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Vers une écriture collective transformative au
primaire : interventions enseignantes et design technologique
Stéphane
ALLAIRE*, Pascale THÉRIAULT*, Vincent GAGNON* Thérèse
LAFERRIÈRE**, Christine HAMEL**, Pier-Ann BOUTIN**, Godelieve
DEBEURME***
*(UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À CHICOUTIMI,
Saguenay),
**(UNIVERSITÉ LAVAL, Québec),
***(UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE, Sherbrooke),
Chercheurs et étudiants-chercheurs
associés au Centre de recherche et d’intervention sur la
réussite scolaire
(CRIRES)
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RÉSUMÉ : Ce
texte rend compte d’une étude qui a documenté la
façon dont les interventions enseignantes et les affordances d’un
outil d’écriture collective, le Knowledge Forum, peuvent se
compléter pour amener des élèves du primaire à
prendre part à une écriture davantage transformative. Le cadre
théorique s’appuie entre autres sur les processus et les
stratégies d’écriture. La méthode a combiné
l’observation d’interventions effectuées en classe, des
entrevues ainsi que l’observation des écrits sur le forum
électronique. Les résultats mettent en lumière notamment
une démarche d’écriture qui amène les
élèves à dépasser une énonciation
spontanée de leurs connaissances.
MOTS CLÉS : Écriture
collective, stratégies d’écriture, classe en réseau,
TIC
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ABSTRACT : This
paper reports results of a study that documented the way teachers’
intervention and affordances of a collective writing tool, Knowledge Forum, can
combine to engage primary pupils in transformative writing. Theoretical
frameword is based on writing processes and strategies. Method combines
observation of teachers’ intervention, interviews and observation of notes
written in the electronic forum. Results reveal how it is possible to bring
students over a knowledge telling approach to writing.
KEYWORDS : Collective
writing, writing strategies, networked classroom, ICT |
1. Problématique
Les impératifs d’une
société dont le fonctionnement s’aligne sur la
primauté du savoir exercent de plus en plus de pression sur les
systèmes éducatifs (Bereiter, 2002), (Schleicher, 2012).
Une implication courante d’une telle société veut
qu’un accent soit mis sur la démocratisation des connaissances,
notamment par un accès facilité à ces dernières. Une
autre implication, plus ambitieuse celle-là, concerne la pertinence et la
nécessité de développer des pratiques de
coélaboration, voire de création de connaissances et ce,
dès l’éducation primaire. Pour Bereiter et Scardamalia (Bereiter et Scardamalia, 2005),
en l’absence de procédure explicite pour y parvenir, il est
souhaitable d’adopter une approche développementale et d’y
travailler le plus tôt possible, de sorte à exercer et à
raffiner de façon progressive les aptitudes des élèves et
des étudiants, tout au long de leur cheminement scolaire. Peu importe
qu’il s’agisse de l’une ou l’autre implication, les
technologies de l’information et de la communication (TIC) sont de plus en
plus envisagées comme un catalyseur de la société du savoir (UNESCO, 2005).
Des changements s’opèrent au niveau d’orientations-cadres,
dont les programmes de formation font partie. Par exemple, en 2011,
l’UNESCO a publié la mise à jour d’un
référentiel de compétences destiné aux enseignants (UNESCO, 2011).
La création de connaissances y est bien mise en valeur. En ce qui
concerne les élèves, l’Assessment and Teaching of
21st Century Skills fait de la créativité et de
l’innovation une des dix compétences du 21e siècle. Au Québec, en dépit du fait qu’ils ne soient
pas tous soumis à une évaluation systématique et formelle,
de tels éléments se manifestent notamment à travers des
compétences transversales telles « Résoudre des
problèmes», « Exercer son jugement critique » ainsi que
« Mettre en œuvre sa pensée créatrice » (MEQ, 2001). Ces
tangentes générales insufflent un vent de changement aux pratiques
de classe.
L’écriture, socle des apprentissages scolaires avec la lecture,
est bien connue pour sa fonction de communication d’idées. Une
autre fonction, parfois moins connue et moins mise à contribution de
façon systématique en classe, est sa fonction
épistémique (Blaser, 2007).
Elle vise alors l’appropriation, voire la création de
connaissances. Des travaux, notamment ceux de Bereiter et Scardamalia (Bereiter et Scardamalia, 1987) à propos de l’expertise en écriture, ont montré son
potentiel transformatif. Cela signifie que le fait de prendre part à
l’acte d’écrire, en soi, peut amener un individu à se
forger des idées qu’il n’avait pas auparavant. Une telle
dynamique s’inscrit dans la prolongation des travaux de Vygotsky (Vygotsky, 1978) à propos de l’interinfluence entre la pensée et le
langage.
Or, l’adoption d’une écriture transformative ne va pas de
soi, en particulier chez les scripteurs novices, auxquels appartiennent les
élèves du primaire. Ceux-ci ont plutôt tendance à
rédiger au fil de leurs idées, jusqu’à ce
qu’ils n’en aient plus. C’est à ce moment alors,
qu’à leurs yeux, le texte est complété (Bereiter et Scardamalia, 1987).
Un processus de récitation de connaissances (knowledge telling) a
aussi été observé par Allaire et al. (Allaire et al., 2011) et (Allaire et al., 2013) lors de l’usage de médias sociaux, en particulier du blogue. Si un
tel processus est efficace du point de vue de la forme scolaire traditionnelle
et de la gestion du temps (c’est-à-dire compléter la
tâche assignée en un minimum de temps), il se distingue par
ailleurs du processus adopté par les scripteurs avancés, qui, eux,
prennent davantage de temps pour peaufiner, retravailler l’écrit
afin qu’il corresponde le mieux possible à l’intention
ciblée. L’effort requis par un tel accomplissement serait favorable
à une transformation des idées, en raison des allers-retours
itératifs entre des espaces « contenu » et «
rhétorique » (Bereiter et Scardamalia, 1987).
Dans le cadre d’une recherche financée par le « Fonds de
recherche du Québec sur la société et la culture »
(FRQSC), nous travaillons notamment à la mise en place et au raffinement
de pratiques d’écriture axées sur
l’amélioration des idées. De nature transformative, ces
pratiques sont soutenues par un forum électronique de
coélaboration de connaissances, le Knowledge Forum. Ce texte
présente la façon dont des interventions d’enseignantes du
primaire se sont combinées aux affordances de l’outil retenu afin
d’amener les élèves à prendre part à une
écriture pouvant être qualifiée de transformative, et qui
s’inscrit dans la perspective des exigences d’une
société du savoir.
