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Des interactions sociales en formation universitaire à
distance, Une approche microsociologique exploratoire et
inférentielle
Jean-Claude REGNIER*, Annick
PRADEAU**
*Université
de Lyon UMR 5191 ICAR, **Université de
Rouen)
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RÉSUMÉ : Dans
cet article, nous nous intéressons à l’organisation des
interactions sociales dans un dispositif de formation universitaire en ligne.
Les hypothèses présument que, malgré la distance entre les
étudiants, les interactions sont riches et structurées. Les
contraintes techniques et les caractéristiques spatio-temporelles
influent sur les acteurs qui agissent sur l’organisation sociale. Le champ
théorique est celui de la sociologie interactionniste d’Erving
Goffman. La méthodologie consiste à observer les traces des
échanges entre six étudiants engagés dans un apprentissage
collaboratif sur un forum de discussion du campus numérique FORSE. La
dimension exploratoire est complétée d’une démarche
inférentielle consistant à examiner les concepts goffmaniens pour
considérer leur congruence au champ spécifique des interactions
sans coprésence physique. Nous proposons d’assimiler cet
environnement numérique à un nouveau cadre de
l’expérience où s’instaure un ordre interactionnel
qu’il s’agit de mieux comprendre.
MOTS CLÉS : Interactions
sociales, apprentissage collaboratif, campus numérique, forum de
discussion, sociologie interactionniste |
|
ABSTRACT : This
paper focuses on the organization of social interaction in an online training of
university students. It was supposed that despite the distance between students,
mutual interactions are rich and structured. Technical constraints and
spatio-temporal characteristics influence on participants who participate in
social interaction. The theoretical framework of this study is based on the
theory of Erving Goffman. The traces of exchanges between six students engaged
in collaborative learning on a forum for discussion of FORSE campus were
observed. The exploratory dimension is complemented by an inferential process of
reviewing the Goffmanian concepts to consider matching of specific field of
interaction without physical copresence of participants. We propose to treat
this digital environment to a new frame of experience where an interactional
order is established which is better understood.
KEYWORDS : Social
interactions, collaborative learning, digital campus, electronic discussion
group, inter-actionist sociology |
1. Introduction
Internet
représente un immense territoire en expansion
accélérée (Levy, 1997) qui
soulève des questions d'ordre sociétal. La réalité
est augmentée d’un nouvel état du réel (Quéau, 2000),
qui offre des moyens d’échanges inédits. Ces
évolutions ne sont pas sans incidences sur le monde de
l’éducation. Notre propos s'intéresse à la question
de l’organisation sociale dans le contexte particulier d’une
formation universitaire en ligne que nous avons abordée dans le cadre de
travaux scientifiques universitaires (Pradeau, 2009).
Parmi diverses questions, nous proposons d’interroger l’organisation
des relations qui s’établissent entre les étudiants
travaillant en groupe dans le cadre d’un cours, en l’occurrence de
statistique et méthodes qualitatives et quantitatives au niveau du
diplôme de Master 1 en sciences de l’éducation. Nous
sommes partis du présupposé que les interactions sont riches et
structurées, et que les contraintes techniques et spatio-temporelles ont
des effets conséquents sur les pratiques sociales mêmes. Dans une
seconde étape faisant suite à celle-ci dont nous ne rendrons pas
compte ici, nous nous sommes engagés dans l’identification et la
mesure des effets des interactions produites au sein des situations
organisées par cette ingénierie pédagogique sur la
conceptualisation en statistique et les performances des sujets. Nous nous
limitons à aborder ces interactions entre pairs en nous appuyant sur
quelques concepts théoriques développés par le sociologue
Erving Goffman. Notre choix méthodologique a été de mener
une observation de type naturaliste des messages enregistrés sur un forum
de discussion dédié à un groupe de six étudiants
participant à un travail collaboratif à visée formative et
évaluative sur le campus numérique
FORSE1. Comment s'organise cette
petite unité sociale agissant et apprenant sans coprésence
physique et quelles en sont les caractéristiques ? Rendre visible et
lisible ce que ces apprenants échangent sans se voir, participe
d’une meilleure connaissance de l’organisation de leurs interactions
et d’une certaine manière d’une meilleure
compréhension des conditions d’efficience d’une situation
d’enseignement et d’apprentissage en ligne. L’importance de la
dimension sociale dans un contexte d’apprentissage est une notion
ancienne, largement développée par les théories
socio-constructivistes. Ainsi les travaux conduits dans les années 70-80,
sur le concept de conflit socio-cognitif (Perret-Clermont, 1986) ont mis en évidence la dimension sociale du développement de
l’intelligence et le rôle des interactions dans le
développement cognitif individuel. La situation pédagogique que
nous prenons comme base d’observation a d’ailleurs été
construite par l’enseignant responsable de ce cours à partir de ce
présupposé théorique (voir fiche pédagogique
présentée en annexe). Plus généralement nous pouvons
affirmer que la question du travail en groupe pour apprendre se trouve
actualisée par la multiplication des espaces virtuels de formation.
L’espace d’échanges étudié, un forum de
discussion, se constitue en un lieu de formalisation et de conservation des
interactions, qu'il s’est agi d’observer, qualifier et quantifier
pour tenter de comprendre ce qui se joue dans cet espace de formation.
2. Cadre conceptuel : microsociologie et apprentissage à
distance
Le choix d’un point
de vue théorique est une nécessité qui nous conduit
à privilégier celui proposé par Erving Goffman (1922-1982)
pour lequel l’échange entre deux individus est
considéré comme la relation sociale la plus
élémentaire.
2.1. Les interactions sociales selon le point de vue de Erving Goffman
Grâce
à un regard microsociologique porté à
l’intérieur des situations sociales, cet explorateur des situations
ordinaires a construit une sorte de "grammaire de l’interaction" (Blandin, 2004) (p.362). Il définissait les contacts entre des personnes "comme toute
occasion où un individu parvient à la portée de la
réponse d’un autre, que ce soit par coprésence physique, par
connexion téléphonique ou par échange épistolaire" (Goffman, 1988) (p.202). Cette définition confirme le sens qu’il donne au contact social, qu’il lie avant tout à la possible
réponse de l’autre, nuançant ainsi l’idée
d’une nécessaire coprésence immédiate. S'il avait
vécu le développement d’Internet des années 90, il
aurait sans doute pu étendre ses recherches aux communications par
messagerie électronique ou forum de discussion. Dans sa vision du monde,
le sujet et la structure sont intimement reliés par l’interaction,
qui tout à la fois individualise et socialise (Bonicco, 2007) (p.31). Il établit ainsi la jonction entre le "micro" et le "macro"
postulant que l’étude des interactions au sein d’un petit
groupe permet d’appréhender la société tout
entière (Winkin, 2001) (p.123). Il s’est attaché dans toute son œuvre à poser
une loupe sur les détails de la vie sociale (Bonicco, 2007) (p.48) en demeurant au plus près de l’expérience
individuelle, en s’intéressant à ce que font les acteurs
plutôt qu’à ce qu’ils pensent ou disent penser.
Goffman a théorisé l’interaction en développant
une série de concepts originaux utilisant une terminologie dramaturgique
: acteur, rôle, décor, masque, scène, coulisses,
représentation, interprétation, mise en scène, etc. (Goffman, 1973a).
Dans toute rencontre, directe ou médiatisée, l’individu
extériorise un certain nombre d’actes qui donnent une
interprétation de lui-même. La face est le masque que
présente l’acteur social à ses partenaires dans
l’interaction. Cette image est conditionnée par ce que
l’autre attend dans la situation du moment. Pour analyser les situations
sociales, il définit des régions, la scène et les coulisses (Goffman, 1973a) (p.131), dans lesquelles l’acteur serait plus ou moins exposé au
regard ou à la présence des autres. Ce partage physique entre les
espaces de représentation détermine la façon dont chaque
rôle est joué par les personnes en interactions. En changeant de
lieu un individu modifie ses attitudes et actions en fonction du nouveau cadre
de son expérience. Sociologue mais aussi linguiste, Goffman s’est
en outre intéressé à la conversation comme modèle de
l’interaction. Il différencie les échanges
confirmatifs et les échanges réparateurs (Goffman, 1973b) (p.74). Les premiers visent à entretenir ou à confirmer une
relation établie. L'exemple le plus courant en est l'échange de
salutations. Les seconds servent à restaurer l'équilibre
interactionnel lorsqu'il est mis en péril par un acteur (Joseph, 1998) (p.109).
Selon Goffman, une équipe est "un ensemble de personnes dont la
coopération très étroite est indispensable au maintien
d’une définition donnée de la situation" (Goffman, 1973a) (p.102). De même que l’individu, l’équipe est en
représentation. Une relation d’interdépendance se
crée entre ses membres, chacun devant faire confiance aux autres quant
à leur bonne conduite pour le maintien de l’ordre interactionnel en
cours. Il évoque la tendance dans une équipe à la
création de liens de familiarité et de loyauté de chacun
envers ses équipiers (Goffman, 1973a) (p.84). Cette obligation sociale de marquer son engagement peut varier pour
chacun des acteurs selon ses obligations sur d’autres scènes (Joseph, 1998) (p.123).
