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L’acceptation et l’appropriation des ENT (Espaces
Numériques de Travail) par les enseignants du primaire
Elena CODREANU (GREPS, Université Lyon2 ; LIRIS, INSA-Lyon ;
Open Digital Education), Christine MICHEL (LIRIS, INSA-Lyon), Marc-Eric
BOBILLIER-CHAUMON (GREPS, Université Lyon2), Olivier VIGNEAU (Open
Digital Education)
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RÉSUMÉ : Cet
article présente une évaluation des conditions d’usage
d’un ENT (appelé ONE) par des enseignants du primaire. Elle est
réalisée à travers deux études utilisant la
théorie de l’activité comme cadre d’analyse. La
première évalue les activités réelles
effectuées par les enseignants sur l’ENT en analysant
thématiquement le contenu des publications faites sur l’ENT, afin
de comprendre comment les utilisateurs s’approprient l’outil. La
seconde évalue les facteurs d’acceptation et de refus de la
technologie, en décrivant la manière dont les enseignants vivent
et perçoivent le rôle que l’ENT peut jouer sur
l’évolution de leurs pratiques professionnelles (en les maintenant,
les transformant ou les restreignant). Ces études ont permis de montrer
que l’appropriation de ONE s’est produite notamment à travers
les activités pédagogiques et de communication avec les parents
d’élèves. L’acceptation favorable de cet ENT est due
à la facilité d’usage et l’adéquation de
l’interface aux enseignants et jeunes enfants.
MOTS CLÉS : ENT,
Pratiques, Usages, Enseignement primaire
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Acceptance and appropriation of Virtual Learning Environments of primary school teachers |
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ABSTRACT : This
article presents an evaluation of the conditions of use of a VWE (Virtual Work
Environment) by primary school teachers. To this end, we conducted two studies
and used activity theory as theoretical framework. Our first study aims to
assess real practices carried out with the VWE and analyzed
publications’content in order to understand how users appropriate the
tool. The second study describes how teachers perceive the role of the VWE in
the evolution of their working practices (maintaining, transforming and
restricting the existent practices). These studies indicate that technological
appropriation is achieved through instructional and communicational uses. The
acceptance of this VWE is due to its ease of use and interface adequacy to
teachers and young children.
KEYWORDS : Virtual
Work Environment, Practices, Uses, Primary Education |
1. Introduction
Un
ENT est un « dispositif global fournissant à son usager un
espace dédié à son activité dans le système
éducatif. Il est un point d’entrée unifié pour
accéder au système d’information pédagogique de
l’école ou de l’établissement » (Ministère de l’Education Nationale, 2012).
Il vise à favoriser d’une part la communication et les pratiques
collaboratives entre les membres d’une communauté scolaire via des
services comme le blog ou la messagerie, et d’autre part les pratiques
pédagogiques via des services comme le cahier de texte numérique,
le cahier multimédia ou le blog.
Ces ENT sont principalement déployés dans l’enseignement
supérieur et secondaire. Ils commencent à être
utilisés pour l’enseignement primaire. L’ambition de cet
article est de comprendre la façon dont les enseignants du primaire
intègrent l’ENT à leurs pratiques professionnelles :
comment et par quels moyens se déploie cette intégration ?
Les enseignants développent-ils des usages spécifiques et
innovants à l’aide du dispositif ? De (nouvelles) pratiques
pédagogiques ont-elles émergé ou été
modifiées par l’usage de l’ENT ? Quelles
difficultés et contraintes suscite-t-il dans l’exercice de
l’activité de ces enseignants ? Cette étude se propose
de décrire les modalités d’appropriation et
d’acceptation de l’ENT. L’appropriation a été
étudiée sur la base d’une analyse thématique des
publications faites sur l’ENT de manière à déterminer
les types d’activités et d’usages réalisés.
L’acceptation a été abordée sur la base d’une
série d’entretiens semi-directifs. Il s’agissait
d’identifier les facteurs favorisant ou s’opposant à
l’adoption de l’ENT chez les enseignants. Notre objectif est de
faire des propositions d’amélioration sur la conception des ENT
ainsi que sur la manière d’accompagner le développement des
pratiques innovantes avec les ENT. De plus, dans la mesure où les ENT
sont encore peu répandus dans l’enseignement primaire, il
s’agit aussi de décrire les processus d’acceptation et
d’appropriation à l’œuvre dans ce contexte scolaire
particulier.
L’analyse du contexte éducationnel actuel montre que le
métier de professeur des écoles suppose, en plus des tâches
éducatives proprement dites, un travail important de communication des
informations scolaires auprès des parents. Le parent est décrit
comme un collaborateur au processus éducatif de l’enfant par les
Inspections Générales de l’Éducation Nationale (IGEN, 2006).
L’article L. 313-2 du Code de l’Éducation prévoit que
« des relations d’information mutuelles sont établies
entre les enseignants et chacune des familles des élèves. Elles
ont notamment pour objet de permettre à chaque famille, d’avoir
connaissance des éléments d’appréciation de
l’élève » (Code de l’Education, 2016).
Ces tâches informationnelles ne sont pas totalement
intégrées par les enseignants (IGEN, 2006) et
souvent ces relations de coopération sont tensionnelles (Warzee et al., 2006), (Bruillard, 2011).
Les enseignants considèrent en effet souvent les parents comme
illégitimes sur le plan de la pédagogie, et pas assez
compétents pour les accompagner dans leurs tâches éducatives (Bruillard, 2011).
Ce problème de communication entre l’école et les familles
existait dans le système d’enseignement primaire
indépendamment de l’apparition des ENT.
Des études sur le second degré (collèges et
lycées) ont montré que certains enseignants n’ont que
partiellement réussi à intégrer les ENT dans leurs
pratiques professionnelles. Ainsi, Prieur et Steck (Prieur et Steck, 2011) indiquent qu’en dépit du fait que les enseignants reconnaissent
l’utilité pédagogique des ENT, ils ne sont pas prêts
à les adopter pour des raisons de manque d’ergonomie,
d’absence de formation, de maîtrise insuffisance des outils
informatiques, de surcharge de travail et d’une résistance à
étendre « l’espace-temps scolaire » hors de
l’école. Poyet et Genevois (Poyet et Genevois, 2010) identifient de leur côté des différences de culture :
les ENT sont généralement pensés comme des outils de
gestion pour les entreprises et ils manqueraient dès lors de
« traduction » et de sens vis-à-vis du cadre
scolaire. Un des moyens possibles est l’utilisation de métaphores
scolaires (cahier de textes, casier) au lieu de termes bureautiques (messagerie,
agenda). Poyet et Genevois montrent que la méconnaissance de
l’outil et le manque de compréhension de l’utilité ou
de l’intérêt pédagogique entraînent des phases
d’expérimentation insatisfaisantes où les enseignants
testent les différentes fonctionnalités, sans avoir toujours une
représentation de leurs potentialités et de leurs limites
spécifiques et conduisent à préférer l’abandon
au profit, là encore, d’outils personnels connus (comme le mail
personnel). Bruillard et Hourbette (Bruillard et Hourbette, 2008) évoquent la complexité du déploiement des ENT qui se passe
au croisement de multiples acteurs : enseignants, parents,
élèves, académies, collectivités locales,
éditeurs de logiciels, ministère. Ils remarquent un paradoxe entre
la volonté du ministère d’ouvrir l’école aux
parents d’élèves, la faible implication réelle des
parents et la crainte par les enseignants d’une présupposée
intrusion des parents dans leurs choix pédagogiques. À ces
difficultés s’ajoute l’absence de reconnaissance
institutionnelle pour les enseignants qui utilisent l’ENT, une
déresponsabilisation des acteurs du terrain suite à l’appel
aux entreprises extérieures en charge de concevoir l’ENT ou le
risque d’inégalité voir d’exclusion de certains
parents, moins équipés et formés au numérique.
Missonier (Missonier, 2008) explique ce constat à partir des processus de conception et de
déploiement des projets ENT qui sont pris en charge par les
collectivités locales et les prestataires. Ces démarches manquent
souvent d’efficacité car la résolution des controverses
liées aux fonctionnalités ou aux usages est limitée par une
transparence insuffisante du chef de projet. Cela finit par conduire à la
diminution de l’engagement des différents acteurs du réseau.
Prieur et Steck (Prieur et Steck, 2011) recommandent d’ouvrir des espaces de réflexions
« articulant les pratiques actuelles des enseignants, les pratiques
favorables pour accompagner l’apprentissage des compétences et les
potentialités des différents outils de l’ENT de façon
à construire des instrumentalisations possibles » ;
l’objectif étant de trouver comment mieux adapter les usages
prescrits aux contextes particuliers d’enseignement.
Voulgre (Voulgre, 2011) introduit une dimension politique. Les enseignants adhèrent a priori aux
arguments favorables à l’utilisation des ENT : ils
apparaissent ainsi utiles pour rattraper les cours (maladie, perte des notes),
pour retrouver du travail antérieur ou accompagner des
élèves en difficulté scolaire. Mais le fait que tous les
enfants n’aient pas Internet à la maison représente une
inégalité qui les freine dans l’usage et ce refus est
vécu comme une « forme de contrepouvoir » envers les
injonctions politiques. À l’inverse, l’un des facteurs
d’acceptation est le respect de la hiérarchie, de
l’institution et de la loi (obligation d’utiliser un ENT) ;
d’autres concernent les valeurs de solidarité et d’entraide
véhiculées par l’outil.
Louessard et Cottier (Louessard et Cottier, 2015) ont mis en évidence dans le secondaire les effets de la classe et des
établissements sur les usages globaux des ENT. En effet, le choix des
services ENT est différent d’une classe à une autre et
d’un établissement à un autre et cela peut jouer un
rôle important sur les usages des enseignants, des élèves et
des parents d’élèves. Par exemple, le choix de certains
enseignants de publier des informations sportives ou relatives aux voyages
scolaires peut inciter les parents d’élèves à
consulter l’ENT pour accéder à ces informations,
malgré un certain refus initial à utiliser la plateforme. Ainsi,
l’engagement et l’investissement des enseignants peuvent modifier la
construction des pratiques autour de l’ENT.
Puimatto (Puimatto, 2009) dénonce une certaine « bureaucratisation » des ENT,
qui sont principalement utilisés pour la gestion de la vie scolaire
(notes et absences) et se prêteraient moins aux usages
pédagogiques, auprès des élèves. Une possible
explication serait la trop grande concentration de l’État sur
l’industrialisation du projet et une vision macro-organisatrice, qui fait
que les utilisateurs finaux et leurs besoins réels sont
« oubliés ».
Schneewele (Schneewele, 2012) montre que les principaux bénéficiaires des ENT sont les parents
d’élèves qui semblaient avoir très bien
accepté l’outil et ses fonctionnalités, alors que les
enseignants ont des opinions plus mitigées : ils semblent
l’accepter plutôt suite aux injonctions hiérarchiques. Les
usages des ENT seraient donc plus importants dans les collèges où
l’ENT est tout simplement imposé par la direction. Les enseignants
s’approprient généralement l’ENT à des fins de
transmissions de documents ou d’informations alors que les parents et les
élèves le font à des fins de consultation de documents.
