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Volume 15, 2008
Article de recherche



Contact : infos@sticef.org

Accompagnement d’une formation asynchrone en groupe restreint : modalités d'intervention et modèles de tutorat

 

Jean-Jacques QUINTIN
Lidilem, Université Stendhal - Grenoble3 ; UTE,
Université de Mons-Hainaut

 

RÉSUMÉ : La recherche expérimentale dans laquelle s’inscrit cet article vise à saisir les effets de différentes modalités d’interventions tutorales (MiT) sur le travail effectué à distance par une centaine d’étudiants réunis en groupes restreints (trois par équipe). Ces modalités ont été élaborées en considérant les dimensions d’intervention qui participent à l’accompagnement tutoral, soit les composantes pédagogiques (P), socio-affectives (S) et organisationnelles (O). Complémentairement à ces trois MiT ciblées sur les dimensions S, O ou P, deux modes d’intervention tutorale non ciblés ont été intégrés en guise de modalités de référence : une MiT réactive et une MiT proactive non ciblée. Les résultats ayant mis en évidence un impact contrasté des différentes modalités de suivi sur l’apprentissage, nous nous attacherons à saisir la singularité de la mise en œuvre de chacune d’entre elles ainsi qu’à cerner les modèles d’intervention propres à chacun des tuteurs (modèles idiosyncrasiques).

MOTS CLÉS : Tutorat, formation à distance, forum, groupe restreint, expérimentation, analyse de contenu, modèle idiosyncrasique.

ABSTRACT : This experimental research aims at studying the effects of different modalities of tutor’s online interventions (MiT) on the learning outcomes of one hundred students involved in a cooperative learning setting (in groups of three). These modalities were elaborated by considering the dimensions of intervention which participate in tutorial accompaniment i.e. on a pedagogical (P), socio-emotional (S) and organizational (O) level. In addition to these three MiT focusing in turn on the specific dimension, S, O or P, two further non-specific modes of intervention were inserted as reference modalities: one reactive MiT and one proactive MiT. Since the results have indicated a contrasting impact of the different modalities of interventions, we shall attempt to determine their specificity as well as to understand the idiosyncratic models of intervention of each tutor.

KEYWORDS : Online Tutoring, Distance Education, Forum, Small Group Cooperative Learning, Experimentation, Idiosyncratic Model, Content Analysis.

 


1. Introduction

Le but de la recherche expérimentale dans laquelle s’inscrit cette étude est de comparer, par effet de contraste, l’impact sur l’apprentissage de cinq modalités d’intervention tutorale (MiT). Les MiT étudiées ont été élaborées en considérant les dimensions d’intervention qui, au vu de la littérature, participent à l’accompagnement tutoral, soit les composantes pédagogiques (P), socio-affectives (S) et organisationnelles (O). En complément de ces trois "MiT ciblées", deux modes d’intervention tutorale non ciblés ont été intégrés en guise de modalités de référence : une "MiT réactive" et une "MiT proactive non ciblée". Ces deux types de médiation permettent de distinguer les interventions selon qu’elles se déclenchent à l’initiative du tuteur (proactive) ou en réponse à une demande d’un étudiant (réactive) (Shuell, 1996 cité par Vermont et Verloop, 1999), (Bernachez, 2000), (De Lièvre, 2000). Les tuteurs, au nombre de sept, ont été invités à encadrer cinq équipes, chacune selon une modalité différente de suivi (deux modalités non ciblées, proactive et réactive et trois modalités ciblées sur une dimension d’intervention). Après avoir présenté les MiT sur le plan théorique et les résultats qui se dégagent de l’analyse de l’efficacité de ces MiT sur l’apprentissage, nous nous attacherons à préciser la singularité de celles-ci telles qu’elles ont été appliquées durant l’expérimentation et à cerner les modèles idiosyncrasiques propres à chacun des tuteurs.

2. Problématique

Dans le champ de la psychologie sociale, de nombreuses recherches principalement expérimentales ont été menées sur la dynamique de travail en groupe restreint. Certaines d’entre elles se sont penchées spécifiquement sur les modalités d’accompagnement présentiel de sujets engagés dans une activité collective. Rappelons à titre d’exemple les recherches entamées à la fin des années trente par Lewin, Lippit et White (Lewin et Lippitt, 1938) sur les styles de leadership autocratique, démocratique et laisser-faire. En revanche, comme le soulignent (Nielsen et al., 2005), très peu d’études empiriques ont porté en psychologie sociale sur le travail collectif à distance. Cette voie mériterait ainsi d’être examinée afin d’identifier les variables qui, dans ces conditions particulières, sont en relation avec l’efficacité des groupes restreints (ibid.). Dans le domaine de la recherche en formation à distance, certains travaux, peu nombreux cependant, se sont penchés sur les effets de l’accompagnement tutoral, ceux-ci étant appréciés sur l’accès aux aides (De lièvre, 2000), la perception du rôle des tuteurs (Gagné et al., 2001)(Heuer et King, 2004), le nombre et la nature des échanges entre les participants (Bernatchez et Marchand, 2005), la satisfaction ou la motivation (Gagné et al., 2001), (Pettigrew, 2001) ou encore les résultats individuels obtenus par les étudiants au terme de la formation (Quintin, 2005). À ce jour, les études se sont principalement focalisées sur la comparaison entre deux modalités d’intervention tutorale : proactive et réactive. Les résultats obtenus indiquent que la proactivité inciterait les étudiants à utiliser les aides disponibles (De Lièvre, 2000) et à augmenter le nombre de leurs interventions (Bernatchez et Marchand, 2005) et qu’elle permettrait d’obtenir de meilleurs résultats individuels (Quintin, 2005).

3. Dispositif de recherche

Par la présente recherche, nous entendons, d’une part, confirmer les éléments antérieurement mis en évidence (Quintin, op. cit.) et, d’autre part, évaluer l’efficacité de cinq modalités d’intervention tutorale (MiT) appliquées dans le cadre d’une formation à distance.

Sept tuteurs ont assuré l’encadrement de 105 étudiants inscrits à un cours portant sur l’étude de différents modèles contemporains d’enseignement-apprentissage, dispensé en deuxième année universitaire dans une faculté de psychologie et de sciences de l’éducation. L’expérience pédagogique de ces tuteurs à l’entame de la formation s’avérait sensiblement différente : trois enseignants avaient déjà encadré de nombreuses formations à distance (de 12 à 30) et disposaient pour deux d’entre eux d’une longue pratique pédagogique en face-à-face (15 à 23 années) ; les quatre autres tuteurs, plus ou moins expérimentés en contexte présentiel (0 à 12 années), étaient relativement novices en matière de suivi à distance (1 à 3 formations).

Comme l’illustre le tableau 1, chaque tuteur a encadré cinq équipes de trois étudiants, en veillant à appliquer à chacune d’entre elles une modalité d’intervention tutorale différente. Les étudiants ont été répartis aléatoirement dans les équipes, ce qui, par voie de conséquence, les affectait également à un groupe expérimental.



Tuteurs

Equipes

Etudiants

MiT

Grp. exp.

A

B

C

D

E

F

G

Proactive ciblée sur

l’organisationnel

Org

1*

1

1

1

1

1

1

7

21

le pédagogique

Péda

1

1

1

1

1

1

1

7

21

le socio-affectif

Soc

1

1

1

1

1

1

1

7

21

Proactive non ciblée

Pro

1

1

1

1

1

1

1

7

21

Réactive non ciblée

Réa

1

1

1

1

1

1

1

7

21

Equipes

5

5

5

5

5

5

5

35


Etudiants

15

15

15

15

15

15

15


105

(*) Nombre d’équipes

Tableau 1 • Constitution des groupes expérimentaux

La formation à distance s’est déroulée sur dix semaines, durant l’année 2005-2006, dont six ont été consacrées à la réalisation, via un forum de discussion1, de quatre activités menées en groupe restreint (i.e. rédaction d’une synthèse textuelle, réalisation d’une carte conceptuelle, activité de débat et conception/analyse d’une situation de formation), portant sur les modèles d’enseignement-apprentissage. Les tâches proposées peuvent se différencier à la fois par les démarches intellectuelles mobilisées (prendre et traiter de l’information, communiquer, résoudre des problèmes, imaginer, expliquer...)2 et par le mode d’organisation du travail d’équipe induit : mutualisation ("synthèse textuelle"), collaboration ("carte conceptuelle" et "conception/analyse") ou non orienté ("débat").

L’efficacité des modalités d’intervention tutorale a été appréciée par l’analyse des progrès individuels enregistrés au terme de la formation (pré-test/post-test), par la qualité des travaux réalisés en cours de session par les équipes et enfin par le taux de participation et le degré d’assiduité des étudiants aux échanges asynchrones.

