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L'utilisation de tablettes numériques dans des classes
de troisième secondaire : retombées, difficultés, exigences
et besoins de formation émergents
Patrick GIROUX, Sandra COULOMBE (UQAC & CRIFPE), Nadia CODY (UQAC), Suzie
GAUDREAULT (UQAC & CRIFPE)
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RÉSUMÉ : Plusieurs
écoles tentent d'innover dans un contexte où le paysage
technologique évolue rapidement et les tablettes numériques telles
l'iPad sont clairement identifiées comme une technologie émergente
susceptible d'avoir des retombées importantes en éducation
à très court terme (Johnson et al., 2012). Une école
secondaire québécoise intègre depuis septembre 2012 des
iPad dans deux de ses groupes de troisième secondaire. Une équipe
de recherche accompagne l'école et suit leur parcours. Cet article
présente un premier regard sur les données préliminaires
amassées depuis septembre 2012 auprès des enseignants, des
élèves et de leurs parents.
MOTS CLÉS : tablette
numérique, iPad, compétences du 21e siècle, implantation,
école secondaire.
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ABSTRACT : Many
schools are trying to innovate while the technological landscape is changing
rapidly. Digital tablets like the iPad are clearly identified as an emerging
technology that could have a significant impact on education in the short term
(Johnson et al., 2012). A Quebec high school integrated iPad in two secondary
three groups since last September. A research team accompanied the school and
followed its course. This paper presents a first look at the preliminary data
collected since the beginning of the project from the teachers, the students and
their parents.
KEYWORDS : digital
tablet, iPad, 21st century skills, implementation, secondary school
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1. Contexte de la recherche
Les technologies occupent une
place importante dans la société du savoir. Au 21e siècle,
l'ensemble des compétences associées aux technologies de
l’information et de la communication (TIC) sont jugées importantes
pour l'intégration des individus à la société et
pour la compétitivité des nations (California Emerging Technology Fund, 2008), (Anderson, 2010).
Déjà, les enfants et les adolescents intègrent ces outils
technologiques à leur vie quotidienne (CEFRIO, 2009), (PEW Internet & American Life Project, 2010a), (PEW Internet & American Life Project, 2010b), (Media-Awareness Network, 2001), (Media-Awareness Network, 2005), (Rideout et al., 2010), (Thirouin et Khattou, 2010).
Plusieurs curriculums des écoles primaires et secondaires, dont ceux du
Québec : Ministère de l'Éducation (MEd, 2001),
Ministère de l'Éducation, (MEd, 2004),
Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, (MEd, 2007) ;
de la Suisse : Conférence Intercantonale de l’Instruction
Publique de la Suisse Romande et du Tessin (CIIP, 2013) et de
la France : Ministère de l'éducation nationale, de la
jeunesse et de la vie associative - Direction générale de
l'enseignement scolaire (MEN, 2011),
reconnaissent l’importance de telles compétences et attribuent une
part de la responsabilité de leur développement à
l'école.
Au même moment, le paysage technologique des pays industrialisés
évolue très rapidement. La miniaturisation et le
développement accélérés des technologies permettent
une véritable révolution en terme de portabilité, de
mobilité et de collaboration. L'un des fers de lance actuel des
technologies mobiles est la tablette numérique. Les tablettes
numériques, avec l'iPad en tête, ont rapidement conquis les
utilisateurs et sont pratiquement devenues incontournables. Déjà,
on l'utilise quotidiennement pour le loisir comme pour le travail, tant à
la maison qu'à l'usine. Situé quelque part entre l'ordinateur
portable et le téléphone intelligent, ce nouvel outil semble
pertinent dans plusieurs contextes éducatifs. Il n'est donc pas
surprenant que plusieurs écoles tentent d'intégrer la tablette
numérique à la formation des élèves.
Selon Karsenti et Fièvez (Karsenti et Fièvez, 2013),
il y aurait environ 4,5 millions de tablettes iPad en circulation dans les
écoles américaines, 20 000 dans les écoles canadiennes et 8
000 dans les écoles québécoises, mais ces statistiques
tendent à croitre rapidement. Ils soulignent aussi qu'au moins 35
milliards d'applications et 420 millions de livres numériques ont
été téléchargés. En fait, au moment
d'écrire ces lignes, le nombre d'applications
téléchargées sur iTunes dépasse maintenant 50
milliards. Face à ces chiffres, Karsenti et Fièvez se questionnent
à savoir s'il s'agit d'une planche de salut pour l'éducation ou
d'un outil de marketing étant donné qu'il y a encore peu de
recherches, concernant les usages pédagogiques, qui y sont
rattachées. Le développement technologique et l'intégration
de cet outil au quotidien des utilisateurs ont été rapides au
point que les chercheurs en éducation sont maintenant un peu à la
remorque des écoles. De surcroît, les tablettes numériques
sont clairement identifiées comme une technologie émergente
susceptible d'avoir des retombées importantes en éducation
à très court terme (Johnson et al., 2012).
Comme il y a encore peu de résultats de recherche disponibles quant
à l'usage pédagogique de cet outil, un projet de recherche a
été élaboré, en collaboration avec une école
secondaire québécoise, afin de suivre l'implantation et
l'intégration de tablettes numériques iPad dans deux groupes de
troisième secondaire. Plus précisément, les objectifs
spécifiques de ce projet de recherche sont 1) de documenter les
étapes de l'intégration, les stratégies (administratives et
pédagogiques) élaborées, les écueils
rencontrés et les solutions envisagées et mises en place par
l'école ; 2) d'identifier et d'analyser les stratégies de
formation et d'adaptation des enseignants impliqués dans le projet
d'intégration des tablettes numériques et 3) d'étudier les
impacts de l'intégration des iPad sur les élèves et les
enseignants de l'école impliquée. Cet article présente un
premier regard sur les données préliminaires amassées
depuis septembre 2012. Il permet d’apporter un éclairage sur la
chronologie de l’intégration des tablettes numériques dans
les deux classes de cette école secondaire et de relater les
retombées, les difficultés, les exigences et les besoins de
formation émergeant de cette première phase
d’intégration des tablettes numériques. L'ensemble des
données, colligées à partir des points de vue des
enseignants, des élèves et des parents impliqués dans le
projet nommé « Projet Tablette », seront
croisées afin de présenter un portrait initial, évolutif et
global de cette première année d'intégration des iPad et de
distinguer les leçons qui en ont été tirées.
2. Cadre théorique
Pour le California Broadband Task Force et le California Emerging Technology Fund, la capacité d'un état
à demeurer compétitif globalement et à être un leader
dans l'innovation en lien avec les TIC dépend du niveau d'acquisition de
compétences technologiques de sa population (CETF, 2008). Cela
est aussi nécessaire si la population de cet état veut profiter
des bénéfices associés à une société
technologiquement avancée. La littératie numérique,
c'est-à-dire savoir utiliser et manipuler les appareils
électroniques, serait une composante essentielle du développement
technologique d'un état et cela passerait, entre autres, par l'ajout de
ces compétences aux curriculums des programmes des écoles et par
le développement de ces compétences par les enseignants.
Anderson (Anderson, 2010) écrit spécifiquement pour les acteurs de l'éducation et
adopte une vision plus large. Il parle des compétences nécessaires
pour faire face au 21e siècle, un siècle caractérisé
par des changements nombreux et rapides ainsi que par un environnement qui gagne
en complexité. Un siècle dans lequel les jeunes ont besoin de
nouvelles compétences. Pour Anderson, l'information et le savoir
représentent les nouvelles formes de richesse et tout individu doit
pouvoir accéder à l'information continuellement
créée et engrangée dans des répertoires
numériques partout sur la planète. Plus particulièrement,
selon cet auteur, les jeunes devraient développer trois grandes
catégories de compétences :
- des compétences liées à l'apprentissage comme
la créativité, l'innovation, l'esprit critique, la
résolution de problèmes, la communication et la collaboration dans
ce nouvel environnement complexe, hyperconnecté et très
compétitif ;
- des compétences liées plus spécifiquement
à la gestion de l'information, aux médias et aux TIC afin
d'être en mesure de faire face à l'abondance d'information
(littératie informationnelle), à l'importance des médias
(littératie médiatique) et aux changements technologiques rapides
(littératie numérique) ;
- des compétences devant permettre de mener
adéquatement sa vie et sa carrière dans un monde complexe et plus
que jamais compétitif telles la flexibilité,
l'adaptabilité, l'initiative, la responsabilité et le leadership.
Selon Anderson (Anderson, 2010),
ces compétences devraient être au coeur de toute initiative visant
à adapter la formation et la préparation des jeunes au 21e
siècle. De plus, les technologies "mobiles", comme les tablettes et les
téléphones intelligents, doivent être
particulièrement mises à profit par les écoles puisqu'elles
rendent toute cette information constamment disponible en plus de permettre la
production de nouvelles informations, la communication et la collaboration.
