Utilisation des Tests de Concordance de Scripts pour
l’évaluation en informatique
Morgan MAGNIN (Ecole Centrale de Nantes – IRCCyN, Nantes), Guillaume MOREAU
(Ecole Centrale de Nantes – CERMA, Nantes)
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RÉSUMÉ : L'évaluation
des étudiants doit porter non seulement sur les connaissances qu'ils ont
acquises, mais également sur les compétences qu'ils ont
développées. C'est pour améliorer l'évaluation du
savoir-faire de nos élèves en informatique que nous avons choisi
d'adapter le principe des tests de concordance de scripts (TCS) à ce
domaine. Les TCS ont pour objectif d’évaluer le raisonnement
d’étudiants placés dans une situation professionnelle. Nous
avons défini un nouveau champ d'application pour les TCS, nous avons
conçu des TCS et nous les avons expérimentés. Cette
expérience nous a permis d'établir les forces et les limites des
TCS en informatique, une analyse qui ouvre la porte à un usage plus large
de ce dispositif dans d'autres disciplines.
MOTS CLÉS : évaluation
de compétences, auto-évaluation, savoir-faire, pédagogie
par problème. |
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ABSTRACT : Student
assessment must not only take into account their acquired knowledge but also
their skills. To improve the assessment of their professional skills in computer
science, we have chosen to adapt the concepts of Script Concordance Tests (SCT)
to the scientific domain. In this paper, we describe how we adapted SCT to
computer science. We propose some SCT and an experiment. The experiment has
shown advantages and drawbacks of SCTs, that allows to think of a wider use of
SCT in other disciplines.
KEYWORDS : skill
assessment, self-assessment, know-how, problem-based learning |
1. Contexte
L'apprentissage par projet
suscite un intérêt tout particulier dans le domaine des formations
professionnalisantes telles qu’elles sont dispensées dans les
écoles d’ingénieur comme Centrale Nantes. L'acquisition de
compétences et d'aptitudes telle la capacité à chercher et
utiliser des informations y est fondamentale. Comme l'expliquent (Ciocoiu et al., 2001) il s'agit plus d'apprendre à apprendre que d'apprendre. Face à
l'essor des pédagogies constructivistes et à l'importance de
certifier les compétences des apprenants, il importe de se doter d'outils
pour l'évaluation (et l'auto-évaluation) du savoir-faire. Les
stages ou projets en partenariat avec des industriels permettent de jauger un
savoir-être et un savoir-faire global en entreprise. Mais il est difficile
de vérifier l'acquisition, par l'étudiant, d'une compétence
précise.
La littérature dans le domaine se focalise plutôt sur
l'environnement technique permettant de superviser le travail des
étudiants (Michel, 2009).
Certains dispositifs formatifs (telle la revue de pairs mise en œuvre dans
le cadre du Master de l'Université de Bretagne Occidentale (Saliou et Ribaud, 2005))
intègrent nativement des mécanismes d'auto-évaluation. Mais
rares sont, à notre connaissance, les moyens de vérifier
rapidement la bonne acquisition d'une compétence par un apprenant.
Or, dans (Perrenoud, 2004),
l'auteur évoque la nécessité d'inventer de "vraies
situations de raisonnement et d'action". Les spécificités de
l’enseignement médical (contexte ouvert, importance des
capacités de raisonnement permettant l’élaboration
d’un diagnostic, etc.) ont concouru à l’émergence de
différents outils utiles à l’évaluation du
raisonnement. Dans (Charlin et al., 2003),
les auteurs présentent un certain nombre de ces dispositifs – les
examens oraux, les dissertations, les questions à appariement
étendu, l’examen par éléments clefs, etc. – et
leurs limites respectives (difficultés de mise en œuvre d’une
grille d’évaluation, exigences en termes de temps de correction,
travail de préparation préalable, etc.). Les tests de concordance
de scripts (TCS), une forme de généralisation des questionnaires
à choix multiples (QCM), y apparaissent comme une méthode à
la fois novatrice, efficace, et médiane entre ces différents
critères. Les TCS s’appliquent à des situations incertaines
du milieu médical dont la nature nous est apparue très similaire
à des cas pratiques de diagnostic en ingénierie.
C’est pourquoi, l’Ecole Centrale de Nantes a participé
à un projet UNIT sur l’extension des tests de concordance de
scripts (jusque là réservés à
l’évaluation des compétences des étudiants en
médecine) à l’évaluation en informatique. Comme leur
nom le laisse penser, les TCS sont basés sur la théorie cognitive
dite "des scripts", qui se focalise sur les réseaux de connaissances
qu'utilisent les individus en situation de résolution de problème.
Elle considère les réseaux de connaissances préalables (les
scripts) que possède tout individu pour traiter les différentes
données d'une situation problématique (Charlin et al., 2006).
L’objectif de cette rubrique est de rendre compte des
expérimentations menées à l’Ecole Centrale de Nantes
autour d’une nouvelle déclinaison des TCS pour l’informatique
au niveau L comme M.
La suite de cet article est organisée de la façon suivante :
dans un premier temps, nous présentons la notion de TCS. Nous
présentons ensuite notre analyse des TCS dans le contexte de
l’évaluation des étudiants en informatique et les
adaptations effectuées. Des exemples de TCS dans divers enseignements
d’informatique sont ensuite décrits. Les retours
d’expérience menés dans le cadre d’un examen
donné à une centaine d’étudiants sur deux
années sont ensuite présentés.
2. Les TCS
L'objectif des TCS est d'évaluer le
raisonnement des étudiants placés dans une situation
professionnelle, et non pas leurs connaissances (ce qui peut déjà
être fait par des méthodes "classiques", allant du QCM au devoir
sur table). Les TCS constituent donc un outil d'évaluation
complémentaire des procédures déjà existantes. Des
études (Charlin et al., 2006) ont montré la fidélité et la validité des TCS pour
différencier les étudiants en fonction de leur niveau
d’expertise. Ils permettent de tester un grand nombre
d’étudiants de façon standardisée, discriminante et
objective.
Ils sont déjà largement utilisés dans de nombreuses
formations médicales. Ils permettent d'évaluer le raisonnement en
situation incertaine correspondant à la vie professionnelle. Ils mettent
en jeu des problèmes mal définis, avec des données
incertaines et pour lesquels plusieurs solutions sont possibles. Les
raisonnements des étudiants sont alors confrontés à ceux
d'experts.
Figure 1 • TCS type du domaine
médical, tiré de (TCS, 2011)
Le principe d'un TCS est le suivant (voir la figure 1) :
- On présente un
scénario réel - une situation de la vie professionnelle
problématique, même pour un expert du domaine. Il n’y a pas
de bonne réponse unique : en présence de plusieurs experts, il y
aura très probablement discussion.
