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Généralisation des usages des ENT dans
l’enseignement secondaire en France : analyse diachronique (2009 -
2014)
Françoise POYET (ESPE université Lyon 1, ECP
université Lyon 2).
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RÉSUMÉ : Une
recherche diachronique a été menée sur cinq ans (2009-2014)
pour rendre compte de l’évolution des usages pédagogiques
des environnements numériques de travail (ENT) par des professeurs de
l’enseignement secondaire. Les données, recueillies en 2014
auprès de 1492 enseignants, confirment, en les nuançant, les
résultats de 2009. Ces données mettent en évidence que la
généralisation des usages des ENT ne suit pas toujours une
progression linéaire. Précisément, plusieurs trajectoires
de développement coexistent au cours desquelles s’observent des
progressions, des stagnations et des régressions en matière
d’innovation techno-pédagogique. Notre recherche montre aussi que
les écarts se sont creusés entre les pratiques des enseignants les
moins et les plus expérimentés.
MOTS CLÉS : Espace
numérique de travail (ENT), usages, enseignement secondaire. |
Generalization of Virtual Work Environments usage in french secondary education: A diachronic analysis (2009-2014) |
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ABSTRACT : A
diachronic survey spanning a five year period (2009-2014) to report on the
evolution of pedagogical uses of digital work environments (DWEs) by middle and
high-school teachers. The data so gathered among 1492 teachers in 2014 confirm
with nuances the 2009 data. They highlight how the spreading of DWE uses does
not follow a linear progression. Many trajectories of development appear
displaying progressions, stagnations and regressions as to techno-pedagogical
innovation. Our research shows how gaps have formed between less experienced and
more experienced teachers.
KEYWORDS : Virtual
work environment (VWE), uses, secondary education. |
1. Introduction
Depuis une dizaine d’années, le
ministère de l’Éducation Nationale (MEN) français a
réalisé un investissement important pour favoriser le
déploiement des espaces numériques de travail (ENT) dans la
plupart des établissements de l’enseignement secondaire (voir la
carte du déploiement des ENT 2014 à http://eduscol.education.fr/cid55728/l-etat-du-deploiement.html).
Ce déploiement, qui porte essentiellement sur
l’équipement des collèges et des lycées, passe par
trois stades principaux : l’étude préalable,
l’expérimentation et la généralisation. Étant
donné que la généralisation des matériels est
souvent confondue à tort avec la généralisation de leurs
usages pédagogiques1 (Puimatto, 2007), (Poyet et Genevois, 2012),
notre recherche a pour but d’analyser, sur une période de cinq
années (2009-2014), les processus de développement des usages des
ENT dans les pratiques pédagogiques des enseignants,
indépendamment du déploiement des équipements dans les
établissements.
Cette recherche s’inscrit dans la deuxième étape du
projet APPARENT (Analyse des Pratiques des Professeurs/Apprenants et des
Représentations dans les Environnements Numériques de Travail)
initié en 2006 à
l’INRP/Ifé-ENS2 à
Lyon (France). La première étape nous a permis –
grâce à une analyse précisée plus loin (cf.
3.2. Le traitement statistique des données) et
développée dans un précédent article (Poyet et Genevois, 2012) –
d’identifier quatre catégories d’enseignants au regard de
leurs usages pédagogiques avec les ENT : les débutants (- et
+), les confirmés et les experts. Ces catégories sont
caractérisées comme suit :
- Les « débutants (-) » ont une
approche techno-centrée de l’outil et ne l’utilisent que pour
des usages réduits, en lien avec ce qu’ils font traditionnellement
et le plus souvent par obligation. En règle générale, ils
travaillent seuls et sont isolés dans leurs pratiques. Selon
l’outil de mesure de l’innovation de Coen et Schumacher (2006),
celles-ci correspondent à la première phase
(« appropriation ») du modèle de l’innovation
de Depover, Strebelle et De Lièvre (cf. infra) ;
- Les « débutants (+) » commencent
à se décentrer de l’outil pour envisager de nouvelles
perspectives d’usage, mais, en pratique, eux aussi se contentent surtout
de reproduire l’existant, ils n’utilisent que peu les
fonctionnalités disponibles et ils s’appuient sur leurs
réseaux professionnels pour trouver du soutien et de l’aide ;
- Les « confirmés » se sont
emparés de la plupart des technologies (utilisées dans la
même acception que technologies de l’information et de la
communication), ils se servent des réseaux pour mutualiser des ressources
et apporter de l’aide aux autres et ils sont très actifs au plan
social ;
- Quant aux « experts », les moins nombreux, ils
ont bien compris les enjeux des TIC (technologies de l’information et de
la communication) qu’ils utilisent de manière
régulière dans leurs pratiques.
Les objectifs de cette seconde étape de la recherche étaient de
tester la permanence dans le temps de ces quatre catégories
d’utilisateurs et, le cas échéant, de chercher à
savoir si, au cours des années qui se sont écoulées entre
2009 et 2014, toutes ces catégories ont ou non évolué de la
même manière du point de vue de leurs usages pédagogiques
avec les TIC (avec ou hors ENT).
Par ailleurs, les résultats de la première étape de la
recherche montraient que, contrairement à ce que pourrait laisser
supposer la plupart des modèles de généralisation TIC en
formation (Savoie-Zajc, 1993), (Moersch, 1995), (Depover et al., 2007), (Lebrun, 2008),
la généralisation des usages pédagogiques ne suit pas une
progression linéaire (ou continue) entre les stades. En effet,
« il peut y avoir à certains moments stagnation, voire retour
à des niveaux antérieurs, de sorte qu’il n’existe pas
de progression linéaire d’une phase à l’autre.
C’est l’un des résultats majeurs de cette étude
corroboré par d’autres travaux de recherche, tel par exemple le
modèle d’intégration des TIC développé par (Deaudelin et al., 2002) selon lequel, chaque fois qu’un enseignant aborde une nouvelle
application, ses préoccupations et les utilisations observées
montrent un retour à des niveaux antérieurs » (Poyet et Genevois, 2012, p. 97).