4. Définition des modalités d’intervention tutorale (MiT)

Les premières recherches qui portent sur l’identification des rôles exercés par les membres d’un groupe engagés dans une tâche commune remontent aux années quarante. Benne et Sheats (1948), cités par (Mongeau et Tremblay, 1995) définissent à cette époque trois dimensions majeures qui différencient fonctionnellement les interventions des membres d’un groupe : les rôles centrés sur la tâche, sur le maintien de la cohésion et sur les besoins individuels (cf. aussi (Anzieu et Martin, 1994)). À quelques nuances près, les auteurs s’accordent pour considérer que l’intervention d’un membre d’un groupe peut se caractériser selon les deux premières dimensions énoncées, à savoir une centration sur la tâche à réaliser et sur l’entretien des relations inter-individuelles (Mongeau et Tremblay, 1995).

Dans le domaine de l’enseignement à distance, l’attention s’est portée sur les fonctions dévolues aux interventions des tuteurs. L’analyse d’une dizaine de typologies recensées dans la littérature (Mason, 1991), (Berge, 1995), (Dionne et al., 1999), (Rossman, 1999), (Vermont et Verloop, 1999), (De Lièvre, 2000), (Coppola et al., 2001), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004) permet d’identifier deux constantes : la présence de fonctions orientées d’une part vers les aspects relationnels (climat, cohésion...) et affectifs (gestion des émotions, motivation...) et d’autre part vers des interventions pédagogiques, accompagnées, dans certaines typologies, d’actions destinées à susciter la réflexion métacognitive. Dans la majorité des cas (six cas sur dix), on y trouve également une rubrique relative à l’aide organisationnelle essentiellement orientée vers la gestion du temps et la répartition des tâches entre les membres d’une équipe. Certains auteurs y intègrent en outre une fonction de suivi et/ou de synthèse des échanges entre les apprenants (Masson, 1991), (Berge, 1995). D’autres catégories d’interventions, minoritairement représentées dans ce panel, concernent les aspects techniques (Berge, 1995), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004), administratifs (De Lièvre, 2000), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004) ou communicationnels (Bernatchez, 2003).

Les trois fonctions principales recensées dans la littérature ont été retenues pour élaborer les MiT ciblées : socio-affective, pédagogique et organisationnelle. Leurs fonctions principales sont les suivantes :

- MiT socio-affective : Etablir et maintenir un climat relationnel propice au travail de l’équipe ; favoriser la cohésion entre les membres ; soutenir les étudiants dans l’effort ; valoriser le travail individuel et collectif qui est réalisé.

- MiT organisationnelle : Soutenir l’organisation du travail collectif au niveau de la répartition des tâches et de leur planification ; rappeler les échéances ; inciter la réflexion sur l’organisation de l’équipe.

- MiT pédagogique : Expliciter les objectifs et les critères d’évaluation ; intervenir par étayage sur les contenus ; apporter un soutien méthodologique ; susciter la réflexion métacognitive ; soutenir les conflits sociocognitifs.

Enfin, rappelons que les modalités réactive et proactive (cette dernière étant qualifiée dans la recherche de proactive non ciblée), envisagent le soutien de manière "classique", non orienté sur une dimension particulière d’intervention.

Dans le cadre de notre expérimentation, les tuteurs avaient comme consigne d’appliquer les trois modalités ciblées en privilégiant les composantes d’intervention qui les caractérisent. Différents supports leur ont été fournis afin de les assister dans leurs actions de suivi : un scénario d’encadrement a été élaboré de manière à suggérer les interventions spécifiques à chacune des MiT ; un forum d’échange entre les tuteurs et le coordinateur-chercheur a été mis en place afin d’aborder les interrogations relatives à la formation et à l’application des différentes modalités de suivi ; enfin deux entretiens téléphoniques ont été l’occasion de faire le point de la situation avec chacun des tuteurs.

5. Efficacité des modalités d’intervention tutorale

D’une manière générale, il ressort des résultats de l’analyse des différentes variables prises en considération pour évaluer l’efficacité des MiT (gains relatifs entre le pré-test et le post-test, qualités des activités en équipe, taux de participation et degré d’assiduité dans les échanges asynchrones) que la modalité proactive non ciblée et la modalité proactive ciblée sur les composantes socio-affectives d’intervention ont eu un impact favorable sur les résultats de l’apprentissage.

5.1. Performances individuelles et participation des étudiants

Les performances individuelles des étudiants ont été mesurées au moyen des progrès réalisés entre le prétest et le post-test (gains relatifs)3. À cette fin, deux épreuves semblables ont été élaborées. L’activité suscitée était destinée à évaluer la capacité de l’étudiant à analyser une situation de formation à partir des concepts abordés lors du cours4. La modalité ciblée sur la composante socio-affective aboutit, en moyenne, à de meilleurs résultats (M = 38.51 % ; SD = 31,43 %) suivie de la modalité proactive non ciblée (M = 28.56 % ; SD = 34.57 %), pédagogique (M = 23.08 % ; SD = 39.06 %) et organisationnelle (23.03 % ; SD = 27.46 %), le groupe réactif obtenant les performances les plus basses (M = 6.58 % ; SD = 33.44 %). La MiT socio-affective s’est en outre révélée significativement plus efficace que la modalité réactive, en obtenant en moyenne plus de 30 % de gains relatifs supplémentaires (MW5 : Z(1,41) = -2.884 ; p = .004), ce qui correspond à une taille d’effet d’amplitude élevée (TE = 0.98 ; IC95% = 0.34/1.63)6. Les résultats des comparaisons pairées indiquent également la présence d’une différence statistiquement significative entre le groupe "proactif non ciblé" (Pro) et "réactif" (Réa) (MW : Z(1,40) = -2.018 ; p = .044). Ceci permet de confirmer nos résultats antérieurs quant à une plus grande efficacité de la modalité proactive non ciblée sur la MiT réactive (Quintin, 2005), ainsi que de relever une donnée nouvelle : l’impact positif d’un tutorat proactif centré sur des interventions socio-affectives sur les performances académiques individuelles.

L’observation des moyennes d’engagement dans les échanges asynchrones indique que les étudiants des équipes "socio-affectives", "pédagogiques" et "proactives non ciblées" ont fait preuve d’une participation (nombre et longueur des messages déposés) et d’une assiduité (nombre de jours d’intervention) soutenues. À l’inverse, les équipes "réactives" et "organisationnelles" obtiennent en moyenne des indices d’engagement plus faibles. Ces résultats se traduisent par des différences qui, dans certains cas, se révèlent statistiquement significatives. Ainsi, les groupes Soc et Péda obtiennent des taux de participation significativement plus élevés que le groupe Org et Réa (MW : .009 < p < .047), les étudiants du groupe Pro faisant preuve, quant à eux, d’une participation plus soutenue que ceux du groupe Org (MW : Z(1,40) =  2.813 ; p = .005) et d’une assiduité plus grande que ceux du groupe Réa (MW : Z(1,40) = -2.114 ; p = .035).

5.2. Qualité des activités réalisées en équipe

Nous avons également remarqué une évolution contrastée de la qualité des activités réalisées par les équipes. Trois profils diachroniques se dégagent de l’observation de l’évolution des moyennes des notes centrées réduites7 obtenues par les différents groupes expérimentaux aux quatre activités. Le premier profil se caractérise par une progression de la qualité des tâches réalisées entre la première phase (activité 1 et 2, trois semaines) et la seconde phase de la formation (activité 3 et 4, trois semaines). Comme l’illustre la figure 1, les équipes du groupe Soc et Pro correspondent à ce cas de figure. Ainsi, les équipes suivies selon une modalité socio-affective ou proactive non ciblée, qui à l’issue de la première phase se situent respectivement en deuxième et troisième position, obtenant une moyenne de 51.5 (Soc) et de 49.4 (Pro), améliorent sensiblement leur résultat au terme de la formation (Soc : 55.7 ; Pro : 53). À l’inverse, le deuxième profil, regroupant les équipes du groupe Org et Péda, se caractérise par une régression de la qualité de leurs travaux entre les deux phases de la formation. Comparativement aux autres, le groupe Péda démarre la formation en force obtenant une moyenne de 53.8 en phase 1 pour finalement régresser durant la seconde partie de celle-ci (M = 48.1). Toute proportion gardée, cette tendance s’observe également chez les étudiants suivis selon la modalité organisationnelle, dont la moyenne passe de 48.3 à 45.8. Enfin, les équipes du groupe Réa correspondent à un troisième profil diachronique. Ainsi, comme le montre la figure 1, la qualité des activités réalisées par les équipes "réactives" stagne autour de 47 entre les deux parties de la formation.

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Figure 1 • Moyennes des notes centrées réduites obtenues par les groupes expérimentaux aux activités de la phase 1 et 2 de la formation

Ces résultats indiquent ainsi que les cinq modalités d’intervention tutorale ont eu des effets sensiblement différents sur les résultats de l’apprentissage, les MiT socio-affective et proactive non ciblée se révélant à bien des égards plus efficaces que les autres modalités.