L’ENT serait donc un moyen incontournable pour se tenir informé.
Les enseignants qui s’opposent à l’utilisation de l’ENT
dénoncent une trop grande transparence de cet outil qui permettrait un
contrôle et une mise en question de leurs choix pédagogiques par
les inspecteurs scolaires ou par les parents d’élèves.
Globalement, les usages (de nature communicationnelle ou pédagogique)
restent en dessous des attentes des autorités. Il serait difficile de
mettre en place de nouvelles pratiques qui incluent l’utilisation de
l’ENT.
Compte tenu de ces obstacles rencontrés dans l’enseignement
secondaire, nous souhaitons connaître et analyser les types d’usages
faits dans le premier degré. Nous savons que les ENT sont des outils qui
visent à réaliser des usages pédagogiques ou
communicationnels (Ministère de l’Education Nationale, 2012).
Nous avons vu cependant que les tâches communicationnelles ne sont pas
totalement intégrées par les parents. Dans la mesure où les
ENT sont supposés être utilisés à la fois pour les
tâches pédagogiques et informatives envers les parents, nous nous
sommes attachés à étudier précisément comment
les enseignants considèrent l’ENT pour ces types d’usage.
Quelle est la nature des tâches qui nécessitent la mobilisation de
l’ENT ? Vont-ils l’utiliser pour transmettre des informations
aux parents ou, au contraire, vont-ils privilégier uniquement une
utilisation pédagogique en classe à destination des
élèves ?
Dans la deuxième étude, nous faisons l’hypothèse
que les enseignants du primaire vont rencontrer certains obstacles dans
l’appropriation de l’outil. On se demande donc quels sont les
facteurs défavorables à l’utilisation de ONE et quels sont
les facteurs en favorisant l’utilisation.
Compte tenu de la nouveauté du projet ENT dans le primaire, nous nous
situons pour les deux études dans une démarche inductive et
exploratoire et non dans une démarche hypothétique. Nous allons
donc partir des observations et des données issues du terrain afin de
formuler des recommandations et des directions d’étude.
Pour décrire et analyser les différents facteurs liés
à l’usage des ENT en contexte scolaire, nous proposons
d’utiliser des modèles de l’acceptation et de
l’appropriation technologique.
1.1. Une perception de l’acceptation de l’ENT
Parmi les différents modèles permettant d’évaluer
l’acceptabilité technologique, le modèle du TAM (Technology
Acceptancy Model) de Davis (Davis, 1989) est
sans nul doute l’un des plus utilisé. Il cherche à
identifier les intentions ou le maintien d’usage de dispositifs par la
mesure de l’utilité perçue et la facilité
d’utilisation perçue. Pour autant, comme l’indique Brangier et al., (Brangier et al., 2009),
cette approche se révèle peu adaptée pour affiner la
conception et analyser l’implémentation d’un système,
car elle ne considère pas les pratiques effectives à
l’œuvre. Plus précisément, différentes
études (Bruillard, 2011, Bruillard et Hourbette, 2008) ont montré que le modèle TAM n’était pas
adapté pour étudier l’acceptabilité des plateformes
éducatives pour plusieurs raisons comme l’insuffisance
méthodologique du modèle (structure factorielle qui n’est
pas systématiquement répliquée, utilisation du
questionnaire comme unique méthode d’évaluation) ou encore
l’inadéquation au terrain éducatif. Le TAM apparaît
donc comme un modèle prédictif et déterministe qui reste
circonscrit aux facteurs sociocognitifs individuels et ne prend pas en compte le
contexte d’utilisation de la technologie propre au milieu
éducatif : cadre réglementaire, programme scolaire, relation
avec les familles, histoire et pratiques professionnelles.
D’autres approches, d’inspiration ergonomique, ont traité
la problématique de l’acceptabilité des Environnements
Informatiques pour l’Apprentissage Humain (EIAH). Tricot et al., (Tricot et al., 2003) ont ainsi adapté le modèle de Nielsen au contexte scolaire. En
effet, dans le modèle de Nielsen, l’acceptabilité et la
décision d’utiliser une technologie dépendent de deux
critères : sa facilité d’usage et son utilité
pour les utilisateurs. Tricot montre que, dans le cadre scolaire,
l’utilisation des technologies reste faible en dépit du fait
qu’elles sont faciles d’utilisation et utiles pour
l’éducation. Tricot définit l’acceptabilité
d’un EIAH comme « la valeur de la représentation mentale
(attitudes, opinions... plus ou moins positives) à propos d’un
EIAH, de son utilité et de son utilisabilité » (p. 396).
Il propose dans son modèle d’évaluer conjointement
l’acceptabilité, l’utilité et
l’utilisabilité d’un l’outil à l’aide de
tests utilisateurs ou d’inspections ergonomiques. Selon lui, ces trois
dimensions sont complémentaires et liées par des relations. Ce
modèle reste cependant circonscrit aux caractéristiques techniques
de l’EIAH et aux facteurs d’utilisation, que Tricot appelle les
aspects « pratiques ». Il ne prend pas en compte le contexte
socioculturel du milieu d’implantation ou le rôle de la
communauté (collègues ou hiérarchie) dans l’adoption
d’une technologie, ce qu’il nomme les aspects
« sociaux ». Aussi, pour appréhender ces
différents aspects dans toute leur richesse et complexité, nous
proposons d’utiliser la théorie de l’activité.
1.2. Une inscription de l’acceptation et de l’appropriation dans
l’activité
Une troisième approche théorique est l’approche
socio-constructiviste qui utilise le concept théorique
d’appropriation. Pour comprendre l’appropriation d’une
technologie, il faut se centrer sur son inscription dans un contexte social
spécifique. La théorie de l’activité,
détaillée par Engeström (Engeström et al., 1999) propose de qualifier les éléments du contexte d’usage en
considérant différents aspects intervenant dans la
réalisation de l’activité. En effet, plutôt que de
parler d’usage, la théorie de l’activité propose de
parler de système d’activité : l’utilisateur a un
objectif précis, le réalise en utilisant des instruments (outils)
et s’inscrit socialement dans une communauté (l’ensemble de
personnes qui interviennent dans une activité) elle-même
liée à des règles de fonctionnement (les normes et les
règles à respecter dans une activité), et une division du
travail (la manière dont les rôles sont distribués entre les
sujets). Les systèmes d’activité sont
caractérisés par des contradictions (ou tensions internes) qui
favorisent et déclenchent l’innovation ; ces changements sont
source de développement. Ainsi la théorie de
l’activité nous semble utile pour qualifier le contexte, mais aussi
les dynamiques d’acceptation et d’appropriation technologiques.
Dans le cadre de notre recherche, le système d’activité
des enseignants a pour objet les pratiques enseignantes quotidiennes. Elles sont
réalisées avec ou sans instrument. En effet, la plupart des
pratiques des enseignants ont un caractère pédagogique (envers les
élèves) ou communicationnel (envers les parents), et sont
complétées par l’utilisation d’instruments comme le
tableau, des affiches, des cahiers (Karasavvidis, 2009).
Ces pratiquent suivent les règles de fonctionnement propres au
système scolaire et s’inscrivent dans une communauté
éducative formée par les enseignants, les élèves,
les parents. La division du travail décrit la pratique effective du
métier et la répartition des tâches entre les acteurs. Dans
l’éducation et le suivi des élèves, les enseignants
et les parents travaillent ensemble, mais dans des contextes différents.
Chaque acteur a ainsi sa part de responsabilités bien
délimitée. Avec l’arrivée d’un nouvel outil
technologique, qui sera utilisé à la fois en classe et à la
maison, ces rôles et ces identités différentes peuvent
entrer en conflit.
Selon Engeström (Engeström et al., 1999),
l’appropriation d’une technologie ne se fait pas sur un terrain
neutre, mais dans un maîtrise signifie savoir utiliser différents
moyens médiateurs sans difficulté, l’appropriation signifie
prendre quelque chose qui appartient aux autres et le faire sien. Cela doit
être interprété dans le sens d’une adaptation de
l’outil à ses propres pratiques. L’appropriation est selon
Jonsson (Jonsson, 2007),
« le processus graduel à travers lequel les participants
deviennent de plus en plus performants dans l’utilisation d’un
outil » (p. 11). À la différence de la maîtrise,
qui suppose l’acquisition d’une compétence,
l’appropriation inclut, en plus d’une compétence technique,
celle d’utiliser la technologie pour mener un travail innovant dans un
contexte donné. L’appropriation serait donc profondément
liée à la notion de changement. Utiliser un éditeur de
texte à l’école ne change pas beaucoup les pratiques mais
pouvoir faire des modifications sur un texte numérique sans avoir
à le copier peut changer l’importance accordée
traditionnellement à l’écriture. Ce sont l’usage et
l’appropriation qui donnent de la valeur à la technologie.
L’appropriation représente donc « la maîtrise de
l’action du travail par celui qui l’exécute et les
modifications induites dans ce qui avait été prévu par les
concepteurs » (Bernoux, 2004, p. 56).
Pour Rogoff (Rogoff, 1995),
l’appropriation est « le processus selon lequel les individus
transforment leur compréhension des activités à travers
leur propre participation (à ces activités) » (p. 150).
Ici, l’auteur parle surtout des outils culturels, comme le langage, les
procédures et les technologies. L’approche instrumentale de
Rabardel (Rabardel, 1995) va dans la même direction. Pour lui, l’appropriation
représente le processus d’intégration d’un nouveau
dispositif dans des pratiques et des manières de faire
préexistantes. Pour Rabardel, un instrument ne se réduit pas au
simple artefact technique, il contient en plus des modes opératoires qui
sont construits par l’humain, appelés schèmes
d’utilisation. Les schèmes peuvent être préexistants
ou nouvellement attribuées par l’utilisateur et peuvent mener
à la modification de l’artefact. L’appropriation est le
processus qui favorise la formation des schèmes d’utilisation et la
transformation des artefacts en instruments au sein des activités
humaines (Rabardel, 1995).