La stagnation, voire la régression, de certains usages nous semble
également possible même lorsque la technologie a été
intégrée dans les pratiques des enseignants et qu’elle ne
représente plus une nouveauté, notamment par le fait que cinq ans
se sont écoulés. Nous formulons l’hypothèse que les
utilisateurs ont tendance à évoluer différemment, que la
généralisation des ENT suit donc plusieurs trajectoires
d’usages et que l’évolution observée chez les
enseignants peut être analysée en termes soit de progression (avec
un élargissement des usages), soit de stagnation (ne correspondant
à aucune évolution apparente), soit encore de régression
(avec une diminution de la fréquence d’usage de certaines
fonctionnalités des ENT).
Nous nous sommes appuyée, dans ce travail, sur les mêmes
concepts, modèles théoriques et dispositifs de recueil des
données que ceux que nous avions utilisés en 2009 et qui sont
succinctement présentés ci-dessous.
2. Concepts, modèles théoriques et outils de mesure
D’une manière générale,
l’acronyme ENT est ambigu : le E de ENT, qui signifie tantôt
« espace » tantôt
« environnement », met l’accent soit sur un
périmètre virtuel plus ou moins éloigné du lieu
géographique où se déroule l’activité
(espace), soit sur un caractère de proximité dans la mesure
où l’ENT « environne » virtuellement ses
utilisateurs. De cette première ambiguïté peuvent
naître des représentations différentes chez les enseignants
qui peuvent le considérer comme un moyen de travailler localement en
automatisant certaines tâches (environnement de travail) ou de mener des
activités dans des espaces virtuels éloignés. Floue pour
les usagers, la notion d’ENT est également polysémique au
niveau du MEN français : c’est à la fois, un projet
gouvernemental visant à favoriser le développement des TIC pour
l’enseignement au sein des établissements, un ensemble de services
numériques, un dispositif technologique, un portail de ressources, ou
encore un regroupement de TIC. C’est dans cette dernière acception
que nous utiliserons ici cette notion et, chaque fois que nous le pourrons, nous
nous attacherons à expliciter à quelle technologie nous faisons
référence pour analyser les activités pédagogiques
liées à l’usage des ENT.
En ce qui concerne la notion d’usage, bien que son explicitation soit
loin d’être récente et date des années 1970 dans
lesquelles la technique était perçue comme un levier de croissance
économique ayant un impact direct sur la société, elle
constitue encore un problème résistant au sein de la
communauté des chercheurs en Sciences humaines et sociales travaillant
sur les TIC. Selon Serge Proulx, l’étude des usages humains des TIC
constitue « une entrée méthodologique
privilégiée [...] si l’on veut s’approcher
scientifiquement de cette problématique, il est nécessaire de
décrire systématiquement les usages humains de ces technologies,
c’est-à-dire appréhender ce que les gens font effectivement
avec ces objets techniques » (Proulx, 2002, p. 1).
Nous adhérons pleinement à ce point de vue méthodologique
pour analyser les usages des ENT et c’est pour cette raison que nous nous
intéressons ici aux activités pédagogiques des enseignants.
De plus, dans la perspective d’une « genèse des
usages » (Rabardel, 1995) où des états quasi stables finissent par succéder à
des régimes perturbés et transitoires, Éric Bruillard et
Georges-Louis Baron (Baron et Bruillard, 2004),
s’appuyant sur la modélisation de Norbert Alter en trois phases
intitulées respectivement invention, innovation et banalisation (Alter, 2001),
précisent que la banalisation des usages dans l’enseignement peut
être considérée comme une phase de
« scolarisation ». Dans cette phase, l’enseignant a
intégré la technologie de manière régulière
en cohérence avec la forme scolaire. La scolarisation permet ainsi
à la technologie de trouver une utilité dans un système
« conservateur » comme peut l’être le
système scolaire. Par conséquent, il apparaît opportun
d’envisager le développement des usages comme un continuum qui
commence par de simples utilisations parfois très ponctuelles, qui se
poursuivent par des usages de plus en plus réguliers en lien avec les
pratiques scolaires des enseignants. Nous parlerons donc d’usages à
propos des activités mises en œuvre dès le début de
l’appropriation de la technologie, éventuellement de manière
ponctuelle et occasionnelle.
En outre, bien qu’existent d’autres modèles tout aussi
pertinents, tels que CBAM (Hall et Hord, 1987),
LoTi (Moersch, 1995),
SOTL (Lebrun, 2008)3,
etc., nous avons utilisé celui de l’innovation de Depover,
Strebelle et De Lièvre (Depover et al., 2007) pour appréhender la généralisation des usages des ENT. Ce
modèle est organisé en trois phases : appropriation,
structuration et diffusion des usages. La phase
d’« appropriation » des TIC correspond à une
première mise en contact des acteurs avec le prototype
d’innovation. Toute forme d’utilisation est considérée
comme le début du développement des usages et les intentions
d’usage qui ne sont pas suivies d’usages réels sont exclues
de cette première phase d’« appropriation ».
Lors de la phase de « structuration », les acteurs
identifient les usages dont ils tirent le meilleur parti en termes
d’efficacité et qui sont les plus bénéfiques pour
construire des réseaux sociaux à caractère professionnel.
Lors de la dernière phase, celle de « diffusion »,
les utilisateurs consolident et stabilisent leurs usages tout en restant ouverts
à de nouveaux changements technologiques.
Bien qu’il soit pertinent pour notre recherche à plus d’un
titre, le modèle de Depover, Strebelle et De Lièvre
présente quelques limites. En effet, l’approche diffusionniste dont
est issu ce type de modèles en stades suggère que
l’innovation techno-pédagogique liée au développement
des usages avec les TIC suit une progression régulière d’un
stade à l’autre ; ce qui ne rend pas toujours bien compte de
la réalité complexe dans laquelle les enseignants travaillent.