Nous avons présenté quelques concepts théoriques
extraits des écrits d’Erving Goffman et d'auteurs qui ont
analysé son oeuvre. Nous allons maintenant aborder la notion de formation
à distance à l’heure des Technologies de l’Information
et de la Communication (TIC) en présentant certaines de ses
spécificités.
2.2. La formation à distance et les technologies de
l’information et de la communication
Aussi
ancienne que l’invention du timbre poste (1840), la formation à
distance (FAD) s’est transformée au gré des
évolutions technologiques. Internet facilite la mise en relation
d'individus ou groupes éloignés géographiquement. Les
organismes de formation ont ainsi pu étendre leurs prestations à
ce nouvel espace dans un processus de migration d’un modèle
basé sur le télé-enseignement avec des cours papiers vers
un dispositif en ligne, comme ce fut le cas pour le campus FORSE (Wallet, 2007) (p.9). Le progrès technique s'accompagne d'une modification des pratiques
sociales, avec en particulier la multiplication des réseaux sociaux. Des
pages statiques aux pages dynamiques, l’usage de l’Internet
s’est orienté vers des supports et des pratiques où la
notion d’interaction prend tout son sens. L’internaute n’est
plus un simple spectateur mais il devient acteur, interagissant avec
d’autres utilisateurs et échangeant toutes sortes de
données. Le passage de la connexion technologique à la
communication humaine ne va cependant pas de soi, et être
interconnectés ne signifie pas nécessairement être en
relation (Wolton, 2000) (p.107).
Les faits d’éducation ne peuvent échapper à ces
évolutions techniques et sociales. En France, au début des
années 2000, plusieurs appels à projets des Ministères de
l’Education et de la Recherche conduisent au développement et
à la labellisation de campus numériques (Averouz et Touzot, 2002), (Fichez, 2006).
Des formations hybrides mixent des temps de formation en face-à-face et
à distance, considérant ces modalités d’enseignement
et d’apprentissage comme complémentaires et non antagoniques (Glikman, 2002).
Le Campus numérique FORSE est l’un de ces campus labellisés
en réponse à l’appel à projets "campus
numériques" de 2001. En 2002, le troisième appel à projet
concernant les campus numériques se complète d’une
proposition de création d’Environnements Numériques de
Travail (ENT) qui permettent, par le biais de dispositifs techniques, de mettre
de nouveaux services à disposition des acteurs de ces campus. Les ENT se
matérialisent par des plates-formes où sont regroupés les
outils et ressources pédagogiques nécessaires à leurs
utilisateurs. Selon Audran, "le principe de ces plates-formes doit être
non de présenter des contenus, mais de créer des "situations"
propres à déclencher les interactions /.../ Interagir avec des
personnes qui sont hors du champ de perception direct demande un apprentissage
qui ne va pas de soi" (Audran, 2006) (p.37). Ces ENT ne correspondent donc pas seulement à l’extension
de modalités de formation existantes mais permettent la construction
d’un nouveau modèle de relations sociales entre les
différents acteurs de la formation universitaire, tant des enseignants et
des apprenants que des personnels administratifs et techniques. Le campus ne se
trouve plus dans un espace géographique déterminé, mais sur
un serveur, dans l’état d’un espace numérique. Les
unités de lieu, de temps, d’action, qui caractérisent la
salle de classe dans l’enseignement traditionnel sont bouleversées (Glikman, 2002) et conduisent à une nécessaire redéfinition de
l’espace éducatif et de ses composants pédagogiques.
Des apprenants, situés dans des lieux géographiques
différents, peuvent se retrouver pour étudier ensemble sur un
même espace virtuel tel qu’un forum de discussion, défini par
Mangenot comme "un dispositif technique et un lieu d’interactions sociales
qui se caractérise par une communication écrite, asynchrone,
publique et structurée" (Mangenot, 2008).
Cette situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes apprennent ou essaient
d’apprendre ensemble (Dillenbourg, 1999) est étendue aux espaces virtuels de formation. C’est le cas du
campus FORSE dont le modèle pédagogique au niveau Master insiste
beaucoup sur le travail collaboratif (Wallet, 2007) (p.11), i.e. l’élaboration d’une production collective
en partageant des ressources par le biais d’espaces de communication
virtuels. La possibilité technique d’interagir n’est
cependant pas suffisante pour qu’une démarche d’apprentissage
soit efficiente. "Collaborer ne se décrète pas mais se
régule" (Wallet, 2004).
La structure et la qualité des échanges déterminent le
déroulement du processus de même que la prise en compte du versant
pédagogique. En effet, ces pratiques collaboratives en ligne restent
assez éloignées de celles vécues en face-à-face, ce
qui nécessite une adaptation de la part des différents acteurs et
le développement de compétences particulières (Bruillard, 2008).
"Travailler ou apprendre en groupe suppose de mobiliser un certain nombre de
compétences sociales, préalablement nécessaires à la
réalisation de la tâche et/ou susceptibles de se développer
tout au long de la situation collaborative" (Simeone et al., 2007).
Malgré la prolifération de vidéos et d’images sur
le Web, le rapport au texte écrit en langue naturelle reste une
préoccupation centrale au sein des campus numériques, comme dans
l’ensemble du secteur éducatif. Cette communication par
l'écrit limite les indices socio-émotifs et comportementaux
(regard, posture, voix,...) présents dans la relation en
face-à-face. Tholozan va jusqu’à considérer que
l’écrit informatique, souvent condensé, peut être
froid et doit être "humainement réchauffé" (Tholozan, 2004) (p.5). L’utilisation de codes spécifiques, tels que les
émoticônes (smileys) ou l’écriture en majuscule
pour renforcer le propos, permet de donner au message sa tonalité
émotionnelle visant à faciliter ainsi
l’interprétation du texte transmis. A ce mode de communication
spécifique s’ajoute une dimension temporelle car une grande partie
des échanges se fait sur des forums de discussion ou par messagerie
électronique, autrement dit sur un mode asynchrone. Par ailleurs, les
écrits, enregistrés sur le support numérique et
consultables à tout moment, sont comme une mémoire du groupe
d’acteurs. Pour Arino, nous assistons à la naissance d’une
nouvelle entité spatio-temporelle, un "nouveau territoire des
relations sociales", marqué par la complexité et par la
multiplication des cadres de l’expérience au sens
défini par Goffman (Arino, 2001).
L’enseignement traditionnel suppose la co-présence physique des
acteurs : enseignants et apprenants dans un même lieu. En formation
en ligne, cette proximité physique peut être inexistante, ou se
produire de manière ponctuelle, lors de regroupements dans les locaux de
l’université. Ce cadre de l’expérience modifie
la perception de l’autre dans l’interaction. Jacquinot-Delaunay a
développé la notion de sentiment de présence perçu différemment suivant les individus, en soulignant que "la
présence physique est une des dimensions de la présence et
qu'il y a tout un éventail de présences qui vont de l'absence
totale à la coprésence" (Jacquinot-Delaunay, 2001).
La notion de distance, très subjective, serait avant tout une
construction mentale, un sentiment, sans doute sur un autre registre, mais du
même ordre que celui de présence (Blandin, 2004) (p.380). "L’étudiant à distance a pour première
caractéristique d’étudier" et la distance représente
une modalité particulière dans ce contexte d’apprentissage
et probablement pour certains étudiants une difficulté
supplémentaire pour suivre un cursus (Béziat et Wallet, 2007) (p.73). Se rendre visible et perceptible à distance est une façon
de s’incarner dans le cyberespace. L’interaction à distance
nécessite donc de multiplier les divers moyens de "véhiculer les
signes de la présence" (Weissberg, 2001).
Le renforcement de ce "sentiment de présence" est sans doute
nécessaire pour dépasser ce que Wolton a appelé les
"solitudes interactives" (Wolton, 2000) (p.106), et peut-être limiter le nombre particulièrement important
d’abandons dans les dispositifs de formation à distance.
3. Méthodologie : observation de type naturaliste d’un
forum de discussion
L’approche
méthodologique est plurielle, avec d’une part un versant
déductif dans le sens d'une vérification de l’aspect
structuré et ritualisé des interactions, et d’autre part un
versant inductif consistant à donner du sens à ce qui
émerge des données à la lumière des concepts
interactionnistes, d’autre part encore, un versant abductif, dans la
mesure où nous avons eu parfois recours à une sorte
d’intuition créative "creative insight", (Peirce, 1903, 2006) pour expliciter des hypothèses plausibles pour comprendre ou expliquer
certains phénomènes qui nous ont paru surprenants. Dans sa
proposition de classification des recherches sur les Technologies de
l’Information et de la Communication, Wallet considère que
"l’approche inductive se construit essentiellement par des observations de
pratiques des acteurs dans les lieux de formation ou par l’usage des
méthodologies quantitatives ou qualitatives inscrites dans les sciences
humaines" (Wallet, 2002).
