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Perception de l’utilité et usages
pédagogiques d’environnements numériques de travail par des
enseignants du second degré
Françoise POYET (ÉSPÉ-Université
Lyon 1, ECP-Université Lyon 2)
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RÉSUMÉ : Cet
article s’attache à analyser la perception de
l’utilité d’environnements numériques de travail (ENT)
par des enseignants du second degré. Une recherche par questionnaires,
menée auprès de 1 492 enseignants exerçant dans
des collèges et lycées de deux académies françaises
(Auvergne et Isère) a permis de mettre en évidence
l’existence de relations entre leur perception de l’utilité
de l’ENT pour l’enseignement de leur discipline et certains facteurs
psycho-sociaux ou techno-pédagogiques. Trois logiques d’usages
pédagogiques de l’ENT apparaissent liées à cette
perception : logique d’innovation accompagnant la mise en œuvre
de modèles socioconstructivistes, logique de reproduction dans le
prolongement de leurs pratiques traditionnelles (modèles transmissifs) et
logique d’obligation due aux injonctions ministérielles.
MOTS CLÉS : TIC,
ENT, enseignants du secondaire, perception de l’utilité, usages
pédagogiques.
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Perception of usefulness and uses of digital work environments by high school teachers |
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ABSTRACT : This
article analyses the ways in which high school teachers perceive the usefulness
of digital work environments (below, digital work environment, "DWE"). A
survey of 1492 teachers in French junior high schools and high schools within
two regional education authorities (Academies of Auvergne and Isère)
focused on how their perception of the usefulness of DWEs in teaching their
subject relates to some psychosocial or techno-pedagogical factors. Three
pedagogical use rationales hinging on these users' varying perceptions of
usefulness of DWEs emerge: an innovation rationale based on socio-constructivist
models, a reproduction rationale grounded in traditional models of transmission,
and an obligation rationale due to the Ministry's directions.
KEYWORDS : ICT, DWE, high school teachers, perception of usefulness, pedagogical
uses. |
1. Introduction
L’introduction de nouveaux dispositifs
technologiques dans les établissements scolaires a suscité de
longue date tantôt méfiance et tantôt engouement de la part
des acteurs de l’enseignement. L’utilisation des environnements
numériques de travail (ENT), intégrés dès 2003 dans
les établissements français du second degré, est
aujourd’hui l’enjeu de nombreux débats. Depuis 2008, on
assiste à leur généralisation de telle sorte que,
d’après les statistiques du ministère de
l’Éducation nationale (MEN), à la rentrée scolaire
2014, toutes les académies étaient engagées dans au moins
un projet d'ENT, à des stades différents
(généralisation, expérimentation ou encore étude
préalable). Or, on constate que la généralisation des
usages de ces technologies ne suit pas forcément la même
progression que la généralisation des matériels dans les
établissements scolaires (Poyet et Genevois, 2007).
Selon Éric Bruillard, « le caractère affiché
comme inéluctable d’un déploiement industriel des ENT,
infrastructure jugée indispensable à la modernisation du
système éducatif, tranche avec des résultats de terrain
indiquant un professionnalisme "limité" » (Bruillard, 2011, p. 116).
Le décalage entre des attentes élevées chez les
décideurs et les pratiques des enseignants montrent bien que les
problèmes des acteurs du terrain sont très peu pris en compte, le
MEN préférant mettre l’accent sur des questions
d’aménagement technique.
Étant donné que les problèmes des enseignants sont
régulièrement sous-estimés, la responsabilité de la
lenteur de l’appropriation des ENT leur est souvent attribuée, au
moins en partie. Ce constat a été établi aussi bien en
France qu’à l’étranger, notamment par Larry Cuban (Cuban, 1986) qui
décrit une succession de phases consécutives à
l’introduction d’un nouveau dispositif technologique : une
euphorie accompagnée de discours prophétiques sur les changements
attendus, puis des études et des expériences pilotes,
l’émergence de problèmes lors de sa
généralisation et, enfin, des désillusions au cours
desquelles les enseignants sont suspectés d’immobilisme. Tout en
portant le poids de cette lenteur, en partie à tort, les enseignants sont
souvent désemparés face aux difficultés liées
à l’intégration des ENT dans leurs activités
professionnelles. Pour mieux connaître leurs difficultés et, en
corollaire, les conditions susceptibles de favoriser l’intégration
des ENT, nous essaierons d’étudier ici un ensemble de facteurs
intervenant sur leurs intentions d’usage.
En nous appuyant sur les analyses de Davis (Davis, 1989) et
de Dillon et Morris (Dillon et Morris, 1996),
selon lesquelles les intentions d’usage correspondent à la
résultante de la perception de l’utilité et de
l’utilisabilité1 des
technologies par les utilisateurs, nous nous attacherons à mieux
comprendre les facteurs qui influencent la perception de l’utilité
des ENT par les enseignants. La recherche présentée ici
s’insère dans la deuxième phase du projet
APPARENT2 (Poyet et Genevois, 2012) initié en 2007 à
l’INRP3 et actuellement
porté par l’École supérieure du professorat et de
l’éducation - université Claude Bernard Lyon1
(ÉSPÉ-UCBL1).
2. Intentions d’usage, usages et utilité des ENT
Le terme ENT recouvre un ensemble
d’éléments ambigus, autant pour des raisons conceptuelles
qu’en termes de contenus concrets (Poyet et Bacconnier, 2006).