Cette vision de l'importance des tablettes et des appareils numériques
est partagée par Johnson, Adams et Cummins (Johnson et al., 2012) qui soutiennent, en ce sens, que la tablette numérique est une
technologie émergente qui devrait avoir un impact important en
éducation dès 2013. Ils expliquent que son usage est tellement
intuitif que la tablette ne requiert aucune formation ou très peu et
prétendent qu'elle permet de former les élèves aux
compétences du 21e siècle.
Shuler, Winters et West (Shuler et al., 2013) décrivent, quant à eux, toute l'importance et la portée des
technologies mobiles pour l'éducation et ils expliquent comment ces
appareils permettent déjà ce qu'ils nomment "l'apprentissage
mobile" tout en ayant le potentiel de favoriser l'accès à
l'éducation pour tous. Ils précisent que l'intégration des
outils mobiles peut, entre autres, contribuer à la mise en place de
situations d'apprentissage personnalisées et authentiques ainsi
qu'à la création de nouvelles formes d'évaluation. Ils
décrivent ensuite plusieurs éléments susceptibles de
constituer des facilitateurs ou des barrières au développement de
l'apprentissage mobile et à son insertion dans le cadre actuel de
l'éducation. Parmi les éléments facilitateurs, ils citent
une tendance à la diminution de la résistance sociale, l'existence
de modèles ayant obtenu du succès, l'attrait économique du
milieu de l'éducation, les pressions économiques et politiques
exercées sur les institutions, la montée de l'enseignement
à distance et de l'enseignement en ligne, l'apparition de nouveaux
marchés ainsi que de nouveaux canaux de distribution. Cependant, certains
éléments constituent actuellement des barrières à la
mise en place de l'apprentissage mobile dont le fait que plusieurs
éducateurs ne sont pas convaincus du potentiel éducatif des
appareils mobiles, le nombre encore limité d'exemples du potentiel
évolutif et de la durabilité des projets d'intégration de
ces outils, le manque d'initiatives locales, la censure et les
préoccupations concernant la confidentialité. Pour réaliser
le plein potentiel de l'apprentissage mobile, certains défis devront donc
être relevés. Il faudra d'abord bâtir des partenariats larges
(enseignants, chercheurs, industrie privée du secteur des
télécommunications, développeurs, etc.) afin de rendre
possible la mise en place de projets qui dépassent le stade du "pilote".
Il faudra aussi construire des ponts entre les théories de
l'apprentissage et la façon dont les élèves utilisent les
outils mobiles. Il faudra également répondre aux besoins de
perfectionnement des enseignants pour qu'ils parviennent à
intégrer adéquatement ces outils à leur
pédagogie.
Gong et Wallace (Gong et Wallace, 2012) expliquent, pour leur part, que la nouvelle dynamique créée par
l'intégration des appareils mobiles bouleverse les dynamiques
éducationnelles établies depuis longtemps en éducation.
Dans leur étude comparative menée au niveau universitaire, ces
auteurs ont constaté que les appareils mobiles, comme les ordinateurs
portables, les iPad, les iPod Touch et les "Tablet PC", sont
considérés comme convenant davantage aux loisirs qu'à
l'éducation par plus de 50% des répondants. Aussi, plus de 40% des
participants à cette étude pensent que ces outils peuvent les
distraire de leurs apprentissages et qu'ils encouragent le plagiat. La tablette
iPad ressortirait cependant comme l'outil mobile favori, après
l'ordinateur portable, et les étudiants préfèreraient
même apprendre à utiliser l'iPad plutôt que l'ordinateur
portable. Gong et Wallace concluent que cela se traduira probablement dans la
demande vis-à-vis cet outil. Les étudiants ayant participé
à cette étude sur l'apprentissage mobile rapportent ensuite que
l'on répondrait rarement à leurs désirs de curriculums et
d'activités pédagogiques technologiques et ils affirment que les
enseignants ne les supporteraient pas suffisamment par rapport à l'usage
des technologies mobiles. Malgré cela, l'enquête laisse entendre
que les outils mobiles, comme l'iPad, conviendraient bien pour la
réalisation de projets individuels ou en équipe. Les
répondants à cette étude pensent aussi que ces outils ont
le potentiel d'améliorer la communication avec les enseignants et entre
les élèves. De plus, ils permettraient la mise en place de
situations d'apprentissage plus motivantes, ils faciliteraient l'étude et
ils contribueraient à rendre accessible l'enseignement à distance.
Pour Gong et Wallace, ces résultats s'expliquent, en partie, par la
grande connectivité et par la richesse médiatique de ces outils.
Crichton, Pegler et Duncan (Crichton et al., 2012) ont étudié une initiative dans laquelle les apprenants pouvaient
apporter leurs propres appareils mobiles (BYOD ou AVAM) dont des ordinateurs
portables, des iPod Touch et des iPad. Ils concluent qu'aucun appareil ne semble
convenir pour toutes les situations d'enseignement et d'apprentissage.
Après une année d'expérimentation, il apparait que les iPad
sont des outils prometteurs si certaines conditions sont respectées. Ces
conditions portent sur :
- un environnement scolaire structuré pour soutenir
l'apprentissage mobile (réseau sans fil performant, guide
définissant les usages acceptables à l'école, etc.) ;
- la considération des enseignants comme des apprenants et le
souci de combler leurs besoins d'apprentissage et de les soutenir ;
- la concentration des enseignants sur l'intégration des iPad
en lien avec le curriculum et dans des activités signifiantes puisque la
majorité de ces derniers n'est pas intéressée à
seulement utiliser l'appareil ; ils désirent l'utiliser en lien avec le
contenu à enseigner ;
- la possibilité d'amener leurs tablettes numériques
à la maison, de les personnaliser et de les utiliser pour accéder
à des contenus et à du matériel pertinent tels que des
livres numériques, etc.
Dans l'ensemble, on remarque que les conditions citées comme
importantes pour l'intégration pédagogique des tablettes sont
souvent similaires à celles associées à
l'intégration d'autres appareils numériques. L'importance du
soutien et de l'environnement technique, de la formation, de rendre du temps
disponible et des croyances des enseignants étaient, par exemple,
déjà cités comme des facteurs importants lors du projet
ACOT durant les année 1990 (Sandholtz et al., 1997).
Crichton, Pegler et Duncan (Crichton et al., 2012) associent plusieurs autres avantages aux iPad et iPod Touch dont la longue vie
de leur batterie, leur taille, leur courte et rapide courbe d'apprentissage
ainsi que leur prix. Du côté négatif, ils citent des
difficultés associées à la perte de données et au
partage de fichiers pour la collaboration.
Plus près de nous, au Québec, Karsenti et Fièvez (Karsenti et Fièvez, 2013) rapportent les données préliminaires d'une étude regroupant
des informations provenant de plus de 4000 apprenants, âgés entre
12 et 17 ans, et de 200 enseignants qui utilisent des tablettes iPad à
l'école. Ils constatent, entre autres, que les tablettes sont
utilisées le plus souvent entre 15 et 30 minutes par cours et que les
manuels scolaires électroniques constituent l'application la plus
fréquemment utilisée. Les tablettes seraient principalement
utilisées pour la réalisation d'exercices et de travaux scolaires.
La recherche d'information sur Internet et le jeu arriveraient en
deuxième et en troisième position. Les principaux avantages
cités par les participants renvoient à la portabilité,
à l'accès à l'information et aux manuels scolaires,
à la motivation, à la facilité pour annoter des documents
et pour organiser son travail, à la qualité des travaux et des
présentations réalisés, à la collaboration, à
la créativité, à la variété des ressources,
à la possibilité d'aller à son rythme, à
l'économie de papier et, finalement, au développement de
compétences informatiques. Karsenti et Fièvez remarquent cependant
qu'ils ont été témoins de quelques contradictions comme,
par exemple, l'usage de calculatrices dans un cours de mathématiques
alors que les étudiants avaient des iPad dans leur sac ou l'achat de
classiques de la littérature, en format papier, disponibles gratuitement
en livres numériques. Cela indique probablement que tous ne sont pas en
accord quant aux avantages de cet outil ou que le niveau de maitrise et de
connaissance du potentiel de l'outil varie encore considérablement d'un
individu à l'autre. Parmi les principaux défis posés par
l'intégration des iPad, ces auteurs citent le potentiel distracteur de la
tablette, la gestion d'une classe intégrant cet outil, la planification
pédagogique, la gestion des travaux des élèves et la
méconnaissance des ressources. Selon les enseignants interrogés
par Karsenty et Fièvez, la formation des enseignants serait essentielle
au succès de l'implantation des tablettes. Il serait aussi important de
libérer du temps pour faciliter leur intégration par les
enseignants. Ces auteurs concluent que selon les données
préliminaires, les avantages sont tout de même plus nombreux que
les défis rencontrés.
