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Accompagnement d’une formation asynchrone en groupe
restreint : modalités d'intervention et modèles de
tutorat
Jean-Jacques
QUINTIN
Lidilem,
Université Stendhal - Grenoble3 ; UTE,
Université de
Mons-Hainaut
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RÉSUMÉ : La
recherche expérimentale dans laquelle s’inscrit cet article vise
à saisir les effets de différentes modalités
d’interventions tutorales (MiT) sur le travail effectué à
distance par une centaine d’étudiants réunis en groupes
restreints (trois par équipe). Ces modalités ont été
élaborées en considérant les dimensions
d’intervention qui participent à l’accompagnement tutoral,
soit les composantes pédagogiques (P), socio-affectives (S) et
organisationnelles (O). Complémentairement à ces trois MiT
ciblées sur les dimensions S, O ou P, deux modes d’intervention
tutorale non ciblés ont été intégrés en
guise de modalités de référence : une MiT
réactive et une MiT proactive non ciblée. Les résultats
ayant mis en évidence un impact contrasté des différentes
modalités de suivi sur l’apprentissage, nous nous attacherons
à saisir la singularité de la mise en œuvre de chacune
d’entre elles ainsi qu’à cerner les modèles
d’intervention propres à chacun des tuteurs (modèles
idiosyncrasiques).
MOTS CLÉS : Tutorat,
formation à distance, forum, groupe restreint, expérimentation,
analyse de contenu, modèle idiosyncrasique. |
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ABSTRACT : This
experimental research aims at studying the effects of different modalities of
tutor’s online interventions (MiT) on the learning outcomes of one hundred
students involved in a cooperative learning setting (in groups of three). These
modalities were elaborated by considering the dimensions of intervention which
participate in tutorial accompaniment i.e. on a pedagogical (P), socio-emotional
(S) and organizational (O) level. In addition to these three MiT focusing in
turn on the specific dimension, S, O or P, two further non-specific modes of
intervention were inserted as reference modalities: one reactive MiT and one
proactive MiT. Since the results have indicated a contrasting impact of the
different modalities of interventions, we shall attempt to determine their
specificity as well as to understand the idiosyncratic models of intervention of
each tutor.
KEYWORDS : Online
Tutoring, Distance Education, Forum, Small Group Cooperative Learning,
Experimentation, Idiosyncratic Model, Content Analysis. |
1. Introduction
Le but de la recherche expérimentale dans
laquelle s’inscrit cette étude est de comparer, par effet de
contraste, l’impact sur l’apprentissage de cinq modalités
d’intervention tutorale (MiT). Les MiT étudiées ont
été élaborées en considérant les dimensions
d’intervention qui, au vu de la littérature, participent à
l’accompagnement tutoral, soit les composantes pédagogiques (P),
socio-affectives (S) et organisationnelles (O). En complément de ces
trois "MiT ciblées", deux modes d’intervention tutorale non
ciblés ont été intégrés en guise de
modalités de référence : une "MiT
réactive" et une "MiT proactive non ciblée". Ces deux types de
médiation permettent de distinguer les interventions selon qu’elles
se déclenchent à l’initiative du tuteur (proactive) ou en
réponse à une demande d’un étudiant (réactive) (Shuell, 1996 cité par Vermont et Verloop, 1999), (Bernachez, 2000), (De Lièvre, 2000).
Les tuteurs, au nombre de sept, ont été invités à
encadrer cinq équipes, chacune selon une modalité
différente de suivi (deux modalités non ciblées, proactive
et réactive et trois modalités ciblées sur une dimension
d’intervention). Après avoir présenté les MiT sur le
plan théorique et les résultats qui se dégagent de
l’analyse de l’efficacité de ces MiT sur
l’apprentissage, nous nous attacherons à préciser la
singularité de celles-ci telles qu’elles ont été
appliquées durant l’expérimentation et à cerner les
modèles idiosyncrasiques propres à chacun des tuteurs.
2. Problématique
Dans le champ de la psychologie sociale, de
nombreuses recherches principalement expérimentales ont été
menées sur la dynamique de travail en groupe restreint. Certaines
d’entre elles se sont penchées spécifiquement sur les
modalités d’accompagnement présentiel de sujets
engagés dans une activité collective. Rappelons à titre
d’exemple les recherches entamées à la fin des années
trente par Lewin, Lippit et White (Lewin et Lippitt, 1938) sur les styles de leadership autocratique, démocratique et laisser-faire.
En revanche, comme le soulignent (Nielsen et al., 2005),
très peu d’études empiriques ont porté en psychologie
sociale sur le travail collectif à distance. Cette voie mériterait
ainsi d’être examinée afin d’identifier les variables
qui, dans ces conditions particulières, sont en relation avec
l’efficacité des groupes restreints (ibid.). Dans le domaine
de la recherche en formation à distance, certains travaux, peu
nombreux cependant, se sont penchés sur les effets de
l’accompagnement tutoral, ceux-ci étant appréciés sur
l’accès aux aides (De lièvre, 2000),
la perception du rôle des tuteurs (Gagné et al., 2001), (Heuer et King, 2004),
le nombre et la nature des échanges entre les participants (Bernatchez et Marchand, 2005),
la satisfaction ou la motivation (Gagné et al., 2001), (Pettigrew, 2001) ou encore les résultats individuels obtenus par les étudiants au
terme de la formation (Quintin, 2005).
À ce jour, les études se sont principalement focalisées sur
la comparaison entre deux modalités d’intervention tutorale :
proactive et réactive. Les résultats obtenus indiquent que la
proactivité inciterait les étudiants à utiliser les aides
disponibles (De Lièvre, 2000) et à augmenter le nombre de leurs interventions (Bernatchez et Marchand, 2005) et qu’elle permettrait d’obtenir de meilleurs résultats
individuels (Quintin, 2005).
3. Dispositif de recherche
Par la présente recherche, nous entendons,
d’une part, confirmer les éléments antérieurement mis
en évidence (Quintin, op. cit.) et, d’autre part,
évaluer l’efficacité de cinq modalités
d’intervention tutorale (MiT) appliquées dans le cadre d’une
formation à distance.
Sept tuteurs ont assuré l’encadrement de 105 étudiants
inscrits à un cours portant sur l’étude de différents
modèles contemporains d’enseignement-apprentissage, dispensé
en deuxième année universitaire dans une faculté de
psychologie et de sciences de l’éducation.
L’expérience pédagogique de ces tuteurs à
l’entame de la formation s’avérait sensiblement
différente : trois enseignants avaient déjà
encadré de nombreuses formations à distance (de 12 à 30) et
disposaient pour deux d’entre eux d’une longue pratique
pédagogique en face-à-face (15 à 23
années) ; les quatre autres tuteurs, plus ou moins
expérimentés en contexte présentiel (0 à 12
années), étaient relativement novices en matière de suivi
à distance (1 à 3 formations).
Comme l’illustre le tableau 1, chaque tuteur a encadré cinq
équipes de trois étudiants, en veillant à appliquer
à chacune d’entre elles une modalité d’intervention
tutorale différente. Les étudiants ont été
répartis aléatoirement dans les équipes, ce qui, par voie
de conséquence, les affectait également à un groupe
expérimental.
|
|
Tuteurs |
Equipes |
Etudiants |
MiT |
Grp. exp. |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
Proactive ciblée sur |
l’organisationnel |
Org |
1* |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
7 |
21 |
le pédagogique |
Péda |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
7 |
21 |
le socio-affectif |
Soc |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
7 |
21 |
Proactive non ciblée |
Pro |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
7 |
21 |
Réactive non ciblée |
Réa |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
7 |
21 |
Equipes |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
35 |
|
Etudiants |
15 |
15 |
15 |
15 |
15 |
15 |
15 |
|
105 |
(*) Nombre d’équipes |
Tableau 1 • Constitution des groupes
expérimentaux
La formation à distance s’est déroulée sur dix
semaines, durant l’année 2005-2006, dont six ont été
consacrées à la réalisation, via un forum de
discussion1, de quatre
activités menées en groupe restreint (i.e. rédaction
d’une synthèse textuelle, réalisation d’une carte
conceptuelle, activité de débat et conception/analyse d’une
situation de formation), portant sur les modèles
d’enseignement-apprentissage. Les tâches proposées peuvent se
différencier à la fois par les démarches intellectuelles
mobilisées (prendre et traiter de l’information, communiquer,
résoudre des problèmes, imaginer,
expliquer...)2 et par le mode
d’organisation du travail d’équipe induit :
mutualisation ("synthèse textuelle"), collaboration ("carte conceptuelle"
et "conception/analyse") ou non orienté ("débat").
L’efficacité des modalités d’intervention tutorale
a été appréciée par l’analyse des
progrès individuels enregistrés au terme de la formation
(pré-test/post-test), par la qualité des travaux
réalisés en cours de session par les équipes et enfin par
le taux de participation et le degré d’assiduité des
étudiants aux échanges asynchrones.
