des jeux sérieux, soit en ludifiant des EIAH existants. Le terme jeu sérieux (serious game) se rapporte à l’utilisation d’un jeu pour l’apprentissage (Prensky, 2001) tandis que la ludification s’appuie sur l’utilisation d’éléments de jeu dans un contexte non ludique (Deterding et al., 2011).

Dans cet article nous nous intéressons au problème du manque de motivation dans le contexte d’un environnement d’apprentissage en ligne dans lequel l’apprenant est entièrement guidé par le système. Dans ce type d’environnement, l’absence d’un tuteur humain est souvent facteur d’un manque d’intérêt pour l’apprenant.

1.1. Ludification et apprentissage

Notre proposition porte sur l'intégration et l'adaptation de mécaniques de jeu à des environnements d’apprentissage existants. Pour cela, nous choisissons l’approche par ludification plutôt que le jeu sérieux : il est beaucoup moins complexe d’ajouter des fonctionnalités ludiques à un système d’apprentissage que de transformer le cœur de l’activité pour en faire un jeu.

Le terme de « gamification » a été introduit au début des années 2010. Cette approche est appliquée dans des domaines aussi variés que le marketing (Huotari et Hamari, 2012), la santé (Wilson et McDonagh, 2014), ou encore le crowdsourcing (Venhuizen et al., 2013). Nous nous intéressons ici à son utilisation dans le domaine de l’éducation (Kapp, 2012). Le jeu a toujours fait partie de l’apprentissage, mais l’arrivée de la ludification a apporté de grands changements dans la manière dont il est étudié. Certains présentent la ludification comme une nouvelle théorie éducative (Bíró, 2014), aux côtés du behaviorisme, du cognitivisme, du constructivisme et du connectivisme. Sans aller jusqu’à parler d’une nouvelle théorie, nous pensons que la ludification peut être un levier puissant dans le domaine éducatif.

Dans cet article, nous présentons une implémentation réalisée dans un environnement dédié à la mémorisation de règles de grammaire. La mémorisation étant souvent basée sur la répétition, elle est parfois perçue comme une tâche ennuyeuse pour laquelle la motivation peut faire défaut. C’est pourquoi l’approche ludique peut être particulièrement utile dans le contexte de la mémorisation. Au-delà du risque d’abandon, un gain en motivation amène généralement l’apprenant à mettre en place de meilleures stratégies mentales de mémorisation (Fenouillet et Tomeh, 1998).

La ludification doit cependant être utilisée avec précaution, et toujours mise en relation avec l’apprentissage (Szilas et Sutter Widmer, 2009). Dans le cas contraire, appliquer de façon systématique les principes de la ludification peut aboutir à la création d’une application vide de sens (Bonenfant et Genvo, 2014), ou générer des comportements inattendus des utilisateurs (Callan et al., 2015).

1.2. Besoin d’adaptation

La ludification a déjà montré son efficacité à de nombreuses reprises comme le montre la revue de la littérature présentée dans (Hamari et al., 2014), et l'on peut se demander si une forme de ludification adaptée pourrait bonifier davantage son impact (Vassileva, 2012). Dans les systèmes faisant intervenir des éléments de ludification, c’est actuellement l’approche « one size fits all » qui domine. Il est reconnu depuis longtemps que l'apprentissage personnalisé est plus efficace que d’enseigner de la même manière à tous (Bloom, 1984). Nous pensons qu'il en va de même avec la ludification : une manière de ludifier ne conviendra pas à tous les apprenants. L’adaptation se développe dans les EIAH depuis les années 80, en particulier avec les tuteurs intelligents basés sur des modèles d’apprenants. L’adaptation des jeux et les modèles de joueurs sont plus récents.

La question de recherche étudiée dans cet article est la suivante : comment adapter les éléments ludiques d’un environnement d’apprentissage à un apprenant selon son profil de joueur ? Nous avons conduit une première étude exploratoire qui a montré le potentiel de la ludification adaptative (Monterrat et al., 2017). La méthode d’adaptation que nous proposons dans cet article est basée sur ces premiers résultats. Un état de l’art des techniques de ludification et des modèles de joueurs pour l’adaptation est présenté dans la section 2. Il sert de base à la construction d’un modèle de ludification adaptative que nous exposons dans la section 3. La section 4 présente une expérimentation destinée à étudier l’impact d’ajout de fonctionnalités adaptées et contre-adaptées à un environnement d’apprentissage en ligne utilisé en situation écologique par plusieurs centaines d’utilisateurs. La section 5 est consacrée à la discussion sur notre approche et sur les résultats de l’expérimentation.

2. État de l’art

Dans cette section, nous proposons d’abord une étude des éléments de ludification courants dans la littérature. Ensuite nous passons en revue les profils de joueurs identifiés dans différents travaux sur les jeux et la ludification. Enfin, nous étudions diverses techniques d’adaptation et modèles visant à lier les éléments de ludification aux profils de joueurs.

2.1. Éléments de ludification

La ludification repose habituellement sur l’intégration de mécaniques de jeu dans des environnements existants. (Vassileva, 2012) propose une revue de la littérature sur les mécaniques de jeu qui peuvent être utilisées pour développer des environnements numériques ludifiés. Il en ressort un inventaire de mécaniques : les récompenses (points, jetons, badges), les réalisations (représentation d’une récompense physique ou virtuelle), les statuts (classement ou niveau d’un joueur), l’esprit communautaire (collaboration) et les quêtes (des défis compétitifs ou contre la montre). (Kapp, 2012) a également listé différents éléments de jeu typiques comme les buts, les règles, la compétition, la coopération, le temps, les récompenses, les niveaux, les feedbacks, la narration, etc. Plus récemment, (Robinson et Bellotti, 2013) ont proposé une taxonomie des éléments de ludification qui peuvent être un objectif, une fonctionnalité sociale, une incitation ou encore une ressource. Plus globalement, en étudiant la littérature sur le sujet, nous pouvons observer que de nombreux concepts ne sont pas toujours dissociables, par exemple les mécaniques de jeux, les règles et les ressources.