En effet, selon les cas, ce terme est défini comme un espace ou un
environnement de travail, un ensemble de services ou d’outils, un projet
du MEN ou un dispositif techno-pédagogique. Sans entrer dans ce
débat et par souci de clarification, nous avons considéré
ici le terme ENT dans une acception stricte, en tant qu’espace
intégrateur d’outils numériques ou fonctionnalités
que sont la messagerie, les forums, l’éditeur de pages web, le
dépôt ou l’échange de fichiers, les groupes de travail
et le cahier de texte numérique. Ces fonctionnalités font partie
de ce qui est communément appelé les technologies de
l’information et de la communication (TIC) et n’ont rien de
spécifique à la pédagogie, au même titre que
d’autres outils classiques comme le papier, le crayon ou la gomme. En
conséquence, nous nous attacherons à expliciter, chaque fois que
nous le pourrons, à quelles fonctionnalités nous faisons
référence pour analyser les activités pédagogiques
réalisées par les enseignants avec les ENT.
Différents modèles d’analyse des usages avec les TIC font
apparaître que l’utilité est une dimension qui intervient non
seulement lors de la construction des usages, mais également lors de
l’élaboration des intentions d’usage par les utilisateurs
potentiels. En effet, selon Senach (Senach, 1990),
l’utilité est déterminée par la capacité du
système à offrir les fonctionnalités nécessaires
à l’utilisateur pour réaliser sa tâche dans de bonnes
conditions. D’après le modèle « 3P » de
Dillon et Morris (Dillon et Morris, 1996),
les interrelations existant entre l’« utilité »
(qui fait référence au verbe « pouvoir »
à l'origine du premier P),
l’« utilisabilité » (qui fait
référence à la notion de
« performance » à l’origine du second P)
et les « perceptions » (troisième P) contribuent
à faire émerger des « intentions »
d’usage chez les utilisateurs. Dans ce modèle, les intentions
d’usage sont proches du concept
d’« acceptabilité » des dispositifs par les
utilisateurs. En terme de définition, cette acceptabilité peut
renvoyer à « une attitude qui s’appuie sur une
représentation mentale basée sur un assemblage de
différents critères cognitifs [...] Une valeur est alors
donnée à l’objet, qui se manifeste par un avis,
c'est-à-dire une opinion qui est plus ou moins favorable à son
usage » (Schneewele, 2014, p. 119).
C’est également « la valeur de la représentation
mentale (attitude, opinion, etc. plus ou moins positive) d’un EIAH, de son
utilité et de son utilisabilité » (Tricot et al., 2003, p. 396).
C’est cette représentation mentale construite par le sujet à
l’égard de la valeur d’une technologie qui conditionnerait sa
décision de l’utiliser ou non.
L’acceptabilité revêt donc un caractère
probabiliste (intention d’usage probable), contrairement à la
notion d’acceptation qui « correspond plutôt à
l’intention avérée d’utiliser une technologie voire
même au comportement réel des utilisateurs vis-à-vis de
cette technologie » (Février, 2011, p. 20).
D’autres modèles, comme celui d’acceptation des technologies
(TAM - Technology Acceptance Model) de Davis et
al. (Davis et al., 1989),
considèrent que les intentions d’usage sont
déterminées par les attitudes des utilisateurs, elles-mêmes
influencées par l’utilité et la facilité
d’usage (utilisabilité) perçues par ces derniers. Pour
Nielsen (Nielsen, 1994),
l’utilité ou l’utilité pratique (usefulness) se
compose elle-même de l’utilité théorique
(c’est-à-dire le but que le système est censé
permettre d’atteindre) et de l’utilisabilité
(c’est-à-dire la maniabilité du système).
L’utilité pratique d’un système fait
référence, en général, aux capacités de
l’outil, c’est-à-dire à ses possibilités
d’aboutir aux usages pour lesquels il a été conçu. De
ce point de vue, la détermination de l’utilité repose soit
sur une confrontation réelle de ses possibilités lors de
l’utilisation de la technologie, soit, en l’absence de mise en
contact préalable, sur des présupposés. Pour établir
cette correspondance, l’enseignant devra ainsi évaluer le rapport
entre les bénéfices que lui procure l’utilisation de cette
technologie pour atteindre l’objectif fixé et ses coûts, en
termes de travail supplémentaire et d’effort cognitif, de
manière à ce que sa performance soit améliorée.
Selon Davis (Davis, 1986), (Davis, 1989),
l’utilité perçue est le degré avec lequel un
individu considère que l’utilisation d’un système est
susceptible d’améliorer sa performance au travail. C’est
cette définition de l’utilité pratique (utilité
théorique et utilisabilité) que nous retiendrons ici.
Dans le courant des années 2000, le modèle TAM a
été enrichi et a fait l’objet d’une seconde version
appelée TAM 2 (Venkatesh et Davis, 2000).
