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Méthode d’analyse et de modélisation des
environnements personnels d’apprentissage
Joris FELDER (Université de Fribourg)
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RÉSUMÉ : Cette
contribution méthodologique fournit au chercheur ou à
l’ingénieur pédagogique désireux
d’étudier ou d’exploiter les environnements personnels
d’apprentissage (EPA) une méthode pour les analyser et les
modéliser. Par une démarche de recherche-développement, un
modèle générique et un langage de modélisation des
EPA ont été conçus en visant les critères de
qualité suivants : expressivité des instances d’EPA
figurées par la modélisation, simplicité
d’interprétation par les apprenants, portée ontologique,
pragmatisme d’usage comme méthode de recherche et comme outil
d’ingénierie pédagogique. La méthode a
été développée dans le cadre d’une recherche
longitudinale auprès de 15 étudiants universitaires, pour laquelle
nous avons modélisé 60 instances d’EPA. Nous
l’illustrons par un cas d’application et nous discutons sa
qualité, ses limites et ses perspectives.
MOTS CLÉS : Environnement
personnel d’apprentissage, modélisation, méthode
d’analyse |
Method for analysing and modelling personal learning environments |
|
ABSTRACT : This
methodological contribution provides the researcher or educational engineer
interested in studying or exploiting personal learning environments (PLE) with a
method for analyzing and modeling them. Through a research-development approach,
a generic model and an PLE modeling language were designed with the following
quality criteria in mind: Expressiveness of PLE instances represented by the
modeling, simplicity of interpretation by learners, ontological significance,
pragmatism of use as a research method and as an educational engineering tool.
The method was developed through a longitudinal study with 15 university
students for which we modeled 60 instances of PLEs. We illustrate it with an
application case and discuss its quality, limitations and perspectives.
KEYWORDS : Personal
learning environment, modelling, analysis method |
1. Introduction
Cette
contribution a pour but de fournir des concepts, une méthode et des
instruments pour analyser et modéliser les environnements personnels
d’apprentissage (EPA). Elle s’adresse au chercheur, à
l’ingénieur pédagogique, à l’enseignant et
à l’apprenant désireux d’exploiter ou
d’étudier le concept d’EPA. S’il existe
différentes conceptualisations de l’EPA (Henri, 2014),
nous l’abordons ici comme une réalité subjective au sens
donné par (Väljataga et Laanpere, 2010),
c’est-à-dire comme la représentation que se fait
l’individu de l’ensemble de ses instruments et de son projet
d’apprentissage. Cette conceptualisation est vue comme une
opportunité de renouveler la compréhension de l’apprenant
d’aujourd’hui (Felder, 2017), (Charlier, 2017), (Henri, 2014), (Heutte, 2014), (Roland et Talbot, 2014) dans une « écologie d’usages » des instruments (Poizat et Durand, 2017, p. 37).
Afin de saisir ce phénomène, des recherches sont menées
pour comprendre sa nature, son émergence, ses tensions, ou encore ses
effets sur l’individu, le dispositif d’apprentissage et la
production et la transmission des savoirs. D’autres démarches de
conception, d’enseignement ou de recherche consistent à exploiter
le concept d’EPA comme une stratégie pédagogique ‒
voire comme un dispositif − dans des situations
d’enseignement-apprentissage visant à rendre l’apprenant plus
autonome. Que l’on recoure à l’EPA dans une approche de
recherche, dans des démarches pédagogiques ou de conception, les
acteurs de la formation que sont les chercheurs, les développeurs, les
enseignants et les apprenants ont besoin d’une instrumentation,
c’est-à-dire de « concepts, méthodes et
instruments d’analyse de l’activité propre et de celle
d’autrui. » (Poizat et Durand, 2017, p. 36).
Il s’agit d’être en mesure de capter et de rendre perceptible
cet EPA qui diffère d’un individu à l’autre, qui
évolue constamment et qui n’est, pour l’essentiel, pas
visible.
Or, il s’avère que la recherche scientifique peine encore
à concevoir, implémenter et évaluer une telle
instrumentation. Une approche explorée par la
recherche1, consiste à
modéliser les EPA et à les représenter visuellement, par
l’apprenant lui-même (Felder, 2017), (Mailles-Viard Metz et al., 2017), (Wilson et al., 2015) ou par le chercheur (Roland et Talbot, 2014), (Schaffert et Kalz, 2010), (Martinlade et Dowdy, 2016).
Ces approches n’utilisent aucun formalisme ou langage de
modélisation formalisé. Les modèles d’instance
d’EPA ainsi obtenus recourent à des modes de représentations
variés − textes, dessins, nombres ou flèches ‒ dont
l’expressivité sémantique et conceptuelle (Maisonnasse et al., 2010) n’est généralement pas explicitée. En
conséquence, ces modélisations ne sont comparables et analysables
que de manière très limitée. Le sens des
éléments présents dans les modèles est sujet
à une interprétation hasardeuse et peu intelligible pour les
acteurs non-experts. Finalement, les méthodes de recherche ne sont pas
reproductibles, ce qui pose des problèmes de validité
scientifique, mais aussi de capitalisation de la recherche.
Fort de ces constats, nous avons mené une
recherche-développement visant à concevoir une méthode
d’analyse et de modélisation des EPA. Pour ces
développements, nous avons fixé les quatre critères de
qualité suivants : 1) pragmatisme d’usage comme méthode
de recherche et comme outil d’ingénierie pédagogique, 2)
expressivité des instances d’EPA figurées par la
modélisation, 3) simplicité d’interprétation par les
apprenants, 4) portée ontologique des modèles. Au terme de nos
développements, la méthode de modélisation des
environnements personnels d’apprentissage (MEPA) se réalise en cinq
étapes qui exploitent ses deux composantes : un modèle
générique de l’EPA et un langage de modélisation des
EPA. La première composante formalise les concepts et les liens
sémantiques utiles à l’analyse et à
l’interprétation des EPA. La deuxième est un système
de symboles permettant de modéliser les données avec un haut
niveau d’expressivité, en fournissant plusieurs points de vue sur
les données.