2. Cadre théorique
Les travaux issus de la théorie de
l’activité (Vygotsky, 1978), (Engeström, 1987) soutiennent que toute activité humaine se déploie par
l’entremise d’outils, qu’ils soient symboliques et/ou
conceptuels, mécaniques ou numériques. Ainsi, les interventions
effectuées par les individus qui poursuivent un objet, un but
spécifique prennent-elles forme à l’aide – et à
travers – de tels outils.
Quant aux usages, le concept de genèse instrumentale de Rabardel (Rabardel, 1995) fournit un rationnel qui nous apparait pertinent pour conceptualiser
l’appropriation et l’utilisation d’un outil donné, en
conjonction avec les actions d’un individu. Deux mouvements sont en jeu
selon l’auteur. D’une part, sur la base de son identité et de
ce qu’il accomplit, l’individu attribue une ou des fonctions aux
outils qu’il utilise. Il peut en quelque sorte les modeler, les adapter
à ce qu’il souhaite accomplir. Il s’agit du mouvement
d’instrumentalisation et c’est lui qui entre en jeu lorsque par
exemple, une personne utilise, en l’absence de tournevis, un couteau pour
extraire une vis d’un meuble. L’outil n’est pas conçu
pour effectuer une telle tâche ; on lui attribue un usage.
D’autre part, en fonction de ses propriétés et
caractéristiques, tout outil induit aussi une façon de
l’utiliser auprès d’un individu. Pour illustrer ce mouvement
d’instrumentation, on peut référer à l’exemple
classique de la chaise qui, par sa solidité apparente et la hauteur de sa
surface plane, invite un individu à s’y asseoir. C’est dire
qu’un outil peut suggérer des actions, voire des interventions
à un individu (Allaire, 2006).
L’interaction entre les mouvements d’instrumentalisation et
d’instrumentation engendre donc des potentiels d’action – des
affordances (Gaver, 1991), (Gibson, 1979) – qui alimentent la façon dont une activité est mise en
œuvre. Cette interaction est importante à considérer, en
particulier compte tenu de la dimension téléologique de
l’enseignement, c’est-à-dire de la poursuite
délibérée d’objets d’apprentissage. Dans notre
contexte, il s’agit de documenter la façon dont s’orchestrent
les interventions d’enseignantes du primaire alors qu’un outil
d’écriture collective, le Knowledge Forum, est
utilisé en classe dans l’optique de favoriser une écriture
transformative chez les élèves. Le Knowledge Forum est un
forum électronique axé sur la résolution de
problèmes authentiques en collaboration. Un principe sous-jacent
important est à l’effet que c’est par
l’intermédiaire des interactions écrites entre participants
que les idées prennent forme progressivement et que la communauté
peut parvenir à mieux comprendre le problème sur lequel elle se
penche. Particulièrement, les participants élaborent des notes
à partir des propos des autres afin d’améliorer cette
compréhension. Les notes sont reliées graphiquement pour permettre
de suivre la progression du discours écrit collectif.
Par ailleurs, il est reconnu que les scripteurs avancés mobilisent des
stratégies en regard des trois principaux processus que sont la
planification, la mise en texte ainsi que la révision et la correction (Hayes et Flower, 1980), (Hayes, 1995). Ces
processus se déploient en de nombreuses stratégies (MEQ, 2001) qui sont
énoncées au Tableau. Ces
stratégies orienteront le cadre d’analyse des interventions
enseignantes.
Processus d’écriture |
Stratégies d’écriture |
Planification |
Se rappeler les expériences d’écriture
déjà vécues. |
Utiliser un déclencheur pour stimuler son imaginaire (ex.
: œuvres d’art, illustrations, objets). |
Préciser son intention d’écriture et la garder
constamment à l’esprit. |
Penser au destinataire du texte à produire. |
Évoquer un contenu possible (exploration et choix des
idées). |
Anticiper le déroulement ou l’organisation du texte. |
Dresser une carte d’exploration, un croquis, un schéma, un plan
sommaire ou toute autre forme de support pertinent. |
Mise en texte |
Ajouter au fur et à mesure les idées qui viennent. |
Rédiger une première version à partir des idées
formulées mentalement. |
Retourner aux données du projet d’écriture ou à
un support externe. |
Relire la partie rédigée pour enchainer la suite. |
Révision, correction, autoévaluation |
Se demander si ce qui est écrit correspond bien à ce que
l’on veut dire. |
Repérer les passages à reformuler. |
Réfléchir à des modifications possibles. |
Lire oralement son texte à une ou plusieurs personnes, ou leur
demander de le lire, afin d’obtenir des suggestions
d’amélioration (structure, contenu, langue). |
Choisir, parmi les suggestions obtenues, celles qui semblent le plus
appropriées. |
Modifier le texte en recourant aux opérations syntaxiques (ajout,
effacement, déplacement, remplacement de groupes de mots ou de
phrases). |
Relire son texte plus d’une fois. |
Inscrire, s’il y a lieu, des marques, des traces ou des symboles
pouvant servir de rappel ou d’aide-mémoire. |
Recourir à une procédure de correction ou
d’autocorrection. |
Consulter les outils de référence disponibles. |
Recourir à un autre élève ou à un adulte. |
Utiliser les ressources d’un traitement de texte et d’un
correcteur intégré. |
Décrire ou expliquer la démarche suivie. |
Vérifier l’atteinte de l’intention
d’écriture. |
Se prononcer sur l’efficacité des stratégies
retenues. |
S’autoévaluer comme scripteur. |
Tableau
1 • Processus et stratégies d'écriture (MEQ, 2001)
Pour ce qui est de l’articulation des interventions des enseignants
avec l’outil d’écriture, nous retenons les principales
affordances perceptibles (Gaver, 1991) du Knowledge Forum, c’est-à-dire celles dont le design a
été conçu intentionnellement pour instrumenter des
interventions de coélaboration, voire de création de
connaissances. Cette dynamique réfère à un processus
collectif où les membres d’une communauté d’apprenants
cherchent délibérément, en mettant à contribution
l’écrit, à améliorer des idées (Bereiter et Scardamalia, 2003).
Ces idées se rapportent à une question ou à un
problème donné et elles ont de la valeur à des fins de
compréhension, d’explication ou de résolution de
problème complexe. Faute d’espace, nous n’entrons pas dans
une description exhaustive de chacune des affordances - voir le chapitre 4 de (Allaire et Lusignan, 2011) pour plus d’informations à cet effet, ou encore la version
originale anglaise des principes de (Scardamalia et Bereiter, 2006).