Dans le TAM 2, viennent s’adjoindre cinq catégories de
facteurs influençant l’utilité perçue : les
normes subjectives, l’image de soi, la pertinence de l’outil, la
qualité et l’efficacité des résultats. Les deux
premières catégories (normes subjectives et image de soi) semblent
relever d’aspects psycho-sociaux ; les autres (pertinence de
l’outil, qualité et efficacité des résultats) portent
davantage sur des facteurs techno-pédagogiques. D’après ce
modèle, la « volonté d’usage »
(voluntariness) ou « usages laissés à la
liberté de l’utilisateur » (Schneewele, 2014, p. 137),
et l’expérience de l’utilisateur interviendraient directement
sur les normes subjectives de ce dernier. De plus, d’autres travaux
confirment l’existence d’un lien entre l’expérience de
l’utilisateur en matière d’usages et l’intention
d’utiliser un ENT. Notamment, Pacurar et Abbas (Pacurar et Abbas, 2014) montrent que « l’utilisation de l’espace collaboratif et
des outils de communication a un effet significatif direct sur l’intention
d’intégration de l’ENT Scolastance autant dans les pratiques
des enseignantes que dans celles des enseignants » (Pacurar et Abbas, 2014, p. 23).
C’est dans cette perspective théorique que nous souhaitons
explorer ici l’expérience des utilisateurs quant à leurs
usages pédagogiques de l’ENT. Ainsi, nous formulerons une
première hypothèse en considérant certains facteurs
techno-pédagogiques : il existe une relation entre la nature des
usages pédagogiques réalisés avec les TIC (dans et hors
ENT) et l’utilité que les enseignants attribuent ou non à
l’ENT. Dans le même temps, toujours selon le TAM 2, les facteurs
psycho-sociaux contribueraient à la construction des normes subjectives
de l’utilisateur qui interviennent également sur la perception de
l’utilité. C’est ce que confirment Terrade et al. en précisant que « le système social contribue à
orienter les conduites des individus [...] en leur imposant des connaissances et
des actions qui ont de la valeur dans et du point de vue de ce fonctionnement
social » (Terrade et al., 2009, p. 389).
Parmi les facteurs psycho-sociaux liés au contexte professionnel, la
pression sociale peut s’exercer sur les enseignants par
l’intermédiaire de plusieurs groupes d’acteurs :
collègues, chefs d’établissement, employeur (MEN), parents,
etc. Pour circonscrire notre champ d’investigation, nous nous
intéresserons exclusivement ici à la pression sociale
exercée par les collègues des enseignants et par leur employeur
(MEN). Nous formulerons ainsi une autre hypothèse selon laquelle le fait
de travailler ou non avec leurs pairs en exploitant des outils collaboratifs est
lié à la perception qu’ils ont de l’utilité de
l’ENT.
En outre, parmi les normes subjectives, la croyance en leur capacité
à réaliser des performances particulières, ou sentiment
d’auto-efficacité personnelle (Bandura, 1982),
peut également intervenir sur l’utilité que les enseignants
attribuent à l’ENT. Ce sentiment d’auto-efficacité
sera analysé ici du point de vue de leur auto-appréciation
concernant leur maitrise des fonctionnalités de l’ENT. Toujours
parmi ces normes, nous considèrerons aussi leurs représentations
du cahier de texte numérique, devenu obligatoire depuis
20104. À ce sujet, nous
conjecturons que les enseignants ayant tendance à déclarer que ce
cahier de texte serait d’abord une obligation du ministère sont
proportionnellement plus nombreux à accorder peu d’utilité
à l’ENT. De même, il existerait un lien entre la pression
sociale exercée auprès des enseignants par le MEN et la nature des
usages pédagogiques réalisés avec le cahier de texte
numérique, cette pression n’incitant qu’à
l’utiliser mais non à le juger véritablement utile, ni
à en exploiter les différentes possibilités.
3. Méthodologie
Pour le recueil des données, nous avons
réalisé un questionnaire qui a été diffusé
par l’intranet des établissements du second degré des
académies d’Auvergne et d’Isère au cours de
l’année scolaire 2013-2014. Les enseignants ont été
informés de cette recherche par leurs chefs d’établissements
et par les listes de diffusion académiques.
Le questionnaire était composé de trois grandes
parties :
A) « Afin de mieux vous connaître » permet de
caractériser l’enseignant (âge, sexe, ancienneté,
établissement d’appartenance, fonction particulière à
l’égard des TIC), formation et information concernant les TIC et
les ENT.
B) « Vos usages professionnels avec les TIC (hors ENT), dans et
hors de l’établissement » détaille un ensemble
d’activités professionnelles déterminées avec les
enseignants lors des entretiens préalables (par exemple :
« je fais créer des documents numériques par les
élèves », « je crée des diaporamas pour
mes élèves », « je teste des logiciels
éducatifs »).
C) « Vos usages avec les différentes fonctionnalités
de l’ENT » traite des différents moyens utilisés
(messagerie, forums, éditeur de pages web, dépôt ou
échange de fichiers, groupes de travail et cahier de texte
numérique).
En outre, une question portait sur l’utilité que les enseignants
accordaient à l’ENT pour l’enseignement de leur
discipline.
Les données recueillies étant de nature déclarative,
nous avons considéré comme « usages » ce que
les enseignants disent réaliser en termes d’activités avec
les ENT et avec les TIC hors ENT (à domicile et dans leur
établissement). Les résultats et les éléments de
discussion recueillis seront donc de portée limitée dans la mesure
où les personnes interrogées déclarent ce qu’elles
estiment faire avec les technologies sans que cela soit nécessairement le
reflet exact de la réalité. Il serait donc intéressant,
pour valider nos résultats, de poursuivre cette recherche par une
série d’observations en classe.
4. Caractéristiques de la population des répondants
En juin 2014, 1 491 questionnaires ont
été recueillis auprès d’une population globale
d’environ 8 700 enseignants, soit un taux de réponses un peu
supérieur à 17 % Ces réponses ont
donné lieu à des traitements statistiques effectués avec le
logiciel Modalisa.