Dans sa typologie des recherches sur les forums de discussion, Bruillard
évoque les études qui tirent partie des données
d’interaction que l’on peut "extraire et traiter, sans perturber les
communautés qui échangent" (Bruillard, 2005).
L’observation des traces disponibles focalisées sur
l’activité permet de comprendre ce qui se joue dans les
interactions afin que les enseignants et apprenants régulent au mieux les
activités censées favoriser les apprentissages (Bruillard, 2008) (p.57). Nous nous situons sur ce modèle exploratoire. Rappelons par
ailleurs que l’observation sur le terrain a été
largement valorisée par l’Ecole de Chicago dont Goffman, parmi
d’autres, a renouvelé le contenu empirique et théorique.
Pour rester sur ce registre, nous avons donc examiné les messages
enregistrés sur un forum de discussion, traces écrites
indicatrices des interactions entre les étudiants. Ce type de
données permet un rapprochement entre construction de données par
observation et analyse de contenu (Blanchet et al., 2000) (p.59). Cette forme d’observation a posteriori, et donc non
participante, peut éviter les effets induits par la présence de
l’observateur sur la situation observée, tout en sachant que
d’autres informations plus directement liées au vécu
dynamique de l’activité nous échappent. D’un autre
point de vue, nous pourrions considérer que les fichiers log ou
autres portant les traces des échanges via des connexions
numériques, constituent des documents dont l’analyse peut
être aidée par les techniques de l’analyse documentaire. Nous
conduisons cette analyse et recherche de sens dans notre cadre théorique
qui prend appui, comme nous l’avons présenté plus haut, sur
un domaine conceptuel développé par Goffman. Cette extension
d’une théorie existante à un champ plus large, ici les
interactions sociales en dehors d’une coprésence physique, est
définie par Van Der Maren comme une analyse inférentielle (Van Der Maren, 1995) (p.149).
Les données construites et présentées dans (Pradeau, 2009) (p. 95-150) sont extraites des traces laissées sur la plate-forme du
campus numérique FORSE. Le choix a été fait de focaliser
notre observation sur un forum de discussion proposé aux étudiants
d'une promotion de Master1 en Sciences de l’Education (année
2006-2007).
A ce niveau de la recherche, le corpus construit puis analysé est
constitué des messages échangés par un groupe comprenant
quatre étudiantes et deux étudiants participant à un
travail collaboratif dans le cadre d’un cours de
méthodologie : méthodes quantitatives, méthodes
qualitatives et statistique pour la recherche en sciences de
l’éducation. Le choix de cet échantillon est guidé
par le fait que les sujets offrent quelques caractéristiques
prototypiques au sens de (Rosch, 1975).
Comme nous le rapportons en annexe, une fiche-guide explicitait les objectifs et
les attentes pédagogiques. Cette fiche était communiquée et
commentée aux étudiants lors du regroupement de septembre par
l’enseignant2 responsable du
cours et le tuteur, animateur de plate-forme, chargé de superviser
l’organisation du travail de ce cours. Synthétiquement, il
s’agit de compléter la formation méthodologique acquise en
licence en particulier dans le domaine des méthodes quantitatives [A],
méthodes qualitatives [B] et de la statistique et d’aider à
la mise en lien des acquis méthodologiques dans le cadre de la recherche
conduite pour le mémoire de Master1 (Maîtrise). Pour atteindre cet
objectif, une situation problème est proposée autour d’un
thème global commun : la réussite scolaire, prétexte
à la mise en œuvre des outils et méthodes visées dans
la formation. Ce thème est décliné en quatre
sous-thèmes : Réussite scolaire et climat familial, genre,
travail en équipe pédagogique, classes sociales, à partir
desquels se sont constitués les 8 groupes parmi les 45 étudiants
inscrits dans la formation. Les tâches prescrites sont à la fois
d’ordre individuel et d’ordre collectif. Ces travaux sont
évalués et intégrés à
l’évaluation globale pour l’obtention du diplôme de
Maîtrise.
Nous avons extrait les traces enregistrées sur l’un des huit
forums dédiés aux groupes d’étudiants. Ces
données invoquées (Van Der Maren, 1995) ont ensuite fait l’objet d’une analyse de contenu.
L’anonymisation et le codage des données se sont
réalisés par l’attribution aux interactants de
prénoms fictifs dont les initiales correspondent au codage A, B, C, D, E,
F pour les 6 étudiants travaillant ensemble et G, H, I, pour les
intervenants extérieurs au groupe, soit Ariane, Bernard, Carole, Denise,
Emile, Fabienne et Geneviève, Hermine, Isidore. Pour transformer les
données brutes en données organisées, des
catégorisations par découpage du corpus initial ont permis
d’obtenir de nouvelles données. Les fils de discussion sont
codés "Dn". Le premier fil est ainsi intitulé D1, le dernier D56.
Sur le même principe, les messages isolés,
c’est-à-dire ceux qui n’ont pas obtenu de réponse,
sont codés "In". Dans chaque fil de discussion les messages sont
codés "Mn" où n est le numéro du message sur le forum. Par
exemple, nous avons noté D1M540 pour faire référence au
message intitulé 540 du premier fil de discussion. Des analyses mois par
mois ont permis des comparaisons entre les différents
éléments observés. Afin de dégager du sens du
contenu des messages, ainsi que pour en évaluer l’aspect
évolutif, nous avons procédé à une observation sur
trois périodes ainsi qu’à une catégorisation par
unité thématique (Bardin, 2007).
Chaque phase observée se déroulait sur une période de huit
jours en début, en milieu, puis en fin de session (sous-corpus P1, P2 et
P3). Pour chaque sous-corpus, le codage correspondant aux unités de sens
a été présenté sous forme de matrice des
données brutes, afin de faire apparaître la présence ou
l’absence d’un élément à des fins descriptives
et comparatives.
Cette observation d’un petit groupe d’étudiants est
reproductible. Multiplier ce type de démarche sur un même campus ou
sur des campus différents pourrait contribuer à faire
émerger des constantes ou particularités repérables au sein
de petites unités sociales engagées dans une situation
d’enseignement-apprentissage.
4. Premiers résultats de l’observation du forum
L'observation minutieuse
des données recueillies permet de faire les constats suivants :
- Sur un plan quantitatif :
• La session de travail collaboratif se déroule sur une
période de six mois et demi de septembre à avril (199 jours)
• Le corpus est constitué de trois cent trente neuf messages,
dont huit ont été déposés par trois étudiants
extérieurs au groupe de travail.
• Cinquante-six fils de discussion, correspondant à un message
initiateur et aux messages réponses qui lui succèdent, sont
comptabilisés durant la session. Les fils de discussion semblent se
dérouler comme des conversations, tandis que vingt-quatre messages
restent isolés.
• Le nombre de messages déposés par chaque
étudiant met en évidence une grande disparité :
Etudiants |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
H |
I |
Nbre de messages |
114 |
66 |
11 |
47 |
46 |
47 |
5 |
2 |
1 |
Tableau 1 : nombre de messages
déposés par étudiant (Pradeau, 2009) p. 39.
• 110 pièces jointes sont échangées sur le forum
(109 déposées par des étudiants du groupe et une par une
étudiante extérieure au groupe).
- Sur un plan qualitatif :
• Il existe des actions visibles, comme déposer des messages,
répondre à des messages, ajouter des pièces jointes. Les
traces de ces actions sont observables à tout moment car
mémorisées et constitutives du corpus analysé.
• Il existe aussi des actions non visibles, mais qui sont
évoquées dans le contenu des messages, comme les
références à des actions extérieures (e.g. se
téléphoner, rechercher des informations, se rencontrer sur un
espace virtuel pour un clavardage).
• La structuration des messages et des échanges est très
marquée : une partie des messages reste sans réponse, une autre
partie engage des fils de discussion qui sont eux aussi très
structurés.
• Le nombre d’interactions visibles est très variable au
cours de la session, avec des périodes d’activité intense
(mi-octobre et mi-janvier) et d’autres de fort ralentissement de
l’action, comme entre le 7 novembre et le 6 décembre, soit une
période d’un mois, où aucun message n’est
déposé sur le forum.
• Les messages sont à priori adressés à tous les
membres du groupe. Dans le cas contraire, l’émetteur précise
le destinataire particulier, soit dans la partie introductive, soit dans le
corps du message.
• Le contenu des messages apparaît très diversifié
avec des salutations, des échanges de connaissances en lien avec le cours
ou d’informations (aspect techniques, organisationnels, etc.), des
références à des événements extérieurs
(clavardages, appels téléphoniques, vie personnelle, etc.), des
aspects émotionnels avec en particulier des émoticônes qui
peuvent donner aux messages des tonalités affectives significatives.