À la suite d’une première version de ce modèle (Depover et Strebelle, 1997),
Coen et Schumacher ont réalisé un outil d’évaluation
du niveau de généralisation des TIC en procédant au
positionnement d’enseignants à l’égard de
l’utilisation pédagogique des TIC (Coen et Schumacher, 2006).
Cet outil qui est relativement simple à mettre en œuvre nous a
permis, au plan méthodologique, de pondérer nos données
lors de leur recueil et d’identifier les quatre catégories
d’enseignants décrites plus haut.
Malgré ses limites, le modèle de Depover et al. (2007)
nous a été très utile pour poser des éléments
de cadrage afin d’analyser les écarts observés entre 2009 et
2014 au regard des usages pédagogiques des enseignants avec les ENT. Il
nous est aussi apparu pertinent pour notre travail parce qu’il prend en
compte les dimensions autant technologiques et pédagogiques que
psychologiques et sociales.
Ainsi, au plan technologique, la maîtrise des TIC peut se traduire par
de l’alphabétisation technologique en phase d’appropriation
(adoption) ou bien, en phase de diffusion, par la reconnaissance du fait que les
TIC ne sont pas une fin en soi, mais un moyen pour transmettre des
connaissances. Au regard de la dimension pédagogique, en phase
d’appropriation, les TIC sont exploitées pour des usages
pédagogiques fermés et limités contrairement à la
phase de diffusion où l’on observe des usages innovants. Dans la
suite de ce texte, les dimensions technologique et pédagogique seront
regroupées en « technico-pédagogique » car
elles sont, la plupart du temps, difficiles à dissocier. Concernant la
dimension psychologique, cet outil tient compte, par exemple, du sentiment
d’incertitude, de la frustration ou bien de l’enthousiasme de
l’enseignant. Enfin, pour la dimension sociale, il s’agit, par
exemple, d’évaluer la dépendance ou
l’indépendance de l’enseignant vis-à-vis de son
réseau de soutien.
3. Méthodologie de la recherche
Un recueil d’informations effectué en
2009 dans deux académies, Isère et Auvergne, a été
reconduit dans le cadre de l’École supérieure du professorat
et de l’éducation (ESPE) de Lyon, cinq ans plus tard, dans les
mêmes académies au sein desquelles on peut considérer que le
fonctionnement des ENT a été globalement peu modifié en
dehors de l’accroissement des équipements. En 2014, la
méthodologie, qui repose principalement sur une approche quantitative,
s’est appuyée sur un questionnaire en ligne identique à
celui qui a été administré en 2009. Les enseignants ont
été informés de cette recherche à la rentrée
2013-2014 par leurs chefs d’établissements et par les listes de
diffusion académiques de l’Auvergne et de l’Isère.
Pour analyser les usages pédagogiques des ENT par les enseignants, nous
avons recensé les activités accomplies avec six
fonctionnalités présentes sur ces espaces : le cahier de
textes numérique, la messagerie, les forums, l’éditeur de
pages Web, les groupes de travail et le dépôt-échange de
fichiers. Les données recueillies étant de nature
déclarative, nous avons considéré ici comme
« usages » ce que les enseignants disent faire en termes
d’activités avec les ENT. De plus, comme en 2009, la nature des
activités pédagogiques et leur fréquence ont
été retenues ici comme des indicateurs pour évaluer le
niveau d’intégration des ENT dans les pratiques enseignantes. La
fréquence d’utilisation a été mesurée avec les
items suivants :
- « Je l’utilise un peu avec les
élèves », pour un usage occasionnel,
- « J’en ai un usage régulier avec les
élèves », pour un usage plus fréquent.
3.1. Le questionnaire
Le questionnaire, élaboré à partir d’une
pré-enquête menée entre 2006 et 2009 à partir
d’entretiens ouverts auprès d’une quinzaine
d’enseignants, est composé de trois parties :
A) « Afin de mieux vous connaître » permet de
caractériser les enseignants (âge, sexe, grade, ancienneté,
établissement d’appartenance et fonction particulière
à l’égard des TIC) ;
B) « Vos usages professionnels avec les TIC (hors ENT) dans et
hors de l’établissement ». Pour avoir une vision globale
des usages pédagogiques des enseignants avec les technologies, nous les
avons d’abord considérés indépendamment des
ENT ;
C) « Vos usages des différentes fonctionnalités
de l’ENT ». Contrairement à ce qui précède,
nous avons analysé les usages de six fonctionnalités
présentes sur les ENT. Certaines questions portent sur
l’utilisation ou non de ces fonctionnalités déclinées
par activité pédagogique.
3.2. Le traitement statistique des
données4
Les réponses aux questions à choix multiple ont donné
lieu à un codage particulier au regard des items de l’outil de
mesure de Coen et Schumacher (2006). Pour chaque dimension, 1 point a
été attribué pour les items correspondant à la phase
d’appropriation, 2 points pour la phase de structuration et 3 points pour
la phase de diffusion. Les données codées ont ensuite fait
l’objet d’un premier traitement statistique basé sur une
analyse en composantes principales (ACP) des scores obtenus dans les
différentes dimensions. Le tableau 1 ci-dessous présente,
à titre d’illustration, un exemple du codage des réponses de
la question 13b effectué par Poyet et Genevois (Poyet et Genevois, 2012, p. 90).
« Tableau 1 • Codage des
réponses à la question 13b : utilisez-vous la messagerie de
l’ENT ? »
13b - Je l'utilise régulièrement avec les élèves |
Dimension pédagogique |
Dimension technologique |
Dimension psychologique |
Dimension sociale |
Pour de l'aide personnalisée aux élèves |
2 |
1 |
2 |
|
Pour organiser la discussion entre les élèves |
2 |
1 |
2 |
3 |
Pour encadrer un projet pédagogique |
2 |
1 |
2 |
3 |
Total des scores calculés |
6 |
3 |
6 |
6 |
En outre, un second traitement statistique basé sur une analyse
factorielle multiple (AFM) a porté sur les données issues de ces
mêmes questions à choix unique ou multiple, par simple codage des
réponses (par exemple Oui=1 et Non=0), indépendamment des
dimensions ci-dessus.