Nous porterons principalement attention à celles du Tableau 2.
Affordances perceptibles |
Instrumentation |
Nouvelle note |
Amorcer une thématique inexplorée jusqu’à
présent par la communauté |
Élaboration |
Enrichir le contenu d’une note existante |
Annotation |
Commenter le contenu d’une note de façon plus
personnalisée |
Échafaudage (étayage) |
Annoncer le type de contenu qu’on désire rédiger
à l’intérieur d’une note |
Champ « Problème » |
Nommer l’objet abordé |
Champ « Mot-clé » |
Identifier les mots ou concepts importants du contenu d’une note |
Note « Élever le propos » |
Regrouper plusieurs notes pour en rédiger l’équivalent
d’une synthèse, voire suggérer une avancée |
Citation |
Référer explicitement à un contenu
élaboré antérieurement par un ou plusieurs membres de la
communauté |
Publication |
Attester de la qualité du contenu d’une perspective (ensemble
de notes) en suggérant de rendre ce contenu accessible à
d’autres personnes que les membres de la communauté qui les a
produites |
Perspective |
Créer un nouvel espace numérique de coélaboration |
Idées prometteuses |
Sélectionner les idées qui, du point de vue des membres de la
communauté, méritent d’être approfondies (Boutin, 2013) |
Organisation spatiale et visuelle de l’espace collectif
d’écriture |
Déplacer les notes et inclure images et figures afin de faciliter
leur lecture et compréhension |
Tableau
2 • Affordances perceptibles du Knowledge Forum et
leur instrumentation
Nous décrivons maintenant la méthode retenue dans le cadre de
l’étude.
3. Méthode
3.1. Participants
La recherche est en cours depuis deux ans et une
quinzaine de classes du primaire provenant de cinq régions
administratives du Québec y ont participé jusqu’à
présent. Dans ce texte, nous nous concentrons sur les données
collectées auprès de deux enseignantes et leurs
élèves de troisième cycle du primaire (10-11 ans) provenant
d’un milieu socioéconomique défavorisé.
L’objectif du texte étant d’illustrer comment des
interventions en écriture peuvent tirer profit d’une technologie
collective d’écriture, notre choix des participants s’est ici
concentré sur des enseignantes qui avaient une pratique de type
étayé (Allaire et al., 2013),
c’est-à-dire offrant un soutien aux élèves dans une
optique de développement progressif de leur autonomie en
écriture1.
Les deux enseignantes ont une classe en réseau dont le fonctionnement
et la dynamique d’enseignement-apprentissage s’inspirent des
principes promus par le modèle de « L’école en
réseau » (Laferrière et al., 2011).
En particulier, les élèves d’une classe donnée
travaillent périodiquement avec des élèves d’une ou
de plusieurs autres classes à partir du Knowledge Forum et de la
webconférence (VIA) à des fins d’enrichissement de
l’environnement d’apprentissage et de la réussite scolaire.
Les deux enseignants possédaient une longue expérience du
modèle (7 et 8 ans).
3.2. Déroulement de l’expérimentation
Pour la situation d’écriture qui fait ici l’objet
d’analyse, les classes des deux enseignantes ont travaillé
ensemble. Plus précisément, elles ont travaillé
l’apprentissage de l’écriture à travers un contenu
d’histoire (univers social) : le mode de vie au Moyen Âge.
Il s’agissait pour les deux communautés d’apprenants de
chercher à mieux comprendre cette société. Le travail
s’est échelonné sur plusieurs semaines à
l’automne 2011. Dans chaque classe participante, quelques ordinateurs
étaient à la disposition des élèves. Ces derniers
ont donc travaillé sur le forum électronique à tour de
rôle. Précisons aussi que la réalisation de cette situation
d’écriture relève des intentions pédagogiques
initiales des enseignantes et non d’un devis imposé par
l’équipe de recherche.
Tel que mentionné précédemment, Knowledge Forum a
été l’outil d’écriture utilisé. Son
interface neuronale a été privilégiée (Figure 1) car elle offre
davantage de souplesse pédagogique. Par exemple, les notes (icônes)
peuvent être déplacées pour former des regroupements
sémantiques logiques.
Figure
1 • Interface neuronale du Knowledge Forum
Au premier regard, un tel type d’interface se distingue de celui des
forums électroniques plus classiques (par arborescence) par la
non-linéarité de la présentation des messages,
appelés notes. La couleur turquoise des icônes indique une note non
lue par un participant alors que le rouge indique qu’elle l’a
été. Lorsqu’une note est révisée, elle
redevient turquoise, mais d’un ton plus foncé.
Dans le cadre de la situation d’écriture retenue, le Knowledge Forum a été utilisé en conjonction avec
des échanges et du travail en face à face. Parfois, ce travail a
été effectué en groupe, en équipe locale
d’élèves, entre des élèves de classes
différentes (par webconférence) ou de façon
individuelle.
Par ailleurs, considérant la dimension de changement de pratique
ciblée dans le cadre général de la recherche-action, les
chercheurs se sont impliqués à titre d’intervenants lors de
son déroulement. Ils l’ont fait de deux principales façons.
D’une part, ils ont partagé des données descriptives aux
enseignantes. Ces données mettaient en lumière les liens entre
leurs interventions et les stratégies d’écriture et elles
ont donné lieu à des échanges qui ont permis
d’effectuer des ajustements de pratique. D’autre part,
l’équipe de recherche a présenté la pertinence et le
fonctionnement de l’affordance des idées prometteuses.
3.3. Collecte et analyse de données
La collecte de données a été effectuée selon
trois principales modalités. Des observations directes des enseignantes
en action pendant le déroulement de la situation d’écriture
ont été effectuées en différé, à
partir d’enregistrements en webconférence. Il s’agissait
d’observer le soutien offert par les enseignantes aux élèves
en regard des processus d’écriture (planification, mise en texte
ainsi que révision et correction), que ce soit en face à face ou
sur le forum électronique. Ensuite, des entrevues semi-dirigées
ont eu lieu avec les enseignantes pour compléter les observations
directes ainsi que pour saisir ou valider les intentions à la base de
leurs interventions. Enfin, les affordances du Knowledge Forum utilisées et les écrits rédigés par les
élèves et les enseignantes ont été
considérés.
