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Faciliter l’accès aux échanges en ligne et
leur analyse, le cas de ViCoDiLi
Philippe TEUTSCH, Francis BANGOU, Charlotte
DEJEAN-THIRCUIR
(LIUM,
Le Mans)
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RÉSUMÉ : Cet
article s’intéresse aux traces issues d’échanges entre
participants (étudiants et tuteurs) d’une formation en ligne. Il
étudie la double question de l’accès à ces traces et
de leur manipulation par les chercheurs analystes. Cette réflexion a
été guidée par la nécessité de restituer
l’accès à un corpus issu d’une formation dont la
plateforme d’origine n’était plus disponible. Ce
"défi" a été relevé à travers la conception
de ViCoDiLi, outil destiné à la Visualisation de Contenus de
Discussions en Ligne qui permet aux chercheurs d’accéder aux traces
d’échanges (forum, clavardage et courriel) d'une session de
formation et de les examiner selon différentes modalités
d’affichage. Le projet se situe dans une démarche
d’instrumentation des activités du chercheur. L’objectif est
de proposer un modèle d’accès aux données textuelles
de corpus, ainsi que des outils d’aide à l’analyse de ces
corpus. Cet article présente les questionnements, à la fois
théoriques, techniques et méthodologiques soulevés par la
conception d’un tel outil.
MOTS CLÉS : échanges
en ligne, manipulation de corpus textuels, analyse qualitative, anonymisation,
diffusion de corpus. |
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ABSTRACT : This
article focuses on the traces of interactions between students and tutors during
an online training. We examine both, the issues of access to these traces as
well as their manipulation by the researcher. This reflection was guided by the
need to access the data of an online course that became unavailable at some
point. This challenge resulted in the development of a tool called Visualizing
the Content of Online Interactions (ViCoDiLi) that enables both the access to
the formatted traces of online interactions (forum, chat and email), and their
examination with diverse display features. The project aimed at providing tools
for the researcher's activities. The objective is to provide both a model of
data access and tools to assist the data corpus analysis. This article
highlights the theoretical, technical and methodological issues raised by the
development of such a tool.
MOTS CLÉS : Online
Interactions, Manipulation of Textual Data, Qualitative Analysis, Anonymization,
Data Corpus Dissemination.
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1. Introduction
Les environnements numériques utilisés
pour la mise en œuvre de dispositifs de formation ouverte et à
distance (FOAD) gèrent un grand nombre de données produites par
l’activité des participants. Les chercheurs peuvent ainsi
accéder aux contributions issues des activités
d’apprentissage, ou encore aux messages échangés grâce
aux outils de communication utilisés. Ces traces numériques
conservées sur les ordinateurs intéressent les chercheurs dans
leur démarche d’observation et de compréhension des
situations d’enseignement-apprentissage provoquées par les
dispositifs médiatisés. L’analyse des traces
d’activité permet par exemple d’améliorer
l’utilisation et l’appropriation des dispositifs par les
utilisateurs (Tselios et al., 2008), (Ollagnier-Beldame et Mille, 2008),
d’étudier l’usage des dispositifs dans une démarche de
ré-ingénierie (Choquet et al., 2007),
de les interroger dans le cadre d’une analyse didactique (Lamy, 2006) ou
encore de les caractériser dans le cadre d’une formation de
formateurs.
L’étude des échanges verbaux entre les acteurs de ces
environnements médiatisés de formation constitue un champ de
recherche particulièrement porteur (Bruillard, 2006), (Henri et al., 2007)1.
Cette thématique intéresse plusieurs domaines de
référence : la communication médiatisée par
ordinateur (CMO) qui étudie la spécificité des interactions
en ligne selon les outils utilisés (Preece et Maloney-Krichmar, 2005), (Herring, 2004),
la communication pédagogique médiatisée par ordinateur (Peraya, 2005), (Mangenot, 2006),
le domaine de l’apprentissage collaboratif assisté par ordinateur
(ou CSCL : Computer Supported Collaborative Learning) où les
technologies de l’information et de la communication sont
envisagées comme des moyens de favoriser les apprentissages dans
l’interaction (Teasley et Roschelle, 1993), (Dillenbourg et al., 1996),
l’EIAH à travers l’étude des pratiques en relation
avec les outils qui les instrumentent (George et Bothorel, 2006).
Les principales disciplines concernées par ces recherches sont les
sciences du langage, la didactique des disciplines, la sociologie, les sciences
cognitives, les sciences de l’information et de la communication et
l’informatique.
Pour toutes ces recherches sur les interactions en ligne en contexte de
formation, il est nécessaire de travailler avec un ou plusieurs corpus
issus de dispositifs de formation réels, avec de vrais enjeux et
responsabilités pour les participants (Bruillard, 2006).
Cette exigence de travailler sur des données issues de formations
authentiques soulève la question de la préservation et de la
diffusion de ces données car les plateformes utilisées pour
l’accueil des formations en ligne n‘offrent qu’une diffusion
limitée des traces d’activité et ne permettent pas de
garantir leur pérennité. Or, la démarche de diffusion, de
mutualisation et d’interopérabilisation fait partie des
recommandations méthodologiques de la communauté (Henri et Charlier, 2005) et concerne autant les corpus eux-mêmes que les outils d’analyse et
les résultats obtenus (Bruillard, 2006). (De Wever et al., 2006) par exemple, recommandent que les instruments d’analyse soient
comparés entre eux. La question de la construction d’instruments
valides préoccupe les chercheurs intéressés à
développer des méthodes éprouvées pour
l’analyse des interactions médiatisées (Bruillard, 2006).
Ces recommandations ont été prises en compte au sein du projet
Odil2 dans le cadre de la mise en
place de deux actions de recherche parallèles : le projet
Mulce3, piloté par le LIFC et
cherchant à définir un protocole de diffusion de corpus et le
projet ViCoDiLi4, piloté par le
LIUM (Laboratoire d’Informatique de l’Université du Maine).