Nous avons mis en œuvre, pour la détermination de profils
d’usagers, une méthode de classification à partir des
premiers facteurs de l’analyse factorielle (ACP et AFM). À partir
des scores calculés, l’ACP, suivie d’une classification
ascendante hiérarchique (CAH), a permis, comme en 2009, de mettre en
évidence les quatre catégories d’enseignants décrites
plus haut et de constater que ces catégories demeuraient pertinentes.
3.3. Caractéristiques générales de la population
enquêtée
En juin 2014, nous avons recueilli 1492 questionnaires auprès
d’une population enquêtée d’environ
8700 enseignants (soit un taux de réponses un peu supérieur
à 17 %). Selon les statistiques nationales émises par le
Ministère de l’Education Nationale (MEN,, 2014), la
population des répondants ne présente pas de distorsions
remarquables au regard des caractéristiques sociodémographiques
disponibles, à savoir : proportion d’hommes (40 %) et de
femmes (60 %), âge moyen (44 ans). Le nombre des répondants,
qui passe de 850 en 2009 à 1492 en 2014 (soit une augmentation
d’environ 75 %). Toutefois, les enseignants répondant sur la
base du volontariat et anonymement, ce taux est, cette année encore,
relativement peu élevé et nous n’avons pas les moyens de
savoir si les participants à l’enquête de 2009 y ont
également participé en 2014. Le nombre croissant de
réponses laisse toutefois supposer que l’effectif des enseignants
motivés à répondre à un questionnaire sur ce
thème augmente globalement à cause de la
généralisation des équipements dans les deux
académies considérées, Auvergne et Isère. En effet,
certains établissements, encore en expérimentation en 2009 ou
faisant l’objet d’une étude préalable,
n’étaient pas encore équipés d’ENT, alors
qu’en 2014, la plupart des établissements de ces académies
étaient parvenus, selon le MEN, au stade de généralisation
des matériels. Enfin, la quasi-totalité des répondants
(98 % en 2014 et 95 % en 2009) sont des enseignants en exercice, les
autres étant d’anciens enseignants ayant évolué vers
d’autres statuts, tels que chef d’établissement, conseiller
principal d’éducation, responsable des technologies
éducatives.
Les informations recueillies étant de nature uniquement
déclarative, la portée de nos résultats est relativement
limitée. En outre, le volontariat qui a présidé aux
réponses implique la seule participation des enseignants les plus
motivés, c'est-à-dire sans doute de ceux qui utilisent le plus les
ENT, et ne permet pas de garantir la représentativité de
l’échantillon. De plus, l’absence de certitude quant à
la présence des mêmes enseignants dans les deux vagues
d’enquête relativise la validité de l’approche
longitudinale. Nous avons néanmoins, dans le cadre de ce travail
exploratoire, été amenée à considérer les
deux populations comme comparables. Il n’en reste pas moins qu’une
nouvelle recherche devrait être menée, fondée sur une
nouvelle enquête auprès des répondants de 2014 afin de
renforcer la fiabilité de notre approche.
4. Évolution des usages et de la représentation des
catégories d’utilisateurs (2009-2014)
4.1. Évolution des usages par fonctionnalité : une
certaine progression
D’une manière générale,
comme le montre la figure 1 ci-dessous, les pourcentages
d’enseignants-utilisateurs des ENT varient en fonction du type de
fonctionnalité (de 2,7 % pour l’éditeur de pages Web
à 80 % pour le cahier de textes numérique). La comparaison
des pourcentages d’utilisateurs entre 2009 et 2014 fait apparaître,
sur l’ensemble des populations enquêtées, une augmentation
des usages pour quatre sur six des fonctionnalités
considérées : messagerie, dépôt-échange
de fichiers, groupes collaboratifs, forums. Toutefois, l’utilisation du
cahier de textes numérique, soumise à une injonction forte du
ministère qui l’a rendue obligatoire en 2010 et qui atteint
peut-être son niveau maximal, reste globalement stable, mais évolue
différemment, ainsi que nous le verrons plus loin, en fonction des
catégories d’utilisateurs. Quant à l’éditeur de
pages Web, le pourcentage des usages déclarés stagne à
moins de 3 %, ce qui semble indiquer que cet outil trouve difficilement une
utilité en classe.
Figure 1 • Comparaison diachronique du
pourcentage d’enseignants utilisateurs par fonctionnalité
Nous observons donc, globalement, une progression du pourcentage
d’enseignants-utilisateurs des ENT par fonctionnalité entre 2009 et
2014. Qu’en est-il de cette progression à l’intérieur
de chaque catégorie d’utilisateurs ? Ou, en d’autres
termes, conformément à notre question initiale : toutes les
catégories d’utilisateurs ont-elles évolué de la
même manière au cours des années qui se sont
écoulées entre 2009 et 2014 ? Pour tenter de répondre
à cette question, nous nous intéresserons d’abord à
l’évolution entre les deux échantillons de la
représentation des différentes catégories
d’utilisateurs des ENT et à celle des phases
d’intégration des ENT par catégories
d’utilisateurs.
4.2. Évolution de la représentation des catégories
d’utilisateurs : une relative stabilité
En termes de répartition des différentes catégories
d’enseignants dans l’échantillon étudié (cf.
tableau 2 ci-dessous), on constate que les proportions d’enseignants
« débutants » (dans leur globalité),
« confirmés » et « experts »
présentent une assez grande stabilité entre 2009 et 2014
(-0,2 % pour les premiers, +0,6 % pour les deuxièmes et
+0,5 % pour les derniers). Pour autant, constitutifs de la catégorie
des débutants, de loin la plus nombreuse (respectivement 74,7 % et
74,5 % au total), les débutants (-) et (+)
n’évoluent pas de manière identique : une augmentation
de 7,1 % des débutants (-) est compensée par une baisse
de 7,3 % des débutants (+).