Selon cet auteur, la genèse instrumentale représente la
transformation d’un artéfact (constitué uniquement de la
machine et du système d’opération) en instrument
(constitué d’un artéfact et d’un schème
d’utilisation) et représente une conceptualisation (au plan des
instruments) des processus d’appropriation. Ainsi, les genèses
instrumentales sont témoins du processus d’appropriation. Cette
approche d’inspiration constructiviste suggère qu’il
n’y a pas de relation unilatérale technologie-individu et que les
deux s’influencent réciproquement : l’individu attribue
du sens à la technologie en se l’appropriant et se laisse
influencer à son tour par la technologie en modifiant ses
pratiques.système complexe de pratiques préexistantes. Une
technologie ne prend sens qu’au moment de l’interaction humaine qui
la façonne et l’adapte continuellement. Wertsch (Wertsch, 1998) sépare la notion d’appropriation de celle de maîtrise
d’un outil. Pendant que la maîtrise signifie savoir utiliser différents moyens médiateurs sans difficulté, l’appropriation signifie prendre quelque chose qui appartient aux autres et le faire le sien. Cela doit être interprété dans le sens d’une adaptation de l’outil à ses propres pratiques. L’appropriation est selon Jonsson (Jonsson, 2007), « le processus graduel à travers lequel les participants deviennent de plus en plus performants dans l’utilisation d’un outil » (p. 11). À la différence de la maîtrise, qui suppose l’acquisition d’une compétence, l’appropriation inclût, en plus d’une compétence technique ; celle d’utiliser la technologie pour mener un travail innovant dans un contexte donné. L’appropriation serait donc profondément liée à la notion de changement. Utiliser un éditeur de texte à l’école ne change pas beaucoup les pratiques, mais pouvoir faire des modifications sur un texte numérique sans avoir à le copier peut changer l’importance accordée traditionnellement à l’écriture. Ce sont l’usage et l’appropriation qui donnent de la valeur à la technologie. L’appropriation représente donc « la maîtrise de l’action du travail par celui qui l’exécute et les modifications induites dans ce qui avait été prévu par les concepteurs » (Bernoux, 2004, p. 56). Pour (Rogoff, 1995), l’appropriation est « le processus selon lequel les individus transforment leur compréhension des activités à travers leur propre participation (à ces activités) » (p. 150). Ici, il parle surtout des outils culturels, comme le langage, les procédures et les technologies. L’approche instrumentale de Rabardel (Rabardel, 1995) va dans la même direction. Pour lui, l’appropriation représente le processus d’intégration d’un nouveau dispositif dans des pratiques et des manières de faire préexistantes. Pour Rabardel, un instrument ne se réduit pas au simple artéfact technique, il contient en plus des modes opératoires qui sont construits par l’humain, appelés schèmes d’utilisation. Les schèmes peuvent être préexistants ou nouvellement attribués par l’utilisateur et peuvent mener à la modification de l’artéfact. L’appropriation est le processus qui favorise la formation des schèmes d’utilisation et la transformation des artéfacts en instruments au sein des activités humaines (Rabardel, 1995). La genèse instrumentale représente la transformation d’un artéfact (constitué uniquement de la machine et du système d’opération) en instrument (constitué d’un artéfact et d’un schème d’utilisation) et représente selon cet auteur une conceptualisation, au plan des instruments, des processus d’appropriation. Ainsi, les genèses instrumentales sont témoins du processus d’appropriation. Cette approche d’inspiration constructiviste suggère qu’il n’y a pas de relation unilatérale technologie-individu et que les deux s’influencent réciproquement : l’individu attribue du sens à la technologie en se l’appropriant et se laisse influencer à son tour par la technologie en modifiant ses pratiques.
Nous constatons ainsi que la principale notion mobilisée est
l’appropriation et il n’y a pas de distinction précise entre
la notion d’appropriation et celle d’acceptation. Bobillier-Chaumon (Bobillier-Chaumon, 2016) considère que l’appropriation d’un outil technologique
représente une condition préliminaire pour que l’outil soit
accepté. Lorsqu’un individu s’approprie un outil, il y
apporte une contribution qui lui permet de s’y reconnaître, de le
« faire sien », de lui donner un sens et donc de
l’accepter. L’acceptation située est ainsi définie
« comme la façon dont un individu, mais aussi un collectif, une
organisation, perçoivent au gré des situations quotidiennes les
enjeux liés à ces technologies (atouts, bénéfices,
risques, opportunités) et y réagissent (favorablement ou
non) » (p. 362). Ainsi, l’adoption d’une technologie
s’inscrirait sur un continuum allant des représentations a priori
d’un système jusqu’à des formes d’acceptation
construites sur la base des usages réalisés. Nous retrouverons une
approche similaire chez Alter (Alter, 2000) qui
signale que ce ne sont pas les technologies elles-mêmes qui ont de la
valeur mais la capacité des utilisateurs à s’en servir de
manière créative, en détournant l’usage. Selon cet
auteur, c’est la création du sens qui compte le plus dans
l’innovation. Les dirigeants devraient renoncer au caractère formel
de la technologie et laisser aux utilisateurs des marges
d’interprétation de celle-ci. Dans la même direction,
Orlikowski (Orlikovski, 1992) affirme que la technologie seule dans une organisation n’a aucune
signification. Une fois créée et introduite dans
l’organisation, la technologie reste « non
animée » jusqu’au moment où elle prend du sens
dans l’usage et est manipulée directement ou indirectement.
Le tableau 1 présente une synthèse des différentes
approches théoriques et notre propre choix de positionnement pour
structurer l’analyse.
Sur cette base, nous proposons d’analyser conjointement
l’appropriation et l’acceptation de l’ENT ONE par les
enseignants en considérant respectivement les usages concrets et les
représentations liées à l’ENT exprimés au
cours d’entretiens.
Tableau 1• Distinction entre les
différentes approches théoriques
Approche théorique |
Auteur |
Explication de l’acceptation et de l’appropriation |
|
TAM |
Davis, 1989 |
L’acceptation est définie par les perceptions des
utilisateurs. |
|
Ergonomique |
Tricot, 2003 |
L’acceptation dépend de l’utilisabilité et
l’utilité du système. |
|
Socio-constructiviste |
Rabardel, 1999 |
L’appropriation est le processus qui favorise la formation des
schèmes d’utilisation et la transformation des artéfacts en
instruments au sein des activités humaines. |
|
Rogoff, 1995 |
L’appropriation est la transformation des activités. |
|
Bernoux, 2004, |
La maîtrise de l’outil de travail et les innovations
apportées. |
|
Bobillier- Chaumon, 2016 |
Différenciation entre appropriation (vue comme la maîtrise
d’un outil) et l’acceptation (vue comme la décision de
continuer à utiliser l’outil). Les deux processus
s’inscrivent dans une situation d’usage. L’appropriation est
antérieure à l’acceptation (Bobillier-Chaumon, 2016). |
➔Nous avons retenu ce modèle et cette explication |
2. Etude de l’appropriation de ONE
Cette étude a pour objectif d’identifier
et analyser les types et volumes d’usage des utilisateurs de l’ENT,
à savoir les enseignants, les enfants et les parents, après 6 mois
à 1 an d’utilisation, de manière à mieux
appréhender leurs modalités d’appropriation et de mieux
comprendre ce qui les sous-tend. L’appropriation sera
évaluée à travers l’étude des usages des
différents services de l’environnement numérique (nature,
volume et fréquence) et aussi des usages innovants qui ont pu être
développés avec l’ENT ONE.
2.1. Description de l’outil
L’ENT ONE utilisé dans cette étude a été
conçu spécialement pour le premier degré en respectant les
principes ergonomiques des interfaces adaptées aux enfants (Budiu et Nielsen, 2010), (Lueder et Rice, 2007).
Ainsi, l’interface de ONE paraît simple, intuitive et attrayante
(voir figure 1). Les fonctions de collaboration proposées sont la
messagerie, le blog et l’espace documentaire. ONE propose de plus, des
fonctions de personnalisation (mon compte, mon humeur), de notification (fil de
nouveautés, anniversaire) et d’organisation (calendrier) et un site
d’école. Chaque utilisateur a la possibilité de
personnaliser son profil avec une photo et des informations personnelles
(devise, humeur du jour, informations sur les préférences en
termes de loisirs, cinéma, musique, alimentation). Les
élèves sont inclus par défaut dans le groupe
constitué de leur classe et ont accès aux contenus publiés
dans ce groupe par leur enseignant.
L’ENT a été implémenté dans 12
écoles des Académies de Versailles et de Caen pendant une phase
d’expérimentation de 2 années scolaires (2014-2015 et
2015-2016). Il s’agit d’une étape obligatoire avant la
généralisation de l’ENT à un territoire plus vaste.
Il n’y avait pas à ce moment-là d’injonction de la
part de l’Etat concernant l’utilisation des ENT dans
l’enseignement primaire. La participation à cette étape
d’expérimentation s’est donc faite volontairement. La phase
d’expérimentation est une étape menée en
collaboration entre l’éditeur informatique (Open Digital
Education), les représentants de l’Etat et du Ministère de
l’Education c’est-à-dire les IEN (Inspecteurs de
l’Éducation Nationale), les collectivités locales (mairies
et communautés de communes) et les acteurs finaux (directeurs
d’écoles, enseignants). Les conditions de déploiement de la
phase d’expérimentation ont été
négociées entre ces acteurs. Dans notre cas, dans chaque
école un référent ENT a été nommé
parmi les enseignants. Ce référent était formé
à l’ENT et pouvait former ensuite ses collègues.
L’accompagnement et la formation étaient assurés par les
animateurs TICE1 des écoles et/ou par l’équipe
technique de Open Digital Education. Le type d’accompagnement
nécessaire à la phase d’expérimentation
(réalisée à une échelle plus restreinte) est plus
important que celui nécessaire à la phase de
généralisation car l’outil est en continuelle
évolution ; son fonctionnement peut changer pendant cette phase
où de nouveaux services peuvent être proposés.
Figure 1 • Interfaces des pages « Fil de
nouveauté » « La classe » et
« Mes appli » de l’ENT ONE
2.2. Collecte des données
Au moment de l’étude, deux services de l’ENT ONE
étaient déployés sur l’ensemble de la population
d’utilisateurs observé : le cahier multimédia et le
blog. L’étude d’usage est donc centrée sur ces deux
fonctionnalités. Ces deux services se ressemblent par le fait que les
utilisateurs peuvent y publier du contenu, comme des articles autour de la vie
de la classe, de leçons, des textes rédigés par les
élèves eux-mêmes. Ils sont tous les deux utilisables pour
répondre à des besoins de type pédagogique ou
communicationnel. Par exemple, avec les deux services il est possible de publier
des contenus à visées pédagogiques (comme des
leçons, des exercices) ou des contenus à visées
informationnels à destination des parents (comme les photos des
activités sportives, le journal de vie de la classe). Le blog et le
cahier permettent de publier des contenus multimédias
c’est-à-dire combinant du texte, des images, des vidéos ou
des fichiers audio (voir figures 2 et 4). Les publications des
élèves sont modérées et corrigées. En effet,
la fonction « Validation de billets soumis » permet aux
enseignants de lire et corriger les contributions des élèves avant
de valider leur publication. La différence entre le blog et le cahier
multimédia est de forme : le blog permet de publier des billets,
alors que le cahier permet de publier des pages, qui sont visibles avec un
défilement similaire au cahier papier.
