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Internet et enseignants : entre contrastes et clivages.
Enquête auprès d’enseignants du secondaire
Caroline LADAGE, Jean RAVESTEIN
(Aix Marseille Université, ADEF EA 4671,
ENS Lyon, IFE, 13248, Marseille, France)
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RÉSUMÉ : Notre
travail à visée compréhensive questionne ce que
déclarent faire les enseignants du secondaire avec les TIC, en focalisant
sur l’usage d’Internet, ainsi que ce qu’ils croient que font
leurs élèves avec cet instrument. L’objectif est de mieux
cerner la grammaire des pratiques de l’Internet dans le champ du
didactique. On découvre chez les 2 862 enseignants interrogés
que des variables (discipline, genre, âge,...) jouent sur les usages des
outils numériques et sur la place qu’ils leur accordent dans leurs
pratiques professionnelles. Notre enquête révèle des
positions contrastées, des clivages d’opinion qui témoignent
d’un manque de maturité épistémologique actuel. Les
résultats dessinent aussi les contours de l’évolution des
mentalités enseignantes qui laissent augurer qu’un avenir
prometteur est possible pour les usages d’Internet en éducation et
en formation alors qu’il demeure aujourd’hui encore insuffisamment
raisonné.
MOTS CLÉS : utilisation
de l’informatique, Internet, didactique, enseignement secondaire,
stéréotypes
DONNÉES
ASSOCIÉES • Accessibles via le lien permanent (Datapublication.org : Tge-adonis.fr.)
http://hdl.datapublication.org/11107/d-001-108 |
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ABSTRACT : Our
comprehensive work questions secondary teachers’ statements on their ICT
usages, in particular Internet, as well as what they believe students do with
it. The goal is to better understand the use of Internet in education. We
discover that among the 2 862 teachers we interviewed, variables
(discipline, gender, age...) influence their use of digital tools and the place
they give them in their professional practices. Our investigation reveals
contrasting positions, divisions of opinion that reflect a lack of
epistemological maturity today. The results also draw the outlines of the
evolution of teachers’ mentalities that augur a promising future is
possible for the use of Internet in education and training while today it is
still insufficiently reasoned.
KEYWORDS : computer
usage, Internet, didactics, secondary education,
stereotypes
ASSOCIATED DATA: Available online by permalink (Datapublication.org : Tge-adonis.fr.)
http://hdl.datapublication.org/11107/d-001-108
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Introduction
De nombreux rapports et
projets témoignent de la vigueur des démarches institutionnelles
pour intégrer les TIC dans le système éducatif
français1. Les argumentaires se déploient selon deux
axes principaux : l’instrumentation des situations
d’apprentissage et une préparation à l’usage de
l’informatique et de l’Internet au service du « devenir
citoyen ». On ne peut laisser sans réponse la question de
l’usage déclaré de ces outils par les enseignants. Le plan
de développement de l’usage du numérique à
l’école (2010) témoigne également de la vigilance de
l’institution concernant les perspectives de rapports renouvelés
– modernisés - aux savoirs savants. Les réformes instaurant
les B2i et les C2i, ainsi que le C2i enseignant sont loin d’être
remises en question dans la loi pour la refondation de
l’école2, bien au contraire. À ce propos on peut
se référer au numéro spécial Des usages des TIC
à la certification des compétences numériques : quels
processus de formation et de validation ? coordonné par Cathia
Papi et on peut repérer que ce type de préoccupation
dépasse les frontières (Chen, 2010) ; (Lei, 2009).
Avant même que l’accès à l’Internet haut
débit soit devenu quasi généralisé dans les
sociétés développées, les chercheurs en
éducation ont pu montrer que cela transformait de manière
générale les rapports aux savoirs et à leur enseignement,
tant du côté des enseignants que des élèves (Selwyn, 1999) ; (Becker, 1999).
Dans certains cas Internet est vécu comme un élément
perturbateur dans la transmission des connaissances (Anderson et Reed, 1998).
D’autres travaux insistent sur les éléments facilitateurs
pour l’enseignement (Ertmer et Ottenbreit-Leftwich, 2010).
Accompagnant le haut débit et sa puissance, des études ont
porté sur de nouvelles relations, parfois tendues ou même
conflictuelles, entre le monde scolaire et l’Internet du fait de
l’usage des ressources rendues très facile d’accès (Dawes, 2001) ; (Hennessy et al., 2005) ; (Bielefeldt, 2006).
Nombre d’entre elles ont insisté sur les résistances,
obstacles, freins à l’usage des TIC dans le travail scolaire en
particulier de la part des enseignants (Pelgrum, 2001) ; (Schoepp, 2005) ; (Gillespie, 2006) ; (Afshari et al., 2009).
Des explications nombreuses ont été avancées pour
éclaircir cette question à travers la publication de rapports ou
d’études d’envergure qui pointent à la fois les
problèmes de moyens techniques manquants, de formation insuffisante (Balanskat et al., 2006) ; (Osborne et Hennessy, 2003),
voire de problèmes plus psychologiques chez les enseignants, concernant
leurs rapports avec les techniques innovantes (Phelps et al., 2004).
En France, la question de l’usage réel des TIC à titre
professionnel par les enseignants a été souvent examinée
dans le contexte de la mise en place de formations en ligne, surtout dans le
supérieur, ainsi que sous l’angle de la nécessité de
formation (C2i « enseignant ») suite à la mise en
place des B2i (rapport IGEN, 2001).
Par contre, les prescriptions, les préconisations, les injonctions
concernant l’usage des TIC par les enseignants font florès
dès les années 2000 (DEP, 2003),
contrastant avec un déficit d’analyse de situations
concrètes de travail et des modalités selon lesquelles ils les
affrontent (Tardif et Lessard, 1999).
Pourtant, des chercheurs ont fait porter leurs efforts sur les dispositifs et
outils favorisant l’appropriation des TIC par les enseignants (Blondel et Tort, 2007) ; (Gueudet et al., 2008),
par exemple, et ont tracé des perspectives ou énoncé des
mises en garde (Baron et Bruillard, 2002) ; (Ravestein et al., 2007).
Ce travail questionne les rapports que les enseignants déclarent
entretenir avec les TIC, grâce à un questionnaire en ligne
renseigné par 2 862 d’entre eux. L’objectif est de
dresser un état de ces savoir-faire et de recueillir un nombre important
de points de vue représentant aussi bien que possible ceux de cette
population en France. Un attention particulière sera portée sur la
question des effets de l’accès aux ressources que l’Internet
permet dans et hors le cadre scolaire.
1. Quels usages de l’informatique et d’Internet ?
La diffusion massive des TIC partout
(portabilité), pour presque tous (coûts en baisse) et à tout
moment (connectivité) est incontestablement un phénomène
qui pose la question de leur usage scolaire (pratiques instrumentées qui
se trouveraient facilitées) ainsi que celle, non moins importante, de la
redéfinition de la mission de l’école dans le
développement du numérique dans la société (MEN, 2008). Sans
pouvoir apporter des éléments de réponse ici, cette
diffusion inédite pose une double question à notre sens
primordiale : quels savoirs savants pourraient justifier de bonnes
pratiques à enseigner (questions didactiques de transposition et
d’usage) et, partant de là, comment armer des dispositifs de
formation efficaces pour tous les acteurs du système scolaire (question
politique, que pointent Stiegler, Meirieu et Kambouchner, (Stiegler et al., 2012) ?
