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La modélisation du tutorat dans les systèmes
tutoriels intelligents
Jacqueline BOURDEAU (LICEF, Montréal),
Monique GRANDBASTIEN (LORIA,
Nancy)
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RÉSUMÉ : Cette
communication propose une synthèse et une réflexion sur le sujet
de la modélisation du tutorat dans les systèmes tutoriels
intelligents. Elle en précise l’origine et les défis, ainsi
que les travaux réalisés et les tendances observées. On y
aborde les questions de la caractérisation du tutorat, de sa
définition, des sources de connaissances utilisées, et des
techniques de modélisation. Une description des fonctions et des
variables est proposée, ainsi que les hypothèses formulées
et retenues pour implémentation et évaluation dans la conception
des systèmes tutoriels intelligents. La question de l’adaptation,
fondamentale pour les systèmes tutoriels intelligents, y est
privilégiée.
MOTS CLÉS : Systèmes
tutoriels intelligents, modélisation des connaissances, tutorat |
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ABSTRACT : This
communication proposes a synthesis on the topic of modeling tutoring knowledge
in intelligent tutoring systems. Its origins and challenges are exposed, as well
as research results and tendencies. Issues of characterizing tutoring, defining
it, identifying sources of knowledge, and modeling techniques are presented and
discussed. A description of tutoring functions and variables is proposed, as
well as hypotheses that have been formulated for design, implementation and
evaluation of intelligent tutoring systems. The issue of adaptation, essential
for intelligent tutoring systems, is privileged.
KEYWORDS : Intelligent
tutoring systems, knowledge modeling, tutoring |
1. Introduction
Dans le domaine de
l’intelligence artificielle (IA) en éducation, la recherche sur les
systèmes tutoriels intelligents (STI) représente un effort pour
concevoir, développer, implémenter et évaluer des
systèmes qui appliquent des principes et des techniques de l’IA
pour résoudre des problèmes d’apprentissage humain. Cet
article propose une synthèse et une réflexion sur les origines des
STI, les efforts pour modéliser les différentes composantes,
particulièrement le modèle de tutorat, et finalement les
résultats obtenus et les questions ouvertes.
2. Le tutorat dans les STI
Le tutorat est une forme d’enseignement qui
possède deux caractéristiques principales. Premièrement, le
ratio tuteur/élève est de 1 à 1, 2 ou 3, et
généralement de 1 à 1, de sorte que l’attention du
tuteur est en général entièrement consacrée à
un élève à la fois. Deuxièmement, le tuteur exerce
un certain guidage et donc un contrôle, bien que celui-ci puisse
être partagé avec l’élève, par exemple dans le
cas de la découverte guidée. En termes d’adaptation,
essentielle dans les systèmes intelligents, le tutorat joue un rôle
inverse à celui de l’enseignant en classe. Ce dernier demande
à chaque élève de s’adapter à un enseignement
commun pour la classe, tandis que le tuteur cherche à adapter son
intervention aux besoins particuliers d’un élève.
3. La place du tutorat dans les STI
La communauté de chercheurs dans le domaine des STI s’est saisie
de cette notion de tutorat et a élaboré différentes
hypothèses pour lui faire une place, que ce soit dans la
modélisation du domaine ou dans celle de l’étudiant.
L’hypothèse de l’interaction, privilégiée
aujourd’hui, considère que le cœur du tutorat se situe dans
l’interaction, et voit le tuteur et l’élève travailler
ensemble comme un duo (Graesser et al., 2001), (VanLehn, 2006).
Le défi de l’adaptation pour le tutorat dans un STI consiste donc
d’abord à concevoir des interactions de façon à
soutenir une adaptation fine, et ensuite à concevoir le comportement de
la composante tutorat de façon à ce qu’elle puisse raisonner
à partir de données provenant de l’étudiant, aussi
près que possible du temps réel. L’hypothèse de
l’interaction continue d’évoluer, et Van Lehn a introduit la
notion d’Interaction Plateau, estimant que
l’interactivité ne devrait pas dépasser celle qui existe de
façon naturelle entre les humains ; au delà de ce seuil,
l’efficacité pédagogique serait réduite (VanLehn, 2008).
