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Volume 20, 2013
Article de recherche

Numéro Spécial ATAME



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Baladodiffusion et apprentissage mobile : approche compréhensive des usages étudiants de l’Université libre de Bruxelles

 

Nicolas ROLAND (Université libre de Bruxelles, Bruxelles)

 

RÉSUMÉ : Cette contribution traite de l’utilisation ou de l’absence d’utilisation du podcasting – de cours enregistrés ou de capsules pédagogiques – en tant que support d’apprentissage mobile par des étudiants de l’Université libre de Bruxelles. L’analyse de 5399 questionnaires et 51 entretiens compréhensifs (répétés 2 à 3 fois sur le semestre) nous permet de compléter la littérature actuelle et, surtout, de décrire et d’analyser la manière dont les étudiants utilisent et intègrent, dans un dispositif pédagogique donné, le caractère mobile des podcasts au sein de leurs stratégies d’apprentissage.

MOTS CLÉS :  podcasting, baladodiffusion, mobile learning, apprentissage

ABSTRACT :  The aim of the present paper is to analyse the usage habits of podcasting as a tool for mobile learning by university students. Podcasting refers to audiovisual recordings of lectures or short educational videos. The analysis of 5399 questionnaires and 51 comprehensive interviews, repeated twice or thrice over the semester, has contributed to the state of art, and has enabled the description and analysis of student use and integration of the mobile nature of podcasts within their learning strategies.

KEYWORDS : podcasting, mobile learning, learning

 

 

1. Introduction

Depuis son introduction en 2004 à l’Université de Duke aux Etats-Unis, de nombreuses institutions d’enseignement universitaire ont opté pour un mode particulier de diffusion de contenus pédagogiques audiovisuels : le podcasting (ou « baladodiffusion » en français). C’est le cas de l’Université libre de Bruxelles qui mène, depuis octobre 2010, une recherche-action (« ULB Podcast ») visant la mise en place d’une infrastructure de podcasting, l’accompagnement des enseignants dans la production de tels contenus ainsi que l’évaluation des impacts de l’outil sur l’enseignement et l’apprentissage.

De par ses propriétés et son affordance portée sur la mobilité, le podcasting est rapidement devenu un des outils phares de la mouvance du mobile learning (m-learning ou « apprentissage mobile »). En effet, cette notion de mobilité est présente dans l’étymologie même du terme : « podcasting » est issu de la combinaison de « iPod » (le baladeur numérique d’Apple) et de « broadcasting » (« diffusion » en anglais). Comme le définit Brachet, il s’agit d’un « système de diffusion et d’agrégation de contenus audio/vidéo destinés, dans un premier temps, aux baladeurs numériques tels que l’iPod » (Brachet, 2007), p. 2. La francisation du terme est encore plus parlante : la « baladodiffusion » évoque clairement cette notion d’être en mouvement « avec » le contenu diffusé. Dès lors, le monde de l’éducation – notamment au niveau de l’enseignement supérieur – s’est très rapidement approprié l’outil dans l’optique de sortir l’enseignement hors des amphithéâtres, de permettre un apprentissage en tout lieu et en tout temps, voire d’offrir aux étudiants une plus grande variété de supports et de contenus (Nataatmadja et Dyson, 2008).

Au-delà des questions d’efficacité du podcasting déjà traitées au sein de la littérature (Hew, 2009) ; (McGarr, 2009) ; (Heilesen, 2010) ; (Kay, 2012), l’objectif de cet article s’avère de comprendre pourquoi les utilisateurs adoptent, se détournent ou rejettent les fonctionnalités mobiles du podcasting. Dans un contexte de podcasting – ULB Podcast – particulièrement riche en termes de contenus et de formats, notre recherche a été réalisée auprès d’étudiants de l’Université libre de Bruxelles émanant de vingt-neuf cours différents en utilisant deux grilles d’observation des dispositifs pédagogiques (Ng=29), un questionnaire (Nq=5399) ainsi que des entretiens compréhensifs réguliers (Ne=51). Le croisement de ces analyses de données nous permet d’étayer, voire de dépasser les conclusions actuelles de la littérature pour aborder le sens que les étudiants accordent aux capacités mobiles des podcasts ainsi que de comprendre les raisons d’usage et de non-usage du podcasting en tant qu’outil d’apprentissage mobile.

Le cadrage théorique propose, dans la première partie, de conceptualiser la notion de mobile learning afin d’en distinguer les principales caractéristiques. La deuxième partie, d’une part, définit le podcasting et décrit les liens étroits que l’outil entretient avec la notion de mobile learning et, d’autre part, présente une revue de la littérature des recherches menées sur le podcasting utilisé comme outil de mobile learning. La partie suivante présente les enjeux émanant de la littérature afin de dégager la problématique qui nous occupe dans cet article. La partie empirique détaille notre méthodologie ainsi que les résultats sous la forme d’analyses quantitatives et qualitatives des usages du podcasting en tant qu’outil d’apprentissage mobile par les enseignants et les étudiants. Elle offre également une mise en lumière des apports de notre travail en les recontextualisant par rapport aux recherches antérieures.

2. Cadre théorique

2.1. De l’apprentissage mobile

Eu égard à la littérature, il nous semble nécessaire de dresser les contours du concept de mobile learning – ou « d’apprentissage mobile » – ainsi que d’en proposer une définition qui s’accompagne de caractéristiques claires. En effet, cette notion prend des significations différentes en fonction des auteurs, de la nature de leurs recherches et de leurs domaines disciplinaires respectifs (Mian, 2012). Il s’agit, pour certains, d’une forme d’apprentissage médiatisée par un outil mobile (Winters, 2006) et, pour d’autres, d’une forme de « nomadisme » de l’apprenant (Alexander, 2004).

Nous avons choisi de nous appuyer sur les travaux d’El-Hussein et Cronje (El-Hussein et Cronje, 2010) qui ont dégagé trois axes en interrelation définissant le concept de mobile learning : la mobilité de la technologie, la mobilité de l’apprenant et la mobilité de l’apprentissage. Le premier axe renvoie à la portabilité de certaines technologies. À l’heure actuelle, les « smartphones » et « tablettes » sont les figures de proue de ce pan technologique, mais d’autres outils comme les caméras digitales, les téléphones cellulaires, les baladeurs numériques, voire les PDA se caractérisent également par cette capacité à être mobiles. Qui plus est, ces technologies proposent un ensemble de fonctionnalités pouvant être utilisées dans des activités d’apprentissage (Trinder, 2005) : communication (téléphone, e-mail, SMS), organisation (calendrier, carnet d’adresses, liste de tâches, notes), applications (traitement de textes ou de données, FTP, lecteur « e-book »), information (actualité, référence, navigateur Internet, GPS, etc.) et relaxation (photographie, vidéo, lecteur de films ou de musique, etc.). Le deuxième axe, celui de la mobilité de l’apprenant, évoque la capacité de l’apprenant à pouvoir se mouvoir avec le support d’apprentissage. Cette mobilité se définit, pour les auteurs, en opposition aux technologies dites « statiques » comme l’ordinateur de bureau qui obligent l’apprenant à travailler dans un endroit particulier et, en fonction du contexte, à des périodes déterminées. À l’inverse, l’apprenant peut avoir des activités plus flexibles, accessibles et personnalisées (Ting, 2005) ; il peut ainsi choisir de nouveaux espaces-temps pour interagir avec la technologie. Enfin, la « mobilité de l’apprentissage » souligne la capacité de transmettre et/ou de réaliser des activités d’apprentissage au moyen de dispositifs mobiles. L’enseignant peut ainsi tirer profit du contexte dans lequel l’individu est situé ; les activités pédagogiques ne sont plus limitées à la salle de classe, à un cours magistral ou au laboratoire. Pour Ally (Ally, 2005), cité par El-Hussein et Cronje (El-Hussein et Cronje, 2010), p. 19, « mobile learning [is at the] intersection of mobile computing and e-learning; [it provides] accessible resources wherever you are, strong search capabilities, rich interaction, powerful support for effective learning and performance-based assessment. » En conclusion de leurs travaux, les auteurs proposent la définition suivante de l’apprentissage mobile : « Any type of learning that takes place in learning environments and spaces that take account of the mobility of technology, mobility of learners and mobility of learning » (El-Hussein et Cronje, 2010), p. 20. Cette définition montre l’importance d’une conjugaison des trois axes susmentionnés pour qualifier une activité « d’apprentissage mobile ».