4.1. Aspects structurels
Le
développement des forums est soumis à des contraintes techniques
qui déterminent leur ossature. La structure en arborescence est un
modèle habituel. Dans le cas du forum présenté dans cette
étude, il s’agit d’une structure sous forme de liste
indentée, c’est-à-dire que les messages s’accrochent
les uns aux autres pour chacun des fils de discussion. Différents onglets
ou boutons cliquables permettent des actions sur le forum. Les messages qui sont
des réponses sont intitulés "Re : titre du message initial". Cet
objet du message est lui aussi cliquable. Cette nouvelle action possible
participe à la création de la structure en arborescence. Des
boutons cliquables permettent d’offrir plusieurs possibilités
d’affichage comme le dépliage ou non des fils de discussion, la
mise en évidence des messages non lus, la présentation de
l'ensemble des messages par ordre chronologique de mise en ligne. Un forum peut
être privé ou public. Dans le cas présent, seuls les
étudiants inscrits dans la promotion de Master1 sur le campus FORSE ainsi
que les enseignants peuvent accéder au forum, voir les messages, les
consulter et en publier de nouveaux. Les espaces dédiés aux
différents groupes de travail collaboratif sont ouverts à tous les
étudiants de la promotion. Malgré cette possibilité, les
étudiants extérieurs au groupe n’y interviennent pas ou
très peu. En arrivant sur le forum, l’étudiant ne prend pas
connaissance de façon automatique du contenu des messages. Une
démarche volontaire est nécessaire. L’action
préalable à la lecture des contenus est l’ouverture du
message par un clic sur son objet. Ce mode de lecture par navigation induit
plusieurs chemins ou parcours de lecture possibles, et donc différents
accès aux informations contenues dans les messages. Un étudiant
qui ouvre et prend connaissance de tous les messages n’a pas le même
comportement interactionnel que celui qui n’en ouvre qu’une partie,
quelle qu’en soit la raison.
Cinquante-six (56) messages initiateurs démarrent des fils de
discussions. Le fait de déposer un message suppose en effet plusieurs
réactions possibles de la part des autres étudiants :
- soit aucune action lorsque l’arrivée d’un
message est constatée sans qu’il ne soit ouvert,
- soit une ouverture du message pour le lire mais sans y
répondre,
- soit une ouverture pour une lecture suivie de la rédaction
et l’envoi d’une réponse. L’expédition du
message peut être différée puisqu’il existe une
fonction permettant d’enregistrer un message comme "brouillon".
Le plus grand nombre de fils de discussion, comparativement aux messages
isolés, souligne la tendance globale à l’enchaînement
d’actions entre les différents participants. Dans la
majorité des cas, l’action de déposer un message
déclenche une autre action sur le même modèle, à
savoir l’émission d’un nouveau message. Sur les 339 messages
du forum, 259 sont des messages-réponses soit plus des trois quarts (76%,
du corpus initial). Les messages-réponses ne répondent pas
systématiquement au premier message, mais peuvent être une
réponse à un autre message-réponse. Chaque fil de
discussion s’inscrit dans une unité de temps définie par les
dates de publication du premier et du dernier message. Ce temps
d’interactions peut être très long, contrairement à un
échange en face-à-face qui se déroule dans le temps
immédiat. Un fil de discussion peut s’étaler sur quelques
minutes comme en D1, fil constitué de deux messages publiés
à 27 minutes d’intervalle. La valeur modale est de 16 jours, et une
extrême variabilité est constatée au fil des mois (Figure
1). La durée moyenne sur l’ensemble de la session est de 4 jours et
demi par discussion. Plusieurs discussions différentes peuvent avoir lieu
simultanément, ce qui n’est pas possible en face-à-face.
Figure 1 : Nombre de jours
par discussion durant la session (Pradeau, 2009) p. 46.
Une discussion est constituée d’au moins deux messages. La
valeur modale est de seize messages, avec une moyenne de six messages par fil
sur la totalité de la session. Une présentation
schématisée des échanges met en évidence une forme
globalement linéaire des discussions (Figure 2). Les messages d’une
discussion y sont représentés chronologiquement de gauche à
droite. Par exemple, en D1, Denise répond à Ariane.
Figure 2 :
Schématisation des fils de discussion (Pradeau, 2009) p. 48
Sur la session :
- Quatorze (14) discussions ne contiennent que deux messages sur le
modèle de D1.
- Vingt-quatre (24) discussions, contenant au moins trois messages,
sont strictement linéaires comme illustré en D6 ou D21.
- Dix-huit (18) autres sont non linéaires, comme D10 ou D42,
sans toutefois se rapprocher d’un modèle circulaire ou plus
complexe, que l’on pourrait retrouver dans une conversation en
face-à-face. Cette linéarité contrainte par
l’ossature technique et l’arborescence des échanges peut
induire une forme de restriction à l’interactivité. En
effet, un flou existe parfois dans la détermination de qui répond
à qui, et les réponses peuvent être déposées
davantage par commodité technique qu’en lien direct avec le contenu
du message précédent. Il existe aussi des messages où
l’étudiant se répond à lui-même comme
c’est le cas en D21 pour Bernard et Ariane. L’observation des
messages et de leur place dans le réseau apporte de nombreuses
indications. La structure de chaque message est identique et donne
différentes informations au lecteur : le numéro du message, son
auteur, à quel message il répond, de quoi il traite, à quel
moment il a été publié. La date et l’heure
précise de son émission facilitent la reconstitution d’une
chronologie des interactions. Le nom de l’auteur est cité
après la mention "envoyé par", ce qui n’empêche pas
chaque étudiant d’apposer presque systématiquement sa
signature à la fin de son écrit. L’objet du message donne
brièvement une indication générale sur le contenu du
message. Cette information peut se diluer progressivement lorsqu’il existe
de nombreuses réponses dont le contenu évolue au cours de
l’échange.
Sur les trois cent trente-neuf messages qui constituent le corpus, cent dix
contiennent une pièce jointe, soit presque un tiers. Ces pièces
jointes sont essentiellement des fichiers issus de logiciels bureautiques et
contenant des données en lien avec le travail collaboratif en cours.
Grâce à l’échange de ces fichiers, les membres du
groupe peuvent mutualiser leurs documents, découvertes, questionnements
ou avancées du travail. Cette possibilité technologique
n’est pas sans incidences sur le processus d’apprentissage en
contribuant à l’échange rapide de connaissances.
Une variation importante existe en ce qui concerne la taille des messages. Le
plus court comprend un seul mot, "voilà", accompagné d’une
pièce jointe. Le plus long comprend 626 mots, ce qui est
considérable. Il s’agit d’un message déposé par
Emile après une longue absence qu’il semble compenser par une
participation plus forte concentrée sur un seul message, ce qui pourrait
être assimilé à un échange réparateur.
En face-à-face, cette action serait considérée comme une
monopolisation de la parole, ce qui ne semble pas le cas ici, même si la
règle d’usage dans le cadre d’un forum est plutôt
à la concision.
4.2. Aspects spatio-temporels
La
figure 3 permet de visualiser l’évolution des échanges sur
l’ensemble de la session de travail collaboratif.
Figure 3 :
Évolution des échanges au cours de la session de formation (Pradeau, 2009) p. 56.
Les périodes de mi-octobre et mi-janvier présentent des pics
d’activités interactionnelles avec une plus grande quantité
de messages échangés et des discussions qui s'étirent dans
le temps. Une comparaison entre le nombre de discussions, leur durée, le
nombre de messages publiés, le nombre de pièces jointes
transmises, met en évidence une similitude des courbes
représentatives. Il semble qu’il existe des phases où toutes
les actions possibles sur le forum sont simultanément
engagées.
L’observation des heures et dates de réponses aux messages
montre qu’elles sont inégalement différées.
L’écart entre la publication de deux messages qui
génèrent une discussion peut aller de 2 minutes à presque
30 jours. Cette flexibilité du temps représente une
particularité de la formation à distance et un atout
exploité par les étudiants. Très souvent
empêchés par des obligations professionnelles, ils utilisent cette
souplesse dans la gestion de leur organisation. Dans les deux premières
phases du travail collaboratif (P1, P2), nous constatons que les unités
de sens à connotations temporelles sont présentes dans un message
sur deux. Ces références disparaissent en fin de session puisque
l'objectif est atteint. Il serait intéressant d’étudier plus
finement le rapport au temps pour chaque étudiant ainsi que l'incidence
sur le processus d'apprentissage. En effet, en distanciel, l’apprenant est
libre dans l'organisation de son temps de formation et doit donc planifier seul
ses périodes de travail, ce qui nécessite une forte aptitude
à l'autogestion.