Nous avons pu accéder aux blogs et cahiers multimédias des
classes par l’intermédiaire d’un compte invité, ouvert
avec l’autorisation des enseignants et de la direction, dans chaque
école étudiée. En effet, les ENT fonctionnent sur la base
de comptes personnels ayant une authentification unique. Aucune consultation
n’est possible sans cet accès. Nous avons observé les
publications réalisées sur l’ENT ONE par 26 enseignants et
71 élèves de 12 écoles différentes des
Académies de Caen et Versailles entre septembre 2014 et juin 2015. Ce
corpus d’analyse est composé de 1102 publications (voir tableau 2).
Notre étude concerne donc, à ce stade, uniquement les
activités de publication. Pour évaluer l’appropriation
à partir des activités de consultation, nous avons prévu
d’analyser dans une étude ultérieure les statistiques de
connexion à la plateforme.
Figure 2 • Exemple de thématique
communicationnelle sur le Blog
2.3. Critères d’analyse
Les publications ont été catégorisées en fonction
de l’auteur, de son cycle d’apprentissage et du thème de la
publication. Les auteurs sont de trois types : enseignant,
élève, parent. Les cycles d’apprentissage sont de trois
types également : C1, C2, C3. En effet, l’école
primaire est organisée en trois cycles pédagogiques (Ministère de l’Education Nationale, 2013) :
le cycle des apprentissages premiers (Cycle1) constitué de
l’école maternelle ; le cycle des apprentissages fondamentaux
(Cycle 2) qui commence avec le cours préparatoire (CP) et se poursuit
avec le cours élémentaire première année (CE1) et
deuxième année (CE2) et le cycle de consolidation (Cycle 3) qui
s’étend du cours moyen première année (CM1)
jusqu’à la classe de sixième qui est dans le secondaire.
Une première lecture de l’ensemble des publications faites sur
les blogs et cahiers accessibles a permis d’identifier 5 thèmes de
publications : communicationnelles internes, communicationnelles externes,
pédagogiques individuelles, pédagogiques collaboratives et
loisirs. Elles seront décrites plus précisément dans la
suite.
2.4. Résultats
2.4.1. Volumes et auteurs des publications par type de service
Le tableau 2 décrit la distribution de publications faites par les
enseignants et les élèves sur le blog et le cahier
multimédia. On constate que sur le nombre total de 1102 publications, 946
sont effectuées sur le service Blog et 156 sur le Cahier
Multimédia. Les enseignants publient plus massivement sur le blog que sur
le cahier (796 vs. 44) alors que les volumes sont plus équilibrés
pour les élèves (150 vs. 112). Les parents n’ont fait aucune
publication.
Tableau 2 • Distributions de publications
sur le Blog et le Cahier Multimédia
|
Auteur |
Total |
Type de service |
Elèves |
Enseignants |
Parents |
|
Blog |
150 |
796 |
0 |
946 |
Cahier multimédia |
112 |
44 |
0 |
156 |
Total |
262 |
840 |
0 |
1102 |
L’absence de publication des parents peut s’expliquer par le fait
que dans la quasi-totalité des écoles étudiées, les
enseignants avaient choisi de ne pas ouvrir aux parents le droit de publier du
contenu sous forme d’article de blog ou de cahier multimédia. Les
enseignants considèrent que le rôle des parents doit se limiter
à la consultation des informations publiées sur l’ENT et ne
doivent pas avoir la fonction de contributeur actif. Ce constat a
été fait suite à notre immersion sur le terrain et la
connaissance du milieu. Lorsque nous aurons analysé les statistiques de
connexion, nous pourrons apporter des éléments
complémentaires de discussion sur l’implication des parents en
regard du rôle que les enseignants leur ont assigné.
2.4.2. L’analyse de thématiques de publications
L’analyse thématique des publications a donc
révélé 5 types de publications : (1)
communicationnelles externes, (2) communicationnelles internes, (3)
pédagogiques individuelles, (4) pédagogiques collectives et (5)
loisirs.
Le thème 1 correspond à des publications relatives aux
activités réalisées à l’extérieur de
l’école comme des photos et descriptifs sur les sorties
cinéma, piscine, les voyages scolaires, les visites au collège,
maison de retraite, etc. Le thème 2 correspond à des publications
en lien avec les activités réalisées dans la classe ou
à l’intérieur de l’école (comme la photo du
cours de gymnastique, les photos des fêtes d’anniversaire). Le
thème 3 correspond à des publications liées à des
activités pédagogiques individuelles réalisées avec
ou via l’ENT comme la rédaction de textes par les
élèves, la publication de vidéos éducatives, la
publication de comptines, de dessins d’exercices de mathématiques
ou de grammaire (voir figure 4). Le thème 4 correspond à des
publications équivalentes mais pour des activités faites en
collaboration avec d’autres élèves (comme des projets de
classe réalisés par groupe d’élèves). Le
thème 5 correspond à des publications qui décrivent des
activités extrascolaires liées à la musique, le sport, des
voyages, etc. Les thèmes 1 et 2 sont à destination des parents.
Les thèmes 3, 4 et 5 sont à destination des enseignants et/ou des
élèves, mais peuvent également être ouverts aux
parents.
La figure 3 décrit le nombre de thématiques couvertes par
auteur, cycle et type de services (Blog ou Cahier Multimédia) et le
tableau 3 récapitule les résultats obtenus, en volume et
pourcentage par cycle et type d’auteur.
Tableau 3 • Distribution des publications en
fonction du cycle d’apprentissage, de la thématique et de
l’auteur.
|
Thématiques de la publication |
Auteurs (Cycles) |
Com. ext. |
Com. int. |
Pédag. ind. |
Pédag. collec. |
Loisirs |
Total |
Cycle 1 |
23(7 %) |
308(91,5 %) |
2(0,5 %) |
4(1 %) |
0
(0 %) |
337 |
Cycle 2 |
51(16 %) |
252(77 %) |
13(4 %) |
10(3 %) |
0(0 %) |
326 |
Cycle 3 |
87(20 %) |
102(23 %) |
81 (18 %) |
104(24 %) |
65(15 %) |
439 |
Total ensegnants |
114(14 %) |
634 (75 %) |
76(9 %) |
16(2 %) |
0(0 %) |
840 |
Total élèves |
47(18 %) |
28(10 %) |
20(8 %) |
102(39 %) |
65 (25 %) |
262 |
Total |
161(15 %) |
662(60 %) |
96(9 %) |
118(11 %) |
65 (5 %) |
1102 |
Le tableau 3 montre que 75 % des publications totales sont à
vocation communicationnelle, alors que 20 % sont à destination
pédagogique et seulement 5 % à destination de loisirs. De
plus, les publications sont réalisées principalement par des
enseignants (840) et moins par des élèves (262) alors
qu’unitairement les enseignants sont moins nombreux (34) que les
élèves (71). L’appropriation de ONE se fait donc
principalement par le biais de la communication à destination des parents
et des élèves. Cela correspond également à ce que
nous avons constaté pendant les discussions informelles
réalisées avec les enseignants. Au début, lorsque les
enseignants observent pour la première fois l’ENT, les premiers
usages qu’ils se représentent concernent la mise en ligne de photos
des activités réalisées à l’école
à destination des parents. Sur ces usages communicationnels se greffent,
plus tard, des usages pédagogiques : mise en ligne des comptines,
des vidéos éducatives, des consignes d’exercices visant
à impliquer les élèves et les inciter à
rédiger leurs propres textes.
Figure 3 • Volumes des thématiques
par auteur, cycle et type de services (Blog et Cahier Multimédia)
L’analyse de la distribution des thématiques par cycle à
partir du tableau 3, montre que 91,5 % des publications faites dans le
cycle 1 sont de type information école, 7 % des publications font
référence à des activités extérieures
à l’école, seulement 1 % concerne des publications
pédagogiques. Presque toutes les publications du cycle 1 sont faites sur
le blog (voir figure 3). Toutes les publications sont faites par les
enseignants. Les élèves ne sont pas suffisamment autonomes et ne
maîtrisent pas l’écriture et la lecture à
l’école maternelle.
Dans le cycle 2 (CP, CE1 et CE2), les enseignants restent encore les
principaux auteurs avec 95 % des publications réalisées.
Quelques élèves commencent à publier, en particulier sur le
blog. La proportion de publications communicationnelles relatives aux
activités internes diminue légèrement (à 77 %),
laissant la place à des informations relatives aux sorties scolaires
(15 %). La proportion de publications de nature pédagogique reste
également assez limitée (seulement 7 % en total). Ces
publications correspondent pour les enseignants à des leçons, des
comptines, des vidéos éducatives et pour les élèves
à des textes rédigés à la demande des enseignants.
La connaissance du terrain nous montre que les activités
réalisées avec l’ENT sont souvent optionnelles.
L’intérêt pour les enseignants est de familiariser les
élèves à l’ENT et leur donner des moyens de
l’expérimenter simplement, plutôt que l’utiliser pour
réaliser des projets pédagogiques complexes. À titre
d’exemple, une enseignante de CP a réalisé un cahier
multimédia musical pour recueillir des comptines d’autrefois
fournies par des parents d’élèves et des grands parents et a
ensuite organisé des rencontres musicales avec les parents et
grands-parents volontaires pour chanter avec les élèves. Il
s’agissait d’un projet intergénérationnel et
collaboratif, où les élèves pouvaient apprendre et chanter
ces comptines disparues, accompagnés par des aînés.
L’ENT a été utilisé pour recueillir des notes
musicales, le texte des comptines mais aussi des fichiers audio. Ces supports
ont été rendus accessibles à tous les acteurs, enseignants,
élèves, parents, en classe comme à la maison.
Figure 4 • Exemple de thématique
pédagogique (rédigé par un élève)
Dans le cycle 3 (CM1 et CM2), les proportions changent. La place des
élèves augmente, car ils produisent 56 % des publications
totales du cycle 3. Les pourcentages de publications communicationnelles
baissent à 23 % (pour les informations internes) et 20 % (pour
les externes). À l’inverse, la proportion de publications
pédagogiques augmente à 18 % pour les activités
individuelles et à 24 % pour les activités collaboratives. De
plus, 15 % de publications sont relatives aux loisirs alors que ce type
était complètement absent des cycles 1 et 2. Rappelons que ces
publications de type Loisirs sont faites à l’initiative des
élèves et non pas à la demande des enseignants, dans le but
de partager avec les autres élèves des informations sur leurs
activités extrascolaires sportives, familiales ou culturelles
(conformément à notre connaissance du terrain). Les
élèves étant plus autonomes à ce niveau, ils
arrivent à maîtriser la plupart des fonctionnalités de
l’ENT et peuvent donc respecter les consignes des enseignants pour
rédiger en relative autonomie des publications, soit sur le cahier
multimédia, soit sur le Blog.