4. Définition des modalités d’intervention tutorale
(MiT)
Les premières recherches qui portent sur
l’identification des rôles exercés par les membres d’un
groupe engagés dans une tâche commune remontent aux années
quarante. Benne et Sheats (1948), cités par (Mongeau et Tremblay, 1995) définissent à cette époque trois dimensions majeures qui
différencient fonctionnellement les interventions des membres d’un
groupe : les rôles centrés sur la tâche, sur le maintien
de la cohésion et sur les besoins individuels (cf. aussi (Anzieu et Martin, 1994)).
À quelques nuances près, les auteurs s’accordent pour
considérer que l’intervention d’un membre d’un groupe
peut se caractériser selon les deux premières dimensions
énoncées, à savoir une centration sur la tâche
à réaliser et sur l’entretien des relations
inter-individuelles (Mongeau et Tremblay, 1995).
Dans le domaine de l’enseignement à distance, l’attention
s’est portée sur les fonctions dévolues aux interventions
des tuteurs. L’analyse d’une dizaine de typologies recensées
dans la littérature (Mason, 1991), (Berge, 1995), (Dionne et al., 1999), (Rossman, 1999), (Vermont et Verloop, 1999), (De Lièvre, 2000), (Coppola et al., 2001), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004) permet d’identifier deux constantes : la présence de fonctions
orientées d’une part vers les aspects relationnels (climat,
cohésion...) et affectifs (gestion des émotions, motivation...) et
d’autre part vers des interventions pédagogiques,
accompagnées, dans certaines typologies, d’actions destinées
à susciter la réflexion métacognitive. Dans la
majorité des cas (six cas sur dix), on y trouve également une
rubrique relative à l’aide organisationnelle essentiellement
orientée vers la gestion du temps et la répartition des
tâches entre les membres d’une équipe. Certains auteurs y
intègrent en outre une fonction de suivi et/ou de synthèse des
échanges entre les apprenants (Masson, 1991), (Berge, 1995).
D’autres catégories d’interventions, minoritairement
représentées dans ce panel, concernent les aspects techniques (Berge, 1995), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004),
administratifs (De Lièvre, 2000), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004) ou communicationnels (Bernatchez, 2003).
Les trois fonctions principales recensées dans la littérature
ont été retenues pour élaborer les MiT
ciblées : socio-affective, pédagogique et organisationnelle.
Leurs fonctions principales sont les suivantes :
- MiT socio-affective : Etablir et maintenir un
climat relationnel propice au travail de
l’équipe ; favoriser la cohésion entre les
membres ; soutenir les étudiants dans
l’effort ; valoriser le travail individuel et collectif qui est
réalisé.
- MiT organisationnelle : Soutenir
l’organisation du travail collectif au niveau de la répartition des
tâches et de leur planification ; rappeler les
échéances ; inciter la réflexion sur
l’organisation de l’équipe.
- MiT pédagogique : Expliciter les objectifs
et les critères d’évaluation ; intervenir par
étayage sur les contenus ; apporter un soutien
méthodologique ; susciter la réflexion
métacognitive ; soutenir les conflits sociocognitifs.
Enfin, rappelons que les modalités réactive et proactive
(cette dernière étant qualifiée dans la recherche de proactive non ciblée), envisagent le soutien de manière
"classique", non orienté sur une dimension particulière
d’intervention.
Dans le cadre de notre expérimentation, les tuteurs avaient comme
consigne d’appliquer les trois modalités ciblées en
privilégiant les composantes d’intervention qui les
caractérisent. Différents supports leur ont été
fournis afin de les assister dans leurs actions de suivi : un
scénario d’encadrement a été élaboré de
manière à suggérer les interventions spécifiques
à chacune des MiT ; un forum d’échange entre les
tuteurs et le coordinateur-chercheur a été mis en place afin
d’aborder les interrogations relatives à la formation et à
l’application des différentes modalités de
suivi ; enfin deux entretiens téléphoniques ont
été l’occasion de faire le point de la situation avec chacun
des tuteurs.
5. Efficacité des modalités d’intervention
tutorale
D’une manière générale,
il ressort des résultats de l’analyse des différentes
variables prises en considération pour évaluer
l’efficacité des MiT (gains relatifs entre le pré-test et le
post-test, qualités des activités en équipe, taux de
participation et degré d’assiduité dans les échanges
asynchrones) que la modalité proactive non ciblée et la
modalité proactive ciblée sur les composantes socio-affectives
d’intervention ont eu un impact favorable sur les résultats de
l’apprentissage.
5.1. Performances individuelles et participation des étudiants
Les performances individuelles des étudiants ont été
mesurées au moyen des progrès réalisés entre le
prétest et le post-test (gains
relatifs)3. À cette fin, deux
épreuves semblables ont été élaborées.
L’activité suscitée était destinée à
évaluer la capacité de l’étudiant à analyser
une situation de formation à partir des concepts abordés lors du
cours4. La modalité
ciblée sur la composante socio-affective aboutit, en moyenne, à de
meilleurs résultats
(M = 38.51 % ; SD = 31,43 %)
suivie de la modalité proactive non ciblée
(M = 28.56 % ; SD = 34.57 %),
pédagogique
(M = 23.08 % ; SD = 39.06 %)
et organisationnelle
(23.03 % ; SD = 27.46 %), le groupe
réactif obtenant les performances les plus basses
(M = 6.58 % ; SD = 33.44 %).
La MiT socio-affective s’est en outre révélée
significativement plus efficace que la modalité réactive, en
obtenant en moyenne plus de 30 % de gains relatifs supplémentaires
(MW5 : Z(1,41) = -2.884 ; p = .004),
ce qui correspond à une taille d’effet d’amplitude
élevée
(TE = 0.98 ; IC95% = 0.34/1.63)6.
Les résultats des comparaisons pairées indiquent également
la présence d’une différence statistiquement significative
entre le groupe "proactif non ciblé" (Pro) et "réactif"
(Réa) (MW : Z(1,40) = -2.018 ; p = .044).
Ceci permet de confirmer nos résultats antérieurs quant à
une plus grande efficacité de la modalité proactive non
ciblée sur la MiT réactive (Quintin, 2005),
ainsi que de relever une donnée nouvelle : l’impact positif
d’un tutorat proactif centré sur des interventions socio-affectives
sur les performances académiques individuelles.
L’observation des moyennes d’engagement dans les échanges
asynchrones indique que les étudiants des équipes
"socio-affectives", "pédagogiques" et "proactives non ciblées" ont
fait preuve d’une participation (nombre et longueur des messages
déposés) et d’une assiduité (nombre de jours
d’intervention) soutenues. À l’inverse, les équipes
"réactives" et "organisationnelles" obtiennent en moyenne des indices
d’engagement plus faibles. Ces résultats se traduisent par des
différences qui, dans certains cas, se révèlent
statistiquement significatives. Ainsi, les groupes Soc et Péda obtiennent
des taux de participation significativement plus élevés que le
groupe Org et Réa (MW : .009 < p < .047),
les étudiants du groupe Pro faisant preuve, quant à eux,
d’une participation plus soutenue que ceux du groupe Org
(MW : Z(1,40) = 2.813 ; p = .005)
et d’une assiduité plus grande que ceux du groupe Réa
(MW : Z(1,40) = -2.114 ; p = .035).
5.2. Qualité des activités réalisées en
équipe
Nous avons également remarqué une évolution
contrastée de la qualité des activités
réalisées par les équipes. Trois profils diachroniques se
dégagent de l’observation de l’évolution des moyennes
des notes centrées
réduites7 obtenues par les
différents groupes expérimentaux aux quatre activités. Le
premier profil se caractérise par une progression de la qualité
des tâches réalisées entre la première phase
(activité 1 et 2, trois semaines) et la seconde phase de la formation
(activité 3 et 4, trois semaines). Comme l’illustre la
figure 1, les équipes du groupe Soc et Pro correspondent à ce
cas de figure. Ainsi, les équipes suivies selon une modalité
socio-affective ou proactive non ciblée, qui à l’issue de la
première phase se situent respectivement en deuxième et
troisième position, obtenant une moyenne de 51.5 (Soc) et de 49.4
(Pro), améliorent sensiblement leur résultat au terme de la
formation (Soc : 55.7 ; Pro : 53). À l’inverse,
le deuxième profil, regroupant les équipes du groupe Org et
Péda, se caractérise par une régression de la
qualité de leurs travaux entre les deux phases de la formation.
Comparativement aux autres, le groupe Péda démarre la formation en
force obtenant une moyenne de 53.8 en phase 1 pour finalement
régresser durant la seconde partie de celle-ci
(M = 48.1). Toute proportion gardée, cette tendance
s’observe également chez les étudiants suivis selon la
modalité organisationnelle, dont la moyenne passe de 48.3 à 45.8.
Enfin, les équipes du groupe Réa correspondent à un
troisième profil diachronique. Ainsi, comme le montre la figure 1,
la qualité des activités réalisées par les
équipes "réactives" stagne autour de 47 entre les deux
parties de la formation.
Figure 1 •
Moyennes des notes centrées réduites obtenues par les groupes
expérimentaux aux activités de la phase 1 et 2 de la
formation
Ces résultats indiquent ainsi que les cinq modalités
d’intervention tutorale ont eu des effets sensiblement différents
sur les résultats de l’apprentissage, les MiT socio-affective et
proactive non ciblée se révélant à bien des
égards plus efficaces que les autres modalités.