Au-delà de cette définition tripartite, Herrington et Herrington (Herrington et Herrington, 2010) ont mis en évidence six catégories d’activités ayant recours au mobile learning1 : premièrement, les activités prenant appui sur les « théories béhavioristes » définissant l’apprentissage comme un changement observable. En pratique, il s’agit notamment de systèmes de vote via smartphone permettant de donner un feedback par rapport à des questions à choix multiples ou encore le recours à des terminaux mobiles pour l’apprentissage des langues. Deuxièmement, les activités dites « constructivistes » grâce auxquelles les apprenants créent de nouvelles connaissances sur la base de leurs connaissances antérieures et d’un conflit cognitif. Les auteurs citent ainsi certains jeux sérieux ou encore les applications propres aux terminaux mobiles (vidéo, flux RSS, etc.) utilisées dans le cadre d’activités d’apprentissage. Troisièmement, les activités « d’apprentissage situé » basées sur un contexte et une culture authentiques ; les supports mobiles offrent la possibilité de créer des activités d’apprentissage qui vont s’adapter à l’environnement ou dépendre du contexte (lieu, temps, but, ressources, etc.). Quatrièmement, les activités de collaboration dans lesquelles les supports mobiles permettent d’enrichir les interactions au sein et en dehors de la classe. Cinquièmement, le mobile learning, par sa facilité d’accès à différents contenus, favoriserait l’apprentissage informel et tout au long de la vie. Enfin, le m-learning permet des activités de soutien à l’organisation de l’enseignement et des apprentissages ; les outils mobiles offrent la possibilité aux étudiants d’accéder partout à leurs horaires de cours, à leurs contenus de cours, à leurs notes, à leurs travaux, voire de participer à des discussions de groupes. En outre, l’utilisation d’outils mobiles peut également aider l’enseignant dans la gestion de ses tâches de classe.

En filigrane de ces activités, nous pouvons voir émerger différents avantages de l’utilisation du mobile learning comme l’accès à l’information en tout lieu et en tout temps (Mian, 2012) ; repoussant les contraintes en termes de temps, d’espace et de ressources (Traxler, 2007) ; (Shuler, 2009) ; (Todd, 2010). Le mobile learning offre ainsi plus de flexibilité à l’apprenant dans l’accès à ses ressources et dans le choix du lieu et du moment d’apprentissage (Mian, 2012). Le m-learning apporte aussi de nouvelles possibilités de différenciation en termes d’enseignement et d’apprentissage. L’enseignement devient « individuel » car les apprenants peuvent accéder à des contenus addititionnels et personnalisés, créés par l’enseignant ou simplement mis à disposition par celui-ci. Le mobile learning renforce également l’apprentissage par les interactions sociales en facilitant, favorisant et améliorant les interactions étudiants-étudiants et étudiants-enseignants (Shuler, 2009) ; (Mian, 2012). De plus, l’apprentissage mobile s’avère une opportunité d’atteindre les étudiants désengagés de l’enseignement – voire des méthodes pédagogiques traditionnelles – et d’aider les étudiants victimes de troubles de l’apprentissage (Traxler, 2007) ; (Watkins, 2009) ; (Smith, 2010). Enfin, il est un moyen d’atteindre les enfants de régions reculées manquant d’écoles, d’enseignants, de bibliothèques ou de ressources d’apprentissage (Traxler, 2007).

Malgré ces potentiels avantages, la littérature fait état de limites inhérentes à ces nouvelles technologies. D’une part, il existe un a priori négatif dégagé par l’outil auprès des enseignants et des parents. En effet, si toute nouvelle technologie entraîne sont lot de désapprobateurs, les appareils mobiles sont encore loin d’être bien acceptés dans un monde de l’enseignement qui les bannit quasi totalement, notamment au sein des établissements primaires et secondaires en Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique et en France. D’autre part, les contraintes techniques sont encore importantes : en dépit de leur sophistication, les outils mobiles souffrent encore de nombreuses contraintes pour un apprentissage mobile optimal telles que la taille de l’écran, la mémoire, la durée de vie de la batterie (Shuler, 2009) ; (Degeen et Rothwell, 2010). En outre, les coûts liés à l’achat de l’outil ou à l’utilisation de l’internet mobile ne sont pas négligeables (Raballand, 2012).

2.2. Du podcasting

Un podcast est un fichier audio et/ou vidéo publié sur Internet et automatiquement téléchargeable sur un ordinateur ou un support mobile par l’intermédiaire d’un flux de syndication – flux RSS – pour une écoute ou un visionnement ultérieur.

Dans le domaine de l’enseignement supérieur, la littérature nous amène à distinguer deux types de podcasts. D’une part, les « cours enregistrés », c’est-à-dire la captation au format audio, vidéo et/ou diaporama sonorisé de l’entièreté d’un cours en présentiel. Ceux-ci sont mis en ligne à l’intention des étudiants afin de leur offrir un support complémentaire aux autres ressources (cours en présentiel, polycopié, notes de cours, etc.). Dans ce cadre, les podcasts sont principalement utilisés comme outils d’aide à la prise de notes, voire de révision en vue des examens. D’autre part, les « capsules », c’est-à-dire des séquences audiovisuelles brèves et ciblées réalisées par l’enseignant, permettent aux étudiants d’approfondir, d’illustrer ou de contextualiser un cours ou une partie de cours ex cathedra, de séminaire, d’étude de cas ou de séance de travaux pratiques.

2.3. Du podcasting comme vecteur de mobile learning

Dès la genèse du podcasting, de nombreux auteurs font état des préconceptions de l’époque liées à une affordance pour l’apprentissage mobile : ainsi, on imagine une adoption rapide de l’outil, notamment par les plus jeunes étudiants lassés des formes d’enseignement traditionnel et, surtout, attirés par l’usage des baladeurs numériques (Clark et Walsch, 2004). En 2005, certains décrivent l’utilisation pédagogique du podcasting comme « The next big thing » (Chan et Lee, 2005), p. 64, ou encore « best of both worlds in audio » (Chan et Lee, 2005), p. 65, combinant les bénéfices de la diffusion pour l’émetteur avec la flexibilité, le contrôle de l’apprentissage et la personnalisation par les récepteurs. Comme les auteurs le soulignent, « Users who do not have access to a portable music player can simply listen to the content on their PCs. » (Chan et Lee, 2005), p. 65. Cette citation illustre particulièrement bien la vision de l'époque : seuls les utilisateurs n’ayant pas accès à un outil mobile utiliseront leur ordinateur personnel, les autres écouteront les podcasts sur leurs baladeurs numériques. Très rapidement, l’accroche « Écouter sa propre musique où on le souhaite, quand on le souhaite » issue des baladeurs numériques se voit transférée au podcasting2 : « Anytime, anyplace » (Lee et al., 2006). Qui plus est, l'écoute d'un lecteur de musique de type « iPod » en public possède un côté branché, particulièrement chez les jeunes (Lee et al., 2006), p. 2. En d'autres termes, l’idée répandue est que la baladodiffusion touchera un public jeune et, notamment, les étudiants des universités car l’apprenant peut choisir où, quand et comment il souhaite écouter ou regarder son podcast (Evans, 2008), p. 492. L’outil répondrait ainsi à une demande de pouvoir étudier en dehors des lieux classiques (salle de cours et bibliothèques) ; c’est-à-dire dans le bus, le train, voire la voiture. En outre, le podcasting faciliterait l’apprentissage « just-in-time », c’est-à-dire profiter d’un moment libre inattendu pour écouter du contenu pédagogique.

Les expériences de mise à disposition de podcasts n’ont pas tardé à voir le jour : en août 2004, l’Université de Duke aux États-Unis offre à 1650 nouveaux étudiants des iPod préchargés d’informations sur l’institution et ses programmes. Qui plus est, du contenu supplémentaire – administratif et pédagogique – peut régulièrement être téléchargé sur les baladeurs depuis le serveur informatique de l’université (Belanger, 2005). Cette pratique se popularise en 2005 avec le lancement d’iTunes U (Apple), un service d’hébergement public et gratuit pour les universités leur permettant de publier du contenu pédagogique audiovisuel (interviews, cours enregistrés, etc.) et de nombreuses institutions emboîtent le pas à l’Université de Duke. Toutefois, si les recherches ont mis au jour un désir du côté des étudiants de bénéficier de plus d’expériences d’apprentissage mobile (Walton et al., 2005) ; (Weller et al., 2005) ; (Lee et Chan, 2006) ; (Caron et al., 2007) ; (Copley, 2007) ; (Corbeil et Valdez-Corbeil, 2007), cette volonté ne se traduit pas dans les faits, même lorsque ce contenu est accessible sur support mobile. Comme le montre Evans (Evans, 2008), malgré une perception particulièrement positive chez les étudiants de la possibilité d’avoir recours au podcasting en situation de mobilité (79% d'entre eux pensent ainsi qu'il est important de pouvoir écouter les podcasts où et quand ils le souhaitent), 80% utilisent ce contenu sur leur ordinateur. Ainsi, les résultats issus de la littérature, notamment (Lee et Chan, 2007) ; (Bell et al., 2007) ; (Caron et al., 2007) ; (Edirisingha et al., 2007) ; (Hew, 2009) ; (McKinney et al., 2009) ; (Kay, 2012), indiquent que les étudiants ne profitent que très peu des capacités mobiles que leur offre le podcasting, qu’il s’agisse d’une simple écoute de ressources sur support mobile – mobilité de la technologie –, d’une activité d’apprentissage dans d’autres contextes – mobilité de l’apprentissage – ou d’une écoute en situation de mobilité – mobilité de l’apprenant (El-Hussein et Cronje, 2010). À l’instar du polycopié ou des notes manuscrites, les podcasts demandent une « réelle situation de travail » ; la plupart des étudiants les écoutent donc assis face à leur ordinateur (Bell et al., 2007). Vogt et ses collègues (Vogt et al., 2010) soulignent que même si les étudiants ont une pratique régulière du lecteur MP3, ils n’utilisent pas ce support pour écouter du contenu académique. Les résultats montrent également une nécessité de combiner le podcast aux autres supports de cours : « What we found was that students used the podcasts to hear the lecture again and that they often did this while viewing the PowerPoint on their computer. This was an unexpected finding as we had expected that students would use MP3 players to listen to podcasts while “on the go”. » (Scutter et al., 2010), p. 186. Malgré un taux de possession d’outils mobiles en constante hausse, des résultats identiques sont constatés au fil des années : dans une expérience menée par O’Bannon et al. (O’Bannon et al., 2011), 97% de l’échantillon préfère écouter les podcasts sur leur ordinateur alors que sur les 461 étudiants de la recherche menée récemment par Strickland, Hill et Gray (Strickland et al., 2012), aucun n’a eu recours à un appareil mobile pour écouter les podcasts. « Whilst the intention of podcasting is to allow students the flexibility of being able to download the podcasts to mobile phones and MP3 players, none of the respondents in this study used a mobile device to listen to the podcasts, all preferring to use a computer. » (Strickland et al., 2012), p. 4.