Si l’identification de pratiques intégrant efficacement les TIC
à l’école est bien le fil rouge des différentes
études que nous venons de citer, reste entier le problème de la
multiplicité et de
l’hétérogénéité des domaines
d’usage des TIC. En effet, elles sont étudiées tantôt
sous l’angle des pratiques des élèves, tantôt sous
celui des pratiques enseignantes. On peut toutefois s’inquiéter de
la difficile rencontre de ces deux mondes de pratiques (élèves et
enseignants). À l’intérieur même de chacun,
l’opposition entre pratiques professionnelles et personnelles semble
déjà un premier obstacle difficile à surmonter.
Ainsi, côté élèves, Fluckiger et Bruillard (Fluckiger et Bruillard, 2008) observent un hiatus, voire une opposition forte, entre pratiques personnelles et
pratiques scolaires, qui expliquerait l’intégration difficile des
usages des TIC à l’école. Ces auteurs mettent en
évidence que les compétences en TIC développées par
les élèves dans leurs univers personnels s’avèrent
faiblement mobilisées en contexte scolaire. Ils l’expliquent par un
niveau de connaissances techniques finalement limité et par une
différence de contexte d’usage : « Nous
défendons l’idée que ces transferts entre des univers
d’appropriation distincts sont loin d’être aussi aisés
que certaines similarités de surface (dans les outils utilisés ou
la manière de les employer) pourraient le laisser penser, et que les
compétences acquises sont bien davantage locales et
contextualisées que transversales. » (Fluckiger et Bruillard, 2008)
Ce constat d’une structuration différente de
l’activité qui fait obstacle au réinvestissement scolaire
des compétences techniques des élèves est confirmé
par Gueudet, Soury-Lavergne et Trouche (Gueudet et al., 2008).
Toujours du côté des élèves, la tentative de
croisement entre les régimes temporels des lycéens et les
significations d’usage d’Internet de Le Douarin et
Delaunay-Téterel (Le Douarin et Delaunay-Téterel, 2011) montre que « L’organisation fine du temps libre et des
activités se dérobe aux évidences (...) Chacun, dans le
régime temporel qui est le sien, favorise tantôt des pratiques
d’exercisation, tantôt des modes de renforcement des savoirs ou
encore des activités de compensation pour vérifier la
qualité des enseignements et les compléter si
nécessaire ». On voit donc toute la difficulté pour les
enseignants de cerner l’activité de leurs élèves avec
Internet, question que nous tenterons d’élucider dans cette
recherche. Toutefois pour être plus exhaustif on aurait pu se demander si
l’enseignant a scénarisé dans son activité
pédagogique l’utilisation des TIC ou pas et la mesure d’une
telle scénarisation sur l’activité de ses
élèves. Cette question pourrait faire l’objet d’une
recherche complémentaire, ici nous y répondrons
latéralement dans le repérage de besoins d’accompagnement et
de formation dans les activités scolaires de l’Internet.
Côté enseignants, la commission Pochard dans son Livre vert sur
l’état du métier enseignant (MEN, 2008a) désigne l’importance du poids de la forte identité
professionnelle et de la conception marquée que les enseignants ont de
leur métier, « forgée au cours de l’histoire de
l’enseignement », sur la façon dont l’enseignement
est dispensé. Selon le même rapport, la revendication de la
« liberté pédagogique » pèse de plus en
plus sur le fonctionnement du système éducatif. Cette
revendication peut ralentir l’intégration et l’usage des TIC
dans les pratiques pédagogiques. En effet, si l’instauration
« d’une sorte de continuité entre le temps de la classe
et le temps de travail des élèves en dehors de la
classe » (MEN, 2008b) se
généralise grâce aux TIC, cela peut être perçu
comme une perte de « souveraineté ». La
perméabilité accrue entre l’univers scolaire et
l’univers privé peut être vu comme une
désanctuarisation de l’école.
Un déficit de l’analyse de situations éducatives
intégrant les TIC a été identifié par Bertrand (Bertrand, 2004),
qui n’en souligne pas moins la difficulté, tant cette
intégration est marquée par l’influence de
l’expérience personnelle et du rapport personnel de chaque
enseignant à l’informatique et à l’Internet et souffre
d’un manque d’intégration à un niveau collectif.
Le manque de diffusion des pratiques des TIC à l’école ne
résulte pas tant d’un défaut d’intégration de
pratiques personnelles de l’élève ou de celles de
l’enseignant que d’une pénurie de pratiques et de savoirs de
référence (Ladage, 2008).
Ces savoirs sont aujourd’hui encore à identifier (et pour une part
importante encore à construire), pour ensuite pouvoir étudier les
conditions et contraintes de leur diffusion au sein de l’école et
de la société.
Nous proposons de progresser dans cette argumentation en focalisant sur le
champ qui nous occupe principalement dans ce travail, l’usage
d’Internet, non pas dans toute la palette de ses possibles, mais plus
précisément en ce qui concerne l’accès à des
ressources et aux stratégies de recherche d’informations
afférentes.
Ladage (Ladage, 2008) note une péjoration culturelle de l’Internet qu’il y a lieu
de dépasser en travaillant en amont sur une « étude
précurriculaire », dont l’objectif principal serait
d’enrichir le champ aujourd’hui encore très réduit des
systèmes d’activités où sont confinées les
pratiques de la recherche d’information sur Internet. L’étude
du corpus de manuels et d’ouvrages disponibles sur le sujet
témoigne d’un manque de pratiques élaborées et met en
évidence que les usages que nous connaissons sont encore trop
récents pour intégrer largement ce que l’on peut
réellement faire sur et avec Internet (Ladage, 2008).
Alors que naît à peine la genèse historique des pratiques de
recherche d’information et des usages de l’Internet, nous vivons
déjà actuellement un déni de la
problématicité de ces pratiques, ce qui pourrait bien constituer
un frein durable à leur évolution. Dans une étude
menée par Ladage et Chevallard (Ladage et Chevallard, 2011),
Internet apparaît en effet comme une réalité
dénigrée, ce qui amène ces auteurs à noter, à
propos d’une pédagogie de l’enquête encore
balbutiante : « Il n’est sans doute pas facile
d’utiliser l’Internet comme outil d’enquête
lorsqu’on est plongé dans un univers qui regarde cet outil comme
peu fiable, superficiel, irritant et froid. La chose est d’autant plus
prégnante que, parce qu’on regarde l’Internet comme
« facile », on est porté à ne pas en
étudier les possibilités et à ne pas approfondir la
connaissance des fonctionnalités qu’il offre. » Ces
mêmes auteurs ont bien montré que la question de la
fiabilité des ressources n’a plus lieu de se poser à partir
du moment où chaque ressource peut être considérée
comme un élément de réponse potentiel à un
questionnement sans cesse renouvelé. À titre d’exemple les
travaux sur la pédagogie de l’enquête citent
fréquemment le recours efficace à Wikipédia dans le
déroulement des enquêtes menées avec les
élèves (Ladage et Chevallard, 2011).