3. Méthodologie
La méthode privilégiée pour
atteindre les objectifs de cette recherche peut être qualifiée de
mixte puisqu'elle a recours à des données quantitatives et
qualitatives. Selon Fortin (Fortin, 2010),
ce type de devis est approprié pour résoudre les problèmes
sociaux ou liés au monde de l'éducation. Le devis envisagé
est descriptif, au sens où cette recherche "vise à
découvrir de nouvelles connaissances, à décrire des
phénomènes existants, à déterminer la
fréquence d'apparition d'un phénomène dans une population
donnée (incidence, prévalence) ou à catégoriser
l'information" (Fortin, 2012) p.
32. Comme l'explique Fortin, ce type d'étude est particulièrement
pertinent quand le niveau de connaissance sur un sujet donné est faible.
Finalement, l'approche choisie est collaborative en ce sens où des
représentants de l'école participent à la coconstruction de
l'objet de connaissance (Desgagné, 1997).
Le projet contribuera à la fois à la production de connaissances
scientifiques et pratiques et au développement professionnel des acteurs
impliqués.
Les données colligées dans le cadre de ce projet proviennent de
trois sources : 60 élèves de troisième secondaire ainsi que
leur parents et huit enseignants. La direction de l'école a aussi tenu un
journal des évènements qui a été mis à la
disposition de l'équipe de recherche. La première partie de la
collecte de données a eu lieu après quelques semaines
d'intégration des iPad en classe. Les élèves ont alors
participé à une entrevue semi-dirigée en grand groupe. Ce
type d'entrevue a permis aux participants d'exprimer leurs points de vue, leurs
convictions sur le « Projet Tablette », de raconter leur
expérience et de donner leur opinion sur les situations vécues (Demazière et Dubar, 2004) p.7. Les canevas d'entrevues comportaient quatre catégories principales :
1) l'appréciation générale de l'intégration de
l'outil, 2) les avantages et les inconvénients, 3) les usages à
l'école et à la maison et 4) la gestion du temps. Après
huit mois d'intégration des tablettes en classe, les élèves
ont de nouveau été rencontrés pour une entrevue de groupe
semi-dirigée suivant le même canevas que celui utilisé en
début d'année. Le deuxième groupe de répondants, les
parents, a aussi été interrogé, mais à partir d'un
questionnaire élaboré spécifiquement pour ce projet. Ce
questionnaire comportait quatre questions fermées et trois questions
ouvertes. Les questions fermées utilisaient une échelle de Likert
à cinq points et portaient sur le niveau de satisfaction en regard de
l'intégration des tablettes iPad et leur appréciation du rendement
scolaire, de la motivation et des apprentissages de leurs enfants. Après
huit mois d'intégration de la tablette, les enseignants ont quant
à eux participé à une entrevue semi-dirigée
basée sur les mêmes thèmes que ceux abordés lors de
l'entrevue réalisée auprès des élèves. Le
canevas avait cependant été bonifié d'une catégorie
relative au développement professionnel (Coulombe, 2008), (Coulombe, 2012).
L'analyse préliminaire des données qualitatives a
été réalisée à partir de ce que Paillé
et Mucchielli (Paillé et Mucchielli, 2003) nomment l'arbre thématique, c'est-à-dire les thèmes
principaux de nos canevas d'entrevues, les sous-thèmes et ceux qui ont
émergés. Par la suite, les verbatims des données
qualitatives ont été analysés en deux mouvements : d'abord,
selon une posture restitutive, ensuite, selon une posture analytique (Demazière et Dubar, 2004).
Les quelques questions fermées du questionnaire des parents, seules
données quantitatives considérées dans cet article, ont
fait l'objet d'une analyse statistique descriptive.
4. Résultats
L'analyse des données dont nous rendons compte
plus spécifiquement dans cet article permet, dans un premier temps, de
présenter la chronologie de l'implantation du « Projet
Tablette », et ce, dans les deux classes de troisième
secondaire. Elle permet, dans un deuxième temps, de faire ressortir des
retombées positives de l'intégration des tablettes
numériques dans ces classes, des difficultés rencontrées
par les trois groupes de répondants de même que des exigences et
des besoins de formation exprimés par les enseignants.
4.1. Chronologie de l’implantation
Dès octobre 2011, le comité TIC de l'école, formé
de trois enseignants, d’un technicien en informatique et de deux membres
de la direction, a tenu une rencontre afin de mettre sur pied le projet
d’intégration de tablettes numériques en classe. Deux des
enseignants impliqués dans ce comité sont reconnus par leurs pairs
pour leur intérêt, leur audace et leurs réussites
technopédagogiques. À l'hiver 2011, l'un deux avait
élaboré, avec quelques groupes d'élèves, un projet
de classe inversée qui misait sur les appareils des apprenants,
principalement des téléphones intelligents et des iPod Touch.
Durant l'année, ledit comité a élaboré les bases
du projet en plus de réussir à s'assurer de la collaboration de
huit enseignants, d’un agent ressource (qui est en fait l'un des deux
enseignants reconnu comme étant particulièrement compétent
en ce qui a trait à l'intégration des technologies en classe et
qui est aussi membre du comité TIC), d'une institution financière
locale et de l'association des anciens de cette école. En juin 2012, une
séance d’information a été offerte aux parents des
élèves de 2e secondaire afin de leur présenter le
« Projet Tablette », de répondre à leurs
questions et de recevoir les premières inscriptions. Environ 75 personnes
ont participé à cette rencontre (parents et élèves).
Les questions posées ont porté principalement sur les
critères de sélection, la logistique et les coûts
reliés au projet. À la suite de cette rencontre, le comité
a reçu 38 inscriptions (32 sur place à la toute fin de la
réunion et six par téléphone dans les jours qui ont suivi).
L’intérêt immédiat des parents et des
élèves pour ce projet a amené le comité à
envisager la possibilité de former deux groupes. Cette décision a
été confirmée à la fin du mois de juin à la
suite de la réception de 61 inscriptions pour le projet pilote.
Deux groupes de 30 élèves ont donc été
formés en juillet 2012 par les deux membres de la direction
siégeant sur le comité TIC et par une conseillère en
orientation. Les critères de sélection retenus pour ce projet
pilote étaient les suivants : la moyenne générale, le
comportement en classe, l’attitude et la maturité. Comme les
élèves ayant des difficultés d’apprentissage sont
généralement bien connus de la direction et qu’ils pouvaient
certainement bénéficier du projet, une attention
particulière leur a été accordée afin de ne pas les
exclure. La formation des huit enseignants participants au projet a
débuté à la fin juin 2012 et s'est poursuivie en
août. D'une durée de plusieurs heures, elle a été
dispensée par un conseiller pédagogique de la
Fédération des établissements d’enseignement
privés (FÉEP). Une session d’information d'une heure
à propos du projet pilote a aussi été offerte à tout
le personnel de l’école (taux de participation : 40%).
À l'été 2012, l'école a profité de sa
collaboration avec ses anciens élèves et une institution
financière locale pour mettre en place un vaste réseau sans fil
susceptible de répondre à la demande à l'intérieur
de ses murs. L'école avait déjà un réseau sans fil,
mais ce dernier risquait fort de ne pas pouvoir répondre à la
demande imposée par l'implantation d'un tel projet. Deux réseaux
ont été rendus disponibles : un premier auquel les
étudiants peuvent se brancher grâce à un identifiant et un
mot de passe personnel et un second réservé au personnel de
l'école. En août 2012, la direction de l'école a
rencontré un étudiant à la maitrise en éducation,
s'avérant aussi être un enseignant de français au
secondaire, qui avait expérimenté l'enseignement dans une classe
sans fil l'année précédente afin de
bénéficier de son expérience. Avant d'avoir accès au
réseau sans fil, tous les élèves de l'école ont
dû prendre connaissance d'un code de bonne conduite qui avait
été proposé par un enseignant à l'hiver 2011 et les
parents ont dû y apposer leur signature. Ce code a dû être
ajusté durant l'année en raison de certaines situations qui
n'avaient pas été prévues initialement. Par exemple, en
octobre, la direction a dû préciser aux étudiants que les
téléphones intelligents étaient interdits lors de la
reprise d'examens en dehors des heures habituelles de cours. Le réseau
sans fil a été rendu accessible aux étudiants du
« Projet Tablette » dès la seconde semaine de cours
et aux autres étudiants de l'école deux semaines plus tard.
Le comité TIC a tenu des rencontres régulières tout au
long de l'année pour assurer le suivi du projet. Plusieurs Apple TV ont
été installés dans les classes. Des ajustements techniques
et l'augmentation de la bande passante ont aussi été
nécessaires au cours de l'automne pour stabiliser le réseau sans
fil. La question de la poursuite du projet pilote l'année suivante et du
nombre de groupes qui le composerait a été posée pour la
première fois dès le mois d'octobre 2012. En novembre, les
enseignants participant au projet ont été divisés en deux
groupes en fonction de leur niveau de compétences technologiques afin de
faciliter la mise en place de formations mieux adaptées aux besoins de
chacun.