Pour ce qui est de la méthode d’analyse, les interventions des
enseignantes ont été catégorisées à partir
des stratégies d’écriture énoncées dans le
« Programme de formation de l’école
québécoise » (MEQ, 2001), (voir Tableau 1). Le cas
échéant, les interventions ont aussi été
associées aux affordances du forum électronique. Enfin, des
écrits d’élèves ont été analysés
sous l’angle de l’ajout d’idées par rapport à
celles formulées en début de situation d’écriture.
Pour ce faire, chaque idée différente a été
codifiée selon qu’elle se retrouvait sur le forum
électronique et/ou dans le texte individuel d’un
élève. L’analyse a aussi porté sur la provenance des
idées, c’est-à-dire les notes rédigées par
chaque élève ou celles de leurs camarades.
4. Présentation des résultats
Globalement, la situation d’écriture
documentée a été orchestrée selon cinq phases, dont
les trois premières ont mis à profit le Knowledge Forum.
Nous débutons par présenter la description du déroulement
pour chacune de ces phases. À ce niveau, le lecteur ne devrait pas
être surpris par la tangente ethnographique du regard posé. Ce
regard a permis de dégager un modèle d’écriture en
cinq phases. Ensuite, nous présentons des résultats en lien avec
les écrits individuels des élèves.
4.1. Phase 1 (durée approximative : une semaine)
La phase 1 a consisté en l’amorce de la situation
d’écriture. Les enseignantes ont ancré l’intention
d’écriture dans un contexte de résolution de problème
en expliquant aux élèves qu’il s’agissait, dans un
premier temps, de s’engager collectivement dans une recherche
d’informations pour mieux comprendre le fonctionnement de la
société au Moyen Âge. Ultimement, les élèves
auraient à produire un texte informatif individuel ainsi qu’une
maquette en arts plastiques pour rendre compte d’une partie de cette
compréhension. Par la webconférence réunissant les deux
classes, une tempête d’idées a été
effectuée à propos de ce que les élèves
connaissaient du Moyen Âge, à titre d’élément
déclencheur de l’écriture. Les élèves ont
ensuite été invités à garder des traces
écrites de ces premières idées, sur le forum
électronique. En guise de rappel de cette intention
d’écriture, les enseignantes ont créé une nouvelle
perspective (entendre la nouvelle page dans l’espace collectif)
intitulée « Moyen Âge » pour l’écriture
collective. En outre, elles ont rédigé la première
contribution, soit une note qui invitait les élèves à
rédiger ce qu’ils connaissaient de la société de
l’époque (Figure 2) dans cet espace
numérique collectif. Les enseignantes en ont profité pour
expliquer et modéliser l’utilisation de l’affordance
d’échafaudage. Celle-ci a été présentée
comme un appui à la clarification d’une intention
d’écriture sous la forme d’une nouvelle contribution dans la
perspective à développer. En l’occurrence ici, c’est
l’échafaudage « J’ai besoin de comprendre » qui a
été utilisé puisque le contenu de la note initiale des
enseignantes consistait en la formulation du questionnement à la base de
l’écriture.
Figure
2 • Note d’amorce de la situation d'écriture
rédigée par les enseignantes
Les élèves ont été invités à lire
les notes de leurs camarades pour s’enquérir de leurs idées,
pour ne pas les répéter (compte tenu de la dimension collective du
forum électronique), voire ajouter des idées
complémentaires, et ce en dépit du fait qu’à ce
stade-ci, l’intention était surtout de permettre à la fois
un rappel des connaissances et la formulation de conceptions spontanées
sur la question, et d’en garder trace. Des idées
complémentaires ont été associées de par
l’affordance d’élaboration, qui permet de relier
graphiquement une note à une autre. D’un point de vue collectif,
elle a soutenu un enchainement logique des idées. Par exemple, à
partir d’une note qui formulait une idée personnelle à
l’effet que c’est le roi qui dirigeait la société
à l’époque du Moyen Âge, un élève a
élaboré en précisant que les princes et les princesses
avaient aussi, selon lui, un certain pouvoir décisionnel.
Par ailleurs, bien que le Knowledge Forum ait été
présenté comme un espace collectif d’écriture
permettant d’améliorer la compréhension de quelque chose et
que, par conséquent, la répétition d’un même
contenu n’était pas souhaitable, les enseignantes ont
expliqué aux élèves qu’en cas de telles
répétitions, il était possible d’utiliser
l’affordance d’organisation spatiale et visuelle pour regrouper des
notes selon leur proximité sémantique. Une telle façon de
faire se veut contributoire à la réorganisation de
l’écriture collective.
4.2. Phase 2 (durée approximative : deux à trois
semaines)
L’objectif de la seconde phase de la situation d’écriture
était d’amener les élèves à dépasser
les connaissances antérieures ou les conceptions spontanées
énoncées lors de la première phase. Pour ce faire, les
enseignantes, soutenues par un membre de l’équipe de recherche, ont
d’abord demandé aux élèves d’utiliser
l’affordance des idées prometteuses intégrée au Knowledge Forum. Ainsi, chaque élève a relu les notes
rédigées jusque là et a identifié, par surlignement,
les éléments qui lui semblaient importants d’approfondir
pour parvenir à une compréhension plus étoffée du
Moyen Âge (Figure 3).
Figure
3 • Surlignement d'une idée prometteuse
Une fois que l’ensemble des élèves eut accompli cela, les
enseignantes ont généré en groupe le portrait
d’ensemble des idées les plus fréquemment
sélectionnées (Figure 4).
Figure
4 • Portrait des idées prometteuses les plus
sélectionnées par les élèves
À la suite d’une discussion collective, ce portrait a
mené à l’identification de 11 thématiques, qui ont
donné lieu à la création d’autant de perspectives
spécifiques permettant d’orienter la nouvelle phase
d’écriture associée à la poursuite de
l’investigation du Moyen Âge (Figure 5).
Figure
5 • Perspectives associées aux thématiques
retenues par les élèves à l'aide de l'affordance des
idées prometteuses à des fins d’investigation du Moyen
Âge
Les enseignantes ont ensuite insisté sur l’importance de la
consultation de ressources documentaires (site web et livres). Elles en ont
aussi profité pour enseigner de façon explicite certaines
stratégies de repérage et de traitement de l’information de
base afin que les élèves puissent reformuler dans leurs propres
mots, sur le forum électronique, les informations consultées.
L’affordance d’élaboration a été
rappelée de sorte à encourager les élèves à
construire à partir des idées apportées par les autres. En
outre, l’indication des sources a aussi été enseignée
pour que les élèves puissent les indiquer dans leurs notes (Figure 6).