Les élèves de cycle 3 réalisent une partie des
tâches précédemment réservées aux enseignants
comme la publication du journal de vie de la classe, avec des informations sur
les activités en classe ou extérieures (sorties cinéma,
voyages scolaires). D’ailleurs, l’observation en contexte nous a
permis de comprendre que les enseignants attribuent une connotation
pédagogique à quasi toutes les publications
réalisées par les élèves. Par exemple,
lorsqu’un élève rédige un billet de blog à
destination des familles qui décrit une sortie scolaire, cette
activité permet aussi à l’élève de
développer des aptitudes spécifiques comme la capacité
d’utilisation d’un outil numérique, la capacité de
structurer correctement un texte, de travailler l’orthographe, le
résumé, etc. Ce type de rédaction a donc un rôle
initial communicationnel et reçoit ultérieurement un
deuxième rôle, pédagogique. Ce type d’activité
à double connotation, scolaire et communicationnelle, représente
un usage original. C’est un exemple typique de nouvelle pratique
réalisée à l’aide de la technologie.
Une caractéristique est commune à toutes les publications,
toutes les classes et tous les niveaux confondus : la dimension ludique et
humoristique. En effet, les élèves, comme les enseignants,
créent des blogs ou des cahiers autour des sujets « moins
sérieux » comme des blagues, des charades, des informations
insolites, des photos d’animaux, des concours de mathématiques
interclasses comportant une « énigme » à
résoudre. Ce type de publications, autour du jeu, du rire, de la
compétition ludique sont des modes très favorables
d’appropriation de l’ENT car ils favorisent le partage et
l’intégration de l’outil à la culture et aux pratiques
scolaires de l’école primaire. L’appropriation de
l’outil se fait donc aussi par des phases d’expérimentation
où les enseignants vont avec les élèves inventer ou adapter
de nouvelles possibilités offertes par l’ENT et juger comment il
peut répondre aux besoins spécifiques des enfants les plus jeunes.
Les blogs et les cahiers créés autour de ces sujets deviennent un
miroir « numérique » de la classe, une
représentation des expériences et des émotions
vécues en classe à travers le choix des textes et des images
publiées et commentées. Ces observations nous permettent de
conclure que les enseignants et les élèves ont adapté
l’ENT et ses fonctionnalités à leurs pratiques
scolaires.
Le fait qu’un quart des publications faites au cycle 3 soient
collaboratives (104 sur 439, voir tableau 2) signifie que les enseignants
accordent une place importante aux tâches faites en groupe (comme le
cahier de voyage réalisé à deux). Les enseignants
préfèrent faire travailler les élèves ensemble pour
leur permettre de s’entraider et aussi dans une logique de transmission
des connaissances informatiques. Ainsi, les élèves moins
indépendants peuvent apprendre à utiliser l’ENT avec
l’aide d’un autre élève
« expert ». Ces nouvelles formes de collaboration sont
réalisées en classe mais aussi à distance. En effet, le
cahier de voyage est complété par les élèves
à la maison ou à l’école. Ce type d’usage est
également innovant car la collaboration à distance
n’était pas possible auparavant.
Nous avons donc vu trois exemples d’usages innovants. L’ENT
représente pour les enseignants une nouvelle façon
d’enseigner, d’informer et de renforcer les compétences des
élèves.
2.4.3. Bilan sur l’étude de l’appropriation de ONE
Nous retenons de cette étude une appropriation principale de
l’ENT ONE à travers la possibilité de communication avec les
parents. Ainsi, les enseignants peuvent mettre beaucoup plus de photos que dans
les cahiers papiers. Ils peuvent aussi poster des fichiers multimédias
comme les vidéos des élèves. Ces résultats sont
intéressants car ils semblent contredire les études qui affirment
une non-intégration de la part des enseignants des pratiques
communicationnels à destination des familles (Bruillard, 2011).
Les enseignants refuseraient ces pratiques communicationnelles tournées
vers les parents car ils craignent une implication trop forte de certains
parents dans la vie de l’école, une intrusion dans leurs propres
pratiques et une critique des personnes non-enseignantes et donc
illégitimes à leurs yeux (Monceau, 2009).
L’ENT ONE aurait donc un rôle positif, car il favorise cette
tâche normalement refusée. On peut donc conclure que les
enseignants du primaire semblent favorables à l’ouverture de
l’école auprès des familles.
Dans un second temps, l’appropriation est construite à partir
des usages pédagogiques comme la publication des comptines, des exercices
ou des textes rédigés par les enfants eux-mêmes. Ce type
d’usage est intéressant car il correspond : à la
publication de contenus à double connotation (communicationnelle et
pédagogique) et à la possibilité de faire publier
alternativement les enseignants et les élèves. La distinction
entre le travail de l’enseignant et celui de l’élève
est, pour ce cas précis, effacée. De plus, une publication faite
sur l’ENT est une forme de valorisation collective car elle est visible
par l’ensemble des parents, d’élèves et les autres
enseignants.
Si l’on considère que l’appropriation se fait
lorsqu’une technologie devient « la sienne »,
lorsqu’elle s’intègre dans le contexte spécifique de
travail des utilisateurs (Bobillier-Chaumon, 2016), (Engeström et al., 1999) on peut constater que les différentes dimensions du contexte
éducatif ont été touchées. En effet, les
utilisateurs se sont approprié l’outil pour répondre
à des objectifs de pédagogie, de transmission de connaissances, et
de communication avec les parents. L’ENT est devenu un reflet
fidèle et un support pour les activités pédagogiques,
récréatives et ludiques réalisées en classe.
L’appropriation de l’ENT s’est faite par des phases
d’expérimentation successives. Les enseignants et les
élèves ont expérimenté plusieurs types
d’activités sur l’ENT. Certaines se sont
pérennisées (comme les cahiers collaboratifs) alors que
d’autres ont été abandonnées (comme les
énigmes mathématiques) en fonction des expériences
vécues et de la valeur attribuées par les initiateurs.
L’appropriation de l’ENT ONE a été effective car les
utilisateurs ont eu la possibilité d’imaginer des activités
et de les tester en contexte et ainsi d’avoir un jugement sur celles qui
sont les plus efficaces et valorisantes pour eux.
Cette étude a montré les pratiques des enseignants avec
l’ENT. Dans l’étude suivante nous avons évalué,
à l’aide d’entretiens, le ressenti des enseignants et les
éventuelles tensions liées à l’utilisation de
ONE.
3. Etude de l’acceptation de ONE
L’étude de l’acceptation a
été centrée sur les déclarations des enseignants
autour de l’utilisation de l’ENT. Elle a permis d’identifier
le ressenti ainsi que le vécu des enseignants vis-à-vis de la
technologie et les éventuels problèmes rencontrés.
L’objectif était d’affiner l’interprétation des
usages et de faire des recommandations d’amélioration à la
fois sur la conception de l’outil mais aussi de son déploiement, en
particulier concernant la formation et l’accompagnement.
L’acceptation est évaluée à travers
l’identification dans le discours des enseignants des situations et/ou des
pratiques médiatisées qui peuvent montrer soit un effet favorable
et bénéfique de ONE sur l’activité (en termes de
maintien, de développement, de valorisation, d’innovation), soit au
contraire un effet négatif et défavorable sur leur travail
(empêchement, restriction, contraintes, dépréciation).
Notre démarche est essentiellement qualitative. Elle repose sur des
entretiens semi-directifs (intégralement retranscrits)
réalisés auprès des enseignants de manière à
appréhender leur activité professionnelle ainsi que leurs
différentes contraintes dans l’exercice de leur métier et
dans l’usage de l’ENT pour leurs diverses pratiques. Nous avons
cherché aussi à recueillir leurs représentations et
attentes vis-à-vis du dispositif. Ces corpus ont fait l’objet
d’un traitement systématisé selon la méthode
d’analyse thématique de contenu (Bardin, 1996).
3.1. Milieu d’implantation
Tous les participants de notre étude font partie des Académies
de Versailles et Caen (6 écoles de l’Académie de Versailles
et 6 écoles de l’Académie de Caen). Ils ont accepté
de manière volontaire d’expérimenter l’ENT ONE pendant
2 ans. Au moment de notre étude 26 enseignants (sur les 2
académies) s’étaient déclarés volontaires pour
faire l’expérimentation et avaient utilisé l’ENT ONE
sur une période allant de 3 à 6 mois. Ces enseignants sont un
échantillon de ceux dont les publications ont été
analysées dans l’étude précédente. Les deux
études ont été réalisées sur la même
période de temps, l’année scolaire 2014-2015.
3.2. Participants
Huit enseignants ont été interrogés durant 4 entretiens
individuels et lors de 2 entretiens collectifs (avec 2 enseignants chacun).
Parmi les enseignants, 2 sont directeurs d’école et assurent des
cours (en CP et CM2). Les autres enseignants interviennent dans les classes de
CP (2), CE1 (1) et CM2 (3). Le groupe de participants est composé de sept
femmes et d’un homme. Les écoles sont toutes situées en
milieu urbain, dans l’Académie de Versailles (6) et de Caen (2).
L’âge moyen des répondants était de 46 ans, ils ont
une ancienneté moyenne dans la structure de 8 années et une
ancienneté dans la profession de 16 années. La relation avec les
parents se fait traditionnellement par le cahier de correspondance papier, au
téléphone ou en face à face. Tous sont par ailleurs des
utilisateurs novices dans l’ENT : ils n’ont jamais
utilisé auparavant de dispositif équivalent dans le cadre de leur
enseignement. Ils ont cependant tous utilisé les ordinateurs pour
préparer les leçons et certains ont un usage fréquent du
tableau numérique interactif en classe (5 sur 8 enseignants).
3.3. Collecte des données
Chaque enseignant a participé à un entretien semi-directif. Les
entretiens, d’une durée d’1h30 en moyenne, abordaient les
thèmes suivants : expérience avec les TICE (Technologies
d’information et de Communication pour l’Éducation),
équipement informatique de l’école, représentation de
l’ENT, besoins par rapport à l’ENT, utilité de
l’ENT, facilité d’usage et intention d’usage,
difficultés d’utilisation, conditions d’exercice et
d’implication dans la profession d’enseignant. Ayant la
possibilité de parler librement, ils ont pu donner un avis critique sur
les usages réalisés, leurs représentations de l’outil
ou des fonctionnalités en développement comme le cahier de textes,
le cahier de liaison numérique et le cahier multimédia. Ils ont
également été invités à relater, avec la
méthode des incidents critiques de Flanagan (Flanagan, 1954),
des épisodes plutôt difficiles ou plutôt faciles dans
l’usage de l’ENT.
3.4. Analyse des entretiens enseignants
Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits en
intégralité pour être analysés thématiquement.
L’unité d’analyse des retranscriptions est la proposition
(considérée comme une unité syntaxique
élémentaire construite autour d’un verbe). Toutes les
propositions ont été identifiées dans chaque phrase comme
dans l’exemple suivant : « Moi je leur ai montré
comment faire des dossiers (proposition 1)/, mais c’est
difficile pour les élèves (proposition 2) ».