Des chercheurs de l'UQAC se sont associés à ce projet en juin
2012. L'équipe de recherche a surtout collaboré avec la direction
de l'école jusqu'en mars 2013, moment à partir duquel les
enseignants ont clairement manifesté leur désir de rencontrer
l'équipe de recherche et de participer plus directement.
4.2. Retombées positives à la suite de
l’intégration des tablettes numériques
Après une première année, plusieurs retombées
positives se dégagent de l’intégration des tablettes
numériques en salle de classe du troisième secondaire. Nous notons
1) l'enthousiasme et une frénésie pour la variété
des activités, la qualité du contenu et le renouveau
pédagogique, 2) les usages scolaires, 3) l'amélioration de la
communication entre les élèves et les enseignants, le potentiel de
collaboration et 4) le développement des compétences
technologiques.
4.2.1. Enthousiasme, frénésie pour la variété
des activités, la qualité du contenu et le renouveau
pédagogique
Certes, un premier constat se dégage. L'intégration des iPad a
favorisé plusieurs changements et a placé les enseignants et les
élèves dans un contexte propice à l'innovation. Il faut, a
priori, souligner que tous les répondants affirment que
l’utilisation des tablettes en classe dynamise les cours tout en suscitant
la motivation et l’intérêt des élèves. Dans
plusieurs cours, les activités et les apprentissages
réalisés étaient plus variés et plus interactifs. Un
enseignant confirme cette idée en ces mots : « Les
activités sont tellement plus variées. C’est énorme
ce qu’on peut faire de plus avec les tablettes » (P3). Les
élèves ont toutefois nuancé cette retombée en
affirmant que l'iPad ne devait pas être simplement utilisé pour
lire des notes de cours ou pour expliquer les choses. Selon ce groupe de
répondants, des activités très dynamiques et très
intéressantes ont été réalisées dans quelques
cours. Ils ont pu explorer certains aspects des contenus enseignés, les
manipuler et les approfondir. Plusieurs d'entre eux le signalaient d'ailleurs en
ces mots : "[Qu'ils aimaient travailler avec les iPad parce que] :
c’est comme divertissant, c’est différent de
d’habitude. À la place d’ouvrir un dictionnaire papier,
c’est plus simple, plus rapide, c’est tout en un : internet,
dictionnaire, calculatrice, pour prendre des photos. [On peut] faire des
PowerPoint, des projets, faire des vidéos, plus facile prendre des notes,
on écrit plus vite, ça modernise l’école. "
Dans cet engouement pour le changement pédagogique, les participants
ont signalé que l’outil permettait d’améliorer la
qualité du contenu enseigné de même que celle des
présentations et des travaux des élèves. Deux groupes de
répondants, soit les enseignants et les élèves, ont
souligné que l’utilisation des tablettes augmentait
l’efficacité et la rapidité d’exécution des
travaux. Enfin, elle permettait aux élèves de remettre des travaux
plus propres et plus approfondis.
4.2.2. Les usages scolaires
Professionnellement, les données rapportent que les enseignants
utilisent leur tablette pour planifier leur enseignement, pour élaborer
des tutoriels, pour réaliser des capsules pédagogiques, du
matériel pour les élèves et pour leurs enseignements ainsi
que pour évaluer des présentations orales. Ils l'utilisent pour
consulter leurs courriels et pour aller sur le portail de l’école.
Les applications qu’ils utilisent le plus sont KeyNote, Antidote,
SimpleMind, Explain Everythings, Edmodo, PDFNote, SplashTop, DropBox, les podcast et les codes QR. Ils utilisent aussi Google Drive, mais
ils ont précisé que cette application était instable. De
manière plus spécifique, un enseignant a également
indiqué que la tablette permettait de faire très facilement des
démonstrations qui demandaient énormément de temps ou qui
étaient impossibles à faire par le passé
(lorsqu’elles étaient faites au tableau). Enfin, un enseignant a
même souligné que l'iPad facilitait la pédagogie
inversée.
Les principaux usages scolaires identifiés par les
élèves correspondent à la recherche d’informations,
à la prise de notes, à la correction et la remise des travaux
ainsi qu'à l’accès au portail. Selon ce groupe de
répondants, Antidote, Note, Safari, iBooks, Solar Walk, le
Corps Humain et le calendrier sont les applications les plus utiles, mais
celles utilisées le plus souvent sont Antidote, Note, Safari. Les
applications qu’ils conseilleraient aux enseignants et aux
élèves sont Paperdesk, iHomework, Onenote, Noteplus et
Keynote. Ces applications et la tablette en général leur
permettent d'innover et de gagner en efficacité. Dans un cours, Google
Drive a, par exemple, permis de faire compléter des questionnaires en
ligne sur les tablettes numériques plutôt que de se rendre au
laboratoire informatique.
Les enseignants et les étudiants témoignent ensuite que
l’utilisation d’Antidote améliore grandement le niveau
de vocabulaire dans les textes des élèves. Ces derniers affirment
d'ailleurs apprécié particulièrement cet outil pour
l'enrichissement de leur vocabulaire en situation d'écriture.
L’enseignant de français a confirmé cet apport en ces mots :
« Dans les classes Ipad, nous utilisons Antidote ardoise. [...] Je
n’ai jamais vu autant de vocabulaire dans tous les contes que j’ai
corrigés dans ma carrière » (P8).
Plusieurs élèves ont également souligné la
pertinence de la tablette dans les cours de sciences, notamment dans le cadre de
l’étude du système solaire et dans celui de
l’étude du corps humain, deux sujets pour lesquels l'enseignant
utilisait des applications convenant à ses cours. Dans ce contexte, la
tablette permettait également de filmer les laboratoires des
élèves pour faciliter la rédaction des rapports ou
simplement pour garder un souvenir d'une expérience
particulièrement marquante. Comme l’enseignante le soulignait :
« L’outil permet la diversité! C’est très
visuel. J’ai beaucoup aimé le lien que ça crée avec
les élèves, les échanges...les élèves
viennent nous voir pour nous dire : avez-vous vu telle application,
avez-vous essayé telle autre ? Il y a plein d’applications en
science... J’interdisais la techno avant (cellulaire pour prendre photo
exemple) alors que maintenant je trouve ça vraiment hot... On va filmer
la dissection et les élèves vont pouvoir le garder »
(P6)
Enfin, dans le contexte d'une région relativement
éloignée des grands centres et presque uniquement francophone,
l'accès plus facile et plus fréquent à du matériel
présenté dans une langue autre que le français rend la
nécessité d’apprendre une deuxième ou une
troisième langue plus concrète, ce qui est très
appréciée des parents. Selon les enseignants responsables des
cours de langue, les tablettes permettent d’aller chercher des contenus
que les élèves aiment, de personnaliser les cours et de respecter
le rythme de chacun. Un enseignant l’exprimait en ces mots : « En
anglais, tu peux aller chercher du tangible et de la motivation à
apprendre la langue anglaise, surtout [dans notre région]. La tablette
permet d’aller chercher des choses que eux aiment, c’est
personnalisé, chacun le fait avec ses écouteurs et y va a son
rythme. Plus d’activités peuvent être faites et [il y a]
beaucoup de sites sur la grammaire en anglais. » (P3)
4.2.3. L'amélioration de la communication entre les
élèves et les enseignants et le potentiel de collaboration
La troisième retombée du « Projet
Tablette » renvoie à l'amélioration des interactions,
des communications et de la collaboration. Selon les données recueillies,
l'intégration des tablettes a favorisé la communication et la
collaboration entre enseignants, entre enseignants et élèves et
entre les élèves. En effet, les données montrent des
changements en ce qui a trait à ces trois niveaux d'interaction.
Les changements au niveau de la communication et de la collaboration entre
les enseignants se réalisent dans un premier temps de façon
très informelle. En fait, les enseignants ne collaborent pas encore
à l'aide des iPad pour des projets pédagogiques ou des
activités d'enseignement. Ils ont cependant communiqué entre eux
pour retrouver un élève dans l’école, pour
échanger sur des applications ou pour partager des recettes.
L'intégration des tablettes numériques a également
favorisé l'émergence de liens entre les enseignants et les
élèves. Ils étaient tous branchés et partageaient un
projet commun, celui de réussir l'intégration des tablettes. Selon
les enseignants, il était plus facile de créer des liens,
d’échanger des applications intéressantes selon des domaines
d’intérêts et de transférer des informations aux
élèves absents. Certains enseignants ont mis à l'essai des
modes de partage et de collaboration avec les étudiants via Google
Drive et Dropbox. Un autre a utilisé l'application Edmodo
(réseautage social) pendant quelque temps afin de partager et d'interagir
plus facilement avec les élèves.