Les questionnaires ont été renseignés par
936 femmes (63 %) et 556 hommes (37 %). La
quasi-totalité (98 %) des répondants sont des enseignants en
exercice et les 2 % restants sont composés d’anciens
enseignants ayant évolué vers d’autres statuts, tels que
chefs d’établissement, conseillers principaux
d’éducation, responsables TICE, etc. La majorité
d’entre eux (79 %) a plus de 35 ans, plus de 5 ans
d’ancienneté dans l’établissement (60 %) et
occupe, en plus de l’enseignement, des fonctions diverses au sein des
établissements (56 %). Ils peuvent être, par exemple, tuteurs
d’enseignants débutants (28,3 %), concepteurs de sujets
d’examen (14,3%), formateurs d’enseignants (13,7 %),
référents numériques au niveau de
l’établissement (13,4 %) ou membres d’un groupe
disciplinaire national ou académique (10,4 %) et certains cumulent
plusieurs de ces fonctions. Toutes les disciplines sont
représentées avec une dominance des mathématiques
(14,6 %), de l’anglais (11 %) et des lettres (9,3 %).
Parmi eux, 76 % ont un statut de certifié ou assimilé.
L’échantillon des répondants a été
comparé à la population enseignante au plan national. Cette
comparaison fait apparaître une assez bonne représentativité
de cet échantillon quant au genre, mais une surreprésentation des
enseignants « certifiés et assimilés »
(76 % contre 63,1 % au plan
national5) et une
sous-représentation de certaines disciplines comme les lettres
(9,3 % contre 16,3 %). La collecte des données
s’étant appuyée sur le volontariat, les avis recueillis
émanent probablement des plus motivés, c'est-à-dire en
premier lieu de ceux qui utilisent sans doute le plus les ENT. Il existe donc
des distorsions en regard de la représentativité de
l’échantillon des répondants par rapport à la
population totale des enseignants, sans que cela constitue pour autant, de notre
point de vue, un biais dans notre recherche. En effet, de nature exploratoire,
celle-ci vise à éclairer les liens existant entre la perception de
l’utilité de l’ENT par les enseignants et un ensemble de
facteurs transversaux liés aux usages pédagogiques. Il
s‘agissait donc de recueillir l’avis d’un maximum
d’utilisateurs sans qu’ils soient obligatoirement
représentatifs de l’ensemble de la population de
référence.
5. Utilisation de l’ENT et perception de son utilité selon les
caractéristiques des répondants
Comme le montre la figure 1 ci-dessous, le
pourcentage d’enseignants déclarant utiliser un peu ou
régulièrement les fonctionnalités de l’ENT varie
très fortement selon ces fonctionnalités, de 80 % à
2,7 %. Ce sont, en ordre décroissant : le cahier de texte
numérique (80 % des 1492 répondants), la messagerie
(70 %), puis dans une moindre mesure, les fonctionnalités de
dépôt ou d’échange de fichiers (41,40 %) et les
groupes collaboratifs (30,80 %). Les forums et l’éditeur de
pages Web sont utilisés par moins de 4 % des enseignants
interrogés.
Figure 1. Utilisation (déclarée) des
fonctionnalités de l’ENT en % d’enseignants
Par ailleurs, à la question : « Comment jugez-vous
l’utilité de l’ENT pour l’enseignement de votre
discipline ? », 24,6 % des 1477 répondants
déclarent le juger « très peu utile »,
23,40 % « peu utile », 32,80 %
« utile » et 19,20 % « très
utile » (cf. figure 2 ci-dessous). Autrement dit, la
population interrogée semble être partagée entre deux
tendances : pour 52 % d’entre eux, la perception de
l’utilité de l’ENT est plutôt positive (utile et
très utile) et, pour l’autre moitié (environ 48 %),
elle est plutôt négative (peu et très peu
utile)6.
Comme annoncé, nous avons ensuite croisé cette question avec un
ensemble de facteurs pour déterminer s’il existe des relations
entre le jugement des enseignants et différentes variables d’ordre
techno-pédagogique ou psycho-social. Pour procéder à ces
croisements, nous avons regroupé, d’une part, la tendance
plutôt positive avec les items « utile » et
« très utile » et, de l’autre, celle
plutôt négative avec « très peu utile »
et « peu utile ». Nous avons testé les relations de
dépendance entre les variables par des χ2 (au niveau de confiance de
95%) et nous ne mettrons en évidence ici que les relations
significatives.
Figure 2 • Perception de
l’utilité de l’ENT pour l’enseignement de la
discipline
Il y a proportionnellement autant d’hommes que de femmes à
considérer que l’ENT est très peu utile ou peu utile et
utile ou très utile pour l’enseignement de leur discipline.
Toutefois, bien que la perception de l’utilité de l’ENT par
les enseignants ne varie pas selon le genre, les usages déclarés
sont très significativement différents selon qu’il
s’agit d’un enseignant ou d’une enseignante en ce qui concerne
l’usage de l’ordinateur à domicile. Ainsi, les femmes sont
relativement plus nombreuses que les hommes à rechercher des ressources
pédagogiques sur Internet et à créer des documents pour
leurs élèves. En revanche, les hommes déclarent davantage
que les femmes tester des logiciels éducatifs, participer à des
forums professionnels et maintenir leur site personnel ou leur blog sur
Internet.