Figure
6 • Exemple de note rédigée par un
élève
Périodiquement au cours de cette deuxième phase
d’écriture, les enseignantes ont projeté au TBI certaines
notes d’élèves afin de les amener, en groupe, à
réfléchir à des modifications possibles lorsque le contenu
semblait plutôt bien ou moins bien correspondre à l’intention
d’écriture de la perspective (thématique) ou qu’il
manquait de clarté. Des modifications pouvaient être
apportées à la note à partir de l’affordance de
révision.
Par ailleurs, un étayage a aussi été fourni par les
enseignantes sur les perspectives mêmes du forum électronique. Pour
ce faire, elles ont utilisé l’affordance d’annotation pour
formuler, au total, 33 rétroactions. Ces dernières
revêtaient un caractère individuel au sens où elles
ciblaient, la plupart du temps, les auteurs de certaines notes de façon
spécifique. La majorité des rétroactions fournies
(70 % ) ont porté sur le processus d’élaboration
de connaissances. Elles ont amené les élèves à
préciser la source de leurs informations, à étoffer des
contenus, à travailler d’une certaine manière, etc. En voici
quelques exemples : « Dans quelles sources as-tu
vérifié ? ». « Au lieu d’écrire
une élaboration, vous auriez pu faire une annotation. N’oubliez pas
de lire ce qui vient avant. Il faut être constructif ! ».
« Il est souhaitable de ne pas répéter ce que les autres ont
déjà dit. ». En outre, bien qu’elles aient
été nettement moindres, les rétroactions à propos
des conventions linguistiques viennent au second rang avec 12 % .
Quant aux rétroactions concernant la dimension affective
(9 % ), elles ont référé à des
encouragements et à des félicitations fournies par les
enseignantes en réponse à une note qu’elles ont jugée
de qualité. Enfin, les rétroactions concernant la syntaxe ont
aussi représenté 9 % de l’ensemble de celles
effectuées par les enseignantes à partir de l’affordance
d’annotation du Knowledge Forum.
Un étayage par les pairs a aussi été remarqué,
c’est-à-dire que les élèves ont également
utilisé l’affordance d’annotation en guise de
rétroactions aux notes des uns et des autres. Parmi les quelque 441 codes
recensés dans les 387 annotations rédigées par les
élèves, 83 % étaient de l’ordre du processus
d’élaboration comparativement à 17 % pour la dimension
affective. Les rétroactions sur le processus ont été
diversifiées : ajout de contenu ; manifestation
d’accord ou de désaccord à propos d’une
information ; partage ou invitation à partager une
source ; demande de clarification de contenu ; confirmation
de la qualité d’une information.
4.3. Phase 3 (durée approximative : une semaine)
La troisième phase peut être qualifiée de phase
transitoire entre l’écriture collective effectuée sur le Knowledge Forum et une écriture individuelle. Les enseignantes ont
invité les élèves à relire le contenu
élaboré sur le forum électronique en mettant l’accent
sur l’identification de trois idées dont il fallait rendre compte
dans un texte informatif individuel. Il s’agissait donc d’une phase
d’exploration et de choix d’idées en prévision
d’un nouveau contexte d’écriture. Les élèves
ont pu s’aider d’un calepin pour noter, en vrac, les idées
retenues. À la suite de cette prise de notes, l’organisation du
texte individuel a été envisagée. Pour ce faire, les
enseignantes ont animé une discussion de groupes en visiocommunication au
cours de laquelle elles ont amené les élèves à
dégager les principales parties d’un texte informatif. Par la
suite, l’importance d’effectuer un plan, préalablement
à la mise en texte, a été expliquée et
illustrée par un exemple. Chaque élève a ensuite
élaboré le plan de son texte.
4.4. Phase 4 (deux à trois semaines)
La quatrième phase a consisté en la mise en texte, la
révision et la correction du texte individuel. À partir de cette
phase, le Knowledge Forum n’a plus été
utilisé. Les élèves ont surtout travaillé de
façon individuelle, en rédigeant d’abord un brouillon dans
le format papier-crayon. Ils ont été soutenus par leur
enseignante, par exemple en ce qui a trait à l’enchainement des
idées au sein des paragraphes, ainsi que pour la correction linguistique.
Lors de la rédaction de cette première version du texte, pour
soutenir le regroupement d’idées, un code de couleurs a
été proposé par les enseignantes et utilisé par les
élèves. Auprès des élèves en
difficulté d’apprentissage, un système de jetons a
été mis à contribution afin de les amener à
intégrer systématiquement certaines étapes de
vérification. Par exemple, les élèves devaient placer un
jeton sur le verbe après en avoir vérifié l’accord
avec le sujet. Peu d’interventions enseignantes ont été
observées en lien direct avec la révision du
texte ; l’accent a surtout été mis sur la phase de
correction des erreurs linguistiques. En complément à cela, la
version finale du texte ayant été retranscrite dans Microsoft
Word, les outils de correction intégrés à ce traitement
de texte ont été utilisés. Lors de la phase de
retranscription (du brouillon papier à la version numérique), on a
remarqué, d’une part, que des élèves ont
continué à modifier le contenu de leur
texte ; d’autre part que des erreurs linguistiques se sont
ajoutées, possiblement par inattention puisque l’analyse de
certains brouillons a révélé que ces erreurs avaient
pourtant été corrigées.
4.5. Phase 5 (durée approximative : une semaine)
La cinquième phase de la situation d’écriture a
consisté en la diffusion de la version finale du texte des
élèves (artéfact). Ces textes ont été
téléversés sur le site web de l’école à
des fins de partage public.
À partir de la description du déroulement de l’ensemble
de la situation d’écriture, il a été possible de
dégager le modèle de la Figure 7. Ce modèle
est l’aboutissement de la conceptualisation effectuée par les
chercheurs à partir de ce qui a été planifié et mis
en œuvre par les enseignantes.
Figure
7 • Modèle dégagé à partir de la
situation d'écriture
4.6. Interventions enseignantes et stratégies
d’écriture
En outre, tout au long de la situation d’écriture,
particulièrement lors des trois premières phases, une
complémentarité s’est établie entre des interventions
enseignantes, des stratégies d’écriture telles
qu’elles sont présentées dans le Tableau 3 et des
affordances perceptibles du Knowledge Forum (Tableau 3).