Sur le plan de la communication et de la collaboration, les grands gagnants
sont certes les élèves qui apprécient la proximité
relative que cet outil leur procure. Ils sont clairement ceux qui exploitent le
plus la tablette pour communiquer et partager. Tous les groupes de
répondants en ont témoigné. Un enseignant le soulignait de
la façon suivante : « Pour les travaux d’équipe,
c’est très facilitant. Les élèves n’ont plus
à être « ensemble » physiquement. Si un
élève est absent, ils se "facetiment". » (P5). Les
parents soulignaient quant à eux que l’utilisation des tablettes
permettait aux jeunes d’améliorer la communication virtuelle. Les
jeunes témoignent abondamment que les tablettes numériques offrent
d'importantes possibilités de communication et de collaboration. Ils
utilisent, entre autres, les textos, le clavardage, la visiocommunication et les
réseaux sociaux. Ils en profitent pour s'échanger des informations
susceptibles de les aider à réussir les activités
prescrites, partager leurs notes de cours, réaliser les travaux
d’équipe ou s'entraider pour leurs devoirs, peu importe la distance
réelle qui les sépare.
4.2.4. Le développement des compétences technologiques.
Selon les enseignants, les parents et les élèves, la tablette
améliore les compétences technologiques des élèves
ainsi que l’intégration des TIC à l’école.
L'intégration de la tablette a aussi amené un changement quant
à la relation que les acteurs impliqués entretiennent avec la
technologie. Les enseignants apprécient l’utilisation des tablettes
en classe, tant pour l’impression qu’ils ont de suivre
l’évolution de la société par rapport aux
technologies que pour les possibilités pédagogiques qu'elles
offrent. Ils se sentent plus compétents et davantage au niveau de leurs
élèves, et ce, même s’ils sont conscients de leurs
besoins de formation à l’utilisation des applications et à
l’intégration des tablettes numériques. Les
élèves ont également développé un rapport
différent aux technologies puisqu'ils les ont utilisées en
contexte de travail. Ils doivent apprendre à se concentrer, à
exploiter différemment l'outil qu'ils ont entre les mains et à
gérer les distractions qui l'accompagnent. À ce titre, les
élèves ont précisé que la tablette peut être
une source de distraction en classe comme à la maison. Ces distractions
seraient causées par le clavardage, l’accès à divers
jeux et aux réseaux sociaux ainsi que par la réception
d’alertes et de notifications pendant les heures de cours ou de devoirs.
Toutefois, les enseignants et les élèves ont reconnu qu’il
s’agissait d’un bon contexte pour apprendre à gérer
ces distractions.
Les enseignants affirment avoir développé leur patience, avoir
changé leurs méthodes de travail et d’enseignement
(apprentissage exploratoire, pédagogie inversée, etc.),
s’être dépassés et avoir tenté de nouvelles
approches. Ils ont appris à se donner le droit à l’erreur et
ils ont créé des liens différents et plus collaboratifs
avec leurs élèves.
Les parents soulignent que l’utilisation de la tablette offre une
ouverture sur le monde et vers l’avenir. Elle est notamment un soutien
tangible et une motivation pour apprendre l’anglais. Cet effet
collatéral est également souligné par les enseignants.
Les élèves ont ensuite fait preuve d'imagination ; ils
témoignent avoir réussi à résoudre des
problèmes en imaginant des solutions nouvelles ou en développant
des compétences techniques. Quelques élèves sont ainsi
devenus des spécialistes de l'Apple TV qu'ils réparent quand cela
ne fonctionne pas. Ils ont aussi appris à partager leur compte iTunes et
ont développé des stratégies pour partager des
applications, s'évitant ainsi des achats coûteux. Quelques jeunes
sont aussi clairement identifiés comme étant devenus des
"spécialistes" de certaines applications ou de certains problèmes
techniques. L'un des groupes a ainsi créé son propre petit service
de dépannage.
4.3. Difficultés rencontrées par les trois groupes de
répondants
Au terme d’une première année
d’expérimentation, les difficultés liées à ce
projet peuvent être regroupées en cinq catégories : 1)
l’utilisation de la tablette numérique à bon escient, tant
à l’école qu’à la maison, 2) le nombre
limité d’applications et le peu de matériel scolaire
numérisé, 3) le temps d’utilisation de la tablette en
classe, 4) les difficultés techniques qui y sont rattachées et 5)
le développement des compétences numériques chez les
enseignants.
4.3.1. L'utilisation de la tablette numérique à bon escient,
tant à l’école qu’à la maison
Plusieurs élèves ont précisé que la tablette
peut constituer une importante source de distraction en classe comme à la
maison. Selon eux, très souvent, lorsque les enseignants expliquent,
plusieurs élèves écoutent et prennent des notes, mais
d’autres en profitent pour jouer, d’où leur incapacité
par la suite à bien saisir la matière qui leur a été
présentée. En fait, plusieurs applications existantes ne sont
aucunement reliées à l’apprentissage scolaire proprement dit
et viennent perturber la concentration des élèves. S’il est
vécu sur une base régulière, ce manque de concentration
peut, selon les élèves, avoir un impact significatif sur les
résultats scolaires. À cet égard, ils constatent que plus
l’année avance, plus ce problème est susceptible de se
présenter, car ils connaissent et se partagent de plus en plus de jeux
fort intéressants. « Il y en a qui sortent chaque semaine et on a
le goût de les essayer ! » Selon eux, bien que les jeux
constituent la principale source de distraction, d’autres
éléments peuvent aussi venir perturber leur concentration.
À titre d’exemple, lorsqu’ils sont en train de travailler,
ils reçoivent fréquemment des messages, des photos, etc. qui ne
sont pas toujours en lien avec le cours. Donc, il arrive qu'ils clavardent,
échangent des textos et des images (Snapchat, Vine, etc.),
téléchargent des jeux qu'ils mettent à l'essai ou perdent
leur temps en naviguant sur le Web plutôt que de se concentrer sur ce qui
se passe en classe.
Pour surmonter cette difficulté, les élèves
considèrent qu'il est de leur responsabilité d’apprendre
à se concentrer, et ce, malgré les nombreuses distractions
possibles. Cette responsabilité leur revient entièrement selon cet
élève : « À la place de jouer à des jeux sur
le iPad, on peut juste dessiner sur une feuille de papier. On décide ce
qu’on fait avec notre matériel. » Selon eux, lorsque le
professeur donne son cours, il n’est pas toujours en mesure de
déterminer si tous les élèves sont connectés au bon
moment. Du point de vue des étudiants, certains enseignants semblent
cependant avoir développé des moyens efficaces pour assurer un
certain contrôle à cet effet. «Dans ces cours-là, on
ne joue pas», confirmait un élève. Des
élèves affirment avoir entendu dire qu’une application
pourrait être utilisée par les enseignants, dès l’an
prochain, afin de leur permettre de savoir si un élève se
déconnecte de l’application utilisée dans le cadre du cours
pour aller ailleurs. Ils déclarent être tout à fait contre
ce genre de contrôle, sauf dans le cadre des périodes
réservées aux examens, car selon eux, ils doivent apprendre
à gérer eux-mêmes l’utilisation qu’ils doivent
faire de la tablette.
Si l’on se base sur les propos relatés par les enseignants sur
ce même sujet, ce problème lié à l’utilisation
de la tablette en classe n’aurait pas du tout la même ampleur. Selon
eux, les élèves sortent la tablette lorsqu’ils leur
demandent et ils la rangent aussi au moment opportun. Pendant la période
de travail, ils ont l’impression d’avoir le contrôle quant
à l’utilisation qui en est faite, ce qui ne serait apparemment pas
toujours le cas selon les élèves !
Les parents, quant à eux, identifient l’utilisation à bon
escient comme étant le principal problème lié à la
tablette numérique. Un doute persiste quant à l’utilisation
de la tablette à son plein potentiel, c’est-à-dire à
des fins plus scolaires que ludiques. Ils disent constater les pertes de temps
et les nombreuses distractions associées à son l’utilisation
lors des cours et des devoirs. Par exemple, les élèves mettraient
plus de temps qu’auparavant à faire leurs devoirs. En fait, ils
passent parfois des heures à faire leurs « devoirs » alors que
les parents savent très bien qu’ils jouent au lieu de travailler,
mais ils n’osent pas restreindre l’utilisation de la tablette, car
ils en ont supposément besoin pour faire leurs « devoirs ». Les
distractions seraient causées notamment par le clavardage,
l’accès à divers jeux, aux réseaux sociaux ainsi que
par la réception d’alertes et de notifications de toutes sortes.
Les parents croient que ce problème relatif à la gestion du
temps-écran doit également se poser à l’école,
d’où l’importance de demeurer vigilant dans les deux
milieux.
Les parents se questionnent aussi sur les effets de la surutilisation de
l’informatique par leur enfant, partout et en tout temps (chambre, salle
de bain, autobus, repas...) et sur le manque de contrôle face à
l’utilisation d’internet. Un parent parle même de la tablette
comme d'un autre "jouet technologique". Ils insistent sur la
nécessité de sensibiliser les jeunes au bon usage qu’ils
doivent faire des technologies ainsi qu’aux règles liées
à la sécurité informationnelle. Selon eux, afin
d’éviter le plus d’écueils possible, il importe de
faire preuve de rigueur, tant à l’école qu’à la
maison.
