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Volume 18, 2011
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Éducation, formation et apprentissages à l’horizon 2030 : éléments issus d’un atelier de prospective pour la recherche

 

Georges-Louis BARON (EDA, Paris-Descartes), Jean-Marie BURKHARDT (IFSTTAR, Versailles)

 

RÉSUMÉ : Le projet PREA 2K30 (Prospective pour la recherche en Éducation et Apprentissages à l’horizon 2030) est un atelier de réflexion prospective soutenu par l’Agence nationale de la recherche qui a fonctionné d’avril 2010 à août 2011. Il a visé à identifier et à préciser les problématiques majeures dans les 20 prochaines années relativement à l’apprentissage et l’enseignement, en tenant compte de leurs dimensions sociales, économiques et industrielles. Du point de vue opérationnel, l’atelier a conçu un ensemble de scénarios prospectifs et identifié des thèmes de recherches jugés prioritaires. Cette contribution présente ses choix méthodologiques et ses principales conclusions. Elle est complémentaire d’une série d’autres documents disponibles sur le site du projet (cf. http://prea2k30.risc.cnrs.fr/).

MOTS CLÉS : prospective, éducation, formation, apprentissages, technologies de l'information et de la communication

ABSTRACT : The PREA 2K30 workshop (Prospective for Research in Education and Learning at the 2030 horizon) is a project funded by the French national agency for research from april 2010 to september 2011. It has aimed at identifying and framing research questions for the 20 next years, taking into account their social, economic and industrial dimensions. From an operational point of view, the project has elaborated a series of scenarios and identified research themes considered as priorities. This contribution presents the methodological choices and the main conclusions of the project. Complementary documents (mainly in French) are available on the projet site: http://prea2k30.risc.cnrs.fr/

KEYWORDS : prospective, education, learning, information and communication technology

 

1. Introduction

L’atelier de réflexion prospective PREA2K30 (Prospective pour la recherche en Éducation et Apprentissages à l’horizon 2030), mené en réponse à un appel d’offres de l’Agence nationale de la recherche, a visé à identifier et à préciser les problématiques de recherche majeures dans les 20 prochaines années relativement à l’apprentissage, l’enseignement et la formation en tenant compte de leurs dimensions sociales, économiques et industrielles. Pour cela, l’atelier a identifié des tendances susceptibles de conduire à des ruptures d’ici à l’échéance de 2030 et élaboré un ensemble de scénarios prospectifs. Il s’est ensuite fondé sur ces scénarios pour proposer des axes de recherche lui paraissant prioritaires.

Ayant été responsables de ce projet, nous tentons ici d’en rendre synthétiquement compte afin de soumettre ses résultats à la critique des chercheurs et des praticiens. Nous nous sommes efforcés de rester fidèles au travail accompli par les partenaires qui y ont contribué et, en particulier, les membres du comité de pilotage, que nous tenons à remercier chaleureusement ici (cf. Annexe §2). Dans cet article, nous nous focalisons sur le cas de la France mais le projet a aussi considéré la situation dans d’autres pays et au niveau mondial1. Cette contribution présente les choix méthodologiques et les principales conclusions. Elle est complémentaire d’une série d’autres documents disponibles sur le site du projet (cf. http://prea2k30.risc.cnrs.fr/).

Une première partie décrit les participants et la méthodologie suivie, en particulier l’analyse du domaine en composantes et variables. Puis les grands enjeux identifiés autour des évolutions à l’échéance 2030 sont explicités. Une attention particulière est portée aux questions liées à la recherche en éducation et formation. Les scénarios élaborés sont ensuite présentés. Enfin, nous évoquons quelques-uns des thèmes identifiés. Un accent particulier est mis sur la question des technologies de l’information et de la communication pour apprendre.

2. Le projet et sa démarche

Le milieu de la recherche sur l’éducation, la formation et les apprentissages est notoirement fractionné et les disciplines et groupes d’acteurs qui y opèrent tendent à se centrer sur leurs domaines respectifs. La méthode de travail retenue a reposé par conséquent sur la mobilisation de perspectives variées (recherche, entreprise, acteurs) et d’expertises disciplinaires complémentaires afin de construire une vision large du système et de pouvoir cibler aussi des ruptures. Il s’agissait d’avancer vers une approche systémique des apprentissages qui soit en même temps « fondée sur la preuve ».

2.1. Participants (cf. Annexe)

Les personnes, les équipes et les institutions participantes représentent différents champs pertinents pour le domaine (technologies éducatives, contexte et conditions des activités au travail, apprentissage implicite et explicite, éducation, formation, élaboration et transmission des savoirs, socialisation de la connaissance...). On y relève notamment :

- Les processus d’apprentissage, depuis les approches cognitives jusqu’aux dimensions sociales et aux approches cliniques.

- Les curricula et leurs dynamiques d’évolutions, s’agissant en particulier de la prise en compte de controverses et de questions socialement vives.

- La conception des « technologies numériques » dans l’éducation et la formation et l’étude de leurs usages (ATIEF) ; en particulier la formation et l’apprentissage au moyen de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée, grâce à la présence de l’Association Française de Réalité Virtuelle et augmentée (AFRV) et d’acteurs académiques (Centre Européen de Réalité Virtuelle, École des Mines de Paris, UTC, IRISA) et industriels (NEXTER, SNCF, Total Immersion) engagés dans ce domaine depuis de nombreuses années.

- Les évolutions du travail et les liens entre âge, travail, santé, et formation qui sous-tendent ces évolutions. L’atelier s’est appuyé entre autres sur la présence de spécialistes des questions de formation professionnelle et d’apprentissage en lien avec le travail (CNAM, AFPA).

2.2. Méthode suivie pour encadrer l’exercice de prospective

La méthode suivie a d’abord été très analytique, puis inductive. On y repère quatre grands moments : établir une base pour fonder l’analyse ; identifier un système de variables pertinentes ; construire des scénarios ; sélectionner des perspectives de recherche.

2.2.1. Établir une base pour fonder l’analyse

Dans une première étape, quatre groupes de travail thématiques ont été constitués (GT1 à GT4) :

- Cognition, processus d’apprentissage, évaluation des apprentissages.

- Curricula, contextes formels et informels d’apprentissage, modalités d’enseignement.