Dans la suite de cet article, nous exposons la démarche de
recherche-développement que nous avons suivie. Puis nous
présentons la méthode MEPA et ses deux composantes. Nous
illustrons son application à partir de données collectées
auprès d’un étudiant universitaire. Avant de conclure, nous
discutons des limites et des perspectives de la méthode
présentée.
2. Démarche de recherche-développement
Dans cette section, nous décrivons tout
d’abord la démarche de
recherche-développement suivie pour concevoir la méthode MEPA
et ses deux composantes. Notre démarche exploite également des
outils et des langages qui sont présentés en section 2.2 Langages et outils, car ils sont porteurs de sens et contribuent aux
résultats de notre recherche.
2.1. Étapes de la recherche-développement
Comme l’illustre la figure 1, notre démarche de
recherche-développement procède par des allers-retours successifs
entre la littérature, la récolte de données empiriques, la
modélisation et la validation intersubjective des modèles
d’instance d’EPA produits.
Figure 1 •
Démarche de recherche-développement de la méthode
MEPA
Nos données empiriques proviennent de 75 entretiens menés avec
15 étudiants universitaires inscrits au même cours de
troisième année du programme de Bachelor en psychologie et
rencontrés à cinq reprises chacun, au long d’un semestre. Le
premier entretien a lieu avant le début du cours. Nous avons
cherché à accéder à la représentation que se
fait l’étudiant de son EPA lors du semestre précédant
la recherche. Les données collectées se réfèrent
à différentes situations d’apprentissage et nous ont permis
de nous assurer que les développements de cette recherche pourront
être appliqués à une large variété de
situations d’apprentissage. Les trois entretiens suivants ont eu lieu
à intervalles réguliers lors du semestre d’étude. Ils
se focalisent sur la situation unique du cours sélectionné. Ainsi,
lors du deuxième entretien, nous avons cherché à
accéder à la représentation de l’EPA de
l’étudiant après la quatrième semaine de cours. Les
troisième et quatrième entretiens poursuivent le même
objectif, après huit et douze semaines du cours respectivement. Les
entretiens ont été retranscrits, afin d’être
analysés et de produire quatre modèles d’instance
d’EPA pour chacun des 15 étudiants, correspondant à des
situations ou des moments différents (N=60).
En parallèle, nous avons développé la méthode
MEPA et ses deux composantes. La grille d’analyse catégorielle (L’Écuyer, 1990) découle du modèle générique de l’EPA. Elle a
été élaborée selon une approche mixte :
certaines catégories sont prédéfinies, d’autres
émergent des données. Cette approche nous a amené à
retourner à la littérature en cours d’analyse pour
développer le modèle générique de l’EPA
– et donc par récursivité, la grille d’analyse
catégorielle. Dans le même temps, nous avons
développé le langage de modélisation des EPA, de
manière itérative. Plusieurs essais ont été
prototypés avant d’aboutir. Au terme de nos développements,
nous avons révisé nos analyses de données et nos
modélisations pour aboutir aux 60 modèles d’instances
d’EPA.
Enfin, nous avons mené un cinquième entretien afin de
procéder à une validation intersubjective d’une partie des
modèles d’instances d’EPA. Nous avons choisi de retenir le
modèle de chaque étudiant après 12 semaines de cours
(N = 15), car ceux-ci étaient les plus riches et complexes.
L’entretien s’est déroulé trois mois après
l’examen du cours et a permis d’évaluer la portée
pragmatique de notre solution. Lors de cet entretien, nous avons
présenté à chaque étudiant son modèle
d’EPA après 12 semaines de cours. Cette validation intersubjective
nous a amené à apporter certains ajustements à notre
méthode de modélisation et au langage de modélisation.
2.2. Langages et outils mobilisés
Dans cette section, nous
précisons les langages de modélisation et les outils que nous
avons retenus pour les développements, car ils sont porteurs de
connaissances et concourent aux résultats présentés.
Le langage utilisé pour créer le modèle
générique de l’EPA est l’Ontology Web Language (OWL),
« un langage du web sémantique développé pour
représenter des connaissances riches et complexes à propos de
choses, de groupes de choses et de relations entre les choses (...) sous forme
d’ontologies » (W3C, 2012). Ce
langage permet un raisonnement selon l’hypothèse du monde
ouvert : ce n’est pas parce qu'une information n’est pas connue
que cette information est fausse. Cette hypothèse est pertinente pour la
modélisation de l’EPA lorsqu’il est conceptualisé
comme un phénomène subjectif. OWL permet également
qu’une même donnée empirique puisse être
associée à différents concepts.
De plus, le recours aux ontologies présente une véritable
opportunité pour la capitalisation de la recherche sur les EPA. Celle-ci
étant pluridisciplinaire et les cadres conceptuels mobilisés
multiples, elle doit se doter d’un moyen pour expliciter les relations
entre ces concepts. Avec OWL, il est possible de formaliser en quoi des concepts
se disjoignent, se complètent, s’unissent ou encore se rejoignent
(intersections).
Destiné principalement à être utilisé par des
agents informatiques, le langage OWL est textuel et ne prévoit pas
d’éléments graphiques pour représenter visuellement
le modèle. Afin de faciliter le développement, la communication et
l’interprétation de notre modèle générique,
nous avons eu recours à l’éditeur G-MOT. Cet éditeur
graphique mobilise le langage de modélisation par objet typé (MOT)
pour représenter visuellement des ontologies OWL et pour
générer une version textuelle exploitable par les agents
informatiques (Paquette, 2002).
Cette solution permet de formaliser et de représenter les informations
syntaxiques et sémantiques conformément à notre conception
de l’EPA.