Ce dernier a abouti à l’élaboration d’un outil de
Visualisation de Contenus de Discussions en Ligne permettant aux chercheurs
d’accéder aux échanges d'une session de formation, hors de
leur plateforme d’origine, et de les examiner selon différentes
modalités d’affichage. Motivée par le besoin
d’accéder aux données d’un corpus
d’apprentissage en ligne, la création d’un tel outil
soulève des questions liées à l’instrumentation des
activités d’analyse de ce type de corpus, au format
d’échange des données, à leur structuration et
à leur manipulation.
Cet article aborde ces différentes questions avant de présenter
l’outil lui-même. La première partie porte sur le contexte
général de la recherche. Nous présentons ensuite les
spécificités de l’analyse des interactions en ligne afin de
rendre compte des besoins des chercheurs. Enfin, la dernière partie porte
sur la présentation, la description et un premier bilan de l’outil
ViCoDiLi.
2. Contexte de recherche
La conception de ViCoDiLi a été
guidée par des questions d’accès aux données
d’un corpus d’apprentissage. Cette partie présente les
origines, la problématique et les objectifs du projet ainsi que la
méthodologie de conception utilisée.
Origines du projet : retrouver un corpus perdu
Les plateformes de formation en ligne (FEL) ne sont pas conçues pour
que les données (notamment de type échanges) soient
conservées à long terme et puissent ainsi constituer un
matériel d’étude. Même si ces données peuvent
être exploitées en tant que corpus pendant un temps par les
chercheurs qui ont eux-mêmes mis en place des formations ou des modules
d’enseignement en ligne, les données risquent de disparaître.
Leur accès devient alors dépendant des techniciens de
l’informatique, des possibilités d’extraction
normalisées des plateformes, des formats de structuration interne des
données (bases de données interrogeables ou exportables) et de la
possibilité de retrouver une interface de consultation de ces
données.
La question de la réutilisation des corpus s’est posée
dans le cadre du projet Odil à l’occasion de la perte puis de la
restauration d’un des corpus du projet. Les différents corpus
concernés étaient tous dépendants de l’environnement
informatique support à la formation les ayant produits. Pour consulter un
corpus et effectuer leur tâche d’analyse, les chercheurs utilisaient
leur identifiant d’enseignant et les modalités de consultation de
la plateforme, ce qui suppose que la session de formation concernée par
l’analyse soit toujours accessible et que la plateforme soit toujours
opérationnelle. Un de ces corpus est devenu complètement
inaccessible lorsque l’organisme de formation a arrêté
l’exploitation de la plateforme hôte. Il s’agit du corpus
Simuligne, issu d’une formation à distance pour
l’apprentissage du FLE (Français Langue Étrangère)
médiatisée en 2001 sur la plateforme WebCT, dans le cadre du
projet ICOGAD (Reffay et al., 2002).
Au cours de cette formation, les apprenants ont participé à une
activité de simulation globale5 en ligne. Le scénario invitait les apprenants à une production
collaborative dans la langue cible. La situation de communication
créée par le dispositif Simuligne était authentique, et le
mode de communication textuel et asynchrone. La collaboration
développée au sein de cette activité a donné lieu
à de nombreuses interactions entre les étudiants et entre tuteur
et étudiants pour organiser, négocier, décider et
finalement produire ensemble. La simulation a rassemblé 40 adultes
anglophones en formation continue, 10 étudiants natifs francophones et 4
tuteurs (1 par groupe). Elle s’est déroulée sur 10 semaines
et a produit plus de 12 000 interventions à travers les outils de forum,
courriel et clavardage.
Après l’arrêt de la licence d’exploitation de la
plateforme hôte (WebCT), les chercheurs disposaient d’une sauvegarde
numérique de l’ensemble des contributions produites par la
formation mais n’avaient aucun moyen technique de consulter ou de
manipuler ces données réduites à une arborescence de
fichiers texte. L’enjeu technique et scientifique lié à la
restauration du corpus Simuligne était de permettre aux
propriétaires d’un ensemble de données gérées
par une plateforme "disparue" de retrouver ces données sous forme de
corpus structuré et homogène présentant les échanges
de façon assez proche de leur mode de structuration d’origine.
C’est cet objectif qui a été poursuivi et atteint à
travers la conception de l’outil ViCoDiLi, celle-ci s’inscrivant
dans un questionnement sur la mise en place d’un modèle de
structuration des données indépendant de la plateforme
d’origine.
Problématique
Dans un article proposant un état des lieux des recherches dans le
domaine de la formation en ligne (Henri et Charlier, 2005),
Henri et Charlier remarquent que certains résultats
d’expérimentation de formations en ligne sont
présentés comme étant encourageants alors que d'autres sont
plutôt mitigés, voire décevants, quant à
l’efficacité de ces environnements en termes d’apprentissage.
Pour expliquer ces disparités dans les résultats d’analyse,
les auteurs soulignent que les recherches concernées sont menées
dans des contextes différents, peu comparables, avec des méthodes
d’investigations et d’analyse également variées. Pour
pouvoir partager des résultats issus d’analyses de corpus
d’échanges en ligne, il semble donc nécessaire de rendre ces
corpus accessibles à d’autres chercheurs que ceux qui les ont
créés ainsi que de proposer des outils spécifiques à
ce travail d’analyse et susceptibles d’être appliqués
à différents types de corpus.
La conception de l’outil ViCoDiLi qui a, entre autres, permis la
restauration du corpus Simuligne repose sur l’hypothèse
qu’une relative harmonisation des modalités de structuration, de
visualisation et de manipulation de ces données peut faciliter le travail
d’analyse sur les corpus. L’intérêt a priori est, par
exemple, de pouvoir dérouler un même protocole d’analyse sur
plusieurs corpus, ou de comparer des corpus issus d’un même
scénario pédagogique et joué dans des contextes
différents : participants, calendrier ou environnement
technologique. L’objectif de cette recherche est alors de montrer
qu’il est possible de permettre un accès homogène à
des corpus hétérogènes.
