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Volume 22, 2015
Article de recherche



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La synthèse vocale au service de la maîtrise de la langue écrite :
le cas de la dictée en CE1

 

Carole LE HENAFF, Brigitte GRUSON (CREAD - Université de Bretagne Occidentale,   ESPE de Bretagne)

 

RÉSUMÉ : L'article présente les résultats d'une recherche sur l'Apprentissage des Langues Médiatisé par les Technologies et l'apprentissage du français écrit avec une technologie de synthèse vocale, en dictée en CE1. Nous examinons, avec des concepts de la Théorie de l'Action Conjointe en Didactique, comment la synthèse permet aux élèves de revenir sur leur dictée pour en améliorer l'orthographe et la morpho-syntaxe. Les élèves utilisent la synthèse pour gérer leur rythme de travail, leurs stratégies d'écoute et de relecture, mais le système suscite de fortes attentes en termes de corrections, ce qui perturbe la compréhension de certaines erreurs.

MOTS CLÉS : synthèse vocale, dictée, Théorie de l'Action Conjointe en Didactique, ALMT

Using speech synthesis to support the development of L1 written skills: a study of dictation exercises in grade 2

ABSTRACT : We present the results of a research project on CALL and the learning of French writing with a speech synthesis tool, during dictation exercises in grade 2. We examine, thanks to the Joint Action Theory in Didactics, how the speech synthesis helps the students edit their writings in order to improve their spelling and morpho-syntax. The students actually use the synthesis to manage their working time and their listening strategies, but they also expect too much help in the editing process from the tool, which affects how they understand their errors.  

KEYWORDS :  speech synthesis, dictation, Computer Assisted Language Learning, Joint Action Theory in Didactics

 

Introduction

La pratique scolaire de la dictée est un exercice ritualisé dès le début des apprentissages du cycle 2 (CP-CE1, voire parfois en Grande Section sous d'autres formes). Elle est souvent perçue comme une activité emblématique de l'apprentissage de l'orthographe et est, depuis quelques années, l'objet de nombreuses réflexions quant à sa place dans les enseignements et quant aux manières, traditionnelles ou plus contemporaines, de la pratiquer. Ainsi, l'objectif de cet article est d'examiner les effets didactiques de l'utilisation d'une technologie de synthèse vocale lors d'exercices de dictées, effectuées en autonomie par des élèves de CE1, dans le cadre de l'apprentissage du français écrit. Les données que nous étudions ont été recueillies lors d'un projet financé par l'Agence Nationale de la Recherche entre 2012 et 2014. Ce projet, intitulé PhoReVox, regroupe des équipes issues de trois laboratoires de recherche et deux sociétés privées au sein d'un consortium1. L'objectif de cette recherche est de proposer un outil d'aide à l'apprentissage du français écrit par l'usage de technologies vocales, le postulat étant qu'un feedback oral peut conduire à une plus grande maîtrise de cet écrit (Beucher, Charles et Le Hénaff, 2015). Cette recherche visait la production d'un prototype de plate-forme d'apprentissage du français écrit, avec une voix de synthèse relisant des productions d'élèves dans lesquelles le nombre d'erreurs est élevé car élaborées par de jeunes apprenants. De plus, l'innovation majeure de l'outil réside dans sa capacité à oraliser des groupements de consonnes ou de syllabes qui n'existent pas, et pas uniquement à signaler que ces mots sont erronés.

Nous faisons donc état dans notre article d'une partie des résultats auxquels notre recherche a abouti. À cet effet, nous présentons l'analyse de situations de dictées produites par des élèves de CE1 sur la plate-forme. Nous analysons plus particulièrement comment les élèves font usage de la synthèse vocale produite à partir de leurs écrits afin d'en améliorer la qualité orthographique et morpho-syntaxique.

1. Présentation de l'environnement numérique

La plate-forme dont il est question est hébergée par un site en ligne, mais elle n'est actuellement pas accessible au public. Elle propose plusieurs sortes d'exercices conçus par les différentes équipes : des exercices de discrimination phonologique, des exercices de segmentation de phrases en mots, et des exercices de dictée pour des CP et des CE1. Les exercices de discrimination phonologique et de segmentation de phrases sont destinés à des élèves de CP. Nous allons, dans la présente étude, nous focaliser sur les exercices de dictée pour les CE1.

Ces exercices ont été construits d'après le principe suivant : les élèves choisissent une dictée selon un thème en cliquant sur un des douze thèmes proposés :

Figure 1 • Thème de dictée

L'élève accède ensuite à la page de l'exercice. La synthèse vocale lit le texte de la dictée (« Le jour de le rentrée, les deux enfants vont à l'école ») et l'élève écrit, en arrêtant et en faisant jouer la synthèse comme et autant de fois qu'il le souhaite. Lorsqu'il clique sur « écoute ta réponse », son écrit est alors oralisé par la synthèse comme le montre la capture d'écran ci-dessous :

Figure 2 • Exercice de dictée

Lorsque l'élève estime que sa production écrite est adéquate, il peut valider son

 

travail en cliquant sur « valider ». Il accède alors à une page sur laquelle les erreurs relevées dans son écrit lui sont indiquées par un système de surlignage :

Figure 3 • Page de validation

Ces exercices ont donc été conçus dans le but de permettre aux élèves d'utiliser le « feedback » oral pour prendre du recul sur leur production et, ce faisant, pouvoir l'améliorer d'un point de vue orthographique et morpho-syntaxique. Ce sont précisément les effets de ces retours oraux que nous avons mesurés et dont nous allons présenter l'analyse ci-après.