Afin de proposer une approche pour une adaptation générique des éléments de jeu, nous nous sommes intéressés à des travaux décrivant différents niveaux d’abstraction de la ludification (Deterding et al., 2011) proposent ainsi 5 niveaux d’abstraction, des plus abstraits aux plus concrets. Les méthodes de conception issues des jeux viennent en premier. Ensuite viennent les modèles de jeu tels que les boucles d’engagement et de feedback. Les principes de design, comme le fait de fixer des objectifs clairs et de proposer des interactions variées, constituent le troisième niveau. L’un des principes les plus populaires repose sur l’équilibre entre la difficulté (challenge) et le niveau de compétences de l’utilisateur, en vue d’atteindre l’état de flow (Csikszentmihalyi, 1998). Au quatrième niveau se trouvent les mécaniques de jeu telles que l’utilisation de contraintes de temps, ou de ressources limitées. Enfin des éléments d’interface concrets découlent de ces mécaniques, parmi lesquels :

- les compteurs de points,

- les badges (trophée symbolisant l’accomplissement d’une tâche),

- les tableaux de score.

Ces éléments communs reposent tous sur une quantification de l’activité de l’utilisateur dans le but de lui offrir une récompense. Dans cet article nous utilisons le terme « fonctionnalité ludique » pour référer à une mécanique de jeu qui prend la forme d'un ou plusieurs éléments d’interface. Par exemple, un compteur de points récompense l’utilisateur par des badges quand il atteint un score donné.

2.2. Modèles de joueur

Les modèles de personnalités de joueurs sont relativement nombreux. La classification de (Bartle, 1996) est l’une des plus connues avec quatre types de joueurs (killer, explorer, achiever, socializer). Par ailleurs, (Yee, 2006) a identifié trois composants principaux de la motivation : accomplissement, social et immersion. On note cependant que ces typologies de joueurs sont issues de travaux spécifiques aux jeux de rôles multijoueurs, et que rien ne garantit qu’ils soient applicables au contexte de la ludification. D’après un état de l’art des précédents modèles de joueurs, Ferro Walz et Greuter (Ferro et al., 2013) ont conçu un nouveau modèle fondé sur cinq types de joueurs : dominant, objectiviste, humaniste, curieux et créatif. Ils ont relié leurs types de joueurs directement à des mécaniques de jeu. L’une des classifications les plus récentes est la classification BrainHex (Nacke et al., 2014), qui a été définie d’après des études neurologiques et comporte sept types de joueurs :

- le « Seeker » aime la découverte et l’exploration,

- le « Survivor » aime avoir peur et devoir fuir,

- le « Daredevil » aime le risque et réussir de justesse,

- le « Mastermind » aime résoudre des énigmes et établir des stratégies,

- le « Conqueror » aime vaincre des adversaires puissants,

- le « Socializer » aime interagir avec d’autres joueurs,

- l’ « Achiever » aime accomplir des tâches.

Contrairement aux classifications précédentes, Brainhex n’est pas liée à un genre vidéoludique particulier. De plus elle est accompagnée d’un questionnaire de classification des utilisateurs qui a déjà été utilisé plus de 60 000 fois. C’est pourquoi nous utilisons cette classification comme base de notre modèle de joueur.

2.3. Adaptation des jeux et de la ludification

2.3.1. Adaptation dans les jeux

Hocine, Gouaïche, Di Loreto et Abrouk ont dressé un état de l’art des techniques d’adaptation des jeux (Hocine et al., 2011). Parmi les 16 techniques d’adaptation présentées, une majorité adapte le niveau de difficulté de différentes manières : en changeant le comportement de l’adversaire, la vitesse du jeu ou le scénario. Les autres travaux proposent d’ajuster certains paramètres du jeu, ou encore les aspects pédagogiques (Marne et al., 2013), mais ne proposent pas la modification des mécaniques de jeu.

Nous avons trouvé trois études qui adaptent réellement la dynamique d’un jeu. Dans (Thue et al., 2007), les auteurs ont travaillé sur la narration adaptative. Leur système adapte les évènements qui arrivent dans le jeu et modifient donc le « gameplay ». Dans (Göbel et al., 2010), le système adapte les scènes d’un jeu sérieux pour convenir aux préférences utilisateurs. La troisième étude (Natkin et al., 2007) présente une réelle modification des mécaniques de jeu en fonction de la personnalité du joueur. Le système propose aux utilisateurs différentes quêtes en fonction de leur profil personnel. Leur profil est basé sur le modèle FFM (Five Factor Model), un profil qui classe les individus selon cinq dimensions psychologiques.

2.3.2. Modèles pour la ludification

L’adaptation de la ludification peut être réalisée suivant le même schéma que l’adaptation dans les jeux : il faut d’abord identifier les propriétés ludiques d’une activité, puis lier ces propriétés aux caractéristiques du joueur. Bien que l’adaptation de la ludification n’en soit qu’à ses débuts, certains modèles conceptualisent les propriétés ludiques sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Comme nous l’avons vu, (Robinson et Bellotti, 2013) présentent une taxonomie des éléments de ludification, mais sans faire de lien avec les types d’utilisateur. (Sailer et al., 2013) propose une liste d’éléments ludiques et décrit leurs liens avec différents concepts motivationnels. Ces deux travaux expliquent comment la ludification peut motiver, mais ne font pas le lien avec des classifications de joueurs.

(Zichermann et Cunningham, 2011)(Zichermann et Cunningham, 2011) proposent d’utiliser le framework MDA (Mechanics, Dynamics, Aesthetics) développé par (Hunicke et al., 2004). Les mécaniques correspondent à un élément de jeu en particulier dans l’interface utilisateur, comme une fonctionnalité ludique. Les dynamiques se placent au niveau de l’interaction entre ces mécaniques de jeu et l’utilisateur. Enfin, les « aesthetics » décrivent la réponse émotionnelle du joueur quand il interagit avec le système. Ce modèle donne une place à chaque concept mais n’établit pas de liens entre eux. Dans cet article, nous proposons une méthode pour associer directement les fonctionnalités ludiques aux différents types de joueurs, sans considérer les concepts intermédiaires.