3. Méthode de modélisation des EPA
La
méthode MEPA est composée de cinq procédures que l’on
pourra suivre de façon linéaire dans le cas d’une recherche
ou que l’on pourra opérer en parallèle dans le cas
d’une démarche de supervision par exemple.
- 1) Collecte de données. Cette procédure peut
avoir recours à l’entretien, au questionnaire, à
l’observation ou à toute autre méthode de récolte de
données.
- 2) Analyse de données. Appliquer la grille
d’analyse construite à partir du modèle
générique de l’EPA pour catégoriser les
données. Il est possible de recourir à une grille
simplifiée en utilisant uniquement les concepts de haut niveau.
Toutefois, les instances d’EPA générées seront moins
expressives.
- 3) Reformulation. Lorsque c’est nécessaire,
reformuler les données pour les rendre intelligibles et
intégrables aux éléments visuels lors de la
procédure de modélisation suivante. Par exemple, les
données collectées par entretien correspondant à un
schème d’apprentissage peuvent être volumineuses et
éparses : il faudra en générer une reformulation
condensée.
- 4) Modélisation de l’EPA. Transposer les
données catégorisées et les reformulations vers les
éléments graphiques du langage de modélisation. Le
processus peut être automatisé, par exemple en combinant les outils
Maxqda pour l’analyse catégorielle (www.maxqda.com), Neo4 pour la
gestion des données (www.neo4j.com), yEd pour la production des graphes
(www.yworks.com/yed-live/)
recourant aux fichiers SVG du langage de modélisation de l’EPA. La
démarche peut être faite manuellement à l’aide
d’un outil de dessin SVG.
- 5) Validation. Valider l’EPA modélisé,
soit par validation intersubjective avec chacun des sujets, soit par validation
inter-chercheurs, soit par le sujet lui-même qui aurait été
instruit aux différents concepts du modèle générique
de l’EPA.
En préliminaire, on procédera à la description de la
situation à laquelle se rapporte la modélisation de l’EPA.
Cette description recourt aux concepts du niveau 0 du modèle
générique de l’EPA.
4. Modèle générique de l’EPA :
première composante de la méthode MEPA
Le
modèle générique de l’EPA fournit le cadre
conceptuel, sémantique et syntaxique nécessaire à
l’analyse (étape 2) et à la modélisation
(étape 4) des données collectées. Il sert également
à interpréter les modèles d’instances produits. Nous
le présentons en suivant son organisation en cinq sous-modèles
répartis en trois niveaux.
4.1. Niveau 0 : Articulation de l’activité
observée, de l’EPA et de sa modélisation
Le niveau 0 du
modèle générique de l’EPA est composé
d’un modèle (cf. figure 2) qui articule conceptuellement
l’activité d’apprentissage observée, l’EPA et sa
modélisation.
Système d’activité d’apprentissage. La
modélisation d’un EPA s’inscrit dans l’observation
d’un système d’activité d’apprentissage au sens
d’Engeström (Engeström, 1999).
Cette conception systémique de l’activité fournit un cadre
pour étudier l’EPA en situant l’apprenant dans un
système d’activité d’apprentissage constitué du
sujet, de l’objet, des artefacts médiateurs, des règles, de
la communauté et de la division de la tâche (Felder, 2017).
Dans ce système, le sujet est un apprenant qui construit et régule
son EPA, situant l’EPA comme produit de l’activité, au
même titre que les apprentissages (ibidem).
Projet personnel d’apprentissage. L’objet du
système d’activité d’apprentissage observé est
la représentation du projet personnel d’apprentissage par
l’apprenant, au sens de (Väljataga et Laanpere, 2010).
Dans cette activité, l’apprenant réalise un projet personnel
d’apprentissage. Il s’agit d’un projet d’action à
conduire dont l’acteur fait un usage opératoire,
c’est-à-dire qu’il « cherche à
développer la maîtrise au moins partielle d’une action
gouvernée par un souci d’efficacité » (Boutinet, 2002, p. 223).
Ce projet n’est pas forcément conscientisé ni intentionnel
pour autant, mais peut l’être ou le devenir.
Instrument
d’apprentissage2. Dans ce
système d’activité d’apprentissage, l’apprenant
apprend avec des instruments d’apprentissage. À l’instar de
nombreux auteurs, nous retenons la conception de l’instrument
d’apprentissage au sens de l’approche instrumentale de (Rabardel, 1995), (Felder, 2017), (Charlier, 2014), (Fluckiger, 2014), (Roland et Talbot, 2014).
Cette approche anthropocentrée permet « une réflexion
théorique et un examen empirique des relations hommes-systèmes
techniques centrées sur l’homme, vues du point de vue de celui-ci
lorsqu’il est engagé dans des activités et des actions
réelles, situées dans leurs contextes au travail, en formation ou
dans la vie quotidienne » (Rabardel, 1995, p. 31).
Il s’agit d’une analyse basée sur la représentation
que se font les sujets eux-mêmes de leur environnement, approche
cohérente avec la conceptualisation de l’EPA exprimée
ci-dessous.
Environnement personnel d’apprentissage. Ce modèle
générique de l’EPA s’appuie sur le postulat de (Väljatage et Laanpere, 2010) que nous avons repris (Felder, 2017) et
qui considère que l’EPA est la représentation que se fait un
individu de ses instruments d’apprentissage et de son projet
d’apprentissage. Selon cette conceptualisation, l’EPA est une
réalité subjective (Henri, 2014).
Modèle d’instance de l’EPA. Dans
l’observation de ce système d’activité
d’apprentissage dont l’apprenant est le sujet, la
modélisation se focalise sur l’environnement personnel
d’apprentissage. Chaque modèle d’instance de l’EPA est
applicable à une situation d’apprentissage. Ainsi, la
modélisation de l’EPA de l’étudiant est à
comprendre en relation avec la représentation que l’étudiant
se fait de son projet personnel d’apprentissage, qui sera de fait plus ou
moins distinct du projet d’apprentissage conçu par les concepteurs
du dispositif de formation.