À l’issue de ces analyses cependant, nous ne savons pas si les
modalités de suivi ont été appliquées
conformément aux orientations théoriques de départ, ni ne
connaissons la manière dont elles ont été
actualisées dans le discours des tuteurs.
6. Questions de recherche
Les modalités
d’intervention tutorale ont été présentées
jusqu’à présent telles qu’elles ont été
définies en théorie et proposées aux tuteurs pour
application durant la formation. Il nous incombe maintenant d’analyser la
manière dont elles ont été appliquées sur le
terrain. À titre d’exemple, nous pouvons nous demander si la MiT
socio-affective comporte effectivement plus d’interventions à
caractère socio-affectif que les autres ou encore si les interventions
des tuteurs dans cette modalité sont plutôt orientées vers
l’entretien d’un climat relationnel positif, vers le soutien des
étudiants dans l’effort ou vers une autre catégorie
d’intervention.
Ces interrogations nous permettent de poser notre première question de
recherche :
QR1 : Sur la base du suivi effectivement réalisé par
les tuteurs dans cette formation, quelle est la nature des modalités
d’intervention dites "socio-affective", "organisationnelle" et
"pédagogique" mises en œuvre pour encadrer le travail
d’étudiants réunis en groupes restreints ?
Ainsi posée, cette question en appelle une autre : de même
que toute intervention pédagogique, l’application des
modalités ciblées relève de l’action
d’individus dotés d’un profil idiosyncrasique de tutorat.
Nous nous demandons par conséquent quels sont les traits qui
caractérisent ce profil "naturel", en référence aux trois
dimensions considérées (S, P, O), de manière à
estimer les changements que les tuteurs ont dû opérer pour se
conformer au plan expérimental.
De là, notre seconde question de recherche :
QR2 : Quels sont les modèles d’interventions
spécifiques à chacun des tuteurs engagés dans la formation
(modèles idiosyncrasiques) ?
7. Méthodologie
7.1. Analyse de contenu catégorielle
La démarche méthodologique que nous
avons adoptée, tant pour vérifier la conformité de
l’application des modalités d’intervention que pour
répondre aux deux questions de recherche, repose sur une analyse des
messages déposés par les tuteurs dans les forums.
Notre corpus a été analysé suivant les principes
généraux d’une analyse de contenu dite catégorielle, en
ce sens qu’elle "vise à prendre en considération la
totalité d’un “texte” pour le passer à la
moulinette de la classification et du dénombrement par fréquence
de présence (ou l’absence) d’items de sens" (Bardin, 2001) (p. 41). En référence aux travaux de Berelson, (1952), cité
par (Krippendorff, 1980), (Mucchielli, 1994), (Krippendorff, 1980), (Bardin, 2001),
Riffe et al. (1998) cités par (Rourke et al., 2001) et (Neuendorf, 2002),
cette analyse sera définie plus précisément
comme une technique de prise d’informations quantitative,
systématique, intersubjective, exhaustive et réplicable,
opérée à partir de l’interprétation d’un
discours dans le but de répondre aux questions de recherche.
Conformément à l’approche discursive adoptée pour
saisir la nature des interventions, l’interprétation d’un
segment textuel s’est effectuée non seulement à partir de la
valeur sémantico-pragmatique de celui-ci mais s’est
également appuyée sur les relations que le segment entretient avec
le "cotexte" ainsi que sur les informations du contexte disponibles (de Nuchèze et Colletta, 2002), (Lund, 2003).
Le corpus analysé est constitué de l’ensemble des
messages déposés par les tuteurs dans les forums (N = 1
452). Cet échantillon représente la totalité des
interventions tutorales à l’exception des courriels transmis aux
étudiants (moyenne de sept courriels par tuteur), des contacts
sporadiques en face-à-face et des séances de clavardage auxquelles
certains tuteurs ont ponctuellement participé (cinq séances au
total).
7.2. Unité de codage et unité
d’énumération
Procéder à une analyse de contenu catégorielle revient
à segmenter le texte en noyaux de sens et à les répartir
dans des catégories de codage (Bardin, 2001), (De Wever et al., 2006).
La fréquence d’apparition d’une catégorie de noyaux de
sens est considérée comme une mesure de son importance dans le
discours (Krippendorff, 1980).
Le choix de l’unité de codage est une étape essentielle de
ce processus dans la mesure où elle détermine la
granularité de l’analyse et par là, oriente
l’interprétation du contenu de la communication (De Wever et al., 2006).
Une controverse existe quant au choix à opérer entre des
unités qui reposent sur des critères formels (mot, phrase,
paragraphe, message...) et celles qui se fondent sur le sens (unité de
sens ou thématique). Les premières permettraient une segmentation
fiable du texte alors que les secondes offriraient l’avantage de la
flexibilité, les unités pouvant être de taille variable et
le sens pouvant être véhiculé par différentes formes
d’énonciation (Rourke et al., 2001).
En définitive, selon (Rourke et al., 2001),
l’idéal serait de combiner les avantages de la stabilité de
segmentation de l’une et de la flexibilité de l’autre.
Ainsi, dans cette recherche, il est apparu qu'un système hybride
associant à la fois l'unité formelle que constitue le
paragraphe comme base d'énumération et
l’unité de sens comme référent de codage
s'avérait une solution adaptée à l’analyse de notre
corpus.
Le choix du paragraphe comme unité
d’énumération repose sur le présupposé que
l’action de "passer à la ligne" marque l’intention de
l’auteur de distinguer les idées importantes qu’il veut
communiquer. Au vu du corpus, il est apparu que les tuteurs ont effectivement
privilégié cette forme de segmentation pour mettre en avant les
idées clés de leur discours.
Dans notre situation d’analyse, le paragraphe ne pouvait cependant pas
être retenu comme unité de codage. En effet, une telle
unité risquait de sous-représenter les catégories de codage
relevant de noyaux sémantiques actualisés par des unités
syntaxiques plus courtes que le paragraphe. Dans certaines circonstances, ces
éléments, noyés dans le paragraphe, n’auraient pas
été comptabilisés. Nous pensons en particulier à
ceux relatifs à l’humour, à la valorisation de l’autre
ou aux encouragements qui peuvent être transmis au moyen d’un ou de
quelques mots seulement ("Bravo", "Bon courage"). Une unité de type
sémantique nous a semblé nettement plus appropriée pour
coder des noyaux de sens qui, à l’observation, dénotent une
grande variabilité d’énonciation.
Aussi, la méthode d’analyse retenue a-t-elle consisté
à découper le corpus en paragraphes (unité
d’énumération) et à coder ensuite ses noyaux de sens
(unités de codage). Le calcul fréquentiel s’est
réalisé sur la base de l’unité
d’énumération, chaque paragraphe se voyant attribué
un point. Dans le cas de plusieurs noyaux de sens au sein d’un même
paragraphe, la valeur de ceux-ci s’est vue affectée d’une
pondération (0.5 pour deux noyaux). L’identification des noyaux de
sens s’est fondée sur le repérage des actes de parole
directeurs et des actes
subordonnés8 (Roulet et al., 1987),
l’ensemble formant le segment textuel à coder.
L’interprétation s’est appuyée sur la valeur à
la fois locutoire et illocutoire de l’énoncé.
L’affectation du segment à l'une des catégories de la grille
de codage a donc été envisagée selon une perspective
pragmatique (Kerbrat-Orecchioni, 2001), (Charaudeau et Maingueneau, 2002),
nous incitant à qualifier l’unité de codage de sémantico-pragmatique.
7.3. Définition des catégories de codage
Notre grille d’analyse se compose de cinq catégories principales
subdivisées en trente-sept catégories secondaires. Les
premières correspondent aux fonctions tutorales identifiées
à partir des typologies recensées dans la
littérature9. Il s’agit
des fonctions organisationnelle, pédagogique, socio-affective et
technique. Suite à l’exploration du corpus (phase de
pré-analyse), une catégorie supplémentaire relative aux
rituels d’ouverture et de clôture s’est
révélée nécessaire pour couvrir la totalité
des noyaux de sens du corpus (principe d’exhaustivité). Notre
recherche portant sur l’effet des modalités socio-affective,
pédagogique et organisationnelle, ces trois catégories principales
ont été développées de manière plus
détaillée.
Les catégories secondaires ainsi que les règles de codage ont
été définies selon une démarche semblable (i.e.
revue de la littérature et pré-analyse du corpus). Nous nous
proposons de décrire ci-après les différentes
catégories secondaires (désormais désignées
simplement par le terme "catégorie") de la grille de codage et de donner
quelques indications sur les règles qui ont présidé
à l’affectation des noyaux de sens. Notons que le respect du
principe d’exhaustivité adoptée pour cette analyse explique
la présence d’un nombre important de catégories
(trente-sept) dont certaines peuvent paraître secondaires au regard des
visées de la recherche. Il s’agit par exemple des actes de langage
utilisés pour introduire le développement d’une idée
(e.g. "Voici mes commentaires par rapport au travail que vous
m’avez transmis"), que nous avons répertoriés sous
l’intitulé "amorce". Cette quantité s’explique
également par la volonté de limiter la perte d’information
qui résulterait inévitablement d’un codage
réalisé à partir d’un nombre de catégories
plus restreint.