Les questionnements soulevés par la réalisation de cet outil
ont porté sur la préservation, la structuration et les
modalités de manipulation des données, ainsi que sur leur
anonymisation, condition indispensable à leur diffusion.
Structurer des corpus d’échanges en ligne
hétérogènes
On peut considérer le corpus d’échanges comme un ensemble
de données que l’on cherche à extraire de leur environnement
de production afin de les mettre à disposition des chercheurs. Chercher
à rendre les données indépendantes de leur environnement
d’origine conduit à s’interroger sur les propositions de
normalisation des traces d’activité sur plateforme de
téléformation et de structuration des corpus de traces. Trois
questions se posent alors : définir la granularité des objets
d’étude, identifier les outils de communication concernés et
définir un format de référence permettant une manipulation
homogène des données.
Les méthodologies de recherche et les techniques liées à
l’étude de corpus (transcription, annotation, codage et
interprétation) interrogent en premier lieu l’identification et le
grain de l’unité d’analyse de référence (Rourke et al., 2001).
S’agit-il de l’ensemble des discussions, du fil de discussion, du
message, d’une partie du message, d’une phrase, d’une
expression, ou d’un marqueur linguistique ? L’unité
d’analyse retenue le plus souvent dans les recherches sur les interactions
en ligne est le message. Ce dernier peut être considéré
comme une intervention qui, combinée à d’autres
interventions, constitue un échange. Le terme "échange" est ici
utilisé dans son sens technique, en référence au domaine de
l’analyse séquentielle des interactions (Charaudeau et Maingueneau, 2002).
Il renvoie à l’unité dialogale minimale, constituée
d’au moins deux interventions produites par deux locuteurs, l’une
initiative, l’autre réactive.
Les dispositifs de formation en ligne s’appuient sur différents
outils de communication permettant les échanges entre participants,
principalement forum et clavardage. La variété de ces outils qui
instrumentent les échanges en ligne est à prendre en
considération du point de vue de l’analyse. Les plateformes de
formation en ligne actuellement disponibles (WebCT, QuickPlace, Dokeos,
Claroline et Moodle dans le cas du projet Odil) possèdent
différents modes de présentation des données (Mangenot, 2008) (dans ce numéro). Ainsi, les fils de discussion sont plus ou moins
structurés : il n’y a pas de structuration des discussions sur
la plateforme Esprit, tandis que Moodle propose un outil de structuration
performant qui permet, d’abord aux participants, puis à
l’analyste, d’effectuer des recherches par liste, par structure et
par historique. Les interfaces de présentation et de manipulation de ces
données (affichage, création, reprise du message auquel on
répond, indentations) sont souvent complexes et
hétérogènes.
Les structurations internes des données sont, elles aussi,
hétérogènes. Certaines plateformes utilisent des fichiers
structurés spécifiques (WebCT), d’autres des bases de
données propriétaires ou standardisées (MySQL pour Moodle).
Quelques-unes permettent d’exporter les traces d’activité
dans un format d’échange normalisé (XML). Ce constat
d’hétérogénéité des plateformes et des
formats de traces d’échanges qu’elles produisent
nécessite de définir un format de référence
permettant à la fois d’uniformiser la description des interventions
d’un point de vue informatique et d’optimiser la manipulation de ces
données du point de vue de l’analyste. L’outil ViCoDiLi
s’appuie sur un tel format de référence pour offrir des
fonctionnalités de manipulation homogènes d’un corpus
à l’autre.
Manipuler des interventions en contexte
La participation aux activités médiatisées constitue
"une activité située, finalisée et cadrée par un
contexte" (Henri et Charlier, 2005).
La connaissance de ce contexte et des différentes dimensions
concernées est globalement nécessaire à la
compréhension des contributions aux activités proposées et
des échanges en ligne.
On peut constater que les échanges s’inscrivent dans un contexte
à deux dimensions : contexte général du dispositif de
formation et contexte spécifique de la session de formation. Le
dispositif décrit le cadre général de la formation :
objectifs, activités, environnement de travail médiatisé,
modalités d’accompagnement. La session est une instance du
dispositif pour un groupe de participants (apprenants et accompagnateurs)
donnés et sur une période donnée (calendrier, planning). Le
corpus d’échange est directement lié à ce contexte
spécifique. La conception de ViCoDiLi a été guidée
par la prise en compte de ce contexte spécifique à la session de
formation.
Anonymiser les données
D’un point de vue éthique, le caractère authentique,
personnel et social des corpus d’interactions en ligne interroge les
conditions de diffusion, d’exploitation et d’affichage de ces
corpus. Pour des questions de protection des personnes, l’accès aux
contributions des acteurs d’une session de formation ne peut se faire
qu’à condition de ne pas pouvoir reconnaître les personnes
concernées (Reffay et Teutsch, 2007).
L’extrait suivant illustre ce besoin d’anonymisation des corpus
préalablement à leur diffusion, ne serait-ce que pour en citer un
extrait.
"Nous avons constitué un corpus de textes
(courriels) écrits par une personne [...] âgée d’une
quarantaine d’années. [...] Ce corpus est constitué de 205
courriels issus de sa correspondance personnelle. [...] Tous les noms propres
ont été changés afin de rendre ce corpus anonyme et
utilisable par d’autres. Nous avons ensuite procédé à
la suppression des entêtes et des signatures des courriels". (Boissière et Schadle, 2006) (p. 4).
Nous avons cependant annoncé précédemment que la
compréhension et l’analyse du corpus nécessitent de
connaître le contexte de production des échanges en ligne. La
problématique de l’anonymisation est donc de préserver la
perception du contexte tout en protégeant l’identité de la
personne physique (Reffay et Teutsch, 2007).