- Nouvelles ressources, nouveaux instruments.

- Évolutions des contraintes sur les activités humaines (contraintes de travail, contraintes d’apprentissage) et modalités de prise en compte de la diversité.

Les groupes thématiques ont eu pour objectif d’établir des synthèses des données existantes, en France et dans le monde sur la prospective et l’apprentissage, sur les évolutions technologiques et sociales dans les différents secteurs de recherche et d’étude, sur les processus d’apprentissage et d’éducation, sur la formation professionnelle, sur la scolarisation de nouveaux savoirs et instruments, etc. Chacun des groupes thématiques a également mené des entretiens avec des acteurs privilégiés afin de tenter d’effectuer une synthèse des demandes sociales et économiques. Ce premier travail a permis d’établir des constats tout à la fois sur le contexte actuel, les tendances observées et les évolutions anticipées dans d’autres travaux de prospective.

Pour faciliter les échanges et la dissémination des informations, outre les réunions régulières du comité de pilotage, deux symposia se sont tenus en juin 20102 puis en mars 20113. Les résultats préliminaires du projet ont été discutés à cette occasion.

2.2.2. Analyser le système « apprentissage, éducation, formation professionnelle en France » et élaborer des hypothèses

La deuxième étape, inspirée de la méthode des scénarios utilisée en prospective (de Jouvenel, 1999), a consisté à élaborer une décomposition du système « apprentissage, éducation, formation professionnelle en France » en variables regroupées au sein de trois composantes internes (A, B, C, cf. ci-dessous). Un composant externe (E, cf. ci-dessous) recense les variables extérieures à ce système qui ont néanmoins un impact sur son évolution (par exemple les évolutions de la démographie : vieillissement de la population, migrations régionales et internationales).

Figure 1. Grandes composantes considérées

Les 3 composantes internes (A, B, C) sont spécifiques au champ de l’apprentissage et des systèmes d’éducation et de formation, qu’il s’agisse de leur fonctionnement ou de la recherche sur des thèmes et des questions les concernant :

- La composante A traite ainsi le champ de la recherche sur l’apprentissage, l’éducation et la formation.

- La composante B regroupe les variables représentant les dimensions qui influencent ou caractérisent l’organisation et la régulation des systèmes de formation et d’éducation.

- La composante C concerne les variables associées aux ressources humaines et technologiques impliquées dans la mise en œuvre de la formation, de l’éducation et des modalités d’apprentissage possibles.

Pour chaque composante, 4 à 6 variables ont été définies et retenues, leur liste est donnée ci-dessous.

Composante A — Recherches sur l’apprentissage et en éducation et en formation

Var A1 : Organisation des champs de recherche, infrastructures et financements

Var A2 : Objets des recherches

Var A3 : Modalités et acteurs de la recherche, interdisciplinarité

Var A4 : Interactions entre connaissances/méthodes de recherche/institutions et pratiques de formation

Composante B — Organisation et régulation des systèmes de formation et d’éducation

Var B1 : Pilotage des systèmes, indicateurs, outils (régulation, évaluation), organes et modalités de décision

Var B2 : Périmètre et profils des populations apprenantes

Var B3 : Niveau de formation et qualification

Var B4 : Modalités et parcours de formation/scolarisation

Var B5 : Institutions de formation, dispositifs certificateurs

Var B6 : Modes de structuration et de légitimation des connaissances

Composante C — Ressources et mises en oeuvre

Var C1 : Production, diffusion, validation des ressources

Var C2 : Métiers de formateur et d’enseignant

Var C3 : Formes pédagogiques

Var C4 : Équipement technologique des établissements

Var C5 : Usages et appropriation des technologies par les acteurs

Var C6 : Fonctions et potentialités des technologies

Composante E — Externes

Var E1 : Populations et territoires, Démographie (vieillissement, migrations), Urbanisation

Var E2 : Métiers, robotisation

Var E3 : Conditions de travail, formes organisationnelles des entreprises

Var E4 : Sciences dans la société

Var E5 : Technologies : infrastructures, diffusion sociale

Var E6 : Contexte économique et politique, Cultures et Valeurs

Des hypothèses d’évolution pour les 20 prochaines années ont été élaborées pour chaque variable, ainsi que des hypothèses s’excluant mutuellement4. Un tel processus procède principalement de manière analytique. Nous avons cependant eu tout à fait conscience de l’existence de moments de choix reposant sur notre expertise collective, plus que sur un raisonnement purement déductif. Par exemple, l’identification des hypothèses pour chaque variable a été le fruit d’un consensus dans le groupe de pilotage et certaines combinaisons ont été très vite écartées car jugées incohérentes. De plus, les variables n’ont pas toutes la même granularité, en particulier, les variables de contexte. Le risque existe également que certains phénomènes importants au niveau d’une variable ne s’atténuent progressivement au cours du processus d’élaboration de scénarios.

Pour donner un exemple, la variable C6, « Fonctions et potentialités éducatives des technologies », concerne les propriétés des outils technologiques mis en œuvre dans les situations d’apprentissage et de formation. S’agissant des évolutions possibles des technologies et des usages associés, 3 hypothèses contrastées ont ainsi été émises :

C6H1 : développement d’artefacts à fortes spécificités éducatives, avec diversité des technologies et des fonctions. Cette hypothèse d’évolution privilégie le fort développement de ressources et d’environnements spécialement conçus pour l’éducation et la formation, mettant en œuvre des fonctionnalités diverses dont certaines sophistiquées (par exemple utilisant des environnements de réalité virtuelle avec toutes les fonctionnalités d’un système tutoriel intelligent).

C6H2 : usages majoritaires d’artefacts sans spécificité éducative. Dans ce cas, les enseignants et les formateurs utilisent majoritairement des artefacts qui n’ont pas été spécifiquement conçus pour un usage éducatif, formel ou informel (par exemple, un jeu vidéo sans objectif pédagogique, sans suivi de l’apprenant), et différents types d’outils qu’ils se sont appropriés dans une visée didactique. Cependant, dans la formation professionnelle, des actions de formation en ligne se développent, principalement à l’initiative de services spécialisés, internes ou mutualisés.