Le défi de réussir au moins aussi bien que les tuteurs humains est
constant dans la recherche sur les STI. Il s’agit de définir et de
formaliser les fonctions et les variables, de découvrir ce qui pourrait
‘causer’ le succès du tutorat humain, et finalement
d’évaluer l’éventuel succès de la
représentation du tutorat dans un STI, ainsi que le succès obtenu
dans l’interaction d’un élève avec ce STI.
3.1. Les fonctions du tutorat
Les deux principales fonctions du tutorat sont celles de tout
enseignement : susciter l’apprentissage et l’évaluer.
Ces deux fonctions sont traitées soit séparément soit
conjointement dans le domaine des STI. Ainsi, le système ASSISTment doit
son nom à la volonté explicite d’intégrer les deux
fonctions. Le principal dilemme qui préoccupe les chercheurs est le
suivant : quand et comment intervenir auprès de
l’étudiant pour le soutenir dans son apprentissage : To
Tutor or Not to Tutor: That is the Question (Razzaq et Heffernan, 2009),
and Does Help Help? (Beck et al., 2008).
La fonction de soutien à l’apprentissage peut elle-même se
subdiviser en deux sous-fonctions : le diagnostic cognitif, qui consiste
à détecter les sources des erreurs, et la sélection de
stratégies de tutorat ou de remédiation qui soient les mieux
adaptées. Ces fonctions incluent depuis récemment
l’adaptation aux états affectifs des étudiants, dans la
mesure où ceux-ci font partie intégrante des conditions de
l’apprentissage. Un défi récent pour les STI est
d’équilibrer les dimensions cognitive et affective dans le
raisonnement qui conduit à une décision de tutorat (Boyer et al., 2008) .
3.2. Les variables du tutorat
Une équipe de recherche dans le domaine des STI est confrontée
à une multitude de variables lorsqu’elle entreprend de concevoir un
tel système. La première question à se poser est : qui
est l’étudiant ? quelles sont ses caractéristiques, ses
connaissances antérieures, son but, sa motivation, sa culture ?
Connaître l’étudiant est la condition sine qua non de
l’adaptation recherchée. La recherche sur les STI s’est
longtemps concentrée sur un raisonnement capable d’induire les
états cognitifs de l’étudiant ; elle explore
aujourd’hui des méthodes de calcul à partir de
données extraites des interactions avec l’étudiant. La
deuxième question est celle du contenu : qu’est-ce qui est
enseigné ? la matière, le curriculum, (maths, langues,
biologie) avec les caractéristiques qui lui sont propres ; on
distingue également le type d’apprentissage (concept,
règle), les habiletés (résolution de problème), et
les compétences (mise en œuvre des savoirs). La troisième
question est celle du comment : quelles sont les stratégies
appropriées pour enseigner tel contenu à tel étudiant se
trouvant dans tel état cognitif et affectif ? Dans ce cas, le
raisonnement s’exerce sur les caractéristiques des
stratégies : dialogue socratique, ‘scaffolding/fading’,
élicitation des connaissances, jeu/simulation, visualisation multiple,
etc.. Les interrogations des chercheurs portent tant sur
l’adaptabilité du système que sur l’efficacité
des stratégies (VanLehn et al., 2007).
Enfin, la dernière grande question à se poser est celle du
contexte : dans quel contexte se déroule le tutorat ? Cette
dimension peut être interprêtée de différentes
façons : le contexte physique, par exemple la salle de classe, la
maison, l’apprentissage mobile ; les contextes cognitif, affectif et
culturel. Tandis que les trois premières dimensions ont fait
l’objet de nombreuses investigations, il est notable que la
dernière, soit le contexte, a été moins
étudiée et reste une limite sérieuse dans le domaine des
STI.
3.3. Le tutorat, un fondement pour les STI
Le domaine de l’intelligence artificielle en éducation, connu
sous le sigle de sa société, AIED, était en pleine
émergence (Wenger, 1987) lorsqu’en 1984 Bloom publia son célèbre article sur
l’efficacité du tutorat (Bloom, 1984), peu
après que Cohen et al. aient publié leur méta-analyse sur
le tutorat (Cohen et al., 1982).