Démarche de conception
Le double objectif de réaliser un environnement informatique soutenant
l’activité de l’analyste tout en élaborant un
modèle des données à analyser pose en soi une
difficulté méthodologique. Notre proposition d’interface
d’exploration homogène pour différents corpus issus de
différentes plateformes risque de modifier le point de vue des analystes
sur la notion même de corpus. Cette situation d’évolution
technologique est caractéristique des travaux en Interaction
Humain-Machine (IHM) qui, nécessairement pluridisciplinaires, cherchent
à augmenter la performance du couple système-utilisateur dans le
cadre de la conception d’environnements interactifs.
Le concept le plus important en IHM est probablement celui de conception
centrée sur l'utilisateur (Norman, 1988),
qui prend en compte la perspective de l'utilisateur dans le processus de
conception de la nouvelle technologie. Dans ce cadre, la rencontre entre
disciplines permet de multiplier les perspectives et d'avoir une
représentation la plus large possible de l'activité
considérée pour la création d'un artefact (Mackay et Fayard, 1997).
L’usager étant au centre du processus de conception, Rabardel (Rabardel, 2005) définit la co-adaptation comme un phénomène croisé
d’instrumentation de l’utilisateur par l’artefact
proposé et d’instrumentalisation de ce même artefact à
travers la mise en place de schèmes d’utilisation que
l’utilisateur développe dans la situation d’usage
réel.
Figure 1, Principe d’instrumentation appliqué à
notre problématique
La démarche participative (Mackay et Fayard, 1997) consiste alors à intégrer les utilisateurs (analystes) au
processus de conception et d’évaluation du système en
devenir. Le principe méthodologique est de leur permettre
d’exprimer leurs besoins et leurs points de vue, et d’expliciter
leur pratique. Mackay et Fayard expliquent que les démarches de recherche
prennent en compte l’introduction de l’artefact dans la situation
d’usage. La conception d’un artefact se nourrit (Figure 1), d’une
part d’une approche théorique vérifiée par
expérimentation, et d’autre part d’une observation de terrain
se structurant en modèle théorique. Le principe est de
compléter l’analyse de la tâche a priori par l’analyse
des besoins des acteurs qui effectuent cette tâche sur le terrain. Chaque
cycle permet de faire évoluer le prototype, d’affiner le
modèle tout en créant de nouveaux usages. Les trois champs
d’étude concernés sont donc le modèle
théorique, l’artefact informatique et l’usage réel.
Cette démarche de conception itérative et participative permet
d’identifier les besoins essentiels et de définir les outils
correspondants, sans pour autant disposer au départ d’un
modèle complet de l’activité de l’analyste. Pour
chaque cycle de conception, l'étape d'évaluation est
essentielle.
Dans le cadre de la diffusion de corpus, l’accessibilité aux
données peut s'évaluer à travers les critères de
qualité proposés par le projet
Mulce6 : pérennité,
lisibilité, homogénéité et validité. Nous
illustrons ces critères à travers les caractéristiques des
corpus disponibles à l’origine au sein du projet Odil.
- Lisibilité : les données sont-elles lisibles
à travers (au moins) un moyen de visualisation, dépendant ou non
du dispositif d’origine ? Concernant le corpus Simuligne,
l’accès aux données étant dépendant de la
plateforme hôte (disparue), les acteurs de la formation eux-mêmes
étaient initialement dans l’impossibilité de retrouver les
traces de leur activité.
- Pérennité : les données sont-elles
accessibles en dehors de la plateforme d’origine, pour une durée de
vie indépendante du temps de la formation concernée ?
Concernant les corpus du projet Odil, de nombreuses données sont
dispersées ou incomplètes. Leur accès était
limité aux participants à la formation, et interdit aux chercheurs
extérieurs.
- Homogénéité : la structure des corpus
permet-elle une manipulation homogène des données pour
l’indexation ou la recherche ? Dans le cadre du projet Odil, les
données "brutes" étaient toutes dépendantes du
système d’information d’origine. Quand ils existent, les
structures de bases de données et les formats d’échange sont
hétérogènes.
- Validité (écologique, durée, volume) :
le corpus est-il issu d’une formation réellement
"écologique", et donc non expérimentale, en termes de conception
de dispositif pédagogique, de durée de la formation et de nombre
de participants ?
Afin de tenir compte des tâches et des démarches des analystes,
l’élaboration de l’outil ViCoDiLi a suivi une
méthodologie de conception itérative et participative (un
informaticien et deux chercheurs en didactique). Les aspects
méthodologiques de l’analyse des interactions en ligne sont
présentés dans la partie suivante.
3. Analyse qualitative des interactions en ligne
Les recherches sur les "interactions
pédagogiques en ligne" (Mangenot, 2006) se fondent sur des approches quantitatives, comme l’analyse de contenu par
exemple, ou sur des approches qualitatives ayant recours à
l’analyse du discours et à l’analyse des interactions
verbales. L’analyse de contenu, telle qu’elle est définie par
Charaudeau et Maingueneau (Charaudeau et Maingueneau, 2002) dans leur Dictionnaire d’analyse du discours, est "une technique de
recherche pour la description objective, systématique et quantitative du
contenu manifeste de la communication" (p. 39). Cette méthodologie
implique "deux opérations fondamentales : la
précatégorisation thématique des données textuelles,
et leur traitement quantitatif, généralement
informatisé" (ibid.). La linguiste américaine S.
Herring, qui s’intéresse aux échanges en ligne, non
pédagogiques, et qui propose une approche intitulée Computer
Mediated Discourse Analysis, souligne les limites de l’analyse de contenu
quantitative :
"[...] quantitative content analysis may not be the
best approach for analyzing complex, interacting, ambiguous or scalar phenomena,
which risk distortion by being forced into artificially discrete categories for
purposes of counting. Such phenomena may be more richly revealed by qualitative,
interpretive approaches [...]" (Herring, 2004) (p. 369).