À l’issue de ces analyses cependant, nous ne savons pas si les modalités de suivi ont été appliquées conformément aux orientations théoriques de départ, ni ne connaissons la manière dont elles ont été actualisées dans le discours des tuteurs.

6. Questions de recherche

Les modalités d’intervention tutorale ont été présentées jusqu’à présent telles qu’elles ont été définies en théorie et proposées aux tuteurs pour application durant la formation. Il nous incombe maintenant d’analyser la manière dont elles ont été appliquées sur le terrain. À titre d’exemple, nous pouvons nous demander si la MiT socio-affective comporte effectivement plus d’interventions à caractère socio-affectif que les autres ou encore si les interventions des tuteurs dans cette modalité sont plutôt orientées vers l’entretien d’un climat relationnel positif, vers le soutien des étudiants dans l’effort ou vers une autre catégorie d’intervention.

Ces interrogations nous permettent de poser notre première question de recherche :

QR1 : Sur la base du suivi effectivement réalisé par les tuteurs dans cette formation, quelle est la nature des modalités d’intervention dites "socio-affective", "organisationnelle" et "pédagogique" mises en œuvre pour encadrer le travail d’étudiants réunis en groupes restreints ?

Ainsi posée, cette question en appelle une autre : de même que toute intervention pédagogique, l’application des modalités ciblées relève de l’action d’individus dotés d’un profil idiosyncrasique de tutorat. Nous nous demandons par conséquent quels sont les traits qui caractérisent ce profil "naturel", en référence aux trois dimensions considérées (S, P, O), de manière à estimer les changements que les tuteurs ont dû opérer pour se conformer au plan expérimental.

De là, notre seconde question de recherche :

QR2 : Quels sont les modèles d’interventions spécifiques à chacun des tuteurs engagés dans la formation (modèles idiosyncrasiques) ?

7. Méthodologie

7.1. Analyse de contenu catégorielle

La démarche méthodologique que nous avons adoptée, tant pour vérifier la conformité de l’application des modalités d’intervention que pour répondre aux deux questions de recherche, repose sur une analyse des messages déposés par les tuteurs dans les forums.

Notre corpus a été analysé suivant les principes généraux d’une analyse de contenu dite catégorielle, en ce sens qu’elle "vise à prendre en considération la totalité d’un “texte” pour le passer à la moulinette de la classification et du dénombrement par fréquence de présence (ou l’absence) d’items de sens" (Bardin, 2001) (p. 41). En référence aux travaux de Berelson, (1952), cité par (Krippendorff, 1980), (Mucchielli, 1994), (Krippendorff, 1980), (Bardin, 2001), Riffe et al. (1998) cités par (Rourke et al., 2001) et (Neuendorf, 2002), cette analyse sera définie plus précisément comme une technique de prise d’informations quantitative, systématique, intersubjective, exhaustive et réplicable, opérée à partir de l’interprétation d’un discours dans le but de répondre aux questions de recherche. Conformément à l’approche discursive adoptée pour saisir la nature des interventions, l’interprétation d’un segment textuel s’est effectuée non seulement à partir de la valeur sémantico-pragmatique de celui-ci mais s’est également appuyée sur les relations que le segment entretient avec le "cotexte" ainsi que sur les informations du contexte disponibles (de Nuchèze et Colletta, 2002), (Lund, 2003).

Le corpus analysé est constitué de l’ensemble des messages déposés par les tuteurs dans les forums (N = 1 452). Cet échantillon représente la totalité des interventions tutorales à l’exception des courriels transmis aux étudiants (moyenne de sept courriels par tuteur), des contacts sporadiques en face-à-face et des séances de clavardage auxquelles certains tuteurs ont ponctuellement participé (cinq séances au total).

7.2. Unité de codage et unité d’énumération

Procéder à une analyse de contenu catégorielle revient à segmenter le texte en noyaux de sens et à les répartir dans des catégories de codage (Bardin, 2001), (De Wever et al., 2006). La fréquence d’apparition d’une catégorie de noyaux de sens est considérée comme une mesure de son importance dans le discours (Krippendorff, 1980). Le choix de l’unité de codage est une étape essentielle de ce processus dans la mesure où elle détermine la granularité de l’analyse et par là, oriente l’interprétation du contenu de la communication (De Wever et al., 2006). Une controverse existe quant au choix à opérer entre des unités qui reposent sur des critères formels (mot, phrase, paragraphe, message...) et celles qui se fondent sur le sens (unité de sens ou thématique). Les premières permettraient une segmentation fiable du texte alors que les secondes offriraient l’avantage de la flexibilité, les unités pouvant être de taille variable et le sens pouvant être véhiculé par différentes formes d’énonciation (Rourke et al., 2001). En définitive, selon (Rourke et al., 2001), l’idéal serait de combiner les avantages de la stabilité de segmentation de l’une et de la flexibilité de l’autre.

Ainsi, dans cette recherche, il est apparu qu'un système hybride associant à la fois l'unité formelle que constitue le paragraphe comme base d'énumération et l’unité de sens comme référent de codage s'avérait une solution adaptée à l’analyse de notre corpus.

Le choix du paragraphe comme unité d’énumération repose sur le présupposé que l’action de "passer à la ligne" marque l’intention de l’auteur de distinguer les idées importantes qu’il veut communiquer. Au vu du corpus, il est apparu que les tuteurs ont effectivement privilégié cette forme de segmentation pour mettre en avant les idées clés de leur discours.

Dans notre situation d’analyse, le paragraphe ne pouvait cependant pas être retenu comme unité de codage. En effet, une telle unité risquait de sous-représenter les catégories de codage relevant de noyaux sémantiques actualisés par des unités syntaxiques plus courtes que le paragraphe. Dans certaines circonstances, ces éléments, noyés dans le paragraphe, n’auraient pas été comptabilisés. Nous pensons en particulier à ceux relatifs à l’humour, à la valorisation de l’autre ou aux encouragements qui peuvent être transmis au moyen d’un ou de quelques mots seulement ("Bravo", "Bon courage"). Une unité de type sémantique nous a semblé nettement plus appropriée pour coder des noyaux de sens qui, à l’observation, dénotent une grande variabilité d’énonciation.

Aussi, la méthode d’analyse retenue a-t-elle consisté à découper le corpus en paragraphes (unité d’énumération) et à coder ensuite ses noyaux de sens (unités de codage). Le calcul fréquentiel s’est réalisé sur la base de l’unité d’énumération, chaque paragraphe se voyant attribué un point. Dans le cas de plusieurs noyaux de sens au sein d’un même paragraphe, la valeur de ceux-ci s’est vue affectée d’une pondération (0.5 pour deux noyaux). L’identification des noyaux de sens s’est fondée sur le repérage des actes de parole directeurs et des actes subordonnés8 (Roulet et al., 1987), l’ensemble formant le segment textuel à coder. L’interprétation s’est appuyée sur la valeur à la fois locutoire et illocutoire de l’énoncé. L’affectation du segment à l'une des catégories de la grille de codage a donc été envisagée selon une perspective pragmatique (Kerbrat-Orecchioni, 2001), (Charaudeau et Maingueneau, 2002), nous incitant à qualifier l’unité de codage de sémantico-pragmatique.

7.3. Définition des catégories de codage

Notre grille d’analyse se compose de cinq catégories principales subdivisées en trente-sept catégories secondaires. Les premières correspondent aux fonctions tutorales identifiées à partir des typologies recensées dans la littérature9. Il s’agit des fonctions organisationnelle, pédagogique, socio-affective et technique. Suite à l’exploration du corpus (phase de pré-analyse), une catégorie supplémentaire relative aux rituels d’ouverture et de clôture s’est révélée nécessaire pour couvrir la totalité des noyaux de sens du corpus (principe d’exhaustivité). Notre recherche portant sur l’effet des modalités socio-affective, pédagogique et organisationnelle, ces trois catégories principales ont été développées de manière plus détaillée.

Les catégories secondaires ainsi que les règles de codage ont été définies selon une démarche semblable (i.e. revue de la littérature et pré-analyse du corpus). Nous nous proposons de décrire ci-après les différentes catégories secondaires (désormais désignées simplement par le terme "catégorie") de la grille de codage et de donner quelques indications sur les règles qui ont présidé à l’affectation des noyaux de sens. Notons que le respect du principe d’exhaustivité adoptée pour cette analyse explique la présence d’un nombre important de catégories (trente-sept) dont certaines peuvent paraître secondaires au regard des visées de la recherche. Il s’agit par exemple des actes de langage utilisés pour introduire le développement d’une idée (e.g. "Voici mes commentaires par rapport au travail que vous m’avez transmis"), que nous avons répertoriés sous l’intitulé "amorce". Cette quantité s’explique également par la volonté de limiter la perte d’information qui résulterait inévitablement d’un codage réalisé à partir d’un nombre de catégories plus restreint.