Tableau 2 • Comparaison de la
répartition des différentes catégories sur 5 ans
Catégories d’usagers
Évolution |
Débutants (-) |
Débutants
(+) |
TotalDébutants |
Confirmés |
Experts |
Total |
Pourcentage en 2009 |
44,9 % (N = 382) |
29,8 % (N = 253) |
74,7 % (N = 635) |
17,4 % (N = 148) |
7,9 % (N = 67) |
100 % (N = 850) |
Pourcentage en 2014 |
52 % (N = 776) |
22,5 % (N = 335) |
74,5 % (N = 1111) |
18 % (N = 269) |
7,4 % (N = 112) |
100 % (N = 1492) |
Évolution sur 5 ans |
↑ +7,1 % |
↓ -7,3 % |
= -0,2 % |
= +0,6 % |
= +0,5 % |
|
Alors que les pourcentages de confirmés et d’experts demeurent
assez similaires, le pourcentage des débutants (-) augmente tandis
que celui des débutants (+) diminue. Ce constat nous interroge quant
aux raisons de cette évolution. Nous pouvons supposer que
l’intégration des ENT progresse dans l’ensemble de la
population enseignante pour des activités de base (telle la saisie de
notes ou l’utilisation d’une messagerie pour communiquer),
relativement faciles à mettre en œuvre en contexte scolaire, ne
sollicitant que peu de compétences nouvelles et permettant donc de rester
dans un périmètre de sécurité sans nécessiter
un grand investissement en termes d’appropriation des TIC. On pourrait
alors faire l’hypothèse qu’une partie des
débutants (+) qui ne se sent pas capable ou ne souhaite pas, soit
mettre en œuvre des pratiques professionnelles différentes, soit
acquérir de nouvelles compétences (notamment
technico-pédagogiques), renoncerait partiellement à
l’investissement précédemment fourni et se retrouverait dans
la catégorie des débutants (-), contribuant ainsi à
l’évolution inverse de la représentation des
catégories débutants (+) et débutants (-) entre
2009 et 2014.
5. Évolution des phases d’intégration des ENT par
catégories d’utilisateurs : quelques avancées
Au plan des dimensions de Coen et Schumacher (2006),
technique et pédagogique (regroupées ici en
« technico-pédagogique »), psychologique et sociale,
le tableau 3 ci-dessous montre qu’en 2009 les enseignants
débutants (-) et (+) et les confirmés étaient en phase
d’appropriation, donc les moins avancés en termes
d’intégration technico-pédagogique, alors que les experts
étaient en phase de diffusion. Concernant les dimensions psychologique et
sociale, les débutants (-) et (+) étaient en phase de
structuration et les enseignants les plus expérimentés
(confirmés et experts) se démarquaient de ces deux
catégories en étant en phase de diffusion.
En 2014, nous retrouvons la même configuration pour les dimensions
sociale et psychologique, seule la dimension technico-pédagogique a
progressé d’une phase à l’autre pour les
débutants (+) et les confirmés, faisant apparaître une
meilleure prise en compte des possibilités offertes par les ENT au plan
pédagogique et une utilisation plus régulière des TIC, sans
pour autant que la centration cesse de porter sur la maitrise de celles-ci.
Cette progression en phase de structuration n’est toutefois que partielle
pour les débutants (+) ainsi que le montre la coprésence des
deux phases (appropriation et structuration). Les pratiques de certains
d’entre eux conservent alors les caractéristiques de la phase
d’appropriation, c'est-à-dire qu’ils « substituent
le livre et le classeur au profit de la machine, qu’ils effectuent un
tâtonnement personnel par essai-erreur et conduisent de très
petites activités pédagogiques fortement
accompagnées » (Coen et Schumacher, 2006, p. 11).
Tableau 3 • Phases d’intégration
des ENT par catégorie d’enseignants
Catégories d’usagers
Dimensions |
Débutants (-) |
Débutants (+) |
Confirmés |
Experts |
Technico-pédagogique |
Appropriation en 2009 et 2014 |
Appropriation en 2009
Appropriation et structuration
en 2014 |
Appropriation en 2009
Structuration
en 2014 |
Diffusion en 2009 et 2014 |
Psychologique |
Structuration
en 2009 et 2014 |
Structuration
en 2009 et 2014 |
Diffusion
en 2009 et 2014 |
Diffusion
en 2009 et 2014 |
Sociale
en 2009 et 2014 |
Structuration |
Structuration |
Diffusion |
Diffusion |
Si une partie de la catégorie des débutants (+) semble
avoir trouvé un bénéfice aux usages des ENT et progresse
vers la catégorie des experts, l’autre partie n’est pas
passée à la phase de structuration dans la dimension
techno-pédagogique et semble être venue grossir la catégorie
des débutants (-). Nous pouvons supposer qu’en dessous
d’un certain niveau d’expertise, certains débutants (+)
pourraient perdre plus facilement leurs acquis et se désintéresser
des TIC, par exemple en cas de changement technologique ou de
fléchissement de la pression sociale. En revanche, une fois ce saut
effectué, la phase de structuration chez les confirmés, et,
surtout celle de diffusion chez les experts permettraient enfin une utilisation
confortable et avisée des TIC.
6. Usages des TIC hors ENT et des fonctionnalités des ENT
6.1. Usages des TIC hors ENT : des différences en fonction des
catégories d’enseignants
En 2014, nous observons des différences
importantes dans les usages des TIC (hors ENT) selon les catégories dans
lesquelles ont été classés les enseignants, sauf en ce qui
concerne la saisie des notes qui revêt un caractère obligatoire
pour tous. Il apparaît donc que la nature des activités
pédagogiques avec les TIC contribue à la discrimination des
différentes catégories d’enseignants. Comme le montre la
figure 2 ci-dessous, certaines activités, notamment celles qui sont
en lien avec l’insertion des enseignants dans des réseaux
professionnels (mutualisation des ressources, abonnement à des listes de
diffusion) ou avec la formation de leurs élèves (faire
créer des documents numériques par les élèves,
tester des logiciels éducatifs, préparer au B2i) sont plus
fréquentes chez les enseignants les plus expérimentés.