3. Modèle et implémentation d’une ludification adaptative

Notre proposition d’architecture pour la ludification adaptative d’un EIAH (Monterrat et al., 2014) repose sur un moteur d’adaptation éducatif et un moteur d’adaptation ludique, distincts de l’interface et développés indépendamment l’un de l’autre. Le premier repose sur un modèle d’apprenant prenant en compte ses connaissances, le second est fondé sur un modèle de joueur prenant en compte son profil BrainHex. Le premier agit sur les items sur lequel l’apprenant va travailler, le second agit sur les fonctionnalités ludiques implémentées dans l’interface. Seul le moteur d'adaptation ludique est présenté et évalué ici. Les fonctionnalités ludiques ont été implémentées de manière à pouvoir être activées et désactivées simplement, sans que cela n’ait de conséquence sur l’apprentissage et sur la cohérence de l’activité.

3.1. Modèle de joueur pour l’adaptation

Afin de présenter à l’apprenant la fonctionnalité qui lui est la plus adaptée, le modèle doit prédire si les apprenants apprécieront ou non les fonctionnalités ludiques développées. Si nous avons m apprenants et n fonctionnalités, ce résultat peut s’exprimer sous la forme d’une matrice m x n dans laquelle chaque valeur révèle l’appréciation de l’utilisateur pour la fonctionnalité associée. Nous appelons cette matrice R.

La matrice R peut s’exprimer comme le produit de deux matrices nommées B et A (cf. Fig. 1). Si nous exprimons le profil d'un joueur sous la forme d'un vecteur composé de k facteurs, la matrice B est de dimensions m x k et la matrice A de dimension k x n. Une ligne de la matrice B représente le degré d'appartenance du joueur à chacun des k facteurs. Une colonne de la matrice A représente le poids de chaque facteur contribuant à la fonctionnalité correspondante.

Ce modèle suppose une relation linéaire entre les facteurs d’un profil et les préférences aux fonctionnalités ludiques : pour chaque facteur (A) dont la valeur n'est pas nulle, le profil d'un utilisateur (B) modifie en proportion sa préférence pour les fonctionnalités correspondantes (R). Le modèle linéaire se distingue du modèle conjonctif pour lequel l’ensemble des facteurs est nécessaire pour obtenir une préférence haute, et du modèle disjonctif pour lequel un seul facteur est suffisant pour obtenir une préférence haute. La figure 1 illustre par un exemple simplifié l’utilisation des matrices B et A pour obtenir la matrice R grâce à l’égalité R = B A. Il comporte 4 utilisateurs (u1-u4), 3 fonctionnalités (f1-f3) et un modèle de joueur à 2 facteurs : compétition (C) et social (S).


Figure 1 • Un exemple d’application du modèle de joueur linéaire R = B A.

Dans cet exemple, la matrice R exprime les préférences de quatre joueurs (u1 à u4) envers trois fonctionnalités (f1 à f3). La matrice B (au centre) représente le profil de chaque joueur par un vecteur k comportant deux facteurs : compétition (C) et social (S). La matrice A (à droite) représente le degré de correspondance entre chaque facteur et chaque fonctionnalité. Dans cet exemple, nous observons que la première fonctionnalité (f1) est principalement axée sur la compétition, la deuxième (f2) fait émerger des mécaniques de jeu plus sociales, et la troisième (f3) met en place un peu de compétition et beaucoup de relations sociales.

En connaissant les sensibilités des utilisateurs aux différentes mécaniques de jeu (B) et la correspondance entre ces mécaniques et les fonctionnalités ludiques (A), une simple multiplication des matrices B et A permet d’obtenir l’appréciation des fonctionnalités par les utilisateurs sous la forme de la matrice R. Le premier utilisateur (u1) est sensible avant tout à la compétition. En conséquence, c’est la fonctionnalité f1 qui lui convient le mieux. Le deuxième utilisateur (u2) est sensible avant tout aux interactions sociales. C’est la fonctionnalité f3 qui lui convient le mieux, comme pour le troisième utilisateur (u3) qui aime autant la compétition que les interactions sociales. Le dernier utilisateur (u4) est motivé par les interactions sociales, mais il n’apprécie pas du tout la compétition. Par conséquent, c’est f2 qui lui convient le mieux.

Dans un souci de simplification, l’exemple ci-dessus ne comporte que 2 dimensions. Dans ces travaux, nous utilisons le modèle de joueur BrainHex qui comporte 7 dimensions, comme indiqué dans la partie 2.2. Avec BrainHex, les individus n’appartiennent pas à un type de joueur unique. Ce modèle attribue à l’utilisateur une valeur dans [-10 ; 20] sur chacune des dimensions du profil de joueur. La matrice B comporte donc 7 colonnes et des valeurs comprises entre -10 et 20. Il en résulte que des valeurs négatives peuvent apparaître dans la matrice R. Celles-ci indiquent que la fonctionnalité est contre-adaptée à l’utilisateur et pourrait avoir un impact négatif sur sa motivation.

3.2. Environnement et fonctionnalités ludiques

Les expérimentations s’appuient sur un environnement d’apprentissage appelé Projet Voltaire, un environnement en ligne d’apprentissage de l’orthographe française. Il repose sur un mode d’interaction simple : le système présente une phrase potentiellement fausse à l’utilisateur. Celui-ci doit cliquer sur la faute s’il en voit une, ou cliquer sur le bouton « il n’y a pas de faute » s’il n’en voit pas. Après avoir répondu, l’apprenant peut consulter la règle explicative (cf. figure 2). Les phrases sont associées à des règles d’orthographe et de grammaire. Les règles sont regroupées au sein de niveaux. La sélection des phrases est déterminée par un moteur d’adaptation pédagogique modélisant les connaissances de l’apprenant.

Le Projet Voltaire est équipé d’un moteur d’apprentissage prenant en compte l’état des connaissances de l’apprenant. Le moteur d’adaptation et cinq fonctionnalités ludiques ont été implémentés dans le Projet Voltaire par l’entreprise Woonoz, indépendamment du moteur d’apprentissage existant, tel que décrit dans la section 3.

