Contact :
infos@sticef.org
|
Étude exploratoire sur l’utilisation
d’iPads en milieu scolaire : entre séduction ergonomique et
nécessités pédagogiques.
François VILLEMONTEIX*, Mehdi KHANEBOUBI**
*EMA, Cergy-Pontoise, **EMA,
Cergy-Pontoise
|
RÉSUMÉ : Cet
article présente une étude exploratoire portant sur les conditions
d’adoption de tablettes numériques de modèle iPad en
contexte éducatif. 13 entretiens d’enseignants et de responsables
et 4 observations de séances de classe ont été menés
dans une école primaire, un collège et un lycée
technologique d’Île de France. Les facteurs organisationnels,
pédagogiques et techniques, souvent mis en avant par les
interviewés permettent d’expliquer les usages ou non-usages des
tablettes par les enseignants. D’autres éléments explicatifs
renvoient à la perception qu’ils ont des technologies et/ou
à l’intérêt qu’ils retirent de leurs
utilisations. En outre, une tension a été
caractérisée entre un enthousiasme important lié aux
particularités ergonomiques des tablettes et la réalité de
contraintes encore nombreuses.
MOTS CLÉS : tablettes
numériques, école, enseignement primaire, enseignement secondaire,
iPad, enseignants.
|
|
ABSTRACT : This
article presents an exploratory research on the conditions for the adoption of
digital tablets iPad in an educational context. 13 interviews of teachers and
leaders and four classrooms observation were conducted in a primary school, a
middle school and a technological high school in Paris suburbs. Organizational,
pedagogical and technical factors expressed by respondents, explain the use or
non-use of tablets by teachers. Others explanatory factors refer to their
perception of technology and/or interest they derive from their use. In
addition, a tension was characterized between a large enthusiasm due to the
novelty of the ergonomic features of tablets and the important remaining
constraints of the reality.
KEYWORDS : iPad,
school, primary education, secondary education, teachers |
1. Introduction
Depuis la rentrée 2010, en France comme
aux Etats-Unis ou au Canada, des expérimentations nationales,
régionales ou municipales rendent disponibles des tablettes
numériques aux enseignants et aux élèves des
établissements primaires et secondaires. Selon le ministère de
l’Éducation nationale français, qui a consacré un
dossier complet aux tablettes en contexte éducatif (MEN, 2012), les
élèves se retrouveraient en possession d’un instrument
à tout faire, sorte de couteau suisse numérique mobilisable en
contexte pour fournir un support à une activité
d’apprentissage : recherche d’information, production de
documents, entraînement, écoute, visualisation, etc. En somme, les
tablettes constitueraient potentiellement pour les élèves une
sorte de compagnon d’apprentissage apte à fournir des ressources,
mobilisables à la volée. Cette vision institutionnelle optimiste
lisse cependant les différences entre les organisations scolaires, celles
existant entre les écoles primaires et des établissements du
second degré notamment et celles reliées aux contextes
d’accueil des technologies, au style pédagogique des enseignants (Altet, 2001) et
à leur investissement (Huberman, 1973).
Qu’en est-il donc de la situation induite par l’arrivée de
ces technologies et qu’en disent les acteurs concernés ?
Ce texte présente les résultats d’une étude
exploratoire réalisée dans le cadre d’une implantation de
tablettes dans quelques établissements d’une académie
francilienne, fin 2010. Nous avons pris appui sur les discours des enseignants
et sur l’observation de séances de classe, afin de mettre à
jour les ressorts de l’activité développée avec les
tablettes et les stratégies mises en œuvre en réponse
à l’opération déployée. Trois questions
générales guident l’étude :
- Quelles sont les caractéristiques organisationnelles et
logistiques des différents lieux de pratiques mises en place dans le
cadre de l’opération ?
- Quelles sont les utilisations développées par les
enseignants, selon leur établissement, leur rôle dans
l’opération et les soutiens dont ils disposent ?
- Quelles sont les spécificités et les contraintes
ergonomiques ou techniques des tablettes telles qu’elles sont
perçues et prises en compte dans l’activité des
enseignants ?
D’une manière générale, les résultats
obtenus soulignent des contrastes entre les organisations de
l’école primaire et des établissements du second
degré jouant dans le cas présent sur la diffusion des pratiques
dans les classes. Ainsi, malgré l’engagement de personnes
ressources porteuses du projet sur chaque site et l’importance des
soutiens hiérarchiques dont ils bénéficient, les pratiques
peinent à diffuser dans les deux établissements du second
degré. Par ailleurs, les résultats montrent également que
les potentialités présumées des tablettes et leurs
particularités ergonomiques suscitent un enthousiasme important en
tension avec des réalités pédagogiques complexifiant leur
exploitation. En cela, ils rejoignent les résultats d’études
portant sur les projets de dotations en ordinateurs portables au travers des
contraintes que leur déploiement fait peser sur les organisations
locales.
2. Cadre théorique
2.1. Similitudes et contrastes avec les projets d’équipement
« one to one »
Le caractère
mobile des tablettes et le principe d’attribution individuelle
d’appareils à des élèves et des enseignants
permettent d’établir quelques similarités avec les projets
massifs de dotation d’élèves en ordinateurs portables. Ces
projets, apparus à la fin des années quatre-vingt-dix et
appelés en anglais « one to one », ont
notamment été documentés par Silvernail et al. (Silvernail et al., 2011),
Grimes et Warschauer (Grimes et Warschauer, 2010),
Bebell et O’Dwyer (Bebell et O’Dwyer, 2010) ou Karsenti et Colin (Karsenti et Colin, 2011) en Amérique du Nord. Depuis 2001, en France plusieurs conseils
généraux ont doté en ordinateurs portables
collégiens et enseignants : le département des Landes en 2001 (Khaneboubi, 2007) ; (Jaillet, 2004),
celui des Bouches-du-Rhône en 2003 (Liautard, 2007),
l’Ille-et-Vilaine en 2004 (Rinaudo et al., 2008) ; l'Oise en 2009 (Khaneboubi, 2010a) et enfin le Val-de-Marne en 2012. Globalement, les mêmes espérances
portées à l’époque par les ordinateurs portables
le sont aujourd’hui par les tablettes : les cartables deviendraient moins
lourds, les manuels numériques remplaceraient les manuels en papier, une
manipulation plus ludique des notions, plus modernes ou encore plus motivante. (Hu, 2011) ; (Khaneboubi, 2010b).
Dans le contexte nord-américain et dans certaines conditions, les
ordinateurs portables favoriseraient les pratiques de lecture et
d’écriture (Zucker et Light, 2009).
L’importance du contexte institutionnel comme élément
explicatif de l’existence d’usages effectifs est l’un des
enseignements qui ressort de ces opérations. Ainsi, dans des groupes
scolaires privés de Californie (Grimes et Warschauer, 2010) ou du Canada (Karsenti et Colin, 2011) les ordinateurs font partie d’une politique globale qui concerne aussi
d’autres éléments de la vie scolaire comme les curriculums,
les conditions d’enseignement, les bâtiments, etc.