Les messages font fréquemment référence à des
notions d'espace. L'objet du message initiateur de la première discussion
indique "C’est ici" comme pour tenter de définir un lieu de
travail commun dans l’espace totalement immatériel du campus
numérique. En D26M1433, Ariane confirme un rendez-vous sur un autre
espace virtuel que celui fourni par FORSE : "20h30 demain donc sur la place
du village virtuel ... msn dites oui!!:-) ". Ces références
à des espaces extérieurs au forum étudié, à
des lieux de clavardage ou rendez-vous téléphoniques (soit
d’interactions en mode synchrone) sont conséquentes dans les deux
premiers corpus (un message sur trois en P1, un message sur cinq en P2, aucun en
P3). Le troisième corpus est moins significatif car il représente
la phase finale de la session, où la multiplication des échanges
semble moins nécessaire sur le plan du travail à effectuer. Cette
diversité des lieux d’échanges laisse supposer que les
interactions entre les étudiants ne sont pas limitées aux actions
visibles sur le forum. D’autres régions existent, avec des zones
qui sont davantage privées et où les modalités
interactionnelles sont probablement différentes. Sur le forum, tous les
messages ou documents mis en ligne sont visibles et consultables à tout
moment par l’ensemble des étudiants de la promotion. Il est
possible que cette large visibilité influence le contenu des messages et
incite à la pratique d’échanges en dehors de cet espace,
d’où la multiplication d’espaces d’interactions
parallèles, comme déjà mis en évidence par une
étude antérieure sur le campus FORSE (Béziat et Wallet, 2007) (p.70). Enfin, l’existence d’autres espaces sur le campus est
rappelée par l’irruption de messages de personnes
n’appartenant pas au groupe.
4.3. Actions, présence, engagement
Nous
constatons un rapport de un à dix concernant le nombre de messages
déposés sur le forum par les participants. Ariane en publie le
maximum, soit 114, tandis que Carole est plus discrète avec seulement 11
messages publiés sur l’ensemble de la session.
Figure 4 : Actions sur
l'ensemble de la session (Pradeau, 2009) p. 60.
Ces différences d’implication se retrouvent tant dans la
participation aux discussions que dans la transmission de pièces jointes.
Le nombre d’actions de communication est donc variable d’un
étudiant à l’autre mettant ainsi en évidence une
forme d’engagement spécifique à chacun des interactants.
Cette variabilité de l’engagement est déjà
soulignée dans l’étude citée supra mettant en
exergue une typologie des apprenants allant des "non participants" aux
"hyperactifs" (Béziat et Wallet, 2007) (p.72).
Ariane est l'étudiante qui répond le plus souvent et le plus
rapidement à un message initiateur, ce qui semble dénoter un
engagement plus fort dans l’action. Elle marque plus massivement sa
présence en multipliant les actions possibles dans le cadre de ce forum.
A l’opposé, Carole est plutôt passive. Elle initie peu de
discussions, répond peu aux messages initiateurs, transmet seulement deux
pièces jointes, dépose son dernier message le 27 décembre
et décroche du projet collaboratif à mi-parcours, modifiant ainsi
la composition du groupe. Sa participation est proche de celle des intervenants
extérieurs à l’équipe. Cette plus ou moins grande
activité fait varier la visibilité de chacun et contribue
probablement à modifier le sentiment de présence des uns et des
autres dans le groupe. Une autre observation concerne la quantité de mots
utilisés pour communiquer qui s'avère variable d'un
étudiant à l'autre. Un comparatif entre Denise et Emile, dont
l'engagement dans l’action est similaire (dépôts
équivalents de messages ou pièces jointes), montre un écart
important en ce qui concerne la taille moyenne des messages (en moyenne : Emile
93 mots par message ; Denise 40). Au-delà de ces aspects quantitatifs qui
particularisent chaque étudiant, un constat intuitif en lecture flottante
met en évidence des différences dans leur "façon
d’être". Ce que chacun montre de lui le singularise. Suivant le
langage qu’il privilégie, suivant son degré d'implication,
chaque étudiant montre un fragment de son identité sociale, ou
pour reprendre le concept d’Erving Goffman, une face bien
spécifique.
5. Apprentissage collaboratif à distance et concepts goffmaniens
Les traces
numérisées des actions des six étudiants donnent un nombre
conséquent d’informations sur leurs interactions, ce qui souligne
l’intérêt du courant théorique à visée
microsociologique. Les résultats de l’observation
déclinés supra confirment la richesse et l'aspect fortement
structuré des interactions. Ce contexte particulier
d’enseignement-apprentissage contraint les acteurs mais leur offre
paradoxalement un vaste champ de liberté. Leurs actions individuelles
agissent sur l’organisation sociale qui agit à son tour sur chacun
des interactants. Nous allons dans cette dernière partie nous attacher
à développer l’aspect inférentiel de cette
étude en examinant les concepts proposés par Erving Goffman pour
considérer leur congruence aux interactions sociales sans
coprésence physique.
5.1. Forum et cadre de l’expérience
Goffman
émet l’hypothèse qu’en s’intéressant
à une situation ordinaire on se pose la question : "Que se passe-t-il ici
?" (Goffman, 1974b) (p.16). L’expérience sociale des échanges sur un forum de
discussion représente-t-elle une "situation ordinaire" ? Sur un campus
numérique, cette forme d’organisation des interactions est
effectivement usuelle tant les forums et espaces d’échanges
asynchrones y sont systématiquement proposés. La multiplication
actuelle des réseaux sociaux laisse supposer que ces modalités
interactionnelles à distance vont peu à peu devenir des situations
ordinaires, et ce malgré les fortes disparités existant encore en
terme d’infrastructures et d’alphabétisation
numérique. Un forum peut être assimilé à un cadre
particulier où les acteurs sont engagés dans l’interaction
avec un objectif déterminé. Sur le forum étudié, les
étudiants ont un travail à réaliser en commun, ce qui les
rend interdépendants. En observant leurs traces numériques, nous
avons tenté de répondre à la question : que se passe-t-il
sur un forum de discussion proposé sur un campus numérique dans un
objectif d’enseignement et d’apprentissage ? Nos observations ont
montré sous quelles formes et avec quelles contraintes s’organisent
les échanges. La structure du forum agit sur les interactants, qui
eux-mêmes déterminent l’expérience sociale par les
actions réalisées. Ce cadre structuré, fortement
imprégné d’aspects technologiques, influence les individus
et leurs perceptions. Les impératifs académiques ajoutent des
éléments astreignants qui balisent cette expérience
sociale. Nous faisons référence au quotidien à une
multitude de cadres s’imbriquant les uns dans les autres. Une salle de
classe est un cadre de l’expérience, un forum de discussion en est
un autre. L’un existe dans un espace physiquement délimité,
l’autre n’est pas aussi précisément situé, ce
qui en fait cependant un cadre particulier de l’expérience,
où les acteurs sociaux interagissent. La capacité d’un
étudiant à maîtriser les outils et usages du web peut
largement conditionner ses actions sur le forum, en facilitant ou limitant ses
possibilités de communiquer avec les autres membres du groupe.
L’engagement interactionnel de chacun est tributaire de ce contexte
particulier. Nous avons constaté combien sont structurées et
limitées les actions possibles pour les étudiants, au point
qu’ils en développent de nouvelles en dehors du campus
élargissant ainsi cette expérience sociale. Nous avons
montré combien les discussions et les messages présentent une
architecture particulière, plutôt linéaire pour les
discussions et sur un modèle épistolaire pour les messages. Ces
différentes remarques nous conduisent à proposer de
considérer un forum de discussion comme un cadre de
l’expérience avec ses règles explicites et implicites
perçues sur un mode plus ou moins consensuel par les participants
à l’interaction.
5.2. Forum, scène, coulisse
L’analyse
du contenu des messages a mis en évidence le nombre conséquent de
références à des espaces autres que le forum
dédié. Différents lieux d’interactions sont
proposés par l’université en début de session. Ils
sont ensuite multipliés en cours de module à l’initiative de
certains étudiants. Pour reprendre les notions de régions
chères à Goffman, nous proposons d’assimiler l’espace
du forum de discussion proposé aux six étudiants à ce
qu’il a nommé la scène. Selon sa métaphore
théâtrale, c’est dans cette région que se
déroule la représentation et où chacun des étudiants
préserve sa face et celle des autres. Le public de cette
représentation rassemble les enseignants et les autres étudiants
de la promotion qui peuvent techniquement voir ces échanges mais aussi
déposer des messages, comme en D19M940 où Geneviève, qui ne
fait pas partie du groupe d’étudiants, écrit : "bonjour,
je me permets de m'immiscer ... pour vous proposer cette lecture qui
peut-être vous intéressera.... bon courage pour la suite !
http://www.inrp.fr Geneviève". Notons l’utilisation du mot
"s’immiscer" qui semble indiquer une forme d’intrusion dans
un espace non prévu à cet effet, alors qu'aucune règle
précise n'a été énoncée dans ce sens. Les
actions implicitement acceptées sont donc fonction du lieu où
elles se réalisent. Les lieux de clavardage hors campus, souvent
évoqués dans les messages, ou encore les échanges par
courriels ou contacts téléphoniques se rapprochent de ce que
Goffman a appelé les coulisses. Dans ces espaces
privés, les étudiants du groupe de travail collaboratif peuvent
davantage se laisser aller, car ils ne sont plus en scène sous le regard
du public. Ce qui se joue dans ces coulisses serait à explorer car
probablement déterminant pour l’ensemble de l’interaction. La région extérieure est représentée par tous
les autres espaces du campus numérique, ceux où interviennent les
enseignants et les autres étudiants, mais aussi les personnels
administratifs et techniques, avec lesquels les étudiants peuvent aussi
avoir des échanges. Sur les trois cent trente-neuf messages du forum,
huit sont déposés par trois étudiants qui ne font pas
partie du groupe, et semblent ainsi provenir de cette région
extérieure.