C6H3 : hétérogénéité forte du développement et de l’usage d’artefacts à spécificités éducatives. Dans ce cas, l’évolution envisagée est une segmentation du marché : d’une part, une offre commerciale contrôlée par un faible nombre d’acteurs, proposant des solutions fortement technologiques et onéreuses (par exemple, des équipements lourds de réalité virtuelle), avec domination de solutions marchandes basées sur des formats propriétaires. D’autre part, il y aurait un fort usage d’artefacts sans fonction spécifiquement éducative, pour le plus grand nombre d’acteurs et d’institutions de l’éducation et de la formation.

2.2.3. Construction des scénarios

La troisième étape a consisté à faire converger les points de vue des différents groupes et à concevoir les scénarios prospectifs. Ceux-ci ont été construits en deux temps. D’abord des « micro-scénarios » propres à chaque composante ont été élaborés par combinaison des différentes hypothèses. Ensuite, les micro-scénarios ont été combinés pour aboutir à des macro-scénarios contrastés, selon un processus incrémental. Dans un premier temps, le comité de pilotage en a conçu six. Un examen attentif a permis de repérer des recouvrements entre eux et de réduire finalement leur nombre à trois (cf. section 5).

2.2.4. Identification de problématiques pour la recherche

In fine, les constats sur les recherches et le domaine, ainsi que l’exploitation des scénarios produits, ont servi de base pour identifier des problématiques vives et en tirer des recommandations en termes de programmes de recherche. Nous avons essayé de ne conserver que ce que nous considérions susceptible d’apporter des éléments de connaissance utiles pour répondre aux problématiques préoccupantes repérées dans plusieurs scénarios.

Cette entreprise n’allait pas du tout de soi : nos conclusions sont bien fondées sur une démarche raisonnée, mais elles sont fortement dépendantes de la composition du groupe de pilotage. Elles doivent être considérées non comme un résultat scientifique mais bien comme une base d’information structurée ouverte à partager et à faire évoluer pour aider à une réflexion collective sur les thèmes et les enjeux de la recherche sur l’éducation, la formation et les apprentissages pour les années à venir. L’enjeu est de les enrichir et de contribuer à faire évoluer les documents et les scénarios sur la base des travaux et de l’avancement des recherches dans nos différentes disciplines.

Nous allons maintenant présenter synthétiquement les conclusions du projet.

3. Des enjeux forts et des incertitudes nombreuses...

3.1. Un manque de données fiables sur l’investissement en recherche sur l’éducation, la formation et les apprentissages.

Il est facile de trouver des statistiques sur l’évolution de la France : il y avait en 2008 environ 65 millions de personnes, soit un gain de 10 millions en 30 ans. Cet accroissement est fort, relativement à d’autres pays d’Europe (par exemple + 6 millions au Royaume Unis dans la même période, +4 millions de personnes en Allemagne toujours sur la même période, etc.). La population active représentait environ 28 millions de personnes en 2010, se caractérisant en France par un faible taux d’accès à la formation professionnelle et des phénomènes différenciés d’accès, par exemple selon le niveau de formation initial, le sexe et l’âge. La même année, il y avait environ 15 millions d’enfants, apprentis ou étudiants, 41 % des jeunes de 18 à 25 ans étant encore scolarisés. On sait également que les dépenses confondues pour l’éducation et la formation représentaient ainsi environ 160.5 milliards soit approximativement un peu plus de 8,4 % du PIB5, (un peu plus de 82 % pour l’éducation et un peu moins de 18 % pour la formation professionnelle).

On sait également estimer l’importance des investissements en recherche et développement : les trois plus grands secteurs de dépenses de recherche dans le secteur privé étaient l’industrie automobile (17 % de la DIRDE6), l’industrie pharmaceutique (13 % de la DIRDE) et la construction aéronautique (11 % de la DIRDE). Au total, les travaux de recherche et développement exécutés sur le territoire national représentaient une dépense de 41,1 milliards d’euros.

En revanche, il ne semble pas exister de données concernant le montant des dépenses de recherche plus spécifiquement dédiées à l’éducation, la formation et l’apprentissage. Une raison possible est le caractère transversal de cette thématique, en regard des principales branches de la recherche.

3.2. Quelques repères

En France en 2010, la part en PIB des dépenses publiques en faveur de l’enseignement était assez élevée autour de 6 %, malgré une légère diminution en 10 ans. Le taux d’encadrement (nombre d’enseignants pour 100 élèves/étudiants) tous niveaux et tous établissements confondus (public et privé) est en revanche le plus faible de l’OCDE avec seulement 6 enseignants pour 100 élèves/étudiants7 (Barbier-Gauchard et al., 2010). Si l’on distingue selon les niveaux de l’enseignement, les données montrent un encadrement parmi les plus faibles au niveau de l’enseignement primaire (5 enseignants pour 100 élèves) et de l’enseignement supérieur (5 enseignants pour 100 étudiants) tandis que le taux d’encadrement est médian au niveau du secondaire (7,5 enseignants pour 100 élèves). Les coûts par élèves/étudiants sont également faibles dans le primaire et dans le secondaire. Le constat persiste si l’on se concentre uniquement sur les données pour le public. Par ailleurs, la rémunération des enseignants statutaires est faible en regard des comparaisons internationales. Depuis 10 ans, une tendance générale à la baisse de l’emploi public dans l’éducation est constatée, sauf pour certains pays comme le Canada, l’Irlande et les Etats-Unis (Barbier-Gauchard et al., 2010).

Depuis 2002, l’effort financier de la Nation au profit de la formation professionnelle et de l’apprentissage est resté stable à 1,5 % du produit intérieur brut8. En 2005, les organismes privés de formation représentaient en France 94 % des organismes de formation, totalisant 77 % du chiffre d’affaires total et accueillant 85 % des stagiaires (soit 7,4 millions). Le secteur public et parapublic, qui ne représentait que 6 % des organismes de formation et ne formait que 15 % des stagiaires, réalisait près du quart du chiffre d’affaires (23 %) du fait de ses formations plus longues. L’Éducation Nationale (dont le CNAM) et les GRETA (Groupement d’établissements publics locaux d’enseignement) étaient des intervenants importants de la formation continue avec 13 % du chiffre d’affaires. Il en est de même pour l’AFPA (4 % du chiffre d’affaires).