4.3.2. Le nombre limité d’applications et le peu de
matériel scolaire numérisé
Les trois groupes interrogés, à savoir les
élèves, les enseignants et les parents, déplorent le fait
que les applications utilisées soient en nombre très limité
et que la plus grande partie du matériel scolaire ne soit pas disponible
en version numérique. Les enseignants apportent cependant une nuance en
indiquant que ce qui pose réellement problème, ce n’est pas
tant le nombre d’applications disponibles que leur connaissance de
l’existence de ces applications. Très souvent, l’application
qu’ils souhaiteraient utiliser dans le cadre de leur discipline existe,
mais ils manquent de temps pour effectuer les recherches nécessaires afin
de la découvrir, mais aussi, pour se l’approprier.
Quant aux parents, plusieurs d’entre eux semblent à la fois
étonnés et déçus par le fait que même en
faisant partie du « Projet Tablette », leur enfant utilisent
encore autant de papier, ce qui constituent, selon eux, une source de
gaspillage. En fait, certains croyaient que la tablette remplacerait, du moins
en grande partie, les volumes scolaires, mais force est de constater que les
élèves doivent posséder tous les volumes en plus de la
tablette, ce qui génère des frais supplémentaires.
4.3.3. Le temps d’utilisation de la tablette en classe
La troisième difficulté renvoie au temps d'utilisation de la
tablette en classe. En effet, les élèves jugent que la tablette
est loin d’être suffisamment utilisée dans tous les cours et
selon leurs dires, cette « sous-exploitation » de l’outil
crée chez eux une démotivation. Ils parlent en fait d’un
manque d’équilibre, car certains enseignants l’exploitent
suffisamment tandis que d’autres ne le font pas assez.
Les enseignants semblent partager l’avis des élèves
à cet effet, mais ils expliquent cette difficulté par le fait
qu’ils en viennent à manquer d’idées et, surtout,
à manquer de temps pour arriver à planifier des activités
intégrant la tablette numérique. Aussi, le fait de devoir
enseigner la même matière à des groupes du
« Projet Tablette » et à des groupes n’en
faisant pas partie complique leur travail. Ils doivent réaliser deux
types de planification pédagogique. Enfin, certains affirment
qu’étant donné leur manque de connaissances et de
compétences en lien avec les TIC, le pilotage de ces activités
peut également s’avérer très ardu, d’où
leur réticence à mettre en place un grand nombre de «
nouveautés » qui pourraient par ailleurs être fort
intéressantes et pertinentes en lien avec l’apprentissage de leur
discipline.
Considérant également que la tablette pourrait être
exploitée bien davantage en classe, certains parents se questionnent
à savoir si le choix d’utiliser ou non cet outil est laissé
à la discrétion de l’enseignant. Lorsqu’ils ont
donné leur aval pour que leur enfant fasse partie d’une classe
tablette, ils croyaient que celle-ci serait utilisée dans le cadre de
tous les cours, ce qui, selon eux, n’est pas le cas actuellement. Bien que
les parents disent constater qu’il reste beaucoup à faire pour
optimiser l’utilisation de la tablette numérique en classe, ils
estiment qu’il s’agit-là d’un investissement qui en
vaut la peine.
4.3.4. Les difficultés techniques qui y sont rattachées
Les élèves mettent réellement l’accent sur les
difficultés techniques qui semblent les préoccuper voire
même, selon leurs propos, les démotiver. Les principaux
problèmes relatés sont en lien avec le réseau sans fil, qui
bien qu’amélioré, serait encore trop lent lorsqu’un
grand nombre de personnes tentent de s’y connecter en même temps.
L'utilisation de l'Apple TV occasionne également certaines
difficultés, notamment sur le plan de la fluidité et du son. Tous
ces blocages techniques ont pour effet de ralentir la progression de leurs
travaux. Ils ont même déjà été dans
l’obligation de reporter des activités prévues (par exemple,
un exposé oral incluant une présentation PowerPoint). Il semble
aussi qu’il soit parfois compliqué de transférer et
d’imprimer des fichiers, d’envoyer des travaux et de travailler sur
une longue période étant donné la limite imposée par
la durée de charge de la batterie. Les élèves relatent
quelques pertes de données et certains bris matériels (ex. :
écrans cassés) qui n'auraient toutefois pas empêché
le bon fonctionnement des appareils. Certains élèves avouent aussi
ne pas toujours penser à faire recharger la batterie de leur
tablette.
Les enseignants insistent également sur les fréquents
problèmes techniques en lien avec le réseau, le projecteur
numérique, etc. Ils font également part des difficultés
qu’ils éprouvent lorsque vient le temps de gérer et
d’archiver les travaux numériques des élèves tout en
soulignant le fait que la correction de ces travaux s’avère plus
longue et moins objective étant donné qu’ils savent toujours
à qui appartient la copie en question.
Quant aux parents, ceux-ci affirment avoir parfois été
témoins de la perte de travaux non enregistrés. Ils
déplorent aussi le fait qu’à l’occasion, aucune
explication n'est fournie en lien avec la façon d’accéder
à certains sites ou de télécharger des outils. Enfin, ils
considèrent que l’élève qui participe à un
projet de ce genre doit nécessairement posséder des connaissances
technologiques supérieures à la moyenne.
4.3.5. Le développement des compétences technologiques chez
les enseignants
La cinquième difficulté identifiée à partir des
données recueillies renvoie au développement des
compétences numériques des enseignants. Les élèves
constatent que tous les enseignants ne sont pas au même niveau quant
à l’intégration des technologies. Avant même que ne
débute le projet, certains étaient déjà très
à l’aise alors que d’autres n’en étaient
qu’à leurs premiers balbutiements relativement à
l’utilisation de la tablette iPad. Les élèves remarquent que
certains éprouvent de plus grandes difficultés et qu’ils
gagneraient à développer davantage ces compétences - moins
de perte de temps donc plus d’efficacité -, mais ils mettent
également en évidence la bonne volonté de plusieurs
enseignants qui veulent s’engager en ce sens et qui
persévèrent, qui font des tentatives, des essais, tout en
instaurant une certaine discipline et en faisant preuve de rigueur. Les parents
soulignent aussi ce problème relié à la compétence
numérique de certains enseignants tout en valorisant également les
nombreux efforts déployés dans une perspective
d’amélioration.
Pour plusieurs enseignants, le niveau de compétence technologique en
début de projet représentait une réelle difficulté.
Bien qu’ils affirment se trouver plus compétents aujourd’hui,
à la suite d'une première année
d’expérimentation, ils sont conscients qu’il leur en reste
beaucoup à apprendre pour parvenir au niveau d’efficacité
souhaité, d'où l'importance de prendre en considération les
exigences et les besoins de formation qu'ils expriment à cet effet.
4.4. Exigences et besoins de formation exprimés par les
enseignants
Afin d’en arriver à développer ou à consolider les
compétences numériques nécessaires à
l’utilisation et à l’intégration pédagogique de
la tablette, les enseignants expriment quelques exigences tout en identifiant
certains besoins de formation. Ces exigences et besoins de formation
associés au « Projet Tablette » portent
principalement sur trois éléments : le temps dont ils
disposent, l’accès à des listes d’applications
disponibles et à des procéduriers décrivant leurs
fonctionnalités et la mise en place d’un type de formation continue
leur permettant d’être efficaces à court terme.
Selon eux, le fait de participer à un projet pilote de cette envergure
constitue un surplus de travail important, d’où le manque de temps,
identifié par l’ensemble des enseignants comme étant un
problème majeur. Comme mentionné antérieurement, les
enseignants disent manquer de temps pour trouver des applications, pour se les
approprier, pour élaborer des activités et du matériel,
pour se rencontrer, échanger et s’entraider. De plus, ils doivent
planifier « en double », ce qui pourrait être
évité si tous les élèves faisaient partie du
« Projet Tablette ». Cela serait, selon leurs dires, une
très bonne chose, car on préviendrait ainsi toute forme de
ségrégation. Cette difficulté liée au temps semble
avoir constitué une source de stress et de fatigue professionnelle pour
plusieurs enseignants, lesquels souhaiteraient à l’avenir pouvoir
bénéficier de tâches d’enseignement
allégées.
Tous les enseignants manifestent aussi très clairement le souhait
d’avoir accès à une liste détaillée
d'applications disponibles, classées par disciplines et ordonnées
selon un ordre d’importance d’intégration en classe. Le fait
de pouvoir recourir à des procéduriers, en version papier,
renseignant sur le potentiel et l’utilisation de ces applications,
vulgarisés et accompagnés de photos, seraient également
facilitant pour eux.