Cette analyse amène ces auteurs à rappeler l’importance
de renforcer le développement d’une culture et d’une
didactique de la recherche d’information sur Internet, indissociable
d’une pédagogie de l’enquête. Ce renforcement passe par
l’étude des conditions et contraintes du déploiement
d’une telle culture, étude à laquelle l’enquête
que nous présentons a vocation à contribuer.
2. Dispositif d’enquête
La visée de notre
dispositif d’enquête par questionnaire est de collecter des
réponses volontaires nombreuses de la part d’enseignants du
secondaire dans l’éducation nationale.
Nous avons demandé à tous les rectorats de France
d’autoriser l’envoi via le mailing académique d’un lien
pointant sur un questionnaire à renseigner sur Internet, le message
étant assorti d’un court descriptif des finalités de
l’enquête annoncée comme une recherche universitaire et
précisant les garanties de confidentialité (en particulier
vis-à-vis de l’institution de tutelle). Huit académies ont
répondu à notre demande et quatre ont accepté de mettre en
place la procédure. Un lien pointant sur le serveur Internet de notre
unité de recherche a été envoyé dans chaque
boîte de courriel des enseignants des collèges et
lycées3.
L’outil d’enquête est un questionnaire « en
ligne » réalisé à l’aide du logiciel Le
Sphinx iQ®. Sur un total de 75 questions, le questionnaire
comprend 19 questions fermées, 48 questions à échelles et 8
questions ouvertes.
La construction du questionnaire ne s’est pas basée sur les
contenus du référentiel C2i enseignants, alors que quelques items
rappellent des points des référentiels B2i et C2i. Une
stratégie a présidé à l’enchaînement des
questions : faire émerger par contraste l’usage de
l’Internet par rapport aux autres usages des outils numériques.
Notre enquête, contrairement à celle de Guichon (Guichon, 2012),
ne fait pas référence directement à la sociologie des
usages, ce qui l’aurait probablement rendu plus informatif. Notre approche
dans le champ du didactique exige au préalable un état des lieux
davantage descriptif qu’explicatif sur une large échelle.
Nous avons enregistré près de 5 000 répondants et
en avons conservé 4 463 après élimination des
doublons, des questionnaires incomplètement renseignés ou à
l’évidence renseignés de manière
incohérente4 par ce que nous nommons les « visiteurs
curieux » qui parcourent les questions pour arriver au bout et se
faire une idée globale du contenu.
3. Résultats
3.1. Caractéristiques de la population
L’échantillon de population obtenu
constitué par l’ensemble des répondants validés est
limité ici aux enseignants du secondaire et à l’exclusion du
personnel d’encadrement, soit une population de 2 862 enseignants. Il
peut se décrire de la manière suivante :
La plus grande partie a entre 30 et 55 ans (79 %), la majorité
sont des femmes (58 %), ils sont tous diplômés de
l’enseignement supérieur et on compte une très bonne
proportion (62 %) d’entre eux qualifiés professionnellement
(Capes, Capet, agrégation, etc.). Près de la moitié a suivi
une formation en informatique (48 %) et seulement 16 % sont titulaire
d’une certification (B2i, C2i).
Les disciplines enseignées sont pour 26 % du domaine
scientifique, 36 % du domaine des sciences humaines et sociales, 10 %
du domaine artistique et de l’éducation physique et sportive,
24 % de technologie et tertiaire, et enfin 4 % documentalistes. Les
établissements ruraux sont minoritaires (31 %) ainsi que les
établissements classés en zone d’éducation
prioritaire (ZEP) ou réseau d’éducation prioritaire (REP)
(9,5 %).
Ce sont des personnels en plein cœur de leur carrière qui ont
majoritairement répondu, bien que la proportion de
« débutants » ne soit pas négligeable
(22 %) alors que ceux proches de la retraite sont peu
représentés (8 %). Si on rapporte ces chiffres à ceux
fournis par l’INSEE pour le Ministère de l’Éducation
Nationale (MEN) pour décrire la population des personnels
d’enseignement du secondaire, on peut dire que notre échantillon
est représentatif de l’ensemble de ces personnels.
3.2. Quels usages de l’ordinateur et d’Internet ?
Une auto-évaluation de l’expertise sur les principaux usages des
outils numériques révèle que les enseignants – toutes
disciplines confondues – se sentent très à l’aise avec
les traitements de texte et Internet, moyennement avec les tableurs et le
traitement de l’image mais relativement gênés avec les jeux
et les vidéos. On note toutefois une influence attendue de la discipline
enseignée quant à l’expertise déclarée de
certains outils avec les attractions suivantes : les tableurs (mieux
pratiqués par les enseignants du domaine scientifique) ; la
vidéo et la photo (arts plastiques et appliqués, musique, langues
et physique chimie) ; les logiciels de présentation (technologie et
tertiaire, arts plastiques, documentation, sciences de la vie et de la
Terre) ; le traitement de texte (langues) ; Internet (documentation,
langues). Les enseignants du français, du latin, de la philosophie et de
l’éducation physique et sportive indiquent des maîtrises en
moyenne plus faibles, plus particulièrement sur les outils tableur et
logiciel de présentation.
Les enseignants affirment également de manière très
majoritaire que l’usage des ordinateurs a bouleversé fortement
leurs pratiques professionnelles (44 % se positionnement au niveau le plus
élevé sur une échelle de 0 à 5 et si on y ajoute le
niveau 4 on arrive à 67,5 %), ce qui confirme une tendance datant de
plusieurs décennies comme l’écrivaient déjà en
2001 Karsenti, Savoie-Zajc et Larose (Karsenti et al., 2001).
Ici encore une différence apparaît : le tableau des moyennes
par discipline montre en effet des attractions avec des scores très
significativement au-dessus de la moyenne pour la technologie et le tertiaire,
les arts plastiques, la musique et la documentation. Nous trouvons la même
tendance quant à leur rapport aux sources d’information, avec
cependant des scores au-dessus de la moyenne chez des enseignants de la
technologie, du tertiaire, de l’histoire et de la géographie, de la
documentation et des sciences économiques et sociales, et en-dessous de
la moyenne pour les enseignants de langues, de mathématiques, de
philosophie et d’éducation physique et sportive.
Leur rapport à l’Internet est affirmé principalement pour
poser des questions et communiquer (courriels). On note qu’une
majorité utilise Internet pour préparer la classe, ainsi sur une
échelle de 0 à 5 plus de la moitié se situe au niveau 4 et
5 avec respectivement 27 % et 34 %. Les enseignants du domaine
technologique et tertiaire scorent ici encore au-dessus de la moyenne, rejoints
par les enseignants de langues et des sciences de la vie et de la Terre. La
communication par Internet est davantage développée auprès
des enseignants de langues et les documentalistes.