L’enregistrement des messages du forum et l’archivage permettent
de revoir la scène de l’interaction à tout moment. Cette
particularité, ainsi que l’aspect public des échanges
ont-ils des effets sur la communication ? Existe-t-il une forme de mise en
scène plus ou moins consciente de la part de chacun des acteurs ? Enfin,
quelle est son incidence sur le travail collaboratif et son évaluation ?
La visibilité plus ou moins importante des étudiants
influence-t-elle les enseignants ou tuteurs ? De nombreuses questions sont
induites par l’exploration de ce forum.
5.3. Forum et ordre de l’interaction
La
question fondamentale de l’œuvre de Goffman porte sur ce qu’il
a nommé l’ordre de l’interaction, c’est-à-dire ce qui s’organise explicitement et implicitement
lors des échanges. Comment rendre opératoire ce concept pour lire
et comprendre une rencontre sans face-à-face sur un forum de
discussion ? Plusieurs éléments peuvent être
évoqués. La scène, représentée par le forum,
est l’espace où un certain nombre de personnes semblent
"habilitées" à agir, soit dans le cas présent les six
étudiants du groupe de travail collaboratif. Le participant
ratifié est celui qui est à sa place dans l’ordre de
l’interaction (Joseph, 1998) (p.66). Cette règle implicite, ce droit de se déplacer dans
certaines régions, fait partie d’un ordre interactionnel qui,
lorsqu’il est profané, déclenche des échanges
réparateurs. La discussion D41 illustre ce propos : Geneviève,
étudiante extérieure au groupe, y dépose deux messages. Le
premier correspond à ce que Goffman a appelé une rupture de
cadrage : Geneviève poste un message accompagné d’une
pièce jointe destinée aux étudiants de son groupe, alors
qu’elle aurait dû le déposer sur un autre forum. Le
deuxième ressemble à un échange réparateur sous forme d’une excuse concernant son erreur. Sur un registre similaire,
en I10, Geneviève agit selon ses propos de façon osée tout
en demandant leur indulgence à l’ensemble des étudiants du
groupe : "Objet : récup. bonsoir... je me suis permis de
récupérer un travail de Bernard.../..et comme il est
déjà tout prêt chez vous et sans doute mieux que ce que
j'aurais pu faire.../...voilà ! oui, c'est gonflé, j'espère
néanmoins que vous ne m'en voudrez pas trop ! /.../ ! à
bientôt". Soulignons l’utilisation de la formule "chez
vous" qui participe à la délimitation de territoires
évoquée plus haut. En face-à-face, cette action aurait
été probablement précédée d’une demande
de partage formulée auprès de Bernard. Dans le cas présent,
cette action n'amène aucune réaction visible, le message reste
isolé. L’ordre interactionnel est modifié sur un forum, dont
le potentiel de mutualisation semble implicitement accepté par
l’ensemble des participants.
L’aspect public des échanges fait partie de l’ordre
interactionnel. Ainsi, les réponses à un message ne sont pas
forcément adressées à son émetteur. Chacun semble
répondre à l’ensemble du groupe, et il n’existe pas de
réelle cohérence dans la chaîne des réponses du moins
quant aux destinataires des messages. C’est probablement ce qui provoque
la forme très linéaire des fils de discussion, avec à
l’extrême des réponses à soi-même que l’on
ne trouve pas en face-à-face. Enfin, le fait qu’une réponse
soit différée de plusieurs jours ne s’avère pas
être une fausse note dans le jeu interactionnel, mais semble faire partie
de l’ordre des choses.
5.4. Equipe, sens commun, engagement
Le
concept d’équipe développé par Goffman dans La
mise en scène de la vie quotidienne – La présentation de
soi (1973a) nous semble applicable aux groupes inter-agissant à
distance. Dans le cadre d’un travail collaboratif en ligne, les
étudiants sont engagés dans la réalisation d’un
projet commun puisqu’il est question d’une production collective
avec une échéance précise. De plus, dans le cas
étudié, il existe un enjeu fort puisqu’une partie du travail
collaboratif conduit à des productions intervenant dans
l’évaluation finale. De là nous pouvons considérer
qu’il doit exister une relation d’interdépendance entre les
membres du groupe. Chaque équipier compte sur le respect de l’ordre
de l’interaction par ses partenaires. Ils sont reliés par un sens
commun donné à la situation en cours et une forme de
familiarité s’instaure dans l’équipe. Un minimum de
participation est implicitement reconnu par tous comme indispensable, au point
que les défaillances passagères des participants créent des
fausses notes dans l’ordre interactionnel et déclenchent des
rappels à l'ordre ou des échanges réparateurs. Ce non
respect de la représentation est souligné en D26M1399, où
Bernard apostrophe certains membres du groupe qui sont dans une phase de
moindre implication : "Denise, Ariane ... et les autres ! Denise, Ariane
... Je vois que vous avez bien bossé pdt mes quelques jours d'absence
/.../ je me un peu demande comment nos collègues (momentanément
furtifs) vont pouvoir se raccrocher/.../ BIEN SûR, ces remarques non pas
pour casser ce qui a été fait /.../ mais pour jouer le jeu du
"collaboratif". J'espère maintenant que Emile, Fabienne et Carole vont
pouvoir réagir, .../ ". Notons au passage l'utilisation de
l'expression "jouer le jeu" qui nous ramène à la métaphore
théâtrale. De même, en D25M1393, Carole, qui est
perçue comme trop passive, se fait interpeller par Ariane sur un mode
humoristique : ".../ pour la méthodo, tu dis que tu vas essayer
de "suivre" mais cocotte, on a aussi besoin de forces vives !!!! en plus t'es
bonne en stat. alors ca te dit pas de faire le tableau des variables ? c'est une
proposition parmi d'autres ;-)". Carole ne donnera pas suite à cette
injonction qui arrive en réponse à son message d'appel à
l'aide qui sera aussi son dernier message posté pour cette session (dont
l'objet était "Vraiment marre..." et dont le contenu débutait par
"Au secours" pour aborder ensuite des difficultés essentiellement d'ordre
technique). Emile illustre aussi cette interprétation en D23M1385
où il s’excuse pour une nouvelle absence à un clavardage.
Plus loin, il dépose un long message réparateur pour justifier son
manque de participation tout en s’excusant pour ses futures absences. Cet
étudiant sera le plus actif dans l’interaction en fin de session
comme pour compenser ses difficultés dans l’engagement en
début et au cours du module.
Dans une situation distancielle, il semble qu’une convention
sous-jacente entre les acteurs postule que chacun marque sa présence par
les actes qu’il pose, cette pro-activité étant une condition
de l’interaction. Un trop grand écart dans la mobilisation de
chacun des participants engagés dans un travail collaboratif peut-il
nuire à la qualité interactionnelle au sein du groupe ainsi qu'aux
processus d’enseignement et d'apprentissage ? Un long silence peut-il
rester sans conséquences ? N’y a-t-il pas une forme
d’ordre de l’interaction ou une obligation sociale implicite de
réaliser un certain nombre d’actions visibles pour rester
impliqué dans le groupe et comment remédier au risque
d’exclusion virtuelle ?
5.5. Face et distance
Nous
avons repris les analyses de (Blandin, 2004) mentionnant un continuum s’étalant entre deux pôles
déterminés par la notion de présence et celle
d’absence. En nous appuyant sur ce gradient pour modéliser le
sentiment de présence, il nous semble que le concept de face peut
tout à fait être opératoire pour analyser et
interpréter les échanges produits sur un forum. Chacun des acteurs
montre une part de lui-même par les actions qu’il engage et la
façon dont il communique. Cette part de soi qui s’expose à
distance passe essentiellement par l’écrit, contrairement à
ce qui se passe en présentiel. "L’identité individuelle est
circonstancielle et faite de différentes facettes" (Le Breton, 2004) (p.139). Ce qui se donne à voir, en présence ou à distance,
serait en quelque sorte l’une de ces multiples facettes.
L’observation des traces d’échanges sur le forum laisse
apparaître des disparités concernant l’engagement dans
l’action. Emile semble avoir des difficultés à gérer
de front ses obligations professionnelles et universitaires. Il fait souvent
référence à ses difficultés, ce qui déclenche
le soutien et les encouragements des autres membres du groupe. Malgré
l'expression fréquente de ses difficultés, il est le plus actif en
fin de session et c’est lui qui dépose les documents finaux
réalisés par le groupe. Il conclue la session par une
dernière intervention de même qu’il avait participé
à son ouverture en déposant le premier message isolé.