Les chercheurs virent dans le tutorat un fondement solide sur lequel bâtir
des systèmes adaptatifs et interactifs, qu’ils appelèrent
systèmes tutoriels intelligents, soit des systèmes capables
d’offrir des services individualisés puisque le ratio 1-1
n’est pas une option pour tous. Dans les systèmes éducatifs,
le tutorat privé est une exception, et le tutorat en formation à
distance en est une autre1.
Ces repères sur la nature du tutorat étant acquis, se pose la
question de la modélisation dans les STI.
4. La modélisation du tutorat dans les STI
Si le but d’un STI est d’être au
moins aussi efficace qu’un bon tuteur humain, de quelles connaissances
devrait-il être composé ? Un tuteur humain possède une
bonne compréhension du curriculum, de la cognition et de
l’apprentissage, et des stratégies d’enseignement. Il
possède des connaissances factuelles constamment à jour sur les
états cognitifs et affectifs de l’étudiant, sa
personnalité, le contexte, et possède aussi la capacité de
s’adapter à toutes les nuances de la situation. Afin de se
concentrer sur les questions de la modélisation du tutorat dans les STI,
il est nécessaire d’en faire une définition et une
caractérisation plus précise, d’identifier les sources de
connaissances sur le tutorat, et d’en considérer les implications
pour le design des interactions avec l’étudiant, ainsi que pour
l’apprentissage collaboratif et l’apprentissage basé sur le
Web.
4.1. Les sources de connaissances du tutorat
En 2001, dans leur article intitulé Modeling human teaching
tactics and strategies for tutoring systems, DuBoulay et Luckin (DuBoulay et Luckin, 2001) pointaient trois principales méthodologies pour développer
l’expertise pédagogique dans les STI : l’observation
d’enseignants, l’étude des théories de
l’apprentissage, et l’observation d’étudiants en
situation réelle d’interaction avec des systèmes en ligne.
Ces trois méthodes sont toujours d’actualité. En ce qui
concerne l’observation d’enseignants en classe, il importe de noter
les différences entre la situation en classe et le tutorat.
Premièrement, interagir avec 1, 2 ou 3 étudiants est bien
différent d’enseigner à une classe. Deuxièmement,
comme le soulignent DuBoulay et Luckin, la question se pose de savoir si les
stratégies employées par les enseignants peuvent être aussi
efficaces lorsqu’appliquées par une machine. Troisièmement,
comme l’indique Grandbastien (Grandbastien, 1999),
les stratégies observées l’ont souvent été
alors que les ordinateurs n’étaient pas présents dans la
classe ni dans la vie quotidienne. Il y a lieu de s’interroger si les
décisions stratégiques de tutorat peuvent ou devraient être
les mêmes lorsqu’utilisées par un humain ou par une machine,
qu’il s’agisse d’enseignement en classe ou de tutorat humain
en ligne. Le développement de la fonction de tuteur en ligne a en effet
suscité des études qui enrichissent les observations
déjà disponibles sur le tutorat, voir par exemple (Denis, 2003) et (Jaillet et al., 2011)
Par ailleurs, plusieurs chercheurs dans le domaine des STI ont fondé
leur travail directement sur des théories cognitives notamment la
théorie ACT-R de Anderson, sur des théories de
l’apprentissage collaboratif ou social, notamment celle de Vigotsky, des
théories de l’enseignement comme le ‘Mastery
Learning’ de Bloom et la théorie du design pédagogique
de Gagné.
Quant aux sources de connaissances pratiques, étant donné
qu’elles sont mal définies et difficiles à
systématiser, elles sont également difficiles à
modéliser, qu’elles soient les observations des enseignants ou des
tuteurs privés. En outre, l’idée d’arrimer les
connaissances pratiques et théoriques dans un modèle de
connaissances unifié reste encore un problème ouvert. La
modélisation des connaissances déclaratives sous la forme
d’une ontologie semble une piste particulièrement prometteuse, et
est illustrée par le projet OMNIBUS-SMARTIES, qui propose une ontologie
du domaine de l’éducation (Hayashi et al., 2009).