Précisons enfin que la grille de codage a été appliquée par le chercheur lui-même et testée par un deuxième codeur à partir d’un échantillon du corpus (fidélité inter-codeur : Kappa = 0.7010 ; p = .000).

7.3.1. Les quatorze catégories socio-affectives

Une première version des catégories socio-affectives a été élaborée à partir des travaux que Garrison et ses collaborateurs (Garrison et al., 2000), (Garrison et al., 2001), (Rourke et al. 2001) ont menés autour du concept de présence sociale. Les auteurs la définissent comme étant la capacité des participants d’une formation à distance de se projeter sur le plan social et émotionnel dans une communauté d’apprentissage (Garrison et al., 2000). La présence sociale est investiguée par ces chercheurs à partir de trois grandes catégories de répliques : affectives, interactives et cohésives (Rourke et al., 2001). Les répliques affectives dénotent la capacité de l’individu à exprimer ses sentiments. Les répliques qualifiées d’interactives correspondent d’une part aux échanges qui témoignent d’une conscience mutuelle de la présence de chacun ("mutual awareness"), et d’autre part à la reconnaissance de la contribution de chacun, celle-ci pouvant être identifiée à partir de marques de valorisation et d’encouragement (ibid.). Enfin, les répliques cohésives sont envisagées comme des activités susceptibles de favoriser l’engagement du groupe (ibid.).

La confrontation de cette classification avec celle proposée par les autres auteurs consultés11, ainsi qu’avec notre corpus, nous a permis d’identifier les catégories socio-affectives décrites ci-après.

- Expression d’une émotion positive ou négative (Garrison et al., 2000)(Rourke et al., 2001), Cette catégorie d’actes de parole se caractérise par l’expression d’une "émotion brute". Nous avons codé les segments relatifs à cette catégorie en distinguant d’une part les émotions "positives" (joie, surprise positive, soulagement... e.g. "Moi aussi, je suis contente !" ) et d’autre part les émotions "négatives" (crainte, colère, contrariété, déception, découragement, embarras... e.g. "AVEZ-VOUS DES NOUVELLES DE NATHAN ??? Il est temps pour lui de raccrocher à présent ...").

- Sollicitation à participer (Mason, 1991), (Paulsen, 1995), (Rossman, 1999)(Coppola et al., 2001)(Béziat, 2004)(Chang, 2004)(Heuer et King, 2004). Le tuteur sollicite la participation d’un ou de plusieurs étudiant(s) (e.g. "J'attends avec impatience les premiers travaux d'Emma et de Camille. :-)").

- Encouragement (Dionne et al. 1999), (Vermont et Verloop, 1999)(Béziat, 2004)(Heuer et King, 2004). Cette catégorie regroupe des unités qui correspondent aux deux cas de figure suivants :

• Le tuteur fournit un soutien dans l’effort. À la différence de la sollicitation à participer, les unités de cette catégorie interviennent lorsque la participation de l’étudiant est jugée effective (e.g. "Courage, vous touchez au but !").

• Le tuteur escompte le bon déroulement des activités menées par les étudiants. Cette intervention est destinée à anticiper et à désarmer un éventuel sentiment de découragement (e.g. "Allez... cela va bien se passer..").

- Sentiment d’appartenance (Deschênes, 2001)(Bernatchetz, 2003)(Heuer et King, 2004). Les unités classées dans cette catégorie participent au développement présumé d’un sentiment d’appartenance des étudiants à leur équipe.

• Le tuteur utilise des références identitaires communes ou évoque un vécu partagé (e.g . "Je vois que vous avez des passions communes : les enfants et cet intérêt pour le monde de l'enfance...").

• Les interventions mettent à contribution la solidarité intra-équipe ou suscitent l’entraide (Berge, 1995)(Paulsen, 1995)(Rossman, 1999)(Vermont et Verloop, 1999) (e.g. "N'hésitez donc pas à vous communiquer ce que vous trouvez si vous estimez que ça peut intéresser tout le monde. C'est une chouette façon de s'entraider, qu'en pensez-vous ?").

• Le tuteur dévoile une part de lui-même ce qui le rapprocherait des étudiants en tant que membre effectif de l’équipe (Rossman, 1999)(Garrison et al., 2000)(Rourke et al., 2001), (Béziat, 2004) (e.g. "Personnellement, comme je l'ai noté dans mon profil, j'adore assister à des spectacles de danse, surtout la danse contemporaine mais j'aime aussi la danse classique.").

• Le segment analysé fait référence à l’équipe dans laquelle le tuteur s’inclut. Le recours au "nous" inclusif, soit un "nous" (nous, nos, nôtre, équipe...) représentant un "Je + Tu (singulier ou pluriel)" (Kamdem, 2006), est utilisé comme indicateur principal (Garrison et al., 2000)(Rourke et al., 2001) (e.g. "Allez y, nous essayerons de faire encore mieux pour la phase 2 !"). 

- Valorisation individuelle ou collective (Mason, 1991). Le segment analysé met en valeur une qualité que l’on peut attribuer soit distinctement à l’un des étudiants (valorisation individuelle, e.g. "Emilie, ton travail est vraiment excellent !") soit à deux ou trois d’entre eux (valorisation collective, e.g. "Vos échanges sont très bons").

- Gestion relationnelle. Cette catégorie regroupe deux ensembles d’unités sémantico-pragmatiques :

• celles qui correspondent à une réaction du tuteur face à l’émotion positive ou négative exprimée par un participant (Vermont et Verloop, 1999), (Bernatchetz, 2003) (e.g. "No stress, je viens de voir votre message. je vois ce que je peux faire.") ;

• celles qui sont destinées à ménager l’"autre", à préserver sa "face" (Kerbrat-Orecchioni, 1990), (Kerbrat-Orecchioni, 1998) ou qui s’enquièrent de la manière dont l’étudiant se sent ou vit affectivement les événements (Paulsen, 1995)(Béziat, 2004) (e.g. "Je suis franchement désolé si tu es déçue... ce n'est pas dans ce but que j'ai rédigé ces "remarques". D'ailleurs, elles sont adressées à vous trois...").

- Offre de soutien (Béziat, 2004). Dans cette catégorie d’unités d’intervention, le tuteur indique que les étudiants peuvent compter sur lui pour les aider (e.g. "N'hésitez pas à me solliciter si vous avez besoin de mon aide pour le démarrage").

- Justification/excuse. Le tuteur justifie et/ou présente des excuses pour un manquement. Se présentant en position basse par rapport aux étudiants (Develotte, 2006), l’enseignant favoriserait un phénomène de "déhiérarchisation des relations dissymétriques" (Bourdet, 2006) (e.g. "Ouppssss désolé d'avoir mis tout le monde dans l'embarras par mon absence... "). 

- Digression (1 et 2). Deux catégories ont été prévues dans la grille de codage selon que le tuteur initie (digression 1) ou poursuit (digression 2) une discussion "hors sujet" de formation (e.g. "Bon anniversaire Amélie. Si j'ai bien lu, c'était samedi le grand jour.").

- Humour (Garrison et al., 2000)(Coppola et al., 2001)(Rourke et al., 2001)(Béziat, 2004). Sont regroupés dans cette catégorie l’humour, l’ironie, la boutade, le second degré et les plaisanteries (e.g. "Pendant que je me repose et me change les idées, vous travaillez. À chacun son rôle!"). 

- Rôle socio-affectif. Le tuteur présente la fonction qu’il envisage de remplir dans l’accompagnement de l’équipe et celle-ci est de nature socio-affective (e.g. "je serai également là pour assurer la bonne cohésion du groupe").

7.3.2. Les huit catégories pédagogiques

Les catégories pédagogiques ont été élaborées selon une démarche semblable à celle relative aux interventions socio-affectives, une première version, construite à partir d’éléments relevés dans la littérature, étant par la suite confrontée au corpus. D’une manière générale, les catégories pédagogiques identifiées concernent des interventions tutorales qui se centrent sur l’objet de la tâche à réaliser.

- Consignes, objectifs et critères d’évaluation (Rossman, 1999)(Coppola et al., 2001), (Daele et Docq, 2002)(Chang, 2004)(Heuer et King, 2004). Le tuteur apporte une information à propos des consignes, des objectifs ou sur les critères qui seront utilisés pour évaluer les travaux des étudiants. Cette catégorie inclut également les rétroactions qui portent spécifiquement sur le respect des consignes et la centration sur les objectifs (e.g. "N'oubliez pas: le texte doit présenter les 6 auteurs, leurs idées et leurs concepts").