Précisons enfin que la grille de codage a été
appliquée par le chercheur lui-même et testée par un
deuxième codeur à partir d’un échantillon du corpus
(fidélité inter-codeur : Kappa = 0.7010 ; p = .000).
7.3.1. Les quatorze catégories socio-affectives
Une première version des catégories socio-affectives a
été élaborée à partir des travaux que
Garrison et ses collaborateurs (Garrison et al., 2000), (Garrison et al., 2001),
(Rourke et al. 2001) ont menés autour du concept de présence sociale. Les auteurs la définissent comme
étant la capacité des participants d’une formation à
distance de se projeter sur le plan social et émotionnel dans une
communauté d’apprentissage (Garrison et al., 2000).
La présence sociale est investiguée par ces chercheurs à
partir de trois grandes catégories de répliques : affectives,
interactives et cohésives (Rourke et al., 2001).
Les répliques affectives dénotent la capacité de
l’individu à exprimer ses sentiments. Les répliques
qualifiées d’interactives correspondent d’une part aux
échanges qui témoignent d’une conscience mutuelle de la
présence de chacun ("mutual awareness"), et d’autre part
à la reconnaissance de la contribution de chacun, celle-ci pouvant
être identifiée à partir de marques de valorisation et
d’encouragement (ibid.). Enfin, les répliques
cohésives sont envisagées comme des activités susceptibles
de favoriser l’engagement du groupe (ibid.).
La confrontation de cette classification avec celle proposée par les
autres auteurs consultés11,
ainsi qu’avec notre corpus, nous a permis d’identifier les
catégories socio-affectives décrites ci-après.
- Expression d’une émotion positive ou
négative (Garrison et al., 2000), (Rourke et al., 2001),
Cette catégorie d’actes de parole se caractérise par
l’expression d’une "émotion brute". Nous avons codé
les segments relatifs à cette catégorie en distinguant d’une
part les émotions "positives" (joie, surprise positive, soulagement... e.g. "Moi aussi, je suis contente !" ) et d’autre part
les émotions "négatives" (crainte, colère,
contrariété, déception, découragement, embarras... e.g. "AVEZ-VOUS DES NOUVELLES DE NATHAN ??? Il est temps pour lui
de raccrocher à présent ...").
- Sollicitation à participer (Mason, 1991), (Paulsen, 1995), (Rossman, 1999), (Coppola et al., 2001), (Béziat, 2004), (Chang, 2004), (Heuer et King, 2004).
Le tuteur sollicite la participation d’un ou de plusieurs
étudiant(s) (e.g. "J'attends avec impatience les premiers
travaux d'Emma et de Camille. :-)").
- Encouragement (Dionne et al. 1999), (Vermont et Verloop, 1999), (Béziat, 2004), (Heuer et King, 2004).
Cette catégorie regroupe des unités qui correspondent aux deux cas
de figure suivants :
• Le tuteur fournit un soutien dans l’effort. À la
différence de la sollicitation à participer, les unités de
cette catégorie interviennent lorsque la participation de
l’étudiant est jugée effective (e.g. "Courage,
vous touchez au but !").
• Le tuteur escompte le bon déroulement des activités
menées par les étudiants. Cette intervention est destinée
à anticiper et à désarmer un éventuel sentiment de
découragement (e.g. "Allez... cela va bien se
passer..").
- Sentiment d’appartenance (Deschênes, 2001), (Bernatchetz, 2003), (Heuer et King, 2004).
Les unités classées dans cette catégorie participent au
développement présumé d’un sentiment
d’appartenance des étudiants à leur équipe.
• Le tuteur utilise des références identitaires communes
ou évoque un vécu partagé (e.g . "Je vois que vous
avez des passions communes : les enfants et cet intérêt pour
le monde de l'enfance...").
• Les interventions mettent à contribution la solidarité
intra-équipe ou suscitent l’entraide (Berge, 1995), (Paulsen, 1995), (Rossman, 1999), (Vermont et Verloop, 1999) (e.g. "N'hésitez donc pas à vous communiquer ce que vous
trouvez si vous estimez que ça peut intéresser tout le monde.
C'est une chouette façon de s'entraider, qu'en
pensez-vous ?").
• Le tuteur dévoile une part de lui-même ce qui le
rapprocherait des étudiants en tant que membre effectif de
l’équipe (Rossman, 1999), (Garrison et al., 2000), (Rourke et al., 2001), (Béziat, 2004) (e.g. "Personnellement, comme je l'ai noté dans mon profil,
j'adore assister à des spectacles de danse, surtout la danse
contemporaine mais j'aime aussi la danse classique.").
• Le segment analysé fait référence à
l’équipe dans laquelle le tuteur s’inclut. Le recours au
"nous" inclusif, soit un "nous" (nous, nos, nôtre, équipe...)
représentant un "Je + Tu (singulier ou pluriel)" (Kamdem, 2006),
est utilisé comme indicateur principal (Garrison et al., 2000), (Rourke et al., 2001) (e.g. "Allez y, nous essayerons de faire encore mieux pour la phase 2
!").
- Valorisation individuelle ou collective (Mason, 1991). Le
segment analysé met en valeur une qualité que l’on peut
attribuer soit distinctement à l’un des étudiants
(valorisation individuelle, e.g. "Emilie, ton travail est vraiment
excellent !") soit à deux ou trois d’entre eux
(valorisation collective, e.g. "Vos échanges sont très
bons").
- Gestion relationnelle. Cette catégorie regroupe deux
ensembles d’unités sémantico-pragmatiques :
• celles qui correspondent à une réaction du tuteur face
à l’émotion positive ou négative exprimée par
un participant (Vermont et Verloop, 1999), (Bernatchetz, 2003) (e.g. "No stress, je viens de voir votre message. je vois ce que je peux
faire.") ;
• celles qui sont destinées à ménager
l’"autre", à préserver sa "face" (Kerbrat-Orecchioni, 1990), (Kerbrat-Orecchioni, 1998) ou qui s’enquièrent de la manière dont
l’étudiant se sent ou vit affectivement les
événements (Paulsen, 1995), (Béziat, 2004) (e.g. "Je suis franchement désolé si tu es
déçue... ce n'est pas dans ce but que j'ai rédigé
ces "remarques". D'ailleurs, elles sont adressées à vous
trois...").
- Offre de soutien (Béziat, 2004).
Dans cette catégorie d’unités d’intervention, le
tuteur indique que les étudiants peuvent compter sur lui pour les aider
(e.g. "N'hésitez pas à me solliciter si vous avez besoin
de mon aide pour le démarrage").
- Justification/excuse. Le tuteur justifie et/ou
présente des excuses pour un manquement. Se présentant en position
basse par rapport aux étudiants (Develotte, 2006),
l’enseignant favoriserait un phénomène de
"déhiérarchisation des relations dissymétriques" (Bourdet, 2006) (e.g. "Ouppssss désolé d'avoir mis tout le monde dans
l'embarras par mon absence... ").
- Digression (1 et 2). Deux catégories ont
été prévues dans la grille de codage selon que le tuteur
initie (digression 1) ou poursuit (digression 2) une discussion "hors sujet" de
formation (e.g. "Bon anniversaire Amélie. Si j'ai bien lu,
c'était samedi le grand jour.").
- Humour (Garrison et al., 2000), (Coppola et al., 2001), (Rourke et al., 2001), (Béziat, 2004). Sont regroupés dans cette catégorie l’humour,
l’ironie, la boutade, le second degré et les plaisanteries
(e.g. "Pendant que je me repose et me change les idées, vous
travaillez. À chacun son rôle!").
- Rôle socio-affectif. Le tuteur présente la
fonction qu’il envisage de remplir dans l’accompagnement de
l’équipe et celle-ci est de nature socio-affective (e.g. "je serai également là pour assurer la bonne cohésion du
groupe").
7.3.2. Les huit catégories pédagogiques
Les catégories pédagogiques ont été
élaborées selon une démarche semblable à celle
relative aux interventions socio-affectives, une première version,
construite à partir d’éléments relevés dans la
littérature, étant par la suite confrontée au corpus.
D’une manière générale, les catégories
pédagogiques identifiées concernent des interventions tutorales
qui se centrent sur l’objet de la tâche à
réaliser.
- Consignes, objectifs et critères
d’évaluation (Rossman, 1999), (Coppola et al., 2001), (Daele et Docq, 2002), (Chang, 2004). (Heuer et King, 2004). Le tuteur apporte une information à propos des consignes, des
objectifs ou sur les critères qui seront utilisés pour
évaluer les travaux des étudiants. Cette catégorie inclut
également les rétroactions qui portent spécifiquement sur
le respect des consignes et la centration sur les objectifs (e.g. "N'oubliez pas: le texte doit présenter les 6 auteurs, leurs
idées et leurs concepts").