3.3. Enjeux associés à l’éducation et la formation professionnelle

L’éducation et la formation sont depuis longtemps associées à des enjeux citoyens très forts : favoriser l’insertion et la réinsertion professionnelle des travailleurs, permettre leur maintien dans l’emploi, favoriser le développement des compétences et l’accès aux différents niveaux de la qualification professionnelle, contribuer au développement économique et culturel et à la promotion sociale. La loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social9 opère un certain recentrage des enjeux sur des objectifs liés à l’accès, au maintien et au retour à l’emploi, et réaffirme la nécessité d’une formation tout au long de la vie.

D’autres enjeux apparaissent aussi aujourd’hui :

- Contribuer à former des citoyens éclairés à même de participer aux débats et aux décisions dans la cité, dotés d’une certaine maîtrise des environnements technologisés complexes dans lesquels ils baignent.

- Maintenir et développer la présence des compétences et des expertises critiques pour les entreprises et le pays. Cet enjeu dépend en particulier des choix politiques d’éducation et de formation tant au niveau public que dans le secteur privé.

- Conquérir et développer des marchés liés directement ou indirectement à l’éducation, la formation et l’apprentissage. Cet enjeu se situe d’ailleurs tant au niveau de la production que de la commercialisation des services, des produits et des technologies en lien avec l’éducation, la formation et l’apprentissage.

- Favoriser l’acceptation des innovations technologiques par les citoyens (ex. génome en tant qu’outil de sélection ; nucléaire...), les obstacles à cette acceptation constituant en effet un problème important pour les entreprises et les autres acteurs de ces domaines.

Il est à noter que des tensions fortes existent entre eux. Par exemple, favoriser l’acceptation sociale d’une technologie à un instant donné peut être en contradiction avec le développement de la pensée critique, la complétude et la transparence de l’information qu’implique l’objectif de former des citoyens éclairés. De même, l’économie de marché appliquée au champ de l’éducation et de la formation peut s’accompagner d’un recentrage sur certains segments les plus rentables, en même temps que de la disparition de l’offre, lorsque le domaine ou la compétence visés sont faiblement standardisables et/ou concernent une audience limitée.

D’autres évolutions, enfin, sont incertaines en l’état de nos connaissances : par exemple, dans quelle mesure les formations de type hybride (c’est-à-dire combinant activités en présentiel et activités à distance) qu’on voit se développer vont-elles se conformer à des formes d’industrialisation où le travail vivant des formateurs est remplacé par des ressources numériques gérées par des plateformes logicielles ?

3.4. Tendances globales et incertitudes.

Un tiers des personnes en emplois en 2005 aura quitté le marché du travail en 2020 (Warzee, 2009). Dans les vingt ans à venir, trois tendances fortes apparaissent du point de vue démographique : le vieillissement de la population, le développement des grands centres urbains, le maintien des inégalités territoriales.

En ce qui concerne la population active, on peut faire l’hypothèse d’une augmentation du travail précaire, une hausse du niveau de qualification des personnes embauchées, une hausse de l’emploi féminin. Des bouleversements assez radicaux des métiers et des professions sont attendus dans des secteurs majeurs de la société. Ils sont d’ailleurs déjà entamés dans certains domaines, comme la médecine et les professions de santé. Les changements sociotechniques sont en effet très rapides (« infra-générationnels ») et touchent les compétences, les valeurs et l’image de soi, etc. De plus, ces changements impactent aussi bien la vie au travail que la vie hors travail. La capacité à agir sur ces changements reste essentiellement hétérogène selon les acteurs (décideurs, praticiens, chercheurs, usagers...).

Une incertitude vive est liée aux valeurs dominantes au sein d’une société, avec la possibilité, souvent énoncée dans les travaux internationaux, de la disruption des modèles actuels d’enseignement scolaire, conduisant à une diminution du rôle de l’école publique, au bénéfice de solutions personnalisées organisées au sein d’un marché mis au service d’une vision utilitariste (Christensen et al., 2008).

Enfin, les crises (énergétiques, sociales, écologiques, technologiques, etc.) sont susceptibles de modifier significativement les tendances fortes identifiées.

3.5. Tendances dans le domaine des technologies de l’information et de la communication

L’innovation technologique fait l’objet d’attentes fortes en regard des enjeux portés par les différents acteurs (politiques, entreprises, citoyens...). Ceci se produit dans un contexte de désaffection pour les études scientifiques en France, de méfiance vis-à-vis de la science au nom d’un principe de précaution généralisé. Les technologies de l’information et de la communication – et plus largement les technologies émergentes – constituent aujourd’hui l’un des domaines privilégiés en termes de moyens humains et financiers pour la recherche, en particulier s’agissant de la recherche pour les entreprises.

Les tendances globales repérées quant à l’évolution de ces technologies sont les suivantes :

- Des composants électroniques de très petite taille aux capacités de calcul plus importantes ;

- Une connectivité internet très haut débit et à prix réduit, notamment dans les grandes villes ;

- Une banalisation d’objets communicants nomades ;

- Des réseaux IP à coûts réduits ;

- Le développement d’une informatique « en nuage » ;

- Une optimisation énergétique croissante des systèmes ;

- Un interfaçage croissant avec d’autres technologies : robotique, internet des objets, rendu et interaction 3D ;

- À plus long terme couplage avec la biologie, et le développement de possibles technologisations du vivant ;

- Le développement d’un contrôle du travail et des activités humaines, plus largement, des instruments de suivi des comportements individuels ;

- Une diffusion croissante d’outils de fabrication et de prototypage, comme les imprimantes 3D10.

Une tendance dans l’économie actuelle est également la mise à contribution des usagers dans le travail de production et/ou la valeur des services et produits, et cela dans de nombreux secteurs d’activités en lien avec les nouvelles technologies. Mais plusieurs formes d’évolution sont possibles du point de vue économique, allant de l’extension de marchés captifs au développement de formes plutôt collaboratives, voire libertaires. On peut ainsi penser à la conception de logiciels libres, ou au développement des plateformes de « crowd sourcing » (« externalisation ouverte »).

4. Le cas particulier de la recherche

4.1. Les chercheurs

Des chercheurs plutôt ingénieurs, majoritairement dans l’entreprise, avec une faible représentation des disciplines liées aux sciences humaines et sociales.