- Contenu (Mason, 1991), (Dionne et al. 1999), (Vermont et Verloop, 1999), (Coppola et al., 2001), (Bernatchetz, 2003). Les unités d’intervention de cette catégorie portent sur le contenu pédagogique de la tâche. Le tuteur réagit à une conception formulée par les étudiants (rétroaction) ou participe directement à l’élaboration du contenu de la tâche (étayage) (e.g. "Au niveau du contenu, n'hésitez pas à insérer Vygtosky car vous mettez en évidence l'importance de l'interaction...un lien est alors possible avec la zpd...").

- Méthode (Dionne et al. 1999), (Bernatchetz, 2003). Dans cette catégorie d’intervention, le tuteur émet des suggestions, donne un avis, fournit une rétroaction ou questionne par rapport à la méthode utilisée pour réaliser le travail demandé. Le terme "méthode" utilisé pour qualifier cette catégorie désigne tant la démarche pédagogique appliquée pour réaliser la tâche (i.e. les étapes prévues pour répondre aux objectifs de l’activité) que la manière dont le travail demandé est structuré. (e.g. "Ca me paraît une bonne idée de structurer les comparaisons sous forme de tableaux.").

- Appréciation pédagogique (Mason, 1991), (Rossman, 1999), (Vermont et Verloop, 1999). Cette catégorie regroupe les noyaux de sens qui apportent une information relative à l’adéquation générale du déroulement de l’activité ou du travail demandé. Cette catégorie est utilisée lorsque l’objet sur lequel porte l’appréciation ne permet pas d’affecter le noyau de sens dans une autre catégorie pédagogique de la grille de codage (i.e. consignes, contenu et méthode). Le cas prototypique est représenté par les nombreux "Ok" utisés par les tuteurs pour marquer leur accord sur le travail réalisé sans apporter d’information sur les raisons de cette approbation.

- Bilan pédagogique (Coppola et al., 2001). Par son intervention, le tuteur situe l’état d’avancement du travail par rapport aux exigences de l’activité ou demande des informations à ce sujet (e.g. "Vous avez déjà recueilli pas mal d'informations, cette part du travail me semble réalisée pour la plupart d'entre vous !").

- Sollicitation pédagogique (Mason, 1991), (Berge, 1995), (Paulsen, 1995), (Vermont et Verloop, 1999), (Coppola et al., 2001). Cette catégorie regroupe les segments textuels dans lesquels le tuteur sollicite les étudiants à explorer une piste, à envisager une problématique ou encore à réaliser une activité pédagogique complémentaire non prévue dans le scénario d’apprentissage (e.g. "Piaget n'a-t-il pas certains points communs avec Dewey ? Avec Vygotsky ?"). 

- Rôle pédagogique. Le tuteur présente la fonction qu’il envisage de remplir dans l’accompagnement de l’équipe et celle-ci est de nature pédagogique (e.g. "Voilà, mon rôle sera surtout de vous aider à bien comprendre les contenus des documents que vous aurez à analyser. Cela vous permettra de répondre efficacement aux objectifs qui vous sont fixés (voir ci-dessous).").

- Amorce pédagogique. Cette dernière catégorie permet de rassembler les segments de texte dont la fonction est d’introduire d’autres noyaux de sens de type pédagogique. Il s’agit par exemple de l’énoncé : "Voici mes commentaires par rapport au document que vous avez déposé :" suivi d’une liste de remarques. Bien que dépourvue d’intérêt dans notre recherche, la présence de cette catégorie permet de couvrir la totalité du corpus.

7.3.3. Les douze catégories organisationnelles

Les catégories organisationnelles rassemblent les noyaux de sens relatifs aux interventions tutorales qui visent à aider les étudiants à : s’organiser dans la réalisation de la tâche, planifier leurs activités dans le temps, trouver les informations utiles et utiliser les outils techniques disponibles dans la plateforme.

- Coordination (Vermont et Verloop, 1999), (Daele et Docq, 2002). Cette catégorie regroupe les unités d’intervention qui se rapportent au soutien offert par le tuteur au niveau de la répartition du travail et de sa coordination. Cette catégorie inclut les noyaux de sens qui concernent la sollicitation, l’évaluation et le soutien métaréflexif en rapport avec la coordination des tâches au sein de l’équipe (e.g. "Caro, à toi la synthèse, le grand "mixage" de tout.").

- Délai (Daele et Docq, 2002), (Béziat, 2004). À l’occasion de ces unités d’intervention, le tuteur rappelle les échéances de fin d’activité ou les délais de soumission du travail demandé (e.g. "Veillez à bien respecter l'échéance de demain, mardi 28 février à minuit au plus tard.").

- Planification temporelle des activités (Mason, 1991), (Berge, 1995), (Vermont et Verloop, 1999), (Daele et Docq, 2002), (Béziat, 2004). Les interventions de cette catégorie sont utilisées par le tuteur pour apporter une aide à la planification temporelle des différentes tâches. Ceci inclut également la sollicitation à structurer les tâches dans le temps, la rétroaction fournie et la réflexion suscitée autour de la gestion du temps (e.g. "Que diriez-vous de mettre au point un calendrier qui permette de mettre en évidence les échéances fixées et le rythme de travail que vous allez adopter ?").

- Agenda. Cette catégorie concerne la gestion des disponibilités de chacun en vue de l’organisation des éventuelles rencontres synchrones (à distance ou en présentiel) (e.g. "On peut aussi se fixer, vous et moi, un rendez-vous par Chat ce we, ou ce vendredi matin (10 h..) Dites-moi.").

- Sollicitation organisationnelle (Vermont et Verloop, 1999), (Daele et Docq, 2002). Les noyaux de sens relevant de cette catégorie marquent une sollicitation générale à s’organiser en équipe. Cette catégorie est utilisée lorsque l’objet de la sollicitation ne permet pas d’affecter le noyau de sens dans une autre catégorie organisationnelle (i.e. coordination, planification temporelle des activités, agenda) (e.g. "Organisez-vous au plus vite.....").

- Appréciation organisationnelle. Semblable à la catégorie relative à l’appréciation pédagogique, celle-ci concerne les interventions qui apportent une appréciation à caractère organisationnel, sans qu’il soit possible d’identifier précisément l’objet sur lequel porte la rétroaction (i.e. coordination, planification temporelle des activités, agenda) (e.g. "Votre organisation fonctionne bien, on dirait !").

- Bilan organisationnel. Les segments textuels de cette catégorie indiquent que l’intervention du tuteur situe l’état d’avancement du travail par rapport aux échéances (e.g. "Délais respectés pour Dorian et Lena qui ont déposé chacun deux documents, ce qui nous fait 4 auteurs sur les 6 à aborder.").

- Gestion des ressources matérielles (Berge, 1995), (Paulsen, 1995), (Dionne et al., 1999), (Rossman, 1999), (Daele et Docq, 2002), (Béziat, 2004), (Heuer et King, 2004). Les ressources font référence aux moyens de communication (clavardage, forum, courriel, réunion en présentiel...), de travail (logiciel, laboratoire informatique...) et d’accès à l’information (localisation d’une information dans la plateforme, sur Internet, à la bibliothèque...) disponibles durant la formation que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la plateforme utilisée. Les noyaux de sens affectés à cette catégorie ont trait aux aides fournies par le tuteur dans le choix et l’utilisation adéquats de ces ressources (e.g. "Quels outils allez-vous employer ? Forum (pour y faire quoi ?) ? Chat (Pour y faire quoi ?)").

- Circulation de l’information (Bernatchetz, 2003), (Chang, 2004). Les segments de cette catégorie apportent une aide à la bonne circulation de l’information entre les membres de l’équipe (tuteur compris). On y relève principalement des unités d’intervention utilisées pour annoncer le déplacement d’un message d’un sujet de discussion vers un autre ou la copie du contenu d’un courriel dans le forum (e.g. "PS: Je vous envoie également ce message par mail.").

- Annonce d’une action dans le temps. Cette catégorie permet de rendre compte des interventions qui situent dans le temps les actions que le tuteur compte réaliser (e.g. "Je consulterai vos travaux d'équipe dans le courant de la journée de demain.").

- Rôle organisationnel. Le tuteur présente la fonction qu’il envisage de remplir dans l’accompagnement de l’équipe et celle-ci est de nature organisationnelle (e.g. "je suis là pour vous aider à organiser votre travail.").

- Amorce organisationnelle. Cette catégorie rassemble les segments de texte dont la fonction est d’introduire des noyaux de sens à caractère organisationnel (e.g. "Pour vous organiser, il convient : ...").

7.3.4. La catégorie technique

Cette catégorie regroupe en une seule entité l’ensemble des unités d’intervention qui visent à résoudre des problèmes d’ordre purement technique (e.g. fichier corrompu, impossibilité d’accéder au clavardage) ou à communiquer des informations sur la procédure technico-ergonomique permettant d’exécuter une fonction logicielle (e.g. "Déposer le document final ici en cliquant sur le lien "Ajouter".") (Berge, 1995), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004), (Heuer et King, 2004).