2.2. Primaire et secondaire, des organisations qui jouent sur les pratiques
Selon les cas, les organisations des établissements scolaires semblent
jouer sur les possibilités d’action des enseignants. Comme
l’a déjà souligné Larry Cuban (Cuban, 1997),
l’école primaire offre, par son organisation, davantage de
possibilités d’une évolution lente liées à
l’intégration des technologies dans les pratiques
pédagogiques que dans l’enseignement secondaire.
L'école primaire a en effet sa propre complexité. Elle se
singularise par une faible autonomie par rapport aux institutions qui la
pilotent, une organisation particulière, l’âge de son public
et l'importance qu’elle accorde à la pédagogie, la
polyvalence de l'enseignant et la structuration des enseignements qu'elle
délivre. L’enseignant peut jouer sur le temps ou l’espace de
sa classe ou de son école pour mettre en œuvre des démarches
de projet où les élèves sont placés en situation de
production. Cet ensemble joue plus ou moins directement sur les implications,
les formes d’ingénierie et les pratiques développées
par les enseignants, lorsqu’ils utilisent les technologies
informatisées (Béziat et Villemonteix, 2012).
Le collège et le lycée disposent d’une autonomie un peu
plus importante par rapport aux structures dont ces établissements
dépendent et s’appuient sur des fonctionnements assez proches. La
présence d’une ligne hiérarchique locale, le
séquencement temporel des cours, à durée fixée (50
minutes en général), ou encore l’identité
disciplinaire du professeur marquée par des formes de traditions issue de
sa discipline, constituent des facteurs à prendre en compte dans les
analyses des pratiques éducatives (Attali et Bressoux, 2002).
2.3. Les discours des enseignants sur leurs pratiques
Le discours des enseignants constitue un point d’appui pour rendre
compte de la complexité des contraintes posées, leur degré
d'implication dans l'opération et leurs stratégies en
réponse au dispositif déployé, qu’elles soient
organisationnelles, techniques et pédagogiques. Leurs
représentations sociales et professionnelles des technologies, les
stratégies, les intérêts et les valeurs qu’ils
accordent à ces instruments et à leurs utilisations, contribuent
à comprendre les dynamiques, les leviers pour une mise en œuvre en
classe ou d’expliquer certaines résistances (Jodelet, 2003).
Ces représentations ont une incidence directe sur leurs pratiques et
permettent également d’éclairer leurs choix didactiques,
pédagogiques et leurs fondements (Hermans et al., 2008).
Dans le cas de projets institutionnels donnant lieu à des dotations de
technologies dans les classes, les institutions prennent souvent appui sur une
frange d’enseignants repérés par leur capacité
à mettre en œuvre des instruments réputés complexes et
amenant à mettre en œuvre des schèmes reposant sur des formes
de conceptualisation et une technicité importante (Baron, 2005). Ces
enseignants, considérés comme des innovateurs sont
détenteurs d’intérêts, de valeurs, d’attentes et
les pratiques qu’ils souhaitent mettre en place peuvent
éventuellement contrarier les règles et les repères stables
ou éventuellement les remettre en cause (Akrich et al., 1988) ce qui peut être éventuellement source d’inquiétude (Alter, 2002).
Ainsi la question se pose de savoir dans quelle mesure les pratiques
développées par ces acteurs peuvent diffuser dans
l’école ou l’établissement et dans quelles conditions.
La présente opération « tablettes »
s’appuie localement sur un enseignant référent en lien avec
la technostructure en charge du projet, réputé utiliser
régulièrement les technologies et attester de compétences
importantes dans le domaine technico-pédagogique. Légitimés
par l’institution éducative (l’établissement, la
circonscription, le rectorat), ils ont déjà participé
à d’autres opérations de même nature ou des actions de
formation continue. Leur position de relai local de l’opération
académique nous amène à les nommer « porteurs de
projet» plutôt que « personnes ressources »,
compte tenu de leur position dans un dispositif piloté par
l’institution qui prescrit.
2.4. Les artefacts tactiles en éducation : une ergonomie
renouvelée
Les technologies tactiles sont entrées dans les écoles
françaises dans les années 80 avec le stylo optique de
l’ordinateur MO5 conçu par Thomson qui équipa
les écoles lors du plan Informatique Pour Tous (Baron et Bruillard, 1996).
Depuis, différentes machines tactiles ont été
déployées dans les écoles : PDA, liseuses,
téléphones portables, tablettes PC, tablettes, tableaux blancs
interactifs, tables numériques. Certaines de ces machines, les PDA et des Smartphones ont été utilisées lors de
l’utilisation de jeux géolocalisés en géographie (Genevois, 2012),
d’autres, d’autres telles les liseuses ont fait l’objet
d’expérimentations pédagogiques dans des contextes de grande
pauvreté en Afrique subsaharienne (Du Roy, 2012).
Certaines de ces interfaces seraient propices aux interactions et à des
formes de travaux collaboratifs entre élèves (Thomas et Roche, 2010) ; (Burgaud, et al., 2009).
Sur ce plan, des apports de la part des tablettes aux situations
d’enseignement ont été montrés chez de très
jeunes enfants (Couse et Chen, 2010) ou dans le cas d’élèves en situation de handicap (Mazurier, 2012).
En revanche, peu d’études sont parues sur les utilisations
disciplinaires de ces appareils dans l’enseignement primaire et secondaire (Murray et Olcese, 2011).
Cependant, comme avec des ordinateurs les réalisations
transdisciplinaires et les activités centrées sur
l’activité des élèves pourraient constituer des
pistes potentiellement plus fructueuses (Warschauer, 2006) ; (Sullivan, 2013).
La société Apple est présente sur les
marchés éducatifs nord-américains depuis les années
1980. Des opérations ont successivement concerné des ordinateurs
fixes lors du projet ACOT, Apple Classroom of Tomorrow,
débuté dans les années 80 (Dwyer et al., 1994),
des ordinateurs portables (Karsenti et Colin, 2011),
des baladeurs de type iPod (Roland, 2012) ou iPod touch (Banister, 2010).
L’engouement pour l’utilisation de tablettes iPad dans les
écoles paraît aujourd’hui s’inscrire dans une
continuité d’implantation de machines de cette marque depuis une
trentaine d’années. L’enthousiasme important des
élèves, des parents et des enseignants, dû probablement
à l’image de l’industriel, constitue un facteur susceptible
d’influencer les processus d’enseignements et d’apprentissages (Li et al., 2010).
Néanmoins, comme le fait remarquer Larry Cuban, cet enthousiasme
n’aura probablement pas d’effet à long terme : « iPads are marvelous tools to engage kids, but then the novelty
wears off and you get into hardcore issues of teaching and learning. » (Cuban, 2006)
Ainsi Henderson et Yeow (Henderson et Yeow, 2012) indiquent que, dans le contexte d’une école primaire, les
entretiens avec les enseignants et les administrateurs indiquent que les
principaux atouts des iPads sont l’accès simple et rapide
à des ressources pour les élèves et qu’ils facilitent
la conduite de travaux collaboratifs. D’autres études indiquent que
les iPads faciliteraient la mise en œuvre et la conduite de
situations d’enseignement auprès d’élèves en
difficulté vis à vis de la lecture (McClanahan et al., 2012) ; (Retter et al., 2013).