En 2010, les chercheurs en entreprise (137 000) représentaient 56,7 % des chercheurs en France, et étaient donc plus nombreux que ceux du secteur public (99 000) selon les dernières données disponibles (MESR, 2010). Alors que le doctorat est le premier diplôme dans les institutions publiques, c’est le diplôme d’ingénieur qui domine dans le privé (52,5 % des personnels déclarés comme chercheurs dans le privé avaient comme diplôme le plus élevé un diplôme d’ingénieur) tandis que 13 % seulement étaient titulaires d’un doctorat (incluant le doctorat des disciplines de santé). Une autre spécificité des chercheurs en entreprise est qu’ils étaient plutôt jeunes, en début de carrière, et que 12 % d’entre eux avaient un niveau de diplôme inférieur à la licence.

D’après les données concernant l’emploi scientifique en France en 2009 (MESR, 2009), les chercheurs en entreprise étaient pour les deux tiers issus des sciences de l’ingénieur ; les sciences humaines et sociales étaient très faiblement représentées (moins de 1 %).

Des chercheurs moins nombreux dans le secteur public, titulaires d’un doctorat, dont un quart dans les disciplines liées aux SHS.

En ce qui concerne les chercheurs dans le secteur public, les compositions disciplinaires en 2009 étaient un peu plus équilibrées avec un quart des chercheurs en sciences humaines et sociales et près de 30 % dans les disciplines Mathématiques et Informatique, sciences de l’ingénieur et STIC. Une incertitude existe, étant donné les politiques actuelles de réduction du déficit public, quant au renouvellement du vivier avec le départ en retraite des enfants du baby-boom.

Le développement d’un financement de la recherche par projets à court terme

En France, l’Agence nationale de la recherche (ANR) est sans doute le partenaire central dans le paysage. Mais deux autres points méritent d’être soulignés. D’une part, de par ses programmes cadres, l’Europe, qui valorise sans doute davantage que les instances nationales la recherche-action et accorde une grande importance à la valorisation de la recherche et à ses applications directes dans le monde éducatif, joue un rôle très important. D’autre part, des collectivités territoriales s’engagent également, quoique de manière inégale, dans le financement d’actions qui sont souvent à l’interface entre la recherche et l’étude.

Quelle prise en compte intégrée des enjeux sociétaux dans la recherche ?

Comme on peut le lire dans de nombreuses synthèses ou dans l’affichage stratégique des institutions politiques et de recherche, les différents domaines de la recherche s’orientent de plus en plus vers une prise en compte intégrée des enjeux sociétaux du développement durable et de santé publique : sécurité alimentaire, santé et bien-être au travail, climat et environnement, citoyenneté, connaissances émergentes et savoirs non stabilisés etc. Plusieurs incertitudes existent quant à la prise en compte effective de ces enjeux et leur traduction dans des recherches.

Avec le poids croissant du financement externe de la recherche (programmes, fondations, contrats de recherche, etc.), une incertitude concerne la place et le périmètre de la prise de risques jugés comme acceptables par les commanditaires de la recherche, ainsi que le cadre et les échéances temporelles qui lui sont imposés. Une autre incertitude concerne la place et le périmètre attribués à la recherche pluri, multi voire inter-disciplinaire dans le paysage de la recherche en général, au niveau mondial et français, et plus spécifiquement dans le champ de l’éducation, de la formation et des apprentissages.

Enfin la réelle capacité de la recherche à couvrir les dimensions sociétales, humaines et organisationnelles dans la recherche sur les technologies et l’innovation reste également incertaine, alors que dans le même temps la multiplication des projets visant à impliquer l’utilisateur, l’usager voire le citoyen suggère que l’on assiste à une montée en puissance de projets liant intimement recherche et conception de dispositifs pour des sujets/utilisateurs humains.

4.2. La recherche sur l’éducation et la formation

4.2.1. Un champ étendu et dispersé

Une des conclusions des travaux au sein de l’atelier, qui rejoint les conclusions du rapport Prost en 2001 (Prost, 2001), est le maintien d’une grande dispersion des recherches sur l’éducation et la formation, tant en termes de champs disciplinaires convoqués que de théories mobilisées et de méthodologies voire même de finalités des recherches (prédire, comprendre, expliquer, agir...). Cette dispersion se manifeste de différentes manières.

Les secteurs qui font explicitement référence, dans leur dénomination, à un intérêt privilégié pour les questions d’apprentissage, d’éducation et de formation, sont multiples. Il est possible par exemple de citer plus d’une douzaine de domaines de recherche, aux frontières relativement mobiles, affichant explicitement une relation à l’éducation, la formation ou les apprentissages (la liste qui suit est bien entendu non exhaustive) :

- Didactiques disciplinaires

- Didactique professionnelle

- Droit de la formation

- Technologie éducative

- Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain (EIAH)

- Ergonomie scolaire

- Neuro-éducation

- Psychologie de l’éducation

- Psychologie du développement

- Psychologie et ergonomie de la formation

- Sciences de l’apprentissage

- Sciences de l’éducation

- Sociologie de l’éducation

- etc.

Un facteur « d’entropie » supplémentaire, réside dans le volume croissant des publications scientifiques, du fait de deux facteurs combinés : l’accroissement de la productivité des chercheurs en nombre de publications, d’une part, et le périmètre accru des champs disciplinaires impliqués dans la recherche sur l’éducation, la formation et les apprentissages. Or les travaux de recherche intéressant directement l’apprentissage, l’éducation ou la formation ne sont pas tous, loin s’en faut, inscrits dans des disciplines ou sur des supports de publications y faisant explicitement référence.

Un tel caractère fragmenté et hétérogène des recherches s’explique aussi par l’ampleur et les multiples dimensions des objets de recherches liés à l’apprentissage, l’éducation et la formation. Ils touchent en effet à de nombreuses sphères de l’activité humaine : économique, politique, sociale et culturelle, psychique et psychologique, etc. Une autre difficulté pour construire une image tant soit peu fidèle du domaine relève de la pluralité et de la diversité des modèles et des théories, à l’intérieur comme à l’extérieur des champs disciplinaires. Cette pluralité s’explique aussi par les particularités des domaines de connaissances en termes d’apprentissage, de situations d’apprentissage, d’enseignement et de formation considérées.