Figure 2 • Modèle
générique de l'EPA : niveau 0
4.2. Niveau 1 : l’EPA composé d’instruments
constitués d’un schème et d’artefacts
Le niveau 1 du
modèle générique de l’EPA est composé
d’un sous-modèle (cf. figure 3) qui étend la
définition de l’EPA comme un système d’instruments
d’apprentissage exposée au niveau 1, en précisant
qu’un instrument est constitué d’un schème et de
quatre types d’artefacts.
Un EPA composé d’instruments d’apprentissages.
Selon Rabardel, « un même schème d’utilisation peut
s’appliquer à une multiplicité d’artefacts (...)
inversement, un artefact est susceptible de s’insérer dans une
multiplicité de schèmes d’utilisation qui vont lui attribuer
des significations et des fonctions différentes. » (Rabardel, 1995, p. 4).
L’artefact renvoie, dans une acception très large, aux produits
transformés par l’activité humaine, qu’ils soient
matériels, immatériels (numériques) ou symboliques. Dans le
champ des EPA, Nieto et Dondarza se réfèrent à
l’expression d’artefact digital pour des artefacts aussi divers que
« des vidéos, des infographies, des présentations, des
activités interactives et des tâches de tous types »,
« des applications, des outils et des services » (Nieto et Dondarza, 2016, p. 51).
Dans de nombreux articles (Aladjem et Nachmias, 2013), (Caron et al., 2014), (Denis et Joris, 2013), (Hoechsmann et DeWaard, 2015),
le terme d’artefact renvoie dans ces textes autant à
l’artefact utilisé (l’outil de traitement de texte,
l’outil de création de présentation, etc.) qu’à
l’artefact produit (le texte, la présentation, l’image, etc.)
par l’apprenant dans son activité d’apprentissage.
Quatre sortes d’artefacts. Selon (Marquet, 2005),
l’activité d’apprentissage instrumentée
entremêle trois sortes d’artefacts (lien S sur la figure 3) -
artefact technique, artefact didactique, artefact pédagogique –
auxquels nous avons ajouté l’artefact social (Felder, 2014), (Felder, 2017).
Les définitions de ces concepts sont détaillées plus loin,
pour nous concentrer ici sur leur articulation sémantique. La
reconnaissance de cet entremêlement doit permettre de dépasser la
seule observation des outils non intégrés et de percevoir
l’EPA comme un système d’instruments. Au niveau
sémantique, ce modèle propose que, dans son instrumentation et au
travers d’un schème d’apprentissage, l’étudiant utilise un artefact technique, vise l’apprentissage
d’un artefact didactique, applique un artefact pédagogique
pour apprendre et observe un artefact social.
Schème
d’apprentissage. Eu égard à la distinction de quatre
sortes d’artefacts, l’expression schème
d’utilisation ne parait pas cohérente. C’est pourquoi
l’expression schème d’apprentissage est
proposée pour désigner « le canevas
général qui peut se reproduire en des circonstances
différentes et donner lieu à des réalisations
variées » (Rabardel, 1995, p. 74).
Cette distinction exprime la complexité de l’apprentissage
au-delà de la seule utilisation de l’artefact technique. Elle
permet de considérer par exemple les artefacts didactiques en
l’exprimant avec un syntagme spécifique : [schème
d’apprentissage]—>[vise]—>[artefact didactique].
Figure 3 • Modèle
générique de l'EPA : système d'instruments
4.3. Niveau 2 : Modèles des instruments
d’apprentissage
Le niveau 2 du
modèle générique de l’EPA est composé de trois
sous-modèles : l’artefact didactique (2.3.1), l’artefact
pédagogique (2.3.2) et l’artefact social (2.3.3).
4.3.1. Modèle de l’artefact didactique
L’expression artefact didactique est utilisée pour désigner
« les objets disciplinaires enseignés » (Marquet et Leroy, 2004, p. 2) et « les connaissances structurées » (Vázquez-Cano, 2016, p. 67-68).
Ainsi, ce sous-modèle (cf. figure 4) précise l’artefact
didactique par deux sous-concepts : celui de connaissance et celui de
compétence cible.
L’articulation des connaissances et des compétences ainsi que
leur déclinaison en une typologie de compétences et de
connaissances sont issues de la Méthode d’Ingénierie des
Systèmes d’Apprentissage (MISA) (Paquette, 2002).
Selon cet auteur, une compétence est la capacité à
mobiliser une habileté par rapport à une connaissance.
L’habileté peut s’appliquer à une ou plusieurs
connaissances. La typologie recourt à dix « sortes »
d’habiletés principales (liens S sur la figure 4) dont
certaines sont déclinées en habiletés plus précises.
Les connaissances sont de quatre sortes. Ces habiletés et
compétences sont listées dans la figure 4.
Enfin, ce sous-modèle comporte un lien avec le sous-modèle de
l’artefact pédagogique par l’intermédiaire du concept
« forme de représentation des informations ». Ce
dernier n’est pas un artefact didactique (absence de lien
« s »). Sa présence dans ce sous-modèle
exprime qu’une connaissance (artefact didactique) visée est représentée sous une forme de représentation
des informations (artefact pédagogique) ou son équivalent, une forme de médiatisation des connaissances.
Figure 4 • Modèle
générique de l'EPA : artefact didactique
4.3.2. Modèle de l’artefact pédagogique
Le sous-modèle de
l’artefact pédagogique (cf. figure 5) recourt à la typologie
de stratégies cognitives et métacognitives de Bégin (Bégin, 2008).
Au moment de sa revue de la littérature, il existe selon cet auteur six
sortes de stratégies cognitives de traitement de
l’information : sélectionner, repérer,
décomposer, comparer, élaborer, organiser. Les stratégies
cognitives d’exécution sont au nombre de quatre :
évaluer, vérifier, produire, traduire (vulgariser). Les
stratégies métacognitives sont, selon Bégin, de deux
sortes : anticiper et s’auto-réguler.