Phases |
Interventions enseignantes |
Processus et stratégies d’écriture en jeu |
Affordances du Knowledge Forum mises à contribution |
Phase 1 |
Mise en place d’une situation de résolution de
problème : comprendre le fonctionnement de la
société au Moyen Âge et en rendre compte dans un texte
informatif |
Planification
Utiliser un déclencheur
Préciser une intention d’écriture |
Nouvelle note
Échafaudages |
Animation d’une discussion en groupe pour faire émerger de
premières idées (tempête d’idées) et leur
consignation sur le Knowledge Forum |
Planification
Évoquer un contenu possible
Préciser une intention d’écriture
Mise en texte
Rédiger une première version |
Élaboration
Échafaudages |
Sensibilisation quant à l’importance de limiter la redondance
des idées |
Planification
Choisir des idées |
Organisation spatiale et visuelle de la perspective |
Explication de la sélection d’idées à
approfondir |
Planification
Choisir des idées
Préciser une intention d’écriture
Anticiper l’organisation du texte
Mise en texte
Retourner aux données du projet d’écriture |
Idées prometteuses
Perspectives |
Phase 2 |
Explication de stratégies de consultation et de lecture de ressources
documentaires ainsi que de reformulation des propos afin d’alimenter
l’approfondissement des idées prometteuses identifiées |
Mise en texte
Relire la partie rédigée pour enchainer la suite |
Élaboration
Échafaudages |
Lecture de notes en groupe au TBI et invitation à en clarifier le
contenu |
Révision et correction
Lire oralement son texte ou le faire lire afin d’obtenir des
suggestions d’amélioration |
Révision |
Phase 3 |
Invitation à relire le contenu élaboré sur le Knowledge
Forum afin d’identifier trois idées principales à
développer dans le texte individuel |
Planification
Exploration et choix d’idées |
Notes |
Tableau
3 • Complémentarité entre des interventions
enseignantes en regard des stratégies d'écriture et des
affordances perceptibles du Knowledge Forum
4.7. Usage des idées élaborées sur le forum
électronique
Par ailleurs, afin de déterminer si la situation
d’écriture élaborée et mise en œuvre par les
enseignantes a eu une incidence sur la transformation des connaissances des
élèves, une comparaison a été effectuée entre
les idées développées sur le Knowledge Forum et
celles du texte individuel. Nous cherchions à savoir si le contenu du
forum électronique, et le cas échéant quel contenu plus
exactement, avait pu inspirer les élèves lors de la
rédaction de ce dernier texte. Une analyse effectuée à
partir du test non paramétrique de Wilcoxon a révélé
que lors de la rédaction du texte individuel, les élèves
(n = 34) se sont significativement plus inspirés des
idées élaborées lors de la phase 2 de la situation
d’écriture que de celles de la phase 1 (Z = - 4.029,
p = 0.000). Cela suggère que les élèves ont
transformé leurs représentations spontanées initiales
à propos du fonctionnement du Moyen Âge à la lumière
des connaissances élaborées par l’écrit. En outre,
parmi les idées provenant de la phase 2, les élèves se sont
inspirés davantage de celles provenant de leurs camarades que des leurs
(Z = - 2.485, p = 0.007). À titre indicatif,
l’encadré ci-après fournit un exemple de texte individuel
d’élève. Le contenu surligné est celui qui provient
de la phase 2 du forum électronique.
Une vielle et belle époque
Sais-tu quelles merveilleuses époques il y avait avant que tu naisses?
Une de ces époques était le Moyen Âge, une vieille et
chevaleresque époque. Alors, je vais te parler de trois sujets du Moyen
Âge : les châteaux, les armes et les métiers.
Les châteaux :
Au Moyen Âge, les premiers châteaux ont été faits
en bois érigés sur une butte et entourés d’un profond
fossé. Avec le temps, les seigneurs ont voulu améliorer les
châteaux avec les taxes payées par leurs vassaux. Les
châteaux de pierre ont pris 20 ans de construction. Ils étaient
mieux fortifiés et entourés d’un profond fossé.
Les armes :
Au Moyen Âge, les armes étaient populaires. L’arc
était l’arme la plus facile à fabriquer mais les seigneurs
demandaient beaucoup de pratique pour pouvoir combattre avec cette arme.
Ensuite, il y avait le bouclier qui était l’arme qui
protégeait le mieux. Les premiers étaient faits en bois
qu’on devait tenir à deux mains. Ensuite, ils ont
évolué pour que les guerriers puissent les tenir à une main
et ils sont devenus en fer.
Les métiers :
Au Moyen Âge, il y avait plein de métiers. Par exemple, le
métier de forgeron qui consistait à fabriquer des choses de
métal. Il y avait aussi le métier de tisserand qui consistait
à filer et à tisser ce que les paysans et les marchands portaient.
Puis il en avait plein d’autres!
On remarque qu’aucune idée provenant du temps 1 n’a
été retenue, ce qui suggère que l’élève
a pris une distance par rapport à ses idées initiales
spontanées. Par ailleurs, la provenance des autres idées n’a
pu être identifiée, ce qui laisse supposer que les
élèves ont poursuivi leur recherche d’idées pendant
la phase de rédaction du texte individuel.
Enfin, des idées différentes de celles élaborées
sur le Knowledge Forum ont été repérées dans
les textes individuels. Il a toutefois été difficile
d’identifier leur provenance. La nature du contenu suggère que ces
idées proviendraient de ressources documentaires.
5. Discussion
Les résultats de cette étude mettent
en lumière l’importance des interventions enseignantes en regard de
la planification réfléchie mais flexible et de la mise en
œuvre d’une situation d’écriture voulant amener les
élèves à prendre part à une écriture plus
itérative. Les interventions ont tiré profit du design de
l’outil technologique retenu. Il n’est pas évident de
distinguer précisément les situations où les enseignantes
ont instrumentalisé le forum électronique de celles où les
affordances de ce dernier ont instrumenté les pratiques.
Néanmoins, la situation d’écriture étudiée met
en lumière la complémentarité productive et souhaitable qui
peut s’instaurer entre la pédagogie et la technologie (Hattie, 2009), (Scardamalia et Bereiter, 1996) lorsqu’un savoir pratique avéré se combine à
l’utilisation d’une technologie qui s’appuie sur un rationnel
théorique sous-jacent à sa conception. Cela interpelle un enjeu
pédagogique important, celui de l’atteinte d’un
équilibre entre la guidance offerte et la responsabilisation progressive
des élèves.