4.2.2. Des difficultés à développer des travaux pluridisciplinaires

Le besoin est néanmoins toujours réel de construire l’articulation et l’intégration pluridisciplinaire des recherches en lien avec l’apprentissage, l’éducation et la formation. Dans le cas contraire, le risque existe de la prédominance d’un paradigme et d’une façon unique de traiter et de délimiter les objets de recherche. Par ailleurs, le consensus est fort pour expliquer également la persistance de cette dispersion par la difficulté à faire exister l’interdisciplinarité, dans les recherches et ses structures, si ce n’est de façon ponctuelle et transitoire. De façon encore accrue ces dernières années, les systèmes d’évaluation des chercheurs et des laboratoires privilégient d’ailleurs la mono-disciplinarité, comme de très nombreuses revues de recherche. Il y a par exemple une incertitude forte sur le soutien effectif que vont apporter les structures de la recherche (CNRS, universités, centres de recherche privés et publics, etc) et les agences d’évaluation de la recherche aux actions à caractère pluridisciplinaire.

En contrepoint du constat précédent, une difficulté supplémentaire réside dans le manque d’outils et/ou de lieux d’élaboration de panoramas cohérents et opérationnels des recherches sur l’apprentissage, l’éducation et la formation.

4.2.3. Une première liste de thèmes de recherche apparus comme relativement peu investis

L’absence de cartographie d’ensemble détaillée et complète des travaux menés dans les différentes communautés de recherche rend très difficile l’identification des thèmes ou objets de recherches sous-investis. Un certain nombre de thèmes de recherche nous ont cependant semblé relativement peu représentés en France, notamment :

- L’acquisition des compétences de haut niveau et des fonctions cognitives supérieures (en plus des apprentissages primaires et des fonctions exécutives ou de la simulation) ;

- L’apprentissage chez l’adulte à tous les âges en dehors des recherches s’intéressant aux impacts négatifs du vieillissement ;

- L’activité des formateurs, alors qu’il existe une tendance récente à développer des recherches sur l’activité des enseignants ;

- L’analyse des besoins des utilisateurs finaux et des contextes réels d’utilisation des TICE, l’efficacité des dispositifs mis en œuvre ;

- L’étude des populations apprenantes à besoins spécifiques, en particulier en lien avec les technologies (TICE et autres technologies émergentes).

5. Présentation synthétique des scénarios

Trois macro-scénarios ont été élaborés, chacun étant susceptible de deux types d’évolution en fonction de l’évolution des variables de contexte. Les points essentiels de ces scénarios sont présentés ici. Le lecteur pourra trouver une version étendue et argumentée de ces scénarios à l’adresse : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/contribs/afficher/75

5.1. Macro-scénario 1. Marché et personnalisation, R & D, vers l’école et la formation à la carte : vers une société du « fast food » éducatif

La libéralisation du marché de l’éducation et de la formation, associé à un modèle dominant fondé sur l’individualisation et la personnalisation des dispositifs, des ressources et des technologies, a abouti à une société tendant à l’industrialisation des services et des produits d’éducation et de formation selon un scénario analogue à celui du développement des entreprises de « fast food » : nombre restreint de produits, assemblage lors de la vente, standardisation, faible coût. Les hypothèses constitutives de ce scénario sont indiquées dans l’encart suivant :

• Apprentissage, éducation et formation : « responsabilité individuelle » dans l’orientation et le choix ;

• Désengagement de l’État, marché concurrentiel et individualisation de l’offre ;

• Inégalités et disparités accrues entre les acteurs ;

• Niveaux de sortie de la formation initiale plus précoces qu’actuellement et baisse corrélative des niveaux de qualification ;

• Deux segments contrastés dans les technologies d’apprentissage : technologies haut de gamme de coût élevé, solutions propriétaires à bas coût, technologies disponibles non spécifiques ;

• Recherches en éducation et formation dispersées et très finalisées, faible capitalisation.

5.2. Macro-scénario 2. Déconnexion Recherche/terrain, distance éducation et formation, prééminence des experts techniques

Ce scénario représente une continuité entre la situation en 2011 et celle de 2030, tant du point de vue des relations entre monde de la recherche et monde de l’éducation et de la formation, que du point de vue de l’organisation de la recherche et de son pilotage. L’évolution des nouvelles technologies n’a pas d’impact majeur dans cette configuration. Deux variantes peuvent être distinguées, selon que les usages des technologies de l’information et de la communication restent en marge des systèmes d’éducation et de formation ou non. Les points saillants du scénario sont donnés dans l’encart suivant :

• Subordination des contenus enseignés vis-à-vis de l’emploi ;

• Soutien faible ou en baisse à la recherche en éducation ;

• Inégalités croissantes entre les acteurs, en termes de production, d’accès et d’utilisation des ressources ;

• Dualité de la production de ressources pédagogiques par des communautés et par le marché de l’édition ;

• Gouvernement de la société sur la base d’expertises techniques ;

• Peu de recherche ; certaines à court terme, en concurrence, sur quelques thèmes liés à l’innovation, maintien d’une recherche fondamentale en faible lien avec la pratique et les exigences du terrain.

5.3. Macro-scénario 3. Formation « tout au long de la vie » : un projet de société pris au sérieux

Le scénario qui suit est fondé sur l’idée d’une recherche soutenue, forte et diversifiée, articulant plusieurs disciplines et domaines concernés par les technologies de pointes, de la biologie jusqu’aux sciences humaines et sociales, en forte interaction avec les acteurs et les besoins de terrain. Il nous semble avoir l’intérêt de tirer les conséquences de tendances bien repérées dont la conjonction n’est pas impossible. Les hypothèses constitutives de ce scénario sont indiquées dans l’encart suivant :

• Éducation et formation : un enjeu, un investissement et une stratégie pour aller vers une société du savoir ;

• Large diffusion de technologies variées et adaptées sur la base d’une approche centrée-humains ;

• Appropriation continue de ressources élaborées collectivement au sein des communautés et largement accessibles ;

• Rapprochements recherche, éducation et formation ;

• Formation à et par la recherche des acteurs de l’éducation ;

• Multiples liens directs entre la recherche et les pratiques selon diverses formes ;

• Soutien affirmé aux recherches sur l’apprentissage, l’éducation et la formation

6. Grands axes de recherche identifiés

Les trois scénarios ainsi que les constats sur l’existant ont fourni la base à partir de laquelle nous avons cherché à identifier des thématiques de recherche importantes à explorer de manière approfondie. Nous avons conscience que la procédure de choix a eu un caractère fragile : les thèmes ont été définis par consensus au sein du groupe, en cherchant ce qui était susceptible d’apporter de l’information permettant de faire face aux problèmes jugés importants. Nous avons ainsi abouti à une liste de questions, plutôt longue, présentant des niveaux de granularité disparates. Puis nous avons procédé par regroupement pour aboutir à cinq grands axes thématiques. Ceux-ci sont présentés ci-dessous, associés aux principaux thèmes ou questions à partir desquels ils ont été construits. Il convient de garder présent à l’esprit qu’il s’agit d’un ensemble de propositions soumises à la discussion.