L’analyse qualitative des interactions permet d’étudier
l’organisation séquentielle des échanges et les
procédures de co-construction mises en œuvre par les participants
pour interagir et pour réaliser les tâches à accomplir en
situation de formation. En outre, comme l’écrit F. Mangenot (Mangenot, 2006),
ce type d’analyse permet d’observer plus finement les dimensions
socio-affectives et socio-culturelles des échanges.
La conception de l’outil ViCoDiLi s’inscrit plutôt dans
cette deuxième perspective d’une analyse qualitative des
interactions. Celle-ci passe par des opérations de manipulation des
échanges que nous allons maintenant présenter avant
d’évoquer quelques logiciels d’aide à l’analyse
des données.
Pratiques et besoins de l’analyse
Selon Tesch (Tesch, 1990), la
tâche centrale du chercheur qui met en œuvre une analyse qualitative
des données revient à construire une structure, à manipuler
des extraits de corpus, à les comparer, à les associer dans le but
de leur donner du sens. Dans le cadre de l'analyse des interactions en ligne, le
corpus est principalement constitué des traces des échanges entre
les participants, ce qui n’exclut pas que le chercheur puisse croiser ces
traces avec d’autres types de données tels que des questionnaires
ou des entretiens (Jeannot et al., 2006).
Pour analyser les interactions en ligne, le chercheur est amené à
effectuer différents types d’opérations impliquant la
manipulation des corpus. Voici quelques unes de ces opérations
identifiées à travers différents articles proposant des
analyses de ce type :
- Manipuler des échanges provenant de différents
outils de communication. Dans le cadre de formations en ligne, les
apprenants ont à leur disposition des outils de communication leur
permettant d’interagir de manière synchrone ou asynchrone. Les
chercheurs souhaitant travailler sur ces différents types
d’interactions ont besoin de pouvoir passer facilement d’un type de
données à un autre. Ainsi Dejean-Thircuir (Dejean-Thircuir, 2008) utilise un corpus composé de messages provenant de forums et de
clavardages dans le cadre d’une étude sur la constitution
d’une communauté d' apprenants engagés dans la
réalisation d’une tâche collaborative.
- Isoler des interventions ou des extraits
d’intervention. Dans le cadre du projet de recherche Galanet portant
sur la mise en place du contrat didactique dans une formation à
l’intercompréhension en langues romanes (Degache, 2006),
l’auteur commente des extraits d’interventions de différents
locuteurs afin d’illustrer un point précis. Dans l'exemple
ci-dessous, le lecteur ne sait pas ce qui a précédé ou ce
qui a suivi cette intervention. Cette dernière est exploitée dans
l’article en tant que trace d’un contrat codique établi entre
les participants de la formation. Pour analyser des échanges en ligne, le
chercheur repère des interventions pertinentes et les isole.
"Même lorsqu’il n’est pas
négocié, on trouve des traces de ce contrat codique dans des
opérations appréciatives positives ou négative : Je
trouve ça génial que l’on soit capable d’animer un
forum en quatre langues !!!..." (Degache, 2006) (p. 67)
- Isoler des échanges. Dans le cadre de leur
étude consacrée aux rôles joués par les tuteurs lors
d’échanges franco-japonais en ligne (Mangenot et Tanaka, 2007),
les auteurs s’appuient sur de nombreux extraits de corpus
présentant des échanges. Ainsi, à la suite de
l’extrait présenté ci-dessous, les auteurs donnent
l’exemple d’un échange à deux constituants
(question-réponse), tiré d’un forum. Les deux interventions
citées font peut être partie d’un échange plus
important, la question ayant suscité de nombreuses réponses, mais
cet échange minimal a suffi pour illustrer une des dimensions de
l’analyse. De même qu’il identifie et isole des interventions,
le chercheur repère et isole des échanges.
"Concernant l’inquiétude de certains
étudiants français quand ils constatent que peu
d’étudiants ont participé à leur tâche,
l’enseignante japonaise tente d`y répondre en décrivant le
style d’apprentissage des japonais comme dans l’échange
suivant..." (Mangenot et Tanaka, 2007) (p. 9).
- Référencer les extraits de corpus. Les
extraits de corpus utilisés par les chercheurs sont souvent
accompagnés d’informations concernant le contexte spécifique
de production des interventions (auteur, fil de discussion, thème, date
et heure, rang). C’est le cas de l’exemple suivant :
"17/03/2004 C1, salon rouge, entre Vasco, Portugais,
et Liliana Argentine en espagnol [E179C]" (Degache, 2006) (p. 63).
- Regrouper des messages ou des extraits de messages. Dans le
cadre d’une étude sur les positionnements de tutrices en formation
tutorant des apprenants de français en Australie (Dejean-Thircuir et Mangenot, 2006),
les auteurs ont rassemblé des extraits de messages de différentes
participantes pour rendre compte de certains traits stylistiques de leurs
messages (en l’occurrence l’usage d’un registre familier).
"Waouh! C’est génial, tu nous as
envoyé pleins de message et tu as carrément bien avancé
dans les activités ...[Julie]
Tout baigne Judith ! [Cristina]" (Dejean-Thircuir et Mangenot, 2006) (p. 81)
- Mettre en forme un texte. Dans un article présentant
une intervention provenant d’un forum de discussion (Fustenberg et English, 2006),
les auteurs précisent : "c’est nous qui mettons en
gras" (p. 188). Le chercheur peut donc remettre en forme (sur le plan
typographique) des extraits de corpus afin de faciliter le repérage et la
lecture des éléments essentiels liés à
l’analyse en cours.
Les différents exemples présentés ci-dessus montrent que
dans le cadre d’analyses qualitatives des interactions en ligne, les
chercheurs sont, entre autres, amenés à effectuer des
opérations de repérage, d’extraction, de contextualisation,
de regroupement, et de mise en forme des traces des échanges. Ces
manipulations "directes" des données supposent de pouvoir accéder
aux traces des échanges avec une structuration et une mise en forme
proches de celles d’origine.