2. Cadre théorique

2.1. L’articulation entre l’oral et l’écrit

L'objectif des exercices proposés est de permettre aux élèves de prendre conscience de leur écrit afin de pouvoir le corriger (Cohen et Eigle, 1992). En effet, selon (Fabre-Cols, 2004), la « continuité entre parler et écrire » contribue à la formation du « sujet scripteur » qui serait alors rendu capable d'auto-évaluer sa démarche d'écriture. Nous allons donc étudier comment cette continuité peut potentiellement jouer un rôle dans l’amélioration, par les élèves, de la qualité orthographique et morpho-syntaxique de leurs dictées. En effet, l’originalité de l’évaluation des productions des élèves réside non pas tant sur la comparaison entre deux écrits (celui des élèves et celui de référence) que sur la continuité entre l’oral et l’écrit. Classiquement, l’objectif d’un exercice de dictée est de « reconstituer quelque chose qui est déjà écrit quelque part » (Muller, 2006) et donc de s’appuyer sur une référence écrite afin de se corriger. La dictée est un exercice qui soulève de nombreux problèmes, à plusieurs niveaux, car il s’agit de passer de la perception de signes oraux à une interprétation de ces signes en mots écrits, mais la segmentation, les phénomènes de liaison, ou encore le répertoire lexical de l’élève, sont des éléments susceptibles de le mettre en difficulté (Santiago-Oriola, 1999).

Le rapport entre l’oral et l’écrit dans les exercices de dictée de la plate-forme nous offre la possibilité de nous interroger sur l’intérêt de cette continuité pour l’amélioration de leurs écrits par les élèves.

Les effets de l'utilisation de technologies de voix de synthèse sur la maîtrise de l'écrit par de jeunes apprenants ont été encore peu mesurés par les chercheurs. En effet, ces dispositifs sont actuellement très peu développés au sein des institutions scolaires car ils représentent des défis techniques qui restent largement à développer. Toutefois, quelques études ont souligné que l’usage de la synthèse vocale pour des exercices de dictée semblait placer les apprenants dans un environnement serein leur permettant d’écouter leurs textes à leur propre rythme (Handley et Hamel, 2005), (Mercier, Guyomard, Siroux, Bramoullé, Gourmelon, Guillou et Lavannant, 2000). La prise de contrôle sur son environnement d’apprentissage par l’élève, ainsi que l’adaptation à différents styles d’apprentissages (visuel, auditif), sont des éléments qui ont également été relevés (Handley, 2009). Nous allons pour notre part interroger, sous un angle plus didactique, ce positionnement dans lequel peut être placé l’apprenant. En effet, jusqu'à présent, « didactical benefits [...] have been not much exploited so far » (Gelan, 2011). Les recherches menées autour de la voix de synthèse portent davantage sur l'évaluation des outils techniques et la mesure des effets didactiques sur le travail des apprenants se limite généralement à des observations intuitives. Des auteurs comme (Roussel, Rieussec, Nespoulous et Tricot, 2008) ont toutefois démontré, dans le cadre d'analyses didactiques, que la prise de contrôle, à leur rythme, par des apprenants sur leur écoute d'énoncés numérisés, permettait de surmonter certaines difficultés. Cette recherche ne portait pas sur des situations de dictée avec de jeunes apprenants utilisant un outil tel que la synthèse vocale mais sur la compréhension d'énoncés en langue étrangère en lycée. Toutefois, la perspective didactique avec laquelle l'étude a été menée entre en résonance avec nos problématiques de recherche.

C'est donc parce que très peu d'études recensent les phénomènes didactiques liés aux effets de la voix de synthèse sur les activités de dictée que nous proposons d'engager une telle démarche.

2.2. La Théorie de l’Action Conjointe en Didactique

Dans le but d'examiner comment fonctionne l'avancée des apprentissages des élèves observés, nous nous appuyons sur des outils conceptuels issus des approches comparatistes en didactique (Mercier, Schubauer-Leoni et Sensevy, 2002), plus précisément sur des notions développées dans le cadre de la Théorie de l'Action Conjointe en Didactique ou TACD (Sensevy et Mercier, 2007), (Sensevy, 2011). La TACD est un instrument de description de l'apprentissage et de l'enseignement ayant donné lieu à la redéfinition d'outils théoriques initialement développés par (Brousseau, 1988) et (Chevallard, 1992), tels que les notions de contrat didactique et de milieu sur lesquelles nous allons nous appuyer pour analyser nos données. Le contrat est un système d'attentes entre un enseignant et ses élèves, en relation avec le savoir en jeu, qui porte en germe un système stratégique « déjà-là » (Sensevy, 2011) d'appréhension de la situation qui détermine en conséquence une partie des actions didactiques qui vont être menées. Ainsi, le contrat, « ce qu'il y a à faire » (Sensevy, 2011), est la trace d'habitudes d'actions autour du savoir. Par exemple, les élèves dont nous analysons les actions dans le présent article ont déjà des habitudes de relecture, d'écoute de leurs productions écrites et de manipulation de la plate-forme. C'est-à-dire qu'ils savent s'orienter dans les exercices, qu'ils en connaissent les consignes et les attentes. Ce « déjà-là » oriente leur façon d'appréhender les situations et de travailler.  

Ces actions sont menées au sein d'un milieu, qui est en fait un arrière-plan problématique (Sensevy, 2011) propre à la situation d'enseignement-apprentissage. Les effets du milieu et du contrat interagissent, et nous supposons que c'est un certain équilibre entre ces deux phénomènes didactiques qui permet de faire progresser l'apprentissage. C'est notamment sur la base de rétroactions (Brousseau, 1988) produites par le milieu que l'élève va recourir à des stratégies lui permettant de dépasser le problème, c'est-à-dire de répondre aux exigences du contrat, à ce qu'il y a à faire, et, ce faisant, de produire de nouveaux apprentissages. Ces nouveaux apprentissages ne sont toutefois produits que si ce qui est donné à faire est pertinent et adapté aux élèves, en particulier à leurs habitudes stratégiques de résolution des problèmes posés en situation. Nous décrivons également en termes de règles stratégiques et de stratégies (Hintikka, 1994), (Sensevy, 2011) les manières d’agir des élèves leur permettant de bien faire, que nous appelons les règles stratégiques, et leurs manières de faire effectives, c’est-à-dire leurs stratégies déployées pour parvenir à résoudre le problème posé.