3. Méthodologie
3.1. Présentation des établissements ciblés
L’école
primaire, le collège et le lycée retenus par le rectorat dans
l’opération ont été dotés en 2010-2011 de
tablettes iPad et de cartes prépayées pour l’achat de
ressources. Ces établissements sont présentés par le
rectorat comme des établissements dits
« expérimentaux », pour être fréquemment
mobilisés pour tester différentes technologies
informatisées : ENT, manuels numériques, Netbook (Bruillard et al., 2011).
Le terme « établissement expérimental »
désigne la mise à disposition pour des établissements de
« laboratoires » permettant d’identifier les
utilisations possibles, les contraintes posées (logistiques, techniques,
organisationnelles et pédagogiques).
L’école primaire est intégrée à un groupe
scolaire d’une ville classée en zone d’éducation
prioritaire. Elle scolarise 165 élèves dans sept classes
encadrées par huit enseignants titulaires. L’un des enseignants est
identifié comme personne ressource. Il est l’interlocuteur du
rectorat et doit documenter l’opération. Il fournit des retours sur
les utilisations mises en œuvre, les problèmes posés, en
particulier dans le cadre de réunions régulièrement
organisées par l’institution. On retrouve un enseignant du
même profil dans les deux établissements du second degré
concernés.
Le collège est situé en zone semi-rurale et accueille environ
550 élèves et une cinquantaine d’enseignants, il est
qualifié de « difficile » par le chef
d’établissement. Deux classes (5e et 4e) se
partagent les tablettes. L’enseignant porteur du projet se montre
très actif et participe à d’autres opérations
académiques en liaison avec la mission TICE. Une moitié de la
population du collège provient de catégories socioprofessionnelles
défavorisées, mais l’équipe enseignante est stable.
88 % des élèves réussissent au brevet des
collèges et 73 % sont admis en seconde générale.
Situé dans une zone plutôt défavorisée, le
collège détient une meilleure position symbolique que son voisin
direct et bénéficie d’une image d’établissement
dynamique, notamment grâce à ses résultats au brevet.
L’établissement fait partie d’un récent plan
d’équipement départemental en TNI. Enfin, le collège
dispose d’un ENT académique.
Le lycée participant à l’opération se situe dans
une commune plutôt favorisée et accueille 850 élèves
ainsi qu’une centaine d’enseignants. Le projet
d’équipement en tablettes concerne les 27 élèves
d’une classe de 1ère, section sciences et technologies
industrielles et développement durable (STI2D). L'établissement
était bien doté en matériel informatique auparavant, mais
le projet « tablettes » s’inscrit dans la
stratégie de l’établissement et cherche à rendre la
nouvelle section attractive pour un public d’élèves de
l’environnement direct, issus de catégories sociales
d’avantages favorisées et habituellement orientées vers deux
autres lycées du secteur.
Les établissements scolaires dépendent des collectivités
territoriales pour leurs équipements et infrastructures. Les
écoles dépendent des communes et leurs équipements peuvent
varier d’une commune à l’autre. Les collèges sont
dépendants des conseils généraux et les lycées des
conseils régionaux.
3.2. Entretiens et observations
Selon le cadre théorique mobilisé, l’étude des
conditions de mise en œuvre des pratiques des tablettes a
déterminé le choix d’une méthodologie qualitative
basée sur l’analyse d’entretiens semi-directifs (13) et
d’observations de situations de classe permettant de contextualiser les
interviews (4). Afin de prendre en compte les contraintes d’organisation,
les responsables des établissements ont été
interviewés. Des enseignants utilisateurs ou non des tablettes ont
été interrogés, dont l’enseignant de chaque
établissement identifié par le rectorat comme porteur local de
l’opération.
À l’école, 2 observations furent menées dans trois
classes, de CE2, CM1 et CM2 et suivies d’entretiens avec 4 enseignants et
la directrice. Au collège, le chef d’établissement ainsi que
deux enseignants de physique-chimie et de mathématiques ont
été interviewés, une observation a été
effectuée dans une classe de 5e dont un groupe
d’élèves a été interviewé en focus
group. Au lycée, des entretiens ont été conduits avec
le chef de travaux et 5 enseignants de lettres, d’espagnol, de
mécanique et automatismes et de génie mécanique (porteur du
projet). Une observation a été réalisée en classe de
1ère technologique.
Un canevas d’entretien a été repris de
l’étude sur les collèges numériques de
l’académie de Créteil (Bruillard et al., 2011) et adapté aux contextes des établissements concernés. Sept
thématiques en ont constitué la trame : présentation
de l'interviewé au regard de sa trajectoire professionnelle ;
perception du projet, contexte technologique de
l’établissement ; utilisations des tablettes ;
perceptions des dimensions formation et accompagnement ; perceptions des
effets présumés du projet ; utilisation de ressources,
manuels et logiciels.
Dans la mesure où les éléments factuels
évoqués n’étaient pas connus à l’avance
par les enquêteurs et lorsque les interviewés n’anticipaient
pas les questions, le canevas d’entretien a été suivi. Nous
avons cherché à obtenir des réponses étayées
par des exemples, à faire parler les enseignants sur la
réalité de leur action et de leurs pratiques. Cette approche
méthodologique cherche à prendre en compte la subjectivité
des enquêtés.
Des observations de classe ont été menées afin de mieux
contextualiser les entretiens et illustrer les questionnements. Elles ont
également eu pour but de confronter les propos des interviewés
à ce qui s’est déroulé en classe, notamment à
propos des particularités des tablettes et des modalités de
communication et d’utilisation par les élèves des ressources
sélectionnées ou conçues par les enseignants.
Au cours de ces observations, des éléments relatifs à la
conduite des séances par l’enseignant ont été
relevés : organisation de la classe, organisation de la séance,
gestion du groupe, instrumentation de l’activité de
l’enseignant et des élèves, modalités
d’évaluation, complémentarité des instruments
informatisés, aléas techniques. Les enseignants ont
été interrogés à l’issue de chaque
séance sur des points de contexte, relatifs notamment à
l’articulation de la séance avec d’autres phases de la
séquence pédagogique, aux prolongements éventuels et aux
différentes problématiques plus techniques propres à
l’instrument.
Tous les entretiens et observations ont été enregistrés.
Les retranscriptions ont fait l’objet d’un traitement
thématique partiel permettant d’élaborer une synthèse
des témoignages des enseignants rencontrés (Bardin, 2007).
Les thématiques ont été déterminées par le
questionnement proposé par les enquêteurs, mais aussi par celles
introduites par les enseignants au cours de leur entretien. Un travail de
synthèse thème par thème a été entrepris,
prenant appui sur les observations des séances de classe au cours
desquelles les tablettes ont été utilisées.
Les résultats présentés ci-dessous reprennent les
éléments des synthèses réalisées,
augmentées d’un choix volontairement limité de verbatims. Si
certains ont une valeur illustrative et soulignent un point, d’autres sont
davantage signifiants pour traduire à eux seuls un fait saillant issu des
analyses.
4. Résultats
Trois tendances ont été relevées
à l’issue des analyses conduites, en phase avec nos questionnements
initiaux.