Logiciels d’assistance à l’analyse
De nombreux logiciels ont été élaborés afin de
faciliter l’analyse de corpus écrits. Les plus connus sont The
Ethnographer, Atlas/TI, NUD*IST, et Xsight. Ces logiciels permettent la
manipulation des corpus en regroupant dans un même espace des documents
textes variés et volumineux. Grâce à eux, le chercheur peut
passer aisément d’un document à un autre afin
d’effectuer des opérations d’extraction, de
contextualisation, de regroupement, et de mise en forme. Ils permettent en outre
de gérer des annotations et de garder un lien constant entre chaque
extrait et son contexte de production. Ces logiciels sont destinés
à favoriser les analyses qualitatives mais ils sont essentiellement
conçus pour des corpus issus d’observations de terrain ou
d’entrevues effectuées par le chercheur et ne sont pas
adaptés à l’analyse de données textuelles ayant une
structure complexe, comme celle des échanges dans certains types de
forums par exemple.
D’autres logiciels ont été créés dans le
but de représenter graphiquement les interactions en ligne (Heer et Boyd, 2005), (Gibbs et al., 2006).
Reffay et Lancieri (Reffay et Lancieri, 2006) proposent de visualiser le corpus Simuligne sous forme de "réseaux
sociaux" pour permettre une analyse structurale et quantitative des
interactions.
Figure 2, Visualisation de discussion avec a) PeopleGarden et b)
CourseVis
Le logiciel PeopleGarden (Xiong et Donath, 1999) représente les échanges qui se construisent dans un forum
grâce à la métaphore de la croissance d’une fleur en
tenant compte de la durée de la participation et du nombre de
réactions à un message initial (Figure 2a). CourseVis (Mazza et Dimitrovab, 2007) affiche quant à lui les fils de discussion sous
forme de sphères qui représentent l’impact provoqué
par chaque intervention initiale (Figure 2b).
Ces logiciels permettent de réaliser des analyses quantitatives des
interactions. Ils apportent des informations sur les attributs des messages
(origine, destinataire, date, impact quantitatif, etc.) et non pas sur leur
contenu. En outre, ces logiciels sont généralement conçus
dans le but d’analyser des interactions provenant d’un seul outil de
communication (forum principalement), mais pas d’un ensemble
d’outils de communication hétérogènes. L’outil
ViCoDiLi, en revanche, permet d’effectuer des opérations de
manipulation liées à la structure et au contenu des interactions
synchrones et asynchrones en ligne provenant d’outils de communication
variés.
4. Présentation de l’outil ViCoDiLi
ViCoDiLi est une application web de Visualisation de
Contenus de Discussions en Ligne qui permet de manipuler des échanges
écrits, structurés par des outils de communication de type forum,
clavardage, courriel ou blog. Il fonctionne sur le corpus Simuligne issu
d’une plateforme WebCT ainsi que sur des corpus issus de la plateforme
Moodle. L’outil a pour vocation d’être étendu à
d’autres corpus issus de différentes plateformes de formation en
ligne. Cette partie présente successivement l’environnement
proposé à l’utilisateur, le format de description des
échanges et l’architecture générale du
système.
Interfaces de visualisation et de manipulation
La méthode de conception participative utilisée pour le projet
et la prise en compte d’études portant sur l’analyse
d’échanges en ligne ont abouti à la définition de
spécifications fonctionnelles pour l’outil ViCoDiLi. Les interfaces
support de ces fonctionnalités sont illustrées avec le corpus
anonymisé de Simuligne (Reffay et Teutsch, 2007).
ViCoDiLi permet de naviguer rapidement du niveau le plus
général au niveau le plus détaillé des corpus
disponibles (Figure 3). Les
différents niveaux de navigation correspondent aux choix de corpus, de
lieu et de fil de discussion. L’utilisateur sélectionne
successivement un des corpus qu’il a à sa disposition (liste
déroulante en haut de la figure), un des lieux de discussion de ce corpus
(notion de groupe de travail dans le cas de Simuligne, notion de salle pour
d’autres dispositifs), et enfin le fil de discussion qui
l’intéresse (colonne de gauche pour ces derniers niveaux).
Figure 3, Choix de corpus et de discussion dans ViCoDiLi
Les possibilités d’affichage de chaque fil de discussion dans
l’espace central (Figure 4) reprennent
les conditions existant généralement dans les environnements de
discussion en ligne. Chaque fil de discussion est ainsi présenté
sous une forme arborescente que l’utilisateur peut déployer, ou
réduire, pour l’ensemble de l’arbre ou pour chaque noeud. Les
messages peuvent être présentés sous forme
résumée (titre ou première ligne en complément de
l’auteur et de la date) ou intégralement, là aussi pour
l’ensemble de l’arbre et/ou pour chaque message. Une fonction de
repérage visuel permet de souligner en couleur le nom de chacun des
participants impliqués dans la discussion et de déployer toutes
ses interventions (Mary Golly sur la figure).
Les fonctionnalités d’assistance spécifiques à
l’analyse fournies par ViCoDiLi concernent la recherche et le regroupement
des interventions. La recherche s’effectue par auteur ou par mot
clé sur l’ensemble d’un corpus. La liste des occurrences
trouvées permet de visualiser chacune d’entre-elles (via
l’espace central) dans son contexte de production : fil de discussion
et intervention concernés. L’utilisateur peut également
sélectionner et regrouper des interventions ayant un intérêt
particulier et ainsi recomposer son propre matériel d’étude.
Chaque message de l’espace central peut être
sélectionné pour rejoindre l’espace "panier" situé en
bas de la page (Figure 5). Cet espace
possède ses propres fonctionnalités permettant de trier, de
regrouper et de supprimer les interventions sélectionnées. La
liste d’interventions obtenue peut être exportée sous forme
de fichier texte (pour effectuer un traitement complémentaire) ou sous
forme de fichier .pdf (pour diffusion). L’avantage du panier est de
pouvoir regrouper dans un même format des interventions issues de corpus
de différents types.