Figure 2 • Interface utilisateur du Projet Voltaire

La première fonctionnalité est un groupe d’étoiles, que l’utilisateur voit s’allumer une à une lorsqu’il apprend des règles de grammaire. La seconde est un tableau de scores (cf. figure 3). Il classe les utilisateurs en fonction de leur meilleur nombre consécutif de bonnes réponses. Il ne montre pas les meilleurs utilisateurs du groupe mais ceux qui précèdent l’utilisateur concerné, dans le but de présenter un challenge accessible. La troisième fonctionnalité ludique propose aux utilisateurs de partager entre eux des moyens mnémotechniques pour mieux retenir les règles de grammaire. Elle encourage les interactions sociales. La quatrième fonctionnalité représente un randonneur qui progresse sur un chemin à chaque fois que l’utilisateur fait une bonne réponse. Lorsque ce dernier atteint certains points, elle lui donne accès à des anecdotes sur l’orthographe. La cinquième fonctionnalité affiche en permanence un chronomètre qui défile pendant que l’utilisateur répond. Cela lui donne l’opportunité de remporter des coupes s’il est assez rapide.

Les concepteurs des fonctionnalités ludiques ont veillé à implémenter à travers elles des mécaniques de jeu diverses, et à respecter les règles d’indépendance. Chaque fonctionnalité est notamment accompagnée d’une croix permettant à tout utilisateur de la masquer. La figure 3 propose une vue partielle des cinq fonctionnalités.

 

Figure 3 • Capture d’écran des 5 fonctionnalités implémentées.

3.3. Construction de la A-matrice

Dans une étude précédente, nous avons comparé deux façons d’obtenir une A-matrice (Monterrat et al., 2015). L’expérimentation comparait une A-matrice obtenue à partir de l’avis d’experts et une A-matrice obtenue empiriquement à partir des préférences des utilisateurs. La matrice issue des experts s’est montrée plus fiable, c’est donc celle sur laquelle nous nous appuyons pour cette expérimentation.

Six experts, spécialisés en jeux sérieux et en ludification, ont été sollicités pour remplir une A-matrice de poids associant les types de joueurs et les fonctionnalités implémentées dans le Projet Voltaire. Ils ont d’abord pris connaissance de la typologie de joueur BrainHex. Ils ont ensuite utilisé le Projet Voltaire pendant environ une heure, interagissant avec chacune des 5 fonctionnalités ludiques. Ils pouvaient choisir les valeurs parmi les suivantes :

1. Correspondance totale : 1

2. Correspondance forte : 0,75

3. Correspondance moyenne : 0,50

4. Correspondance faible : 0,25

5. Aucune correspondance : 0

La A-matrice des experts a ensuite été calculée en sélectionnant la médiane des 6 avis d’experts sur chacune des 35 valeurs. La médiane est une bonne manière de chercher le consensus, sans être influencé par une note extrême donnée par un seul expert. Le tableau 1 présente la A-matrice des avis des experts ainsi obtenue.

Tableau 1 • A-matrice issue de la consultation des experts. Colonnes : fonctionnalités ludiques. Lignes : types de joueurs BrainHex.


Etoiles

Tab. de scores

Astuces

Randonneur

Chronomètre

Seeker

0,5

0

0,75

0,88

0

Survivor

0,13

0,5

0

0

0,38

Daredevil

0,63

0,63

0

0,13

0,88

Mastermind

0,63

0,63

0,38

0,25

0,25

Conqueror

0,75

1

0,13

0,38

0,75

Socializer

0,13

0,13

1

0,25

0

Achiever

1

0,75

0,13

0,88

1

Cette A-matrice a été utilisée dans la formule R = B A pour obtenir la prédiction R-experts.

Il est nécessaire que les experts soient d’accord entre eux pour que la A-matrice des experts soit considérée comme valide. Cela garantit que la matrice médiane reflète une réelle tendance. Nous avons utilisé la corrélation intra-classe (ICC) (Shrout et Fleiss, 1979) comme outil de mesure. Nous obtenons une valeur de 0,43 pour la corrélation entre les 6 experts, une valeur modérée mais suffisante pour confirmer l’accord entre eux. Cette A-matrice a donc été utilisée selon la formule R = B A pour obtenir la matrice de prédiction R.

4. Étude sur l’impact de la ludification adaptative

Nous avons conçu une expérimentation visant à répondre principalement à cette question : « La ludification adaptative basée sur notre modèle peut-elle améliorer la participation des utilisateurs, et leur motivation à utiliser l’environnement d’apprentissage ? ». Le niveau de motivation et l’appréciation des fonctionnalités peuvent être évalués par questionnaire. Le niveau de participation peut être obtenu en mesurant directement le temps passé par les utilisateurs sur l’environnement d’apprentissage. Nous avons alors posé les trois hypothèses suivantes :

H1. Des utilisateurs avec des fonctionnalités adaptées passent plus de temps sur l’environnement que des utilisateurs avec des fonctionnalités mal adaptées ou sans fonctionnalités.

H2. Des utilisateurs avec des fonctionnalités adaptées apprécient mieux ces fonctionnalités que des utilisateurs avec des fonctionnalités mal adaptées ou sans fonctionnalités.

H3. Des utilisateurs avec des fonctionnalités adaptées ont un niveau de motivation plus élevé que des utilisateurs avec des fonctionnalités mal adaptées ou sans fonctionnalités.

4.1. Conditions expérimentales

4.1.1. Participants

Un appel à volontaires a été diffusé sur la page Facebook du Projet Voltaire. Les volontaires devaient remplir le questionnaire BrainHex et donner leur adresse e-mail pour s’inscrire. Le jour de la fermeture des inscriptions, nous avions 338 volontaires. Nous avons créé un groupe de 140 inscrits avec des fonctionnalités adaptées, un groupe de 140 inscrits avec des fonctionnalités contre-adaptées et un groupe de 58 inscrits sans fonctionnalité ludique. Les volontaires ont été attribués aléatoirement à chacun des groupes. 266 des 338 volontaires se sont effectivement connectés au Projet Voltaire pendant la période d’expérimentation. Les participants effectifs étaient répartis ainsi :

• Groupe FA (Fonctionnalités adaptées) : 112 participants

• Groupe FC (Fonctionnalités Contre-adaptées) : 111 participants

• Groupe SF (Sans Fonctionnalité) : 43 participants

Les participants étaient à 79% des femmes. Ils étaient âgés de 18 à 75 ans (moyenne = 40,3 ans, écart type = 9,8 ans). La seule récompense qu’ont obtenue les utilisateurs pour leur participation était l’accès gratuit au Projet voltaire pendant la durée de l’expérimentation.