Ariane montre une face très différente dans ce contexte
spécifique. Elle multiplie les actions de communication et prend une
place importante dans le groupe. Elle représente le participant de
l'équipe qui semble diriger et contrôler la progression de l'action
dramatique (Goffman, 1973a) (p.96). Ces disparités entre ce que chacun montre de lui tout en se
conformant à des impératifs contextuels posent d’autres
questions. Par exemple, existe-t-il une analogie entre ce qu’un acteur
montre de lui-même en présentiel ou à distance ? Ou
encore quelles sont les représentations générées
chez les autres étudiants par la face exposée par chacun ? Des
études complémentaires seraient nécessaires pour tenter de
répondre à ces interrogations.
5.6. Rites interactionnels à distance
Goffman
soutient que les interactions sociales sont régies par des codes ou des
rituels qui déterminent les comportements individuels (Goffman, 1974a).
Dans le cadre du forum, nous avons observé des éléments
rituels : les messages sont introduits et conclus de façon
quasi-systématique par des salutations, dont certaines ont une
connotation affective. Presque tous les messages se terminent par une signature,
malgré l’indication en en-tête du nom de l’auteur. Sans
concertation préalable, les six étudiants organisent leurs
messages avec ces formes de parenthèses rituelles (Blandin, 2004) (p.372). Ces pratiques sont d’ailleurs beaucoup plus
générales et habituelles sur Internet, où elles se
retrouvent dans les messages électroniques. Le contenu écrit
induit probablement ces similitudes avec des codes épistolaires. Pour les
discussions, nous n’observons pas de pratiques sociales rituelles comme
c’est le cas dans une conversation en face-à-face avec des
salutations ou comportements annonciateurs de début ou de fin de
l’échange. Leur structure linéaire, leur durée, la
dispersion géographique des participants, le fait que plusieurs
discussions peuvent se dérouler sur une même période, en
font une forme très particulière d’interaction sociale.
Cette organisation interactionnelle singulière se structure dans un
espace non clairement situé physiquement et avec un rapport au temps
modifié. Une observation d’un autre forum à vocation
différente pourrait contredire ce constat. En effet, sur les forums
thématiques, l’usage veut que chaque fil traite d’un sujet
précis, et qu’il soit conclu, une fois le thème
épuisé. Ces codes ne semblent pas encore suffisamment
assimilés par les étudiants pour être d’un usage
courant en campus numérique. La complexité de la communication
à distance est renforcée par l’apparition de nouveaux codes
de langage, tels que les émoticones ou les acronymes comme LOL ou MDR
pour signifier des éclats de rire. L’ordre cérémoniel semble ainsi régi par la
capacité des acteurs à partager des codes et
représentations liés au contexte social particulier des
interactions à distance. Il est possible que la banalisation de
l’usage des artefacts techniques ainsi que la multiplication des
interactions à distance contribuent peu à peu à une
intégration de cette étiquette numérique. Il existe
d'ailleurs sur le Web une Netiquette (contraction de Net et Etiquette). Cette
charte, en définissant des règles de conduites sur Internet,
participe à l’instauration progressive de ces nouvelles
règles interactionnelles.
6. Conclusion
Cette approche
microsociologique menée à un niveau qui se situe entre le
microscopique et le mésoscopique, permet de prêter une attention
particulière à ce qui se joue au niveau d'une petite unité
sociale dans le contexte spécifique de l'apprentissage collaboratif en
ligne. L’étude des dimensions sociales dans les situations
d’enseignement-apprentissage instrumentées est à
développer tant elles imprègnent tout processus de formation.
Approfondir ces connaissances pourrait contribuer à
l’amélioration des dispositifs et peut-être limiter le nombre
d’étudiants quittant la scène prématurément.
Comme toute recherche en sciences humaines et sociales, cette étude
reste cependant partielle et relative au point de vue adopté. Comme
interroge Van Der Maren, "La loupe déforme t-elle la perception ?" (Van Der Maren, 1995) (p.113), question récurrente dans les débats tant
méthodologiques qu’épistémologiques. A quel
degré de représentativité et de fidélité, les
données recueillies ou plutôt construites sont-elles le reflet des
interactions au travers des traces manifestes laissées par des
échanges ? Nous avons tenté d’analyser minutieusement
ces traces d’interactions, en tentant d’expliciter au mieux les
critères mis en œuvre pour construire nos interprétations.
"Si le sens se construit dans l’interaction, étant en quelque sorte
un produit de cette interaction, avec un large spectre de valeurs possibles en
cours d’échange, aucune grille ne pourra capter complètement
ce qui se passe pendant le déroulement du forum. On ne peut que
reconstruire des histoires a posteriori. Mais les informations que
l’on peut fournir en cours, donnant une interaction enrichie, participent
de cette évolution du sens" (Bruillard, 2005).
A la fois riches et hétérogènes, les recherches sur les
forums de discussion présentent un caractère complexe (Henri et al., 2007).
Pour extraire du sens des données, nous avons fait le choix, parmi
d’autres possibles, d’un cadre de référence à
versant interactionniste. Les concepts de face, de cadre de
l’expérience, d’équipe,
d’engagement, de scène et de coulisses,
examinés dans ce contexte d’échanges sans coprésence
physique, nous semblent congruents à ce contexte particulier. Les actions
des apprenants sont contraintes par l’ossature technique du forum, mais
aussi par une forme d’ordre interactionnel. Les
étudiants paraissent guidés par des règles implicites qui
s’apparentent à des pratiques rituelles. Leurs actes et ce
qu’ils montrent d’eux-mêmes dans leurs écrits ne sont
pas neutres dans le déroulement de l’action et du processus
d’apprentissage. Ils ajoutent spontanément des espaces
d’échanges à ceux proposés par
l’université agissant ainsi sur l'organisation sociale. La
réalité sociale du groupe de travail collaboratif observé
est en permanence remodelée par les actions de ses membres. Nous
constatons la disparition à mi-parcours d’un des étudiants
de l’équipe, la plus forte implication de l’un d’entre
eux, des variations dans l’engagement pour d’autres, des
différences entre ce que chacun montre de lui-même.
Les notions de flexibilité de temps et de déterritorialisation
de l’espace, largement évoquées dans la littérature
sur la formation en ligne, se retrouvent dans cette approche micrologique. Nous
constatons par ailleurs une répartition des espaces virtuels
d’interactions en fonction du contenu de l’action dramatique, soit
ici la réalisation d’un travail collaboratif en ligne. Ces
éléments participent à la création de ce cadre de
l’expérience spécifique que représente un forum
à vocation éducative. Goffman détermine une région
d’interaction comme "tout lieu borné par des obstacles à la
perception, ceux-ci pouvant être de différentes natures" (Goffman, 1973a),
p.105. Cette question de la délimitation de régions
d’interactions ouvre à plus grande échelle une autre
problématique. En effet, à un niveau macrosociologique,
l’impossibilité pour une part importante de la population
d’accéder au Web pose la question d’une
démocratisation de l’accès à ces nouveaux espaces de
formation, à cette nouvelle scène de représentation.
Comme nous l’avons signalé, nous poursuivons nos travaux sur les
effets identifiables des interactions produites au sein des situations
organisées par une telle ingénierie pédagogique sur le
développement conceptuel en statistique des sujets.
7. Références
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8. ANNEXES
Fiche-Guide
Année 2006-2007 - Université Lumière Lyon2 -Master1
SPEF
Dispositif FOAD Campus Numérique FORSE
Cours de méthodes quantitatives et qualitatives de J-C.
Régnier et F. Clerget
I. Démarche générale :
L’objectif du cours est double :
compléter la formation méthodologique acquise en
licence en particulier dans le domaine des méthodes quantitatives [A],
méthodes qualitatives [B] et de la statistique.
aider à mettre en lien les acquis méthodologiques dans
le cadre de la recherche conduite pour le mémoire de master1
(maîtrise)
RÉSUMÉ : Pour
atteindre cet objectif, une situation problème est proposée autour
d’un thème global commun à tout le groupe, prétexte
à la mise en œuvre des outils et méthodes visées dans
la formation. Ce thème est celui de l’article [Doc8] et [Doc9] que
nous avons étudié lors de la séance présentielle
à l’université Lyon 2 le 7 septembre 2006 (9h-10h30).