Figure 4, Affichage des interventions dans leur contexte
Figure 5, Regroupement d'énoncés d'origines diverses
dans le "panier"
Format de description des échanges
Les fonctionnalités de manipulation homogène de corpus
hétérogènes s’appuient sur une représentation
commune et unique des différentes structures de discussion
concernées. Chaque intervention (message) est définie par son
auteur, sa date de dépôt, le corps du texte et
éventuellement l’intervention "mère" dont elle dépend
dans le cas d’échanges structurés (forum par exemple).
Le format de description des corpus de discussion (Figure 6)
s’appuie sur une structure arborescente qui supporte un nombre variable de
niveaux intermédiaires entre le niveau supérieur de corpus et le
niveau terminal de message. Le principe est de décrire
récursivement l’ensemble du corpus à travers ce
modèle et de disposer d’un fichier d’échange
normalisé (format XML) interprétable par le système de
visualisation. Par exemple, un corpus de forum extrait de Simuligne est
progressivement décrit à travers les 3 niveaux
intermédiaires suivants (Figure 7) : groupe
de participants (groupe), type de discussion (forum), et fil de discussion
(discussion). Par contre, 2 niveaux intermédiaires suffisent à
décrire un corpus de clavardage extrait de Moodle :
thématique de discussion et session d’échanges. Ce
modèle permet d’unifier l’accès à des
interventions de différents types produites par différents
scénarios sur différentes plateformes de formation en ligne.
Figure 6, DTD de corpus de discussion
Techniquement, il est nécessaire de transformer les corpus
d’origine afin qu’ils respectent ce format de description
générique. Si la plateforme d’origine permet
d’exporter des fichiers respectant un format d’échange
à balises de type XML, l’adaptation au format ViCoDiLi est simple
et automatisable. Pour le corpus Simuligne, par contre, le fichier de
description XML a été entièrement reconstruit à
partir de la nomenclature des répertoires et fichiers WebCT fournie par
les porteurs du projet ICOGAD (Reffay et al., 2002).
Dans tous les cas, seules les données "utiles" à
l’affichage et à la manipulation des échanges sont
reportées dans le document de description XML (Figure 7).
Figure 7, Extrait de fichier XML de forum dans Simuligne
Module d’anonymisation
Le projet ViCoDiLi a dès le départ intégré une
dimension d’anonymisation permettant de respecter l’identité
des participants aux formations. Le processus d’anonymisation
s’appuie sur la définition des données
d’identité à protéger, sur une table de
correspondance attribuant un masque de remplacement à chaque
donnée d’identité, et sur un traitement en plusieurs phases
du corpus (Reffay et Teutsch, 2007).
L’environnement ViCoDiLi propose un module d’anonymisation qui
intervient sur le fichier XML de description des discussions et y modifie les
identités.
Concernant l’identité de la personne dans le corpus, nous
distinguons, d’une part les composants d’identification
manipulés par la plateforme de formation, et d’autre part les
éléments de désignation personnelle utilisés
à l’intérieur des messages eux-mêmes. Les
premières données font référence (directement ou
indirectement) aux acteurs : nom, prénom, ou identifiant par
exemple. Elles apparaissent sous la forme d’une chaîne de
caractères constante facile à repérer et à remplacer
de façon automatique. C’est le cas du nom de l’auteur
d’un message posté dans un forum ou des pseudonymes qui
précèdent un tour de parole dans un clavardage. Les secondes
données se trouvent dans le corps des interventions produites par les
acteurs eux-mêmes : signature, interpellation, réponse ou
référence à un ou plusieurs des intervenants. Le processus
d’anonymisation en lui-même consiste à appliquer les
modifications dans le corpus d’origine (fichier XML) en deux phases :
modification des identifiants des acteurs dans les en-têtes des
interventions puis modification dans le corps des interventions. Ce processus
transforme le contenu sans altérer la structure XML, ce qui permet
à ViCoDiLi de visualiser également le nouveau corpus.
Bilan et perspectives
La figure 8 résume le processus d’intégration d’un corpus à
ViCoDiLi. Un premier corpus est construit à partir de la structure de
données de la plateforme d’origine. Ce corpus est ensuite
anonymisé avant d’être mis à disposition des
chercheurs sur la plateforme ViCoDiLi : la base de données
créée à partir du fichier XML est interrogée et
visualisée dynamiquement à partir du navigateur.
Figure 8, Processus d'intégration de corpus à
ViCoDiLi
Grâce à ce processus, le projet ViCoDiLi a permis de restaurer
entièrement le corpus Simuligne où une cinquantaine de personnes
ont échangé plus de 12 000 interventions. Ce corpus est donc
à nouveau visible, exploitable et analysable tout en étant
indépendant de sa plateforme d’origine.
Le processus de structuration des interventions et d’intégration
à l’outil ViCoDiLi a été appliqué à
d’autres corpus issus de plateformes différentes, en particulier
deux corpus d’échanges (quelques centaines de messages sur forums
dédiés à des activités d’échanges de
points de vue et de réflexion) produits lors d’une formation de
master en didactique des langues et extraits de la plateforme Moodle via un
fichier de format XML.
Ces différentes expérimentations d’intégration de
corpus permettent de valider le principe de distinction entre contenus
d’interactions (interventions, échanges) et supports
d’interaction (plateforme d’origine). Une fois transformés
dans le format de référence et intégrés à
ViCoDiLi, les corpus vérifient trois des critères de
qualité préconisés par la communauté de recherche
sur les interactions en ligne : pérennité, lisibilité,
homogénéité. La validité reste dépendante de
la formation étudiée.
L’outil ViCoDiLi a néanmoins besoin d’être enrichi
de nouvelles fonctionnalités avant d’être
expérimenté en réelle situation d’analyse. Les
retours sur l’utilisation de l’interface ont souligné la
faiblesse des modalités d’expression des recherches et
l’impossibilité de gestion des extraits regroupés dans le
panier comme un corpus en soi, qui bénéficierait à son tour
des modalités de décontextualisation. La méthode de
conception entamée en partenariat avec des praticiens doit donc prolonger
ses itérations pour faciliter l’évolution de
l’artefact vers un instrument réellement modelé par ses
utilisateurs avec leurs propres schèmes d’utilisation (Rabardel, 2005).