Dans ce sous-modèle, nous utilisons encore l’expression
« forme de représentation des informations » pour
désigner « les objets médiateurs du savoir (...) comme
le langage, les formalismes et les techniques visuo-figuratives, les
mnémotechniques » (Marquet et Leroy, 2004, p. 3) ou des ressources (Trouche, 2005).
Cette sorte d’artefact pédagogique est relié avec le
modèle de l’artefact didactique. Par exemple, il correspond
à des éléments tels qu’un article scientifique, un
tableau, une animation, un enregistrement audio, une note personnelle, ou encore
un résumé.
Figure 5 • Modèle
générique de l'EPA : artefact pédagogique
4.3.3. Modèle de l’artefact social
Le concept
d’artefact social est vu dans le champ des sciences des systèmes
d’information comme l’ensemble des interactions ou des relations
entre les individus et les objets sociaux persistants tels que les institutions,
les rôles, les lois ou les interactions uniques telles que les
décisions (Vartiainen et Tuunanen, 2016, p. 1268) (notre traduction). (Alter, 2015) rappelle, à la suite de Guarino, Bottazzi, Ferrario et Sartor, que
« dans les systèmes sociotechniques complexes, les artefacts
sociaux sont des normes et des institutions déterminant ce qui doit
être fait et gouvernant les obligations, les buts, les
pouvoirs » (Guarino et al., 2012, p.2).
L’auteur exprime la difficulté de distinguer l’artefact
social de l’artefact technique, car tout artefact créé par
l’homme contient obligatoirement une dimension sociale. Cependant, la
conceptualisation de l’instrument d’apprentissage exprime cette
imbrication du social avec le technique ou encore du pédagogique avec le
didactique.
Figure 6 • Modèle
générique de l'EPA : artefact social
5. Langage de modélisation des EPA, deuxième composante de la
méthode MEPA
Dans
cette partie, nous présentons le langage de modélisation des EPA.
Il s’agit d’un système de formalismes et de symboles
graphiques (figure 7) qui est en relation avec une sélection de concepts
du modèle générique de l’EPA. Ce langage
résulte d’une hybridation du langage MOT, du modèle
générique de l’EPA et d’attributs graphiques que nous
avons conçus. Au total, ce langage de modélisation des EPA est
composé de 42 éléments et 4 sortes de liens (cf. figure 8).
Symboles relatifs au niveau 1 du modèle
générique. Le langage de modélisation des EPA a pour
but de représenter l’EPA comme un système
d’instruments, tel que formalisé au niveau 1 du modèle
générique de l’EPA. Le système de symboles (figure 7)
recourt à la forme ovale pour figurer un schème et à la
forme rectangulaire pour figurer un artefact. Quatre couleurs distinguent
ensuite les sortes d’artefacts : le vert correspond à
l’artefact didactique ; l’orange à l’artefact
pédagogique ; le bleu à l’artefact technique ; et
le violet à l’artefact social. La couleur jaune est associée
au schème d’apprentissage en redondance à la forme ovale.
Aussi, quatre flèches servent à relier le schème
d’apprentissage aux quatre types d’artefacts, afin d’exprimer
le concept d’instrument d’apprentissage. Les labels des
flèches renvoient aux liens sémantiques entre concepts tels
qu’exprimés dans le modèle générique (vise un artefact didactique, utilise un artefact technique, applique un artefact pédagogique, observe un artefact social).
Symboles relatifs au niveau 2 du modèle
générique. En relation aux sous-modèles de niveau 1 du
modèle générique de l’EPA, huit symboles distinguent
les classes principales des quatre types d’artefacts. Un label en haut de
la forme renvoie aux différents items de haut niveau des typologies
décrites dans le modèle générique de l’EPA. Un
label au bas de la forme renvoie aux items de bas niveau de ces typologies. Au
centre, est réservé un emplacement pour inscrire la
représentation de l’étudiant dans une forme succincte.
Figure 7 • Système
de symboles du langage de modélisation des EPA
Figure 8 • Les
éléments du langage de modélisation des EPA
6. Application de la méthode MEPA
Nous
appliquons ici la méthode MEPA à partir d’un jeu de
données collectées (procédure 1) dans le cadre de notre
recherche-développement auprès de l’étudiant 13,
après 12 semaines de cours de psychologie cognitive du langage. Ce cas
est choisi comme exemple pour sa qualité d’illustration, afin
d’éclairer la méthode MEPA. Nous décomposons la
démonstration de la modélisation en cinq étapes, qui
incrémentent tour à tour de nouveaux éléments :
le schème et les artefacts techniques, les artefacts pédagogiques,
les artefacts didactiques, les artefacts sociaux. Ces étapes mettent en
œuvre et répètent les procédures 2 à 4 de la
méthode MEPA exposées plus haut. Selon notre expérience, il
s’avère en effet pragmatique et efficace de rassembler
l’ensemble des données (procédure 1) puis de
répéter les procédures 2 à 4 selon les étapes
ci-dessous, et, finalement, de procéder à la validation
intersubjective de l’ensemble du modèle d’EPA produit. Par
ailleurs, nous proposons un commentaire au cours de l’application de cette
méthode, pour tenter d’initier quelques réflexions
manifestant de l’utilité de la modélisation des EPA.