- On propose une option,
c’est-à-dire une hypothèse pertinente et une nouvelle
donnée.
- On demande à
l’étudiant de qualifier l’effet de cette nouvelle
donnée sur l’hypothèse (-2, -1, 0, +1, +2)
- Le score attribué
à l’étudiant dépend des réponses d’un
groupe d’experts qui a répondu préalablement au TCS.
L’étudiant gagne des points proportionnellement au nombre
d’experts qui ont choisi la même réponse.
Le TCS permet d’évaluer le raisonnement en situation incertaine
de manière isolée. Le secteur de la santé constitue, depuis
le début des années 2000, un terrain d'exploitation
privilégié pour les TCS. C'est ainsi que leur pertinence et leur
efficacité a d'ores et déjà été
prouvée en chirurgie, urologie, chirurgie, radiologie et, plus
récemment, en neurologie (Lubarsky et al., 2009) et pédiatrie (Lemay et al., 2010).
Dans (Charlin et al., 2006),
les auteurs reviennent sur l'origine des TCS pour jauger d'une capacité
à raisonner en contexte d'incertitude. Partant des expériences
menées dans le secteur de la santé, ils recommandent plus
largement l'utilisation des TCS dans tout domaine qui implique de raisonner en
contexte d'incertitude. Notre démarche - étendre les TCS à
la discipline informatique - se place ainsi dans la droite lignée de ce
conseil.
3. Objectifs et compétences ciblées
3.1. Enjeux
La principale motivation du projet est
d’identifier un moyen efficace et pertinent d’évaluer les
compétences des élèves en informatique, tout en promouvant
un dispositif utilisable dans une démarche d’auto-évaluation
comme la préparation au C2i (C2i, 2011)). Les
objectifs sont ainsi de :
- mesurer le raisonnement des
étudiants en informatique pour mieux évaluer leurs
compétences ;
- fournir aux étudiants
un outil d’auto-évaluation sur leurs capacités afin de les
aider à se situer et progresser ;
- à terme, mieux
comprendre pourquoi un étudiant atteint les compétences
demandées alors qu’un autre n’y arrive pas.
L’équipe pédagogique en informatique de
l’École Centrale de Nantes avait déjà une
expérience des QCM pour l’évaluation des connaissances. Les
TCS présentent de nombreuses différences par rapport au QCM : le
scénario correspond à une situation problématique (la
situation décrite dans le QCM est en général simple), il
n’est pas complètement décrit (dans le QCM
l’énoncé contient tous les éléments
nécessaires à la réponse). Il n’y a pas en soi de
bonne réponse, puisque les experts ne donnent pas tous les mêmes
réponses (dans le QCM, on force les experts à adopter un consensus
sur la bonne réponse). Toute réponse donnée par un expert a
une valeur même si les experts ne s’entendent pas.
Les TCS sont donc apparus comme prometteurs pour évaluer le
savoir-faire des élèves. C’est dans ce contexte qu’un
projet UNIT a été mené, rassemblant l'École des
Mines de Nantes, l'École des Mines de Douai, l'École des Mines
d’Alès, l'INSA de Rouen, l'Université de Bordeaux 2 et
l'École Centrale de Nantes.
L’équipe pédagogique du département Informatique
et Mathématiques de l’École Centrale de Nantes a
rédigé plus de 60 TCS, qui se répartissent comme suit :
- Cours de Systèmes
d'Information et Bases de Données -
Élèves-Ingénieurs (E.I.) de 1ère année (i.e.
Bac+3) : 29 TCS
- Cours d'algorithmique et
programmation - E.I. de 1ère année : 25 TCS
- Cours de méthodes
logicielles – E.I. de 2e année (i.e. Bac+4) : 10 TCS
3.2. Construction du référentiel de compétences
Chaque TCS vise à vérifier la bonne acquisition d’une
compétence par l’apprenant. Si le référentiel de
compétences n’existe pas, il convient donc de commencer par le
construire avant d’écrire, dans un second temps, les TCS
associés à chaque compétence. Nous disposions
déjà d’un référentiel détaillé,
via le programme des enseignements de notre établissement, établi
conjointement par la Direction des Études, l’équipe
pédagogique en informatique et des professionnels du secteur. Afin de ne
pas balayer un spectre de compétences trop large au cours de cette
première expérimentation des TCS, nous avons restreint le
référentiel à certaines compétences
identifiées comme "majeures" dans chaque domaine ciblé.
La figure 2 en donne un aperçu. Jusque là, certaines
compétences n’étaient validées qu’à
travers des travaux pratiques (TP). Malheureusement, ces TP sont
réalisés en binôme ou en trinôme, rendant impossible
le suivi individualisé de l’acquisition de ces compétences.
Grâce aux TCS, nous souhaitons pouvoir dresser une cartographie beaucoup
plus précise des compétences développée par chacun
des étudiants.
Figure 2 • Extrait du
référentiel de compétences (et du nombre de TCS finalement
élaborés pour chacune) dans le cadre de l’enseignement de
méthode logicielles
3.3. Déroulé du projet
Partant du référentiel de compétences et de la
connaissance préalable du principe des tests de concordance de scripts,
le travail s’est ensuite porté sur l’élaboration de
TCS. Le projet s’est donc décomposé suivant les
différentes étapes ci-dessous :
- Acquisition du savoir-faire
en TCS : il s'agissait là d'apprendre ce qu'est un TCS et d'identifier
les enjeux associés (fin 2008) ;
- Établissement du
référentiel de compétences : définition de la liste
de compétences prioritaires à évaluer dans le cadre de
cette première expérience autour des TCS (début 2009).
- Conception de questions :
création d’une série de questions correspondant aux
compétences visées (depuis le printemps 2009).
- Recueil de
l’expertise : exécution des TCS par les experts et ajustement
de certaines questions en fonction du retour des experts (depuis le printemps
2009).
- Première
expérimentation : déploiement d’un petit lot de TCS
pour l’évaluation de quelques compétences en
"Systèmes d’Information et Bases de Données" (juin 2009)
- Seconde
expérimentation : extension de l’expérimentation
après consolidation des énoncés de chaque TCS et
élargissement du panel d’experts (depuis juin 2010)
Dans la prochaine partie, nous allons décrire la démarche
suivie pour construire les TCS associés aux différents secteurs
que nous souhaitions balayer.