Même si peu de recherches abordent les raisons justifiant cette absence d’utilisation du podcasting, nous pouvons distinguer deux catégories au sein de la littérature : certains avancent des arguments de l’ordre des « limites techniques » proches de celles que nous avons mentionnées dans la partie précédente, c’est-à-dire une taille excessive des fichiers par rapport aux capacités de stockage des terminaux mobiles (Copley, 2007) ; (Chester et al., 2011), le fait de ne pas posséder d’outil mobile (McCombs et Liu, 2007) ou la taille de l’écran (Kay, 2012). Pour d’autres, les limites sont d’ordre pédagogique, voire liées à l’apprentissage. Selon McGarr (McGarr, 2009), le niveau de concentration requis pour traiter l’information présentée dans les podcasts s’accorde difficilement avec un support mobile, particulièrement pour des activités de préparation aux tests ou aux examens. Qui plus est, le contenu des podcasts ne s’avère pas nécessairement conçu pour être visionné sur un baladeur numérique (Caron et al., 2007). Aussi, Walls et ses collègues (Walls et al., 2010) expliquent que le choix du support dépend partiellement du format des podcasts ; les étudiants ont tendance à regarder les podcasts de « cours enregistrés » sur leur ordinateur à la maison pendant qu’ils étudient alors que les podcasts supplémentaires, plus courts (ce que nous appelons les « capsules »), sont davantage consultés sur support mobile.

Au sein de notre revue de la littérature, seule une étude (Nataatmadja et Dyson, 2008) conclut à une utilisation accrue du podcasting sur support mobile et en situation de mobilité, malgré une mise à disposition de simples podcasts de « cours enregistrés » : « One of the chief uses of podcasting quoted in the literature – anytime, anywhere learning – was supported by our survey. A number of students mentioned that they were very handy for studying on the train, while walking or running, and in fact much easier than studying from the book of lecture notes and readings when travelling. » (Nataatmadja et Dyson, 2008), p. 20. Les auteurs concluent que le podcasting ne suffira pas à révolutionner l’enseignement car il perpétue une approche traditionnelle particulièrement magistrale et centrée sur l’enseignant mais, par une réelle prise en compte des potentialités de l’apprentissage mobile, il pourrait être utilisé pour la transmission des connaissances, sur laquelle l'élève devra s’appuyer pour découvrir et construire ses propres connaissances (Nataatmadja et Dyson, 2008).

3. Problématique et objectifs de la recherche

Notre revue de la littérature souligne l’ambivalence dans le couple « podcasting » et « apprentissage mobile ». La baladodiffusion, décrite dès sa conception comme le paroxysme de l’apprentissage mobile, ne semble pas utilisée comme telle par les étudiants. Ainsi, par l’intermédiaire de recherches principalement positivistes et expérimentales, la littérature s’est cantonnée à constater cette absence d’apprentissage mobile de la part des étudiants, sans chercher les raisons qui fondent ce non-usage en situation de mobilité.

Notre volonté s’avère de dépasser ces constats pour nous intéresser aux utilisateurs en tant qu’acteurs du processus d’appropriation et au sens qu’ils attribuent à leurs actions. En effet, comme les recherches antérieures l’ont déjà mis en évidence (Caron et al., 2007), p. 44, « un piège à éviter lorsqu’on procède à des études sur l’utilisation des technologies, que ce soit en contexte universitaire ou autre, est de les considérer comme des entités indépendantes des individus et des contextes ». Qui plus est, l’usage ou le non-usage d’un outil dépend, notamment, de l’utilité perçue par le sujet (Bétrancourt, 2007). Dès lors, il convient de se préoccuper, d’une part des enseignants, en analysant la manière dont ils réalisent et mettent en œuvre des podcasts au sein de leurs dispositifs pédagogiques et, d’autre part des étudiants, en analysant le processus d’appropriation du podcasting – par l’intermédiaire de la genèse instrumentale (Rabardel, 1995), leurs usages – et schèmes d’usages – du podcasting dans des activités d’apprentissage mobile, les supports qu’ils utilisent ainsi que les contextes d’utilisation.

En nous focalisant sur la problématique de l’absence d’usage des potentialités d’apprentissage mobile du podcasting, nous souhaitons nous démarquer des travaux scientifiques disponibles qui, dans une large majorité, portent sur les logiques d’usage et « occultent de façon intentionnelle tout ce qui reste dans l’ombre de l’introduction désormais massive des TIC. » (Marquet, 2012). Ainsi, l’approche de « l’absence d’usage » nécessite également de s’intéresser aux pratiques d’usage (détourné) ainsi qu’au processus entier de genèse instrumentale. Comme le souligne Trestini (Trestini, 2012), « Le non-usage d’une technologie peut donc trouver sa cause à différentes étapes de son cycle de vie, c’est-à-dire depuis son « adoption » par l’usager jusqu’à son « appropriation » en passant par son « utilisation » ».

Dans le cadre de cette contribution, après avoir étayé le contexte avec la manière dont les enseignants prennent en compte l’apprentissage mobile dans le cadre de leurs dispositifs pédagogiques ainsi qu’avec le taux d’utilisation des outils mobiles, nous avons pour objectif de mieux comprendre pourquoi les utilisateurs adoptent, se détournent ou rejettent les fonctionnalités mobiles du podcasting. Nous proposons également de mettre en exergue motifs et causes (Boutinet, 1998) d’usage et de non-usage pour les comparer à ceux déjà mis en évidence dans la littérature et en identifier de nouveaux.

4. Méthodologie

Notre méthodologie se base sur une approche écologique, insistant sur l’importance d’étudier et de comprendre le contexte dans lequel agissent les individus sans l’altérer. En ce sens, contrairement à des expériences passées – qu'il s'agisse de l'Université de Duke (Belanger, 2005) ou de Caron et al. (Caron et al., 2007), nous n'avons pas mis d'outils mobiles à disposition des étudiants mais nous avons préféré analyser s'ils utilisaient leurs propres outils pour regarder les contenus qui leur étaient proposés. Cette méthodologie repose sur un versant quantitatif – permettant de saisir le contexte de notre étude ainsi que l’évolution des pratiques sur trois années – par l’intermédiaire d’un questionnaire proposé à l’ensemble des étudiants ayant eu la possibilité d’accéder à des podcasts. Elle se voit complétée par un versant qualitatif constitué de 52 entretiens répétés plusieurs fois sur le semestre.

La recherche a été menée auprès de 5399 étudiants provenant de 29 cours de l’Université libre de Bruxelles. Parmi ceux-ci, 221 (G1) ont eu accès, durant l’année académique 2010-2011, à des enregistrements de cours au format audio, audio-vidéo, audio-diaporama et audio-vidéo-diaporama ; 3184 (G2) ont eu accès, durant les années académiques 2011-2012 (N=1198) et 2012-2013 (N=1986), à des enregistrements de cours, certains au format audio-vidéo, d'autres au format audio-diaporama et d'autres encore au format audio-vidéo-diaporama ; 221 ont eu accès, durant l’année académique 2011-2012, à une conférence d'une heure au format audio-vidéo-diaporama (G3) et, enfin, 1789 ont eu accès, en 2011-2012 (N=1049) et 2012-2013 (N=732), à neuf modules d’apprentissage de grammaire anglaise en auto-formation (G4). Ces derniers étaient, pour la plupart, composés de quatre capsules de quatre minutes. En d’autres termes, cette recherche a interrogé l’ensemble des étudiants ayant eu accès à des podcasts durant les trois premières années de phase pilote d’ULB Podcast.