Tout d’abord les organisations différentes selon
l’établissement ainsi que les caractéristiques du
métier d’enseignant selon qu’il officie dans le premier ou le
second degré, semblent avoir une incidence sur les usages ou les
non-usages. Les pratiques ont en effet davantage été
diffusées à l’école primaire que dans les deux
établissements du second degré. Le séquencement des heures
de cours et le cloisonnement des disciplines constituent des cadres de
l’activité qui contraignent les utilisations et se font à
des occasions précises et planifiées au collège et au
lycée. Dans l’école primaire en revanche les enseignants
contrôlent mieux les variables d’organisation et ont des
possibilités de communiquer et d’échanger entre pairs avec
le soutien du directeur. Ces conditions ont probablement été
favorables à l’émergence de pratiques.
Sur les 6 enseignants du collège et du lycée interrogés,
2 ont déclaré utiliser les tablettes plusieurs fois par mois
et à l’école primaire, 3 enseignants déclarent
l’utiliser plusieurs fois par semaine. Tous les utilisateurs se
révèlent familiers des technologies éducatives
lorsqu’on les interroge et qu’on les observe. Ils se montrent en
capacité d’inventer des situations, mais les utilisations
observées s’inscrivent dans un cadre de pratiques plutôt
classiques où des phases collectives de présentation
d’objectifs ou d’exercices alternent avec des temps de travail
individuel. Il demeure que les utilisations les plus originales et les plus
fréquentes sont le fait des porteurs de projets dans chaque
établissement.
Enfin, les qualités ergonomiques et technologiques de la tablette
tactile masquent des contraintes techniques, liées par exemple au
système d’exploitation qui ne rend pas possible la gestion
classique des documents, aux applications mobilisées, ne permettant
qu’un nombre limités de paramétrages ou de
possibilités d’adaptation aux profils des élèves, et
plus généralement à leur relative inadaptation à
l’environnement technologique déjà présent
(ordinateurs, ENT).
4.1. Effets de structure sur les utilisations des tablettes
Au moment de l’enquête, 4 classes de l’école
primaire utilisaient tout à tour les 15 tablettes, selon un planning
hebdomadaire souple, discuté fréquemment en fonction des
opportunités et des projets. Les plages d’utilisation, de
durée très variables, pouvaient s’échanger entre les
enseignants, parfois au jour le jour. Cette souplesse est caractéristique
de l’école primaire. Les enseignants, étant seuls pour une
classe et polyvalents, ont la possibilité de jouer sur la durée de
leurs séances, ce qui n’est pas possible dans le second
degré. Dans l’école, les portes des classes sont ouvertes en
permanence. Les échanges informels et le partage d’informations
entre les classes à tout instant ont permis aux enseignants de se lancer
et de faire face aux contraintes techniques et logistiques posées. De ce
point de vue, c’est la collaboration entre les enseignants qui
apparaît comme la réponse aux besoins de formation :
« Les collègues, les collègues ! Tout le
temps, voilà quoi ! Tout le temps entre nous ! Pour
l’instant, c’est suffisant, ça va, je pense que ça va
continuer comme ça. On commence à devenir, pas des
spécialistes, mais à se débrouiller tous seuls. »
« Le choix des applications, c’est devenu naturel, c’est
devenu une réunion de travail, comme quand on fait une progression de
français tous ensemble. »
Concernant la formation cependant, les enseignants ont exprimé au
moment de l’enquête des besoins particuliers pour lesquels les
collaborations locales ne suffisaient plus. Les demandes concernent
l’échange de pratiques, l’aide à la création de
scénarios pédagogiques, à la gestion de la classe avec les
tablettes, à la conception de ressources, mais aussi à
l’évaluation des pratiques.
Dans les deux établissements du second degré, les dynamiques
inter-individuelles et les échanges se sont montrés plus
limités, du fait du cloisonnement disciplinaire, du fractionnement
temporel de la journée en séances de 50 minutes et des emplois du
temps différents des enseignants. Certains enseignants ont aussi
justifié leur non-utilisation par une organisation logistique et
technique contraignante et expriment d’autres inquiétudes,
renvoyant davantage aux contraintes posées par les tablettes sur la
gestion pédagogique de la classe. Ainsi, une enseignante de lycée,
non-utilisatrice, mais favorable à l’usage des TICE, fait part de
ses réserves :
« Je suis tout à fait pour les nouvelles modalités
pédagogiques. Le problème c’est que pour l’instant je
crains un peu des débordements avec l’iPad. Maintenant, il faudra
vraiment que j’ai préparé quelque chose de très
carré et pour l’instant, je ne me vois pas...
c’est-à-dire que si je leur demande d’aller chercher, de
faire des recherches, ils auront quelque chose de très précis
à me remettre à la fin de l’heure. Ce serait vraiment
cadré. Il risque d’avoir des recherches annexes... Ce qui me
gêne le plus c’est d’aller chercher et de ramener les
tablettes, c’est une perte de temps. Ensuite le fait que les
élèves ne puissent pas emporter chez eux les tablettes... Ceci
étant, je suis assez prête à le faire ».
Un autre point organisationnel susceptible de jouer sur les utilisations,
tient à la sécurisation des tablettes. Les 27 élèves
de la classe du lycée ont un iPad attitré mais ne les
emmènent pas chez eux. Il existe dans le lycée un local de
stockage dont la clé est disponible à l’accueil. Cette
contrainte influe sur certaines finalités pédagogiques :
« Comment faire en sorte que les élèves puissent,
au fur et à mesure de la collecte des informations qui sont
distribuées, conserver des traces et les consulter à tout moment,
même s’ils ne sont pas dépositaires de
l’appareil ? [Il est nécessaire] que l’on puisse
utiliser [les iPad] en cours de manière suivie et pas
simplement ponctuelle ».
L’usage de la tablette, perçue au départ comme une
ressource individuelle par l’enseignant du lycée porteur du projet,
doit s’intégrer dans une organisation adaptée et de
principes partagés par tous.
« Les élèves peuvent annoter sur la tablette,
souligner des termes, expliquer à côté ce que ça veut
dire. Mais ils n’ont pas la tablette le jour du bac, pour le moment ils
n’en sont pas dépositaires, ils les laissent dans
l’établissement. Ça m’embête qu’ils ne
puissent pas avoir leurs notes à la maison ».
C’est le même constat au collège, où une
demi-classe d’élèves de 4e dispose de tablettes
lors de certains cours et ne les rapporte pas au domicile. Comme au lycée
les iPad sont utilisés sous le contrôle des enseignants en
séance uniquement où le travail réalisé doit
immédiatement porter ses fruits. Dans ce contexte, il est difficile pour
les enseignants utilisateurs de concevoir une séance dont le produit
puisse être amélioré en dehors de la classe.
4.2. Les porteurs de projet : inventeurs d’usages
Faute de dispositif d’accompagnement particulier,
l’expérimentation n’incite que modérément les
enseignants à utiliser les tablettes. Les principaux usages
identifiés sont principalement le fait des porteurs de projet dans chaque
établissement. En effet, seuls les plus hardis, les innovateurs
bricoleurs, dotés d’une culture numérique suffisante mettent
en œuvre des situations de classe inventives en jouant notamment sur des
variables organisationnelles.