Verbatim analysé : étudiant 13 (extrait)
Là, c’est sur les stéréotypes et les genres. Je
sais plus le nom exact (...). L’article, il y a une étape sur ordi,
sur aperçu. Sur l’article même j’ai mis des
mots-clés, j’ai souligné. Et après ça je suis
revenu sur l’article pendant que je résumais. Je relisais le bout,
je résumais, j’allais au prochain. Puisqu’ils [les chapitres]
étaient par groupe en fait. Par mots-clés, introduction,
méthode. Donc c’était une manière qui allait bien en
même temps. Parce que sur l’écran je mettais Aperçu et
Word. Et du coup je lisais tout ce que j’avais déjà lu et
annoté. Plus je relisais une fois et là j’écrivais
tout ce que j’avais besoin d’écrire. (...) Là
j’ai fait avec la méthode Cornell. Je ne fais pas toujours comme
ça. Mais ça allait bien sur le moment. Je n’ai pas
forcément une façon de prendre les notes. (...) Là
j’ai pris un cahier exprès pour ça. Pragmatique. J’ai
directement mis le nom de l’article, le nom de la personne qui a
écrit l’article, ce que je pensais être important. Je mets le
nom de l’expérience, le nom des auteurs et puis je décris,
enfin vraiment les gros mots-clés qui apparaissent dans
l’expérience (...) Le plus rapide si c’est une phrase
complète que je ne comprends en anglais pas parce qu’il y a un
terme je ne suis pas sûr dedans et que ça peut changer tout le
contexte de la phrase, j’utilise Google Translate. Même si ce
n’est pas forcément un bon outil de traduction,
généralement ça donne une bonne idée de ce que
ça pourrait être. Et puis vraiment si j’ai un gros doute, le
dictionnaire anglais-français en ligne. Et on se partage les
résumés sur le Google Drive. Il y a des gens qui ne voulaient pas
partager les résumés avec ceux qui n’avaient pas
participé aux résumés, c’est pour ça
qu’il y a eu un Google Drive plutôt que sur la Dropbox où il
y a tout le monde qui peut aller chercher.
Étape 1 : identifier un schème et les artefacts
techniques
Il faut tout d’abord identifier un schème d’apprentissage
en répondant à la question « Que fait l’apprenant
pour apprendre ? ».
À partir du verbatim qui précède, le modélisateur
évalue à quel niveau de précision il souhaite situer la
modélisation. Les données récoltées sont
reformulées pour les rendre intelligibles, tout en veillant à
rester fidèle aux mots de l’étudiant.
Ainsi, dans la figure 9, l’ellipse réfère au concept de
schème d’apprentissage et contient la représentation que
s’en fait l’étudiant : « Je lis deux
articles. Je les annote. Je fais un résumé. Je partage mon travail
avec l’équipe ».
Figure 9 •
Modélisation de l'EPA - étape 1
Le schème étant désormais identifié et
situé, il devient possible de faire de même avec les artefacts
techniques rattachés à ce schème en se posant la question
« Qu’est-ce que l’apprenant utilise pour
apprendre ? ». Dans notre cas, ce dernier indique qu’il
utilise le lecteur de documents Aperçu (Systèmes Mac) pour lire
les fichiers PDF, le logiciel Word, Google translate, un cahier, et Google
Drive. Ces outils sont représentés dans un rectangle
référant au concept d’artefact bleu technique et une
flèche avec le label « utilise » est tracée
entre le schème et l’artefact. L’ensemble
réfère au concept d’instrument.
Étape 2 : identification des artefacts pédagogiques de
l’instrument
Pour être en mesure de représenter et d’analyser les EPA
plus finement, il est nécessaire de dépasser la dimension
technologique de l’instrument. Pour ce faire, il faut d’abord se
demander « À quelle forme de représentation
d’information l’instrument
s’applique-t-il ? ». Nous repérons dans ce
cas qu’il s’agit d’articles scientifiques fournis dans le
cours. Ensuite, on cherche à savoir « Quelle opération
mentale l’étudiant applique-t-il ? » pour identifier
les stratégies cognitives et métacognitives. Du corpus ci-dessus,
nous notons que l’étudiant fait la sélection des
informations à annoter et à surligner ; qu’il prend des
notes au format Cornell ; puis qu’il revoit l’article et
rédige un résumé. En recourant aux éléments
du langage de modélisation, nous pouvons associer ces trois
opérations respectivement aux stratégies cognitives de traitement sélectionner, rechercher et identifier les informations (...) et élaborer, développer ou transformer l’information. Ce
faisant, nous constatons que cette dernière stratégie est mise en
œuvre par cet apprenant selon deux modalités différentes.
Soulignons que la forme de représentation des informations
évolue au cours de l’activité d’apprentissage :
ce sont d’abord des articles ; ils deviennent des articles
annotés. Finalement, l’apprenant fait un résumé puis
prend des notes à partir de son résumé. Si nous avions
choisi de modéliser cet ensemble comme un seul instrument, il serait
possible de procéder à une modélisation plus fine.
Figure 10 •
Modélisation de l'EPA - étape 2
Commentaire : on peut dès lors s’interroger sur la
raison menant l’étudiant à entreprendre deux actions de
même type et à la pertinence de celle-ci. Est-ce le degré de
difficulté de l’article qui l’a poussé à le
traiter en deux étapes similaires au niveau cognitif ? Pourrait-il
se contenter de traiter l’article scientifique en prenant des notes au
format Cornell ? Lui sera-t-il plus aisé par la suite de continuer
à apprendre à partir des notes Cornell ou du
résumé ?
Étape 3 : identification des artefacts didactiques de
l’instrument
À cette étape, il faut se demander « Quels objectifs
et compétences l’étudiant vise-t-il ? » pour
identifier les artefacts didactiques. Du corpus ci-dessus, nous constatons que
selon la représentation de l’étudiant, son objectif est
d’acquérir des connaissances relatives aux concepts des
stéréotypes et du
genre3, de retenir le nom de
l’auteur et la date de l’article, de comprendre (retracer) le
déroulement de l’expérience scientifique relatée dans
l’article. En recourant aux éléments du langage de
modélisation, nous pouvons associer le premier objectif aux connaissances
conceptuelles et les deux derniers aux connaissances factuelles.
Figure 11 •
Modélisation de l'EPA - étape 3
Commentaire : cet instrument pourrait-il être
modifié afin d’apprendre d’autres concepts et faits ?