- Contenu (Mason, 1991),
(Dionne et al. 1999), (Vermont et Verloop, 1999), (Coppola et al., 2001), (Bernatchetz, 2003). Les unités d’intervention de cette catégorie portent sur
le contenu pédagogique de la tâche. Le tuteur réagit
à une conception formulée par les étudiants
(rétroaction) ou participe directement à
l’élaboration du contenu de la tâche (étayage)
(e.g. "Au niveau du contenu, n'hésitez pas à
insérer Vygtosky car vous mettez en évidence l'importance de
l'interaction...un lien est alors possible avec la zpd...").
- Méthode (Dionne et al. 1999), (Bernatchetz, 2003). Dans cette catégorie d’intervention, le tuteur émet des
suggestions, donne un avis, fournit une rétroaction ou questionne par
rapport à la méthode utilisée pour réaliser le
travail demandé. Le terme "méthode" utilisé pour qualifier
cette catégorie désigne tant la démarche pédagogique
appliquée pour réaliser la tâche (i.e. les étapes
prévues pour répondre aux objectifs de l’activité)
que la manière dont le travail demandé est structuré.
(e.g. "Ca me paraît une bonne idée de structurer les
comparaisons sous forme de tableaux.").
- Appréciation pédagogique (Mason, 1991), (Rossman, 1999), (Vermont et Verloop, 1999).
Cette catégorie regroupe les noyaux de sens qui apportent une information
relative à l’adéquation générale du
déroulement de l’activité ou du travail demandé.
Cette catégorie est utilisée lorsque l’objet sur lequel
porte l’appréciation ne permet pas d’affecter le noyau de
sens dans une autre catégorie pédagogique de la grille de codage
(i.e. consignes, contenu et méthode). Le cas prototypique est
représenté par les nombreux "Ok" utisés par les tuteurs
pour marquer leur accord sur le travail réalisé sans apporter
d’information sur les raisons de cette approbation.
- Bilan pédagogique (Coppola et al., 2001). Par son intervention, le tuteur situe l’état d’avancement
du travail par rapport aux exigences de l’activité ou demande des
informations à ce sujet (e.g. "Vous avez déjà
recueilli pas mal d'informations, cette part du travail me semble
réalisée pour la plupart d'entre vous !").
- Sollicitation pédagogique (Mason, 1991), (Berge, 1995), (Paulsen, 1995), (Vermont et Verloop, 1999), (Coppola et al., 2001).
Cette catégorie regroupe les segments textuels dans lesquels le tuteur
sollicite les étudiants à explorer une piste, à envisager
une problématique ou encore à réaliser une activité
pédagogique complémentaire non prévue dans le
scénario d’apprentissage (e.g. "Piaget n'a-t-il pas
certains points communs avec Dewey ? Avec Vygotsky ?").
- Rôle pédagogique. Le tuteur présente la
fonction qu’il envisage de remplir dans l’accompagnement de
l’équipe et celle-ci est de nature pédagogique (e.g. "Voilà, mon rôle sera surtout de vous aider à bien
comprendre les contenus des documents que vous aurez à analyser. Cela
vous permettra de répondre efficacement aux objectifs qui vous sont
fixés (voir ci-dessous).").
- Amorce pédagogique. Cette dernière
catégorie permet de rassembler les segments de texte dont la fonction est
d’introduire d’autres noyaux de sens de type pédagogique. Il
s’agit par exemple de l’énoncé : "Voici
mes commentaires par rapport au document que vous avez
déposé :" suivi d’une liste de remarques. Bien que
dépourvue d’intérêt dans notre recherche, la
présence de cette catégorie permet de couvrir la totalité
du corpus.
7.3.3. Les douze catégories organisationnelles
Les catégories organisationnelles rassemblent les noyaux de sens
relatifs aux interventions tutorales qui visent à aider les
étudiants à : s’organiser dans la réalisation de
la tâche, planifier leurs activités dans le temps, trouver les
informations utiles et utiliser les outils techniques disponibles dans la
plateforme.
- Coordination (Vermont et Verloop, 1999), (Daele et Docq, 2002). Cette catégorie regroupe les unités d’intervention qui
se rapportent au soutien offert par le tuteur au niveau de la répartition
du travail et de sa coordination. Cette catégorie inclut les noyaux de
sens qui concernent la sollicitation, l’évaluation et le soutien
métaréflexif en rapport avec la coordination des tâches au
sein de l’équipe (e.g. "Caro, à toi la
synthèse, le grand "mixage" de tout.").
- Délai (Daele et Docq, 2002), (Béziat, 2004). À l’occasion de ces unités d’intervention, le
tuteur rappelle les échéances de fin d’activité ou
les délais de soumission du travail demandé (e.g. "Veillez à bien respecter l'échéance de demain, mardi 28
février à minuit au plus tard.").
- Planification temporelle des activités (Mason, 1991), (Berge, 1995), (Vermont et Verloop, 1999), (Daele et Docq, 2002), (Béziat, 2004). Les interventions de cette catégorie sont utilisées par le
tuteur pour apporter une aide à la planification temporelle des
différentes tâches. Ceci inclut également la sollicitation
à structurer les tâches dans le temps, la rétroaction
fournie et la réflexion suscitée autour de la gestion du temps
(e.g. "Que diriez-vous de mettre au point un calendrier qui permette
de mettre en évidence les échéances fixées et le
rythme de travail que vous allez adopter ?").
- Agenda. Cette catégorie concerne la gestion des
disponibilités de chacun en vue de l’organisation des
éventuelles rencontres synchrones (à distance ou en
présentiel) (e.g. "On peut aussi se fixer, vous et moi, un
rendez-vous par Chat ce we, ou ce vendredi matin (10 h..) Dites-moi.").
- Sollicitation organisationnelle (Vermont et Verloop, 1999), (Daele et Docq, 2002). Les noyaux de sens relevant de cette catégorie marquent une
sollicitation générale à s’organiser en
équipe. Cette catégorie est utilisée lorsque l’objet
de la sollicitation ne permet pas d’affecter le noyau de sens dans une
autre catégorie organisationnelle (i.e. coordination, planification
temporelle des activités, agenda) (e.g. "Organisez-vous au
plus vite.....").
- Appréciation organisationnelle. Semblable
à la catégorie relative à l’appréciation
pédagogique, celle-ci concerne les interventions qui apportent une
appréciation à caractère organisationnel, sans qu’il
soit possible d’identifier précisément l’objet sur
lequel porte la rétroaction (i.e. coordination, planification temporelle
des activités, agenda) (e.g. "Votre organisation fonctionne
bien, on dirait !").
- Bilan organisationnel. Les segments textuels de
cette catégorie indiquent que l’intervention du tuteur situe
l’état d’avancement du travail par rapport aux
échéances (e.g. "Délais respectés pour
Dorian et Lena qui ont déposé chacun deux documents, ce qui nous
fait 4 auteurs sur les 6 à aborder.").
- Gestion des ressources matérielles (Berge, 1995), (Paulsen, 1995), (Dionne et al., 1999), (Rossman, 1999), (Daele et Docq, 2002), (Béziat, 2004), (Heuer et King, 2004). Les ressources font référence aux moyens de communication
(clavardage, forum, courriel, réunion en présentiel...), de
travail (logiciel, laboratoire informatique...) et d’accès à
l’information (localisation d’une information dans la plateforme,
sur Internet, à la bibliothèque...) disponibles durant la
formation que ce soit à l’intérieur ou à
l’extérieur de la plateforme utilisée. Les noyaux de sens
affectés à cette catégorie ont trait aux aides fournies par
le tuteur dans le choix et l’utilisation adéquats de ces ressources
(e.g. "Quels outils allez-vous employer ? Forum (pour y faire
quoi ?) ? Chat (Pour y faire quoi ?)").
- Circulation de l’information (Bernatchetz, 2003), (Chang, 2004). Les segments de cette catégorie apportent une aide à la bonne
circulation de l’information entre les membres de l’équipe
(tuteur compris). On y relève principalement des unités
d’intervention utilisées pour annoncer le déplacement
d’un message d’un sujet de discussion vers un autre ou la copie du
contenu d’un courriel dans le forum (e.g. "PS: Je vous envoie
également ce message par mail.").
- Annonce d’une action dans le temps. Cette
catégorie permet de rendre compte des interventions qui situent dans le
temps les actions que le tuteur compte réaliser (e.g. "Je
consulterai vos travaux d'équipe dans le courant de la journée de
demain.").
- Rôle organisationnel. Le tuteur présente la
fonction qu’il envisage de remplir dans l’accompagnement de
l’équipe et celle-ci est de nature organisationnelle (e.g. "je suis là pour vous aider à organiser votre
travail.").
- Amorce organisationnelle. Cette catégorie rassemble
les segments de texte dont la fonction est d’introduire des noyaux de sens
à caractère organisationnel (e.g. "Pour vous organiser,
il convient : ...").