La recherche s’est déroulée en trois phases. Premièrement, dans l’optique de mieux comprendre les vingt-neuf dispositifs pédagogiques mis en place, nous avons utilisé la grille critériée de Bachy, Garant et Frenay (Bachy et al., 2008) combinée à celle des activités d’apprentissage mobile de Herrington et Herrington (Herrington et Herrington, 2010). La première se base sur plusieurs dimensions : les méthodes pédagogiques mises en œuvre, les supports d’enseignement et supports d’apprentissages, les tâches d’apprentissage et les modalités d’évaluation. La seconde permet d’analyser la manière dont le mobile learning est utilisé et promu par les enseignants. Le recours à ces grilles avait pour objectif de récolter des données au niveau des dispositifs pédagogiques afin de comprendre l’influence de ceux-ci sur les usages du podcasting en tant que support d’apprentissage mobile. Nous nous sommes également entretenus avec les enseignants pour confronter nos observations à leurs déclarations.

La deuxième phase (quantitative) visait, d’une part, à connaître l’environnement technologique des étudiants ainsi que les supports utilisés pour regarder les podcasts à leur disposition. Dans ce but, un questionnaire a été distribué à tous les étudiants (Nq=5399) après l'examen écrit dudit cours enregistré.

Troisièmement, nous souhaitions investiguer en profondeur les pratiques d’appropriation et d’usage du podcasting ainsi que le sens que les étudiants donnent à ces différentes pratiques. Dans cette optique plus qualitative, un entretien compréhensif a été mené avec 23 étudiants à trois reprises en 2011-2012 (au milieu du quadrimestre, aux alentours du dernier cours ainsi qu’après l’évaluation finale) et avec 28 étudiants à deux reprises en 2012-2013 (au début du quadrimestre et à la fin de celui-ci). Celui-ci portait sur leur usage ou non-usage du podcasting, les raisons qui sous-tendent cette (absence d’) utilisation et leur rapport à l’apprentissage mobile. Nous avons également reconstitué leur genèse instrumentale de l’outil ; nous nous focaliserons toutefois dans cette article sur les aspects liés à l’(absence d’) apprentissage mobile. Nous leur avons également proposé de répondre, de manière bimensuelle, à un courriel les interrogeant sur les ressources mobilisées dans le cadre du cours qui faisait l’objet de l’entretien. Plus qu’un réel outil de récolte de données « prêtes à l’emploi », ces similis « carnets de bord » nous ont permis de mieux préparer le second entretien et de guider celui-ci ; ils offraient effectivement un matériel riche, notamment quant à l’évolution temporelle des outils mobilisés et des stratégies d’apprentissage mises en œuvre. La méthodologie d’entretien compréhensif combinée aux carnets de bord nous semblait la plus adéquate afin d’investiguer en profondeur des pratiques d’appropriation du podcasting par une attention portée sur le rôle actif des individus et sur leur compétence à expliciter et interpréter leurs usages, voire des transformations générées par le podcasting.

En termes de traitement des données, nous avons effectué une analyse statistique sur les questionnaires et une analyse de contenu sur les entretiens semi-directifs à tendance compréhensive. D’une part, des analyses statistiques descriptives et des tableaux croisés ont été effectués à l’aide du logiciel SPSS sur les items pertinents du questionnaire. D’autre part, nous avons adopté une approche qualitative dans l’analyse de nos entretiens afin de « faire ressortir les différentes idées maîtresses contenues dans le matériel recueilli, les différents éléments constitutifs du phénomène étudié » (L’Écuyer, 1990). Nous avons également réalisé des analyses individuelles de cas en détaillant précisemment les processus de genèse instrumentale ainsi que les schèmes d’utilisation du podcasting.

5. Résultats et discussion

5.1. De la promotion du mobile learning par les enseignants

Les grilles de Bachy, Garant et Frenay (Bachy et al., 2008) et de Herrington et Herrington (Herrington et Herrington, 2010) nous ont permis d’observer qu’aucun enseignant n’a mis en œuvre, au sein de son dispositif pédagogique, d’activités intégrant explicitement l’apprentissage mobile par l’intermédiaire de podcasts. Ainsi, nous constatons une absence totale de prise en compte de ses potentialités d’outil d’apprentissage mobile.

Par le biais de nos entretiens avec les enseignants, nous avons pu mettre en exergue les quatre items du non-usage des TICE relevés par Daguet et Wallet (Daguet et Wallet, 2012). Premièrement, selon les enseignants, l’apprentissage mobile ne peut pas fonctionner à l’université. Elle demande notamment aux élèves d’avoir recours à des outils qu’ils ne possèdent pas nécessairement ; ceci engendrerait un manque d’équité dans la réalisation des activités d’apprentissage. Qui plus est, les aspects de mobilité de l’apprentissage ne sont pas évoqués comme vecteur d’une possible valeur ajoutée. Deuxièmement, la technologie s’avère incompatible avec le cadre scolaire. En ce sens, de nombreux enseignants partagent une conception « traditionaliste » de l’apprentissage – commune avec les étudiants : l’apprentissage est une activité qui nécessite un endroit optimal, c’est-à-dire un endroit calme, permettant de prendre des notes, de se concentrer, de mémoriser, etc. Troisièmement, la technologie est imposée et fait l’objet d’un rejet de la part des enseignants : même si l’intégration du podcasting s’opère dans le cadre d’une phase pilote à l’Université libre de Bruxelles, les enseignants sont fortement encouragés par le vice-rectorat à participer à ce projet. Le matériel technique et l’accompagnement pédagogique étant présents, les enseignants acceptent d’y participer mais ne s’y investissent que très peu. Enfin, de nombreux arguments mentionnent que « la technologie est épuisante ». Si l’enregistrement quasi-automatisé de séances en présentiel ne demande pas trop d’investissement, imaginer des activités d’apprentissage mobile en créant du contenu adapté au support s’avère beaucoup plus chronophage. Dès lors, les enseignants se cantonnent à des productions brutes sans mettre en œuvre de dispositifs particuliers autour de ces productions.

5.2. Taux d’utilisation du podcasting par les étudiants

Si l’objet de cette recherche porte principalement sur le podcasting comme outil d’apprentissage mobile, il nous semble important de tout de même débuter la présentation de nos résultats par les taux d’utilisation du podcasting au sein des différents corpus.


Utilisation du podcasting

Cours enregistrés

2010-2011

(N=221)

93%

Cours enregistrés 2011-2012

(N=1198)

62%

Cours enregistrés 2012-2013

(N=1986)

62%

Conférence enregistrée

(N=213)

23%

Capsules

2011-2012

(N=1049)

34%

Capsules

2012-2013

(N=732)

29%

Tableau 1. Taux d’utilisation du podcasting par les étudiants

Comme le montre le tableau 1, le podcasting n’est évidemment pas adopté par tous les étudiants.

La justification principale des étudiants quant à l’absence d’utilisation des podcasts de « cours enregistrés » est le fait de ne pas ressentir le besoin de les utiliser, soit car leur prise de notes est suffisamment complète, soit car ils estiment qu’en ayant assisté aux cours, l’utilisation de ces enregistrements s’avère inutile. De plus, certains jugent le cours en présentiel tout aussi inutile que les podcasts. Pour ce qui est des capsules de grammaire anglaise, les étudiants indiquent qu’ils n’en ont pas nécessairement besoin vu un niveau suffisant en anglais. Les étudiants, ayant déjà eu pour la plupart six années d’anglais dans l’enseignement secondaire, connaissent la grammaire ou pensent connaître celle-ci suffisamment pour réussir l’examen.

En ce qui concerne les raisons d’utilisation des podcasts, il s’agit principalement de rattraper un cours manqué, de compléter et/ou structurer leurs notes de cours, de revoir un passage mal compris et, dans une moindre mesure, d’effectuer des révisions de la matière en vue des examens. Au sujet des capsules, une majorité des étudiants utilisent ce matériel pour revoir la grammaire anglaise, voire approfondir des notions vues durant l’enseignement secondaire et, pour une minorité, l’outil leur a permis un réel apprentissage de la grammaire et de connaissances qu’ils ne possédaient pas avant.3

5.3. Taux d’utilisation des supports

5.3.1. Questionnaires 2010-2011 (G1)


Ordinateur portable

Ordinateur fixe

Smartphone

Baladeur numérique

Console de jeux

Tablette numérique

Cours enregistrés

2010-2011

(N=221)

95%

40%

53%

58%

17%

7%

Tableau 2. Supports (permettant la lecture de vidéos) possédés par les étudiants

Au sein du corpus du G1, 95% des étudiants possèdent un ordinateur portable et 40% un ordinateur fixe. Ils sont également 58% à détenir un baladeur numérique et 53% un smartphone. Par ailleurs, 17% d’entre eux ont une console de jeux portable permettant la lecture de vidéo et 7% un tablette numérique.