Finalement, étant donné les limites imposées par le
manque de formation dans le cadre de ce projet, les enseignants n’ont pas
toujours eu l’impression de posséder les compétences
nécessaires pour être en mesure de relever les défis qui se
présentaient à eux. Afin de pallier ce problème, ils
souhaitent dorénavant pouvoir bénéficier de plus de soutien
et de formation, notamment par discipline. À titre d’exemple, un
enseignant de français plus compétent et/ou plus
expérimenté au plan des TIC, pourrait soutenir et former les
autres enseignants de cette même discipline. Ils apprécieraient
également qu’une personne ressource puisse être disponible
sur place et « à la demande ».
En somme, dans un premier temps, les enseignants ont besoin de se sentir plus
à l’aise sur le plan purement technique, et ce, selon leur propos,
« pour être en mesure de faire face efficacement aux
problèmes inattendus ». D’autres besoins, davantage
d’ordre didactique et pédagogique, surgiront probablement
ultérieurement, une fois cette phase d’initiation
complétée.
5. Discussion
Ce premier regard sur le projet d'intégration
de tablettes iPad dans deux groupes de troisième secondaire montre que
tout n'est pas parfait. Il y a plusieurs retombées positives
associées à l'usage des tablettes numériques, mais la mise
en place de ce projet a aussi occasionné des inconvénients et est
associée à quelques difficultés. Cette section tente de
remettre l'ensemble de ces résultats en perspective et de tracer le
chemin à parcourir pour que ce projet puisse perdurer tout en ayant
l'impact le plus positif possible sur la formation des élèves.
Dans l'ensemble, on constate que nos résultats préliminaires
recoupent les résultats d'autres recherches ou publications. Positives ou
négatives, les observations effectuées dans le cadre de cette
première année d'implantation trouvent une résonance
certaine dans d'autres projets et chez d'autres auteurs.
Dès le départ, les conditions mises en place cette année
par la direction étaient propices à l'intégration d'outils
mobiles. Dans les faits, la direction et le comité TIC ont réussi
à regrouper plusieurs des conditions supposées faciliter
l'insertion de l'apprentissage mobile dans les cadres actuels de
l'éducation décrits par Schuler, Winters et West (Schuler et al., 2013).
D'abord, il faut dire qu'il y a eu peu de résistance sociale si l'on
considère que les parents étaient nombreux à vouloir
inscrire leur enfant le soir même où on leur a
présenté le projet et que la direction a réussi à
convaincre un nombre suffisant d'enseignants de tenter l'expérience pour
au moins un an. À cet effet, l'un des facteurs facilitant était
probablement l'existence d'exemples de réussites
technopédagogiques à l'intérieure même de
l'école. Au moins deux enseignants de l'école, impliqués de
près (enseignant de troisième secondaire) ou de loin (membre du
comité TIC) dans le projet, sont clairement identifiés par leurs
pairs comme étant très compétents sur le plan
technologique. Dans le passé, ils avaient initié, chacun de leur
côté, plusieurs projets technologiques réussis. Le tout
s'était bien déroulé et cette information a probablement
circulé au sein des membres du personnel enseignant de l'école.
Ensuite, bien que l'école n'ait pas vécu de pressions externes
pour mettre en branle ce projet, il faut tout de même souligner qu'elle a
reçu l'appui financier de partenaires externes qui reconnaissaient ainsi
la pertinence du projet et l'encourageaient concrètement. Si l'on ajoute
à cela la collaboration avec des chercheurs de l'université,
l'école et son comité TIC ont réussi à relever
partiellement l'un des défis identifié par Schuler, Winters et
West (Schuler et al., 2013) et considéré comme étant une limite à la
réalisation du plein potentiel de l'apprentissage mobile soit la
création d'un partenariat large qui permet la mise en place de projets de
grande importance.
Aussi, dans une certaine mesure, l'école est parvenue à
restructurer son environnement pour soutenir l'utilisation des iPad en
améliorant son réseau sans fil. Selon Crichton, Pegler et Duncan (Crichton et al., 2012),
ce serait une condition importante pour le succès du « Projet
Tablette ». Selon ces mêmes auteurs, le fait d'adopter une
formule selon laquelle les élèves sont propriétaires de
leur tablette et peuvent la personnaliser en fonction de leurs souhaits
contribue probablement aussi à la réussite de ce projet. Ainsi, il
n'est peut-être pas surprenant que ce projet pilote soit amené
à prendre davantage d'ampleur l'an prochain, passant de deux à
huit groupes répartis de la première à la quatrième
année du secondaire. Par contre, au moins deux conditions,
identifiées par Crichton, Pegler et Duncan (Crichton et al., 2012) semblent encore à travailler par l'école et son comité TIC.
D'abord, l'école devra continuer à soutenir les enseignants dans
l'appropriation de la technologie. Les données montrent que tous les
enseignants essaient d'intégrer la tablette, mais que certains
réussissent mieux que d'autres ou le font plus souvent. Selon Crichton,
Pegler et Duncan, il est important pour le succès d'un tel projet de
traiter les enseignants comme des apprenants et de combler leurs besoins
d'apprentissage. Ces derniers doivent pouvoir se concentrer à
intégrer la tablette au curriculum de manière signifiante. Sans
les connaissances et les compétences requises, ils seront incapables d'y
arriver. Étant tout à fait conscients de cela, ceux-ci
réclament plus de temps pour se préparer et pour s'approprier
l'outil en question. Toutes les mesures que l'école pourra mettre en
place en lien avec l'appropriation et le temps risquent donc d'avoir des effets
positifs. Ensuite, tous les parents ne semblent peut-être pas aussi
convaincus qu'ils pourraient l'être concernant le bien-fondé de ce
projet. Le commentaire d'un parent qui considère la tablette comme un
autre "jouet technologique" est lourd de sens. Ce dernier n'est certainement pas
persuadé que la tablette est un outil de travail utile. Avec l'expansion
du projet l'an prochain, le nombre de participants augmentera et
inévitablement « les moins convaincus » aussi. Il
deviendra important d'informer les gens à propos des réussites et
des efforts mis en place pour éviter les écueils et corriger les
problèmes identifiés.
Dans une perspective davantage orientée vers l'apprentissage, le
projet d'intégration de tablettes iPad vécu dans cette
école semble avoir réussi à créer des conditions
propices au développement des compétences nécessaires pour
faire face au 21e siècle (Anderson, 2010),
par les élèves, mais aussi par les enseignants. Plusieurs
changements ou retombées observés pointent à tout le moins
dans cette direction. L'intégration des tablettes et la mise en place du
réseau sans fil, malgré les critiques formulées par
certains vis-à-vis ce dernier, semblent favoriser le développement
de compétences communicationnelles nécessaires à une
époque à laquelle les médias et les sources d'information
se multiplient et se croisent. Les élèves apprécient
déjà ce changement et ont commencé à l'exploiter
à des fins pédagogiques d'une manière qu'ils jugent
avantageuse. Ils échangent documents et informations, collaborent
malgré la distance, de façon synchrone et asynchrone, etc.
Certains enseignants ont aussi commencé à expérimenter de
nouvelles façons de communiquer avec leurs élèves. Citons
simplement la mise à l'essai d'Edmodo (réseautage social
pensé pour l'éducation) par un enseignant. Tous les enseignants ne
sont cependant pas au même niveau en ce qui à trait à ce
domaine. Et même, certains ne sont peut-être pas encore convaincus
du potentiel éducatif des appareils mobiles. Selon Schuler, Winters et
West (Schuler et al., 2013),
il s'agit là d'une barrière à la mise en place de
l'apprentissage mobile. Il conviendra probablement d'étudier cette
question et d'offrir plus de soutien à certains enseignants afin de
maximiser les chances de réussite du « Projet
Tablette ». L'initiative du comité TIC visant à former
différemment les enseignants en fonction de leur degré de
compétences offre, par ailleurs, des perspectives intéressantes
à ce niveau.
Parmi les compétences du 21e siècle décrites par
Anderson (Anderson, 2010),
celles liées à la communication sont probablement les plus
touchées par la mise en place de ce projet. C'est en lien avec cet aspect
que nous observons peut-être le changement le plus important et le plus
rapide. Les constats relatifs aux changements interactionnels dans ce projet
sont cohérents avec les observations de Gong et Wallace (Gong et Wallace, 2012) à l'effet que l'intégration des tablettes numériques
favorise l'apparition de nouvelles dynamiques communicationnelles. On peut
constater que les observations effectuées dans le cadre de ce projet
recoupent celles de Gong et Wallace d'autres manières. Ainsi, nous avons
pu remarquer que les jeunes avaient d'abord tendance à jouer avec la
tablette et à l'utiliser pour communiquer à des fins personnelles.