4.1.2. Protocole

Nous avons calculé la matrice R de prédiction des préférences des utilisateurs pour les fonctionnalités sur la base des matrices A (A-matrice des experts) et B (profils de joueur), selon la formule R = B A. Afin d’équilibrer les probabilités de sélection des fonctionnalités entre elles, nous avons ensuite normalisé les valeurs de R.

Les participants en conditions adaptées (FA) ont reçu les deux fonctionnalités ayant le meilleur score pour eux selon R. Les participants en conditions contre-adaptées (FC) ont reçu les deux fonctionnalités ayant les scores les plus bas pour eux selon R. Les membres du groupe SF n’avaient aucune fonctionnalité active dans leur environnement d’apprentissage. Le tableau 2 montre la répartition des fonctionnalités activées selon les groupes.

Tableau 2 • Répartition des fonctionnalités selon les groupes


Étoiles

Tab.

Astuces

Rando.

Chrono

total

FA

20

45

54

60

45

224

FC

17

56

49

46

54

222

total

37

101

103

106

99


Les étoiles ont été sélectionnées moins souvent que les autres fonctionnalités dans le processus. La raison de cela est que cette fonctionnalité convient relativement bien à tous les types de joueurs (comme le montre la A-matrice sur le tableau 1). Par conséquent les étoiles ont rarement été identifiées comme faisant partie des deux fonctionnalités les mieux adaptées (FA) ou des deux moins bien adaptées (FC).

Une fois le système initialisé, les participants ont reçu leurs identifiants pour se connecter au Projet Voltaire. Ils pouvaient alors utiliser le Projet Voltaire librement pendant une période de 3 semaines.

4.2. Résultats

4.2.1. Durée d’utilisation de l’environnement

Le tableau 3 représente le nombre de sessions et la durée totale moyenne passée sur le Projet Voltaire par chacun des trois groupes. Un test d’indépendance a été réalisé pour confirmer les différences observées.

Tableau 3 • Durée moyenne passée sur le Projet Voltairen = effectif m = moyenne, sd = écart type

Groupe

n

m

sd

test de Student avec FA

test de Wilcoxon avec FA

AF

112

2H36

2h20

N.A.

N.A.

CF

111

1h54

1h22

0.047

0.85

SF

43

1h53

1h29

0.104

0.378

Pendant la période de trois semaines, les participants du groupe FA ont passé en moyenne 2h36 sur le Projet Voltaire, tandis que les membres du groupe FC n’étaient connectés que 1h54. Cela représente un écart de 42 minutes, soit 37 % de temps supplémentaire pour les membres du groupe FA par rapport à FC. Cet écart est confirmé avec le test de Student  (p = 0,047, p < 5%).

Nous présentons également les résultats au test de Wilcoxon, réalisé en raison des grands écarts types observés quant à la distribution des temps passés sur le site. Ce test n’est pas significatif. Le désaccord entre le test de Student et le test de Wilcoxon nous a amenés à regarder plus en détail la distribution des résultats dans chaque groupe. Elle est présentée en figure 4.

Figure 4 • Temps passé sur le Projet Voltaire en fonction du pourcentage cumulatif de participants dans chaque groupe.

La figure 4 révèle un comportement similaire dans les trois groupes pour les premiers 75 % des utilisateurs, et des différences importantes pour les 25 % des utilisateurs les plus engagés. Nous présentons ces résultats en détail dans le tableau 4.

Tableau 4 • Temps passé sur le Projet Voltaire pour les 75% des utilisateurs les moins engagés et pour les 25% les plus engagés.n = effectif, m = moyenne, sd = écart type


les 75% moins engagés

les 25% plus engagés

n

m

sd

Wil. avec FA

n

m

sd

Wil.. avec FA

FA

83

1h01

0h39

N.A.

29

7h08

4h07

N.A.

FC

82

1h00

0h33

0,778

29

4h24

1h43

0,006

SF

31

0h51

0h35

0,333

12

4h31

2h47

0,007

Pour les 75 % des utilisateurs les moins engagés, la durée moyenne de participation est presque la même dans les trois groupes, FA, FC et SF, allant de quelques secondes à deux heures. Pour les 25 % des utilisateurs les plus actifs, il y a une différence très importante dans le temps de participation. Le test de Wilcoxon réalisé sur ces participants montre des résultats très significatifs quand on compare le groupe avec fonctionnalités adaptées (FA) à celui qui avait des fonctionnalités contre-adaptées (FC) (p = 0,006, p < 0,01), mais aussi à celui sans fonctionnalités (SF) (p = 0,007, p < 0,01).

Ce résultat nous permet d’accepter l’hypothèse H1, les participants avec fonctionnalités adaptées ayant passé significativement plus de temps que les autres sur le Projet Voltaire. Cependant, nous devons signaler que ce gain ne s’applique qu’aux utilisateurs les plus engagés au départ, c’est à dire ceux qui ont passé plus de deux heures sur le Projet Voltaire.

L’équivalence des temps passés pour le groupe avec fonctionnalités contre-adaptées (FC) et celui sans fonctionnalités (SF) est un autre résultat important. Cela signifie que les fonctionnalités ludiques n’ont eu aucun impact sur le temps de participation des utilisateurs lorsqu’elles n’étaient pas en correspondance avec leur profil de joueur.

4.2.2. Motivation des participants

Pour évaluer la motivation des utilisateurs, nous avons utilisé le questionnaire SIMS (SItuational Motivation Scale) de (Guay et al., 2000). Nous présentons les résultats du questionnaire sur le tableau 5. Les valeurs s’expriment sur une échelle de 4 à 28. Les effectifs dépendent du nombre total de 178 répondants au questionnaire final. Les comparaisons ont été réalisées avec le test de Student.