Nous avons également distingué les commentaires plutôt
favorables de ceux exprimant plutôt des tensions ou contradictions. Dans
l’exemple précédent, la première proposition a
été comptée comme remarque favorable (initiative
d’accompagnement) et la deuxième comme remarque défavorable
(difficulté d’usage). Nous avons fait des dénombrements et
des calculs de pourcentage pour hiérarchiser les facteurs. Nous avons
considéré que les utilisateurs ont accepté l’ENT
lorsqu’ils évoquent les usages réussis qu’ils en font,
les ajustements mis en œuvre ou les contradictions rencontrées et
surmontées. Aucun thème n’était
préétabli, nous n’avons retenu que les thèmes
évoqués au moins trois fois.
3.5. Résultats
L’analyse a mis en évidence 4 thèmes principaux (voir
tableau 4) et 16 sous-facteurs (voir tableau 5) : (1) facteurs liés
à la pratique du métier (charge de travail, responsabilisation aux
usages numériques, valorisation du travail), (2) facteurs relatifs au
suivi pédagogique (pédagogie, sécurité et
santé, émotions et attractivité) ; (3) facteurs
relatifs à l’organisation sociale et du travail (collaboration,
communication, réorganisation des pratiques de communication), (4)
facteurs relatifs à l’usage et au déploiement de
l’outil (facilité d’usage, utilité, feedback,
équipement informatique et réseau, accompagnement). Nous
présentons dans un premier temps les résultats des facteurs
principaux, puis ceux des sous-facteurs.
3.5.1. Facteurs principaux.
Le tableau 4 indique que les facteurs liés à
l’organisation sociale représentent le plus
d’évocations positives (88), ce qui signifie que l’usage de
l’ENT a un rôle important dans la communication et la collaboration
à l’intérieur du système scolaire. À
l’inverse, les facteurs liés au métier d’enseignant et
ceux liés à l’usage et au déploiement de
l’outil rassemblent le plus d’appréciations négatives.
Le déploiement et l’usage de l’ENT semblent donc soulever
d’une part, des questions sur la reconnaissance professionnelle et la
pratique du métier d’enseignant et, d’autre part, des
problèmes en matière d’adéquation aux usages
scolaires. Nous présentons dans le paragraphe suivant une analyse par
sous-facteurs (voir tableau 5) qui permet de préciser ces dimensions.
Tableau 4• Occurrence des facteurs
principaux.
Facteur |
Nb appréciations positives |
Nb appréciations négatives |
Métier |
35 (15,56 %) |
90 (36 %) |
Suivi pédagogique |
54 (24 %) |
57 (22,8 %) |
Organisation sociale |
88 (39,11 %) |
14 (5,6 %) |
Usage et déploiement de l’outil |
48 (21,33 %) |
89 (35,6 %) |
Total |
225 (100 %) |
250 (100 %) |
3.5.2. Facteurs relatifs à l’exercice et la pratique du
métier
Comme on peut le voir dans le tableau 5, la charge de travail perçue
(induite par l’usage de l’ENT) apporte le plus
d’évocations négatives (72). L’utilisation de ONE
demande beaucoup de temps, surtout au début. Ils ont l’impression
de devoir investir plus de temps pour maîtriser les fonctionnalités
de l’ENT et pour trouver des applications intéressantes pour la
classe. Ils ont aussi le sentiment que l’usage d’un ENT implique un
travail soutenu et régulier, sur de nouvelles tâches qui ne
relèvent pas directement de leur domaine de compétences :
comme la prise de photos, les chargements sur l’ordinateur et ensuite sur
l’ENT, la publication de billets de blogs, la rédaction de
messages, la conception de projets pédagogique incluant l’ENT. Or,
puisqu’ils ne disposent pas d’un temps scolaire spécialement
dédié aux usages de ces technologies, ils sont alors
obligés d’utiliser le temps de la pédagogie pour
s’approprier ces outils. Le sentiment de charge de travail s’exprime
aussi par une impression d’accroissement des sollicitations
informationnelles. L’ENT s’ajoute, en effet, aux plateformes
éducationnelles préexistantes : adresse mail
académique, plateforme de gestion de carrière I-prof, plateforme
de formation en ligne, plateformes didactiques, livret de compétences en
ligne. Les enseignants se sentent ainsi continuellement submergés par une
grande quantité de données à gérer (adresses mail,
identifiants et mots de passe différents pour chaque plateforme, logique
et fonctions des différents dispositifs,...) mais aussi par des contenus
informationnels à traiter et à hiérarchiser (informations
académiques, pédagogiques, événements à trier
et à diffuser...). Face à la crainte de devoir faire un double
travail avec l’ENT, certains refusent par exemple de publier les
leçons sur l’ENT, car ils le font déjà avec leurs
outils bureautiques « je fais déjà la leçon
sur le paper board, la remettre encore (sur l’ENT)... moi je n’ai
pas envie de faire ça... ».
Tableau 5 • Occurrence des
sous-facteurs.
Sous-facteur |
Nb appréciations positives |
Nb appréciations négatives |
Facteurs relatifs à l’exercice et la pratique du
métier. |
Charge de travail |
0 |
|
72 |
|
Responsabilisation aux usages numériques |
20 |
|
12 |
|
Valorisation du travail |
15 |
|
15 |
|
Total |
35 |
|
90 |
|
Facteurs relatifs au suivi des élèves. |
Pédagogie |
20 |
|
0 |
|
Sécurité et santé |
4 |
|
57 |
|
Emotions et attractivité |
30 |
|
0 |
|
Total |
54 |
|
57 |
|
Facteurs relatifs à l’organisation sociale et du
travail. |
Collaboration |
12 |
|
0 |
|
Communication |
72 |
|
8 |
|
Réorganisation des pratiques de communication |
4 |
|
6 |
|
Total |
88 |
|
14 |
|
Facteurs relatifs à l’usage et au déploiement de
l’outil. |
Facilité d’usage |
27 |
|
24 |
|
Utilité |
9 |
|
6 |
|
Feedback utilisateur |
4 |
|
39 |
|
Equipement informatique et réseau |
0 |
|
6 |
|
Accompagnement |
8 |
|
14 |
|
Total |
48 |
|
89 |
|
La responsabilisation des élèves dans leurs usages
numériques a été évoquée positivement 20
fois. Les enseignants pensent qu’ils ont un rôle à jouer dans
la formation aux « usages responsables des outils numériques
par les élèves ». D’autres considèrent en
revanche que cette sensibilisation serait davantage du ressort des parents (12
évocations), d’une part parce que cela nuit à leur
activité de formation, d’autre part parce que l’outil est
massivement consulté à la maison par les enfants pour
vérifier notamment leurs nouveaux messages. Pour ces raisons, le
contrôle devrait relever davantage de la sphère privée. Ce
que ne semblent pas partager les parents qui pensent au contraire que ce suivi
doit être assuré par l’établissement qui le met
à disposition. On voit ici que l’articulation
‘’école-maison’’ nécessite une
redéfinition des responsabilités et des attributions de chaque
partenaire (parents et enseignants de parcours de formation) dans une division
du travail mieux coordonnée (de contrôle et de suivi de
l’usage).
La valorisation du travail ressort de manière positive au travers de
15 évocations. En fait, certains enseignants considèrent que
l’ENT permet de mettre en évidence, via le blog, un travail de
classe qui jusque-là était plutôt invisible ; comme les
activités sportives, les sorties scolaires, les créations des
élèves. Il devient ainsi un outil de reconnaissance du travail de
l’enseignant ainsi que des productions des élèves. Mais
cette reconnaissance du travail reste limitée par le fait que les parents
sont peu impliqués dans le projet ENT et ne consultent que très
rarement ces travaux (évocations négatives). Ce manque
d’intérêt de la part des parents pour les informations mises
à disposition provoque chez les enseignants une certaine déception
voire un désir de ne plus utiliser l’ENT. C’est le cas de
cette enseignante de CP qui a informé les parents via le cahier de
correspondance de la tenue d’un cahier de vie de la classe sur l’ENT
et les a invités à la consultation de ce cahier : « J’ai un retour d’un parent qui m’a dit
‘’Félicitations, super initiative’’ mais sinon il
y en a qui n’ont pas signé le mot. C’est pour vous dire
qu’ils ne sont pas intéressés. C’est un peu
désespérant. Je n’ai vu que 3 élèves de la
classe qui ont changé leur photo. Donc 3 sur 26 ce n’est quand
même pas beaucoup. Si c’est pour qu’il n’y ait personne
qui le regarde (le cahier), moi j’arrête de le
remplir ».
3.5.3 Facteurs relatifs au suivi des élèves
Selon les enseignants, l’intérêt principal des ENT
vis-à-vis des élèves est d’aider à construire
une relation plus attractive et stimulante, qui joue sur les émotions (30
évocations positives dans le tableau 4). L’ENT est motivant pour
les élèves et fait apprécier le travail en classe. En
matière de pédagogie, l’ENT est considéré
comme un apport (20 évocations positives) pour la construction de
l’expression verbale et de la communication des élèves ainsi
que pour la responsabilisation et l’autonomie dans le travail avec
ordinateur. Le blog est renseigné par les enseignants ou les
élèves eux-mêmes. L’ENT est utilisé pour la
réalisation des tâches pédagogiques, comme la publication
des leçons, des vidéos éducatives, des textes
rédigés par les élèves. Ces publications
pédagogiques concernent toutes les matières :
français, anglais, mathématiques, arts, sciences.
Les enseignants expriment en revanche de nombreuses craintes concernant la
sécurité et la santé des enfants (57 évocations
négatives contre 4 positives). En particulier, cela concerne les
dérives (harcèlement, insultes) ou les détournements des
outils de communication et de coordination. Les enseignants ont en effet un
accès limité aux comptes des enfants et ils sont donc dans
l’impossibilité de contrôler le contenu des messages
échangés. Plusieurs enseignants ont alors créé un
compte-élève fictif pour suivre et contrôler les
échanges. Cela leur permet aussi de vérifier la qualité
d’affichage des informations et des documents qu’ils publient sur
l’ENT. On remarque que les enseignants, qui n’ont pas
été en mesure de créer ce type d’usage innovant, sont
moins satisfaits du dispositif. Ce type de détournement met en
évidence l’intérêt de proposer aux enseignants des
fonctions de surveillance des espaces et de vérification des
publications. Une autre crainte concerne les transgressions d’usage de
l’ENT par les enfants. Les enseignants déclarent notamment
avoir des difficultés à authentifier les sources
d’informations en provenance du système, comme cet exemple le
montre « moi j’ai reçu un message d’un parent,
je ne sais pas si c’est le parent ou si c’est le grand frère
qui a envoyé le message.../... du coup il faut que je repasse par le
cahier de textes pour écrire un mot.../... sur le cahier de liaison il y
a l’écriture, la signature, on connaît tout de suite
rapidement la différence ».