Comment aider l’étudiant à prendre conscience des
compétences qu’il développe ?
Étape 4 : identification des artefacts sociaux de
l’instrument
À cette étape, il faut se demander « quels individus
ou groupes - quels principes, règles, valeurs externes et personnels -
l’étudiant observe ? » pour identifier les artefacts
sociaux de l’instrumentation. Dans le corpus de ce cas, nous
constatons qu’il apprend en collaboration avec un groupe
d’étudiants et qu’il observe le principe d’une
répartition équitable du travail tout en se conformant au principe
d’informer les membres du groupe en cas de doute quant à la
qualité de son travail.
Figure 12 •
Modélisation de l'EPA - étape 4
Commentaire : que produirait cet instrument d’apprentissage
si l’étudiant n’avait pas pour principe d’informer ses
collègues en cas de doute ? Comment l’étudiant
s’approprierait-il les connaissances traitées dans des articles
préparés par d’autres étudiants ? Serait-il
souhaitable, dans le cadre de ce cours précisément, que la
collaboration dans les apprentissages prenne la forme d’une
répartition entre les étudiants des articles à traiter ?
Étape 5 : modélisation de l’EPA complet
Enfin, en analysant l’ensemble du corpus issu de l’entretien avec
l’étudiant, nous produisons un modèle de l’EPA (figure
13) représentant l’ensemble des instruments d’apprentissage
qui s’organisent en système d’instruments. Certains artefacts
techniques utilisés par plusieurs instruments et certaines connaissances
(artefacts didactiques) nous apparaissent être visés par
l’ensemble de l’instrumentation et non pas par un seul instrument.
Pour cette raison nous ne les relions pas à un schème en
particulier. D’autres instruments complètent celui
représenté et décrit précédemment : un
instrument dédié à la prise de notes sur le PDF des
diapositives du cours lors de la séance en présence, un instrument
dédié à la mise en place de la collaboration avec le groupe
d’étudiants (communication, partage, organisation), un instrument
dédié à l’apprentissage des concepts traités
par les autres membres du groupe qui ont fait les résumés
d’autres articles scientifiques, un instrument dédié
à la préparation à l’examen où
l’étudiant identifie la structure attendue et les critères
d’évaluation.
Figure 13 •
Modèle de l'EPA de l'étudiant 13, après 12 semaines de
cours
Commentaire : on peut dès lors étudier cet EPA dans
son ensemble et identifier les fonctions qu’il remplit, ses lacunes, les
éventuels conflits instrumentaux (Marquet, 2005),
les instruments ou artefacts pivots, les médiations ou encore les
catachrèses. Dans le cas présent, l’étudiant
aurait-il dû, par exemple, s’entrainer à réaliser un
examen blanc ou du moins établir pour lui-même un plan de
réponse ? Quelle différence, en termes
d’apprentissages, son instrumentation de lecture personnelle des articles
produit-elle par rapport à celle où il reçoit les
résumés d’articles faits par
d’autres étudiants ? La prise de notes en format Cornell
lors de la lecture des articles scientifiques ne représente-elle pas un
conflit instrumental, dès lors que l’évaluation porte moins
sur les connaissances acquises que sur la discussion de la construction des
connaissances scientifiques par le biais des expériences de
recherche ? Quel rôle particulier jouent les articles scientifiques
s’illustrant dans cet EPA clairement comme des artefacts pivots, autour
desquels tout le système d’instrumentation s’organise ?
Quelle est la relation entre cet artefact pivot et les autres artefacts pivots
de cet EPA ? Enfin, en disposant de différents modèles
d’EPA à différents moments du cours, il est possible
d’étudier les phénomènes d’évolution des
EPA.
7. Discussion
Notre
objectif était de développer une méthode d’analyse et
de modélisation des EPA constituée d’un modèle
générique et d’un langage de modélisation de
l’EPA. Cet objectif devait répondre aux critères de
qualité suivants : expressivité des instances d’EPA
figurées par la modélisation, simplicité
d’interprétation par les apprenants, portée ontologique des
modèles, pragmatisme d’usage comme méthode de recherche et
comme outil d’ingénierie pédagogique.
Nous jugeons que le critère d’expressivité des
modèles d’instances d’EPA est atteint. En effet, ces
modèles reposent sur un langage de modélisation des EPA dont les
concepts sont reliés à un modèle générique
(sémantique) de l’EPA, valide conceptuellement et empiriquement.
Les concepts mobilisés permettent de décrire les EPA avec
plusieurs points de vue, augmentant ainsi l’expressivité des
informations modélisées (Maisonnasse et al., 2010).
De plus, ce modèle générique de l’EPA peut servir
à l’analyse d’une large variété de situations
d’enseignement-apprentissage ainsi qu’à des situations
uniques longitudinales. Néanmoins, ce modèle
générique est appelé à évoluer avec les
apports des futures recherches sur les EPA et sur l’instrumentation de
l’apprentissage. Nous pensons notamment que des propositions de typologies
d’outils techniques ainsi que d’artefacts sociaux doivent être
développées.
Le critère de simplicité d’interprétation des
modèles d’instance des EPA par les apprenants nous parait
être atteint. En effet, lors de la validation intersubjective, aucune
difficulté d’interprétation par les étudiants
n’est apparue. Certains étudiants anticipaient par moments notre
présentation ou nous demandaient d’apporter quelques
compléments à leur modèle pour mieux correspondre à
leur vécu. Il reste toutefois que ce critère de simplicité
d’interprétation devrait être évalué par
d’autres études auprès d’étudiants de
différents contextes et niveaux de formation.