4. Processus de construction et d’adaptation des TCS à
l’informatique
Les discussions préliminaires sur le projet
ont mis à jour la nécessité de bien situer une approche TCS
par rapport à une approche QCM classique. L’un des enjeux
principaux est de proposer des situations suffisamment ouvertes pour qu’un
panel d’experts ne réponde pas de manière uniforme à
un même test. Il s’agit d’éviter un TCS très
ciblé et à réponse unique comme un QCM !
Un autre enjeu du projet était de déterminer
l’échelle la plus adaptée pour l’usage de TCS en
informatique. Pour ce faire, nous avons du discuter les avantages et
inconvénients des deux principales échelles suivantes :
- confirme
l’hypothèse (+2) / rend l’hypothèse plus probable (+1)
/ n’a aucun effet sur l’hypothèse (0) / rend
l’hypothèse moins probable (-1) / exclut l’hypothèse
(-2) ;
- rend
l’hypothèse beaucoup plus probable (+2) / rend
l’hypothèse plus probable (+1) / n’a aucun effet sur
l’hypothèse (0) / rend l’hypothèse moins probable (-1)
/ rend l’hypothèse beaucoup moins probable (-2).
Au final, la seconde échelle nous est apparue la plus pertinente.
C'est d'ailleurs celle qui est privilégiée à
l'Université de Montréal (TCS, 2011). Il est
vrai que l'appréciation entre "beaucoup plus probable" et "plus probable"
peut varier selon les personnes, comme nous le verrons d'ailleurs dans la
section 5.2.
Toutefois, la première échelle (avec exclusion et confirmation)
est plus "directive". Cela a des avantages sur certains TCS, mais cela a
été perçu par certains enseignants - dans le cas de
problèmes véritablement ouverts - comme trop discriminant (car
cela ne reflète pas suffisamment la réponse). Et donc comme une
échelle pouvant mener trop souvent à une répartition des
réponses des experts allant à 100% sur une modalité et
à 0% sur toutes les autres.
Or, nous l'avons vu, il est important d'éviter, dans le cas des TCS,
des répartitions du type 0% / 100% / 0% / 0% / 0%. De plus, la
formulation "confirme/exclut l'hypothèse" peut donner l'impression que
nous avons affaire à une configuration où tout est, au final,
pleinement formulé : le genre de cas qui pourrait être, de fait,
décrit à l'aide de QCM plutôt que de TCS.
Nous illustrerons cette discussion sur un TCS écrit pour
évaluer une compétence en droit informatique dans la section 4.2.
A ce jour, 64 TCS ont été rédigés dans le domaine
de l’informatique. Après avoir exposé nos motivations, nous
présentons dans les paragraphes qui suivent des exemples qui nous
paraissent représentatifs des matières choisies.
4.1. Choix du cours : motivations
Nos premières expérimentations à base de TCS se sont
déroulés dans le cadre d’un cours de "Système
d’information et base de données" choisi en particulier pour sa
mixité entre composantes techniques et non techniques. En effet, les
problématiques des systèmes d’information (SI) sont au moins
autant organisationnelles que techniques. Elles nous ont semblé de prime
abord un terrain d’expérimentation privilégié parce
que :
- les connaissances
théoriques à elles seules ne peuvent en aucun cas suffire à
résoudre un problème pratique comme ceux posés dans le
cycle de vie d’un SI ; en effet, le SI est un modèle du
système organisationnel pour lequel il est conçu, mais il est
surtout un artefact de ce système avec une existence propre,
parallèle à celle du système. Il est tout à fait
concevable que les informations détenues par le système
organisationnel et par le SI soient différentes, voire divergent. Il est
important de faire comprendre ceci aux étudiants, dans le cours comme
dans l’évaluation.
- le cours de Système
d’information et base de données est conçu pour sensibiliser
les étudiants, futurs ingénieurs, au paradigme DIKW (Data,
Information, Knowledge, Wisdow) tel que défini par Ackoff dans (Ackoff, 1989) :
si les données sont faciles à évaluer par des tests
binaires comme les QCM, les niveaux supérieurs sont plus complexes
à évaluer.
- enfin, peu de
problèmes de la vie courante d’un système
d’information peuvent se résoudre dans un cadre disciplinaire
unique.
À ce jour, seul le cours de "Systèmes d’information et
base de données" a fait l’objet d’expérimentations
grandeur nature. Néanmoins, d’autres TCS ont été
rédigés pour les cours "d’Algorithmique et programmation" et
"Méthodes logicielles".
4.2. Exemples de TCS "SI"
Dans ces exemples, nous introduirons successivement le scénario,
l’hypothèse de départ, l’information
complémentaire puis une explication des différentes
réponses possibles.
Scénario |
Pour payer les enseignants non-permanents de l’Ecole, le
secrétariat Général édite la liste à partir
du système d’information. Lors de cette édition, Luc Baudoin
apparaît deux fois. |
Option |
Si vous pensez à :
un doublon dans la base de données |
Nouvelle donnée |
La date de naissance est différente |
Tableau 1 • Exemple 1 – SI –
Compétence ciblée : Analyser un problème
d’incohérence de données dans un système
d’information
A priori, ce premier test peut laisser penser à un doublon dans la
base de données. Une date de naissance différente conduit
naturellement à deux hypothèses (non exclusives) : une simple
homonymie ou une erreur sur une ou plusieurs dates de naissance. Ce dernier cas
n’exclut pas le doublon, mais ne le valide pas totalement non plus :
il n’est pas impossible, même si c’est très peu
probable, d’avoir affaire à deux personnes de même nom et de
dates de naissance identiques. Enfin, on peut aussi penser à une erreur
de saisie des noms !
Il est assez facile de tirer des cas dérivés de ce premier
test. Ils correspondent là encore à des cas vécus.
Scénario |
Pour payer les enseignants non-permanents de l’Ecole, le
secrétariat Général édite la liste à partir
du système d’information. Lors de cette édition, il
apparaît un L. Baudoin et un Luc Baudoin. |
Option |
Si vous pensez à :
Un champ prénom mal renseigné dans la base de
données. |
Nouvelle donnée |
Ils ont tous les deux enseigné dans le département
Info-Maths. |
Tableau 2 • Exemple 2 – SI
(dérivé du cas précédent) – Compétence
ciblée : Analyser un problème d’incohérence de
données dans un système d’information
Cette fois, il est difficile de conclure : il existe évidemment
un risque que le vacataire ait été entré deux fois (avec un
prénom la première fois, avec une simple initiale la seconde),
mais il est aussi possible d’avoir deux vacataires avec le même nom
et la même initiale de prénom. Néanmoins, ce type de test
est par trop contextualisé, nous en reparlerons par la suite.
Pour sortir un peu des limites du contexte, nous proposons maintenant des
exemples qui ne relèvent pas d’une problématique SI de
l’enseignement supérieur.