En ce qui a trait aux processus et aux stratégies
d’écriture, lorsqu’on positionne l’usage
effectué du forum électronique à travers l’ensemble
de la situation d’écriture, on remarque que cette utilisation
s’est avérée un soutien majeur à la planification de
l’écriture du texte informatif individuel. Le travail
effectué sur le Knowledge Forum a non seulement permis
d’identifier des thématiques potentielles à traiter dans le
texte individuel, mais aussi d’approfondir des idées à y
insérer. Il s’agit d’aspects de l’écriture avec
lesquels les élèves éprouvent généralement de
la difficulté et qui font en sorte qu’ils ont tendance à
adopter une stratégie de récitation de connaissances (Bereiter et Scardamalia, 1987).
Il apparait qu’une dimension transformative de l’écriture
– principalement sur le plan des contenus – a pu prendre forme et
qu’elle a été soutenue par cinq principaux
éléments : a) l’ancrage de l’écriture
à travers une situation de compréhension collective ; b)
le soutien des enseignantes, qui ont offert un contexte d’écriture
d’une flexibilité cadrée ; c) l’interaction
avec les pairs, qui ont en quelque sorte stimulé un effet de relance
réciproque ; d) l’affordance d’élaboration
qui a induit un arrimage des idées individuelles à celles des
autres ; e) la place importante accordée à la lecture
des propos des camarades de classe et de ressources documentaires en lien avec
l’objet d’investigation.
La situation d’écriture a amené les élèves
à composer avec différents niveaux d’intention
d’écriture. Un premier niveau était celui de l’objet
général de la situation d’écriture (la
compréhension de la société au Moyen Âge), qui
s’est décliné en plusieurs intentions secondaires de groupe
sur le Knowledge Forum, c’est-à-dire les 11
thématiques (perspectives) qui ont émergé à la suite
de l’identification des idées prometteuses. En amont de cela, il y
avait eu une intention plus individuelle, soit celle de conserver des traces des
premières connaissances des élèves. Deux autres niveaux
d’intention d’écriture sont entrés en jeu tout au long
de la seconde phase d’écriture. En effet, les élèves
ne devaient pas uniquement s’assurer que leurs notes étaient en
lien avec l’objet général et les
thématiques ; ils ont dû aussi identifier la nature du
contenu élaboré ainsi que le positionner par rapport à
celui déjà présent afin de contribuer à une certaine
progression du discours collectif. Lors de la quatrième phase de la
situation d’écriture, celle de la rédaction du texte
individuel, un dernier niveau d’intention d’écriture a
été convoqué, celui de l’information d’un
destinataire public, où les élèves ont davantage
travaillé la fonction de communication (de ce qu’ils avaient
appris) de l’écriture.
Ces divers niveaux d’intention d’écriture nous
amènent à effectuer deux constats. D’une part, ils
illustrent la dimension foncièrement sociale de la dynamique
d’écriture qui a pris forme (Prior, 2006). Les
élèves ont écrit à partir, pour et avec
d’autres individus. D’autre part, les niveaux d’intention
d’écriture mettent en lumière le passage d’une
écriture authentique privée à publique, au fur et à
mesure que le produit d’écriture des élèves a
été réifié. Ainsi, le Knowledge Forum a
permis aux élèves d’expérimenter, entre eux, en toute
sécurité, le caractère émergent – et donc
nécessairement imparfait – de l’écriture, alors que la
cinquième phase de la situation d’écriture, celle de
diffusion, voulait surtout offrir une vitrine élargie à leur
production finie. On peut établir un lien de proximité avec le
fonctionnement d’une équipe de recherche, dont le travail
d’ébauche et d’élaboration s’effectue
d’abord à l’interne, pour plus tard être rendu
disponible à plus grande échelle, lorsque l’équipe le
juge pertinent.
Une caractéristique importante du contexte d’écriture
flexible et encadrante nous semble résider dans l’agencement
d’une diversité de cycles d’écriture qui ont
amené les élèves, d’une façon ou d’une
autre, à revisiter leur écriture. Lors des deux premières
phases, ce fut davantage sur le plan des idées alors que, tout en
demeurant présents lors de la phase 4, les changements apportés
aux idées ont laissé place à un travail accru sur la
syntaxe et les conventions linguistiques. Globalement, ces différents
mouvements rendent compte de l’aspect plus dynamique que statique de
l’écriture et, compte tenu que des modifications ont
continué à être apportées au texte même lors de
la transcription de la version finale, il y a lieu de penser que les
élèves ont vécu cette dimension itérative,
transformative de l’écriture. Cela dit, l’insertion
d’erreurs linguistiques à ce stade soulève des questions
quant à la nécessité de combiner les types
d’écriture papier et numérique au sein d’une
même situation d’écriture.
En ce qui a trait à l’affordance d’élaboration,
nous y voyons un moyen de travailler le processus de mise en texte de
façon collective avec les élèves, tout
particulièrement l’enchainement logique et la progression des
idées. Pour préparer un éventuel réinvestissement
dans le cadre d’une situation d’écriture individuelle,
où l’utilisation de mots-liens et de marqueurs de relation est
importante pour assurer cette progression, l’affordance
d’échafaudage pourrait être mise à contribution
conjointement avec celle d’élaboration. Par exemple, des
échafaudages pourraient être proposés aux
élèves afin de les amener à positionner explicitement leurs
idées par rapport à celles des autres, dans une optique
d’enchainement syntaxique. Il nous semble y avoir là une piste
à approfondir qui permettrait aux enseignants de travailler
concrètement la mise en texte, un processus souvent
négligé.
Par ailleurs, certaines affordances n’ont pas été
perçues alors qu’elles recèlent de notre point de vue un
potentiel intéressant pour soutenir des stratégies
d’écriture ainsi qu’une écriture transformative. Nous
pensons à l’affordance de citation, qui aurait pu aider à
préciser l’ancrage des élaborations, si les notes avaient
été d’une longueur accrue. Nous pensons aussi au champ
« Problème », qui pourrait permettre aux élèves
de se remémorer le questionnement initial à chaque note
rédigée. Enfin, nous pensons à l’affordance de la
note « Élever le propos », qui, elle, aurait pu être
utilisée par différentes équipes
d’élèves pour rédiger un brouillon collectif en lien
avec chacune des 11 perspectives retenues portant sur le Moyen Âge.
L’utilisation de cette affordance aurait pu permettre
d’intégrer un cycle d’écriture supplémentaire
à la situation globale.