Dans
le cas de l’école élémentaire, ces démarches
trouvent leur originalité dans une gestion de classe privilégiant
l’activité de l’élève et les
détournements de logiciels, en cohérence avec des objectifs
didactiques bien identifiés. Un professeur des écoles
observé a mis l’accent sur la production des élèves
et la communication avec les tablettes lors de l’activité. Sa
recherche initiale d’applications n’a pas systématiquement
porté sur des ressources « disciplinaires », mais
plutôt sur celles permettant des représentations originales de
phénomènes, de concepts ou offrant des possibilités de
création, manipulation et communication d’objets dans des domaines
traditionnellement peu instrumentés. Un enseignant détourne par
exemple un logiciel de brainstorming (IcardSort) pour faire concevoir par
des groupes d’élèves des cartes à combiner et
constituer ainsi des égalités mathématiques. Après
une phase de création, les élèves les échangent
entre eux dans une logique d’évaluation par les pairs. Dans
d’autres cas, les applications non spécifiquement prévues
pour l’enseignement sont aussi détournées. Lors d’une
séance portant sur la symétrie, un enseignant a indiqué que
grâce à une application graphique (MirrorPaint) les
élèves se sont mieux appropriés la notion.
Au collège et au lycée, les enseignants se basent sur leurs
pratiques d’enseignement avec d’autres technologies pour leurs
pratiques de classe avec les tablettes. Un enseignant de physique du
collège déclarait utiliser les tablettes dans un cours sur deux,
comme outil de visualisation de ressources multimédias, en soutien, lors
des travaux pratiques, aidant à la production et à la
communication de documents. L’enseignant pilote l’activité
des élèves au moyen de supports mobilisables sur la tablette et
conçus auparavant. Les ressources qu’il mobilise sont liées
soit à sa discipline (physique) soit à un objectif de
réalisation d’un support (logiciel auteur). Ainsi, au cours
d’une séance de travaux pratiques d’introduction aux premiers
concepts d’électronique, les élèves devaient
construire un circuit pour comprendre le fonctionnement d’un interrupteur,
d’une résistance etc. Pour cela, ils récupèrent un
document pdf dynamique conçu par l’enseignant au moyen
d’une application dédiée, qui constitue un guide pour
l’activité, un support pour leurs réponses et un portail
vers d’autres ressources.
Au lycée, l’enseignant fait utiliser les tablettes par ses
élèves au cours d’une situation de production, dans le cadre
général d’un projet de conception d’une patinette
électrique écologique. Le choix de l’application support par
l’enseignant s’est fait selon une entrée disciplinaire. Par
groupe de 2 à 4, les élèves devaient élaborer un
cahier des charges et concevoir un prototype. Les tablettes ont d’abord
été utilisées pour réaliser des recherches et une
présentation des objets identiques existant, puis lors de
réalisations d’esquisses à main levée destiné
à obtenir des ébauches de différentes pièces
à réaliser. Traditionnellement, les élèves font ce
type de travail sur papier : alors qu’un élève dessine,
les autres échangent, commentent, réagissent et orientent les
gestes du dessinateur. Avec les tablettes, une application permet le partage de
la même surface d’esquisse sur plusieurs machines et
l’interaction directe en temps réel sur les croquis. Ce travail
réclame une attention particulière de la part des
élèves. Ils accomplissent des ajustements successifs fins,
régulant leurs actions au fil de l’eau en fonction des
échanges verbaux et de l’ensemble des tracés sur les
surfaces de travail individuelles.
Par la suite, ils balaient la chaîne de modélisation en trois
dimensions avec un progiciel dédié (Solidworks) et
s’initient au dessin industriel, notamment pour simuler des
phénomènes mécaniques. Parallèlement à cette
utilisation de la tablette, l’enseignant souligne
l’immédiateté de l’accès au web avec les
tablettes, utile dans le cadre des travaux entrepris, alors que
l’utilisation d’un ordinateur pour la même tâche
nécessite la mise en œuvre d’un processus plus long :
démarrage, identification, accès au réseau.
Néanmoins, dans les trois établissements, d’autres
enseignants que les porteurs de projet ont tenté quelques utilisations.
À l’école primaire, deux autres enseignants
interviewés déclaraient utiliser fréquemment les tablettes
pour des durées plus ou moins longues. Leur mise en œuvre
s’est faite simplement, grâce au soutien de la personne ressources.
Ils soulignaient que les mises en œuvre se font simplement, sans latence
particulière, ce que nous constatons au cours des observations. En
mathématiques par exemple, les enseignants mobilisent les tablettes pour
l’utilisation de batteries d’exercices (iToochMath). Ce type
de logiciel est perçu favorablement. Ceci s’explique par le fait
qu’ils permettent aux enseignants de mettre en place rapidement des
procédures normalisées d’entraînement et
d’évaluation en s’appuyant sur un principe de
répétition.
« Les enfants font la même activité au même
moment avec les iPad, par exemple en anglais on peut les utiliser pour avoir
plus de vocabulaire » « Vu qu’on n’a que 15
iPad, on travaille soit à deux par tablette, pour de la découverte
ou des petits exercices, ou en demi-groupes avec un élève par
iPad... »
Dans le second degré, les utilisations développées par
d’autres enseignants que le porteur du projet sont plus rares. Les
enseignants ont notamment indiqué que les ressources et les tablettes
sont peu adaptées au contexte de leur classe. Par exemple, un enseignant
de mathématiques déclare avoir utilisé iToochMath à quelques reprises puis avoir abandonné. Il se montre exigeant
vis à vis de la ressource. Selon lui, ce type d’exerciseur ne prend
pas en compte la nature des erreurs commises et ne permet par aux
élèves de rédiger les opérations
réalisées : « j’aime que les
élèves rédigent, expliquent leur
démarche ». L’enseignant déclare avoir
l’intention d’utiliser un logiciel de calcul mental
ultérieurement, mais considère toutefois que l’utilisation
de la tablette ne constitue qu’un complément au cours et que « pour le moment » les iPad ne peuvent pas « être intégrés » pleinement dans
la classe.
Le rapport des enseignants à la recherche de ressources est
systématiquement référé à la discipline ou
à une légitimation liée à leur origine. Elles
doivent être « adaptées aux
programmes » ou aux exigences disciplinaires,
« prendre en compte les particularités des
disciplines » et « faites par des
profs. ». Le temps nécessaire à leur recherche
devient aussi un problème de fond.
4.3. Un design adapté, mais des contraintes techniques et logistiques
encore nombreuses
Tous les enseignants interrogés sont assez enthousiasmés par ce
que représente l’utilisation d’iPad en classe. Ils
décrivent les caractéristiques des tablettes comme des facteurs
d’usage, pour eux comme pour les élèves :
mobilité importante du matériel permettant une orientation et
des déplacements aisés ; interface tactile rendant possibles
des déplacements, agrandissements ou réductions d’objets
à l’écran ; diminution considérable de la
latence lors de l’activation de la tablette ou d’une application par
rapport à un ordinateur classique ; place occupée dans
l’environnement de travail de l’élève ; fonctions
de baladeur audio et vidéo. Les fonctions de géolocalisation ne
sont en revanche jamais évoquées.