Scénario |
Une requête sur la population d’une région ne renvoie pas
le même résultat qu’une requête faisant la somme des
populations des départements qui la composent. |
Option |
Si vous pensez à :
Les données sont fausses quelque part. |
Nouvelle donnée |
Les gestionnaires concernés dans les départements et les
régions vous assurent des données entrées. |
Tableau 3 • Exemple 3 – SI –
Compétence ciblée : Analyser un problème
d’incohérence de données dans un système
d’information
Ce cas est encore un cas classique des systèmes d’information,
facile à reproduire. Bien entendu, aucun département ne diffuse de
données fausses aux populations concernées : les
données démographiques sont prises à des instants
différents et ne représentent donc pas la même information.
Pour autant difficile de conclure sur un TCS, sans cette information, qui
n’est d’ailleurs peut-être pas la seule explication.
Scénario |
Vous avez mis en place un logiciel de gestion des frais de
déplacements il y a un an pour accélérer les remboursement
de frais de votre personnel et pour contrôler l’opportunité
de certaines dépenses. Lors des contrôles, vous détectez une
différence entre les montants définis dans l’application et
les remboursements dans le logiciel de compatibilité. |
Option |
Si vous pensez que :
Une fraude a eu lieu |
Nouvelle donnée |
Les logiciels de
gestion des frais de déplacement comporte 165 déplacements,
la comptabilité fait état de 2315 remboursements. |
Tableau 4 • Exemple 4 – SI –
Compétence ciblée : Distinguer les problèmes
logistiques des erreurs informatiques dans un système
d’information
L’objectif ici était de montrer que les problématiques SI
peuvent dépasser le cadre informatique : en effet, rien ne prouve
qu’un logiciel, quelle que soit son utilité, soit réellement
utilisé. Une des questions à se poser ici, compte tenu de la
différence entre le nombre de déplacements et le nombre de
remboursements est de savoir si tous les déplacements ont
été effectivement saisis dans le logiciel, avant de penser
à la moindre fraude. Si le logiciel a posé un problème
d’appropriation (manque de formation, complexité, problème
de conduite du changement), ceci est une hypothèse réaliste.
Nous avons ensuite abordé les problèmes d’accès
concurrents au SI.
Scénario |
M et R réservent tous les deux une place dans le train Nantes-Paris
de 7h00 le 26 juin 2009. Lors de leur arrivée à la gare, ils se
retrouvent avec la même place dans le même wagon. |
Option |
Si vous pensez à :
Le logiciel de réservation comporte un bug au niveau de la
vérification d’attribution des places. |
Nouvelle donnée |
Le problème ne se produit qu’une fois par an. |
Tableau 5 • Exemple 5 – SI –
Compétence ciblée : Identifier les situations
d’accès concurrents à une même ressource
On recherche les problèmes plutôt du côté du module
d’attribution des places. Typiquement, ce TCS est très (trop)
contextualisé par le cours où la question de l’accès
en exclusion mutuelle et des sémaphores a été
abordée à travers un exemple similaire. La réponse
n’a finalement rien d’évident : s’agit-il
s’un bug dans l’attribution ou justement ce fameux problème
d’exclusion mutuelle typique des systèmes web mal
conçus ? Aucun élément ne permet de
répondre.
4.3. Exemples de TCS "Droit de l’informatique»
Rappelons que le référentiel CTI (Commission des Titres
d’Ingénieur) qui définit les compétences de
l’ingénieur inclut l’insertion des activités de
celui-ci dans le cadre légal qui les régit. À
l’instar des systèmes d’information, le droit informatique
constitue un domaine pertinent d’exploitation des TCS. En effet, en
situation professionnelle, il arrive souvent que nous ne possédions pas
l’intégralité des informations nécessaires à
la prise d’une décision parfaitement déterministe dans le
domaine juridique. Il importe donc de raisonner sur les éléments
à notre disposition, en étant le plus proche possible de
l’esprit du législateur. Les TCS sont donc adaptés en ce
qu’ils permettent d’évaluer des compétences dans des
situations ouvertes.
Scénario |
Vous venez d'être nommé Correspondant Informatique et
Liberté dans votre entreprise. Parmi les adresses e-mail figurant dans
les fichiers de prospection publicitaire de l'entreprise, vous soupçonnez
que certaines ont été collectées sans l'accord
préalable des personnes à recevoir des messages commerciaux. Mais
les fichiers ne contiennent aucune information sur le fait que les personnes ont
- ou non - donné leur consentement. |
Option |
Si vous pensez que :
Il est nécessaire de supprimer l'intégralité des
fichiers d'adresses e-mail. |
Nouvelle donnée |
Vous apprenez que ces adresses e-mail appartiennent majoritairement à
des personnes morales. Le reste des adresses e-mail appartiennent à
d'anciens clients de l'entreprise. |
Tableau 6 • Exemple 1 – Droit
– Compétence ciblée : Reprendre un système
d’information et le mettre en conformité avec la loi
Profitons de cet exemple pour illustrer la discussion que nous avons tenue en
section 3.4, sur le choix d’une échelle adaptée entre les
différentes modalités.
Dans le TCS présenté ici, nous devrions aboutir à 100%
des experts sur la formulation "Elle rend l'hypothèse moins probable" si
c'est la première échelle qui est utilisée
("exclut/confirme l'hypothèse"). En effet la nouvelle donnée a un
effet sur l'hypothèse : on y apprend que, potentiellement, 100% du
fichier de prospection publicitaire est légal (le droit français
accorde l’autorisation de prospecter par courriel - sans accord
préalable - des personnes morales et d'anciens clients n'ayant pas
manifesté leur refus par une demande de désinscription). Les cas
+2, +1 et 0 sont donc exclus. Reste le débat entre -1 et -2.
Dans le cas où le -2 est exprimé sous la forme "exclut
l'hypothèse" : un expert devrait normalement la réfuter car il
manque des informations pour décider définitivement (certains
clients peuvent avoir manifesté leur souhait de ne plus recevoir de
courriels publicitaires). Ce qui doit conduire un expert à choisir
automatiquement -1.
Dans le cas où le -2 est exprimé sous la forme "beaucoup plus
probable" : on devrait obtenir une répartition plus uniforme sur les -1
et -2 car le -2 n'est, ici, pas totalement exclu. Cela dépend de la
sensibilité de l'expert. Autrement dit : la répartition des
réponses sera un peu meilleure qu'avec l'autre échelle.
La seconde échelle laisse plus de possibilité d'expression aux
experts, ce qui est a priori plus semblable à ce qui peut se passer dans
le "monde réel".