7.3.5. Les rituels d’ouverture et de clôture

Comme le précise (de Nuchèze, 2001), "l’ouverture et la clôture des échanges sont le lieu privilégié des rituels socio-langagiers... Ils relèvent quasiment du ”pilotage automatique” de l’interaction" (ibid. : 67). Dans la situation particulière des échanges écrits asynchrones, ces rituels, lorsqu’ils sont présents, se situent préférentiellement au début et à la fin des interventions que nous avons analysées. Ont été répertoriées comme rituels d’ouverture ou de clôture, les routines conversationnelles qui présentaient un caractère conventionnel marqué. Leur fonction se situe au niveau phatique et contribue à entretenir la dynamique interactionnelle. Dans notre corpus, les rituels d’ouverture sont généralement composés de salutations standardisées ("Bonjour", "Salut à vous"...) et d’allocutifs (recours au prénom) alors que les rituels de clôture sont représentés par des formules qui expriment le plus souvent un souhait ("À bientôt"), un encouragement ("Bon courage") ou un remerciement ("Merci").

8. Conformité des traitements et singularité des modalités ciblées

Comme l’illustre le tableau 2, les MiT ciblées comportent une proportion nettement plus importante d’unités d’intervention (UI) dans la composante visée. Ainsi, nous pouvons observer qu’en moyenne, dans une modalité proactive non ciblée, les tuteurs ont consacré 26 %12 de leurs interventions à soutenir l’organisation des équipes, 38 % à assurer un support pédagogique et 36 % à fournir un soutien socio-affectif. Lorsqu’ils ont ciblé leurs interventions sur une composante particulière, les tuteurs sont passés en moyenne de 26 % à 59 % (+ 33 %) dans la modalité "organisationnelle" (t(6,7) = 9.462 ; p = .000)13, de 38 % à 64 % (+ 26 %) dans la modalité "pédagogique" (t(6,7) = 8.274 ; p = .000) et de 36 à 61 % (+ 25 %) dans la modalité "socio-affective" (t(6,7) = 6.163 ; p = .001). Toutes ces différences sont statistiquement significatives.



% d’unités de sens relevant des composantes d’intervention


MiT

Grps exp.

O

P

S

Total

Proactive ciblée sur

l’organisationnel

Org

59 %

24 %

17 %

100 %

le pédagogique

Péda

16 %

64 %

20 %

100 %

le socio-affectif

Soc

14 %

25 %

61 %

100 %

Proactive non ciblée

Pro

26 %

38 %

36 %

100 %

Réactive non ciblée

Réa

14 %

53 %

33 %

100 %

Tableau 2 • Proportion d’unités d’intervention relevant des composantes socio-affectives (S), organisationnelles (O) et pédagogiques (P) dans les différentes MiT

Par ailleurs, un questionnaire soumis aux étudiants a permis de confirmer la singularité des traitements. Suite à une demande d’évaluation du suivi tutoral par le biais de questions ouvertes, les apprenants ont cité des éléments d’appréciation qui sont en concordance avec les caractéristiques propres aux différentes MiT ciblées14. Ainsi, les étudiants du groupe Org ont relevé un nombre nettement plus important (71 %) de qualités qui sont liées à la catégorie "support à l’organisation". Nous observons la même tendance chez les étudiants du groupe Péda et Soc, ceux-ci exprimant spontanément des qualités qui relèvent respectivement du "support pédagogique" (59 %) et du "soutien socio-affectif" (81 %). Il semblerait donc que les étudiants suivis selon une modalité ciblée aient bien perçu la dominante tutorale correspondant à la nature théorique de la MiT.

L’analyse réalisée tant sur les interventions des tuteurs que sur les appréciations des étudiants tend à indiquer que les traitements qui ont été appliqués sont globalement conformes aux orientations théoriques de départ.

9. Analyse de l’application des modalités d’intervention ciblées

Cette partie de l’article nous permettra d’apporter des éléments de réponse à la première question de recherche (cf. supra 6). Il s’agira d’identifier les catégories d’intervention qui concourent à particulariser chacune des modalités ciblées et ainsi d’éclairer les résultats d’apprentissage obtenus par les différents groupes expérimentaux. La singularité d’une MiT ciblée a été mise en évidence en comparant son application à celle de la modalité proactive non ciblée prise comme référence. Un nombre significativement plus important d’unités d’intervention (UI) dans une catégorie de codage (e.g. sentiment d’appartenance) constituera un indicateur de singularité. Ainsi, comme nous le verrons par la suite, la MiT socio-affective a suscité significativement plus d’UI dans la catégorie sentiment d’appartenance que dans un tutorat proactif non ciblé. Parallèlement, une analyse discriminante a permis de tester le choix de ces indicateurs de singularité ainsi que d’estimer la puissance d’un modèle basée sur un nombre restreint de catégories.

9.1. Singularité de la modalité socio-affective

L’application de la modalité socio-affective a entraîné un nombre significativement plus important d’unités d’intervention dans la catégorie relative au développement d’un sentiment d’appartenance (t(6,7) = 5.91 ; p = .001) ainsi que dans celle se rapportant à la valorisation collective (t(6,7) = 3.04 ; p = .023). La figure 2 illustre la quantité moyenne d’UI utilisée par les tuteurs dans la MiT socio-affective et dans la modalité proactive non ciblée. Nous remarquerons en particulier que l’application de la MiT socio-affective a engendré près de trois fois plus d’unités d’intervention dans la catégorie sentiment d’appartenance (9 vs 3.3).

figure 1

Figure 2 • Moyenne par tuteur des unités d’intervention (MiT socio-affective et proactive non ciblée)

L’application d’une analyse discriminante confirme le choix du sentiment d’appartenance et de la valorisation collective comme étant les variables les plus aptes à distinguer ce qui a été réalisé dans les deux modalités de suivi. La fonction discriminante élaborée à partir de ces deux catégories d’intervention est statistiquement significative (Lambda de Wilk = 0.44 ; p = .01). Elle obtient une valeur de corrélation canonique de 0.7515 indiquant une relation forte entre les scores discriminants et le reclassement des observations. Par ailleurs, 12 des 14 observations16 sont classées correctement avec des probabilités d’affectation qui se situent entre 65 et 100 %.

9.2. Singularité de la modalité organisationnelle

La modalité organisationnelle telle qu’elle a été appliquée, a entraîné un nombre significativement plus important d’UI dans deux catégories d’intervention : celle relative à la sollicitation à s’organiser (t(6,7) = 3.19 ; p = .019) en équipe et celle se rapportant au soutien à la coordination des membres de l’équipe (t(6,7) = 5.31 ; p = .002). Comme l’illustre la figure 3, l’application de la MiT organisationnelle a engendré un surcroît d’unités d’intervention dans la catégorie coordination (en moyenne 13.7 UI par tuteur en organisationnel pour 8.2 en proactif non ciblé). Quant à la sollicitation organisationnelle, le nombre moyen, quoique plus faible, est près de deux fois plus élevé que dans le tutorat de référence (4.1 vs 2.1).

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Figure 3 • Moyenne par tuteur des unités d’intervention (MiT organisationnelle et proactive non ciblée)

L’analyse discriminante confirme le choix de la sollicitation organisationnelle et de la coordination comme variables susceptibles de distinguer valablement les interventions utilisées par les tuteurs dans les modalités organisationnelle et proactive non ciblée. La fonction discriminante élaborée à partir de ces deux catégories d’intervention est statistiquement significative (Lambda de Wilk = 0.39 ; p = .01). Elle obtient en outre une valeur de corrélation canonique de 0.78 indiquant une forte relation entre les scores discriminants et le reclassement des observations. La fonction obtenue permet de reclasser correctement 13 des 14 observations avec des probabilités d’affectation qui sont cependant inférieures à 70 % dans deux des cas (61 et 51 %).

9.3. Singularité de la modalité pédagogique

La modalité de suivi ciblée sur les composantes pédagogiques d’intervention se distingue du tutorat proactif non ciblé au niveau de trois catégories d’intervention : celle relative aux consignes, objectifs et critères d’évaluation (moyenne de 20.7 UI pour 15.9 en modalité proactive non ciblée), celle qui a trait aux interventions sur le contenu même de la tâche (8 vs 3.7) et enfin celle qui se rapporte à la méthode utilisée pour aborder l’activité ou pour structurer le travail final (20.9 vs 15.9). Les différences en nombre d’UI entre les deux modalités de suivi se révèlent toutes statistiquement significatives (consignes : t(6,7) = 3.22 ; p = .018 ; contenu : t(6,7) = 2.81 ; p = .031 ;  méthode : t(6,7) = 3.03 ; p = .023).

figure 3

Figure 4 • Moyenne par tuteur des unités d’intervention (MiT pédagogique et proactive non ciblée)

La figure 4 permet d’avoir une illustration de ces différences qui, quoique statistiquement significatives, s’avèrent pour deux d’entre elles de faible ampleur, la catégorie contenu connaissant quant à elle une augmentation plus substantielle (113 %). L’analyse discriminante ne retient d’ailleurs que cette dernière variable pour élaborer la fonction susceptible de distinguer les deux modalités de tutorat. Cette fonction, bien que significative (Lambda de Wilk = 0.69 ; p = .04), se montre toutefois moins discriminante que celle obtenue pour les catégories socio-affectives ou organisationnelles, la corrélation canonique indiquant une relation d’intensité moyenne (0.55). De surcroît, le reclassement des observations ne s’effectue correctement que dans 10 cas sur 14, avec des probabilités d’affectation qui se situent entre 53 et 95 %.