Par ailleurs, il n’existe de lien ni entre l’utilité
perçue et l’ancrage disciplinaire, ni entre l’utilité
perçue et le grade de l’enseignant, qu’il soit professeur
certifié, agrégé, contractuel, professeur
d’enseignement général de collège ou chargé
d’enseignement. L’ancienneté, non dans la carrière
mais dans l’établissement (moins de 1 an, de 1 an à moins de
5 ans, de 5 ans à moins de 10 ans ou 10 ans et plus), n’a
pas davantage d’incidence sur la perception de l’utilité. Il
en va de même pour l’âge où l’on observe une
certaine stabilité en termes de perception globalement positive ou
globalement négative entre les trois tranches d’âge que nous
avons retenues (moins de 35 ans, de 35 à moins de 45 ans, 45 ans et
au-delà).
En revanche, cette perception est très significativement
différente selon la fonction occupée. En effet, comme on pouvait
s’y attendre, les répondants qui occupent des fonctions en lien
avec le numérique (animateurs ou formateurs TICE, référents
numériques au niveau de l’établissement ) ou qui
participent à des groupes disciplinaires nationaux ou académiques
sont proportionnellement plus nombreux à exprimer une perception positive
de l’utilité de l’ENT que ceux qui occupent d’autres
fonctions comme responsables de laboratoire ou de cabinet, concepteurs de sujets
d'examen et de concours, tuteurs d’enseignants débutants, membres
d’une équipe de recherche, etc. ou qui n’occupent aucune
fonction particulière dans l’établissement.
Enfin, l’auto-appréciation quant au fait de maitriser les
fonctionnalités de l’ENT varie avec la perception de
l’utilité de l’ENT. Il n’est pas étonnant que
plus la maîtrise que les enseignants estiment avoir de ces
fonctionnalités est importante, plus ils perçoivent l’ENT
comme utile ou très utile pour l’enseignement de leur discipline et
réciproquement. Ainsi, tandis que 3,4 % de ceux qui estiment ne pas
maîtriser les fonctionnalités de l’ENT ne le jugent pas
très utile pour la discipline enseignée, près des trois
quarts (74,4 %) de ceux qui estiment les maîtriser parfaitement le
jugent utile ou très utile. Ce résultat vient confirmer notre
hypothèse à ce sujet et les travaux précédemment
évoqués sur les normes subjectives montrant l’influence du
sentiment d’auto-efficacité personnelle sur la perception de
l’utilité et les intentions d’usage des utilisateurs.
6. Activités pédagogiques avec les TIC (hors ENT) et
perception de l’utilité de l’ENT
Les enseignants qui ne se servent d’un
ordinateur que pour saisir des notes ou pour piloter un vidéoprojecteur
expriment une perception de l’ENT plutôt négative. À
l’inverse, ceux qui déclarent participer à des forums
professionnels, s’abonner à des listes de diffusion
professionnelles, préparer leurs élèves au B2i, utiliser un
tableau numérique interactif (TNI) ou correspondre avec des tuteurs
pédagogiques sont relativement plus nombreux que les autres à
percevoir l’ENT comme utile ou très utile. Par conséquent,
qu’il s’agisse d’activités pédagogiques
effectuées avec les TIC (hors ENT) à domicile ou dans
l’établissement, on constate que ceux qui les utilisent dans le
cadre de pratiques collaboratives expriment une perception plus positive de
l’ENT que ceux qui n’en font aucun usage professionnel ou qui les
utilisent de manière purement individuelle. Ces résultats sont
schématisés dans le tableau 1, ci-dessous, dans lequel ne
sont reprises que les relations de dépendance entre variables. Celui-ci a
été établi à partir de 9 202 réponses
issues de 1 476 questionnaires remplis, chaque répondant pouvant
déclarer plusieurs activités pédagogiques.
Utilité perçue
et
Activités pédagogiques avec les TIC |
Très peu et peu utile |
Utile et très utile |
À domicile |
- Saisir des notes |
- Maintenir un site personnel
- Participer à des forums
professionnels
- S’abonner à des listes de diffusion professionnelles
- Tester des logiciels éducatifs
- Créer des diaporamas pour les élèves |
Dans l’établissement |
- Saisir des notes
- Utiliser un
vidéoprojecteur
- Pas d’usage
professionnel dans mon établissement |
- Correspondre avec des tuteurs pédagogiques
- Participer à des forums
professionnels
- S’abonner à des listes de diffusion professionnelles
- Utiliser un TNI
- Préparer leurs élèves au B2i |
Tableau 1 • Nature des
activités pédagogiques avec les TIC et perception de
l’utilité de l’ENT
Trois logiques d’usages semblent se dégager de ces premiers
résultats : une « logique d’innovation »,
en lien avec des modèles de travail collaboratifs qui correspond
davantage à une perception relativement positive de l’ENT et une
« logique de reproduction » s’appuyant sur des usages
traditionnels transmissifs qui semble s’accompagner d’une perception
plutôt négative de l’ENT. Enfin, l’activité
dominante de saisie des notes fait apparaître une autre logique
d’usages que nous appellerons « logique
d’obligation », qui caractérise les enseignants se
conformant aux obligations institutionnelles et qui, comme la
précédente, est associée à une perception
plutôt négative de l’ENT. Cette dernière logique,
s’inscrivant dans les pratiques scolaires habituelles des enseignants pour
répondre aux injonctions du ministère, est tributaire
d’usages prescrits sans que soient généralement prises en
compte les différentes potentialités pédagogiques des TIC.