Par exemple, dans les situations que nous étudions dans le cadre de notre projet PhoReVox, pour résoudre le problème que pose la forme oralisée de certains mots mal écrits par un élève, du type « rentre » au lieu de « rentrée », l'élève doit interpréter la rétroaction langagière du milieu (dans ce cas, la forme oralisée par la synthèse vocale) afin de produire une écriture pertinente du mot, c'est-à-dire de se conformer au contrat. C'est le contrat qui détermine la manière dont le milieu, tel qu’il a été aménagé par les concepteurs des activités en ligne, sera abordé. Ainsi, l'écriture d'un mot sous la dictée oriente l'attention des élèves sur l'orthographe de ce mot parce que le contrat de la pratique de la dictée est constitué, entre autres, de règles définitoires (Sensevy, 2011) qui régissent les usages de cet exercice et qui indiquent comment jouer à ce que l’auteur nomme un « jeu didactique », auquel on gagne si les mots sont écrits sans erreur.

Nous allons étudier dans notre article dans quelle mesure le système formé par le contrat et le milieu lors de l'utilisation de la plate-forme détermine la production écrite des élèves, puis tenter d’évaluer si ce type d’outil peut représenter une plus-value pour l'apprentissage du français écrit en situation de dictée.

3. Méthodologie

Les données ont été filmées en janvier et février 2014, dans 6 classes localisées en Bretagne, ayant des profils très variés (écoles publiques, privées, rurales, urbaines, avec des enseignants chevronnés ou débutants, etc.).

Tous les élèves de ces classes ont pu utiliser la plate-forme, mais seuls une partie d'entre eux ont participé à l'expérimentation filmée. Nous avons en effet sélectionné, dans chaque classe, entre 3 et 6 élèves à l'aide des enseignants. Ces élèves ont été filmés pendant qu'ils réalisaient les exercices, soit pendant environ 30 minutes chacun, ce qui correspond à la durée moyenne pendant laquelle les enseignants les faisaient généralement travailler sur la plate-forme. La sélection de cette vingtaine d'élèves s'est faite selon les critères suivants : il a été demandé aux enseignants de choisir, dans leur classe, un ou deux élèves selon leur degré de réussite en français écrit. Trois types d'élèves ont donc été sélectionnés pour les films : des élèves en réussite, des élèves en difficulté, et des élèves de niveau intermédiaire.

Suite au filmage, les activités des élèves ont été transcrites sous forme de tableaux indiquant les prénoms (d'emprunt) des élèves ainsi que leurs actions langagières et non langagières, numérotées. Dans ces tableaux, dont nous présentons ci-dessous un exemple, figurent des photogrammes, obtenus à partir de captures d'écran, qui illustrent l'activité transcrite et permettent ainsi une meilleure compréhension, pour les lecteurs, des activités non verbales.

Tableau 1 • Exemple de transcription

Dans ces transcriptions, les actions non verbales produites par l'élève sont placées entre crochets afin de les différencier visuellement des paroles prononcées. De la même manière, les lettres et les mots que l'élève écrit ou nomme oralement sont en gras et en italique, afin de les démarquer visuellement dans la transcription.

À partir de ces transcriptions, nous avons sélectionné deux épisodes mettant en scène deux élèves de niveau intermédiaire que nous considérons comme significatifs pour notre recherche. Ils sont significatifs parce qu'ils donnent clairement à voir, ce qui, du contrat ou du milieu, détermine le plus fortement la production écrite des élèves, ainsi que les conditions sous lesquelles la synthèse vocale représenterait un intérêt dans le cadre de la pratique de la dictée.

La focalisation sur des élèves ni en réussite, ni en difficulté, s'est faite pour les raisons suivantes : nous n'avons pas été en mesure d'observer, chez les élèves en réussite, d'effets importants de l'usage de la synthèse vocale sur leurs dictées. En effet, leurs écrits étaient conformes à ce qu'ils produisaient habituellement et l'usage de la plate-forme n'a pas modifié leurs résultats. Ceci s'est vérifié pour tous les élèves de cette catégorie qui ont été filmés.

Un autre constat a été produit pour les élèves en difficulté, qui ne font pas l'objet d'une analyse dans l'article. Ces élèves ont, en fait, eu une gestion difficile de l'outil technique, qui les a placés en surcharge cognitive et les a empêchés de se concentrer véritablement sur les contenus orthographiques et morpho-syntaxiques à retravailler. Pour ces élèves, les écoutes de leurs productions, ou les réécoutes du texte de la dictée, représentaient probablement un « coût » trop élevé. C'est-à-dire que la gestion technique de l'outil, associée à l'attention accordée aux erreurs à corriger, présentait probablement un « gain » dans la réussite de la dictée non suffisant au regard de l'énergie déployée.

Seuls les élèves « moyens » ont véritablement donné à voir une évolution de leur travail, c'est-à-dire de l'écrit initial produit au début de l'exercice de dictée par rapport à l'écrit final qu'ils validaient. Nous avons observé chez ces élèves un travail de relecture fructueux : les écrits produits après une première écoute de la dictée étaient modifiés plusieurs fois et le nombre d'erreurs réduit au fur et à mesure de ces relectures.

Parmi nos élèves (au nombre de 12) de niveau intermédiaire, nous en avons retenu deux, Léa et Sophie, dont l'activité donnait ostensiblement à voir les problématiques liées à l'usage de la synthèse vocale en situation de dictée, ainsi que les effets produits par ce dispositif sur les écrits qu'elles avaient initialement produits.

Nous nous inscrivons dans une démarche d'étude de cas singuliers « dont la montée simultanée en généralité et en exactitude [des résultats] ne se réduirait ni à celle de la généralisation inductive, ni à celle de la nécessité déductive » (Passeron et Revel, 2005). L'objectif n'est donc pas de généraliser abusivement à partir de phénomènes singuliers, mais nous pensons, à la suite de Passeron et Revel, que « le cas fait preuve [et que] la force de la preuve croîtra à mesure que se présenteront d'autres cas, analogues ou parents » (Passeron et Revel, 2005). Ces cas rassemblent en eux-mêmes un grand nombre des propriétés de fonctionnement de ces situations de dictée que nous avons observées tout au long du recueil de nos données. C'est-à-dire qu'ils donnent à voir de manière emblématique les rétroactions que le milieu vocal, produit par la synthèse, apporte à l'élève en situation de dictée. Ce faisant, ils permettent d'apporter des éléments de réponse à la question suivante : quels effets la voix de synthèse produit-elle sur les écrits des élèves ?