Envisageons maintenant un second TCS, présenté dans le tableau
7, autour de la législation sur les données à
caractère personnel. Les transferts de flux de données vers un
pays n'appartenant pas à l'Union Européenne exigent des
dispositions particulières. De plus, même si la Suisse est connue
pour son secret bancaire, la législation suisse est différente de
la législation française. Un expert verra ainsi
immédiatement qu’un tel scénario nécessite de la
prudence, et qu’il vaut mieux être mesuré quant au choix
d’un prestataire helvète. Toutefois, comme nous le verrons dans la
partie 5, un certain nombre d’étudiants oublient de traiter ce
scénario sous l’angle légal, et se laissent emporter par
leurs préjugés.
Scénario |
Vous avez été mandaté pour choisir un prestataire
externe pour la gestion des paies de votre entreprise (située en France).
L'offre la plus intéressante vous a été adressée par
l'entreprise La Bonne Paie, acteur reconnu dans le domaine, qui est notamment
réputé pour la fiabilité et la sécurité des
procédures qu'elle met en place. |
Option |
Si vous pensez que vous allez choisir ce prestataire. |
Nouvelle donnée |
Les serveurs de stockage de données utilisées par La Bonne
Paie sont localisés en Suisse. |
Tableau 7 • Exemple 2 – Droit –
Compétence ciblée : Déterminer la conformité
d’un transfert de données au regard de la loi
4.4. Exemples de TCS "programmation"
Si les systèmes d’information constituent de prime abord un
exemple très approprié d’utilisation des TCS
puisqu’ils incorporent une notion de "diagnostic" en cas d’incident,
il existe des cas où les TCS sont également utiles dans des
démarches a priori plus exactes comme la programmation.
Scénario |
A et B ont écrit chacun la moitié du programme dans deux
fichiers x.c et y.c. Une fois compilé correctement et les liens
édités sans problème, le programme plante. |
Option |
Si vous pensez que :
A a tort car il est habituellement moins fort en programmation. |
Nouvelle donnée |
B a vérifié le fonctionnement de toutes ses fonctions. |
Tableau 8 • Exemple 1 –
Programmation – Compétence ciblée : Distinguer les
tests unitaires des tests d’intégration
L’exemple propose également une démarche de type
diagnostic : il s’agit de comprendre les causes du non-fonctionnement
d’un programme. Il y a deux grandes hypothèses restantes ici :
soit c’est A qui n’a pas réalisé de tests unitaires
suffisants sur les fonctions qu’il a écrites, soit c’est
l’intégration qui a posé problème.
Si les exemples autour du diagnostic sont assez faciles à trouver, on
peut trouver également des cas d’application en conception des
structures de données.
Scénario |
Vous cherchez une structure de données appropriée pour stocker
des éléments munis d'une relation d'ordre. Ces
éléments correspondent à des objets que vous avez
définis vous-mêmes. |
Option |
Si vous pensez que :
Vous pensez choisir la structure "arbre binaire de recherche". |
Nouvelle donnée |
Le coût de comparaison entre deux éléments est
important. |
Tableau 9 • Exemple 2 –
Programmation – Compétence ciblée : Choisir une
structure de donnée appropriée
L’exemple précédent porte sur le choix d’une
structure de données. La structure arbre binaire de recherche (ABR) est
appropriée pour stocker les objets munis d’une relation
d’ordre, mais elle est coûteuse en insertion/équilibrage,
phénomène aggravé par le coût de la comparaison entre
les objets. Sans hypothèses supplémentaires sur
l’utilisation de la structure de données, il est difficile de
conclure.
5. Retour d’expérience
Comme nous l’avons évoqué dans
l’introduction de cet article, le recours aux TCS en informatique vise
à rendre possible l’évaluation du savoir-faire des
étudiants à travers un outil complémentaire des approches
traditionnelles (travaux pratiques, évaluation en stage, etc.). Nous
avons donc souhaité, enfin, les mettre en œuvre dans le cadre de
procédures d’évaluation des compétences en
informatique. Dans cette partie, nous présenterons les expériences
que nous avons menées, puis les leçons que nous en avons
retirées.
5.1. Description des expérimentations
Nos deux premières expérimentations ont porté sur
l’enseignement de "Systèmes d’Informations et Bases de
Données", un cours de première année (équivalent Bac
+ 3) à Centrale Nantes. Le choix de cette matière tient à
deux raisons principales :
- Contrairement à
certains domaines plus théoriques (algorithmique notamment), le cours
vise des compétences pratiques qu’il est facile
d’éprouver par des études de cas. La conception de TCS en a
été facilitée.
- Les responsables de cet
enseignement étaient par ailleurs porteurs du projet "TCS" au sein de
l’établissement, rendant plus aisée
l’expérimentation des TCS en évaluation.
Nous avons mené une première expérimentation en juin
2009, sur une promotion de 110 étudiants, dans un examen qui comprenait,
entre autres, 4 TCS. Nous avons reconduit cette expérience en juin 2010
sur la même matière, mais en augmentant le nombre (7) de TCS
posés à une promotion de 108 élèves. Cette
augmentation progressive du nombre de TCS dans un même devoir est issue
d’une volonté d’éprouver le dispositif. La proportion
du nombre de TCS dans nos sujets d’examens est désormais constante,
et correspond à environ un quart du devoir surveillé (tout aussi
bien en termes de points distribués que de temps pendant lequel les
étudiants sont sensés plancher sur ces questions).
Le recours aux TCS pour l'évaluation du raisonnement en contexte
d'incertitude soulève généralement deux limites : d'une
part l'expertise présumée des experts, d'autre part le peu
d'informations retirées sur le processus de raisonnement de
l'étudiant.
La première limite peut être surmontée en composant avec
soin le panel d'experts. Pour ce faire, nous avons sollicité des
personnes avec un diplôme de niveau Master et au moins trois ans
d'expérience pratique dans le domaine. Dans le secteur médical, (Charlin et al., 2007) ont constaté une légère différence dans les
résultats des expertises des enseignants et celles des professionnels
n’appartenant pas au secteur académique. Forts de leurs
recommandations, nous avons constitué un panel mixte, composé de
80% d’enseignants(-chercheurs) et de 20% d’ingénieurs –
ou de docteurs – appartenant au tissu industriel. De plus, nous avons
constaté que les réponses des experts se concentraient
généralement sur deux ou trois éventualités,
corroborant l'idée de processus de réflexion communs aux personnes
constituant notre panel de référence.