7.3.4. La catégorie technique
Cette catégorie regroupe en une seule entité l’ensemble
des unités d’intervention qui visent à résoudre des
problèmes d’ordre purement technique (e.g. fichier
corrompu, impossibilité d’accéder au clavardage) ou à
communiquer des informations sur la procédure technico-ergonomique
permettant d’exécuter une fonction logicielle (e.g. "Déposer le document final ici en cliquant sur le lien
"Ajouter".") (Berge, 1995), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004), (Heuer et King, 2004).
7.3.5. Les rituels d’ouverture et de clôture
Comme le précise (de Nuchèze, 2001),
"l’ouverture et la clôture des échanges sont le lieu
privilégié des rituels socio-langagiers... Ils
relèvent quasiment du ”pilotage automatique” de
l’interaction" (ibid. : 67). Dans la situation
particulière des échanges écrits asynchrones, ces rituels,
lorsqu’ils sont présents, se situent
préférentiellement au début et à la fin des
interventions que nous avons analysées. Ont été
répertoriées comme rituels d’ouverture ou de clôture,
les routines conversationnelles qui présentaient un caractère
conventionnel marqué. Leur fonction se situe au niveau phatique et
contribue à entretenir la dynamique interactionnelle. Dans notre corpus,
les rituels d’ouverture sont généralement composés de
salutations standardisées ("Bonjour", "Salut à vous"...) et
d’allocutifs (recours au prénom) alors que les rituels de
clôture sont représentés par des formules qui expriment le
plus souvent un souhait ("À bientôt"), un encouragement ("Bon
courage") ou un remerciement ("Merci").
8. Conformité des traitements et singularité des
modalités ciblées
Comme l’illustre le
tableau 2, les MiT ciblées comportent une proportion nettement plus
importante d’unités d’intervention (UI) dans la composante
visée. Ainsi, nous pouvons observer qu’en moyenne, dans une
modalité proactive non ciblée, les tuteurs ont consacré
26 %12 de leurs interventions
à soutenir l’organisation des équipes, 38 % à
assurer un support pédagogique et 36 % à fournir un soutien
socio-affectif. Lorsqu’ils ont ciblé leurs interventions sur une
composante particulière, les tuteurs sont passés en moyenne de
26 % à 59 % (+ 33 %) dans la modalité
"organisationnelle"
(t(6,7) = 9.462 ; p = .000)13,
de 38 % à 64 % (+ 26 %) dans la modalité
"pédagogique"
(t(6,7) = 8.274 ; p = .000)
et de 36 à 61 % (+ 25 %) dans la modalité
"socio-affective"
(t(6,7) = 6.163 ; p = .001).
Toutes ces différences sont statistiquement significatives.
|
|
% d’unités de sens relevant des
composantes d’intervention |
|
MiT |
Grps exp. |
O |
P |
S |
Total |
Proactive ciblée sur |
l’organisationnel |
Org |
59 % |
24 % |
17 % |
100 % |
le pédagogique |
Péda |
16 % |
64 % |
20 % |
100 % |
le socio-affectif |
Soc |
14 % |
25 % |
61 % |
100 % |
Proactive non ciblée |
Pro |
26 % |
38 % |
36 % |
100 % |
Réactive non ciblée |
Réa |
14 % |
53 % |
33 % |
100 % |
Tableau 2 • Proportion
d’unités d’intervention relevant des composantes
socio-affectives (S), organisationnelles (O) et pédagogiques (P) dans les
différentes MiT
Par ailleurs, un questionnaire soumis aux étudiants a permis de
confirmer la singularité des traitements. Suite à une demande
d’évaluation du suivi tutoral par le biais de questions ouvertes,
les apprenants ont cité des éléments
d’appréciation qui sont en concordance avec les
caractéristiques propres aux différentes MiT
ciblées14. Ainsi, les
étudiants du groupe Org ont relevé un nombre nettement plus
important (71 %) de qualités qui sont liées à la
catégorie "support à l’organisation". Nous observons la
même tendance chez les étudiants du groupe Péda et Soc,
ceux-ci exprimant spontanément des qualités qui relèvent
respectivement du "support pédagogique" (59 %) et du "soutien
socio-affectif" (81 %). Il semblerait donc que les étudiants suivis
selon une modalité ciblée aient bien perçu la dominante
tutorale correspondant à la nature théorique de la MiT.
L’analyse réalisée tant sur les interventions des tuteurs
que sur les appréciations des étudiants tend à indiquer que
les traitements qui ont été appliqués sont globalement
conformes aux orientations théoriques de départ.
9. Analyse de l’application des modalités d’intervention
ciblées
Cette partie de l’article
nous permettra d’apporter des éléments de réponse
à la première question de recherche (cf. supra 6). Il
s’agira d’identifier les catégories d’intervention qui
concourent à particulariser chacune des modalités ciblées
et ainsi d’éclairer les résultats d’apprentissage
obtenus par les différents groupes expérimentaux. La
singularité d’une MiT ciblée a été mise en
évidence en comparant son application à celle de la
modalité proactive non ciblée prise comme référence.
Un nombre significativement plus important d’unités
d’intervention (UI) dans une catégorie de codage (e.g. sentiment d’appartenance) constituera un indicateur de
singularité. Ainsi, comme nous le verrons par la suite, la MiT
socio-affective a suscité significativement plus d’UI dans la
catégorie sentiment d’appartenance que dans un tutorat
proactif non ciblé. Parallèlement, une analyse discriminante a
permis de tester le choix de ces indicateurs de singularité ainsi que
d’estimer la puissance d’un modèle basée sur un nombre
restreint de catégories.
9.1. Singularité de la modalité socio-affective
L’application de la modalité socio-affective a
entraîné un nombre significativement plus important
d’unités d’intervention dans la catégorie relative au
développement d’un sentiment d’appartenance (t(6,7) = 5.91 ; p = .001)
ainsi que dans celle se rapportant à la valorisation collective (t(6,7) = 3.04 ; p = .023).
La figure 2 illustre la quantité moyenne d’UI utilisée
par les tuteurs dans la MiT socio-affective et dans la modalité proactive
non ciblée. Nous remarquerons en particulier que l’application de
la MiT socio-affective a engendré près de trois fois plus
d’unités d’intervention dans la catégorie sentiment
d’appartenance (9 vs 3.3).
Figure 2 • Moyenne par tuteur des
unités d’intervention (MiT socio-affective et proactive non
ciblée)
L’application d’une analyse discriminante confirme le choix du sentiment d’appartenance et de la valorisation collective comme étant les variables les plus aptes à distinguer ce qui a
été réalisé dans les deux modalités de suivi.
La fonction discriminante élaborée à partir de ces deux
catégories d’intervention est statistiquement significative
(Lambda de Wilk = 0.44 ; p = .01).
Elle obtient une valeur de corrélation canonique de
0.7515 indiquant une relation forte
entre les scores discriminants et le reclassement des observations. Par
ailleurs, 12 des
14 observations16 sont
classées correctement avec des probabilités d’affectation
qui se situent entre 65 et 100 %.
9.2. Singularité de la modalité organisationnelle
La modalité organisationnelle telle qu’elle a été
appliquée, a entraîné un nombre significativement plus
important d’UI dans deux catégories d’intervention :
celle relative à la sollicitation à s’organiser (t(6,7) = 3.19 ; p = .019)
en équipe et celle se rapportant au soutien à la coordination des membres de l’équipe
(t(6,7) = 5.31 ; p = .002).
Comme l’illustre la figure 3, l’application de la MiT
organisationnelle a engendré un surcroît d’unités
d’intervention dans la catégorie coordination (en moyenne
13.7 UI par tuteur en organisationnel pour 8.2 en proactif non ciblé).
Quant à la sollicitation organisationnelle, le nombre moyen,
quoique plus faible, est près de deux fois plus élevé que
dans le tutorat de référence (4.1 vs 2.1).
Figure 3 • Moyenne par tuteur des
unités d’intervention (MiT organisationnelle et proactive non
ciblée)
L’analyse discriminante confirme le choix de la sollicitation
organisationnelle et de la coordination comme variables susceptibles
de distinguer valablement les interventions utilisées par les tuteurs
dans les modalités organisationnelle et proactive non ciblée. La
fonction discriminante élaborée à partir de ces deux
catégories d’intervention est statistiquement significative
(Lambda de Wilk = 0.39 ; p = .01).
Elle obtient en outre une valeur de corrélation canonique de 0.78
indiquant une forte relation entre les scores discriminants et le reclassement
des observations. La fonction obtenue permet de reclasser correctement 13 des 14
observations avec des probabilités d’affectation qui sont cependant
inférieures à 70 % dans deux des cas (61 et 51 %).
9.3. Singularité de la modalité pédagogique
La modalité de suivi ciblée sur les composantes
pédagogiques d’intervention se distingue du tutorat proactif non
ciblé au niveau de trois catégories d’intervention :
celle relative aux consignes, objectifs et critères
d’évaluation (moyenne de 20.7 UI pour 15.9 en modalité
proactive non ciblée), celle qui a trait aux interventions sur le contenu même de la tâche (8 vs 3.7) et enfin celle qui
se rapporte à la méthode utilisée pour aborder
l’activité ou pour structurer le travail final (20.9 vs 15.9). Les différences en nombre d’UI entre les deux
modalités de suivi se révèlent toutes statistiquement
significatives (consignes : t(6,7) = 3.22 ; p = .018 ; contenu : t(6,7) = 2.81 ; p = .031 ; méthode : t(6,7) = 3.03 ; p = .023).