On remarque une certaine pauvreté technique (à
l’exception des documentalistes) dans l’usage des moteurs : peu
de recherche avancée, usage des guillemets et des connecteurs logiques
anecdotiques (plus de 40 % déclare ne jamais les utiliser). En
revanche ils sont majoritaires pour l’utilisation des suggestions
proposées par les moteurs. Google reste le moteur utilisé
préférentiellement (57 %) comme page d’accueil à
l’ouverture d’un navigateur, suivi des fournisseurs
d’accès (FAI), 21 %. Ils se disent très habiles
à récupérer, sauvegarder et réutiliser des
ressources de tout format (77 %), plus particulièrement les
enseignants en arts plastiques, musique et technologie. Beaucoup (82 %) se
contentent de rester sur la première page de résultats que renvoie
le moteur à une requête. Ils déclarent en revanche ne pas
utiliser les liens sponsorisés. Les participants trouvent ce qu’ils
pensent chercher assez rapidement car ils ne retournent que peu de fois sur la
page de résultats avant d’avoir satisfaction. Très
majoritairement ils déclarent trouver une réponse satisfaisante
à leurs requêtes (80 %) et plus de 90 % d’entre eux
affirment ne plus pouvoir se passer de l’Internet aujourd’hui. Ils
pensent à plus de 50 % savoir comment les moteurs
hiérarchisent les résultats des requêtes, mais en revanche,
ils sont sûrs à 67 % que les moteurs ignorent certains
résultats qui pourraient pourtant leur être utile et que les liens
proposés ne sont pas « vérifiés ».
Cette relative méfiance se traduit par un certain croisement des
sources ; majoritairement (81 %) ils cliquent sur plusieurs liens pour
compléter une réponse obtenue en première instance.
Ils se montrent très peu actifs sur le Web 2.0. En effet seulement
18 % ont un blogue ou un site personnel et ils sont 55 % à ne
jamais participer à des forums, ou très rarement (37 %). Ils
ne fréquentent pas davantage les listes de discussions (29 % ;
à l’exception des enseignants en technologie et en documentation
qui y souscrivent respectivement de manière significative et très significative plus que leurs collègues), par contre
une proportion non négligeable a un compte sur un réseau social
(52 % ; ici ce sont les linguistes qui en font un usage le plus
poussé), mais ils sont très majoritaires, à ne pas aller
sur Internet pour « se faire des amis » (74 %)...
On note une spécialisation sans surprises des outils en fonction des
disciplines enseignées à laquelle échappent toutefois
Internet et le traitement de texte qui paraissent, à tort ou à
raison, plus « universels ». Si on fait
l’hypothèse que c’est à tort, ces déclarations
d’une bonne maitrise peuvent, comme le remarque Ladage (Ladage, 2008),
s’ériger en obstacle à toute velléité de
formation à ces instruments : « je crois savoir, il
n’y a donc rien à apprendre ! »
3.3. Quelles TIC à l’école ?
Une forte majorité toutes disciplines confondues (75 %) pense que
l’usage de l’Internet a changé le rapport des
élèves au savoir. Dans l’exercice de leur métier,
l’usage de l’Internet semble diviser la population car les
réponses sont fortement contrastées. En effet, alors que 61 %
proposent de faire travailler les élèves avec l’Internet,
les autres y semblent rétifs et alors que 51 % utilisent souvent des
sites de ressources pédagogiques, les autres prétendent ne jamais
ou rarement les fréquenter. Le clivage reste vif quand on demande quels
rapports l’Internet pourrait modifier entre eux et les
élèves : 64 % ne souhaitent pas communiquer directement
avec les élèves par Internet alors que les autres y sont
favorables. Près de la moitié de la population affirme
fréquemment utiliser l’information en provenance d’Internet
(61 %) pour la préparation de leur classe, contre 20 %
moyennement et 19 % peu ou pas.
Cette, évidente, non congruence des opinions rejoint les
résultats de Ratinaud (Ratinaud, 2003) obtenus avec une méthode qualitative (analyse de discours
d’enseignants à propos de l’usage d’Internet dans le
cadre professionnel). Il constate que « les discours des enseignants
interrogés sur le thème d’Internet font effectivement
apparaître des formes non-congruentes. On retrouve ces formulations sous
leurs deux aspects (positif et négatif) ». Une
vérification sur l’incidence disciplinaire révèle
dans notre enquête une relation significative, voire très
significative mais de façon peu systématique, que ça
soit du point de vue de la discipline ou du type de clivage remarqué. On
note ainsi pour le premier clivage, que les enseignants de mathématiques,
de physique / chimie et d’éducation physique et sportive,
déclarent moins volontiers inviter leurs élèves à
travailler avec Internet, alors que c’est le contraire dans le domaine de
la technologie, du tertiaire et de la documentation. Pour le deuxième
clivage ce sont encore les mathématiciens et les enseignants
d’éducation physique et sportive qui déclarent de
façon très significative de ne pas ou rarement utiliser les
sites de ressources pédagogiques, contrairement aux documentalistes et
aux enseignants de musique qui déclarent au contraire y avoir recours de
manière très significative. Le clivage sur le recours
à l’information disponible sur Internet pour la préparation
de la classe est marqué positivement par les enseignants d’arts
plastiques et appliqués, des sciences de la vie et de la Terre et de ceux
de technologie, à l’inverse, il l’est négativement par
ceux du français, du latin, des mathématiques et de
l’éducation physique et sportive. Enfin, le quatrième
clivage remarqué, portant sur les régulations individuelles des
apprentissages par Internet, ne subit aucune influence disciplinaire. On
constate qu’aucun profil marqué ne ressort de ces clivages,
à l’exception des enseignants de mathématiques et
d’éducation physique et sportive, qui basculent pour trois clivages
dans une dominante négative.
Du point de vue des besoins en formation ils sont plus de 18 % à
affirmer qu’il n’est pas nécessaire de recevoir une formation
à l’usage des moteurs de recherche pour exercer aujourd’hui
leur métier, une bonne part est indécise (31 %) alors que les
51 % restants la jugent indispensable. Les positions extrêmes sont
marquées ici de façon négative pour les enseignants de
mathématiques et de physique / chimie, qui affirment de façon très significative de ne « pas du tout » (pour
les premiers) ou « plutôt pas » avoir besoin de ce
type de formation ; elles sont marquées de façon positive par
les enseignants d’histoire / géographie et les documentalistes pour
qui cette formation est de façon très significative tout
à fait nécessaire.
Une série de questions concernant l’usage de
l’encyclopédie en ligne Wikipédia permet de dégager
les pratiques suivantes : beaucoup l’utilisent souvent (61 %) et
s’en disent satisfaits (84 %). En revanche, ils n’y participent
pas (3 % seulement) et sont très majoritaires à ne pas la
conseiller, ou rarement, à leurs élèves (73 %). Ils
ont une attitude « consumériste » dans l’usage
de l’encyclopédie : 9 % seulement suivent
régulièrement les mises à jour avec l’onglet
« historique » ; et 67 % ne vérifient pas
ou peu qui sont les contributeurs à un article. En revanche une
minorité « fait confiance » aux contenus (28 %),
alors que les autres restent très méfiants. Ce sont des visiteurs
curieux (43 % la parcourent « comme on feuillette un
livre »), beaucoup l’utilisent comme moyen de confirmation
(57 %). L’analyse des relations entre les champs disciplinaires et
les opinions déclarées sur Wikipédia ne permet pas de
dégager de profils marqués.