Ordinateur

Smartphone

Baladeur numérique

Tablette numérique

Cours enregistrés

2010-2011

(N=205)

100%

6%

5%

2%

Tableau 3. Supports utilisés pour regarder les podcasts (G1)

Au sein de ce même corpus, malgré ce fort taux de possession d’outils mobiles, 100% des étudiants ont consulté durant l’année académique 2010-2011 les podcasts à partir de leur ordinateur (fixe ou portable). Toutefois, 6% des étudiants ont transféré ces contenus vers leurs smartphones et 5% vers leurs baladeurs numériques.

5.3.2. Questionnaires « Cours enregistrés » 2011-2012 et 2012-2013 (G2)


Ordinateur

Smartphone

Baladeur numérique

Tablette numérique

Cours enregistrés 2011-2012

(N=742)

100%

3%

2%

2%

Cours enregistrés 2012-2013

(N=1238)

98%

5%

3%

3%

Tableau 4. Supports utilisés pour regarder les podcasts (G2)

Comme le montre le tableau IV, l’ordinateur est le support majoritairement utilisé par l’ensemble des étudiants. Même s’il est l’instrument privilégié pour consulter les podcasts, 2% des étudiants se sont tournés vers les supports mobiles entre les deux années académiques. Le taux d’utilisation de ceux-ci a, lui, augmenté entre les deux années académiques : celui du smartphone passe de 3% à 5%, ceux du baladeur et de la tablette numérique de 2% à 3%.

5.3.3. Questionnaires « Conférence enregistrée » 2011-2012 (G3)


Ordinateur

Smartphone

Baladeur numérique

Tablette numérique

Conférence enregistrée

(N=49)

99%

2%

2%

0%

Tableau 5. Supports utilisés pour regarder les podcasts (G3)

Même s’il s’agit d’un format différent – une séance d’une heure donnée une seule fois et mise à la disposition des étudiants –, la « conférence enregistrée » engendre des résultats similaires aux cours enregistrés qui se déroulent toute l’année. L’ordinateur est utilisé par quasiment tous les étudiants et les contenus se voient rarement transférés vers un support mobile.

5.3.4. Questionnaires « Capsules » 2011-2012 et 2012-2013 (G4)


Ordinateur

Smartphone

Baladeur numérique

Tablette numérique

Capsules

2011-2012

(N=356)

97%

10%

6%

1%

Capsules

2012-2013

(N=209)

94%

14%

2%

2%

Tableau 6. Supports utilisés pour regarder les podcasts (G4)

À l’instar de ce qui a été avancé par Walls, Walker, Acee, Kucsera et Robinson (Walls et al., 2010), les capsules, ces courtes séquences pédagogiques audiovisuelles n’excédant pas les cinq minutes, semblent être plus appropriées à l’utilisation sur support mobile ; 14% du corpus a ainsi transféré ce contenu vers un smartphone lors de l’année académique 2012-2013. L’ordinateur reste pourtant le support privilégié pour regarder ces vidéos pédagogiques : 97% des étudiants y ont eu recours en 2011-2012 et 94% en 2012-2013. Par ailleurs, nous avons effectué des calculs de Khi-deux afin de tester plusieurs hypothèses d’un lien de dépendance entre le recours aux smartphones ou aux baladeurs numériques et d’autres variables (sexe, âge, année d’étude, enseignant, etc.). Tous ces calculs se sont révélés non-significatifs, rejetant l’ensemble des hypothèses testées.

En ce sens, nos résultats viennent confirmer les conclusions de plusieurs recherches sur les thèmes des supports utilisés pour regarder les podcasts. A l'instar de nombreux auteurs (Lee et Chan, 2007) ; (Bell et al., 2007) ; (Caron et al., 2007) ; (Edirisingha et al., 2007) ; (McCombs et Liu, 2007) ; (McKinney et al. 2007) ; (McGarr, 2009) ; (Scuter et al., 2010) ; (Walls et al., 2010) ; (Vogt et al., 2010) ; (O'Bannon et al., 2011) ; (Kay, 2012) ; (Strickland et al., 2012) nous observons que peu d'étudiants ont recours au podcasting comme outil d’apprentissage mobile.

Si le taux d’utilisation des supports mobiles pour regarder les podcasts évolue d’année en année, l’usage d’un tel outil n’engendre pas nécessairement une réelle situation d’apprentissage mobile. Comme nous le montrerons infra, le recours aux outils mobiles s’effectue principalement dans des conditions « sédentaires », c’est-à-dire dans leur chambre, à la bibliothèque, en salle de cours ou dans un café. Comme le conclut Caron (Caron et al., 2007), « les lieux et moments censés devenir de nouveaux espaces-temps d’apprentissage grâce aux lecteurs numériques portables ne sont pas meublés par la consommation de contenus académiques » (p. 53).

Enfin, ce taux d’utilisation des supports mobiles peut également s’expliquer par l’absence d’intégration d’activités d’apprentissage mobile par les enseignants. Comme l’ont montré Simonian et Audran (Simonian et Audran, 2012) à propos du non-usage des outils communicationnels des plateformes d’apprentissage en ligne, il peut exister une influence liée « aux pratiques des enseignants et tuteurs qui dépendent de leurs propres représentations pédagogiques de l’usage de l’outil qui façonnent des a priori fonctionnels. », voire des contraintes personnelles et institutionnelles (Daguet et Wallet, 2012).

5.4. Des motifs et causes de l’usage et du non-usage de l’apprentissage mobile

Au sein de notre corpus d’étudiants interviewés (Ni=51), cinq d’entre eux n’ont pas utilisé les podcasts mis à leur disposition. Notre corpus est, dès lors, de 46 étudiants. Dix d’entre eux ont utilisé les podcasts sur support mobile et les trente-six autres n’ont pas eu recours à cette modalité. Nous avons pu mettre en évidence quatre points de discussion : les supports technologiques possédés et utilisés quotidiennement par les étudiants, les raisons justifiant l’utilisation du podcasting dans le cadre d’activités d’apprentissage mobile, les formes d’utilisation du podcasting en tant qu’outil de mobile learning ainsi les raisons justifiant l’absence d’utilisation du podcasting dans le cadre d’activités de m-learning.

5.4.1. Recensement des supports personnels utilisés

Tous les étudiants de notre corpus possèdent un ordinateur. Celui-ci est considéré comme un outil indispensable pour tout étudiant universitaire. Selon eux, de nombreuses informations – tant institutionnelles (horaires des cours, dépôt de documents par les enseignants, procédures administratives, etc.) qu’informelles (les mailings entre étudiants, les groupes Facebook, les dossiers Dropbox partagés, etc.) – passent par l’intermédiaire d’Internet et l’ordinateur s’avère l’outil privilégié pour accéder à la toile. Au-delà de ces aspects, celui-ci est un réel instrument de travail pour les étudiants afin de réaliser des résumés de cours, effectuer leurs travaux personnels et collaboratifs, etc. Toutefois, si l’ordinateur portable est devenu particulièrement répandu – 41 étudiants sur 46 en possèdent un –, seuls 16 étudiants évoquent le fait d’emmener celui-ci à l’université, que ce soit pour prendre des notes en cours ou travailler à la bibliothèque. Deux raisons émergent principalement dans leurs déclarations : la difficulté à se balader avec la machine – souvent trop lourde et encombrante – et la volonté d’éviter d’être distrait en cours – l’ordinateur portable les amenant plus facilement à errer sur des sites Internet durant les cours.

De nombreux étudiants (31 sur 46) possèdent un smartphone et trois se sont achetés cet appareil entre le premier et le second entretien durant l’année académique 2012-2013. Selon les déclarations des étudiants, les principales utilisations de l’outil à des fins universitaires sont d’ordre communicationnel dans une optique plutôt passive : il s’agit de pouvoir être mis au courant des nouvelles notifications telles que les messages postés sur les groupes Facebook, les courriels, etc.

La plupart des étudiants (40 sur 46) disposent d’un baladeur numérique mais l’outil est de moins en moins utilisé ; sa fonction principale – l’écoute de fichiers audios et, notamment, de musique – étant également possible sur les smartphones. Par contre, ces outils sont peu évoqués dans le cadre d’activités d’apprentissage.

Enfin, une petite dizaine d’étudiants (8 sur 46) possèdent une tablette ; seuls deux d’entre eux évoquent l’utilisation de celle-ci dans le cadre d’activités d’apprentissage et, notamment, liées au podcasting.