Figure 2 • Activités pédagogiques hors ENT par
catégorie d’enseignants (2014)
Ainsi, parmi les experts, 59 % sont abonnés à des listes
de diffusion professionnelles contre 24 % des débutants (-). De
même, 83 % des experts mutualisent leurs ressources contre seulement
54 % des confirmés et des débutants (+) et 39 % des
débutants (-). Le fait de tester des logiciels éducatifs et
de créer des documents numériques sont aussi des activités
plus fréquentes chez les experts que chez les
débutants (-) : respectivement 75 % contre 38 % et
87 % contre 45 %. Cette tendance est identique en ce qui concerne le
fait de préparer les élèves au B2i : 63 % des
experts s’y emploient contre 30 % des débutants (-).
Enfin, comme en 2009, l’usage du tableau numérique interactif
(TBI) est peu développé quelles que soient les
catégories.
Corroborant ceux de 2009 (Poyet et Genevois, 2012),
ces résultats montrent que plus les enseignants s’approprient les
ENT, plus leurs usages se diversifient et plus ils mutualisent leurs ressources
avec d’autres enseignants.
6.2. Évolution des usages des fonctionnalités des
ENT : entre progression, stagnation et régression
En 2009, nos résultats montraient que presque tous les enseignants les
moins expérimentés ne s’étaient emparés que
d’une seule des fonctionnalités proposées par les ENT
à la différence des autres catégories qui avaient
développé des usages avec la plupart d’entre elles. Ainsi,
les débutants (-) utilisaient préférentiellement le
cahier de textes numérique et les débutants (+) avaient
surtout développé des usages avec la messagerie, contrairement aux
confirmés et aux experts qui se servaient de toutes les
fonctionnalités, et particulièrement des fonctionnalités
« groupes de travail » et
« dépôt-échange de fichiers »
(cf. figures 3a et 3b ci-dessous). En 2014, quelles que soient les
fonctionnalités des ENT, la fréquence des usages occasionnels ou
réguliers chez les débutants (-) a très peu
progressé. Elle a même régressé en ce qui concerne le
cahier de textes numérique, passant, pour son usage régulier, de
74 % en 2009 à 61 % en 2014, ce qui laisse supposer que la
contrainte exercée par les consignes ministérielles sur les
enseignants ne constitue pas un élément de motivation durable.
L’analyse des résultats aux questions ouvertes relatives aux
raisons pour lesquelles les enseignants n’utilisent pas ou peu certaines
fonctionnalités montre que le problème d’accès ou de
matériel est secondaire, c’est surtout le manque
d’intérêt, d’utilité ou de besoin qui ressort.
Par exemple, certains enseignants déclarent n’y trouver
« aucun gain pédagogique par rapport aux moyens
usuels » ou bien ne pas savoir « à part la
messagerie, ce que l’on peut faire avec des collègues sur
l’ENT ». Certains en voient surtout les contraintes :
« cela ne m’aiderait en rien, rien que des
complications ». Les problèmes techniques sont toutefois
évoqués et certains souhaiteraient pouvoir
bénéficier d’une aide lorsque les difficultés se
posent : « Je suis hermétique à l’outil
informatique et je n’ai personne pour m’aider ». Les
causes de cette absence de recours aux ENT semblent donc être
multiples : perception d’une faible utilité de ses
fonctionnalités en matière de pédagogie, absence de
satisfaction quant aux effets obtenus, raisons de confort ou présence de
contraintes, « résistance au changement »,
sous-estimation de l’effort demandé pour conduire des
activités qui sortent de leurs habitudes, manque d’aisance
technique et besoin d’un accompagnement, sentiment
d’isolement...
Figure 3a • Fréquence des usages
pour les débutants (-)
Contrairement à la fréquence des usages chez les
débutants (-), en faible progression, celle des
débutants (+) augmente pour certaines fonctionnalités :
plus de 40 % pour le dépôt-échange de fichiers et plus
de 30 % pour les groupes de travail, ce qui correspond à une nette
progression dans l’appropriation de fonctionnalités relativement
peu utilisées par ce groupe en 2009, bien que ces usages demeurent
principalement occasionnels, sauf en ce qui concerne le cahier de textes
numérique (cf. figures 3a ci-dessus et 3b ci-dessous).
Figure 3b • Fréquence des usages pour les
débutants (+)
En fait, en dehors du cahier de textes numérique pour les
débutants (+), il s’avère que les débutants dans
leur ensemble ont développé très peu d’usages
réguliers en 2014.
Figure 3c • Fréquence des usages pour les
confirmés
En revanche, pour les confirmés et les experts (cf. figures 3c
ci-dessus et 3d ci-dessous), les usages occasionnels de la plupart des
fonctionnalités des ENT ont eu tendance à régresser au
profit d’une augmentation des usages réguliers. En particulier, la
tendance est à la hausse pour les usages réguliers de la
messagerie et du cahier de textes pour les confirmés qui sont, en 2014,
plus de 80 % à les utiliser régulièrement, de
même que les experts par rapport au cahier de textes numérique
(87 % en 2014 contre 27 % en 2009).