On décèle donc ici un ensemble de pratiques qui montre un
certain pragmatisme (Wikipédia devient incontournable) qui
s’accompagne d’une mise à distance (surtout pour les
élèves). Des études récentes le confirment en
montrant de surcroit la vivacité de cette question dans la sphère
scolaire (Garfinkel, 2008) ; (Lim, 2009) ; (Harouni, 2009) ; (Rinne, 2009) ; (Head et Eisenberg, 2010).
D’autres auteurs s’engagent davantage en mesurant tout
l’intérêt de l’utiliser dans un cadre
pédagogique (Bruillard, 2007) ; (Dioni, 2008) ; (Vandendorpe, 2008) ; (Ladage et Ravestein, 2012),
alors que les établissements continuent de promouvoir l’usage des
encyclopédies « officielles » accessibles
gratuitement via leurs Espaces Numériques de Travail (ENT).
3.4. Hommes, femmes, des rapports aux TIC différents
Pour mieux comprendre le phénomène de division de la population
que nous venons de citer pour un nombre non négligeable de comportements,
nous avons recherché la présence d’autres variables
déterminantes que la discipline enseignée pour laquelle les
relations observées ne permettent pas clairement de dégager des
tendances. Ni le niveau de diplôme, ni les formations en informatique ou
la possession d’un C2i ne sont déterminants. Par contre un certain
nombre de traits marquants apparaissent avec les variables sexe et
âge.
La variable sexe marque en effet depuis les débuts de
l’informatique des stéréotypes concernant les usages et les
représentations de l’informatique (Le Douarin, 2004) ; (Drot-Delange, 2011),
l’image de la femme devant l’ordinateur est
dévalorisée, l’informatique apparaissant socialement comme
une affaire d’homme, alors que dès le lycée les jeunes
filles ne souscrivent pas aux stéréotypes selon lesquels elles
seraient moins habiles à utiliser l’ordinateur (Baron et al., 2010).
Dans notre enquête sur les 2 862 des participants du secondaire
comportant 58 % de femmes et 42 % d’hommes, nous observons
qu’un certain nombre de comportements déclarés
diffèrent de façon significative entre hommes et
femmes4. Un premier exemple concerne l’utilisation
d’Internet dans la préparation de la classe, où, comme le
montre la figure 1 ci-après, les hommes déclarent de façon
significative plus souvent que les femmes, ne jamais utiliser Internet dans la
préparation de la classe (correspondant à 0 sur
l’échelle des réponses). Ils sont également en
dessous de l’effectif théorique attendu (noté
« Eth » dans le tableau5) dans la modalité
de réponse correspondant au niveau de recours à Internet le plus
élevé (5 sur l’échelle des réponses). Ceci
confirme la tendance observée d’une minoration dans la
représentation que les hommes ont quant à leur utilisation
d’Internet pour la préparation de la classe.
Figure 1 • Sexe / Utilisation de
l’Internet pour la préparation de la classe
Le comportement des femmes et des hommes diffère encore dans la
création de sites personnels et de blogues (figure 2), pratiques en ligne
que les femmes déclarent bien moins souvent que les hommes, et cela de
façon très significative.
Figure 2 • Sexe / Possession
d’un blogue ou d’un site Internet personnel
Une autre distinction apparaît dans la prise de parole sur les forums,
que la figure 3 fait apparaître. Les comportements déclarés
des hommes et des femmes diffèrent là encore de façon significative, voire très significative, les hommes
étant des intervenants beaucoup plus actifs que les femmes. Ce
résultat ne peut pas être étendu aux réseaux sociaux
en général où on observe des comportements certes
différents mais pas seulement d’un point de vue quantitatif (Lebrun et Lacelle, 2012).
Notons cependant que, si les effectifs de femmes se situent en règle
générale au-dessous de l’effectif théorique
(correspondant à l’indépendance), il n’en est pas
ainsi pour la tranche d’âge des moins de 32 ans (voir
annexe6 1).
Figure 3 • Sexe / Prise de parole
sur des forums
Si l’on observe les usages des TIC de façon plus
générale, ces différences de comportement entre femmes et
hommes sont confirmées par les déclarations relatives au
degré d’expertise sur une échelle allant de 1 (faible)
à 6 (fort) en ce qui concerne les tableurs, les logiciels de
présentation, les photos, les vidéos et les jeux : pour
chacun de ces outils, une différence très significative est
observée (annexe 2). On trouve cette différence très
significative entre déclarations des hommes et des femmes d’une
part dans les valeurs élevées des échelles (5 et 6),
où les hommes se déclarent davantage experts alors que les femmes
y sont sous-représentées, d’autre part dans les valeurs
faibles de l’échelle (1 et 2), que les femmes choisissent davantage
et où les hommes sont sous-représentés. Ces relations
s’observent quelle que soit la tranche d’âge, à
l’exception de la maîtrise de la vidéo et des photos
où la part de la population se situant dans le premier tiers des classes
d’âge est de manière très significative surreprésentée du côté de l’expertise
avancée. Le traitement de texte fait figure à part (annexe
3) : bien que la différence des comportements déclarés
entre hommes et femmes y soit significative, elle est sensiblement moins
marquée que dans les autres types de pratiques. C’est en examinant
l’influence de l’âge (et ce quel que soit le sexe) que
l’on voit ici se dessiner des différences. C’est ainsi que,
alors que les moins de 30 ans se déclarent au niveau le plus
élevé d’expertise (le niveau 6) de façon significative, les plus de 50 ans se déclarent de façon très significative dans les niveaux moins élevés de
maîtrise (2, 3 et 4), tout en étant sous-représentés
au niveau le plus élevé (6).
Il est enfin intéressant de noter que l’usage d’Internet
– désigné de façon générale – est
le seul instrument (à l’exception du traitement de texte) où
la différence entre hommes et femmes est peu significative (p >
10 %). Cette absence de différence marquée ne résiste
pas dès l’instant où l’on observe des fonctionnements
d’outil de manière plus spécifique. À titre
d’exemple, pour le fonctionnement des moteurs de recherche, le patron de
la différence entre hommes et femmes ressort. Chez les femmes on note une
sous-représentativité très significative de celles
qui déclarent comprendre comment les moteurs de recherche
hiérarchisent les résultats et une
sur-représentativité équivalente de celles qui affirment
n’avoir pas ou peu d’idées à ce sujet. Chez les
hommes, on observe une fois de plus de façon symétrique les
relations inverses (annexe 3). Si toutefois on introduit la variable âge
dans l’analyse, on constate que davantage de femmes plus jeunes
déclarent connaître le fonctionnement des moteurs de recherche et
rejoignent la position des hommes. Ainsi, nos résultats confirment
globalement ceux de Le Douarin (Le Douarin, 2004) obtenus avec une méthode qualitative : bien que des contrastes
demeurent, les déclarations des femmes sur leurs compétences dans
l’usage des ordinateurs nuancent les stéréotypes
« essentialistes » masculin / féminin dans leurs
rapports avec les techniques, en particulier chez les plus jeunes. On pourrait
nuancer la portée de nos résultats en tenant compte du fait que,
concernant l’informatique et ses usages, les femmes ont tendance à
se sous-estimer si on se fie à des enquêtes
antérieures au WEB 2.0 (Makrakis, 1993) ; (Sacks et al., 1994) ; (Shashaani, 1994),
mais cela semble moins vrai aujourd’hui, en particulier dans les
situations où il y a un enjeu dans l’usage (Kobila, 2009).