Thème : La réussite scolaire
II. Mode d’organisation du travail collaboratif :
RÉSUMÉ : Il
s’agit de constituer des groupes d’au plus 6 étudiants)
autour des sous-thèmes :
Sous-thème 1 |
Sous-thème 2 |
Sous-thème 3 |
Sous-thème 4 |
Réussite scolaire et climat familial |
Réussite scolaire et genre |
Réussite scolaire et travail en équipe pédagogique |
Réussite scolaire et classes sociales |
III. Tâches :
Phase 1 : Construire des données
RÉSUMÉ : Cette
tâche est à réaliser en groupe et le produit final est celui
du groupe. Chaque groupe devra construire un questionnaire [Prod1A] et un guide
d’entretien [Prod1B] dans le but de produire des données
pertinentes relatives à une investigation du sous-thème. Le
questionnaire devra comporter entre 8 à 10 questions couvrant
l’ensemble des formats possibles (voir [DOC6]). Le guide
d’entretien : en référence au cours, choisir un type
d’entretien ; argumenter ce choix en lien avec l’avancée
supposée de la recherche en cours (phase exploratoire, phase de
vérification). Définir et argumenter le choix de la population
parente ; construire le guide d’entretien qui comportera à la
fois les items et les points à aborder. [Prod2A] [Prod2B] Les protocoles
de mise au point et de passation du questionnaire devront être
explicités.[Prod3Aa] Un tableau sera réalisé sous Excel
permettant de recevoir les réponses aux questions lors du
dépouillement des questionnaires. [Prod3Ab] Compléter le tableau
[Prod3Aa] par des données réellement construites ou par des
données simulées.[Prod3Ba] Construire le protocole de
dépouillement des entretiens. [Prod3Bb] Alimenter l’outil ainsi
construit par des informations réellement recueillies ou par des
informations simulées.
Phase 2 : Traiter des données (projet)
Cette tâche est à réaliser en groupe et le produit final est individuel. [Prod4A/B] : à partir du
[Doc9], en recourant à une approche quantitative et à une approche
qualitative, analyser les informations contenues dans le tableau en les mettant
en relation avec le titre, le résumé de l’article, et le
commentaire du tableau. Rendre compte individuellement de cette analyse en deux
pages maximum. Il s’agira en particulier de bien préciser le test
statistique auquel renvoie ce tableau.
Cette tâche est à réaliser en groupe et le produit final est celui du groupe
RÉSUMÉ : À
partir du questionnaire, prévoir plusieurs traitements des données
qui mettent en œuvre la description statistique et l’inférence
statistique. La mise en œuvre d’un test d’hypothèses
concernant le croisement de deux questions (de type variables qualitatives)
figure parmi les traitements attendus. [Prod5A] Ce protocole de traitement sera
explicité et rédigé clairement en deux pages maximum.
À partir du guide d’entretien, prévoir [Prod5B] le
croisement et l’ordonnancement des informations recueillies.
Phase 3 : Traiter des données (effectuation)
Cette tâche est à réaliser en groupe et le produit final est celui du groupe
RÉSUMÉ : [Prod6A/B]
Il s’agira de mettre en œuvre les traitements annoncés dans
[Prod5A] à partir des tableaux des séries statistiques [Prod3Ab]
et [Prod5B] à partir de [Prod3Bb]. Ces traitements seront
rédigés proprement à la manière d’une
communication d’une étude sous la forme d’un document qui
peut ressembler à un article, à une affiche sous Powerpoint.
IV. échéances :
Produit attendu |
Modalité |
Date de remise 2007 |
Contenu produit |
[Prod1A]
[Prod1B] |
Un par groupe |
31 janvier |
Questionnaire (Word)
Guide d’entretien (Word) |
[Prod2A]
[Prod2B] |
Un par groupe |
31 janvier |
Protocole de mise au point du questionnaire (Word)
Protocole de passation du questionnaire (Word)
Protocole de mise au point du guide d’entretien (Word)
Protocole de passation de l’entretien (Word) |
[Prod3Aa]
[Prod3Ba] |
Un par groupe |
31 janvier |
Tableau des séries statistiques avant dépouillement (Excel)
Protocole de dépouillement des entretiens |
[Prod3Ab]
[Prod3Bb] |
Un par groupe |
11 février |
Tableau des séries statistiques (Excel) après
dépouillement.
(données réelles ou données simulées)
Alimenter l’outil ainsi construit par des informations
réellement recueillies ou par des informations simulées. |
[Prod4A/B] |
Individuel |
31 janvier |
Analyse d’un tableau [Doc9] |
[Prod5A]
[Prod5B] |
Un par groupe |
31 janvier |
Protocole de traitement (Word)
Croisement et ordonnancement des informations recueillies |
[Prod6A/B] |
Un par groupe |
mars 2007 |
Communication des traitements annoncés |
[Prod7A]
[Prod7B] |
Individuel |
Juin 2007 |
Évaluation finale 2h par écrit à partir d’une
situation problème analogue à [Doc10]. Tout document sera
autorisé
Évaluation finale 2h (à voir) |
V. évaluation :
La note finale de méthodologie sera la moyenne des 8
notes pondérées :
[Prod1A] [Prod2A] [Prod3Aa] [Prod3Ab] |
[Prod4A/B] |
[Prod5A] |
[Prod6A/B] |
[Prod7A] |
12,5% |
12,5% |
7,5% |
12,5% |
17,5% |
[Prod1B] [Prod2B] [Prod3Ba] [Prod3Bb] |
[Prod5B] |
[Prod7B] |
12,5% |
7,5% |
17,5% |
VI. Sources et Ressources
[Doc1] |
Sites pour des compléments dans le domaine de la statistique :
http://www.agro-montpellier.fr/cnam-lr/statnet/ réalisé conjointement par le CNAM et l'Agro-Montpellier et
présenté par Gilbert Saporta.
http://www.univ-lr.fr/formations/idea/duCultureMath/statistiques/
réalisé conjointement par l'IUFM Poitou-Charentes et le
Département de mathématiques de l'Université de La
Rochelle |
[Doc2] |
Cours Méthodes quantitatives licence, ouvrage et CD Rom |
[Doc3] |
Compléments du cours Méthodes quantitatives : Tester des
hypothèses. |
[Doc4] |
ParadoxeSimpson.pdf « Liaison entre deux facteurs. Paradoxe de
Simpson » texte de L. Carter, Univ. Paris X – Nanterre et
J-L. Piednoir IG |
[Doc5] |
Présentation d’un test d’adéquation :
ADEQUATION.pdf |
[Doc6] |
Guide d’aide à l’élaboration du dossier
méthodologique. J-C Régnier
Licence (2004/2005) : http://pagesperso-orange.fr/jean-claude.regnier/joao_claudio/methode/dossierm1.htm |
[Doc7] |
Complément sur quelques mesures d’association :
MesuresAssociation.pdf |
[Doc8] |
Yanakou Koffiwai Gbati Climat affectif familial et réussite scolaire
: étude auprès d’élèves de cours moyens
première année à Lomé REVUE DE PSYCHOLOGIE DE
L'EDUCATION 2001 - TOME 1 I.S.S.N. 1279-5097 PUFR - http://www.univ-tours.fr/editions/som56.htm |
[Doc9] |
Présentation sous PowerPoint d’un des tableaux de
l’article de Yanakou Koffiwai Gbati. TABLEAUXREVUEPSYCHO1.PPT |
[Doc10] |
Sit_Pbstat.pdf [Il s’agit d’une situation problème qui
peut permettre de suggérer des traitements |
[Doc11] |
L’entretien en situation de recherche. François Clerget
Cours : Forse/Unité C/Méthodologie/Méthodes
qualitatives |
[Doc12] |
Bertaux.D. Les récits de vie. Paris, Nathan,1997 |
[Doc13] |
Quivy.R et Van-Campenhoudt.L. Manuel de recherche en Sciences sociales.
Dunod, Paris, 1995 |
A
propos des auteurs
Jean-Claude RÉGNIER est professeur des
universités à l'université Lumière Lyon 2, membre du
laboratoire UMR 5191 ICAR, et directeur de thèse à l’ED 485
EPIC. Ses axes de recherche s’inscrivent dans les champs de didactiques et
apprentissages, et de la statistique, en particulier celui de l’Analyse
statistique implicative. Il est aussi très impliqué dans les
relations internationales scientifiques franco-brésiliennes.
Université Lumière Lyon 2, 86 rue Pasteur, 69365 Lyon cedex
07
Courriel : jean-claude.regnier@univ-lyon2.fr
Annick PRADEAU est éducatrice
spécialisée (problématiques relationnelles intrafamiliales)
et étudiante en MARDIF (MAster 2 Recherche à DIstance Francophone
en sciences de l’éducation-Université de Rouen) au sein du
dispositif Campus numérique FORSE. Durant l’année 2008-2009,
elle a réalisé un travail de recherche sur les interactions
sociales en formation universitaire en ligne dans le cadre du mémoire de
Master1 en sciences de l’éducation de l’Université
Lumière Lyon 2
Courriel : annick.pradeau@numericable.com
1 FORSE : FOrmations et Ressources
en Sciences de l'Education, consortium réunissant le CNED,
l’Université de Rouen et l’Université Lumière
Lyon 2. En ligne : http://www.sciencedu.org/
2 Il s’agit de Jean-Claude
Régnier co-auteur de cet article et co-fondateur du dispositif FAD -
FORSE.
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