Figure 3d • Fréquence des usages pour les
experts
De plus, la logique d’appropriation du cahier de textes
numérique chez les experts n’est pas la même que celle des
débutants (-). Alors que, en 2009, contrairement aux experts
(27 %), les débutants (-) avaient intégré
massivement (74 %) le cahier de textes numérique sous l’effet
de l’obligation ministérielle, les rapports s’inversent en
2014 avec, comme évoqué précédemment, un
fléchissement de 13 % de son usage pour les
débutants (-) et une augmentation de 60 % pour les experts. Ce
« rattrapage » se traduit chez les experts par une forte
progression des usages de ce cahier pour y consigner des informations plus
différentes (+59 %) que semblables (+4 %) à celles
qu’ils consignaient dans le cahier de textes imprimé (cf.
figure 4, ci-dessous). Parmi les informations différentes, les
enseignants déclarent par ordre d’importance (Poyet, 2015) donner des compléments au cours comme des schémas ou des textes,
mettre des liens vers des ressources sur Internet, consigner la trace
écrite complète du cours, demander aux élèves de
leur renvoyer leur travail par l'ENT, distribuer des contrôles à
faire à la maison, etc.
Figure 4 • Utilisation du cahier de textes numérique par
catégorie d’enseignants (2009 versus 2014)
En 2014, l’évolution porte ainsi à 74 %, le
pourcentage d’experts se servant du cahier de textes de l’ENT pour
consigner des informations différentes et à 23 %, celui des
débutants (-). Cette tendance s’inverse lorsqu’il
s’agit de consigner les mêmes informations (respectivement 43 %
et 85 %). Cela confirme les résultats précédents
montrant que les enseignants les moins expérimentés
privilégient des usages qui leur permettent de ne pas trop
désorganiser leurs pratiques habituelles. Ainsi, ces derniers
résultats mettent en évidence le fait que les écarts entre
les catégories extrêmes ont tendance à s’accroitre
dans le temps. On remarque ainsi que le fait de consigner dans le cahier de
textes numérique autre chose que dans un cahier de textes imprimé
tend à se développer dans toutes les catégories
d’enseignants au fil du temps avec des progressions variables selon les
cas, la plus forte étant celle des experts et la plus faible celle des
débutants (-).
Outre les progressions ou stagnations des usages qui varient selon les
technologies et les groupes d’enseignants, on observe également une
régression de leur fréquence pour certaines
fonctionnalités, notamment chez les débutants (-). De
même, bien que le groupe des confirmés utilise en 2014 de plus en
plus régulièrement la plupart des fonctionnalités (au lieu
d’occasionnellement en 2009), certaines de leurs activités
pédagogiques, comme le recours à des groupes de travail, semblent
régresser. Nous pouvons donc supposer que lorsque l’usage passe du
statut occasionnel à régulier, l’enseignant
privilégie certaines activités plus conformes à une forme
scolaire de nature transmissive (distribuer des documents, apporter un
complément aux cours, évaluer, etc.).
Ainsi, notre hypothèse s’avère confirmée dans la
mesure où nous avons effectivement observé que la
généralisation des ENT suit plusieurs trajectoires
d’usages :
- une progression linéaire régulière dans
laquelle les enseignants commencent à intégrer occasionnellement,
puis plus régulièrement, certaines fonctionnalités ;
c’est ce que l’on remarque avec les débutants (+) qui
testent les possibilités des différentes fonctionnalités et
les adoptent progressivement. Cette progression se traduit d’une
manière générale par un élargissement des usages
à l’ensemble des fonctionnalités : les experts
utilisent de manière régulière toutes les
fonctionnalités de l’ENT alors que les débutants (-) et
(+) ont un usage très occasionnel, voire quasi inexistant, de certaines
fonctionnalités.
- une progression non linéaire qui ne s’exprime pas de
la même manière en fonction des dimensions observées :
par exemple, la dimension technico-pédagogique est en phase
d’appropriation alors que les autres dimensions sont en phase de
structuration (cf. tableau 3). Cette progression est également
différente selon les fonctionnalités et selon les groupes. Par
exemple, la progression des pratiques des débutants concerne
principalement les activités pédagogiques facilement
transférables de leurs pratiques scolaires, mais elles sont ensuite
susceptibles de régresser.
- une régression des usages dans certaines catégories.
Par exemple, que ce soit à titre occasionnel ou de manière
régulière, on constate une baisse de la fréquence des
usages du cahier de textes chez les débutants (-) (cf.
figure 3a) et du groupe de travail chez les confirmés (cf.
figure 3c). Toutefois, toujours pour les confirmés, on observe une
évolution positive quant à la dimension
technico-pédagogique, qui passe de la phase d’appropriation
à celle de structuration (cf. tableau 3). Par conséquent,
cette régression n’impacte pas forcément la progression
globale de cette catégorie où l’on repère, pour la
plupart des fonctionnalités, des usages plus réguliers et moins
occasionnels.
- une relative stabilité des usages des experts qui utilisent
toutes les fonctionnalités de manière régulière et
pour des usages diversifiés. La seule évolution importante
constatée en cinq ans pour ce groupe est l’utilisation accrue du
cahier de textes pour consigner d’autres informations qu’avec le
cahier de textes imprimé. Cette stabilité s’observe aussi
(cf. figure 3b) dans d’autres catégories moins
expérimentées, par exemple l’usage occasionnel de la
messagerie chez les débutants (+).
7. Conclusion
Notre recherche montre que dans la première
phase (appropriation), les enseignants débutants (-)
n’utilisent régulièrement qu’une seule
fonctionnalité des ENT (le cahier de textes) pour effectuer des
activités de reproduction. Les débutants (+) commencent
à s’emparer des autres fonctionnalités, mais leurs usages
demeurent occasionnels et peu innovants. Ces deux catégories de
débutants, qui en sont aux premiers essais, les plus coûteux en
termes d’investissement, seraient les plus vulnérables dans le
temps en cas de difficultés et en l’absence de soutien.