Tableau 5 • Résultats sur la motivation des participantsn = effectifs, m = moyenne, sd = écart type



Motivation intrinsèque

Régulationidentifiée

Amotivation

n

m

sd

m

sd

m

sd

FA

73

21,2

3,8

24,3

2,7

5,1

1,4

FC

75

21,1

4,2

23,6

3,5

6,1

2,7

SF

30

22,9

2,6

25,0

2,9

5,2

1,5

Les valeurs de motivation intrinsèque sont globalement hautes pour les trois groupes. La motivation intrinsèque est équivalente pour les groupes FA et FC. Par ailleurs, elle est significativement plus élevée pour le groupe sans fonctionnalité (SF), à la fois par rapport au groupe FA (p = 0,031) et par rapport au groupe FC (p = 0,039).

Les valeurs de régulation identifiée sont globalement hautes pour les trois groupes. La régulation identifiée est également équivalente pour les groupes FA et FC. Elle semble aussi plus faible pour les groupes avec fonctionnalités que pour le groupe SF, mais de manière non significative (p > 0,05).

Les valeurs de l’amotivation sont globalement faibles pour les trois groupes. Cependant, l’amotivation est significativement plus élevée pour le groupe avec fonctionnalités contre-adaptées que pour le groupe avec fonctionnalités adaptées (p = 0,018, p < 0,05). Cette différence signifie que les participants du groupe FC étaient moins motivés à continuer l’activité que ceux du groupe FA. Nous n’observons pas de différence significative entre les groupes d’utilisateurs ayant des fonctionnalités adaptées et ceux n’ayant aucune fonctionnalité. Ces résultats nous permettent de valider partiellement l’hypothèse H3, l’adaptation des fonctionnalités ludiques réduit l’amotivation des utilisateurs, la maintenant au même niveau qu’un environnement non ludifié. Ces résultats sont cohérents par rapport à ceux d’autres expérimentations que nous discutons dans la section 4.3.

4.2.3. Appréciation des fonctionnalités

Pour chacune des fonctionnalités présentes dans leur interface, nous avons demandé aux utilisateurs de noter l’affirmation « J’apprécie cette fonctionnalité ». Les valeurs possibles pour la réponse étaient : 1 = « Non, pas du tout » 2 = « Très peu », 3 = « Un peu », 4 = « Moyennement », 5 = « Assez », 6 = « Tout à fait », 7 = « Oui, parfaitement ».

Les valeurs moyennes d’appréciation des fonctionnalités sont présentées dans le tableau 6.

Tableau 6 • Appréciation des fonctionnalités selon les groupesn = effectifs, m = moyenne, sd = écart type



Étoiles

Tableau

Astuces

Rando.

Chrono.

Toutes

n

m

sd

m

sd

m

sd

m

sd

m

sd

m

sd

FA

73

4,1

1,9

4,6

1,5

5,2

1,1

4,3

1,6

5,5

1,4

4,6

1,3

FC

75

5,5

0,9

4,4

1,4

4,6

1,5

4,2

1,7

5,1

1,3

4,7

1,4

total

148

4,8

1,6

4,5

1,5

4,9

1,2

4,3

1,6

5,2

1,4



Les participants avec des fonctionnalités adaptées et les participants avec des fonctionnalités contre-adaptées ont donné des valeurs similaires d’appréciation pour la plupart des fonctionnalités. La seule fonctionnalité pour laquelle la différence est supérieure à 1 point est celle des étoiles, mais les effectifs sont trop faibles pour conclure à un écart significatif. Avec une moyenne de 4,6 pour FA et 4,7 pour FC, les utilisateurs avec des fonctionnalités adaptées à leur profil les apprécient autant que des utilisateurs avec des fonctionnalités contre-adaptées. Ce résultat nous amène à rejeter l’hypothèse H2, l’appréciation des fonctionnalités semblant être indépendante du fait qu’elles soient adaptées au profil de l’utilisateur.

4.2.4. Impact de binômes de fonctionnalités

Nous avons observé dans les trois sections précédentes que l’adaptation des fonctionnalités : (1) augmente le temps passé sur l’environnement d’apprentissage, (2) diminue l’amotivation et (3) semble ne pas avoir d’impact sur l’appréciation des fonctionnalités. Pour confirmer l’indépendance de ces résultats avec la distribution initiale des fonctionnalités entre les groupes FA et FC, nous avons appliqué ces comparaisons à des sous-groupes d’utilisateurs ayant reçu exactement les mêmes fonctionnalités. Afin de sélectionner ces groupes, le tableau 7 montre la répartition des binômes de fonctionnalités parmi les membres des groupes FA et FC.

Seuls deux binômes de fonctionnalités sont présents en effectifs suffisants pour étudier leur impact de façon indépendante : les fonctionnalités 2 et 5 (tableau de score et chronomètre) et les fonctionnalités 3 et 4 (astuces et randonneur).

Tableau 7 • Effectifs selon les binômes de fonctionnalités attribués dans les groupes FA et FC

FA

F1

F2

F3

F4

F5


FC

F1

F2

F3

F4

F5

F1







F1






F2

2






F2

4





F3

1

11





F3

4

9




F4

15

0

38




F4

8

0

32



F5

2

32

4

7



F5

1

43

4

6


Dans le tableau 8, nous observons les variations dans le temps passé sur le site par ces sous-groupes de participants, ainsi que leur amotivation et leur appréciation des fonctionnalités.

Tableau 8 • Durée, amotivation et appréciation des fonctionnalités pour les participants avec les fonctionnalités (2 et 5) ou (3 et 4)

2 et 5

Durée

Amotiv.

Appréc


3 et4

Temps

Amotiv.

Appréc.

FA

3h18

5,8

4,8


FA

2h28

4,4

5,0

FC

1h58

5,9

4,6


FC

2h02

7,0

4,8

Les participants ayant les fonctionnalités 2 et 5 dans le groupe FA ont passé en moyenne 1h20 de plus sur le Projet Voltaire que les participants du groupe FC avec les mêmes fonctionnalités. Cet écart n’est pas significatif à p < 0,05 (p = 0,078), mais la p-value est appréciable compte-tenu de la taille des échantillons et de l’ampleur de la différence (p < 0,01). Par ailleurs, les participants avec les fonctionnalités 2 et 5 montrent des niveaux identiques d’amotivation et d’appréciation des fonctionnalités dans les groupes FA et FC.