3.5. Que font les élèves sur Internet pour leur travail
scolaire ? Regards divergents
Cette question a fait l’objet d’une question ouverte et a
recueilli un taux de réponse de 83 %, soit 2 381
réponses (la question était formulée de la façon
suivante : « Pourriez-vous dire en quelques mots ce que vous
pensez que les élèves font majoritairement avec Internet dans leur
travail scolaire ? » ; 2097 réponses ont été
retenues pour l’analyse qualitative, les 284 réponses restantes ont
été écartées à cause de leur
incohérence ou de leur ambiguïté). Le résultat le plus
important et en même temps le plus évident de l’analyse des
réponses à cette question est que les élèves font de
la recherche d’informations, ce qui apparaît comme l’usage
d’Internet le plus cité (on trouve 1 457 occurrences de la
forme « recherche »). Une divergence remarquable et moins
attendue est cependant apparue après une analyse de contenu par
repérage de catégories de réponses : le constat
d’un partage de l’échantillon entre deux
« pôles » majeurs, qui cette fois ne sont
déterminés ni par le sexe ni par l’âge.
Le premier pôle est représenté par 48,1 % des
réponses, qui suggèrent que les élèves
réalisent un « évitement du travail » quand
ils vont sur Internet (« ils vont chercher les réponses aux
devoirs de maison pour éviter de se fatiguer » ;
« Seuls : du “copier-coller”. Essayer de trouver la
correction du devoir à faire. Traduire mot à mot. Chercher le
résumé du livre à lire... Au CDI, dans le cadre d’un
cours, quelques recherches utiles. »). Cet évitement du travail
se traduit majoritairement par l’usage de l’expression
« copier-coller », qui apparaît 512 fois. Toutefois,
un nouveau venu dans le paysage des usages décriés
d’Internet semble être la fonction de traduction proposée par
certains sites : cet usage est cité 156 fois. Si on compare ce
nombre avec celui du copier-coller (512), on peut en effet voir apparaître
là ce qui semble être perçu par les enseignants comme
l’un des nouveaux usages potentiellement mauvais d’Internet, ce qui
est vérifié par le sens des unités de contexte
élémentaires dans lesquelles le mot
« traduction » est présent (« La traduction
automatique dans ma matière s’ils ont des recherches à
effectuer. Ils refusent majoritairement l’effort de lire le texte
directement dans la langue de départ » ;
« Très peu de choses : au mieux une recherche
précise “guidée” par l’enseignant qui leur
propose de rechercher une info ou visualiser une vidéo sur un site
précis. Au pire, en langue étrangère, des traductions
incertaines et maladroites à l’aide de traducteurs
automatiques. »).
L’autre polarité qui se dégage est
représentée par 36,9 % des réponses, qui
considèrent que les élèves réalisent un
« travail réel et intéressant » avec Internet
(« en classe : internet est un outil dont on apprend à se
servir, notamment pour rechercher de l’information sur les entreprises,
l’économie, le droit, etc. ; chez eux : pas beaucoup plus
de curiosité qu’avec d’autres supports
(magazines...) » ; « approfondir ce qui a
été fait en classe »). Ce type de réponse est
cependant souvent nuancé par l’idée d’un apprentissage
indispensable et le fait qu’un bon usage d’Internet n’est pas
l’apanage de n’importe quel élève et qu’il faut
être bon et savoir l’utiliser (« s’ils sont curieux,
c’est un outil formidable, s’ils sont “paresseux” et de
niveau moyen, c’est [tout le contraire d’un outil] : le
“copié” fait qu’ils ne réfléchissent plus
personnellement et le “collé” fait qu’ils ne savent
plus écrire en français. »).
Une part nettement plus faible des enseignants ayant répondu à
cette question ouverte (7,9 %) y voit principalement un dispositif de
divertissement (« ils s’évadent »), mais on lit
aussi « Ils jouent ou ils piratent,
évidemment ! ! ! Ou alors, ils regardent des films de c...
ou exposent leur mal-être d’ado à la face du monde, via MSN
ou des blogs ! ! ! Car ça sert surtout à
ça... Et on se leurre d’en faire la panacée ou
je-ne-sais-quoi de miraculeux. ». Enfin, alors que 5,3 % des
réponses identifient un manque d’approfondissement (« ils
zappent et surfent sans critique », ou encore « ils
impriment des pages qu’ils ne lisent pas avec le sentiment d’avoir
produit un travail très approfondi »), une très faible
minorité (1,8 %) décèle plutôt dans
l’utilisation d’Internet par les élèves un manque
d’efficacité (« Dans leur travail scolaire ? Si on
les laisse faire : du copier/coller ! Peu d’entre eux savent
rechercher, trier, filtrer, hiérarchiser l’information... et la
transformer en “connaissance”. Ils savent chercher et trouver, au
premier niveau de l’acte » ; ou encore
« D’une manière générale si beaucoup
d’élèves savent utiliser internet, ils ne savent pas (ou
mal) l’utiliser pour approfondir leurs connaissances, il en est de
même pour les adultes »). Parmi ces derniers, quelques-uns
notent un manque d’apprentissage (« Pour le moment leur
utilisation d’internet n’est pas très efficace »,
ou encore « Ils apprennent. Ils apprennent que le copier-coller
c’est pas efficace pour avoir de bonnes notes, et ils apprennent à
reformuler, résumer, synthétiser plusieurs documents, ce qui les
fait apprendre malgré eux. »). À l’échelle
de l’ensemble des répondants à cette question le rôle
de l’enseignant et la place d’un apprentissage ne sont cependant que
très rarement évoqués. On voit se dégager deux
grandes tendances contrastées de l’opinion : ceux qui pensent
que l’évitement du travail est majoritaire (pôle dominant) et
ceux qui y voient un travail réel intéressant.
Cette polarité d’opinion semble faire écho à ce
que Zaffran (Zaffran, 2001) montre de la temporalité des collégiens hors école :
« Il s’agit pour eux d’opter soit pour un principe de
renforcement de l’ethos scolaire par la contraction du temps mort et la
conversion du temps libre en temps productif, soit un principe de dilapidation
du temps libre ».