Figure 4 • Moyenne par tuteur des
unités d’intervention (MiT pédagogique et proactive non
ciblée)
La figure 4 permet d’avoir une illustration de ces
différences qui, quoique statistiquement significatives,
s’avèrent pour deux d’entre elles de faible ampleur, la
catégorie contenu connaissant quant à elle une augmentation
plus substantielle (113 %). L’analyse discriminante ne retient
d’ailleurs que cette dernière variable pour élaborer la
fonction susceptible de distinguer les deux modalités de tutorat. Cette
fonction, bien que significative (Lambda de
Wilk = 0.69 ; p = .04), se montre
toutefois moins discriminante que celle obtenue pour les catégories
socio-affectives ou organisationnelles, la corrélation canonique
indiquant une relation d’intensité moyenne (0.55). De
surcroît, le reclassement des observations ne s’effectue
correctement que dans 10 cas sur 14, avec des probabilités
d’affectation qui se situent entre 53 et 95 %.
10. Identification des modèles idiosyncrasiques des tuteurs
Les modèles d’interventions
spécifiques à chacun des tuteurs (modèles idiosyncrasiques)
ont été cernés à partir d’une approche par
triangulation. Les informations recueillies à l’occasion de
l’analyse de contenu des interventions ont été
complétées par des données issues d’un questionnaire
proposé aux tuteurs en fin de formation ainsi que par des
éléments provenant d’entretiens non-directifs menés
durant l’expérimentation. La confrontation de ces informations nous
a permis de distinguer deux groupes principaux de modèles
idiosyncrasiques, un premier ensemble de tuteurs présentant une
prédisposition à intervenir sur des aspects pédagogiques,
le second groupe se caractérisant plutôt par un suivi de type
socio-affectif.
10.1. Analyse des interventions en "proactif non ciblé"
Dans un premier temps, nous avons analysé l’encadrement
assuré par les tuteurs dans la modalité proactive non
ciblée, à l’occasion de laquelle les enseignants pouvaient
utiliser librement les interventions qu’ils jugeaient utiles au bon suivi
de leur équipe. À ce stade, nous pouvons déjà
remarquer (cf. figure 5) que les tuteurs se distinguent par la proportion
d’unités d’intervention socio-affectives, organisationnelles
et pédagogiques mobilisées, deux tuteurs (C et D)
recourant principalement à des unités d’intervention
socio-affectives (49 et 46 % du total d’UI), quatre d’entre eux
privilégiant des UI pédagogiques (B,
51 % ; E, 49 % ; F,
40 % ; G, 43 %) et enfin un tuteur (A) se
démarquant par l’utilisation à part égale d’UI
socio-affectives et organisationnelles (41 et 40 %).
Figure 5 • Proportion d’unités
d’intervention S, O et P dans une MiT proactive non ciblée
Il est intéressant de noter que les données
complémentaires que nous présenterons par la suite (interventions
dans une modalité ciblée, variable "confort" dans
l’application d’une MiT ciblée, entretien non directif)
confirmeront le positionnement global établi à partir des
interventions observées dans cette modalité de tutorat. En effet, C et D se situeront dans une sphère d’intervention
socio-affective, B, E et G se positionneront plutôt
du côté pédagogique et A se révélera
être un tuteur partagé entre les pôles socio-affectif et
organisationnel.
10.2. Analyse des interventions dans les modalités
ciblées
La figure 6 présente les pourcentages d’unités
d’intervention (UI) utilisées par les tuteurs dans les
modalités ciblées sur une composante de tutorat : %
d’UI organisationnelles ("O") dans une modalité
organisationnelle, % d’UI pédagogiques ("P") en
"pédagogique" et % d’UI socio-affectives ("S") en
"socio-affectif". Ainsi, à titre d’illustration, nous pouvons
observer que chez le premier tuteur en partant de la gauche (C) la part
d’interventions organisationnelles et socio-affectives est importante
(67 %) alors que celle d’UI pédagogiques est relativement plus
faible (50%).
Figure 6 • Proportion d’UI
ciblées par les modalités organisationnelle, pédagogique et
socio-affective
Les données indiquées dans la figure 6 ci-dessus
confortent le positionnement des tuteurs dans le modèle idiosyncrasique
pressenti (cf. supra 10.1). C’est particulièrement clair
pour les tuteurs des modèles organisationnel/socio-affectif (A) et
pédagogique (B, G et E). En effet, ces tuteurs
parviennent plus facilement à se centrer sur les composantes
d’intervention qui correspondent à leur modèle
idiosyncrasique. Les résultats des tuteurs "socio-affectifs" (C et D) sont en revanche plus nuancés. Si la proportion
d’unités d’intervention socio-affectives dans cette
modalité ciblée est effectivement importante, elle
s’avère égalée voire légèrement
devancée par la part d’unités d’interventions
ciblées par la MiT organisationnelle (C) ou pédagogique
(D). Nous relèverons enfin le profil atypique du tuteur F qui, comparativement aux autres tuteurs, semble rencontrer plus de
difficultés à centrer ses interventions sur la composante
ciblée par la MiT.
10.3. Analyse des réponses au questionnaire d’opinion
Les modèles idiosyncrasiques qui se dégagent des tutorats
"proactifs non ciblés" et "ciblés" ont été
confrontés aux résultats obtenus à l’une des
questions du questionnaire proposé à l’issue de la
formation. Celle-ci invitait les tuteurs à classer les cinq MiT sur une
échelle à cinq niveaux, allant de la modalité dans laquelle
ils se sont sentis "le plus à l’aise" (1, "zone de confort")
à la modalité dans laquelle ils se sont sentis "le moins à
l’aise" (5, "zone d’inconfort"). Leurs réponses sont
indiquées dans la figure 7 ci-dessous. Les cases vides correspondent
aux modalités réactive et proactive non ciblée qui, par
souci de lisibilité, n’ont pas été indiquées.
Remarquons d’entrée que, hormis le tuteur B, aucun tuteur ne se
sent particulièrement à l’aise dans l’application
d’une modalité centrée sur la composante pédagogique
d’intervention. Relativement à la "zone de confort", une
distinction s’opère entre les tuteurs qui se disent à
l’aise dans une MiT socio-affective (C, D, E et F) et ceux qui le sont vis-à-vis de la modalité
organisationnelle (B et G).
Par ailleurs, quatre profils se dégagent des réponses des
tuteurs. Dans trois cas sur quatre, ils correspondent au modèle
idiosyncrasique pressenti : modèle socio-affectif pour les tuteurs C et D, socio-affectif/organisationnel pour le tuteur A et
pédagogique pour B et G. Cependant, la zone de confort de
ces deux derniers tuteurs se situe prioritairement en organisationnel et non en
pédagogique. Malgré cette nuance, ces informations semblent
globalement en concordance avec ce qui a été relevé
précédemment. Les données recueillies auprès du
tuteur E indiquent par contre la présence d’une zone de
confort (socio-affective) et d’inconfort (pédagogique) en partie en
contradiction avec les résultats antérieurs, ceux-ci ayant
montré que ses interventions se situaient
préférentiellement dans le champ pédagogique. De plus, les
données recueillies à l’occasion des entretiens non
directifs semblent conforter l’existence d’une tendance
socio-affective sous-jacente à son modèle pédagogique
d’appartenance.
Figure 7 • Sentiment de confort
exprimé par les tuteurs vis-à-vis de l’application des MiT
ciblées
10.4. Synthèse
Au terme de cette analyse, nous sommes en mesure de mieux saisir les
modèles idiosyncrasiques de six des sept tuteurs qui ont participé
à la formation, les informations relatives au tuteur F ne
permettant pas d’en dégager un profil tranché. La
figure 8 illustre le positionnement des six tuteurs relativement aux trois
pôles considérés dans notre approche :
pédagogique, socio-affectif et organisationnel.
Pour conclure, nous ferons état des invariants qui ressortent de
l’analyse des modèles idiosyncrasiques des tuteurs. Ceux-ci se
répartissent selon les deux groupes de modèles identifiés,
à savoir les modèles de type socio-affectif (y compris
socio-affectif/organisationnel) et pédagogique.
Figure 8 • Position estimée des
modèles idiosyncrasiques des tuteurs
Les modèles de type socio-affectif se sont
révélés particulièrement cohérents. Ils se
caractérisent par les traits suivants :
- interventions socio-affectives majoritaires lors du suivi proactif
non ciblé ;
- aptitude plus grande à se centrer sur la dimension
socio-affective des interventions ;
- sentiment de confort ressenti dans l’application de la
modalité socio-affective et généralement d’inconfort
dans la MiT pédagogique.
Les modèles "pédagogiques" se sont montrés plus
composites. Ils se caractérisent quant à eux par les traits
suivants :
- interventions pédagogiques majoritaires lors du suivi
proactif non ciblé ;
- aptitude plus grande à se centrer sur la dimension
pédagogique des interventions ;
- zones de confort et d’inconfort variablement situées,
les tuteurs étant rarement pleinement à l’aise dans
l’application d’une MiT pédagogique, allant même
jusqu’à exprimer dans certains cas un sentiment d’inconfort
marqué.