10. Identification des modèles idiosyncrasiques des tuteurs

Les modèles d’interventions spécifiques à chacun des tuteurs (modèles idiosyncrasiques) ont été cernés à partir d’une approche par triangulation. Les informations recueillies à l’occasion de l’analyse de contenu des interventions ont été complétées par des données issues d’un questionnaire proposé aux tuteurs en fin de formation ainsi que par des éléments provenant d’entretiens non-directifs menés durant l’expérimentation. La confrontation de ces informations nous a permis de distinguer deux groupes principaux de modèles idiosyncrasiques, un premier ensemble de tuteurs présentant une prédisposition à intervenir sur des aspects pédagogiques, le second groupe se caractérisant plutôt par un suivi de type socio-affectif.

10.1. Analyse des interventions en "proactif non ciblé"

Dans un premier temps, nous avons analysé l’encadrement assuré par les tuteurs dans la modalité proactive non ciblée, à l’occasion de laquelle les enseignants pouvaient utiliser librement les interventions qu’ils jugeaient utiles au bon suivi de leur équipe. À ce stade, nous pouvons déjà remarquer (cf. figure 5) que les tuteurs se distinguent par la proportion d’unités d’intervention socio-affectives, organisationnelles et pédagogiques mobilisées, deux tuteurs (C et D) recourant principalement à des unités d’intervention socio-affectives (49 et 46 % du total d’UI), quatre d’entre eux privilégiant des UI pédagogiques (B, 51 % ; E, 49 % ; F, 40 % ; G, 43 %) et enfin un tuteur (A) se démarquant par l’utilisation à part égale d’UI socio-affectives et organisationnelles (41 et 40 %).

figure 4

Figure 5 • Proportion d’unités d’intervention S, O et P dans une MiT proactive non ciblée

Il est intéressant de noter que les données complémentaires que nous présenterons par la suite (interventions dans une modalité ciblée, variable "confort" dans l’application d’une MiT ciblée, entretien non directif) confirmeront le positionnement global établi à partir des interventions observées dans cette modalité de tutorat. En effet, C et D se situeront dans une sphère d’intervention socio-affective, B, E et G se positionneront plutôt du côté pédagogique et A se révélera être un tuteur partagé entre les pôles socio-affectif et organisationnel.

10.2. Analyse des interventions dans les modalités ciblées

La figure 6 présente les pourcentages d’unités d’intervention (UI) utilisées par les tuteurs dans les modalités ciblées sur une composante de tutorat : % d’UI organisationnelles ("O") dans une modalité organisationnelle, % d’UI pédagogiques ("P") en "pédagogique" et % d’UI socio-affectives ("S") en "socio-affectif". Ainsi, à titre d’illustration, nous pouvons observer que chez le premier tuteur en partant de la gauche (C) la part d’interventions organisationnelles et socio-affectives est importante (67 %) alors que celle d’UI pédagogiques est relativement plus faible (50%).

figure 5

Figure 6 • Proportion d’UI ciblées par les modalités organisationnelle, pédagogique et socio-affective

Les données indiquées dans la figure 6 ci-dessus confortent le positionnement des tuteurs dans le modèle idiosyncrasique pressenti (cf. supra 10.1). C’est particulièrement clair pour les tuteurs des modèles organisationnel/socio-affectif (A) et pédagogique (B, G et E). En effet, ces tuteurs parviennent plus facilement à se centrer sur les composantes d’intervention qui correspondent à leur modèle idiosyncrasique. Les résultats des tuteurs "socio-affectifs" (C et D) sont en revanche plus nuancés. Si la proportion d’unités d’intervention socio-affectives dans cette modalité ciblée est effectivement importante, elle s’avère égalée voire légèrement devancée par la part d’unités d’interventions ciblées par la MiT organisationnelle (C) ou pédagogique (D). Nous relèverons enfin le profil atypique du tuteur F qui, comparativement aux autres tuteurs, semble rencontrer plus de difficultés à centrer ses interventions sur la composante ciblée par la MiT.

10.3. Analyse des réponses au questionnaire d’opinion

Les modèles idiosyncrasiques qui se dégagent des tutorats "proactifs non ciblés" et "ciblés" ont été confrontés aux résultats obtenus à l’une des questions du questionnaire proposé à l’issue de la formation. Celle-ci invitait les tuteurs à classer les cinq MiT sur une échelle à cinq niveaux, allant de la modalité dans laquelle ils se sont sentis "le plus à l’aise" (1, "zone de confort") à la modalité dans laquelle ils se sont sentis "le moins à l’aise" (5, "zone d’inconfort"). Leurs réponses sont indiquées dans la figure 7 ci-dessous. Les cases vides correspondent aux modalités réactive et proactive non ciblée qui, par souci de lisibilité, n’ont pas été indiquées.

Remarquons d’entrée que, hormis le tuteur B, aucun tuteur ne se sent particulièrement à l’aise dans l’application d’une modalité centrée sur la composante pédagogique d’intervention. Relativement à la "zone de confort", une distinction s’opère entre les tuteurs qui se disent à l’aise dans une MiT socio-affective (C, D, E et F) et ceux qui le sont vis-à-vis de la modalité organisationnelle (B et G).

Par ailleurs, quatre profils se dégagent des réponses des tuteurs. Dans trois cas sur quatre, ils correspondent au modèle idiosyncrasique pressenti : modèle socio-affectif pour les tuteurs C et D, socio-affectif/organisationnel pour le tuteur A et pédagogique pour B et G. Cependant, la zone de confort de ces deux derniers tuteurs se situe prioritairement en organisationnel et non en pédagogique. Malgré cette nuance, ces informations semblent globalement en concordance avec ce qui a été relevé précédemment. Les données recueillies auprès du tuteur E indiquent par contre la présence d’une zone de confort (socio-affective) et d’inconfort (pédagogique) en partie en contradiction avec les résultats antérieurs, ceux-ci ayant montré que ses interventions se situaient préférentiellement dans le champ pédagogique. De plus, les données recueillies à l’occasion des entretiens non directifs semblent conforter l’existence d’une tendance socio-affective sous-jacente à son modèle pédagogique d’appartenance.

figure 7.gif

Figure 7 • Sentiment de confort exprimé par les tuteurs vis-à-vis de l’application des MiT ciblées

10.4. Synthèse

Au terme de cette analyse, nous sommes en mesure de mieux saisir les modèles idiosyncrasiques de six des sept tuteurs qui ont participé à la formation, les informations relatives au tuteur F ne permettant pas d’en dégager un profil tranché. La figure 8 illustre le positionnement des six tuteurs relativement aux trois pôles considérés dans notre approche : pédagogique, socio-affectif et organisationnel.

Pour conclure, nous ferons état des invariants qui ressortent de l’analyse des modèles idiosyncrasiques des tuteurs. Ceux-ci se répartissent selon les deux groupes de modèles identifiés, à savoir les modèles de type socio-affectif (y compris socio-affectif/organisationnel) et pédagogique.

figure 8.gif

Figure 8 • Position estimée des modèles idiosyncrasiques des tuteurs

Les modèles de type socio-affectif se sont révélés particulièrement cohérents. Ils se caractérisent par les traits suivants :

- interventions socio-affectives majoritaires lors du suivi proactif non ciblé ;

- aptitude plus grande à se centrer sur la dimension socio-affective des interventions ;

- sentiment de confort ressenti dans l’application de la modalité socio-affective et généralement d’inconfort dans la MiT pédagogique.

Les modèles "pédagogiques" se sont montrés plus composites. Ils se caractérisent quant à eux par les traits suivants :

- interventions pédagogiques majoritaires lors du suivi proactif non ciblé ;

- aptitude plus grande à se centrer sur la dimension pédagogique des interventions ;

- zones de confort et d’inconfort variablement situées, les tuteurs étant rarement pleinement à l’aise dans l’application d’une MiT pédagogique, allant même jusqu’à exprimer dans certains cas un sentiment d’inconfort marqué.