Ils sont donc candidats à devenir des « exemplaires » (Kuhn, 1990), au sens d'exemples emblématiques permettant de comprendre certaines manières d'agir avec la synthèse vocale en situation de dictée. De notre point de vue, ces cas sont aussi emblématiques d'une certaine façon de traiter les enjeux théoriques qui leur sont liés. Ils permettent  de caractériser et de comprendre la pratique et de mettre à l'épreuve les outils conceptuels traitant de cette pratique. C'est d'ailleurs par la confrontation à des données empiriques que ces éléments théoriques évoluent. Il va s'agir, par exemple, dans notre article, d'analyser les effets de la synthèse vocale sur l'apprentissage du français écrit grâce aux notions de contrat didactique et de milieu.

4. Analyse des données

4.1. Présentation des données

Nous analysons deux situations de dictée produites par des élèves de CE1, Léa et Sophie. Préalablement au recueil de données, les enseignantes de ces élèves les ont décrites comme des élèves moyennement performantes en français de manière générale, et en dictée plus particulièrement. Dans les deux situations, Léa et Sophie, doivent, pour répondre à la consigne du logiciel (« écris la phrase que tu entends »), écrire le texte que leur dicte l'ordinateur. Une fois leur texte terminé, ou bien en cours d’écriture, elles ont la possibilité d’écouter, ou bien de réécouter la dictée, à volonté. Nous pouvons d’ailleurs penser que le fait de pouvoir écouter sa réponse est une forme de rappel du contrat, une sorte d'équivalent de la relecture qu'il est possible de faire de sa dictée afin de l'améliorer et qui est une habitude dont les élèves sont déjà probablement fortement imprégnés.

Comme nous allons le montrer, ces deux élèves utilisent les fonctions de la plate-forme de manière différente : Léa n'utilise pas la vocalisation de son écrit pour se corriger mais la synthèse vocale de la dictée (qu’elle peut faire jouer à volonté). En effet, au moment de ce film, elle ne maîtrise pas beaucoup l’outil de relecture de son écrit par le logiciel car elle utilise la plate-forme depuis peu de temps.

La plate-forme étant en évolution constante, il est important de savoir que, de son côté, Sophie travaille sur une version plus aboutie du logiciel. Cette version surligne, au moment de la réécoute des productions des élèves par la synthèse vocale, les mots comportant une erreur, afin de guider visuellement les élèves et de compenser l'impossible repérage par la voix des erreurs non phonétiques. Le logiciel surligne les erreurs lors des trois premières écoutes uniquement. Sophie travaille également depuis plus longtemps que Léa sur cette plate-forme et maîtrise donc mieux la fonction « écoute ta réponse » qui lui permet d'oraliser son texte et donc d'en entendre (et d'y voir par le soulignage) les erreurs.

Nous n'allons donc pas produire une comparaison des usages de la plate-forme par les élèves, mais plutôt tenter de caractériser les effets que peuvent produire, sur leurs textes, l'écoute de la synthèse vocale.

4.2. Première étude de cas : Léa

La première élève dont nous analysons l'activité sur la plate-forme, Léa, a été filmée en janvier 2014. Elle effectue la dictée suivante : « Marie joue une partie de billes avec Emma. ». D'emblée, il est relativement aisé d'identifier les principales difficultés que peut poser une telle dictée : la ponctuation (majuscules incluses), les noms propres, le pluriel de « billes », et les lettres muettes à la fin de plusieurs mots (« Marie », « joue », « partie », « billes »). Ces mots sont usuels et font partie d'un vocabulaire supposé être courant pour des élèves de CE1, mais la variation de leur forme, selon la personne ou le genre utilisés dans la phrase dans laquelle ils sont insérés, peut poser problème. Toutefois, le fait que la phrase soit au présent, avec un sujet au singulier, laisse à penser que son écriture par un élève de CE1, dans le cadre d’une dictée, est adaptée au niveau d’exigence habituel dans ce type de classe. Le problème posé par le milieu ne pose a priori pas de grande difficulté.

Préalablement à ce qui est transcrit ci-dessous, Léa a écrit « Marie jout ».

Tableau 2 • Transcription Léa

Léa écoute une première fois le logiciel puis commence à taper la dictée en répétant tout haut ce qu'elle a mémorisé et en segmentant certaines parties de mot (« u, une », « partie », « par »). Elle se demande, au moment d'écrire la terminaison du mot « partie », s'il faut ajouter la lettre « t », en répétant à voix haute les deux possibilités (« partie », « partite ») et en se posant la question à elle-même (06 :00). Elle fait donc jouer la synthèse vocale pour réécouter la dictée (07 :13) et, après l'avoir entendue, décrète qu'il n'y a pas de « t » à la fin et écrit le mot « parti » sans « e » (07 :19).

4.3. Quels effets de la synthèse vocale sur la dictée de Léa ?

Caractérisons plus avant le milieu dans lequel évolue Léa. Cette élève a à disposition à la fois son texte écrit, « Marie jout une parti », la possibilité d'écouter ce texte mais qu'elle n'exploite pas faute de familiarisation avec la plate-forme, et la version oralisée de la dictée « Marie joue une partie de billes avec Emma », qu'elle peut écouter autant de fois qu'elle le souhaite. C'est donc Léa qui a en partie la main sur le milieu auquel elle est confrontée car c'est elle qui choisit ou non le nombre d'écoutes. Elle choisit d'ailleurs d'écouter deux fois l'énoncé « Marie joue une partie » afin de pouvoir entendre la terminaison du mot « partie » qui lui pose problème. Ce choix est le très probable résultat d'un effet de contrat didactique, inhérent à l'exercice de dictée, exercice qui sera réussi si l'orthographe est correcte. De plus, le fait de pouvoir écouter sa réponse est une forme de rappel du « contrat de relecture », comme nous l’avons précisé. La situation diffère ici toutefois grandement d’une situation habituelle de relecture.