On sait maintenant que celle-ci est souvent perçue comme étant une
source de distraction. Selon les enseignants, cette situation s'est
améliorée en cours d'année, ce qui, de l'avis des
élèves, ne semble pas être le cas. Cela peut être
attribuable au fait que les élèves sont plus sensibles à
cette réalité, plus conscients de cette problématique, donc
ils le remarquent davantage. Cela pourrait aussi être lié à
une mauvaise perception de la situation par les enseignants. Quoi qu'il en soit,
le fait que la tablette soit d'abord ou souvent considérée pour
son potentiel ludique correspond, en partie, à la perception initiale de
la majorité des répondants de l'enquête menée par
Gong et Wallace. Dans le cadre de notre étude, cela correspond aussi
à la perception exprimée par certains parents. Étant
donné le nombre important de jeux offerts pour cette plateforme, le
design de l'outil y est probablement pour quelque chose. Par exemple, le fait de
pouvoir influer directement sur le comportement d'un objet en inclinant la
tablette ou en cliquant sur un obstacle visible à l'écran est
simplement plus intuitif que de devoir manipuler des boutons sur une
télécommande et un très grand nombre de développeurs
en profitent dans le but de faire du profit. Il est alors du ressort des
pédagogues de déterminer la façon d'utiliser et d'exploiter
les caractéristiques de l'outil, dont sa grande connectivité,
ainsi que les applications disponibles afin de le rendre profitable pour
l'apprentissage. Malgré tout, la position des jeunes quant au
caractère distracteur de la tablette iPad apparait être très
constructive et encourageante en regard du futur. Elle nous ramène aussi
aux impacts de la tablette sur la communication. En effet, les jeunes
reconnaissent l'effet distracteur de la tablette et ses conséquences
probables sur l'apprentissage, mais ils pensent être en mesure d'apprendre
et de se discipliner. Ce qu'ils réclament, c'est qu'on les accompagne.
Or, tous les enseignants ne semblent pas conscients que certains
élèves se laissent distraire et, au contraire, plusieurs parents
décrient les trop nombreuses distractions que la tablette suscite et
réclament plus de contrôle. Il convient cependant de rappeler que
les élèves utilisent la tablette pour se coordonner lors de
projets, pour collaborer, pour échanger des informations pertinentes ou
encore pour échanger entre eux ou compléter mutuellement leurs
notes de cours. Pour ce faire, ils utilisent le clavardage, la messagerie
instantanée, le courriel, FaceTime et d'autres moyens qu'ils jugent
utiles et pertinents. Simultanément à l'adoption de ces nouvelles
habitudes de communication, on note aussi, entre autres, que la qualité
des travaux augmente et qu'ils sont mieux présentés. Devant de
tels constats, doit-on automatiquement mettre à l'avant-plan l'effet
distracteur de la tablette parce qu'on observe que les élèves
échangent parfois des messages à des moments jugés
inopportuns ou qu'ils prennent plus de temps pour faire leurs devoirs? Certains
aspects de l'effet distracteur de la tablette tels le clavardage et la
messagerie instantanée sont possiblement associés aux changements
en cours dans les méthodes de travail qu'il faut reconsidérer avec
plus de soin et avec lesquelles il faudra probablement familiariser les
enseignants et les parents. Tout en étant réaliste et en sachant
pertinemment que les jeunes perdent parfois réellement leur temps, il
faut prendre conscience que nous assistons à des changements importants
sur le plan des pratiques et que les élèves, tout comme les
enseignants, ont besoin d'être guidés et appuyés à
l'intérieur de ce processus.
6. Conclusion
Comme Crichton, Pegler et Duncan (Crichton et al., 2012) et Karsenti et Fièvez (Karsenti et Fièvez, 2013),
nous concluons également que les iPad sont des outils prometteurs si
certaines conditions pédagogiques et technologiques sont
respectées. L'environnement scolaire doit être structuré
pour soutenir l'apprentissage mobile (réseau sans fil performant, guides
définissant les usages acceptables à l'école, guides
d'utilisation des applications, etc.), mais surtout, il faut combler les besoins
de soutien et de formation des enseignants qui intègrent les tablettes
dans leur pratique et être attentif aux changements occasionnés
tout en évitant de les interpréter trop rapidement ou selon un
cadre qui ne prend pas en compte les changements se produisant. Les changements
au niveau communicationnel semblent être parmi les premiers
provoqués, à tout le moins chez les élèves qui
intègrent rapidement certains comportements, associés d'abord aux
loisirs et à la vie privée, au contexte pédagogique. Dans
le futur, il sera intéressant de continuer d'analyser la façon
dont ces changements évoluent et sont interprétés par les
autres acteurs impliqués dans ce projet. Il faudra aussi observer si les
enseignants réussiront à mettre ces nouvelles stratégies
communicationnelles à profit et, si tel est le cas, déterminer
comment ils les exploitent et dans quelle mesure cela est positif. Enfin, les
stratégies qui seront mises en place dans le but de former les
enseignants et de leur accorder le temps qu'ils réclament pour
réussir l'intégration des tablettes seront d'une importance
capitale, car elles pourront contribuer au succès du projet ou, à
l'opposé, pratiquement le condamner. L'école ayant
décidé de continuer à s'investir dans l'intégration
des tablettes, les chercheurs poursuivront le travail en lien avec cet
établissement et centreront leurs activités sur la formation des
enseignants ainsi que sur les pratiques collaboratives et communicationnelles
des acteurs impliqués.
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A
propos des auteurs
Patrick GIROUX, Ph.D., est professeur au
département des sciences de l'éducation de l'Université du
Québec à Chicoutimi (http://www.uqac.ca) où il est
responsable des cours traitant de l'intégration pédagogique des
TIC. Il est chercheur associé au CRIFPE (http://crifpe.ca/). Ses
intérêts actuels de recherche sont liés à
l'intégration des TIC en milieu éducatif ainsi qu'à la
formation des enseignants dans ce domaine. Plus spécifiquement, ses
travaux actuels portent sur les impacts de l'intégration massive des
tablettes en plus d'étudier et d'orienter les mécanismes de
formation des enseignants, le niveau et le développement de l'esprit
critique des futurs enseignants par rapport à Internet, l'usage des
réseaux sociaux par les jeunes d'âge primaire ainsi que
l'utilisation pédagogique des tableaux numériques interactifs
(TNI).
Adresse : Département des sciences
de l'éducation, Université du Québec à Chicoutimi
(UQAC), 555, boulevard de l'Université, Chicoutimi (Québec),
Canada,G7H 2B1
Courriel : pgiroux@uqac.ca
Toile : http://pedagotic.uqac.ca
Nadia CODY, Ph. D., est professeure au Département
des sciences de l’éducation et coordonnatrice pédagogique du
Bureau de la formation pratique en enseignement de l’Université du
Québec à Chicoutimi. Depuis plusieurs années, elle
réalise des projets de recherche collaborative avec des intervenants
impliqués dans la formation à l’enseignement. Son
enseignement et ses recherches portent sur la supervision pédagogique,
tant sur le plan des fondements que sur l’instrumentation didactique. Elle
s’intéresse aussi au développement des compétences
professionnelles des enseignants dans une perspective d’intégration
de la théorie et de la pratique, en formation initiale et continue, et
à la pédagogie en enseignement supérieur.
Adresse : Département des sciences
de l'éducation, Université du Québec à Chicoutimi
(UQAC), 555, boulevard de l'Université, Chicoutimi (Québec),
Canada,G7H 2B1
Courriel : Nadia_Cody@uqac.ca
Sandra COULOMBE est docteure en Éducation et
professeure à l’Université du Québec à
Chicoutimi en enseignement professionnel. Ses activités
d’enseignement concernent l’insertion sociale et professionnelle, la
collaboration dans les centres de formation professionnelle et la formation
pratique des enseignants en formation professionnelle. Ses intérêts
de recherche portent sur l’apprentissage en situation de travail, la
reconnaissance des acquis, l’insertion professionnelle et la collaboration
en formation professionnelle. Elle dirige le Module d’enseignement
secondaire et professionnel à l’UQAC, depuis juin 2011, et est
chercheure-associée au CRIPFE.
Adresse : Département des sciences
de l'éducation, Université du Québec à Chicoutimi
(UQAC), 555, boulevard de l'Université, Chicoutimi (Québec),
Canada,G7H 2B1
Courriel : Sandra_Coulombe@uqac.ca
Suzie GAUDREAULT est enseignante en adaptation scolaire et
sociale et chargée de cours à l’Université du
Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle complète une maitrise en
éducation dont le sujet de recherche porte sur le potentiel des jeux
vidéo destinés au divertissement en contexte scolaire en lien avec
la réussite scolaire des garçons. Elle collabore à titre
d’assistante de recherche à différents projets portant sur
l’utilisation des TIC en éducation. De plus, elle fait du soutien
pédagogique auprès des étudiants de différents
professeurs et chargés de cours de l’UQAC depuis 2009.
Adresse : Département des sciences
de l'éducation, Université du Québec à Chicoutimi
(UQAC), 555, boulevard de l'Université, Chicoutimi (Québec),
Canada,G7H 2B1
Courriel : suziesourie@live.ca
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