Lors des
observations, les élèves utilisent les tablettes sans
difficulté manifeste. Au collège, l’enseignant
n’intervient en soutien aux utilisations qu’à la marge. La
qualité des supports conçus et le caractère intuitif des
applications constituent indéniablement des facteurs facilitant une
adoption rapide.
Lorsqu’ils sont interrogés, les
élèves insistent sur la variété des
opérations permises par la tablette en physique et en
mathématiques : noter, calculer, s’exercer, partager,
photographier, projeter, écouter, enregistrer. Les manipulations
décrites ne sont pas spécifiques aux tablettes, mais elles sont
exécutées avec aisance. En classe, chacun dispose d’une
machine, qu’il peut gérer, personnaliser et contrôler
à souhait, ces conditions d’utilisation générant
satisfaction et l’enthousiasme des élèves, constat que
l’on retrouve également dans le cas des ordinateurs
portables : « en histoire-géographie, on a vu des
vidéos... on regarde, on peut faire des pauses comme on veut ».
Un ensemble de difficultés techniques et logistiques se retrouvent sur
les trois sites de l’expérimentation à des degrés
divers. Ils concernent la gestion du parc de machines, le choix des applications
adaptées ou certaines spécificités du système
d’exploitation limitant parfois les utilisations. Par exemple, la question
du stockage ou du rechargement des batteries se règle au fil de
l’eau et dépend pleinement de la bonne volonté des porteurs
de projets qui évoquent une inadaptation encore impensée du
dispositif technique au contexte scolaire à ce stade de
l’expérimentation :
« Il y a les synchronisations, il faut les recharger,
c’est quand même assez lourd, on n’a pas de personnel
attitré pour s’en charger. Les collègues qui gèrent
cela passent du temps à midi, ils en emmènent chez eux le soir
pour recharger, c’est comme ça que ça
fonctionne ».
« C’est un terminal qui a été pensé
pour un service domestique individuel, du coup dans le cas d’une flotte,
d’une gestion dans le cadre d’un établissement, on sent
qu’on est en décalage avec l’esprit initial du
produit ».
Le système d’exploitation des tablettes impose des restrictions
souvent perçues comme des freins. C’est le cas de
l’installation exclusive d’applications figurant dans
l’Apple Store, soumises à une autorisation de diffusion ou
encore de l’absence de Flashplayer limitant l’accès
à de nombreuses vidéos ou animations destinées aux
disciplines scientifiques. Le travail d’écriture dans ces
disciplines est également limité à l’alphabet
proposé par la machine, lors de l’enquête, la mise en indice
n’étant pas possible en physique, ni même
l’écriture fractionnaire.
Le système
d’exploitation pose également un problème de
complémentarité des tablettes avec les autres technologies.
C’est le cas des ENT des établissements du second degré avec
lesquels elles ne peuvent pas communiquer. Par conséquent, pour pouvoir
échanger des fichiers, les enseignants interrogés utilisent
l’application Dropbox, logiciel de synchronisation de fichiers
entre plusieurs machines et le Web. Cette solution semble s’imposer
d’une part parce que les élèves ne disposent pas à
plein-temps de leur iPad, mais aussi parce qu’en cas de vol ou de
perte cela permet de ne pas perdre les données. Il convient de noter
qu’aucun contrôle sur les données personnelles de
élèves n’est possible.
Les salles informatiques
équipant les établissements sont également
délaissées. Au collège, la salle est dotée de
14 postes, elle est jugée peu propice à une utilisation en
classe entière, selon l’enseignant référent pour des
raisons de baisse de moyens d’encadrement, un poste d’assistant
d’éducation n’ayant pas été
renouvelé :
« Je n’utilise plus la salle informatique depuis que
j’ai les tablettes numériques. Après, si j’y allais,
ce serait pourquoi... là comme ça, je ne vois pas. Non, je pense
que je ne retournerai plus en salle informatique, maintenant que j’ai les
tablettes ».
En revanche, les enseignants ont bien
perçu les potentialités d’une complémentarité
entre les TNI et les tablettes, notamment pour assurer la continuité
d’une activité individuelle vers une autre, plus collective.
5. Discussion et perspectives
Dans cette recherche notre objectif était de
répondre à trois questions relatives à l’utilisation
de tablettes dans le contexte spécifique de trois établissements
scolaires de niveaux différents : une école, un
collège et un lycée. La première concernait les
caractéristiques organisationnelles des sites dans le cadre de cette
opération, le deuxième portait sur les utilisations
développées localement et le rôle occupé des
enseignants impliqués et la troisième touchait aux
spécificités et aux contraintes propres aux tablettes, telles
qu’elles sont perçues ou mobilisées par les enseignants.
Concernant les organisations, l’approche croisée de deux types
de configurations scolaires (école primaire et secondaire) permet de
repérer quelques points de contraste jouant sensiblement sur
l’engagement ou le non engagement des enseignants dans l’utilisation
des tablettes, notamment la segmentation temporelle et disciplinaire variant
fortement entre l’école et l’établissement du second
degré. La souplesse de l’organisation de l’école
primaire a offert, dans le cas présenté, des possibilités
d’action aux enseignants, et facilité des collaborations et
échanges informels, au profit de pratiques effectives en classe. Ce
résultat confirme le constat déjà ancien de Cuban sur la
souplesse que l’organisation de l’école primaire peut
permettre pour développer des pédagogies où les
technologies sont exploitées selon des configurations variées.
En ce qui concerne les utilisations, elles se différencient entre le
premier et second degré, mais aussi entre les porteurs de projets et les
autres enseignants. Selon les disciplines concernées, l’instrument
intervient soit pour prolonger les leçons par des activités
d’entraînement ou d’évaluation, soit pour la
consultation de ressources en ligne ou d’aides, que l’on trouve
classiquement à l’école, au collège, ou au
lycée (dictionnaires, lexiques, clés, encyclopédies, outils
de calcul et de représentation symbolique). En ce qui concerne les
porteurs de projet, leurs pratiques sont plus complexes, alliant une
réflexion didactique importante et une technicité affirmée.
On pourrait d’ailleurs se demander si cette technicité, qui permet
de mieux comprendre les processus sous jacents au fonctionnement des instruments
disponibles et permet de mieux entrevoir les potentialités
d’utilisation, ne constitue pas un facteur favorisant une réflexion
plus approfondie sur les considérations didactiques, à tout le
moins pédagogiques.
Sur ce point, les pratiques repérées de ces acteurs se
distinguent de celles de leurs collègues par une centration sur la
production de documents par les élèves, la consultation de
ressources ciblées, ou la communication de données. Sans
réellement innover par rapport à des pratiques standard de classe
et bousculer un paradigme classique d’enseignement (Moeglin, 2012),
ils se placent en précurseurs d’usages et s’efforcent
d’entraîner leurs collègues avec eux. Sont-ils des
innovateurs, au sens d’Akrich et de ses
collègues (Akrich et al., 1988) susceptibles d’intéresser d’autres acteurs ? Dans le cas
présenté, l’organisation repérée à
l’école constitue sur ce point un facteur favorable à la
cohésion d’une équipe autour d’un projet et de son
porteur, ce qui est moins le cas au collège et au lycée,
malgré la bonne volonté de l’enseignant
référent et de sa hiérarchie. Une perspective de recherche
spécifique sur les liens entre l’organisation de
l’école primaire avec ses déclinaisons locales et les
pratiques des technologies en classe pourrait être ouverte. Ceci pourrait
être envisagé sur un échantillon contrasté
d’écoles, rurales, urbaines ou encore d’effectifs
d’élèves différents.