5.4.2. De la justification de l’apprentissage mobile (N = 10)

Avant d’entamer cette partie, il nous semble indispensable d’émettre une remarque préliminaire quant à nos résultats : aucun étudiant n’a eu recours à des activités d’apprentissage mobile avec le podcasting au sens d’El-Hussein et Cronje (El-Hussein et Cronje, 2010) – c’est-à-dire en combinant mobilité de la technologie, mobilité de l’apprenant et mobilité de l’apprentissage dans le cadre d’activités d’apprentissage. Toutefois, une nuance peut être émise entre l’apprentissage dit « formel » et l’apprentissage dit « informel ». Sans entrer dans les débats liés à ces notions qui ont émergé dans la littérature (Brougère et Bézille, 2007) ; (Schugurensky, 2007), nous définirons, en nous appuyant sur Schugurensky (Schugurensky, 2007), l’éducation formelle comme celle qui « renvoie à l’échelle constituée par les différents niveaux de l’organisation institutionnelle de la maternelle à l’université », l’éducation non-formelle comme « toute activité éducative organisée se déroulant en dehors du système scolaire officiel », et l’apprentissage informel comme « tout le reste, c’est-à-dire les expériences d’apprentissage qui ne font pas partie des programmes dispensés par les organismes éducatifs officiels et non-officiels ou par des cours. » Cette distinction faite, nous pouvons observer une différence entre une absence totale d’utilisation du podcasting en tant qu’outil d’apprentissage mobile dans le cadre d’apprentissages formels et, à l’opposé, le recours à cet outil dans le cadre d’apprentissages informels en conjuguant les trois axes d’El-Hussein et Cronje (El-Hussein et Cronje, 2010). Comme le mentionne un étudiant : « Ca m'est arrivé d'écouter Foucault dans les transports ou en bagnole. C'est pas de l'apprentissage mobile, on l'écoute et tant mieux. Exploiter les moments mobiles pour des trucs alternatifs, ça oui ça m’arrive... Dans les transports, je trouve ça bien. Un cours c'est long pour le mobile, une à deux heures... C'est long. » (Et-14). Ainsi, plusieurs étudiants indiquent qu’ils téléchargent des cours d’autres universités, des émissions radio ou télévisées liées, de près ou de loin, à leurs cours. Dès lors, nous distinguerons dans la suite l’usage du support mobile dans le cadre d’apprentissages dits « formels » (s’inscrivant dans le cadre d’activités d’apprentissage mises en place par les enseignants de l’ULB) et son usage dans un cadre d’apprentissages « informels ». L’objectif étant de mettre au jour un « un usage effectif qui se réalise en dehors du dispositif prévu par les instances de conceptions. » (Simonian et Audran, 2012), pouvant ainsi laisser penser à un non-usage.

5.4.2.1. Le support mobile dans l’apprentissage formel

Dans le cadre des apprentissages formels, la plupart des étudiants (8 sur 10) ayant eu recours à un outil mobile pour regarder les podcasts justifient cette action par la facilité de transport de l’outil. En effet, le smartphone s’avère facile à transporter car il se trouve « toujours dans la poche de l’étudiant », contrairement à l’ordinateur dit « portable » qui est plutôt décrit comme « transportable » – dans les meilleurs cas. Dès lors, le smartphone et la tablette sont privilégiés comme outils emportés à l'université afin de pouvoir travailler sur les podcasts. Certains étudiants vont utiliser ce contenu à la bibliothèque : « C’est la première fois que j’ai testé sur mon iPod. Je mettais sur mon iPod le soir et je faisais le lendemain à la bibliothèque. Et j’en voyais plusieurs avec leur pc, mais moi j’avais pas envie de ramener mon pc et me mettre partout avec. Donc je prenais mon petit iPod et c’était pareil. » (Et-17). D’autres vont les utiliser directement en cours, voire, par exemple, dans le cadre de travaux pratiques : « Vu que j’ai un iPhone, pendant la dissection, lorsque je ne me souvenais plus dans quel sens couper... Je le prenais, mettais la vidéo et faisais play. » (Et-7).

Les qualités techniques et ergonomiques sont une raison du recours au podcasting sur support mobile. Ainsi, certains étudiants (6 sur 10) déclarent que les supports mobiles offrent un plus grand nombre d’actions sur les podcasts : le réglage de la vitesse, la possibilité d’avancer ou de reculer par tranche de quinze secondes, le fait que l’appareil mémorise l’endroit où la vidéo a été arrêtée, etc. Du côté des aspects ergonomiques, les supports mobiles sont prisés par les étudiants (3 sur 10) qui travaillent leurs notes sur support papier. La tablette est considérée comme plus adaptée car elle peut être posée à côté du cahier ou de la feuille de papier sur laquelle l'étudiant prend des notes, permettant ainsi pour l'étudiant de rester dans la même position en travaillant. « Regarder un podcast sur une tablette ou sur un ordinateur, c'est pas du tout pareil. Avec un ordinateur, on doit toujours relever la tête. Une tablette tactile, j'ai toujours un regard sur le truc, même lorsque je prends des notes sur ma feuille. C’est bête, mais c’est ennuyeux de relever la tête. » (Et-20).

L’accessibilité est citée par quatre étudiants ; ils ont ainsi transféré les podcasts sur un support mobile afin de pouvoir recourir à ce contenu à tout moment. Seul l’un d’entre eux s’est effectivement retrouvé dans une telle situation : « Vu que j’avais toujours les podcasts sur moi... Quand un ami m’a posé une question juste avant l’examen, j’ai pu vérifier la réponse dans le podcast. » (Et-20).

En outre, l’utilisation d’un support mobile est également une manière d’ajouter un écran à son espace de travail : dans ce cas, l’étudiant utilise l’ordinateur pour la prise de notes et les activités liées à celle-ci (notamment les recherches sur Internet). Le support mobile s’apparente alors à un appareil de lecture indépendant du cours.

Ces différents résultats vont dans le même sens que les observations de Simonian et Audran, les étudiants ont tendance à utiliser un outil à deux conditions : d’une part, « ils perçoivent une utilité (gain espéré) ; perception nécessitant une certaine connaissance théorique et/ou pratique des fonctions de l’outil » et, d’autre part, « ils possèdent une familiarité technique suffisante de l’outil en question pour l’utiliser rapidement et facilement, ce qui dépend en partie des schèmes stimulés par l’outil lui-même » (Simonian et Audran, 2012).

5.4.2.2. Le support mobile dans l’apprentissage informel

Trois des quatre caractéristiques liées à l’usage du podcasting pour l’apprentissage formel se retrouvent chez les étudiants qui ont recours à l’outil dans le cadre d’activités d’apprentissage informel avec des arguments similaires : la mobilité de l’appareil, ses qualités techniques et ergonomiques ainsi que l’accessibilité aux fichiers. Dans le cadre d’écoutes de podcasts à vocation « informelle », les étudiants soulignent également l’importance de pouvoir effectuer plusieurs tâches durant l’écoute sur le smartphone ou la tablette. Ces tâches peuvent être liées au podcast écouté ; comme le fait de prendre quelques notes à propos de celui-ci ou d’aller chercher un complément d’information sur Internet. Pour d’autres, il peut également s’agir d’activités indépendantes de l’écoute du podcast comme la navigation au sein de leurs applications, l’envoi de messages ou de courriels, etc. En d’autres termes, le smartphone et la tablette sont des outils « all in one » particulièrement appréciés par les étudiants dans le cadre d’écoutes de podcasts « non académiques ».

Les caractéristiques de l’apprenant influencent également le recours à un support mobile. Plusieurs étudiants justifient l’usage de ces supports par leur mobilité hebdomadaire. Les trajets en transports en commun et, notamment, en train sont privilégiés pour l’écoute de ces contenus. D’autres se définissent comme amateurs de tels contenus. « J’ai l’habitude d’écouter les podcasts du Collège de France. Parfois aussi des émissions de France Culture. Que je sois chez moi, dans ma chambre, ou en trajet, dès que j’ai un moment de libre j’utilise mon baladeur et j’écoute les podcasts ». (Et-14). L’utilisation du baladeur numérique ou du smartphone s’avère également un reliquat de leurs pratiques adolescentes qu’ils transfèrent à des pratiques d’apprentissage informel. Ils ont grandi avec un baladeur numérique en écoutant leur musique sur ce type d’appareil ; maintenant qu’ils sont à l’université, la pratique et le support restent identiques même si le contenu écouté change. Enfin, deux étudiants ont témoigné d’une réduction considérable de leur temps libre depuis qu’ils sont à l’université ; cette réappropriation des « temps de mobilité » est exprimée, dans leur bouche, comme une « réappropriation des temps morts ».

En outre, l’écoute des podcasts universitaires « par plaisir » s’accorde mieux avec la situation de mobilité. Ces séquences sont considérées comme moins importantes que les contenus institutionnels. Dès lors, l’écoute de tels podcasts se caractérise comme une écoute dite « passive » : « On peut se permettre de manquer un morceau. C’est juste du bonus... Et un peu pour le plaisir. » (Et-40). Les podcasts sont également décrits comme plus simples et appréhendables que le livre. Si un étudiant souhaite s’informer sur un sujet, il peut facilement trouver une quantité de podcasts qu’il pourra écouter ou zapper à sa guise. L’accès à un ouvrage spécialisé demande effectivement plus de temps et plus de travail : il faut identifier le livre, se rendre à la bibliothèque, le parcourir afin de voir si celui-ci a de l’intérêt, le louer, le consulter, etc. Qui plus est, ces podcasts permettent d’apprendre en situation de mobilité ce que le livre ne permet pas, ou difficilement.