Chacun des axes suivants nous semble pouvoir faire l’objet d’investigations visant aussi bien à découvrir et à mieux connaître des faits qu’à soutenir l’action. En outre, les regroupements ont été volontairement faits de telle sorte qu’ils puissent être instruits du point de vue des différentes disciplines et non d’une seule. Ces exemples de thèmes et de questions n’épuisent évidemment pas, encore une fois, ce qu’il est possible — voire souhaitable — de développer comme recherches sur les questions d’éducation, de formation et d’apprentissage.

6.1. Relations citoyens, sciences, technologies

- Comment diminuer l’écart entre les connaissances enseignées et l’état des connaissances scientifiques du moment, s’agissant en particulier des savoirs nouvellement identifiés et répertoriés ?

- Comment développer chez les apprenants des compétences de haut niveau (pensée critique, créativité, etc.) : processus, difficultés et outils ;

- Comment favoriser, outiller et améliorer la participation « éclairée » des citoyens aux débats sur les savoirs et sur les connaissances non-stabilisées ?

- Quels domaines de connaissance apparaissent nécessaires en termes d’éducation et de formation tout au long de la vie des citoyens ? Barrières et catalyseurs pour leur diffusion et l’appropriation ?

- Comment améliorer l’articulation et l’intégration entre la recherche et les praticiens directement concernés ?

6.2. Technologies, éducation et formation

- Comprendre et améliorer les processus de conception des artefacts et des dispositifs technologiques pour l’éducation, la formation et l’apprentissage ; étudier et favoriser la prise en compte des besoins des utilisateurs finaux et contextes réels d’utilisation des TICE, mesurer l’efficacité des dispositifs mis en œuvre ;

- Étudier l’existant et les pratiques en situations réelles, incluant des études empiriques et des évaluations impliquant des dispositifs technologiques dans l’éducation, la formation et l’apprentissage ;

- Étudier et améliorer les processus de conception des technologies pour l’éducation, la formation et l’apprentissage : EIAH, Réalité Virtuelle pour l’apprentissage, Technologies de la mobilité pour l’apprentissage et l’éducation ;

- Étudier et outiller la prise de décision en matière de choix scolaire et d’orientation : accessibilité des informations pour les apprenants et leur entourage, outil d’aide à la décision, etc. ;

- Développer des recherches sur les populations apprenantes à besoins spécifiques, en particulier en lien avec les technologies (TICE et autres technologies émergentes) ;

6.3. Évaluation et prise de décision en éducation, formation et apprentissage

- Méthodes et procédures d’évaluation des dispositifs et ressources pour l’évaluation et la formation : étudier la portée, la fidélité, la validité et l’applicabilité ;

- Comprendre et évaluer les actions menées pour améliorer l’accessibilité de la formation à tous. Il s’agit notamment de comprendre une réalité paradoxale : les personnes les moins formées au départ accèdent moins à la formation quand elles avancent en âge ;

- Analyser et spécifier les besoins humains, organisationnels et techniques en matière d’éducation et de formation : quelles méthodes et quelle efficience dans quelles conditions ?

- Quelles théories mobilisées pour les décisions de conception des systèmes, dispositifs et ressources éducatives et pour l’apprentissage : nature, caractéristiques remarquables et contribution opérationnelle ?

- Évaluation des politiques publiques : quelles méthodes pour quelle efficience ?

6.4. Interactions Apprentissage, Santé et Environnement

- Impact de l’accès à la formation sur la santé et le bien-être. Influence de la santé sur l’apprentissage : handicap, populations sensibles et modes de scolarisations temporaires, lien santé, âge et apprentissage ;

- Éducation, formation et apprentissage à la santé et prévention ;

- Formation des soignants ;

- Éducation, formation et apprentissage à l’environnement et au développement durable.

6.5. Systèmes Socio-techniques dynamiques, complexité et cognition

- Acquisition des compétences de haut niveau et des fonctions cognitives supérieures ;

- De quelle (s) façon (s) les parents étayent l’activité éducative de leurs enfants dans des contextes formels et non formels d’éducation ? Quelles conséquences en termes d’apprentissage, de relations parents-enfants ?

- Modèles de l’apprentissage implicite, déterminants, barrières et assistances à l’apprentissage implicite dans les situations d’activité individuelle ou collective ;

- Modèles de l’apprentissage centrés sur l’activité, apprentissage auto-régulé, apprentissage dans les communautés épistémiques, apprentissage organisationnel, apprentissage collaboratif ;

- Apprentissage, dés-apprentissage et ré-apprentissage ; étudier par exemple, les processus et facteurs liés au dés-apprentissage dans l’illettrisme, ou encore le ré-apprentissage de nouveaux modes opératoires dans le domaine professionnel (par exemple ré-apprentissage lié à l’adoption de l’éco-conduite chez les usagers de la route) ;.

- Apprentissage chez l’adulte.

7. Perspectives

Les thèmes de recherche précédents concernent tous plusieurs communautés de recherche et sont susceptibles d’intéresser également praticiens et décideurs. Mais il est douteux que le milieu des chercheurs s’en empare spontanément de manière coordonnée. Des incitations venant d’une instance régulatrice de la recherche (par exemple sous la forme du financement d’un programme thématique d’une certaine durée) pourraient être déterminantes. Cependant, plusieurs problèmes devraient être résolus.

La pluridisciplinarité, on l’a vu, pose problème dans un monde où l’évaluation est principalement disciplinaire.