Sur un plan des contraintes et des potentialités des tablettes enfin,
les enseignants interrogés considèrent que les tablettes sont
proches des ordinateurs. Ils conviennent cependant que l’interface tactile
amène les élèves à mobiliser de nouveaux gestes pour
manipuler les éléments visibles. Ces manipulations directes sont
possibles à plusieurs ce que ne permet pas l’ordinateur. Notons que
les solutions techniques permettant de sécuriser, recharger les tablettes
et diffuser rapidement les applications acquises, ou encore de stocker les
documents conçus, n’avaient pas été prévues au
moment de l’enquête. Là encore, les enseignants porteurs du
projet bricolent et trouvent des solutions plus ou moins adaptées
à leur contexte, mettant notamment en œuvre des solutions gratuites
et privées de stockage ou de communication qui ne seraient pas
acceptables dans le cas de dissémination à plus grande
échelle, notamment dans une perspective de mise en cohérence des
dispositifs déjà présents (ENT) et des outils nomades tels
que les tablettes.
Nous pouvons ajouter qu’en ce qui concerne les ressources
mobilisées par les enseignants, l’effet de pléthore face
à une offre peu hiérarchisée est ressenti par les
enseignants, quel que soit leur niveau d’exercice. Le temps
mobilisé pour l’accès à des applicatifs
adaptés est important et le risque de renoncement l’est tout
autant. Des dispositifs institutionnels de référencement de
ressources voient progressivement le jour (CRDP de Créteil, 2011),
mais cela suffit-il pour constituer un facteur notable
d’intéressement des enseignants ?
BIBLIOGRAPHIE
AKRICH, M., CALLON, M., LATOUR, B. (1988). A quoi tient
le succès des innovations ? 1 : L’art de
l’intéressement; 2 : Le choix des porte-parole. In Gérer et Comprendre. Annales des Mines, Gérer et comprendre.
Annales des Mines. Consulté en septembre 2013 à
l’adresse http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00081741
ALTET, M. (2001). Chapitre 1. Les compétences de
l’enseignant-professionnel: entre savoirs, schèmes d’action
et adaptation, le savoir analyser. Perspectives en éducation et
formation, 27–40. Bruxelles : De Boeck
ATTALI, A., BRESSOUX, P. (2002).
L’évaluation des pratiques éducatives dans les premier et
second degrés. Rapport pour le Haut Conseil de l’Evaluation de
l’Ecole. Paris, HCÉÉ. Consulté le 23 septembre
2013 à l’adresse http://05.snuipp.fr/IMG/pdf/rapport_Attali.pdf
BANISTER S. (2010). Integrating the iPod Touch in
K–12 education: Visions and vices. Computers in the Schools, 27(2),
121–131.
BARDIN, L. (2007). L’analyse de contenu.
Presses Universitaires de France - PUF.
BARON, G-L. (2005). Les TICE, de l’innovation
à la scolarisation. Problèmes et perspectives. Congrès
national de l’AFT-RN, 25 mars 2005. CDDP des Hauts-de-Seine.
BARON G.-L., BRUILLARD, É. (1996). L’informatique et ses usagers dans l’éducation.
Paris : PUF.
BEBELL D. O’DWYER L. M. (2010). Educational
Outcomes and Research from 1:1 Computing Settings. Journal of Technology,
Learning, and Assessment, 9(1).
BIBEAU R., (2007). « Les Technologies de
l'Information et de la Communication peuvent contribuer à
améliorer les résultats scolaires des élèves »,
consulté le 23 septembre 2013 de
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0704b.htm.
BRUILLARD, É., BLONDEL, F.-M., DENIS, M.,
KHANEBOUBI, M., LAGHZAL, B., LAMOURE, J., TORT, F. (2011). Collèges
numériques de l’académie de Créteil. Laboratoire
STEF — ENS Cachan.
BURGAUD, D., MOUGENOT, C., & GIDEL, T. (2009). Tables
interactives : vers une aide à l’animation de séances
de conception préliminaires collaboratives ? CONFERE’09, Marrakech, Maroc.
COUSE, L. J., CHEN, D. W. (2010). A tablet computer for
young children? Exploring its viability for early childhood education. Journal of Research on Technology in Education, 43(1), 75.
CRDP Créteil. (2011). Applications pour
tablettes « iPad » | Créteil@EduMarket.
Consulté en novembre 2013, à l’adresse
http://edumarket.crdp-creteil.fr/apple
CUBAN, L. (2006). Cuban Op-Ed : The Laptop
Revolution Has No Clothes. Education Week, Vol. 26 n°8.
DAGUET, H., WALLET, J. (2012). Du bon usage du «
non-usage » des TICE. (P. Marquet, Éd.) Recherches &
éducations, Vol. 6, p. 35-53.
DEPOVER C., (2009). « La recherche en technologie
éducative : fondements et approches », in Depover C., dir., La recherche en technologie éducative, un guide pour découvrir
un domaine en émergence, édition des archives contemporaines,
p. 5-13. Paris : AUF
Du ROY, A. (2012). Tablettes et liseuses : des outils éducatifs pour les pays africains ? Adjectif.net. http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article187 consulté en juin 2013.
DURPAIRE, J.-L., JARDIN, P., JOUAULT, D., PEREZ, M.
(2011). Le plan Ordicollège dans le département de la
Corrèze (No. 2011-112).
DWYER, D. C., RINGSTAFF, C., HAYMORE, J., SANDHOLZ, P. D.
(1994). Apple classrooms of tomorrow. Educational Leadership, Vol. 51
n°7, p. 4-10.
FLICHY P. (2008). Technique, usage et
représentations. Réseaux, Vol. 2 n°148-149, p.
147-174
GENEVOIS, S (2012) : Interfaces mobiles et
apprentissages géographiques : vers une « éducation
augmentée ? Première journée scientifique Artefacts
Tactiles et Mobiles en Éducation. Université de
Cergy-Pontoise. 27 septembre 2012.
GRIMES, D., WARSCHAUER, M. (2008). Learning with laptops:
A multi-method case study. Journal of Educational Computing Research,
Vol. 38 n°3, p. 305–332.
HERMANS, R., TONDEUR, J., VAN BRAAK, J., VALCKE, M.
(2008).The impact of primary school teachers'educational beliefs on the
classroom use of computers. Computers & Education, Vol. 51n°4,
p. 1499–1509.
HENDERSON, S., YEOW, J. (2012). iPad in Education: A Case
Study of iPad Adoption and Use in a Primary School. 45th Hawaii International
Conference on System Science (HICSS).