3.5.4 Facteurs relatifs à l’organisation sociale et du
travail
L’ENT est particulièrement apprécié pour soutenir
la communication avec les parents (72 appréciations positives). Certains
enseignants créent des blogs et y font référence dans le
cahier de liaison lorsqu’il y a de nouvelles informations à
consulter. Les enseignants apprécient aussi le rôle positif que
l’ENT joue sur la collaboration avec les autres enseignants (12
évocations). Le partage des ressources créées facilite
l’organisation des activités ou des sorties en commun, ainsi que le
travail pédagogique.
Les appréciations négatives (8) concernent surtout la
communication via la messagerie qui ne distingue plus les temps scolaires et
extra-scolaire. Ils évoquent l’intérêt de pouvoir
paramétrer les horaires de transmission des messages des parents (pas de
messages pendant le temps scolaire) ou entre les élèves.
Vis-à-vis des parents, cela permettrait de limiter les messages
intempestifs et de dernières minutes qui requièrent un travail
supplémentaire durant le temps scolaire. Ils ont plus de contrôle
par le cahier de liaison. Ces mesures peuvent être utiles au départ
pour rassurer les enseignants et pour leur laisser le temps de mettre en place
des actions de responsabilisation des élèves et des parents aux
usages numériques.
3.5.5. Facteurs relatifs à l’usage et au déploiement de
l’outil
Les enseignants ressentent une facilité d’usage (27
évocations positives) liée à la cohérence des
fonctions et informations accessibles par le menu et les icônes. Les
évocations négatives (24) portent sur des fonctionnalités
de l’Espace Documentaire de l’ENT : ils souhaitent un partage
de dossiers plutôt que le partage de fichiers « les enfants
reçoivent... [les fichiers] comme ça. Pour eux c’est pas
facile, on a Documents Partagés et tout est mélangé ;
musique, histoire. Si le nom du fichier il est un peu approximatif... ils savent
pas » et regrettent le manque de visibilité sur qui a
consulté les contenus publiés et qui s’est connecté.
En suivant le fil de nouveautés, les enseignants arrivent à
connaître l’activité des autres utilisateurs (parents,
élèves) si ces derniers modifient par exemple leur avatar ou la
devise qui l’accompagne. Mais cet usage détourné de la
consultation du fil ne marche pas pour les consultations simples, car elles ne
laissent pas de trace. « Ça c’est vrai que...
s’ils ne changent pas leur humeur ou la devise, on ne le sait pas
s’ils se sont connectés ou pas. Ça serait intéressant
pour nous les utilisateurs de savoir qui a vu le contenu ». Pour
obtenir ces données, les enseignants font alors un travail
supplémentaire qui consiste à envoyer un questionnaire via le
cahier de correspondance, ou alors, ils demandent aux élèves si
leurs parents se connectent. Cette traçabilité est importante pour
construire une forme d’échange entre les différents
partenaires du parcours de formation, afin de s’assurer que les
informations publiées sont bien consultées et parviennent au
destinataire. Sinon, il est difficile pour les enseignants de juger de
l’utilité et de l’efficacité du système pour
leur activité.
Le manque d’infrastructure informatique (matériels,
réseau...) est par ailleurs considéré aussi comme un frein
à l’acceptation de l’ENT (6 évocations). Les
enseignants aimeraient utiliser l’ENT en classe avec les
élèves mais ils manquent d’ordinateurs portables ou de
tablettes. « Il faudrait pratiquement avoir des ordinateurs en
permanence dans les classes pour pouvoir vraiment l’utiliser dans la
pédagogie de tous les jours ». En effet,
l’équipement technique des écoles est assuré par les
communes qui choisissent d’investir ou non, ce qui peut créer des
grandes inégalités entre les territoires. Comme les ENT sont des
projets coordonnés par l’état et le Ministère de
l’Éducation, cela peut créer des discordances sur le terrain
qui peuvent éventuellement freiner les usages en classe.
L’accès à l’ENT n’est pas équivalent non
plus dans toutes les familles. Certaines offrent un accès continu
à certains élèves et d’autres un accès
restreint défini par les parents ou l’absence de connexion
Internet. Enfin, les enseignants évoquent des manques
d’accompagnement. Ils se considèrent mal formés aux usages
de l’ENT. S’agissant d’une phase expérimentale
d’implémentation, tous les moyens pour accompagner les enseignants
n’ont pas été employés. Rappelons que dans chaque
école un référent ENT a été
désigné et a pu bénéficier de la formation. Il
formait ensuite ses collègues. Ce fonctionnement a pu causer des
difficultés en termes de transmission des compétences ou de
réponses appropriées à toutes les problématiques
soulevées par les collègues. À long terme, les responsables
académiques devraient s’impliquer dans la formation et
l’accompagnement de tous les enseignants. Sur ces aspects, des
études supplémentaires seraient donc nécessaires pour
comprendre comment s’opère la phase de généralisation
des ENT dans les écoles primaires.
3.6. Bilan sur l’acceptation
L’étude de l’acceptation montre que les principales
tensions sont liées à l’exercice et la pratique du
métier, notamment la surcharge de travail, l’insuffisante
connaissance des responsabilités et le problème de
sécurité des élèves sur un espace de travail en
ligne. Les facteurs relatifs à l’usage de l’outil posent
aussi problème, par manque d’infrastructure, à la fois dans
les écoles et dans l’espace domestique. Il nous semble
nécessaire de renforcer l’accompagnement fait par les
académies ainsi que la communication autour du numérique
menée par le Ministère de l’Éducation. Le
Schéma directeur des Espaces Numériques (Ministère de l’Education Nationale, 2012),
document officiel des ENT, définit les rôles et les
responsabilités de chaque futur utilisateur des ENT. Malheureusement, ce
document est adressé surtout aux concepteurs et demeure peu lisible par
le grand public qui ne possède pas ou peu de connaissances techniques sur
ces plateformes numériques. Ces documentations devraient être
vulgarisées pour être davantage accessibles aux enseignants,
élèves et parents.
Les facteurs positifs de l’acceptation sont principalement ceux
relatifs à l’organisation sociale, car l’ENT favorise la
collaboration au sein de l’école (à travers le partage des
contenus) et la communication avec les familles. De plus, l’ENT permet la
valorisation du travail effectué en classe avec les élèves
(textes rédigés, dessins, activités créatives)
auprès des familles. Ce facteur positif est en quelque sorte
atténué par la faible implication des parents. Cela veut dire que
les enseignants peuvent trouver utile de passer par l’ENT pour informer
les parents de la vie de l’école, cela ne signifie pas pour autant
que les parents consultent vraiment les publications des enseignants. La faible
implication des parents, déplorée par les enseignants de notre
étude, est cohérente avec les problèmes du système
d’enseignement actuel. En effet, même avant l’arrivée
des ENT (qui sont supposés faciliter l’ouverture de
l’école vers les familles), la communication entre
l’école et les familles reste difficile et insuffisante (Bruillard, 2011).
Les parents peuvent opposer une véritable résistance à la
collaboration avec les enseignants, lorsqu’ils se voient nier leurs
compétences parentales et reçoivent des messages
« moralisateurs » à propos de leurs pratiques
familiales, comme l’heure du coucher et l’alimentation (Monceau, 2009).
Les parents se méfient donc du contact avec l’institution scolaire
et évitent ainsi d’être enrôlés dans des
activités collectives ou défendent tout simplement la
séparation entre l’école et les familles justifiée
par l’idée de « chacun sa place ». Ces
problèmes sont plus fréquents dans les milieux sociaux
défavorisés et rendent par conséquent la communication plus
difficile. L’utilisation d’une technologie de type ENT ne peut pas
résoudre ces problèmes préexistants dans le système
d’enseignement. Nous recommandons d’encourager le dialogue entre
parents et école, de manière à pouvoir poursuivre ces
échanges par la suite avec des technologies telles que les ENT.
4. Discussion et conclusion
Les objectifs de l’article étaient de
comprendre comment les enseignants du primaire s’approprient les ENT et
quel est leur niveau d’acceptation de ce type d’outil. Pour y
répondre nous avons réalisé deux études
centrées sur l’utilisation de l’ENT ONE. La première
avait pour objectif d’analyser les publications faites sur l’ENT
afin de caractériser les différentes activités
réalisées avec ONE. La seconde avait pour objectif
d’identifier les facteurs de l’acceptation et/ou du refus de ce type
de technologie.
Les résultats de la première étude ont mis en
évidence 5 types de publications : communicationnelles internes,
communicationnelles externes, pédagogiques individuelles,
pédagogiques collaboratives et loisirs. Les publications
communicationnelles sont prédominantes et consistent-en des articles sur
le blog et le cahier multimédia avec des photos et résumés
des activités réalisées. Cela montre la volonté des
enseignants du primaire d’associer les familles à la vie de
l’école et donc la volonté « d’ouvrir
l’école ». Les publications de type pédagogique
arrivent en deuxième plan et sont présentes surtout au cycle
3 : CM1 et CM2. Elles correspondent à des leçons, textes
rédigés par les élèves, exercices, vidéos
éducatives, etc. L’étude a montré que
l’appropriation était plutôt favorable car les utilisateurs
avaient la possibilité d’imaginer de nouveaux usages et de les
expérimenter. La facilité d’utilisation de ONE et son
adéquation au public d’utilisateurs cibles sont les facteurs les
plus explicatifs de ce constat.
La seconde étude a mis en évidence la présence des
facteurs favorables à l’acceptation, en particulier la
possibilité de travailler en collaboration et de communiquer facilement
avec les familles. L’étude a aussi mis en évidence la
présence de tensions liées à l’exercice et à
la pratique du métier, notamment la surcharge de travail,
l’augmentation des responsabilités professionnelles liées
à l’extension de l’« espace-temps
scolaire » et la faible implication des parents. Nous avons
proposé différentes recommandations pour favoriser
l’acceptation des ENT comme de produire un meilleur accompagnement au
niveau local et une meilleure communication au niveau ministériel sur les
responsabilités de chaque utilisateur de l’ENT.
Les résultats de la première étude convergent avec ceux
issus de la seconde. Nous avons constaté, à travers
l’analyse des publications et des entretiens, la volonté des
enseignants d’ouvrir l’école aux parents
d’élèves, de communiquer des informations concernant la vie
de l’école sur l’ENT. Les publications dans les cycles 1 et 2
sont majoritairement de type communicationnel. Ces résultats sont
intéressants car ils semblent contredire les études qui affirment
une non-intégration de la part des enseignants des pratiques
communicationnelles à destination des familles (IGEN, 2006), (Bruillard, 2011).
Nous devons cependant noter que les contextes d’enseignement secondaire et
primaire sont différents en ce qui concerne la relation avec les
parents : dans l’enseignement primaire la relation avec les parents a
une plus grande importance étant donné l’âge des
enfants. La particularité de l’enseignant unique rend aussi cette
relation plus facile et plus proche. Compte tenu de ces aspects de
proximité avec les familles, l’acceptation de l’outil ONE se
base beaucoup sur la communication école-familles.