Par ailleurs, une question toujours ouverte est celle des ponts qu’il est possible d’établir entre les différents acteurs de la recherche, les praticiens et les décideurs. Comment élaborer des contenus d’apprentissage prenant en compte les apports constatés par la recherche ? Comment prendre en compte dans la recherche les exigences des éducateurs et des apprenants ? Comment favoriser le passage de la recherche de laboratoire à la recherche en classe ou sur les lieux de formation ?

Le peu de visibilité de traductions opérationnelles des résultats de la recherche ne signifie pas obligatoirement une absence de connaissances de ces résultats, ou une résistance volontaire au changement, mais peut également découler d’une incompatibilité avec les contraintes de la situation réelle de pratique (conditions contextuelles, conditions sociales, économiques, et culturelles). Pour des auteurs comme Martinand (Martinand, 2002), l’idée de transfert de savoir est une illusion : « l’idée d’appliquer facilement un savoir validé soulève plusieurs problèmes importants tenant notamment à la distance entre modes de pensée des chercheurs et des enseignants et à la différence entre “savoirs mobilisateurs“, savoirs explicatifs et prédictifs habituellement produits par la recherche ». Pour cet auteur, en revanche, l'idée de transfert d’innovations, est intéressante, ce transfert ayant un caractère souvent « imprévisible ». Il insiste aussi sur les idées de circulations des savoirs et de traduction, au sens de Michel Callon.

La situation est particulière dans le domaine des EIAH, qui a comme caractéristique d’être situé à l’interface de plusieurs disciplines, de donner lieux à des types d’approche très différents et d’avoir partie liée avec l’innovation. Un des enjeux, ici comme ailleurs, est sans doute moins la mise en cohérence des différents types d’approches que la nécessité de la poursuite de coopérations entre chercheurs et praticiens de différents horizons.

Bibliographie

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8. Bibliographie supplémentaire

De nombreuses références bilbliographiques et sitographiques ont été utilisées pour le projet. Celles qui suivent ont été sélectionnées  en raison de leur importance pour notre raisonnement

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Annexe : organisation et fonctionnement de l’ARP Prea2K30

Partenaires

Pour atteindre ses objectifs, PREA 2K30 s’est appuyé sur un consortium large regroupant :

Des laboratoires de recherche reconnus œuvrant dans les multiples disciplines s’intéressant à l’apprentissage, aux technologies ou aux usages ;

Des entreprises, des associations, des acteurs et du monde social, de l’éducation et de la formation. PREA2K30 regroupe une quarantaine de partenaires, provenant de la recherche, de l’entreprise et du milieu associatif.

Parmi eux, voici ceux qui ont eu une responsabilité de coordination du projet :

- Université Paris Descartes, EDA, LATI et Axe thématique prioritaire « Transmettre, apprendre, savoir »

- Association française de réalité virtuelle, AFRV

- Association des technologies de l’information pour l’éducation et la formation, ATIEF

- Centre de recherche et d’études sur l’âge et les populations au travail, centre d’études sur l’emploi, CREAPT – CÉE

- École normale supérieure de Cachan, UMR STEF

- Institut de l’École normale supérieure, groupe COMPAS

- Université Paris 8

- Université Toulouse 2

Personnes ayant significativement contribué au projet

Comité de pilotage du projet

G-L Baron et J-M Burkhardt (Université Paris Descartes) : responsables du projet assistés de Ayuko Sedooka. François-Xavier Bernard (Université Paris Descartes — EDA), Éric Bruillard (ENS Cachan- STEF), Pierre Chevaillier (ENIB-LISyC, AFRV), Catherine Delgoulet (Université Paris Descartes- LATI), Pascal Leroux (Université du Maine- LIUM, ENSIM, ATIEF), Elena Pasquinelli (ENS Groupe COMPAS), A André Tricot (Université de Toulouse-le-Mirail, CLLE), Christine Vidal-Gomel (Université de Nantes – CREN).

Responsables des groupes thématiques

- Cognition, processus d’apprentissage, évaluation des apprentissages (coordinateurs : E. Pasquinelli & A. Tricot).

- Curricula, contextes formels et informels d’apprentissage, modalités d’enseignement (coordinateurs : F.-X. Bernard & E. Bruillard).

- Nouvelles ressources, nouveaux instruments (coordinateurs : P. Chevaillier & P. Leroux).

- Évolutions des contraintes de travail ou d’apprentissage et modalités de prise en compte de la diversité (coordinateurs : C. Delgoulet & C. Vidal-Gomel).

Autres personnes nous ayant particulièrement fait bénéficier de leurs avis et critiques

Monique Baron (Université Paris 6), Jacques Wallet (Université de Rouen).

Ressources en ligne

- Premier symposium : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/colloque/premier-symposium

- Second symposium : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/colloque

- Fiches variables : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/contribs/afficher/77

- Scénarios : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/contribs/afficher/75

- Analyse de points de vue étrangers : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/contribs/afficher/78

- Références bibliographiques : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/biblio


1Cf. par exemple : http://prea2k30.risc.cnrs.fr/contribs/afficher/78

2http://prea2k30.risc.cnrs.fr/colloque/premier-symposium

3http://prea2k30.risc.cnrs.fr/colloque

4http://prea2k30.risc.cnrs.fr/contribs/afficher/77

5À comparer par exemple avec les 12 % du PIB attendus en dépenses de santé en France pour 2011.

6Dépense intérieure de recherche et développement

7Les taux les plus forts ont de l'ordre de 9 à 10 enseignants pour 100 élèves/étudiants.

8Ces données et les suivantes sont issues du rapport de 2008 du conseil d'orientation pour l'emploi (COE, 2008)

9http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-vote/loi-du-4-mai-2004-relative-formation-professionnelle-tout-au-long-vie-au-dialogue-social.html

10Cf. la constitution des laboratoires de fabrication -fab labs : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fab_lab et, en France, par exemple http://www.artilect.fr/.

 

 
Référence de l'article :
Georges-Louis BARON, Jean-Marie BURKHARDT, Éducation, formation et apprentissages à l’horizon 2030 : éléments issus d’un atelier de prospective pour la recherche, Rubrique de la Revue STICEF, Volume 18, 2011, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 13/03/2012, http://sticef.org
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Mise à jour du 13/03/12