11. Discussion et perspectives

Les résultats de cette analyse indiquent que, loin de se conformer à un profil commun, coulé dans un moule identique, les tuteurs possèdent une sensibilité tutorale qui leur est propre ainsi qu’une pratique différente du suivi à distance qui les situent, selon le cadre de référence que nous avons utilisé, de manière assez contrastée entre un pôle socio-affectif et un pôle pédagogique. Malgré ces différences idiosyncrasiques, nous avons mis en évidence l’aptitude des tuteurs à adapter et à varier la nature de leurs interventions de façon à les rendre plus socio-affectives, pédagogiques ou organisationnelles, selon les exigences du plan expérimental.

Quant aux effets des modalités d’intervention tutorale (MiT) sur l’apprentissage, les résultats de cette expérimentation confirment qu’une MiT proactive non ciblée utilisée pour soutenir les échanges asynchrones entre les membres d’un groupe restreint se révèle, à bien des égards, plus efficace qu’une modalité réactive (Quintin, 2005). Ainsi, il ressort que les étudiants des équipes suivies selon une MiT proactive non ciblée (groupe Pro) ont réalisé des progrès individuels et ont fait preuve d’une assiduité dans les échanges asynchrones significativement plus importants que les étudiants encadrés selon une modalité réactive (groupe Réa). Nous avons également observé que contrairement au groupe Réa, la qualité des activités réalisées par les équipes du groupe Pro s’améliore d’une phase à l’autre de la formation. Ces observations sont conformes aux résultats des recherches qui ont mis en évidence l’impact positif d’une modalité proactive sur l’utilisation des ressources disponibles (De Lièvre, 2000) et sur le nombre d’interventions des étudiants (Bernatchez et Marchand, 2005).

Par ailleurs, il est apparu que la modalité proactive ciblée sur la composante d’intervention socio-affective a permis aux étudiants d’obtenir des résultats supérieurs aux autres (performance individuelle et participation) ou, pour l’une des variables considérées, équivalents à ceux du groupe "proactif non ciblé" (assiduité). De plus, à l’inverse des MiT organisationnelle, pédagogique et réactive, cette modalité de suivi a conduit les équipes à améliorer la qualité de leurs activités d’apprentissage entre la première et la seconde partie de la formation.

L’impact favorable de la modalité socio-affective sur les résultats de l’apprentissage se révèle statistiquement par des progrès individuels et un taux de participation significativement plus élevés que ceux obtenus par le groupe Réa. À cet égard, l’analyse des messages des tuteurs ayant montré que la modalité socio-affective se caractérise essentiellement par un apport plus important d’interventions liées au renforcement du sentiment d’appartenance et à la valorisation des membres du groupe, il est possible que ces actions tutorales aient contribué à développer un climat relationnel propice à l’apprentissage. Cette hypothèse explicative rejoint la position des auteurs qui considèrent que le processus ou les résultats d’un apprentissage en groupe restreint dépendent pour une part non négligeable du climat social et de la qualité des relations entre les participants (Picciano, 2002), (Tu et McIsaac, 2002), (Richardson et Swan, 2003), (Na Ubon, 2005), (Swan et Shih, 2005). Elle est d’autre part confortée par les résultats des études qui indiquent la présence d’une relation entre le sentiment d’appartenance au groupe et la participation (Na Ubon, 2005) ou la perception des progrès réalisés (Rovai, 2002).

Enfin, l’un des principaux enseignements que nous tirons de cette recherche concerne la démarche méthodologique adoptée. Il s’est en effet avéré possible pour les tuteurs d’accentuer une composante d’intervention selon le modèle qui leur a été prescrit, ce qui exigeait de leur part de modifier leur comportement idiosyncrasique de suivi. L'étude des variations apportées dans l’accompagnement tutoral a ainsi permis de mettre à jour leurs effets différenciés sur la qualité de l’apprentissage des modalités de suivi retenues dans cette recherche. Cette démarche expérimentale nous semble appropriée à la problématique du tutorat à distance et ouvre à notre sens des perspectives intéressantes quant à l’étude de ses incidences sur la qualité de l’apprentissage.

Remerciement

Nous tenons à remercier Monica Masperi pour sa relecture attentive et ses nombreuses suggestions.

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1 Plateforme Esprit : http://ute3.umh.ac.be/esprit

2 En référence à la typologie des démarches intellectuelles de D’Hainaut (1985).

3 Le gain relatif, indice proposé par (D’Hainaut, 1975 : 159) pour mesurer les progrès réalisés au terme d’un apprentissage, est défini comme « ...le rapport de ce que l’élève a gagné à ce qu’il aurait pu gagner au maximum ».

4 La consigne de l’activité demandait d’identifier et d’expliciter, à partir de la description du déroulement d’une situation de formation, les éléments qui pouvaient être attribués à la conception d’enseignement-apprentissage d’un des six auteurs étudiés.

5 Test de Mann-Whitney.

6 La taille d’effet, notée TE, a été calculée selon l’indice g de Hedge (Kline, 2005), qui estime l'ampleur de l'effet d'un traitement en calculant la différence entre la moyenne du groupe considéré et celle d'un groupe de référence, le résultat étant divisé par leur écart-type commun (i.e. racine carrée des variances intra-groupes). IC95% précise la borne inférieure et supérieure de la taille d’effet à une probabilité de 95%.

7 Une note centrée réduite obtenue à partir du résultat d’une équipe à une activité d’apprentissage a été calculée pour chacune des activités en référence à la moyenne et à l’écart-type des résultats de l’ensemble des équipes du groupe plénier à cette activité.

8 L’acte directeur est un constituant central de la communication qui ne peut être supprimé sous peine d’en affecter fondamentalement le sens. L’acte subordonné quant à lui, dont la présence est facultative, permet de préparer l’acte directeur (de Nuchèze, 2001).

9 (Mason, 1991), (Berge, 1991), (Dionne et al., 1999), (Rossman, 1999), (Vermont et Verloop, 1999), (De Lièvre, 2000), (Coppola et al. 2001), (Daele et Docq, 2002), (Bernatchez, 2003), (Béziat, 2004).

10 Cette valeur correspond à un accord (non dû au hasard) à la fois aux opérations de segmentation (division du corpus en noyaux de sens) et au codage proprement dit pour l’ensemble de la grille (37 catégories). Notons que le codage seul, toutes catégories confondues, obtient un K de 0.80, la segmentation et le codage pour les cinq catégories principales aboutissent quant à eux à un K égal à 0.75 (0.85 pour le codage uniquement). Comme le note Di Eugenio (2000), les seuils considérés pour conclure à un accord faible, modéré ou important, varient de manière substantielle selon les auteurs. Nous basant sur les seuils les plus stricts, suggérés par Krippendorff (1980), nous considérerons que des coefficients supérieurs à 0.67 d’une part et à 0.80 d’autre part correspondent respectivement à un accord inter-codeur « modéré » et « important ».

11 Les auteurs de référence sont indiqués en regard des différentes catégories.

12 A titre indicatif, ceci correspond en moyenne à l’utilisation par un tuteur de 39 unités d’intervention de type organisationnel pour un total de 150 UI mobilisées pour encadrer une équipe « proactive non ciblée ».

13 t de Student sur les différences de proportion d’UI entre les deux MiT.

14 Les réponses fournies par les étudiants ont fait l’objet d’une analyse de contenu. La grille de codage se composait de trois catégories de noyaux de sens relevant du soutien organisationnel, pédagogique et socio-affectif. Le coefficient de Kappa obtenu entre les deux codeurs est de 0.83 (p = .000).

15 La corrélation canonique permet de mesurer la relation entre les scores produits par la fonction discriminante élaborée à partir des variables retenues dans le modèle et la variable dépendante, c'est-à-dire le regroupement des observations en deux classes de tuteurs/modalités.

16 Une observation est constituée d’une modalité appliquée par un tuteur.


 

A propos de l’auteur 

Chercheur à l'Unité de Technologie de l'Éducation (Université de Mons-Hainaut) durant une quinzaine d’années, Jean-Jacques QUINTIN travaille actuellement en tant qu’enseignant-chercheur à l’université Stendhal Grenoble 3. Ses recherches portent sur les modalités d'encadrement et de scénarisation pédagogique dans les dispositifs de formation à distance ainsi que sur le design des environnements numériques de formation.

Adresse : Université Stendhal Grenoble 3, domaine universitaire, BP 25, 38040 Grenoble cedex 9, France.

Courriel : mailto:Jean-Jacques.Quintin@u-grenoble3.fr

Toile : http://www.umh.ac.be/ute, http://w3.u-grenoble3.fr/lidilem/labo/

 

 
Référence de l'article :
Jean-Jacques QUINTIN, Accompagnement d’une formation asynchrone en groupe restreint : modalités d'intervention et modèles de tutorat, Revue STICEF, Volume 15, 2008, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 10/11/2008, http://sticef.org
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Mise à jour du 10/11/08