7. Usages pédagogiques de l’ENT et perception de son
utilité
Cette partie met en perspective
l’utilité de l’ENT telle que perçue par les
enseignants avec la nature des activités pédagogiques
réalisées avec les diverses fonctionnalités de l’ENT.
Comme précédemment pour les usages des TIC, du fait des
possibilités de réponses multiples, le nombre de réponses
est très largement supérieur (de 1 402 à 3 580
selon les fonctionnalités) au nombre de répondants (1 456
à 1 477).
Utilité perçue
et
Activités pédagogiques avec les fonctionnalités de
l’ENT |
Très peu et peu utile |
Utile et très utile |
Messagerie |
- Permettre aux
élèves de poser des questions |
- Organiser la discussion entre élèves
- Encadrer un projet
pédagogique
- Travailler avec d’autres
enseignants |
Dépôt et échange de fichiers |
- Pas d’activités de dépôt ni
d’échange de fichiers |
- Une série de cours sur l’année
- Un dispositif
d'accompagnement personnalisé |
Origine des ressources utilisées par les enseignants |
- N’utilisent pas de ressources accessibles sur l’ENT ou
produites par eux-mêmes |
Utilisent des ressources
produites par :
- l’édition numérique
- d’autres enseignants
- eux-mêmes |
Groupes collaboratifs de travail avec les élèves |
- Transmettre des cours ou des supports de cours |
- Travailler de manière
collaborative |
Groupes de travail collaboratif avec les enseignants |
- Peu ou pas de groupes de travail collaboratif |
- Se former à l’utilisation de l’ENT
- Travailler en équipe
- Mutualiser des ressources |
Forums
Éditeur de pages Web |
Pas de lien significatif
Effectif trop faible |
Tableau 2 • Utilité
perçue et nature des usages pédagogiques par fonctionnalité
de l’ENT
Les résultats, résumés dans le tableau 2 ci-dessus,
permettent de confirmer l’hypothèse selon laquelle il existe une
relation entre la nature des activités pédagogiques
réalisées avec l’ENT et la perception de son utilité
par les enseignants. En effet, les enseignants qui déclarent des
activités pédagogiques de nature socioconstructiviste, comme
organiser des discussions entre les élèves, travailler de
manière collaborative avec d’autres enseignants ou en
équipe, mutualiser des ressources, etc., sont proportionnellement plus
nombreux à trouver l’ENT utile ou très utile. En revanche,
lorsqu’ils travaillent seuls et ne se servent de l’ENT que pour
transmettre des contenus, ils ont davantage tendance à le trouver
très peu ou peu utile.
Le cas particulier du cahier de texte
Le cahier texte étant une fonctionnalité utilisée par
80 % des enseignants interrogés (cf. figure 1), nous lui avons
consacré une analyse particulière, qui s’appuie sur des
questions relatives à la représentation qu’ils en ont et
à l’usage qu’ils en font, analyse dont les résultats
figurent dans les tableaux 3 et 4 ci-dessous (dans lesquels les cases
grisées mettent en évidence les surreprésentations).
Représen-tation du cahier de texte numérique
etUtilité perçue |
Une obligation institution-nelle |
Un outil de travail individuel |
Un outil de travail collaboratif |
Autre |
Ensemble |
Très peu et peu utile |
51,4 % |
35,4 % |
36,6 % |
57,3 % |
44,3 % |
Utile et très utile |
48,6 % |
64,7 % |
63,4 % |
42,7 % |
55,7 % |
Total |
100 %
(N=1029) |
100 %
(N=444) |
100 %
(N =592) |
100 %
(N =96) |
100 % (N=2161) |
Tableau 3 • Représentation du
cahier de texte numérique et utilité perçue
On note que les enseignants qui considèrent le cahier de texte comme
une obligation institutionnelle sont surreprésentés parmi ceux qui
ont une perception plutôt négative de l’ENT (51,4 %
contre 44 ,3 % de l’ensemble). En revanche, ceux qui se le
représentent comme un outil de travail individuel ou collaboratif, ont
plutôt tendance à en avoir une perception positive (respectivement
64,7 % et 63,4 % contre 55,7 % de l’ensemble). Notre
hypothèse concernant le peu d’intérêt attribué
à l’ENT par les enseignants qui ne l’utilisent que suite
à la pression ministérielle se trouve donc ainsi confirmée.
De plus, les enseignants qui déclarent consigner dans le cahier de
texte numérique ce qu’ils consignaient déjà dans la
version papier sont surreprésentés parmi ceux qui ont une
perception plutôt négative de l’ENT (49% contre 44,5 %
de l’ensemble) ; et, réciproquement, ceux qui déclarent
y consigner des informations différentes ont davantage tendance à
en avoir une perception plutôt positive (65 % contre 55,5 % de
l’ensemble). Donc, non seulement les enseignants qui trouvent l’ENT
très peu ou peu utile sont relativement plus nombreux à ne
considérer le cahier de texte numérique que comme une obligation
institutionnelle, mais aussi à négliger ses potentialités
en ne l’utilisant pas différemment d’un cahier de texte
papier (voir tableau 4 ci-dessous).