Dans une deuxième phase (structuration), les usages sont
perturbés car ils changent de niveau de régularité. Ils
sont moins occasionnels que précédemment et l’on assiste
à des formes de régression quant à l’usage de
certaines fonctionnalités au profit du développement
d’usages réguliers d’autres fonctionnalités. Les
enseignants expérimentent, puis reviennent en arrière ou
progressent. C’est le passage entre les phases d’appropriation et de
structuration, au cours duquel nous avons observé des retours en
arrière chez les débutants (+), qui apparaît le plus
problématique ; la phase de diffusion chez les confirmés et
les experts, qui permet principalement de consolider et de
« routiniser » les acquis, ne semble plus, quant à
elle, demander d’effort particulier. Pour favoriser le saut qualitatif
entre la catégorie des débutants (+) et celle des
confirmés et contrecarrer d’éventuelles régressions,
il apparaît donc essentiel d’accompagner dans la durée ces
enseignants dont les pratiques sont mal stabilisées pour les aider
à développer de nouvelles compétences et des projets
communs avec des pairs plus expérimentés.
Dans la troisième et dernière phase (diffusion), le processus
de généralisation des usages arrive à son terme : les
usages sont réguliers et concernent toutes les fonctionnalités de
l’ENT. L’appropriation d’une nouvelle fonctionnalité
permet d’emblée de réaliser des usages innovants sans passer
par des étapes intermédiaires. Il semblerait donc que,
lorsqu’un certain seuil d’expertise personnelle est atteint,
l’intégration de nouvelles fonctionnalités ne
nécessiterait plus d’investissement coûteux ;
c’est le cas chez les experts qui ne sont plus fragiles face aux
aléas des changements technologiques. Le dépassement de ce seuil
correspondrait ainsi à un stade avancé d’expertise
personnelle où certaines tâches sont devenues quasi-automatiques,
réduisant de la sorte le temps d’appropriation qu’elles
exigent. Les enseignants atteindraient alors un nouveau palier de confort
caractérisé par la stabilité et l’adoption des
technologies numériques qui deviendraient tout aussi routinières
que les usages des ENT pour des pratiques classiques chez les
débutants (-). Ainsi, avec le temps, il leur est de plus en plus
facile d’intégrer de manière régulière de
nouvelles technologies mais, rappelons-le, cette catégorie est de loin la
moins représentée dans nos échantillons.
Alors que le modèle théorique en phases de Depover, Strebelle
et De Lièvre (2007) pourrait suggérer que le processus de
généralisation des usages est de nature linéaire et que
l’innovation est acquise une fois pour toutes, les évolutions
observées montrent que ce n’est pas le cas. En effet, si nous
acceptons le postulat selon lequel les échantillons des enquêtes de
2009 et 2014 sont comparables au plan de leur représentativité,
force est de constater que les enquêtés ne progressent pas de la
même manière avec le temps. Il s’avère même,
comme nous l’avons vu, que – selon les TIC et les
catégories – certaines formes d’innovation
techno-pédagogique sont susceptibles de régresser, voire de
disparaître, au cours du temps, parfois pour des raisons externes aux
enseignants (le cas du cahier de textes numérique).
Notre contribution, bien que de portée limitée, a donc
davantage essayé de rendre compte d’une évolution globale
des usages des ENT dans la durée, ce qui représente une
originalité. En effet, l’une des critiques majeures et
récurrentes que l’on fait à la recherche dans le domaine des
TIC est de ne pas parvenir à capitaliser ses résultats par manque
d’études longitudinales sur ces thématiques (Bruillard, 2011).
Les modifications constantes des dispositifs technologiques mis à la
disposition des enseignants constituent un véritable écueil pour
cette recherche qui a du mal à s’ancrer dans le moyen ou le long
terme. De ce point de vue, les ENT constituent une opportunité car ils
permettent de repositionner et de réactualiser des problématiques
liées aux usages pédagogiques des TIC en général
avec une relative stabilité dans le temps puisque leur
généralisation n’est pas le fruit
d’expérimentations ponctuelles et disparates, mais d’une
planification nationale en France, au moins au plan des équipements.
D’autres recherches devraient suivre pour contribuer à cette
capitalisation escomptée.
Remerciements
Nous souhaitons présenter nos sincères
remerciements à Dominique Berger, directeur de la recherche de
l’ESPE de Lyon, à Valérie Fontanieu, chargée
d'études statistiques à l’Ifé-ENS de Lyon, à
Sylvain Genevois, maître de conférences à l’ESPE de
Cergy-Pontoise, à Viviane Glikman, enseignant-chercheur en Sciences de
l'éducation, à Bernard Mercati, responsable des TICE et du service
audio-visuel de l’ESPE de Lyon, à Bruno Hamy, adjoint au
délégué académique au numérique de
l’académie d’Isère, à Alain Mougniotte,
directeur de l’ESPE de l’académie de Lyon, à Peter
Steck, inspecteur d'académie et adjoint au délégué
académique au numérique de l'académie d'Auvergne et
à tous les enseignants qui nous ont permis de réaliser cette
recherche.
A
propos de l’auteur
Françoise POYET est
psychologue d’orientation cognitive et Professeure des Universités en Sciences de l'éducation, à l’Université Claude Bernard Lyon 1 -
École supérieure du professorat et de l’éducation.
Elle mène ses travaux de recherche sur les usages du numérique
à des fins d'enseignement et d’apprentissage dans le laboratoire
Éducation, Cultures, Politiques (ECP-EA 4571-Lyon 2).
Adresse : ESPE - 5, rue Anselme, 69317
Lyon Cedex
Courriel : francoise.poyet@univ-lyon1.fr
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Canada : Éditions Logiques.
1 Nous considérerons ici le
stade de « généralisation » comme étant
le stade le plus abouti du développement des usages avec les
technologies.
2 Institut National de Recherche
Pédagogique/Institut français de
l’éducation-École Normale Supérieure
3 CBAM : Concerns-Based
Adoption Model.
LoTi : Levels of Technology Implementation.
SOTL : Scholarship of Teaching and Learning.
4 Tous les traitements et analyses
statistiques ont été réalisés par une statisticienne
de l’Ifé-ENS à Lyon avec les logiciels Modalisa et Spad. Les
méthodes utilisées étant reconduites à
l’identique, le lecteur pourra se référer à
l’article (Poyet et Genevois, 2012, 88-92) pour davantage
d’informations.
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