Les participants ayant les fonctionnalités 3 et 4 dans le groupe FA ont passé 20 minutes en moyenne de plus sur le Projet Voltaire que les participants du groupe FC avec les mêmes fonctionnalités, un écart relativement faible et non significatif. Par ailleurs, les participants avec les fonctionnalités 3 et 4 avaient un niveau d’amotivation significativement plus bas dans le groupe FA que dans le groupe FC (p = 0,006, p < 0,01).

La comparaison des groupes ayant les fonctionnalités 2 et 5 confirme l'impact de l'adaptation sur le temps passé avec l’environnement d’apprentissage. La comparaison des groupes ayant les fonctionnalités 3 et 4 confirme le gain de motivation. Les deux groupes confirment que l’adaptation n’a pas d’incidence sur l’appréciation des fonctionnalités.

5. Discussion

5.1.1. Impact de l’adaptation des fonctionnalités

Concernant l’hypothèse H1 (temps passé), les résultats ont montré que (1) les utilisateurs avec fonctionnalités contre-adaptées passent autant de temps que les utilisateurs sans fonctionnalités ludiques sur l’environnement, (2) les utilisateurs les plus engagés restent significativement plus longtemps quand leurs fonctionnalités sont adaptées que lorsqu’elles ne le sont pas. Nous pouvons donc conclure que des fonctionnalités ludiques n’ont un impact sur la durée d’utilisation d’un environnement que lorsqu’elles correspondent au profil de joueur des utilisateurs. Plus précisément, nous avons observé que les fonctionnalités adaptées n’ont pas d’impact sur tous les utilisateurs mais seulement sur les plus engagés (25 % dans cette étude). Nous supposons que la raison à cela est que les fonctionnalités agissent sur les utilisateurs seulement au-delà d’un temps d’utilisation minimal. Cela implique que d’autres mécanismes doivent être utilisés pour retenir les utilisateurs pour les premières minutes d’utilisation.

Concernant l’hypothèse H2 (appréciation des fonctionnalités), les résultats n’ont montré aucune différence entre les groupes selon l’adaptation des fonctionnalités. Ce résultat est surprenant, car d’autres mesures ont montré un impact significatif de l’adaptation des fonctionnalités sur le comportement des utilisateurs. Cela suggère que l’appréciation consciente des fonctionnalités par les utilisateurs est indépendante de l’impact que ces fonctionnalités auront sur leur comportement. Ce résultat a des conséquences importantes sur la manière dont est réalisée l’adaptation : il implique que l’adaptation ne peut pas être réalisée à partir du choix des utilisateurs.

Concernant l’hypothèse H3 (motivation), nous avons tout d’abord observé que la motivation intrinsèque est plus faible pour ceux qui utilisent un environnement ludifié. Ce résultat est similaire à ceux observés dans des études récentes telles que celle de (Hanus et Fox, 2015). Pour les utilisateurs qui sont déjà intrinsèquement motivés par l’activité d’apprentissage (tel que c’était le cas dans notre étude), l’intégration de fonctionnalités ludiques peut avoir un effet négatif sur leur motivation. Par ailleurs, les résultats du questionnaire sur la motivation ont montré que le fait d’utiliser des fonctionnalités adaptées aux utilisateurs permet de maintenir leur niveau d’amotivation aussi bas que si l’environnement n’était pas ludifié. Ce résultat conforte le besoin de ludification adaptative.

Enfin, nous avons également observé des différences significatives concernant l’amotivation et la participation des étudiants en fonction des fonctionnalités. Cela tend à montrer que l’impact de la fonctionnalité sur les utilisateurs diffère selon les mécaniques qu’elle implémente : certaines ont un impact sur la motivation et d’autres sur le temps passé. Par exemple, le chronomètre encourage les utilisateurs à recommencer un niveau pour battre leur meilleur temps, et ainsi à pratiquer plus longtemps. D’un autre côté, les astuces donnent aux utilisateurs un moyen d’aider les autres participants, ceci donnant plus de sens à l’activité pour eux. Nous pensons que ces premiers résultats ont un impact important sur la façon dont doivent être conçues les fonctionnalités ludiques selon l’impact désiré chez les utilisateurs. D’autres travaux permettraient d’étudier plus particulièrement quel type de fonctionnalité a un impact plutôt sur la motivation ou plutôt sur la participation des utilisateurs.

5.1.2. Limites de l’étude

Il aurait été intéressant de mesurer l’impact des fonctionnalités non seulement sur l’engagement, mais plus directement sur les résultats d’apprentissage de l’activité. Cela peut généralement être mesuré par le calcul du taux de bonnes réponses des participants ou le temps qu’ils mettent pour répondre (Attali et Arieli-Attali, 2015). Cependant cela n’était pas possible dans le cadre cette étude, car le moteur d’adaptation pédagogique du Projet Voltaire adaptait le niveau de difficulté des exercices en temps réel, ce qui fait que tous les utilisateurs avaient des taux de bonnes réponses similaires.

Nous sommes conscients que le système de ludification proposé ne s’applique qu’à un certain type d’environnement, notamment avec des activités pédagogiques répétitives et structurées telles que les questionnaires à choix multiples. De telles fonctionnalités ludiques ne conviennent pas à des activités plus complexes, telles que celles favorisant la créativité. Cependant, les questionnaires et petits exercices sont actuellement très répandus dans les LMS (Learning Management Systems) tels que Moodle. De plus, de telles activités ont particulièrement besoin de la ludification, à cause de leur nature peu intrinsèquement motivante.

Pour terminer, notons que les participants à cette expérimentation étaient tous les volontaires intéressés par l’utilisation de l’environnement d’apprentissage. Cela a probablement joué un rôle dans les résultats concernant la motivation. Il serait intéressant de conduire une telle expérimentation dans un contexte où les participants ne s’engagent pas dans l’activité par choix, dans un contexte scolaire par exemple.

6. Conclusion et perspectives

Dans cet article nous avons présenté un modèle d’adaptation pour proposer à un apprenant utilisant un environnement d’apprentissage en ligne des fonctionnalités ludiques qui correspondent à son profil de joueur. Ce modèle est basé sur une relation linéaire entre les types de joueurs et les fonctionnalités. Nous avons mené une expérimentation en conditions écologiques et avons montré que la ludification adaptative peut (1) améliorer significativement la participation des utilisateurs sur l’environnement d’apprentissage et (2) réduire le niveau d’amotivation des utilisateurs. Par ailleurs, certains résultats suggèrent que la participation et la motivation des utilisateurs ne sont pas nécessairement reliés, et peuvent être influencés par des mécaniques de jeu différentes.