La seconde limite est plus délicate à prendre en compte. Dans
le secteur médical, il a été démontré (Grant et Marsden, 1988) que des médecins, confrontés à une même situation,
pourront avoir des processus de raisonnement (i.e. des scripts)
différents, mais aboutir à des conclusions similaires. Cela a
été corroboré par les résultats obtenus sur des TCS,
par exemple en neurologie (Lubarsky et al., 2009).
Nous prévoyons maintenant de creuser cette validation dans le domaine
de l'ingénierie, en faisant passer nos TCS à des groupes d'experts
avec des profils variés (ingénieurs et enseignants dans
différentes formations d'ingénieur dans le monde francophone) et
en comparant les résultats alors obtenus. Mais, dans une première
approche, nous avons décidé d’enrichir le principe de base
des TCS d’un champ "justification". Notre objectif était de
comprendre ainsi le raisonnement qui avait conduit les étudiants à
opter pour telle ou telle réponse. Ce champ supplémentaire nous a
donné de précieuses informations sur la manière dont les
étudiants comprenaient et analysaient les cas d’étude qui
leur étaient ainsi posés.
La principale limite de l’analyse qui suit réside dans notre
incapacité de comparer les résultats obtenus d’une part par
une population à qui aurait été soumis un sujet sans TCS
et, d’autre part, par une population devant traiter des TCS : pour
des raisons d’équité, nous devons proposer le même
sujet à l’ensemble d’une promotion. Pour contourner cet
obstacle, nous envisageons, dans un avenir proche, d’utiliser les TCS non
seulement dans des procédures d’évaluation, mais
également dans des dispositifs d’auto-évaluation permettant
aux étudiants d’améliorer leurs compétences avant un
examen.
5.2. Réponses des experts
Pour cette première expérimentation, nous avions
préalablement recueilli le retour de 10 à 12 experts par question,
ce qui constitue la borne inférieure du nombre d’experts
souhaitables pour qu’un TCS puisse être valide : dans (Gagnon et al., 2005),
les auteurs ont démontré que, pour obtenir une consolidation
satisfaisante des notes dans le cas d’examens cruciaux (tels que ceux
visant à délivrer une certification aux étudiants), le
groupe d'experts doit être constitué d'au moins 15 membres. Dans
cette première phase d'expérimentation des TCS, nous n'avons pas
pu mener un test d'une telle ampleur, faute d'experts en nombre suffisant. Mais
les auteurs de (Gagnon et al., 2005) précisent également que, pour des enjeux moindres (tels que cette
expérimentation), un panel d'expert de 8 à 10 membres peut
suffire. Depuis, nous sommes parvenus à élargir notre panel
d’experts, ce qui nous permettra des évaluations plus fines
à l’avenir. Notons que la cotation des TCS n’est pas anodine
et qu’elle requiert un investissement en temps de la part des experts.
Ceux-ci ont généralement passé entre 1h35 et 1h50 à
évaluer les 64 vignettes qui leur étaient proposées, soit
généralement plus de 90 secondes par vignette.
Nous présentons dans les graphiques suivants, les réponses
comparées entre experts et étudiants pour quelques-uns des
exemples précédents. Les résultats, donnés en
pourcentage, correspondent aux réponses recueillies auprès des
experts et de plus d’une centaine d’étudiants sur deux
années universitaires. Nous n’avons pas encore pu consolider les
réponses des étudiants sur un jeu de questions qui seraient
posées à l’identique à des promotions
différentes. En effet, les étudiants de l’année (n+1)
ayant accès aux sujets d’examen donnés à
l’année (n), nous ne souhaitions pas introduire de biais
méthodologique dans notre approche.
Figure 3 • Répartition des
réponses exemple 1 – SI (Tableau 1)
Figure 4 • Répartition des
réponses exemple 5 – SI (Tableau 5)
Figure 5 • Répartition des
réponses exemple 2 – Droit (Tableau 7)
Nous avons constaté que, sur certaines questions, les experts
étaient moins catégoriques que les étudiants. Il en va
ainsi de notre question "exemple 1 – SI". Par rapport à
l’effet de la nouvelle donnée sur l’hypothèse
formulée (voir Figure 3), plus de 20% des experts la jugent "beaucoup
plus probable" tandis que 60% des experts préfèrent un avis plus
nuancé en répondant seulement "moins probable". Les
étudiants, eux, choisissent, pour 60% d’entre eux, la formulation
"beaucoup plus probable" et 19% l’hypothèse "moins probable". On
assiste là à une inversion presque parfaite des réponses
entre experts et étudiants. Si les deux réponses vont dans le
même sens (l’hypothèse paraît confirmée par la
nouvelle donnée), leur gradation n’est pas envisagée de la
même manière par les experts d’une part et les
étudiants d’autre part. Cette tendance des étudiants
à choisir des éventualités plus fortes que les experts est
confirmée sur les autres questions. Échaudés par des cas
pratiques souvent difficiles à dénouer, les experts ont
certainement plus tendance à une certaine réserve que des
étudiants habitués, de par leur formation passée (une
très large majorité de nos élèves sont issus de
classes préparatoires scientifiques), à des devoirs "parfaitement
posés" et à répondre à des problèmes. La
question 1 montre un regroupement massif des étudiants sur
l'éventualité "moins probable", là où les experts
sont moins tranchés. Ce phénomène nous conduit à
émettre deux remarques :
- nous pensons qu'il faut un
panel d'experts d'une vingtaine de personnes pour être vraiment
significatif et qu'il faudra respecter quelques règles sur la composition
de l'échantillon. Il semble notamment important d’interroger des
personnes extérieures à l’équipe pédagogique
pour vérifier que les situations décrites dans le scénario
du TCS correspondent bien à des configurations objectivement
compréhensibles ;
- ce
déséquilibre pose question quant à la notation à
pondérer en fonction des avis des experts.
Sur un certain nombre de TCS (voir, par exemple, la figure 4), les experts ne
se rassemblent pas tous sur la même éventualité, mais leur
réponse indique un même spectre de tendances. Ce qui signifie qu'au
moment de sa réponse, l'étudiant aura la possibilité de
nuancer sa réponse sans que cela ne lui porte préjudice au moment
de l’évaluation.
Sur quelques TCS (voir, par exemple, la figure 5), les experts sont quasiment
unanimes. Les situations associées à ces TCS sont bien ouvertes,
mais correspondent à des cas suffisamment explicites pour que les experts
se retrouvent tous avec une analyse similaire. Comme nous l’avons
signalé dans le paragraphe précédent, il est notable de
voir que les experts ne se rassemblent pas forcément sur une des
hypothèses extrêmes : ainsi, c'est parfois une hypothèse
nuancée qui fait l'unanimité.