HU, W. (2011). More Schools Embrace the iPad as a
Learning Tool. The New York Times 4th of january 2011. http://www.nytimes.com/2011/01/05/education/05tablets.html consulté en juin 2013.
HUBERMAN, A. M. (1973). Comment s’opèrent
les changements en éducation: contribution à l’étude
de l’innovation. Unesco.
INRP. (2002). Méthodes et outils pour
l’observation et l’analyse des usages - Programme de
numérisation pour l’enseignement et la recherche (Rapport final
No.1). Lyon.
JAILLET, A. (2004). What Is Happening with Portable
Computers in Schools? Journal of Science Education and Technology, Vol. 13
n°1, p. 115‑128.
JODELET, D. (2003). Les représentations
sociales. Paris : PUF
KARSENTI, T., COLIN, S. (2011). Une étude sur les
apports des ordinateurs portables au primaire et au secondaire (p. 261-270). P
Didapro 4 — Dida&STIC, Analyse de pratique et enjeux
didactiques, Patras (Grèce) : Université de Patras.
KHANEBOUBI, M. (2007). Usages de l’informatique
au collège et habitus professionnels des enseignants : exemple de
l’opération « un collégien, un ordinateur
portable » dans le département des Landes. Thèse de
doctorat. Université Victor Segalen Bordeaux 2.
KHANEBOUBI, M. (2010a). Essai de classification des
réponses d’enseignants à un questionnaire portant sur leurs
usages des TIC en classe. Journées Communication et Apprentissage
Instrumentés en Réseau. Acteurs et Objets Communicants : vers
une éducation orientée objets ?, Amiens : INRP.
KHANEBOUBI, M. (2010b). Description de quelques
caractéristiques communes aux opérations de dotations massives en
ordinateurs portables en France. Rubrique Revue STICEF, Vol. 16.
LI, S. C., POW, J. W. C., WONG, E. M. L., FUNG, A. C. W.
(2010). Empowering student learning through Tablet PCs: A case study. Éducation and Information Technologies, Vol. 15 n°3, p.
171–180.
LIAUTARD, D. (2007). Propos de bilan... À propos
d’Ordina 13. Les dossiers de l’ingénierie
éducative, Vol. 60, p. 58‑62.
MAZURIER, S. (2012). Usage et accès des tablettes
tactiles par les personnes en situation de handicap mental et cognitif. Mémoire en vue de l’obtention du master 2 Mention Information et
communication. Université de Lorraine.
McCLANAHAN, B., WILLIAMS, K., KENNEDY, E., TATE, S.
(2012). A Breakthrough for Josh: How Use of an iPad Facilitated Reading
Improvement. TechTrends, Vol. 56 n°3, p. 20‑28.
Ministère de l’Éducation nationale
(2012). Tablette tactile et enseignement (école — collège
— lycée). http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/apprendre/tablette-tactile consulté en juin 2013.
MOEGLIN, P. (2012). Ardoises numériques,
changement de paradigme ? EcriTech’3, Nice. Consulté à
l’adresse http://www.ecriture-technologie.com/?p=2781 consulté en juin 2013.
MURRAY, O. T., OLCESE, N. R. (2011). Teaching and
Learning with iPads, Ready or Not? TechTrends, Vol. 55 n°6, p.
42-48.
READ, M., KIMMONS, R. (2012). iPad as mobile IWBs.
Proceedings of Society for Information Technology & Teacher Education
International Conference 2012. Society for Information Technology &
Teacher Education International Conference, Chesapeake, VA.
RETTER, S., ANDERSON, C., KIERAN, L. (2013). iPad Use for
Accelerating Gains in Reading Skills of Secondary Students with Learning
Disabilities. Society for Information Technology & Teacher Education
International Conference 2013, n°1, p. 4025-4030.
RINAUDO, J.-L., TURBAN, J.-M., DELALANDE, P., OHANA, D.
(2008). Des ordinateurs portables, des collégiens, des professeurs, des
parents : rapport de recherche sur le dispositif Ordi 35 2005-2007.
ROLAND, N (2012). Baladodiffusion : de
l’imaginaire technologique à la réalité
pédagogique. Première journée scientifique Artefacts
Tactiles et Mobiles en Éducation. Université de Cergy-Pontoise. 27
septembre 2012.
SILVERNAIL, D. L., PINKHAM, C., WINTL, S., WALKER, L.,
BARTLETT, C. (2011). A Middle School One-to-One Laptop Program: The Maine
Experience. http://usm.maine.edu/sites/default/files/Center%20for%20Education%20Policy, %20Applied%20Research,%20and%20Evaluation/MLTIBrief20119_14.pdf consulté en juin 2013.
SULLIVAN, R. M. (2013). The Tablet Inscribed: Inclusive
Writing Instruction With the iPad. College Teaching, Vol. 61 n°1, p.
1-2.
THOMAS B. et S. ROCHE (2010), Mobilité, jeux et
tables interactives, rapport de recherche réalisé dans le cadre du
projet GéoEduc3D. Fondation canadienne pour l’innovation. http://geodesign.scg.ulaval.ca/ consulté en juin 2013.
VILLEMONTEIX, F. (2011). Informatique Scolaire
à L’Ecole Primaire. Paris: L’Harmattan.
WARSCHAUER, M. (2006). Laptops and Literacy: Learning
in the Wireless Classroom. Teachers College Press.
ZUCKER, A. A., LIGHT, D. (2009). Laptop Programs for
Students. Science, Vol. 323 n°5910, p. 82 -85.
A
propos des auteurs
François VILLEMONTEIX est maître de
conférences à l'université Cergy-Pontoise et directeur
adjoint de l'UFR éducation où il coordonne la mise en oeuvre de
l'ensemble des formations à distance. Il pilote également la mise
en oeuvre du numérique à l'ESPE de Versailles. Il a
été inspecteur et conseiller TICE adjoint du Recteur de
Créteil. Ses recherches concernent la diffusion des technologies dans le
périmètre éducatif et en particulier les questions de
professionnalisation des acteurs (enseignants, personnels de supervision) dans
ce contexte. Il pilote actuellement (2013) la recherche EXTATE (tablettes
à l'école primaire) et participe au projet international
francophone SUPERE RCF (IFADEM - AUF/OIF) portant sur la place des superviseurs
dans l'utilisation de dispositifs de communication et de formation distants pour
la formation des enseignants.
Adresse : François Villemonteix,
Laboratoire EMA – UCP, Site de Gennevilliers, ZAC des Barbaonniers, Avenue
Marcel Paul, 92230 Gennevilliers
Courriel : francois.villemonteix@u-cergy.fr
Toile : http://villemonteix.u-cergy.fr
Mehdi KHANEBOUBI est maître de conférences en
sciences de l'éducation au laboratoire EMA (EA 4507),
détaché au laboratoire STEF (ENS Cachan/IFÉ). Il
s'intéresse aux liens entre pratiques pédagogiques et utilisation
de l'informatique en classe par les enseignants de collèges.
Adresse : École normale
Supérieure de Cachan - Bâtiment Cournot - 61, avenue du
Président Wilson F-94235 Cachan cedex.
Courriel : mehdi.khaneboubi@ens-cachan.fr
|