Dans le cas de Léa, le milieu sonore constitué par la voix de synthèse joue son rôle car il lui permet, dans une certaine mesure, de remplir le contrat en jeu, c’est-à-dire d’orthographier sans erreur. Mais le milieu joue son rôle dans une certaine mesure seulement car, bien que Léa ait entendu l’absence de la lettre « t » à la fin du mot, le milieu ne lui signale aucunement la nécessité d’activer une stratégie de réflexion quant à une autre possibilité de terminaison. Le message oral de la voix donne à entendre à Léa les aspects phonologiques de la conversion entre le milieu écrit et le milieu oral. Mais l'appui exclusif sur le caractère oral des mots ne lui permet pas de prendre connaissance de l'écriture erronée de certains graphèmes.  

En revanche, la plus-value de ce milieu, pour Léa, tient à un rapport au temps didactique qui lui permet de gérer la production de son énoncé de manière autonome et adaptée à son rythme cognitif. Avec la fonction de réécoute, Léa modifie le milieu en fonction de ses besoins et des stratégies qu’elle souhaite activer. Dès lors, elle modifie également le contrat didactique en jeu : il ne s’agit plus, pour elle, de réussir à écrire une phrase qui lui est dictée oralement, mais de réussir à écrire une phrase qui lui est dictée autant de fois que souhaité. Léa est donc en prise directe avec l'agencement du milieu. Elle organise cet agencement en fonction de la stratégie qu'elle souhaite déployer, afin d'être en mesure de résoudre au mieux le problème posé, c'est-à-dire d'écrire la dictée sans erreur, et de se conformer au contrat, pour « gagner » à ce jeu didactique.

Comme le montre la capture d’écran ci-dessous, Léa produit cependant deux erreurs dans l’écriture de la phrase : elle attribue la terminaison « t » au mot « jout » et n’écrit pas de « e » à la fin de « partie ».


Figure 4 • Dictée de Léa

La fonction de relecture de sa production par la plate-forme, telle qu’elle est conçue, donnerait à entendre la présence de la lettre « t » à la fin de « jout » mais Léa n’active pas cette fonction. Toutefois, nous n’analyserons pas le fait qu’elle ne fasse pas usage de cette fonction. Comme nous l’avons précisé, Léa, au moment de ce film, ne maîtrise pas beaucoup l’outil de relecture de son écrit par le logiciel car elle utilise la plate-forme depuis peu de temps. C’est pourquoi nous nous focalisons uniquement pour cette analyse sur la plus-value que peut représenter pour cette élève la manipulation de la voix de synthèse lisant la dictée initiale, la « bonne réponse ».

Ainsi, le fait que Léa écrive le mot « partie » sans ajouter la lettre « e » à la fin montre que le système d'attentes entre l’élève et le logiciel, c'est-à-dire le contrat didactique tel qu'il se présente dans cette situation, tend à occuper une place trop importante. En effet, les attentes fortes attribuées au rôle de la plate-forme peuvent empêcher les élèves de s'en émanciper et donc de réussir à écrire sans erreur certains phonèmes. Nous pensons que cela est le cas suite à l’analyse d’autres données, en particulier celle de la transcription d’un élève, Dorian, confronté à des difficultés similaires face à la plate-forme :

Tableau 3 • Transcription Dorian

Cet élève semble lui aussi attribuer beaucoup de « pouvoir » à la plate-forme et paraît étonné (21 : 25) de ne pas avoir entendu d’erreur au mot « billes », bien qu’il soit souligné. Nous pouvons donc penser que Léa se trouve dans le même cas. Cela montre également que ces élèves (ce qui est normal à ce niveau) n'ont pas les connaissances suffisantes sur les liens graphie-phonie (par exemple en ce qui concerne les lettres muettes) pour adopter un recul critique par rapport à ce que la synthèse leur donne à entendre. D’un côté, le logiciel, avec en arrière-plan ses concepteurs, lui donne à comprendre qu'il « attend » la production d’une dictée sans erreur grâce aux fonctions vocales. D’un autre côté, Léa, tout comme Dorian, semble attendre du logiciel qu'il l’oriente explicitement, voire oralement, vers une écriture sans erreur, en lui signalant ce qu’il y a à faire ou à ne pas faire, comme le fait Topaze dans le roman éponyme (Pagnol, 1970) en insistant sur le « s » de « moutons » lorsqu’il lit une dictée à ses élèves.

Le milieu dans lequel évolue Léa lui permet donc de prendre en compte des aspects phonologiques qu'une dictée classique par la voix de l'enseignant ne lui permettrait pas d'entendre, en particulier concernant l'oralisation des mots erronés qu'elle peut réécouter plusieurs fois. Il est aussi pourvoyeur d'autonomie quant au choix de réagencement du milieu par l'élève qui souhaite stratégiquement bien « jouer au jeu », par exemple en réécoutant des énoncés. La plus-value de l’utilisation de la synthèse vocale s’inscrit, pour une élève comme Léa, dans un usage relatif à une manipulation « libre » du milieu sonore. Comme nous l'avons précédemment indiqué, cette élève a été filmée au début de l'année 2014, et la plate-forme est en constante évolution. Ainsi, suite à l'observation de phénomènes similaires à ceux que nous venons de présenter, les concepteurs du logiciel ont ajouté une fonction de soulignage des mots erronés dans les exercices de dictée, afin de permettre aux élèves, en parallèle des écoutes de leurs productions, de voir les erreurs qui ne peuvent être données à entendre.

4.4. Seconde étude de cas : Sophie

La seconde élève sur laquelle nous nous focalisons a été filmée en juin 2014. Elle effectue la dictée suivante : « Marie a très faim. Elle mange une glace et du chocolat. ». Comme dans la dictée de Léa, les principales difficultés sont la ponctuation (majuscules incluses), les lettres muettes à la fin de plusieurs mots (« Marie », « très », « chocolat »), les sons [in] du mot « faim », et les sons associés à la lettre « e » à la fin des mots « mange » et « glace ». Ces mots font toutefois partie du vocabulaire courant pour des élèves de CE1, comme c'était le cas dans la dictée effectuée par Léa. Ici également, le problème posé par le milieu didactique n’est pas particulièrement difficile.