Nature des informations consignées dans le cahier de texte
numérique
etUtilité perçue |
Ce que je consignais dans la version papier |
Des informations différentes par rapport à la version
papier |
Ensemble |
Très peu etpeu utile |
49 % |
35 % |
44,5 % |
Utile et très utile |
51 % |
65 % |
55,5 % |
Total |
100 %
(N = 869) |
100 %
(N = 411) |
100 % (N = 1280) |
Tableau 4 • Nature des informations
consignées dans le cahier de texte numérique et utilité
perçue
Par ailleurs, les enseignants qui utilisent le cahier de texte
numérique différemment d’un cahier de texte papier (N =
411 soit 32,1 % de l’ensemble des répondants à la
question), déclarent par ordre d’importance :
- donner des compléments au cours comme des schémas ou
des textes (62,6% d’entre eux),
- mettre des liens vers des ressources sur Internet (55,3%),
- consigner la trace écrite complète du cours
(41,1 %),
- demander aux élèves de leur renvoyer leur travail
par l'ENT (36,2 %),
- distribuer des contrôles à faire à la maison
(23,2%),
- autres utilisations (12 %).
Ces différentes activités mettent en évidence un
enrichissement du cahier de texte classique par des schémas, des textes
ou des suggestions d’activités. On peut penser que,
lorsqu’ainsi assimilé à un véritable support de
cours, le cahier de texte numérique permet aux enseignants de rendre les
élèves plus actifs qu’auparavant en leur fournissant des
ressources supplémentaires en ligne, en leur transmettant des consignes
ou en leur permettant de communiquer leurs travaux sur l’ENT.
Bien que la pression sociale liée à une obligation
ministérielle puisse représenter un facteur incitatif quant
à l’utilisation de l’ENT (rappelons que 80 % des
enseignants utilisent le cahier de texte numérique), la perception de son
utilité est plutôt négative pour presque la moitié
des répondants (48 %). Le fait d’utiliser une
fonctionnalité n’est donc pas un facteur suffisant pour induire une
perception positive de l’utilité d’un dispositif. Il
semblerait en fait que cette perception soit impactée davantage par la
nature des usages que par les usages en eux-mêmes.
Toutefois, il est important de souligner que ces résultats sont
à nuancer dans la mesure où les relations observées
n’impliquent pas nécessairement des liens de cause à
effet : une perception positive de l’utilité de l’ENT
peut favoriser le développement d’usages tout autant que le fait
d’utiliser l’ENT peut générer une perception positive
de son utilité.
8. Logiques d’usages et perception de l’utilité de
l’ENT
Concernant les activités pédagogiques
réalisées avec les fonctionnalités de l’ENT, nous
avons vu (cf. tableaux 2, 3 et 4 ci-dessus) que les enseignants qui expriment
une perception plutôt positive de l’ENT sont
proportionnellement plus nombreux à déclarer utiliser :
- la messagerie pour organiser la discussion entre
élèves, encadrer un projet pédagogique et travailler avec
d’autres enseignants ;
- le dépôt ou l’échange de fichiers pour
réaliser une série de cours et utiliser des ressources, quelle
qu’en soit l’origine (édition numérique, ressources
personnelles ou ressources des collègues) ;
- les groupes de travail pour travailler de manière
collaborative avec les élèves et avec les enseignants, pour se
former à l’utilisation de l’ENT, travailler en équipe
et mutualiser des ressources ;
- le cahier de texte pour consigner des choses différentes
par rapport à la version papier conformément aux injonctions
officielles, c’est-à-dire apporter une aide grâce à
des compléments au cours (schémas, textes, liens vers des
ressources sur Internet, etc.), consigner la trace écrite complète
du cours ou favoriser des interactions avec les élèves.
Ces activités pédagogiques s’inscrivent bien dans la
première des trois logiques d’usages pédagogiques
présentées précédemment à propos de
l’utilisation des TIC hors ENT, la « logique
d’innovation ». Lorsque les enseignants sont positionnés
dans une telle logique de pédagogie collaborative et par l’action,
leurs activités pédagogiques s’appuient sur des
modèles de nature socioconstructiviste favorisant la mise en
activité des élèves et privilégiant les interactions
entre eux (organisation de la discussion entre élèves, encadrement
d’un projet pédagogique). Ils ont alors tendance, ainsi que nous
l’avons vu, à exprimer une perception plutôt positive de
l’utilité de l’ENT.
En revanche, lorsque les usages des enseignants répondent à une
« logique de reproduction », caractérisée par
un modèle transmissif, sans réelle innovation pédagogique,
et tendant à reproduire avec les technologies numériques ce
qu’ils faisaient déjà sans elles (utilisation d’un
vidéoprojecteur en classe se substituant sans doute au
rétroprojecteur, absence de collaboration et de mutualisation des
ressources), leur perception de l’utilité de l’ENT est
plutôt négative.
Enfin, lorsque des injonctions émanant du MEN contraignent les
enseignants à utiliser certaines fonctionnalités, comme le cahier
de texte numérique, les usages s’inscrivent dans une
« logique d'obligation » qui, comme
précédemment, favorise la reproduction et le transfert de
pratiques classiques mises en œuvre sans les technologies. Dans ce cas,
nous avons constaté que les enseignants consignent à l'identique
dans le cahier de texte numérique ce qu'ils consignaient dans le cahier
de texte papier et, ici encore, leur perception de l'utilité de l'ENT est
plutôt négative.