Au-delà de la vérification de l’utilisabilité du
logiciel, les questions de l’utilité et de
l’acceptabilité (Tricot et al., 2003) pourront alors se poser.
5. Conclusion
Dans le cadre d’une démarche de
diffusion de corpus de formations médiatisées, cet article a
présenté les différentes facettes d’une recherche en
ingénierie d'outils d'assistance à l'analyse des échanges
en ligne. Celle-ci a abouti à la création d’un outil
permettant d’accéder à des traces d’échanges
indépendamment de leur plateforme d’origine. ViCoDiLi
s’appuie sur un format de description des données qui facilite et
harmonise l’accès à des traces d’échanges
issues de contextes techniques et pédagogiques
hétérogènes. Les fonctionnalités de l’outil
permettent néanmoins de manipuler des échanges dans une structure
proche de celle d’origine. Cet ensemble de propositions a
été validé à l’occasion de la restauration du
corpus Simuligne. Par la suite, afin de faciliter la compréhension du
contexte de production des échanges, l’outil devra s’enrichir
de moyens de mise en relation avec les autres composants d’un corpus
d’apprentissage "complet" (Reffay et al., 2008) (dans ce numéro) tels que le scénario pédagogique, le
contexte de la session de formation ou les retours d’enquête
auprès des participants (Mangenot, 2006).
Les questionnements prolongeant cette recherche concernent la pratique de
l’analyse des interactions elle-même. Au-delà de la mise
à disposition d’un outil logiciel facilitant l’accès
aux échanges médiatisés, la démarche
d’instrumentation de l’activité d’analyse
nécessite de tenir compte de la mise en œuvre de l’outil et
des pratiques réelles des usagers. Ainsi Savoie-Zajc (Savoie-Zajc, 2000) souligne que la structure même des logiciels d’aide à
l’analyse "influence la logique du chercheur" (p. 116). Lors de
l'élaboration de ViCoDiLi, il s’agissait de concevoir un outil
générique d’assistance à l’analyse mais, de
fait, nous avons été amenés à faire des choix ayant
pour conséquence de particulariser les approches méthodologiques
permises par l’utilisation de l’outil. Ainsi, en choisissant le
message comme unité d'analyse minimale ou en permettant aux chercheurs
d'avoir accès à certains types de vues sur les échanges en
ligne, l’outil ViCoDiLi peut induire un certain type de navigation dans
les données et ainsi influencer la pratique de l’analyse de ces
données. La conception d’un tel outil ne représente donc
qu’une étape dans l’accès aux échanges en
ligne, dans la diffusion des corpus et dans l’appropriation de ces corpus
par les chercheurs.
1 Pour l’analyse des
interactions en ligne, voir le récent colloque Épal
"Échanger pour apprendre en ligne" : http://w3.u-grenoble3.fr/epal/
2 ODIL : Outils et Didactique pour
les Interactions en Ligne : projet (2004-2007) de l’ACI "Éducation
et formation", piloté par Grenoble 3 (F. Mangenot) et regroupant 7
laboratoires. Projet centré sur l’analyse qualitative des
interactions en ligne et sur les outils qui instrumentent ces interactions.
Résumé du projet :
http://w3.u-grenoble3.fr/epal/image/resume-odil.pdf
3 Mulce : Multimodal Learning
Corpus Exchange http://mulce.univ-fcomte.fr
4 ViCoDiLi : Visualisation de
Contenus de Discussions en Ligne http://démolium.univ-lemans.fr
5 En classe de langue
étrangère, la simulation globale est une pratique
pédagogique qui consiste à proposer à un groupe
d’élèves un projet autour de la création d’un
univers de référence (fonctionnant comme thème et comme
lieu) et d’identités fictives.
6 Texte de T. Chanier et C. Reffay
au symposium "Corpus d'apprentissage en ligne" du colloque Épal (juin
2007) : http://mulce.univ-fcomte.fr/epal_symposium/actes/Mulce.pdf
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À
propos des auteurs
Philippe TEUTSCH est maître de conférences en
informatique à l’Université du Maine, chercheur en EIAH au
LIUM. Ses recherches portent sur l’instrumentation des activités de
suivi et d’analyse de situations de formation
médiatisées : interfaces de tutorat, outils de visualisations
de traces issues de formations en ligne.
Adresse : LIUM, Université du
Maine, Avenue Messiaen, 72085, Le Mans cedex 9, France
Courriel : Philippe.Teutsch@univ-lemans.fr
Toile : http://www-lium.univ-lemans.fr/~teutsch/
Charlotte DEJEAN-THIRCUIR est maître de
conférences en sciences du langage à l’université du
Maine et fait partie du LIUM. Elle étudie, dans une perspective
linguistique et didactique, les interactions verbales en contexte
d’apprentissage des langues et en contexte de formation de formateurs, en
présentiel et en ligne. Elle s'intéresse tout
particulièrement aux activités collaboratives et aux
échanges entre pairs.
Adresse : UFR Lettres Langues et Sciences
Humaines, Université du Maine, Avenue Olivier Messiaen, 72085 Le Mans
cedex 9, France
Courriel : charlotte.dejean@univ-lemans.fr
Francis BANGOU est professeur adjoint à
l’Université d’Ottawa en didactique des langues secondes. Ses
travaux portent principalement sur l’étude des processus
d’appropriation des technologies émergentes dans un contexte
didactique. Il a eu l’opportunité de travailler pendant deux ans au
sein du LIUM en tant que chercheur associé.
Adresse : Université d'Ottawa,
Faculté d`éducation, 145 Jean-Jacques Lussier, Ottawa, ON K1N 6N5,
Canada
Courriel : fbangou@uottawa.ca
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