Juste avant la transcription qui suit, Sophie a écrit « Marie a très fin. Elle mange ».

Tableau 4 • Transcription Sophie

Dans cet épisode, Sophie travaille sur la correction de sa dictée à l'aide de la synthèse vocale, des mots soulignés, et de sa propre oralisation. Elle se focalise particulièrement sur le mot « glace », qu'elle a écrit « galsse ». Lors de l'écoute de sa production par la synthèse vocale (33 :16), elle entend une différence entre le son produit par la syllabe « gal » qu'elle a écrit et le début du mot « glace ». Suite à l'écoute de sa production, elle finit par corriger son mot en réécrivant « glasse » au lieu de « galsse » (33 :17).

4.5. Quels effets de la synthèse vocale sur la dictée de Sophie ?

Dans cet épisode, Sophie se sert de la vocalisation de son mot « galsse » pour se corriger. Le milieu sonore consiste en deux écoutes de l’énoncé qu’elle a écrit afin d’entendre comment transcrire le mot « glace », associées à l’oralisation (33 :17) de ce mot. Sophie voit également que le mot a été souligné par le logiciel et sait que cette fonction signale une erreur. Le fait que les mots soient soulignés est d’ailleurs une forme de rappel du contrat à l’élève, c’est-à-dire de ce qu’il y a à faire, soit écrire les mots sans erreur. Il s’agit aussi de donner à voir aux élèves (et plus seulement à entendre) ce sur quoi il est important de porter son attention.

Cela signifie également que, dans l’esprit des concepteurs, il existe une attente quant aux mots supposés être suffisamment connus par des élèves de CE1 pour que le soulignage leur permette de se corriger par eux-mêmes, une fois l’erreur signalée. Le contrat didactique s’appuie sur des attentes relatives à des connaissances « déjà-là » des élèves en situation en ce qui concerne l’écriture de mots courants. Les dictées ont d’ailleurs été conçues par les équipes participant au projet sur la base de mots relevant a priori du vocabulaire courant en fin de cycle 2.

Une fois sa phrase écrite, le logiciel met à la disposition de Sophie trois règles stratégiques potentielles. Elle peut écouter, pour bien « jouer au jeu didactique », autant de fois que souhaité la dictée. Elle peut également faire jouer la synthèse vocale produite à partir de son écrit, également autant de fois qu’elle le veut. Elle peut également ne pas utiliser la synthèse vocale et se servir uniquement du soulignage des mots : cette fonction n’est toutefois pas utilisable plus de trois fois. Elle utilise en fait les deux stratégies à la fois. C’est en fait l’activité écrite de Sophie qui constitue directement une partie du milieu sonore et qui le modifie en permanence au fil de la réécriture. C’est ce milieu et la possibilité de le réaménager au fil de l’activité qui permet à l’élève de prendre conscience de la différence entre « gal » et « gla » et donc d’actualiser ses connaissances, et, du même coup, d’actualiser « son » contrat, ses habitudes d’action et ses connaissances. Peut-être même pourrions-nous faire l’hypothèse qu’à la suite d’un travail régulier avec la plate-forme, des élèves pourraient adopter d’autres stratégies en situation de dictée classique avec un enseignant, lorsque le contrat didactique est généralement basé sur une lecture du texte par l'enseignant, répétée à plusieurs reprises, mais sans possibilité de prise en compte des écrits produits par les élèves. Les élèves habitués à travailler avec cet outil parviendraient peut-être plus facilement à se détacher de la relecture du texte de référence par l'enseignant, pour mieux se concentre sur leur écrit effectif, c'est-à-dire à prendre davantage contrôle sur leur environnement d'apprentissage, comme d'autres études l'ont montré (Handley, 2009). Les problèmes dus à la liaison ou la segmentation (Santiago-Oriola, 1999), qui sont directement liés à l'oralisation par le professeur du texte de la dictée, occuperaient peut-être moins d'importance pour ces élèves lors des temps de relecture, potentiellement plus habitués à prendre en compte davantage leur écrit que la dictée de référence.  

Tout comme Léa dans l’épisode précédemment analysé, la plus-value de la synthèse vocale se situe dans la capacité offerte à cette élève de gérer l’aménagement du milieu qu’elle souhaite, et en fonction des stratégies qu’elle souhaite mettre en œuvre. Cela permet par exemple à Sophie de s’essayer dans le milieu écrit autant de fois qu’elle le souhaite. Elle puise en fait dans le milieu les éléments adaptés à ses points faibles qui vont lui permettre de résoudre le problème. Contrairement à une situation de dictée classique, elle peut en effet maîtriser son écoute afin de repérer un mot qui lui pose problème.

Dans cet épisode, c’est bien cette fonctionnalité du milieu qui permet à cette élève d’entendre son erreur de conversion entre les phonèmes et les graphèmes du mot « glace » et donc d’être en mesure de la corriger, avec une gestion du temps qui lui convient. Ainsi, les signes didactiques que le milieu sonore envoie à Sophie sont suffisamment significatifs et rétroactifs pour lui permettre littéralement d’enquêter, au sens de (Dewey, 1967), sur le problème, et de progresser dans la réussite de sa dictée. Ces signes lui permettent d’activer une certaine technique, en tant qu’acte didactique « habituellement efficace » (Sensevy, 2011), celle de la conversion écrite des phonèmes entendus en graphèmes correspondants. Cette technique de conversion est une stratégie sous forme de réponse à une propriété significative (Sensevy, 2011) du milieu sonore.