En revanche, ces prises de position tranchées ne rendent pas raison
des multiples comportements d’usage, parfois cumulés chez le
même élève, que relèvent Le Douarin et
Delaunay-Téterel (Le Douarin et Delaunay-Téterel, 2011) :
« Certains lycéens “ font des coups ” de temps en
temps, d’autres exploitent le net pour faire face à la pression
tout en ayant conscience des risques qu’ils prennent. Il n’y aurait
pas non plus d’un côté des “ pluriactifs ”
adeptes du principe de cumul qui emploieraient à bon escient le net
scolaire et, de l’autre, des “ fumistes ”, adeptes de la
culture des écrans et partisans du moindre effort ». Notons que
la pratique du copier-coller, si elle est pointée de manière
uniquement négative par les enseignants, c’est peut-être
qu’ils n’ont pas encore pensé à la solliciter dans le
cas d’études contrastives entre plusieurs sources.
On peut à ce stade s’interroger sur ce qui peut influencer de
telles perceptions des usages que les élèves font de
l’Internet. Si ni l’âge, ni le sexe, ni le niveau
d’expertise déclaré, n’apparaissent à
première vue comme des variables déterminantes, l’influence
du domaine disciplinaire peut être étudiée. On
découvre ainsi (sans hypothèse a priori) des différences
significatives voire très significatives en fonction des domaines
disciplinaires. Comme le montre le tableau 1 (voir aussi l’annexe 5), les
enseignants du domaine littéraire ainsi que les documentalistes tendent
à voir l’activité des élèves avec Internet de
manière très significative comme un
« évitement du travail », alors que les enseignants
du domaine scientifique (de façon significative), ainsi que de
celui de la technologie et du tertiaire (de façon très
significative), considèrent davantage que les élèves
font avec Internet un « travail réel et
intéressant ».
Tableau 1 • Lien entre la
perception de l’Internet dans le travail scolaire et la discipline
enseignée
Il nous reste à poser la question de l’influence de
l’âge à l’intérieur de chaque domaine
disciplinaire. C’est là que nous découvrons que la tranche
d’âge des 31 à 40 ans7 influence de manière significative le clivage entre « évitement du
travail » et « travail réel et
intéressant » en faveur de cette dernière
polarité, les autres tranches d’âge n’apportant aucune
sur-représentativité ou sous-représentativité dans
la distribution des réponses. Peut-on encore affiner ce profil ? On
trouve alors que la variable déterminante à
l’intérieur de cette tranche d’âge, et uniquement pour
les domaines scientifiques et technologiques, est encore celle du genre :
les femmes entre 31 et 40 ans s’y affirmant de façon très
significative (domaine scientifique) et de façon significative (domaine technologique) pour une perception de l’Internet dans le travail
scolaire comme un « travail réel et
intéressant ».
Cette sous-population féminine a en moyenne 9 années
d’ancienneté, elle ne sort donc pas tout juste de sa formation
universitaire et elle a connu les débuts de l’Internet. Que nous
encourage-t-elle à penser ? Elle nous montre une attitude qui
mettrait en question la vision maintenant courante des femmes qui
manifesteraient une certaine retenue vis-à-vis des technologies de la
communication comme le mettait déjà en évidence Jouët
en 2000 dans le cadre de la sociologie des usages : « de fait, si
les femmes et les filles utilisent les TIC, leur appropriation paraît plus
circonscrite : moindre connaissance du contenu de la technique,
prédominance des usages fonctionnels, réticence à
s’adonner pleinement au dialogue avec la machine » (Jouët, 2000).
Elle confirmerait ainsi ce que Jouët suggérait en 2003,
« que les relations entre les technologies de communication et le
genre sont évolutives et ouvertes car elles s’inscrivent dans la
dynamique de l’innovation technique et de l’innovation
sociale » (Jouët, 2003).
Cette sous-population questionne aussi la vision des effets de
génération dans les types d’usage et dans la nature de la
perception des TIC, reconnaissant généralement dans la
« génération Y » (dans laquelle notre
sous-population a au moins un pied : 31-40 ans), une population dont les
usages d’Internet iraient plus facilement de soi et ne seraient pas
questionnés (on retrouve l’idée d’une
alphabétisation informatique selon l’âge des enseignants par
exemple chez Schumacher et Coen (Schumacher et Coen, 2008).
Notre résultat corrobore ce que Heer et Akhari (Heer et Akkari, 2006) observent quand ils constatent qu’il n’y a pas de différence
de fréquence d’utilisation des TIC entre les jeunes enseignants et
les plus âgés qui ont bénéficié d’une
formation initiale, ce qui s’expliquerait selon ces auteurs par le fait
que les jeunes enseignants ont des priorités autres que
l’intégration des TIC lors de leur première insertion
professionnelle. Par ailleurs, ils notent que peu de programmes de formation
initiale font des TIC une composante essentielle de leur curriculum :
« Même si la majorité des enseignants ont eu la
possibilité d’être formés par le biais de la formation
continue, le fait que les novices ne se distinguent pas par un usage plus
intensif des TIC devrait inciter les institutions de formation initiale à
revoir la place des TIC dans les programmes » (Heer et Akkari, 2006).
On retrouve ce type d’observation chez Larose, Grenon, Lenoir et Desbiens (Larose et al., 2007),
qui mettent en question la capacité des jeunes enseignants à
introduire de nouvelles pratiques pédagogiques et qui constatent en
s’appuyant sur différentes études internationales
« qu’on ne peut pas identifier de distinction à ce propos
entre les jeunes enseignants et leurs pairs plus chevronnés ».
Peut-on voir dans ce résultat quelque peu inattendu, le signe, aussi
faible et fragile fût-il, d’une évolution des usages
s’ancrant davantage au niveau des pratiques sociales et professionnelles,
que résultant des effets de la formation des maîtres ? Il
semble bien que c’est la confrontation avec le terrain qui encourage le
développement de nouvelles pratiques pédagogiques. Il n’y a
pas lieu alors d’attendre que les anciennes générations
d’enseignants laissent la place aux jeunes pour faire évoluer le
système éducatif. Comme le note Dioni (Dioni, 2008) on
ne peut pas parler de rupture générationnelle à propos du
rapport aux technologies des uns et des autres, les plus anciens ayant
« majoritairement de l’outil informatique une perception
beaucoup plus utilitaire et souvent ancrée dans une réalité
professionnelle ». La cohabitation des générations
actuellement actives dans l’enseignement n’est-elle pas une
situation inédite de confrontation de pratiques dont chaque
génération pourrait bénéficier ? Du point de
vue de l’analyse didactique dans laquelle nous inscrivons notre recherche,
cette situation apparaît bel et bien comme une condition favorable
à la diffusion de pratiques avec Internet dans un contexte scolaire, que
cela soit pour instrumenter les situations d’apprentissage ou pour former
les élèves à un usage raisonné d’Internet. Il
nous semble toutefois important que cette diffusion et instrumentation
continuent de faire l’objet de recherches, car c’est bien par la
description des pratiques telle que le préconise Sensevy (Sensevy, 2011),
que nous pouvons tendre vers plus d’intelligibilité des conduites
humaines pour en reconstituer le déroulement et ainsi faire progresser
leur enseignement et leur diffusion. Ces recherches dépassionneraient
ainsi le débat sur le rôle des enseignants dans
l’appropriation des usages didactiques de l’Internet par les
élèves, débat qui « anime
régulièrement plus souvent les médias que les salles des
professeurs » (Dioni, 2008), et
légitimeraient ces usages scolaires dans la société tout
entière.