Afin d’analyser de manière transversale les justifications susmentionnées, nous avons recours à la distinction opérée par Boutinet (Boutinet, 1998) ainsi que par Papi (Papi, 2012) entre les « causes » – contrainte(s) extérieure(s) s’exerçant sur le sujet – et les « motifs » – définis comme des raisons personnelles. Au sein de notre corpus, nous pouvons observer que les choix d’usage d’un support, dans l’apprentissage formel comme informel, sont étayés par des motifs. Pour le premier, il s’agit d’un choix ergonomique ou en termes d’accessibilité ; pour le second, les étudiants se décrivent comme amateurs de tels contenus podcastés et déclarent chercher à combler les « temps morts » des trajets. En ce sens, il semble que le couple « utilité » et « facilité » d’utilisation (Simonian et Audran, 2012) justifie à nouveau le recours aux supports mobiles pour les podcasts. Toutefois, contrairement à l’apprentissage formel, le contenu et sa représentation pour l’apprenant semblent avoir une importance capitale dans le cadre de l’apprentissage informel : c’est bien par plaisir et par intérêt que l’étudiant va se consacrer à ce type de contenu. C’est également car ces podcasts sont jugés comme « moins importants » que les étudiants se permettent des les écouter tout en pouvant en manquer certaines parties.

5.4.3. Le support mobile « immobile »

Si le podcasting – de contenus académiques – n’est pas utilisé comme un réel support d’apprentissage mobile par les étudiants au sens d’El-Hussein et Cronje (El-Hussein et Cronje, 2010), il s’avère tout de même nécessaire de dresser les contours de son utilisation sur support mobile. Toutefois, les schèmes d’usages du podcasting sur un support dit « mobile » ne se différencient pas d’un support « fixe », tel que l’ordinateur. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, le recours au podcasting sur des appareils mobiles – smartphones, tablette ou baladeur numérique – s’effectue toujours de manière sédentaire. En quelque sorte, ces outils deviennent des substituts à d’autres appareils électroniques fixes et, notamment, à l’ordinateur. En ce sens, aucun étudiant ne déclare avoir utilisé de podcasts d’apprentissage formel en réelle situation de mobilité ; mais plutôt dans des lieux bien définis comme le domicile, la bibliothèque ou tout autre endroit qualifié comme lieu de travail (notamment les cafés). À l’instar de l’écoute sur un ordinateur, l’utilisation de podcasts académiques sur outil mobile se caractérise par une écoute de longue durée et ce, même pour les capsules. Il ne s’agit pas d’écouter rapidement l’un ou l’autre passage mais bien de travailler sur l’ensemble du/des podcasts en exploitant réellement ce support (combiné à d’autres).

5.4.4. De la justification de ne pas avoir recours à l’apprentissage mobile (N=36)

Notre analyse de contenu a permis de faire émerger cinq groupes de justification amenant les étudiants à ne pas utiliser le podcasting comme outil de mobile learning.

Premièrement, les caractéristiques de l’outil sont largement avancées. De nombreux étudiants déclarent que les supports mobiles ne sont pas adaptés à l’utilisation de tels contenus. Les podcasts proposés aux étudiants sont principalement « audiovisuels » offrant un format audio-vidéo ou audio-diaporama. Face à ceux-ci, les étudiants témoignent d’une image trop petite et d’un diaporama trop souvent illisible. Qui plus est, écouter le son n’a, selon eux, que très peu d’intérêt car l’enseignant parle sur base de son support – le tableau ou le diaporama – et il est important d’en prendre connaissance afin de pouvoir suivre le cours de manière optimale. À l’instar des observations de (Copley, 2007), (Chester et al., 2011) ou (Kay, 2012), les étudiants soulignent des problèmes ergonomiques : le lecteur de podcasts d’Apple sur smartphone, voire sur tablette, est souvent décrié par les étudiants. Ils jugent notamment difficile de naviguer au sein d’une vidéo, de passer aisément d’un épisode à un autre ou de prendre des notes correctes directement sur l’appareil mobile.

Deuxièmement, si, comme nous venons de l’indiquer, les supports mobiles (notamment le smartphone et le baladeur numérique) ne sont pas adaptés pour la lecture des contenus diffusés aux étudiants, ces contenus eux-mêmes ne sont pas modifiés afin d’être utilisés sur des terminaux mobiles (Caron et al., 2007). Ainsi, les étudiants déclarent que les diaporamas proposés sont trop détaillés et s’avèrent difficilement utilisables sur des supports de taille réduite. Hormis pour les capsules, les étudiants indiquent également que les contenus sont d’une durée trop importante pour être regardés sur un appareil mobile. Ces podcasts devraient être découpés et faire l’objet d’un post-traitement adapté afin d’être optimaux pour un apprentissage mobile.

Troisièmement, nous pouvons distinguer les justifications liées aux caractéristiques des étudiants eux-mêmes. Un argument, peut-être trivial, est le fait que, parmi les 36 étudiants n’ayant pas eu recours à un support mobile pour utiliser les podcasts, cinq d’entre eux n’en possédaient tout simplement pas. Les outils mobiles sont également considérés, par 26 étudiants sur les 36, comme des instruments de loisirs. Ces supports s'avèrent, au regard des étudiants, des outils personnels sur lesquels ils préfèrent ne pas héberger de contenus académiques (McCombs et Liu, 2007). Qui plus est, lors des moments de mobilité, notamment sur le trajet vers l’université, les étudiants préfèrent écouter de la musique ou regarder une série télévisée qu’un podcast de cours ou une capsule pédagogique. « J’ai un iPod mais bon... Ce n’est que pour la musique. Je vais pas m’amuser à mettre des podcasts du prof sur mon iPod. » (Et-3). « Ce serait aliénant pour moi. On est en cours, on a trois heures de cours par semaine, je vais me le remettre sur mon iPhone, ça va quoi... J'aime beaucoup l’enseignant mais... Il y a un côté intrusif : l'unif' c'est l'unif mais on a plein d'autres activités à côté. C'est pas pour que ça transperce. Ca s'immiscerait dans ma vie, dans mes oreilles, je deviendrais fou. » (Et-1).

Quatrièmement, les étudiants justifient cette absence d’utilisation du podcasting en tant qu’outil d’apprentissage mobile au regard des caractéristiques propres des « contextes » de mobilité. D’une part, ils évoquent les « contraintes temporelles » liées à ces contextes de mobilités comme l’inadéquation entre le temps d’un podcast (deux à trois heures) et le temps du trajet (entre 10 et 40 minutes en moyenne). D’autre part, ils témoignent des conditions inhérentes à ces situations de mobilité et, notamment, celles des transports en commun : certains facteurs comme les discussions d’autres personnes, l’impossibilité de s’asseoir, voire les annonces diffusées empêchent une réelle concentration et un travail productif sur les podcasts. Comme l’indiquait McGarr (McGarr, 2009), le niveau de concentration requis pour traiter l’information dans les podcasts s’accorde difficilement avec un support mobile, les étudiants déclarent que l’apprentissage en mobilité souffre également de nombreuses contraintes liées au contexte – de mobilité – qui rendent, aux yeux des étudiants, l’apprentissage mobile particulièrement compliqué.

Enfin, pour la majorité des étudiants, le travail sur les podcasts nécessite un espace de travail approprié, calme et permettant l’utilisation de plusieurs supports en même temps. « Pour étudier, il faut un environnement de travail, calme, la chambre ou une salle d'étude, une salle de classe... Mais je sais qu'il y a des gens qui le font. Mais dans le métro, il fait chaud, il y a des gens qui crient, les gens sont serrés. Moi, je trouve que pour avoir déjà essayé de lire... Essayer de travailler, je le faisais mais ça ne rentrait pas, c'était dur de rester concentré. » (Et-27). Ces pratiques de travail semblent ancrées chez les étudiants et témoignent d’une représentation d’un contexte d’apprentissage dit « traditionnel » tel que le bureau ou la bibliothèque. Ceux-ci ne s’imaginent pas pouvoir travailler dans un autre contexte que celui de cet « endroit calme » permettant de prendre des notes, d’étaler leurs supports, de se concentrer, de comprendre, etc. L’étude de leurs usages du podcasting permet de mieux comprendre cette nécessité d’un « apprentissage sédentaire » : selon les étudiants, écouter ou regarder un podcast nécessite une prise de notes et, selon les cas, le recours à d’autres supports de cours ; ce qui s’avère difficilement possible dans des situations de mobilité. « Il faut que je sois à un poste de travail. Le problème du mobile, c'est qu'il n'y a pas de possibilité de prise de notes. C'est comme un bouquin, je peux lire un bouquin dans le métro mais c'est pas assez. » (Et-15). Cette nécessité d'un environnement de travail calme s'explique par la manière dont les étudiants font usage des podcasts qui sont à leur disposition. Nous avons ainsi mis au jour des pratiques d’utilisation (inter)active des podcasts de la part des étudiants. Bien que produits – automatiquement ou sur base d’une scénarisation pédagogique – par les enseignants dans une approche généralement « transmissive », les podcasts ne sont pas « consommés » tels quels par les étudiants mais intégrés au sein de l'ensemble des outils et ressources auxquels ils ont accès, qu’ils soient personnels ou institutionnels, analogiques ou numériques. Ainsi, les outils d’apprentissage du cours sont, selon les cas, d’une part le polycopié, le diaporama imprimé, le manuel de référence, voire un ou plusieurs résumés partagés entre les étudiants ; d’autre part, les podcasts, Internet, un ou plusieurs outils de communication – dont les réseaux sociaux –, des outils de stockage en ligne, des outils d’écriture collaborative, etc. Intégrés au sein de cet environnement, nous avons constaté que les podcasts étaient utilisés dans une approche « constructiviste », voire « socio-constructiviste », permettant aux étudiants de produire de nouvelles ressources d’apprentissage ou de compléter les ressources existantes. Ainsi, les podcasts leur permettent d’interagir, parfois en groupes, avec le savoir délivré par l’enseignant, de le confronter à d’autres sources d’information ou à d’autres outils de leur environnement et, au final, de produire des notes de cours en adéquation avec leurs stratégies d’apprentissage. Dès lors, ces usages du podcasting sont décrits par les étudiants comme en totale inadéquation avec l’usage d’appareils mobiles et, surtout, en situation de mobilité. Ces résultats sont proches de ceux évoqués par Caron et ces collègues (Caron et al., 2007), ceux-ci ont remarqué que « pour qu’un lieu favorise les actions et les processus reliés à l’apprentissage, il faut qu’il soit (ou qu’il soit perçu comme) balisé. La bibliothèque, le chez-soi mais aussi le café, pourvu que la posture soit sédentaire et que le champ visuel soit suffisamment saturé par l’objet d’étude et son support » (p.51).