Néanmoins, un problème similaire à celui qui se présente à Léa n’est pas résolu : le mot écrit par Sophie contient une erreur de transcription. Elle écrit en effet « glasse » au lieu de « glace ». Le problème est le suivant : le mot écrit par Sophie contenait deux erreurs, l’une phonologique, que le logiciel peut donner à entendre, et l’autre non. Sophie interprète donc probablement le soulignage comme indiquant uniquement l’erreur de transcription de « gla » (bien que le mot soit encore souligné par la suite). Tout comme pour Léa, qui pourtant n’avait pas à disposition l’outil de soulignage, Sophie semble attendre du logiciel qu'il lui signale, lors de la vocalisation, ce qu’il y a à faire ou à ne pas faire. C’est cette attente forte concernant les capacités du logiciel qui l’induit en erreur, ainsi que la non-connaissance de l’écriture de ce mot. Mais c’est également l’usage du logiciel tel qu’il est effectué dans cette situation qui ne permet pas à Sophie de corriger cette erreur. En effet, lors du protocole du recueil de données, il a été décidé de laisser les élèves travailler seuls, sans intervention ni travail conjoint avec une autre personne, un pair ou bien le professeur. Ainsi, une autre façon de faire travailler les élèves sur la plate-forme est actuellement envisagée par les concepteurs, car tous les élèves ne possèdent pas forcément les connaissances antérieures nécessaires à la résolution des problèmes orthographiques qui se posent dans les dictées du logiciel, ni d'ailleurs à la manipulation des aspects ergonomiques de l'outil.

4. Synthèse et discussion

Les deux cas que nous avons analysés, Léa puis Sophie, mettent en évidence les propriétés rétroactives qui émanent des systèmes contrat-milieu dans lesquelles ces élèves sont amenées à évoluer. Elles participent pleinement à la construction du milieu sonore, soit par des écoutes répétées de la dictée, soit par l’écoute de leur texte « mis en voix » par le logiciel. Le milieu sonore et le milieu scriptural sont très étroitement imbriqués et déterminés par les choix stratégiques des élèves, en particulier dans l’épisode avec Sophie. Ainsi, par le retour que la voix donne à entendre à l’élève, retour impossible à faire produire par la voix humaine du professeur, qui plus est en situation de classe entière, elle constitue une véritable plus-value à la réussite des exercices de dictée qui sont proposés. De plus, ce faisant, le retour vocal modifie le statut de l’erreur (Astolfi, 1997) en orthographe, et ce retour devient alors opérant pour faire évoluer la dictée des élèves.

La confrontation au milieu sonore et écrit peut être répétée autant que nécessaire, et de plusieurs façons différentes : il peut s’agir de l’écoute répétée d’un mot, de l’énoncé entier, de sa propre production, ou bien de la lecture des mots pointés par le soulignage. Ainsi, pour être en mesure de repérer le bon phonème et de le convertir en un graphème approprié, les élèves disposent de plusieurs stratégies pour résoudre le problème, mais aussi de plusieurs systèmes sémiotiques, qu’ils adaptent en fonction de leurs besoins. C'est au niveau de la gestion du temps (dont manquent souvent les élèves de niveau intermédiaire ou en difficulté) et des besoins personnels que se joue une des plus-values de la synthèse vocale. Les résultats de cette analyse confortent donc les observations menées dans d'autres cadres et avec d'autres types d'apprenants (Mercier, Guyomard, Siroux, Bramoullé, Gourmelon, Guillou et Lavannant, 2000), (Handley, 2009). Mais la démarche d'analyse didactique choisie a permis de faire apparaître un autre élément : les fortes attentes que suscite l'outil de la part des élèves peuvent aussi être un frein à la réussite des exercices.

On pourrait penser que la synthèse vocale influence les choix de stratégies des élèves. Une des règles implicites activée par Sophie, par exemple, est d'écouter sa production pour y entendre les éventuelles erreurs. Ceci dit, cette stratégie fait ses preuves car c'est l'écoute répétée du mot « galasse » qui lui fait repérer la mauvaise transcription du phonème pour la corriger. La participation des élèves à l’aménagement du milieu peut également paraître illusoire car ce sont avant tout les concepteurs des exercices et des fonctionnalités techniques de la plate-forme qui sont à l’origine de la production d’un certain système contrat-milieu, qui peut paraître ouvert concernant les fonctions de réécoute des mots, mais qui peut également renvoyer l’image d’un système fermé. Le soulignage des mots erronés, par exemple, constitue un rappel fort du contrat didactique : la dictée doit être écrite sans erreur (ou avec le moins d’erreurs possible) et il faut s’appuyer sur les éléments visuels et sonores à disposition pour y parvenir. Néanmoins, les élèves sont laissés libres d’utiliser ces fonctionnalités à leur guise, d’enquêter sur leurs erreurs en déployant de manière effective, parmi les règles stratégiques proposées, certaines stratégies qui sont pertinentes pour eux. Par exemple, Léa fait appel à une forme sonore « non intentionnelle » (Gruson et Sensevy, 2013) tandis que Sophie s’appuie sur une forme intentionnelle du milieu sonore, c’est-à-dire produite dans le but d’orienter son action scripturale, de lui permettre de savoir ce qu’elle doit écrire. C’est donc également au niveau du choix stratégique de la résolution du problème posé que se situe un autre aspect de la plus-value de la synthèse vocale, aspect fortement lié à celui de la gestion du temps.

Il est vrai que, contrairement à des interactions en classe, l’élève ne peut pas solliciter la machine comme il le ferait avec son professeur, afin de lui poser des questions relatives à la réflexion sur la langue qui lui permettraient de se corriger (concernant le pluriel par exemple). Une des pistes de réflexion concernant les usages possibles de la plate-forme porte d’ailleurs sur le développement d’autres modalités de travail, comme la réalisation des exercices en binômes, l’intégration de quelques rappels sur le fonctionnement de la langue écrite, ou bien l’intervention ponctuelle, en simultané ou en différé, du professeur.