En guise de conclusion, cette étude a permis d’illustrer
qu’il est possible de travailler une écriture plus itérative
avec des élèves du primaire. Qui plus est, ceux qui ont
participé à l’étude provenaient d’un milieu
socioéconomique défavorisé. La situation
d’écriture analysée en fut une d’intégration de
matières scolaires. La dimension collective de l’écriture
ressort comme un levier pertinent à exploiter. En outre, la
complémentarité qui s’est établie entre les
interventions enseignantes et les affordances du forum électronique
utilisé invite à une réflexion minutieuse à propos
du type de soutien offert aux élèves et du design des outils
technologiques. Nos résultats mettent en exergue l’importance, pour
les enseignants, de posséder une connaissance fine de la démarche
d’écriture. Une piste de recherche éventuelle pourrait
consister à documenter si les résultats obtenus peuvent se
transposer lorsque d’autres outils d’écriture sont mis
à profit (blogue, wiki, etc.). Enfin, nous soulevons une tension qui nous
semble nécessaire d’approfondir. Du point de vue spécifique
de l’apprentissage individuel de l’écriture, la
démarche qui émerge des analyses effectuées tend à
soutenir le passage d’un niveau interpsychologique à un niveau
intrapsychologique (Vygotsky, 1978).
Toutefois, elle pose la question de la production d’un artéfact
collectif, qui elle caractérise la dynamique de coélaboration de
connaissances. L’arrimage de ces deux éléments demeure un
questionnement, tant du point de vue de la recherche que de
l’intervention.
_______________________________
1 Les deux autres types recensés sont les pratiques
scriptées (fortement dirigées) et de laisser-aller. La
première réfère à des situations
d’écriture dont les consignes sont particulièrement
directives alors que la seconde réfère à des situations
où l’enseignant n’intervient à peu près pas.
Les trois types ont émergé au fil de l’analyse de
l’ensemble des situations d’écriture mises en œuvre dans
le cadre de la recherche.
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A
propos des auteurs
Stéphane ALLAIRE, Ph.D., est professeur en
pratiques éducatives à l’Université du Québec
à Chicoutimi et chercheur associé au CEFRIO et au CRIRES. Ses
activités d’enseignement concernent principalement
l’intervention éducative et la formation pratique. Ses
intérêts de recherche concernent notamment les communautés
d’apprenants en réseau, l’environnement d’apprentissage
des écoles rurales ainsi que le développement de
l’écriture à l’aide des technologies de collaboration.
Il est présentement doyen de la recherche et de la création.
Courriel : stephane_allaire@uqac.ca
Adresse : 555 boul. de
l’Université, Université du Québec à
Chicoutimi, Saguenay, QC, Canada, G7H 2B1
Pascale THÉRIAULT, Ph.D., est professeure à
l’Université du Québec à Chicoutimi en apprentissage
de la lecture et de l’écriture. Elle est cochercheure au sein
d’une équipe qui s’intéresse à
l’intégration des TIC en soutien à
l’enseignement-apprentissage de l’écriture au primaire et au
secondaire. De plus, elle s’intéresse à l’enseignement
des stratégies de lecture et d’écriture au primaire dans le
cadre de de projets réalisés en collaboration avec le milieu
scolaire.
Courriel : pascale_theriault@uqac.ca
Adresse : 555 boul. de
l’Université, Université du Québec à
Chicoutimi, Saguenay, QC, Canada, G7H 2B1
Vincent GAGNON détient un baccalauréat en
éducation préscolaire et enseignement primaire et une maitrise en
éducation portant sur l’échafaudage de pratiques critiques
en contexte de discours asynchrone. Il est doctorant en éducation et
s’intéresse aux technologies de reconnaissance vocale et leur
potentiel pour alléger la surcharge cognitive des élèves en
difficulté d’apprentissage en écriture.
Courriel : vincent.gagnon@uqac.ca
Adresse : 555 boul. de
l’Université, Université du Québec à
Chicoutimi, Saguenay, QC, Canada, G7H 2B1
Thérèse LAFERRIÈRE est professeure
titulaire à l’Université Laval. Elle fait la conception
d’environnements d’apprentissage en réseau et étudie
principalement, sous l’éclairage de la psychologie des groupes et
de la perspective socioconstructiviste en sciences cognitives, les
phénomènes qui se produisent au sein de communautés
d’apprenants. Elle est la directrice du Centre de recherche et
d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) depuis janvier
2010.
Courriel : tlaf@ulaval.ca
Adresse : Université Laval, 2325,
rue de l'Université, Faculté des sciences de
l’éducation, Québec, QC, Canada, G1V 0A6
Christine HAMEL est professeure en formation pratique
à l'enseignement à l'Université Laval. Ses
intérêts de recherche portent sur l'intégration
théorie pratique, l'analyse de l'activité des formateurs de
stagiaires, de même que les apprentissages professionnels des enseignants.
Membre du Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire
(CRIRES), elle s'intéresse aussi à l'utilisation du réseau
pour soutenir le développement professionnel et l'analyse des pratiques
professionnelles en sciences de l'éducation.
Adresse : christine.hamel@uqac.ca
Université Laval, 2325, rue de l'Université, Faculté
des sciences de l’éducation, Québec, QC, Canada, G1V 0A6
Pier-Ann BOUTIN est professionnelle de recherche à
l’Université Laval pour le projet de recherche l’École
en réseau. Elle détient une maîtrise en technologie
éducative et est Membre du Centre de recherche et d’intervention
sur la réussite scolaire (CRIRES), ses champs
d’intérêts de recherche portent sur
l’intégration des technologies comme soutien à
l’apprentissage et à la collaboration ainsi que le processus
d'écriture collaborative soutenu par les TIC.
Courriel : Pier-Ann.Boutin@fse.ulaval.ca
Adresse : Université Laval, 2325,
rue de l'Université, Faculté des sciences de
l’éducation, Québec, QC, Canada, G1V 0A6
Godelieve DEBEURME est professeure en didactique du
français à la Faculté d'éducation de
l'Université de Sherbrooke et professeure associée à
l’Université catholique de l’Ouest d’Angers. Elle est
membre du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite
éducative (CRIRES) ainsi que du Collectif de recherche sur la
continuité des apprentissages en lecture et écriture (CLÉ).
La professeure Debeurme s'intéresse depuis plusieurs années aux
difficultés d'apprentissage de la langue chez les élèves
allant du primaire jusqu’à l’ordre universitaire. Ses
recherches actuelles touchent le développement des compétences
scripturales soutenu par les technologies et dans la mise en place
de mesures d'encadrement auprès des étudiants universitaires. Son
deuxième champ de recherche touche la persévérance aux
études supérieures.
Courriel : godelieve.debeurme@usherbrooke.ca
Adresse : Université de
Sherbrooke, 2500 boul. de l'Université, Faculté des sciences de
l’éducation, Sherbrooke, QC, Canada, J1K 2R1
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