Lors des cotations, il est apparu que certaines questions pouvaient aboutir
à des résultats différents en fonction du contexte
pédagogique. Ainsi, si un enseignement se restreint à un champ
spécifique de connaissances (plutôt que d’embrasser toute la
généralité du domaine), l’adéquation entre la
bonne acquisition d’une compétence et les réponses des
experts risque d’être remise en cause. Nous avons rencontré
ce cas sur des TCS dédiés à la programmation, et plus
spécifiquement à la manière dont une spécification
algorithmique doit être traduite en C. En première année,
à l'école Centrale, nous n'enseignons que le passage des
paramètres par adresse ou par valeur, et non pas par
référence. Il en résulte de possibles différences
dans les réponses aux TCS afférents, en fonction d’une part
de la familiarité des experts avec le contexte pédagogique dans
notre établissement, d’autre part des expériences
précédentes des étudiants dans le domaine visé.
Certains élèves (issus notamment de cursus suivis à
l’étranger) ont déjà acquis des compétences
dans les matières enseignées en France, et vont, de fait,
connaître ce qu'est le passage par référence. Ils vont
être amenés à des réponses différentes de leur
camarade et, potentiellement, des experts (en fonction du panel d'experts qui
avait préalablement été constitué). Or cette
réponse peut être tout à fait recevable.
Il en résulte la nécessité d'écrire des TCS
suffisamment objectifs, qui s'abstraient de certaines spécificités
de l'enseignement dans nos établissements respectifs. Et pour
vérifier l'objectivité des TCS en question, il est indispensable
de recueillir les réponses d'un large panel d'experts, mêlant des
enseignants internes à l’établissement avec des personnes
externes. Surtout, il apparaît nécessaire de créer des
moments de discussions autour de certains énoncés
équivoques et, de fait, de favoriser les échanges entre les
experts.
5.3. Evaluation des étudiants
Dans le cas de TCS dans des domaines d'application de l'informatique (les
systèmes d'information, le droit dans la société de
l'information, etc.), la réponse peut être influencée par la
connaissance que le candidat peut avoir de certaines informations
complémentaires.
Prenons l'exemple de la question "exemple 3 – SI" et considérons
le cas d’un étudiant qui connaitrait bien les enseignants de
l'école. Si nous parlons de la matière Systèmes
d'Information et Bases de Données (effectivement enseignée dans
l'établissement où le TCS est donné) et si
l’étudiant émet une hypothèse basée sur ce
qu'il a constaté du responsable, la réponse pourrait être
différente de celle d'un étudiant qui n'a aucune connaissance sur
ce responsable. Le même problème se pose dans le secteur
médical, si le scénario proposé aux étudiants fait
état d’un patient qu’ils auraient déjà eu
l’occasion de rencontrer lors de leurs stages cliniques. C’est
pourquoi les pathologies sont généralement décrites de la
manière la plus objective possible. Autrement dit, pour renforcer la
validité des TCS, il apparaît important de les
décontextualiser le plus possible. Pour illustrer cet effort, citons le
TCS du tableau 10 qui généralise l’exemple
présenté sur le tableau 1.
Scénario |
Pour payer ses personnels dans une société de travail par
intérim, le responsable de la paie édite la liste des heures
effectuées par personne à partir des éléments
contenus dans le système d’information. Lors de cette
édition, Luc Baudoin apparaît deux fois. |
Option |
Si vous pensez à :
un doublon dans la base de données |
Nouvelle donnée |
La date de naissance est différente |
Tableau 10 • Reprise de l’exemple
1 - SI
Il est ainsi primordial de présenter les cas d’étude de
la manière la plus universelle possible et de bannir toute connaissance
subjective du cas posé : interroger les étudiants de l'Ecole
Centrale à propos de la gestion même de l'Ecole Centrale comporte
trop de risques en termes d’interprétations "latentes".
La formulation d'une question revêt ainsi une importance capitale dans
la pertinence et l’efficacité d’un TCS pour tester la
compétence visée. Il en va également de la
répétition (ou la non-répétition) d'un même
mot. La question "exemple 5 – SI" est ambiguë car chaque individu
pourra répondre en considérant qu'un déplacement
équivaut à un remboursement, tout comme un autre
considérera qu'un déplacement comprend plusieurs remboursements.
Bref les étudiants pourront répondre correctement mais en ayant
considéré un contexte différent, rendant ainsi leur
réponse fausse (voir répartition des réponses sur la figure
3). Ceci met en avant, à notre sens, la nécessité
d’une justification de la réponse donnée par
l’étudiant.
Utilisés à la fin d’un enseignement, les TCS sont un
outil précieux pour identifier des compétences non acquises et,
ainsi, introduire des actions correctives. Illustrons notre propos sur le TCS du
tableau 7 (droit) : il y a une forte différence entre les réponses
des experts et celles des étudiants (cf. figure 5) Mais en examinant les
justifications des élèves, on constate que cela ne vient pas d'une
inadéquation du TCS avec la compétence ciblée, mais d'une
compétence non-acquise par une majorité des étudiants. Dans
leurs explications, les étudiants passent complètement à
côté du problème et ne se posent pas de question.
Florilège des justifications les plus vues :
"la sécurité des données
bancaires en Suisse ; le réseau électrique est plus fiable en
Suisse ; les Suisses sont des gens compétents ; la Suisse est
en Europe ; il y a des différences de vitesse sur des transferts de
données France-France et France-Suisse ; l'éloignement des
serveurs peut induire des pertes de données". Grâce à
un TCS mettant si bien en évidence une compétence non acquise par
un grand nombre d'élèves, il est possible d’ajuster le tir
et d’aider les étudiants dans leur apprentissage. En
l’occurrence, nous avons fait parvenir aux étudiants un mémo
insistant sur ces problèmes de transferts de données à
l’étranger.
À la fin de chacun des examens dans lequel nous avons
expérimenté les TCS, nous avons interrogé une douzaine
d’étudiants sur leur ressenti face à ce nouvel exercice. Un
questionnaire plus complet pour recueillir l’avis des élèves
est d’ores et déjà prévu pour les prochaines
utilisations de TCS au sein de nos examens.
Certains étudiants ont jugé les TCS "plus difficiles" que des
QCM car cela force à se poser des questions, là où les QCM
fonctionnent sur un mode généralement binaire "je connais la
réponse/je ne la connais pas".
Ce sont les étudiants étrangers (11 sur 110 en 2009, 14 sur 108
en 2010) qui ont été le plus déstabilisés par
l’exercice. En cause, la rédaction de certaines questions ;
chaque mot décrivant les cas d’étude a son importance.