Nous évaluons le critère de portée ontologique des
modèles par leur disposition à permettre l’analyse des
propriétés de l’EPA et de ses liens au-delà de leur
seule portée représentative. Les modèles produits par la
méthode MEPA dépassent largement l’expression morphologique (Maisonnasse et al., 2009) des EPA que l’on connaissait jusqu’ici. Ils expriment les EPA comme
des systèmes complexes dont les éléments distingués
s’assemblent pour former un tout dont le sens est plus fort que la somme
des parties (Morin, 2005). Ces
modèles nous offrent ainsi des perspectives intéressantes pour
l’analyse des phénomènes liés aux EPA. Avec cette
instrumentation, le chercheur peut désormais les objectiver et traiter de
questions soulevées par la recherche ces dernières années,
notamment : quelle est la nature de l’EPA (Henri, 2014) ? Quels
impacts les EPA ont-ils sur le devenir personnel et professionnel des personnes (Charlier, 2014) ? Quels
sont les impacts des choix collectifs sur les
EPA (Peraya et Bonfils, 2014) ?
Quelles transformations les EPA engendrent-ils chez l’apprenant ou dans
son environnement ? Quelles divergences et tensions les
EPA soulèvent-ils (Fluckiger, 2014) ?
Quel est le processus de construction et de régulation de
l’EPA par l’étudiant (Felder, 2014) ?
A partir de l’ensemble des EPA modélisés dans le cadre de
notre recherche, nous observons notamment qu’ils puissent être
situés selon quatre dimensions, allant 1) des EPA majoritairement
numériques aux EPA minoritairement numériques ; 2) des EPA
fortement sociaux aux EPA fortement solitaires ; 3) des EPA
présentant une large variété de stratégies
cognitives aux EPA à une variété restreinte de
stratégies cognitives ; 4) des EPA abondement instrumentés
aux EPA parcimonieusement instrumentés. Ainsi, des réflexions
devraient être menées et des recommandations devraient être
formulées avec précaution sur le caractère optimal
d’un EPA. S’il est certainement possible d’optimiser un EPA,
son équilibre instrumental peut être fragile et son ajustement
devrait être réfléchi – à l’image de cet
étudiant de notre recherche qui, lors de la discussion de son
modèle d’instance a reconnu tout d’abord dans son EPA une
grande efficacité en termes de réussite, mais une faible
efficacité temporelle et qui a par la suite réfléchi aux
possibilités de l’ajuster pour apprendre aussi bien, mais en moins
de temps. Il a finalement réalisé que son instrumentation avait
aussi pour but de gérer son anxiété lors des examens et il
a donc préféré être prudent dans l’ajustement
de son instrumentation.
Le critère de pragmatisme d’usage comme référence
pour la conduite des recherches de qualité nous semble prometteur. Nous
avons en effet pu appliquer rationnellement cette méthode pour
récolter et analyser des données issues de 60 entretiens de
recherche afin d’en produire autant de modèles d’EPA. Dans le
cadre d’une recherche portant sur le potentiel réflexif de ces
modèles, nous avons également pu traiter de questions de
recherches spécifiques afin d’évaluer les changements
conceptuels (Vosniadou, 2007) liés à l’apprentissage auprès
d’étudiants universitaires (Felder, 2019).
Par conséquent, nous croyons que l’utilisation par les chercheurs
d’un même mode de modélisation des EPA serait un vecteur
important pour la capitalisation de la recherche. Le modèle
générique de l’EPA peut également être
étendu pour exprimer les cadres conceptuels mobilisés par
d’autres recherches sur les EPA. Le langage OWL (W3C, 2012) et
l’outil GMOT (Paquette, 2002) utilisés pour la modélisation du modèle
générique permettent pleinement un tel développement par
extensions.
8. Conclusion
Cette
contribution avait pour objectif de fournir au chercheur et à
l’ingénieur pédagogique désireux
d’étudier ou d’exploiter les EPA une méthode pour les
analyser et les modéliser. Nous avons exposé la méthode de
recherche-développement que nous avons suivie pour produire la
méthode MEPA, son modèle générique et son langage de
modélisation des EPA. Cette instrumentation a été
éprouvée dans le cadre d’une recherche longitudinale
auprès de 15 étudiants ayant produit 60 modèles
d’EPA. Bien que l’évaluation de certains critères de
qualité nécessite d’être complétée par
d’autres études, le présent article fournit les outils
nécessaires pour exploiter la méthode MEPA dans le cadre de
futures recherches. Afin d’en faciliter l’exécution et
d’élargir les applications possibles, nous étudions la
faisabilité d’un outil numérique.
Remerciements :
Mes
remerciements vont à mes directrices de thèse Bernadette Charlier
et France Henri pour leur accompagnement stimulant au long de ce processus de
recherche.
À
propos des auteurs
Joris Felder est chercheur en technologie de
l’éducation et collaborateur scientifique au centre de didactique
universitaire de l’université de Fribourg (Suisse). Ses travaux
portent en particulier sur les processus de construction et de régulation
des environnements personnels d’apprentissage par les apprenants, le
recours à la modélisation comme méthode de recherche et
comme instrument réflexif. Ses intérêts se situent
également dans les domaines des compétences numériques, de
la formation universitaire, de la formation professionnelle et de
l’éducation de l’enfance, ainsi que dans les technologies et
les méthodes de travail et d’apprentissage.
Adresse : Centre de Didactique
Universitaire, Bureau E320 (bâtiment PER21), Bd de Pérolles 90,
1700 Fribourg
Courriel : joris.felder@unifr.ch
Toile : https://www3.unifr.ch/didactic/fr/centre/equipe/joris-felder.html
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W3C (2012). OWL. Web Ontology Language. Disponible sur internet.
1Mais aussi par des enseignants et
des apprenants : pour un aperçu, rechercher
« EPA » ou « PLE » dans un moteur de
recherche.
2 Lorsqu’un même
élément se trouve sur plusieurs sous-modèles, le logiciel
MOT marque d’une pastille bleue l’élément de
référence et d’une pastille rouge
l’élément référencé.
3 Lors de la validation
intersubjective de son modèle, l’étudiant corrige et
mentionne que les connaissances visées sont relatives à
l’influence du genre sur le langage.
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