9. Conclusion
Cette recherche nous a amenée à
réfléchir sur le concept d’utilité perçue par
les enseignants à l’égard des ENT. Une entrée par
l’analyse des activités pédagogiques menées avec les
TIC (avec et hors ENT) nous a permis de mieux rendre compte de l’influence
de facteurs techno-pédagogiques et psycho-sociaux sur
l’utilité perçue par les enseignants. D’autres
facteurs et dimensions auraient pu être explorés ici comme les
affects ou l’image de soi (Février, 2011),
les aspects organisationnels, les rôles ou les fonctions des
différents acteurs, etc. (Bobillier-Chaumon et Dubois, 2009).
Pour autant, confirmant nos hypothèses initiales, cette contribution a
mis en évidence l’existence de trois logiques d’usages
(innovation, reproduction et obligation) dont seule la première semble
favoriser une optimisation des potentialités de l’ENT
(interactivité, collaboration).
Ces trois logiques d’usages pourraient rendre compte plus largement de
certains mécanismes d’appropriation des TIC en pédagogie. En
effet, dans un premier temps, la pression socio-institutionnelle (ici celle du
MEN) s’exerçant sur les enseignants orienterait leurs choix
pédagogiques en matière d’usages des TIC vers une simple
mise en conformité de leurs pratiques avec leur contexte de travail et
les obligations officielles. Ensuite, au fur et à mesure
qu’augmenterait leur expérience des technologies, la
prégnance de la pression externe tendrait à décroître
au profit de l’influence de leurs collègues, ce qui favoriserait le
développement de pratiques collaboratives, leur permettrait de se former
et de mieux s’approprier l’ENT. Enfin, d’autres facteurs de
nature plus intrinsèque (sentiment d’auto-efficacité
personnelle) pourraient intervenir de manière accrue sur la perception de
l’utilité de l’ENT au fur et à mesure que les
enseignants développeraient des pratiques expertes avec son usage. Ces
suppositions apparaissent concordantes avec des travaux antérieurs
concernant la théorie de l’influence sociale, notamment, avec ceux
de Thomas et Griffin (Thomas et Griffin, 1983) qui montrent que l’influence sociale diminue lorsque croît
l’expérience d’un moyen de communication particulier. Cela
semble être le cas pour l’ENT : plus l’enseignant
l’utiliserait de manière régulière, plus il
développerait à la fois un sentiment de maitrise de ses
fonctionnalités et une perception positive de son utilité.
Enfin, cette recherche nous a aussi permis de montrer que l’innovation
techno-pédagogique est centrale dans les processus d’appropriation
des TIC. À cet égard, il serait intéressant
d’approfondir ce travail afin de mieux comprendre dans quelle mesure des
pratiques expertes développées par les enseignants avec les
technologies les orientent vers des usages pédagogiques innovants,
question posée de longue date et dont les réponses demeurent
encore problématiques et floues.
Remerciements
Nous souhaitons présenter nos sincères remerciements à
Valérie Fontanieu, chargée d'études statistiques à
l’Institut français de l’éducation
(IFé)-école normale supérieure (ENS) de Lyon, à
Sylvain Genevois, maître de conférences à
l’ÉSPÉ de Cergy-Pontoise, à Viviane Glikman,
enseignant-chercheur en Sciences de l'éducation, à Bruno Hamy,
adjoint au délégué académique au numérique de
l’académie d’Isère, à Bernard Mercati,
responsable des TICE et du service audio-visuel de l’ÉSPÉ de
Lyon, à Peter Steck, inspecteur d'académie et adjoint au
délégué académique au numérique de
l'académie d'Auvergne, et à tous les enseignants qui nous ont
permis de réaliser cette recherche.
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À
propos des auteurs
Françoise POYET est psychologue d’orientation
cognitive et Maître de conférences en Sciences de
l'éducation, Habilitée à diriger des recherches, à
l’Université Claude Bernard Lyon 1 - École
supérieure du professorat et de l’éducation. Elle
mène ses travaux de recherche sur les usages du numérique à
des fins d'enseignement et d’apprentissage dans le laboratoire
Éducation, Cultures, Politiques (ECP-EA 4571-Lyon 2).
Adresse : ÉSPÉ - 5, rue
Anselme, 69317 Lyon Cedex
Courriel : francoise.poyet@univ-lyon1.fr
1 Selon la norme ISO 9241,
l’utilisabilité désigne les possibilités offertes par
le dispositif pour atteindre les buts définis avec efficacité,
efficience et satisfaction dans un contexte d’utilisation
spécifique.
2 APPARENT : Analyse des
Pratiques des Professeurs ou Apprenants et des Représentations dans les
Environnements Numériques de Travail (ENT).
3 Institut national de recherche
pédagogique (INRP), devenu Institut français de
l’éducation - École normale supérieure de Lyon.
4 Voir le Bulletin officiel n°
32 du 9 septembre 2010) en ligne à l’adresse http://www.education.gouv.fr/cid53060/mene1020076c.html (consulté le 20 avril 2015).
5 Source : Repères
et références statistiques 2013-2014, 309-311, en ligne
à l’adresse http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/02/4/DEPP_RERS_2014_ personnels_344024.pdf (consulté le 24 avril 2015).
6 Pour ne pas alourdir notre texte,
nous ne mentionnerons pas systématiquement « pour
l’enseignement de leur discipline », nous limitant parfois
à la seule formulation « perception de
l’utilité ». Par ailleurs, nous utiliserons
indifféremment les expressions « utilité
perçue » et « perception de
l’utilité ».
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