En conclusion, nous pouvons remarquer que les étudiants justifient largement ce non-usage des potentialités mobiles du podcasting par des causes, c’est-à-dire des raisons qui leur semblent extérieures tels qu’un outil non adapté au contenu, un contenu lui-même non adapté au contexte de mobilité ou encore la nécessité d’un espace de travail.

6. Conclusion

Il y a dix ans, Roschelle (Roschelle, 2003), p.260-261, déclarait : « Chaque technologie d'apprentissage apporte avec elle une nouvelle question conceptuelle profonde que les technologues de l'apprentissage doivent démêler afin de débloquer le potentiel cognitif du potentiel technologique brut ». D’une part, cette citation possède le défaut de laisser penser au lecteur que toute technologie est « bonne à prendre ». Ainsi, le podcasting a suscité beaucoup d’enthousiasme autour d’un renouveau de l’apprentissage mobile – offrant même à l'outil cette caractéristique dans sa propre étymologie –, la réalité des usages est toute autre. D’autre part, la citation a l’avantage de mettre l’accent sur l’intérêt de débloquer le potentiel cognitif. En d’autres termes, il s’agit de trouver les pratiques pédagogiques adéquates permettant d’exploiter pleinement l’outil. Au sujet du podcasting, Nataatmadja et Dyson (Nataatmadja et Dyson, 2008) ont conclu que le podcasting, à lui seul, n’allait pas révolutionner l’éducation du vingt-et-unième siècle en gardant une pédagogie magistrale, centrée sur l’enseignant. Bien au contraire, il doit être utilisé pour la transmission des connaissances, sur laquelle l'élève peut s’appuyer pour découvrir et construire ses propres connaissances (Nataatmadja et Dyson, 2008). Ce contexte pédagogique intégrant une utilisation plus constructiviste du podcasting et favorisant l’apprentissage mobile n’était pas présent dans notre étude et il s’agit probablement de son principal défaut.

En adoptant une approche méthodologique écologique centrée sur les utilisateurs – enseignants et étudiants – et leurs genèses instrumentales, nous avons pu dépasser les conclusions actuelles de la littérature pour aborder le sens que les étudiants accordent aux capacités mobiles des podcasts et la manière dont ils s’approprient, ou non, cet outil. L’absence d’usage semble, d’une part, liée aux dispositifs pédagogiques mis en place par les enseignants qui ne prennent pas du tout en compte les potentialités du mobile learning, pour différentes raisons déjà mentionnées par Daguet et Wallet (Daguet et Wallet, 2012). D’autre part, le mobile learning ne semble actuellement pas en adéquation avec les pratiques d'apprentissage des étudiants qui nécessitent un espace calme leur permettant de travailler sur un ensemble de supports en même temps. De plus, les podcasts produits sont décrits comme peu adaptés à des activités d’apprentissage mobile : le support comme le contenu ne s’avèrent pas adéquats. En outre, si le mobile learning ne permet pas d’investir de nouveaux espace-temps pour l’apprentissage académique, il est par contre particulièrement utilisé dans le cadre d’activités d’apprentissage informel. Il s’agit même d’une raison justifiant le recours à l’apprentissage mobile : le mobile learning permet de combler les « temps morts » de la mobilité par des formes d’apprentissage plus flexibles, accessibles et porteuses de moins d’enjeux que l’apprentissage formel.

De facto, derrière cette absence de mobilité apparente, ces outils sont tout de même utilisés afin d’investir de nouveaux lieux d’apprentissage, d’optimaliser l’ergonomie du travail sédentaire ou d’introduire la mouvance « BYOD » – bring your own device – dans l’enseignement supérieur. En conclusion, interroger les pratiques d’apprentissage liées aux outils mobiles nous amène surtout à dresser les contours d’une nouvelle définition du mobile learning dans laquelle l’utilisation d’outils mobiles s’effectue principalement dans des situations « d’apprentissage sédentaire ». Comme le montrent nos résultats, le non-usage est rarement synonyme d’une absence totale d’usage (Wyatt, 2010) ; (Rinaudo, 2012).

En termes de perspectives, nos résultats laissent entrevoir deux nouvelles pistes pour des recherches futures : d'une part, il s’agirait de comprendre pourquoi le mobile learning semble plus approprié pour l'apprentissage informel. Thématique déjà évoquée par d'autres auteurs (Kukulska-Hulme et Pettit, 2009), certains de nos entretiens laissent ainsi penser que, si le podcasting en tant qu'outil pédagogique fourni par l'enseignant est peu utilisé en situation de mobilité, plusieurs étudiants déclarent volontiers écouter des podcasts – produits par d'autres universités, des émissions radio, etc. – afin d'enrichir leur culture générale à propos de la matière d'un cours et, ceci, en situation de mobilité. De futures recherches devraient donc explorer plus en avant les liens entre apprentissage informel et mobile learning. D'autre part, il s’agirait d’étudier pourquoi et comment les étudiants utilisent les outils mobiles dans l'enseignement universitaire. Si les étudiants n'utilisent pas leurs smartphones ou leurs tablettes pour écouter ou regarder des podcasts, de nouvelles recherches pourraient, de manière exploratoire, tenter de décrire et de comprendre les utilisations des outils mobiles dans des activités d'apprentissage.

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A propos de l’auteur

Titulaire d’un Master en Sciences de l’Education, Nicolas ROLAND est actuellement chercheur au sein de la recherche-action "ULB Podcast" au Centre des Technologies au service de l'Enseignement de l'Université libre de Bruxelles. Dans ce projet, il contribue au développement d'une infrastructure open source de podcasting (EZcast), accompagne les enseignants sur les aspects pédagogiques et technologiques liés à l'intégration de l'outil dans leurs dispositifs pédagogiques et poursuit un travail scientifique d'évaluation - quantitative et qualitative - impacts du podcasting sur l'enseignement et l'apprentissage. Il est également doctorant auprès du Service des Sciences de l'Education (Faculté des Sciences psychologiques et de l'Education, Université libre de Bruxelles) ; son travail porte sur l'étude de la construction de dispositifs personnels d'apprentissage par les étudiants de l'enseignement universitaire.

Adresse : Campus du Solbosch. 50, Avenue F.D. Roosevelt CP160/26 1050 Bruxelles (Belgique)

Courriel : niroland@ulb.ac.be

Toile : http://www.niroland.be, http://podcast.ulb.ac.be


1 Le recours au mobile tel que décrit par Herrington et Herrington (Herrington et Herrington, 2010) n’engendre pas nécessairement de l’apprentissage mobile au sens d’El-Hussein et Cronje (El-Hussein et Cronje, 2010)

2 En janvier 2013, le slogan publicitaire d’iTunes U, la plateforme de diffusion de contenus pédagogique d’Apple était « Learn anything, anywhere, anytime ».

3 Le lecteur intéressé trouvera dans nos autres publications davantage d’informations sur l’usage du podcast par les étudiants universitaires (Roland, 2012) ; (Roland et al., 2012) ; (Roland et Nauyens, 2013) ; (Roland et Emplit, 2013)

 

 
Référence de l'article :
Nicolas ROLAND, Baladodiffusion et apprentissage mobile : approche compréhensive des usages étudiants de l’Université libre de Bruxelles, Revue STICEF, Volume 20, 2013, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 31/03/2014, http://sticef.org
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Mise à jour du 31/03/14