Conclusion
Nous trouvons-nous aujourd’hui dans une
situation « d’abandon de poste » concernant
l’enseignement de l’Internet et avec Internet ? Un tel
enseignement serait-il regardé comme quasi impossible ? C’est
ce que suggérait cette réponse de l’un des
enquêtés : « Plus l’usage d’Internet en
milieu scolaire se répand, moins les élèves
l’utilisent à bon escient ; il est impossible de leur
enseigner de bonnes pratiques, dans la mesure où ils pensent, au travers
de leur usage privé, maîtriser la technique. » En
réalité, il nous semble que de telles conclusions seraient pour le
moins prématurées. Même si on peut s’accorder avec
Fluckiger (Fluckiger, 2008) quand il affirme que « l’école peine à jouer un
rôle dans la légitimation des pratiques culturelles
numériques », à notre sens, le temps n’a pas
encore suffisamment passé – au niveau de l’école comme
au niveau de la société – pour que se soient
créées et soient reconnues largement de « bonnes
pratiques » (Ladage et Chevallard, 2011) et, plus généralement, pour que l’école dispose
d’une « doctrine » élaborée,
débattue, contrôlée et bien diffusée en la
matière auprès de ses acteurs. Les enseignants se plaignent ainsi
que les élèves iraient glaner sur Internet des
« réponses toutes faites » aux questions qu’ils
leur posent ; mais la chose n’est-elle pas rendue possible par le
fait que les questions des enseignants sont elles-mêmes « toutes
faites » ? À cet égard, l’Internet
n’est-il pas moins une cause qu’un révélateur –
un analyseur, même – du rapport scolaire traditionnel,
partagé ordinairement par les élèves et leurs enseignants,
à la connaissance et à l’ignorance, et donc aux
« ressources » utiles pour chasser l’ignorance et
construire la connaissance ? Les résultats de notre enquête
peuvent être ainsi interprétés en un sens dynamique. Alors
que, chez certains enseignants, le poids des pratiques scolaires anciennes rend
méfiant et détermine des comportements conservateurs, une part
suffisamment importante d’entre eux reconnaît
l’intérêt de l’Internet et des TIC. On peut donc
affirmer que le processus d’intégration de ces outils dans le
travail scolaire peut continuer et franchir les étapes probablement moins
vite que d’aucuns ne l’imaginent ou ne l’espèrent
conduisant à une maturité épistémologique,
didactique et culturelle qui nous semble désormais possible.
1 Les TIC recouvrent un nombre très important
d’outils allant du très général (Internet, par
exemple) au très spécialisé (simulateurs, par exemple), cet
acronyme est commode dans la communication, mais ne rend pas compte de la
diversité et de l’évolutivité des pratiques
liées aux outils. Les plus récents textes officiels parlent
davantage d’outils numériques pour l’enseignement. Nous ne
considérons donc pas les TIC comme un outil unique et figé. De la
même manière parler d’Internet aujourd’hui ne peut plus
se faire de façon générale devant la multiplicité
des applications et la variété des usages qui en sont fait. Dans
cet article nous interrogeons plus particulièrement les effets de
l’accès aux ressources que l’Internet permet dans et hors du
cadre scolaire que ça soit pour les élèves ou pour les
enseignants.
2 Voir à ce sujet la page
« Actualités » du site du ministère de
l’éducation nationale
http://www.education.gouv.fr/cid66812/projet-de-loi-pour-la-refondation-de-l-ecole-une-ecole-juste-pour-tous-et-exigeante-pour-chacun.html.
3 On peut penser que l’utilisation du mailing
académique comme simple passerelle vers notre lien Internet pourrait
constituer un échantillonnage invisible parmi la population des
enseignants en termes de « profil » vis-à-vis de leur rapport
privé avec l’institution, en particulier dans leur rapport avec
l’autorité. Toutefois, notre courrier pointant le caractère
totalement indépendant de notre enquête laisse à penser que
les répondants ont participé sans pression ni influence majeures,
ce qui sera confirmé par le libre ton parfois très critique des
réponses aux questions ouvertes. Un envoi similaire concernait les
enseignants du primaire et les personnels d’encadrement, mais nous
réduirons pour ce travail notre échantillon aux seuls enseignants
du secondaire.
4 Ont été écarté pour des
problèmes de cohérence des réponses manifestant soit de
l’inattention sur des variables qualitatives (âge incohérent,
durée de service incohérent, genre non renseigné...), soit
des propos hors sujet en réponse aux questions ouvertes. Sans parler de
biais, on peut dire que le caractère déclaratif de ce genre de
méthode tempère la portée des résultats.
5 Les tableaux présentés dans cet article incluent
une colonne intitulée « Eth », ce qui signifie
« écart à l’effectif théorique »
dans le cadre du calcul du chi2 réalisé.
6 Les annexes ainsi que les données associées
à l’article sont accessibles via le lien permanent
(Datapublication.org : Tge-adonis.fr.)
http://hdl.datapublication.org/11107/d-001-108.
7 Cette tranche d’âge de 31 à 40 ans est la
deuxième d’un regroupement en 4 classes d’âge et
comprend 600 répondants. La sous-population de sexe féminin est
constituée de 366 personnes, dont 79 du domaine scientifique et 49 du
domaine de la technologie et du tertiaire, correspondant à 35 % de ce
sous-groupe féminin (voir le tableau en annexe 4).
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A
propos des auteurs
Caroline LADAGE est maître de conférences
à l’université Aix-Marseille en sciences de
l’éducation. Elle assure la coordination de la formation à
distance de l’UFR lettres et sciences humaines. Ses recherches portent,
depuis plus d'une dizaine d'années, sur les questions de didactique de la
recherche d’information associée à la pédagogie de
l’enquête. Elles s'inscrivent à l'articulation entre
l'informatique, les sciences de l'éducation (et plus
particulièrement la didactique) et les sciences de l'information et de la
communication. Elles couvrent des questions de didactique de l’Internet et
du Web ainsi que les questions de didactique spécifiques à la
formation à distance.
Université de Provence, Département des sciences de
l’éducation, 1, av de Verdun, 13410 Lambesc
Courriel : Caroline.Ladage@univ-amu.fr
Toile : http://ladage.wordpress.com/
Jean RAVESTEIN est Professeur des Universités. Il
est directeur adjoint de l'EA mixte ADEF / IFE et dirige un master recherche en
Sciences de l'Education. Ses travaux dans le domaine des TICE portent sur le
processus de catachrèse outils-instruments dans les institutions
éducatives et de formation. En particulier, ses travaux actuels sont
consacrés à l’usage des TIC par les enseignants ainsi que
sur les jeux sérieux.
Adresse : Université de Provence,
1 avenue de Verdun, 13410 Lambesc
Courriel : jean.ravestein@univ-amu.fr
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