Ainsi, en 2009, un quart des élèves étrangers ont
trébuché sur le sens du mot "doublon" qui apparaissait comme
hypothèse d’un des TCS posés. Il s’agit toutefois
d’un terme technique que les étudiants sont supposés avoir
rencontré au cours de l’enseignement, et donc maîtriser. Cela
ne nécessite donc pas une réécriture du TCS. À
l’inverse, citons le terme "convention collective", qui apparaissait dans
un énoncé et qui a perturbé une même proportion
d’étudiants étrangers. Il s’agit là d’un
élément de vocabulaire sans lien avec le cœur de la
matière, et qu’il peut donc être utile de clarifier dans
l’énoncé. À noter, enfin, que les différences
d’interprétation entre étudiants français et
étrangers ne réside pas seulement dans le vocabulaire
utilisé pour décrire un scénario, mais également
dans l’utilisation de certains éléments "culturels" aussi
basiques qu’un prénom ou un nom de famille. Reprenons le TCS
présenté sur le tableau 1 : la simple modification du nom
utilisé dans le TCS – par exemple "Rémi Rutaberge de
Fontvielle" au lieu de "Luc Baudoin" – peut conduire à une
modification de son interprétation : la fréquence
d’apparition d’un nom tel que "Luc Baudoin" dans la population est
(bien) plus élevée que celle de "Rémi Rutaberge de
Fontvielle", laissant ainsi penser qu’il peut y avoir homonymie entre deux
personnes dans le premier cas, erreur de saisie de la date de naissance dans le
second cas. Nous avons constaté que les étudiants étrangers
(chinois notamment) avaient ainsi du mal à prendre en compte ce
paramètre dans leur raisonnement.
Depuis cette première expérimentation, nous avons
effectué un effort particulier sur la formulation de nos TCS, afin de
limiter les difficultés de compréhension liées à la
langue. La population d'étudiants étrangers étant encore
relativement réduite comparativement au nombre d'élèves
français, il est difficile de tirer des conclusions définitives
sur la pertinence du dispositif. Cela dit, nous avons constaté, dans nos
expérimentations ultérieures, que les réponses des
étudiants étrangers se répartissent, globalement, comme
celles de leurs collègues français.
Lors de l’examen, les étudiants étrangers ont la
possibilité d’interroger les surveillants pour connaître la
signification exacte d’un mot, mais ce droit n’est pas
systématiquement utilisé. Ainsi, pour que les TCS évaluent
bien les compétences des étudiants étrangers en
informatique – et non seulement leur bonne compréhension des termes
de la langue française – le concepteur de TCS doit prendre garde au
jargon et aux références culturelles qu’il utilise. Encore
plus que dans un sujet d’examen classique, il convient de porter attention
à chacun des termes utilisés.
6. Conclusions et perspectives
Pour adapter les TCS à l'informatique, nous
avons identifié des forces et des limites à cette approche.
Les TCS (dont l'efficacité a déjà été
prouvée par des études scientifiques dans le domaine
médical) constituent un outil efficace et pertinent pour évaluer
le raisonnement/savoir-faire d'étudiants placés dans une situation
professionnelle. L’évaluation d’une proposition ne se fait
pas sur la base d'une unique réponse correcte, mais en considérant
une batterie de réponses acquises auprès d'un panel
d’experts. Autrement dit, il n'y a pas de réponse unique, mais il y
a des réponses plus pertinentes que d'autres.
Les TCS ne sont pas adaptés à toutes les situations : ils
visent plutôt des configurations incertaines et/ou ouvertes, dans
lesquelles on n'a pas forcément accès à toutes les
données. Ils ne sont pas pertinents dans des configurations parfaitement
définies. Ils vont dénoter d'un savoir-faire par rapport à
une situation incertaine, là où les QCM "classiques" vont
permettre d'évaluer un savoir par rapport à une situation
très bien définie. C'est un outil complémentaire
d'approches plus traditionnelles.
Les TCS sont particulièrement adaptés dans des domaines tels
que l'analyse des systèmes d'information, la programmation
(débogage) ou le droit informatique. Ils s’appliquent efficacement
pour la conception et le diagnostic. Nous comptons évaluer
l'intérêt des TCS dans une démarche d'auto-évaluation
(par exemple dans la perspective de valider des compétences liées
au référentiel C2i). Nous prévoyons des les coupler au
déploiement d’une plate-forme informatique permettant aux
étudiants de passer ces tests en autonomie. Enfin, nous souhaiterions
élargir le dispositif et étudier l’intérêt des
TCS dans d’autres disciplines des sciences de l’ingénieur.
7. Remerciements
Les auteurs remercient D. Lime, O. Roux, M.
Servières et V. Tourre pour avoir pris part aux réflexions sur
l’usage des TCS en informatique à Centrale Nantes et S. Lorenzo
pour la coordination du projet UNIT initial.
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http://www.cpass.umontreal.ca/tcs.html (consulté le 12 février
2011)
Courriel : A propos des auteurs
Morgan MAGNIN est maître de conférences en
informatique à l’École Centrale de Nantes depuis 2008. Il
effectue ses recherches au sein du laboratoire IRCCyN (Institut de Recherche en
Communications et Cybernétique de Nantes) en bio-informatique, plus
précisément dans le domaine de la biologie des systèmes. Il
est également en charge de la mission EAT-TICE (pour "Enseigner et
Apprendre avec les Technologies - Technologies de l’Information et de la
Communication pour l’Enseignement") de l'Ecole Centrale de Nantes depuis
2010. Convaincu par le potentiel des technologies de l'information et de la
communication dans le secteur de l'enseignement et de la recherche, il se
concentre sur les initiatives et projets destinés à
améliorer les démarches pédagogiques et les processus
d’apprentissage.
Adresse : Ecole Centrale de Nantes. 1 rue
de la Noë, BP 92101, 44321 Nantes Cedex 3
Toile : morgan.magnin@ec-nantes.frhttp://www.morganmagnin.net/
Guillaume MOREAU a obtenu son doctorat en informatique en
1998 et son habilitation à diriger des recherches en 2009. Professeur des
universités en informatique à l'Ecole Centrale de Nantes, il
effectue ses recherches au sein du laboratoire CERMA (Centre de Recherche
Méthodologique d'Architecture) sur le thème de l'étude du
lien entre images numériques et systèmes d'information à
travers les techniques de la réalité virtuelle et de la
réalité augmentée. Il est aussi directeur du système
d'information de l'Ecole Centrale de Nantes depuis 2006 après avoir
été chargé de mission TICE. Dans ce cadre, il
s'intéresse fortement à l'utilisation et à l'appropriation
des nouvelles technologies dans le cadre de l'enseignement.
Adresse : Ecole Centrale de Nantes. 1 rue
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Courriel :
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