En revanche, cette démarche d’ouverture ne semble pas être
suivie par les parents. Les enseignants déplorent leur faible
implication. Ceux-ci ne consulteraient pas du tout ou pas suffisamment les
informations qui sont mises à leur disposition sur l’ENT. Notre
étude ne propose malheureusement pas de recueil des opinions des parents,
ni de bilan quantifié de leurs connexions ; cet axe serait
intéressant dans le cadre d’une future recherche. Ces
résultats permettraient d’affiner le point de vue des enseignants
qui s’appuie pour l’instant uniquement sur les retours oraux des
parents ou la visualisation de modifications qu’ils ont pu faire (comme
l’ajout de photo sur le profil d’un élève de
maternelle ou de CP). En réalité, beaucoup de parents peuvent
consulter l’ENT sans laisser de « trace » visible,
pouvant donner l’impression de non-implication. L’ajout
d’indicateurs visibles de l’activité de consultation de
l’ENT est donc fondamental pour montrer l’intérêt des
parents et motiver les enseignants à poursuivre leurs usages. Ces
fonctionnalités ont été intégrées dans la
conception de ONE et vont être proposées. Un nouveau service
intitulé « Statistiques » permettra aux enseignants
de consulter la fréquentation de l’ENT par les autres utilisateurs
(élèves, parents). Nous confronterons les observations factuelles
d’usage des parents et leurs points de vue avec ceux des enseignants pour
analyser plus finement cette question de l’engagement des parents lors
d’une prochaine étude. Cela nous permettra en particulier de savoir
si la perception des enseignants est fondée ou pas.
Les tensions relevées à propos des élèves et leur
utilisation de l’ENT sont liées au manque d’infrastructure de
l’école, à la question de la sécurité des
élèves et à la question de la responsabilité du
contenu publié par les élèves. Les tensions relevées
ne semblent pas décourager les pratiques autour de l’ENT et donc
l’appropriation de cet outil. La qualité de conception de la
plateforme joue ici un rôle fort. On observe en effet dans les essais
concrets d’appropriation de l’ENT, des actions menées afin de
contrecarrer justement certaines tensions, comme la surcharge du travail et le
manque d’infrastructure. Ces actions concernent l’encouragement du
travail collaboratif qui peut permettre aux élèves de
s’entraider et de se transmettre aussi les connaissances liées
à l’utilisation de l’ENT ONE. Les projets collaboratifs
permettent également de travailler à plusieurs sur un ordinateur
et sont un moyen de pallier le manque d’infrastructure. Concernant la
sécurité des élèves, les enseignants montrent
qu’ils savent contourner cette problématique : ils
créent des comptes élèves pour pouvoir contrôler les
messages envoyés par les élèves ou font des cours
spécifiques dédiés à la sensibilisation aux usages
de l’ENT et d’Internet dans lequel ils essaient de responsabiliser
les élèves vis-à-vis de leur utilisation. L’analyse
des publications nous montre que les élèves s’approprient
réellement l’ENT à partir du CM1. C’est le moment
où ils deviennent utilisateurs actifs de l’ENT, capables de publier
leur propre contenu. Un résultat intéressant est le fait que les
élèves publient des contenus de tous types :
pédagogiques (individuels ou collaboratifs), communicationnels (relatifs
aux sorties scolaires ou activités internes) ou de loisirs. Ces
publications ont un rôle « pédagogique » pour
les enseignants dans la mesure où ils travaillent en même temps
l’écriture, l’expression ou la grammaire. Elles les font
« grandir » aussi puisqu’ils réalisent ainsi
une partie des tâches communicationnelles dévolues
précédemment aux enseignants. Elles les valorisent et les motivent
puisque leurs rédactions, dessins ou poésies sont rendues
accessibles à tous les parents d’élèves, à la
classe et aux autres classes de l’école.
De manière générale, les enseignants sont les principaux
initiateurs des usages. Ce sont eux qui distribuent les identifiants de
connexion aux élèves et/ou parents, ce sont eux qui
décident à qui ils vont ouvrir un service et à quelle
activité servira tel ou tel blog ou cahier. Comme nous l’avons vu,
l’appropriation consiste en un ensemble d’essais et
expérimentations différentes qui mènent finalement à
des usages pérennes et stables. On peut dire que c’est à
travers les expérimentations répétées des
activités sur l’ENT que se révèlent des situations
critiques et des questionnements, des craintes et des tensions. Finalement, les
enseignants peuvent expérimenter les services de l’ENT et
sélectionner ceux qui conviennent au mieux à leurs exigences.
Cette étude comporte certaines limites. Le faible nombre
d’utilisateurs peut poser des questions en termes de
généralisation de nos résultats. Cet échantillon
réduit (26 enseignants) est dû au fait que l’étude
s’est déroulée pendant la phase
d’expérimentation du projet ONE, phase qui a visé uniquement
12 écoles. Une ou deux classes ont généralement
utilisé l’ENT par école. Notre étude est de plus
assez circonscrite à une technologie spécifique au territoire
français. Elle n’est pas forcément
généralisable aux Virtual Learning Environments (VLE)
proposés dans les pays anglo-saxons. Ces systèmes ont
été construits principalement comme des outils
pédagogiques, sur lesquels ont été ajoutés des
modules administratifs (pour la gestion de notes et absences par exemple). En
France, les ENT ont été conçus depuis le début pour
répondre aux deux objectifs : de gestion (de la vie scolaire) et de
pédagogie. Elle s’articule avec d’autres systèmes
d’information nationaux2 comportant en particulier des
informations sur les utilisateurs (conformes aux règles de la CNIL) pour
créer les comptes personnels, ou les classes des établissements
pour créer des groupes automatiques dans l’ENT. Ces choix
techniques présupposent une collaboration entre les écoles et
l’État, ce dernier étant le prescripteur de l’ENT. Ces
particularités contextuelles influencent et modulent l’acceptation
et l’appropriation de l’outil par les utilisateurs. Par
conséquent, les résultats de cette étude ne peuvent pas
être généralisés à toutes les technologies
éducationnelles, mais restent circonscrits au contexte précis des
ENT français. C’est pourquoi notre approche se veut plutôt
exploratoire et qualitative. Elle vise à décrire la construction
de l’appropriation et de l’acceptation d’une technologie.
En conclusion, si l’acceptation et l’appropriation de l’ENT
ONE sont plutôt positives c’est parce qu’il est bien
conçu et plutôt bien adapté aux pratiques des enseignants.
L’appropriation se fait de manière équivalente sur la base
de communication avec les familles et par les activités de nature
pédagogique. Notre étude est plutôt encourageante et elle
évalue pour la première fois les activités concrètes
faites autour d’un ENT d’écoles primaires. Les
problèmes principaux restent néanmoins liés aux
modalités de sa mise en œuvre. Les recommandations que nous
formulons sont orientées vers le ministère et les directeurs
d’école. Ces acteurs sont invités à apporter des
précisions sur les limites de l’espace-temps scolaire et sur les
règles de gouvernance et de communication les plus adaptées pour
ces plateformes lorsque de très jeunes enfants, n’ayant pas de
compétences en termes d’usages sociaux du numérique, sont
concernés.
1Les animateurs TICE sont des enseignants qui ont pour mission le
développement de l’utilisation de TICE (Technologies
d’Information et de Communication pour l’Education) dans leurs
circonscriptions. Ils sont sous la responsabilité des IEN et peuvent
exercer à temps plein ou partiel.
2Le processus d’alimentation automatique de l’ENT est
un processus défini par le Ministère de l’Education et
correspond à la création des comptes ENT automatiques pour tous
les futurs utilisateurs de l’ENT (enseignants, élèves,
parents) d’un certain établissement. Cette alimentation se fait
à partir des plateformes de gestion des enseignants (par exemples STS) et
de gestion des élèves (Siècle -Système d'information
pour les élèves en collèges et lycée et pour les
établissements- dans les collèges et lycées et Base
Elèves dans le primaire).
À
propos des auteurs
Elena Codreanu est doctorante en psychologie ergonomique
au GRePS (Groupe de Recherche en Psychologie Sociale), Université
Lumière Lyon 2. L’objectif scientifique de sa thèse est
d’étudier la nature des usages et des pratiques qui se
développent avec les nouveaux environnements pédagogiques dans un
cadre scolaire particulier qui est celui du primaire. Il s’agit aussi de
déterminer leurs conditions d’acceptation auprès des
différents acteurs intervenant dans le parcours de formation (intra et
extrascolaire : parents, enseignants, élèves).
Adresse : Université Lyon2, GRePS,
EA 4163, France
Courriel : elena.codreanu@univ-lyon2.fr
Christine Michel est maître de conférences en
informatique à l’INSA de Lyon au sein de l’équipe
SICAL du LIRIS. Elle a soutenu en 2015 une HDR en Sciences de
l’Information et de la Communication. Ses travaux de recherche portent sur
l’analyse des usages des dispositifs d’apprentissage
instrumenté et l’étude des dynamiques d’acceptation et
d’appropriation. Elle s’attache à proposer des
méthodes d’analyse mixtes utilisant des données qualitatives
et quantitatives, considérant en particulier les traces
d’activité. Elle a conduit différents projets de recherche
pluridisciplinaires liés à la conception des dispositifs
d’apprentissage instrumenté, leurs méthodes de
déploiement, les formes de régulations (personnelle et sociale) ou
l’appropriation.
Adresse : INSA-Lyon, LIRIS, UMR5205,
F-69621, France
Courriel : christine.michel@insa-lyon.fr
Marc-Eric Bobillier-Chaumon est professeur de Psychologie
du travail et de psychologie ergonomique au sein du GRePS (Groupe de Recherche
en Psychologie Sociale) à l’Université Lumière Lyon
2. Ses recherches portent sur les usages et les incidences des nouvelles
technologies dans et par les activités professionnelles et
socio-domestiques. Ces travaux abordent plus particulièrement les
mutations du travail en lien avec ces nouveaux dispositifs et
s'intéressent aussi à leurs conditions d'insertion et
d'acceptation auprès d'utilisateurs variés (salariés,
personnes empêchées-en situation d'handicap,
âgées).
Adresse : Université Lyon2, GRePS,
EA 4163, France
Courriel : marc-eric.bobillier-chaumon@univ-lyon2.fr
Olivier Vigneau est ingénieur et docteur en
sciences, co-fondateur et dirigeant d’Open Digital Education,
société française spécialisée dans les
services numériques innovants pour l’Education, qui équipe
plus de 700.000 élèves en France et à
l’international. Il pilote des programmes de R&D tant sur le plan
technologique que sur celui de l’acceptabilité de services
innovants par les communautés scolaires, déployés au sein
de projets d’ampleur dans des modèles économiques
variés dont les partenariats public-privé, le logiciel libre,
l’innovation collaborative et la R&D, le SaaS.
Adresse : Open Digital Education, 22 rue
Legendre, 75017 Paris
Courriel : olivier.vigneau@opendigitaleducation.com
Toile : http://opendigitaleducation.com
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