Ce type d’usage ou cette nouvelle fonctionnalité permettrait de répondre à un des problèmes que pose la confrontation autonome des élèves au milieu, l’absence de réflexion métalinguistique sur leurs erreurs. La voix ne donne à entendre que les aspects phonologiques des énoncés et le soulignage des erreurs ne constitue qu’un pointage visuel. Cependant, une réflexion d’ordre métalinguistique est complexe à envisager avec des élèves d’environ 8 ans. Cela représente également un véritable défi technique. C’est probablement là que se situe une des limites d’un tel outil, ou, du moins, que se situe la limite d’un tel outil sans intervention du professeur, lui seul apte à faire référence à des éléments pertinents de la mémoire didactique (Brousseau et Centeno, 1991) de la classe, et de l’élève, afin de l’aider à se corriger. En effet, les erreurs de Sophie et de Léa que la voix de synthèse ne permet pas de donner à entendre ne peuvent être corrigées sans un appel à des connaissances antérieures que ces élèves n’ont peut-être pas, ou bien qu’elles ne savent pas comment réactiver. C’est là tout l’intérêt de l’apport de l’ingéniosité didactique du professeur qui peut agencer un milieu propice à la réflexion relative aux phonèmes à transcrire. D'autres études (Gelan, 2011) ont déjà mis en avant cette importance de la prise en compte du rôle du professeur de la classe au sein de tels dispositifs utilisant la voix de synthèse : « it is widely accepted that maximum return is still obtained when used in combination with more traditional teaching practises with a human tutor ».

L’intégration de l’outil de synthèse vocale aux pratiques des professeurs représente donc une perspective de développement intéressante dans le cadre de la poursuite de ce projet. Cela permettrait peut-être aussi aux élèves de relativiser la place occupée par la machine, à laquelle ils semblent accorder beaucoup d’importance dans la gestion de leurs erreurs, ce qui entraîne la non-correction de certaines erreurs ne pouvant être vocalisées.

Enfin, l’aménagement préalable du milieu par les concepteurs est un élément actuellement en cours de questionnement par l’équipe de recherche, dans le but de produire un outil qui permettrait aux élèves d’évoluer au sein d’un milieu plus ouvert. C’est pourquoi il est envisagé de mettre en place des exercices d’écriture semi-guidée, c’est-à-dire des exercices de production d’écrits intégrant des mots déjà utilisés dans les dictées. L’objectif de tels exercices est de montrer aux élèves que l’exercice de dictée peut être « un instrument placé au service de l’activité de production de textes écrits » (Angoujard, 2000), afin d’aider les élèves à développer leur réflexion et leurs compétences linguistiques (Rebiffé et Lebourgeois, 2012). Le milieu didactique serait alors plus ouvert et laisserait davantage de place à la créativité des élèves, dans la perspective d'un travail d'écriture de « fictions brèves » (Beucher, 2010), tout en ouvrant la possibilité d’un travail d’auto-correction de l’orthographe et de la morpho-syntaxe.

Conclusion

L’un des objectifs de notre article était de démontrer quels effets la synthèse vocale permet de produire sur la réussite d’exercices de dictée par des élèves de CE1. Il semble que le milieu didactique que constitue l’ensemble des retours sonores produits par la synthèse soit propice à la réussite de ce type d’exercices, dans une certaine mesure, parce que cela participe à une gestion autonome des savoirs à travailler et parce que cela donne à entendre des éléments sonores qu’un professeur ne peut produire. Les retours de la voix sont bien entendu à considérer avec une certaine prudence, en fonction des limites que nous avons soulignées et qui donnent à réfléchir à d’autres modalités d’usage de l’outil et à son intégration dans les pratiques des professeurs.

Il nous semble également intéressant, suite à ces résultats, de réfléchir aux possibles implications que ce type de technologie pourrait apporter à des élèves dont le français n’est pas la langue maternelle, ou bien encore à des élèves dyslexiques. Nous avons filmé des élèves entrant dans ces deux catégories dans le cadre de notre projet et il semble que plusieurs aspects sonores du milieu produit par la synthèse vocale pourraient utilement répondre à certaines des problématiques auxquelles ils sont confrontés dans l’écriture du français.

Le projet PhoReVox est appelé à se prolonger ou, du moins, à se renouveler, dans les années à venir afin de pouvoir apporter des pistes de réponses à ces problématiques et, à terme, de développer le logiciel dans le but de l’adapter à des apprenants du Français Langue Étrangère.


1 Les laboratoires concernés sont le Centre de Recherches sur l'Éducation, les Apprentissages et la Didactique (CREAD, Université de Bretagne Occidentale), l'Institut de Recherche en Informatique (IRISA, Université de Rennes 1), le Laboratoire de Linguistique Formelle (LLF, Université Paris 7), une société privée de développement de synthèse vocale (VOXYGEN, Lannion) et une société privée ayant créé une plate-forme en ligne d'apprentissage de l'orthographe (ZEUGMO, Grenoble).

2 Lorsque les élèves estiment avoir terminé leur dictée, il leur est possible de valider leur réponse en bas à droite de l'écran afin que le logiciel comptabilise le nombre d'erreurs dans leur dictée. Nous n'insisterons pas davantage sur ce point à ce stade de l'article car il s'agit d'un aspect du logiciel qui est en constante réactualisation technique et qui fait l'objet d'un travail en cours entre les équipes participant au projet PhoReVox.

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A propos des auteurs

Carole Le Hénaff est docteure en sciences de l’éducation, en didactique des langues. Elle a soutenu une thèse en 2013 à l’Université de Rennes 2 sur l’enseignement de l’anglais à l’école primaire. Elle est actuellement en post doctorat à l’Université de Bretagne Occidentale, ESPE de Bretagne.

Adresse : CREAD – 153, rue de St Malo – 35043 RENNES

Courriel : carole.lehenaff@gmail.com

Brigitte Gruson est Maître de Conférence en didactique des langues à l’Université de Bretagne Occidentale, ESPE de Bretagne depuis 2007. Elle s’intéresse à l’enseignement des langues vivantes, en particulier de l’anglais. Elle a piloté pour le CREAD le projet Phorevox.

Adresse : CREAD – 153, rue de St Malo – 35043 RENNES

Courriel : brigitte.gruson@espe-bretagne.fr

 

 
Référence de l'article :
Carole LE HENAFF, Brigitte GRUSON, La synthèse vocale au service de la maîtrise de la langue écrite : le cas de la dictée en CE1, Revue STICEF, Volume 22, 2015, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 02/10/2015, http://sticef.org
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Mise à jour du 4/12/16