11. Discussion et perspectives
Les résultats de cette analyse indiquent que,
loin de se conformer à un profil commun, coulé dans un moule
identique, les tuteurs possèdent une sensibilité tutorale qui leur
est propre ainsi qu’une pratique différente du suivi à
distance qui les situent, selon le cadre de référence que nous
avons utilisé, de manière assez contrastée entre un
pôle socio-affectif et un pôle pédagogique. Malgré ces
différences idiosyncrasiques, nous avons mis en évidence
l’aptitude des tuteurs à adapter et à varier la nature de
leurs interventions de façon à les rendre plus socio-affectives,
pédagogiques ou organisationnelles, selon les exigences du plan
expérimental.
Quant aux effets des modalités d’intervention tutorale (MiT) sur
l’apprentissage, les résultats de cette expérimentation
confirment qu’une MiT proactive non ciblée utilisée pour
soutenir les échanges asynchrones entre les membres d’un groupe
restreint se révèle, à bien des égards, plus
efficace qu’une modalité réactive (Quintin, 2005).
Ainsi, il ressort que les étudiants des équipes suivies selon une
MiT proactive non ciblée (groupe Pro) ont réalisé des
progrès individuels et ont fait preuve d’une assiduité dans
les échanges asynchrones significativement plus importants que les
étudiants encadrés selon une modalité réactive
(groupe Réa). Nous avons également observé que
contrairement au groupe Réa, la qualité des activités
réalisées par les équipes du groupe Pro
s’améliore d’une phase à l’autre de la
formation. Ces observations sont conformes aux résultats des recherches
qui ont mis en évidence l’impact positif d’une
modalité proactive sur l’utilisation des ressources disponibles (De Lièvre, 2000) et sur le nombre d’interventions des étudiants (Bernatchez et Marchand, 2005).
Par ailleurs, il est apparu que la modalité proactive ciblée
sur la composante d’intervention socio-affective a permis aux
étudiants d’obtenir des résultats supérieurs aux
autres (performance individuelle et participation) ou, pour l’une des
variables considérées, équivalents à ceux du groupe
"proactif non ciblé" (assiduité). De plus, à
l’inverse des MiT organisationnelle, pédagogique et
réactive, cette modalité de suivi a conduit les équipes
à améliorer la qualité de leurs activités
d’apprentissage entre la première et la seconde partie de la
formation.
L’impact favorable de la modalité socio-affective sur les
résultats de l’apprentissage se révèle
statistiquement par des progrès individuels et un taux de participation
significativement plus élevés que ceux obtenus par le groupe
Réa. À cet égard, l’analyse des messages des tuteurs
ayant montré que la modalité socio-affective se caractérise
essentiellement par un apport plus important d’interventions liées
au renforcement du sentiment d’appartenance et à la valorisation des membres du groupe, il est possible que ces actions
tutorales aient contribué à développer un climat
relationnel propice à l’apprentissage. Cette hypothèse
explicative rejoint la position des auteurs qui considèrent que le
processus ou les résultats d’un apprentissage en groupe restreint
dépendent pour une part non négligeable du climat social et de la
qualité des relations entre les participants (Picciano, 2002), (Tu et McIsaac, 2002), (Richardson et Swan, 2003), (Na Ubon, 2005), (Swan et Shih, 2005).
Elle est d’autre part confortée par les résultats des
études qui indiquent la présence d’une relation entre le
sentiment d’appartenance au groupe et la participation (Na Ubon, 2005) ou la perception des progrès réalisés (Rovai, 2002).
Enfin, l’un des principaux enseignements que nous tirons de cette
recherche concerne la démarche méthodologique adoptée. Il
s’est en effet avéré possible pour les tuteurs
d’accentuer une composante d’intervention selon le modèle qui
leur a été prescrit, ce qui exigeait de leur part de modifier leur
comportement idiosyncrasique de suivi. L'étude des variations
apportées dans l’accompagnement tutoral a ainsi permis de mettre
à jour leurs effets différenciés sur la qualité de
l’apprentissage des modalités de suivi retenues dans cette
recherche. Cette démarche expérimentale nous semble
appropriée à la problématique du tutorat à distance
et ouvre à notre sens des perspectives intéressantes quant
à l’étude de ses incidences sur la qualité de
l’apprentissage.
Remerciement
Nous tenons à remercier Monica Masperi pour sa relecture attentive et
ses nombreuses suggestions.
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1 Plateforme Esprit : http://ute3.umh.ac.be/esprit
2 En référence à la
typologie des démarches intellectuelles de D’Hainaut (1985).
3 Le gain relatif, indice proposé par
(D’Hainaut, 1975 : 159) pour mesurer les progrès
réalisés au terme d’un apprentissage, est défini
comme « ...le rapport de ce que l’élève a
gagné à ce qu’il aurait pu gagner au
maximum ».
4 La consigne de l’activité
demandait d’identifier et d’expliciter, à partir de la
description du déroulement d’une situation de formation, les
éléments qui pouvaient être attribués à la
conception d’enseignement-apprentissage d’un des six auteurs
étudiés.
5 Test de Mann-Whitney.
6 La taille d’effet, notée TE, a
été calculée selon l’indice g de Hedge (Kline, 2005), qui
estime l'ampleur de l'effet d'un traitement en calculant la différence
entre la moyenne du groupe considéré et celle d'un groupe de
référence, le résultat étant divisé par leur
écart-type commun (i.e. racine carrée des variances
intra-groupes). IC95% précise la borne inférieure et
supérieure de la taille d’effet à une probabilité de
95%.
7 Une note centrée réduite
obtenue à partir du résultat d’une équipe à
une activité d’apprentissage a été calculée
pour chacune des activités en référence à la moyenne
et à l’écart-type des résultats de l’ensemble
des équipes du groupe plénier à cette activité.
8 L’acte directeur est un constituant
central de la communication qui ne peut être supprimé sous peine
d’en affecter fondamentalement le sens. L’acte subordonné
quant à lui, dont la présence est facultative, permet de
préparer l’acte directeur (de Nuchèze, 2001).
9 (Mason, 1991), (Berge, 1991), (Dionne et al., 1999), (Rossman, 1999), (Vermont et Verloop, 1999), (De Lièvre, 2000),
(Coppola et al. 2001), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004).
10 Cette valeur correspond à un
accord (non dû au hasard) à la fois aux opérations de
segmentation (division du corpus en noyaux de sens) et au codage proprement dit
pour l’ensemble de la grille (37 catégories). Notons que le codage
seul, toutes catégories confondues, obtient un K de 0.80, la segmentation
et le codage pour les cinq catégories principales aboutissent quant
à eux à un K égal à 0.75 (0.85 pour le codage
uniquement). Comme le note Di Eugenio (2000), les seuils
considérés pour conclure à un accord faible,
modéré ou important, varient de manière substantielle selon
les auteurs. Nous basant sur les seuils les plus stricts, suggérés
par Krippendorff (1980), nous considérerons que des coefficients
supérieurs à 0.67 d’une part et à 0.80 d’autre
part correspondent respectivement à un accord inter-codeur
« modéré » et
« important ».
11 Les auteurs de référence
sont indiqués en regard des différentes catégories.
12 A titre indicatif, ceci correspond en
moyenne à l’utilisation par un tuteur de 39 unités
d’intervention de type organisationnel pour un total de 150 UI
mobilisées pour encadrer une équipe « proactive non
ciblée ».
13 t de Student sur les différences
de proportion d’UI entre les deux MiT.
14 Les réponses fournies par les
étudiants ont fait l’objet d’une analyse de contenu. La
grille de codage se composait de trois catégories de noyaux de sens
relevant du soutien organisationnel, pédagogique et socio-affectif. Le
coefficient de Kappa obtenu entre les deux codeurs est de 0.83 (p
= .000).
15 La corrélation canonique permet
de mesurer la relation entre les scores produits par la fonction discriminante
élaborée à partir des variables retenues dans le
modèle et la variable dépendante, c'est-à-dire le
regroupement des observations en deux classes de tuteurs/modalités.
16 Une observation est constituée
d’une modalité appliquée par un tuteur.
A
propos de l’auteur
Chercheur à l'Unité de Technologie de
l'Éducation (Université de Mons-Hainaut) durant une quinzaine
d’années, Jean-Jacques QUINTIN travaille actuellement en tant
qu’enseignant-chercheur à l’université Stendhal
Grenoble 3. Ses recherches portent sur les modalités d'encadrement et de
scénarisation pédagogique dans les dispositifs de formation
à distance ainsi que sur le design des environnements numériques
de formation.
Adresse : Université Stendhal
Grenoble 3, domaine universitaire, BP 25, 38040 Grenoble cedex 9, France.
Courriel : mailto:Jean-Jacques.Quintin@u-grenoble3.fr
Toile : http://www.umh.ac.be/ute, http://w3.u-grenoble3.fr/lidilem/labo/
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