Le système proposé sélectionne les fonctionnalités ludiques en prenant en compte le profil de joueur des utilisateurs, mais ne prend actuellement pas en compte par exemple ceux qui ne souhaitent pas jouer. Une prochaine version du système pourrait faire varier non seulement le choix des fonctionnalités mais aussi le nombre de fonctionnalités activées pour un utilisateur donné. Le système déciderait par exemple de ne donner aucune fonctionnalité à un utilisateur déjà intrinsèquement motivé par l’activité pédagogique, et trois fonctionnalités ou plus à un utilisateur initialement démotivé mais sensible aux mécaniques de jeu. Cela préviendrait la baisse de la motivation intrinsèque des utilisateurs.

Actuellement, l’adaptation est rendue possible grâce au questionnaire BrainHex que l’utilisateur remplit avant de commencer à utiliser l’EIAH. La suite de notre travail sera dédiée à la mise à jour du profil de joueur en temps réel à partir des traces d’utilisation. Cela permettra de prendre en compte les modifications du profil de joueur de l’utilisateur, en réduisant l’utilisation du questionnaire BrainHex et en utilisant des méthodes de classification non supervisées.

Remerciements

Nous remercions l’ANRT et l’entreprise Woonoz pour le financement de ce travail de recherche. Nous remercions également l’équipe de Woonoz pour le travail de développement de la version expérimentale du Projet Voltaire et la mise en relation avec la communauté d’utilisateurs qui s’est portée volontaire pour participer à l’expérience. Nous remercions aussi les experts pour leur travail sur la A-matrice. Enfin nous remercions International Hobo pour nous avoir permis d’utiliser librement le questionnaire BrainHex.

À propos des auteurs

Baptiste MONTERRAT est concepteur de fonctionnalités ludiques pour la société Woonoz. À la fin de son master, il a développé une architecture pour l’apprentissage par le modding de jeux vidéo. Lors de sa thèse, il a reçu le prix du meilleur article aux rencontres des jeunes chercheurs en EIAH 2014. Sa thèse, soutenue en 2015 avec le LIRIS et l’INSA de Lyon, porte sur un modèle d’adaptation de la ludification pour les situations d’apprentissage. En 2016, il a travaillé en tant que post-doctorant au LIP6 (Paris) pour concevoir un modèle d’adaptation générique et multi-aspects (MAGAM).

Courriel : b.monterrat.pro@gmail.com

Toile : www.bmonterrat.com

Élise LAVOUÉ est Maître de Conférences HDR en Informatique à l’IAE Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3 depuis 2009 et membre du laboratoire LIRIS, équipe SICAL. Ses travaux de recherche concerne la conception d’environnements informatiques d’apprentissage humains (EIAH) réflexifs et engageants comme support à l’auto-régulation des apprenants, notamment par le biais de la ludification adaptative. Elle est auteure ou co-auteure de plus de 70 publications dans les domaines des EIAH et Learning Analytics. Elle a obtenu son HDR en novembre 2016 après avoir été Professeure Invitée à l’Université McGill pendant 8 mois. Elle a été responsable de l’organisation de la conférence européenne ECTEL

Adresse : 2016 et est co-présidente du comité de programme en 2017.
6 cours Albert Thomas BP 8242, 69355 Lyon Cedex 08, France

Courriel : elise.lavoue@univ-lyon3.fr

Toile : http://liris.cnrs.fr/elise.lavoue/

Sébastien GEORGE est Professeur des Universités en informatique à l’Université du Maine (IUT de Laval, laboratoire LIUM) depuis 2013. Après l’obtention d’un doctorat en informatique en 2001, il a travaillé au centre de recherche LICEF de la Télé-université du Québec puis a rejoint l’INSA de Lyon en 2002 (département informatique, laboratoire LIRIS). Ses travaux portent sur les Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain (EIAH) et notamment pour le support à l’apprentissage collectif. Il s’intéresse aux Interactions Homme-Machine innovantes dans le contexte de l’éducation et de la formation (jeux sérieux, réalité mixte). Il est responsable de l’équipe de recherche IEIAH du LIUM et chargé de mission « Apprendre et Enseigner avec le Numérique » à l’Université du Maine.

Adresse : IUT Laval – Département Informatique, 52 rue des docteurs Calmette et Guérin, 53020 Laval Cedex 9

Courriel : sebastien.george@univ-lemans.fr

Toile : http://perso.univ-lemans.fr/~sgeorge

Michel DESMARAIS est professeur titulaire au département de génie informatique de l'École Polytechnique de Montréal. Il a œuvré dans les domaines des environnements d'apprentissage, des interactions humain-ordinateur et de l'intelligence artificielle. Après un doctorat en psychologie à l'Université de Montréal, il a passé une dizaine d'années à la direction scientifique d'une équipe de recherche au Centre de recherche informatique de Montréal.  Il a par la suite occupé différents postes de gestion et de recherche et développement dans une entreprise spécialisée dans le développement d'applications web.  À Polytechnique de Montréal depuis 2002, il poursuit des recherches principalement dans le domaine de la modélisation des connaissances pour les environnements d'apprentissage. Il est éditeur de la revue JEDM depuis 2013 et très impliqué dans les communautés de l'analytique des données d'apprentissage (EDM) et de la modélisation utilisateur (UMUAI, UMAP).

Adresse : C.P. 6079, succ. Centre-Ville, Montréal Québec, Canada, H3C 3A7

Courriel : michel.desmarais@polymtl.ca

Toile : www.professeurs.polymtl.ca/michel.desmarais/

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Référence de l'article :
Baptiste MONTERRAT, Élise LAVOUÉ, Sébastien GEORGE, Michel DESMARAIS, Les effets d’une ludification adaptative sur l’engagement des apprenants, Revue STICEF, Volume 24, numéro 1, 2017, DOI:10.23709/sticef.24.1.2, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 29/05/2017, http://sticef.org
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Mise à jour du 29/05/17