Une autre source de connaissances sur l’étudiant est celle des
données capturées lors des interactions
étudiant-système. Les défis de l’utilisation des
techniques de ‘data mining’ et de ‘machine learning’
à cette fin sont documentées dans l’ouvrage de Woolf (Woolf, 2009) et
les réalisations sont suffisamment prometteuses pour avoir donné
naissance à une nouvelle communauté de recherche avec sa
conférence annuelle, ‘Educational Data Mining’ (EDM), les
chercheurs appartenant également à la communauté STI.
4.2. La caractérisation du tutorat et sa définition
La tradition dans la recherche sur les STI est de définir le tutorat
par sa structure et ses composantes : modèle du domaine,
modèle de l’étudiant, modèle du tutorat, et interface
de communication. Par contraste, VanLehn (VanLehn, 2006) propose de caractériser les STI par leur comportement. Selon cet auteur,
les STI démontreraient l’existence de deux boucles, l’une
externe, au niveau de la tâche (task), et l’autre interne, au niveau
de l’étape (step). Seraient des STI seulement les systèmes
qui possèdent la boucle interne, qui témoigne de la
capacité d’adaptation du système. Cette position a
été appréciée mais aussi critiquée par
DuBoulay (DuBoulay, 2006) et Lester (Lester, 2006).
DuBoulay accepte cette caractérisation pour certains STI, la plupart dans
les domaines techniques, mais selon lui elle ne vaudrait pas pour
d’autres, pour lesquels les notions de tâche et d’étape
ne s’appliquent pas. Lester quant à lui commence par souligner la
contribution majeure de VanLehn avec ce qu’il appelle le ‘KVL
Framework’, qui distille les efforts des chercheurs pour en extraire
une procédure générique composée
d’itérations de deux boucles imbriquées l’une dans
l’autre. Cependant, à l’instar de DuBoulay, il estime que ce
cadre ne s’appliquerait pas aux domaines mal-définis.
Une autre perspective sur les STI est celle des hypothèses qui les
sous-tendent. Outre celles du modèle du domaine et du modèle
étudiant, l’hypothèse de l’interaction (Interaction
Hypothesis) prévaut depuis quelques années, et tend à
se substituer aux hypothèses centrées sur l’apprenant, le
domaine, ou l’enseignant. En 2001, Graesser, VanLehn et d’autres
chercheurs (Graesser et al., 2001),
dans le cadre d’une large réflexion sur la complexité des
STI, proposaient cette hypothèse comme étant centrale pour
atteindre le but de l’adaptation du système. Ils ouvraient la porte
à des recherches approfondies sur l’analyse du dialogue en langue
naturelle, entre tuteurs humains (novices et experts) et apprenants, et la
conception de systèmes capables de conduire ces dialogues. Ayant
examiné cette hypothèse à l’œuvre dans plusieurs
STI, ils décrivent comment ces interactions sont structurées du
côté des systèmes, et comment celles de
l’étudiant peuvent être prédites,
interprétées et évaluées (VanLehn et al., 2007).
La stratégie des systèmes AutoTutor est basée sur des
structures de dialogue en langue naturelle, avec une reconnaissance de ce
qu’exprime l’étudiant. Le dialogue est guidé par un
agent qui peut encourager, approuver, donner du feedback. La stratégie
dans le système ANDES, pour la résolution de problèmes en
physique, repose sur le ‘model-tracing’. Le dialogue
s’adapte selon les actions de l’étudiant qui sont
capturées. Les résultats de ces études indiquent que le
dialogue tutoriel est, dans certains cas, aussi efficace que la lecture, mais,
dans d’autres cas, plus efficace et de façon significative (VanLehn et al., 2007) ;
dans tous les cas, c’est le degré d’adaptation qui joue un
rôle-clé.
Un des fondateurs du domaine, John Self, proposait la caractérisation
suivante d’un STI : ‘ ITSs are computer-based learning
systems which attempt to adapt to the needs of learners and are therefore the
only such systems which attempt to 'care' about learners in that sense. Also,
ITS research is the only part of the general IT and education field which has as
its scientific goal to make computationally precise and explicit forms of
educational, psychological and social knowledge which are often left
implicit’ (Self, 1999). Cette
caractérisation met en lumière la nature adaptative d’un STI
comme le cœur d’un tel système. Si la notion de
‘caring’ peut s’interpréter comme étant
une adaptation pleine d’attention et de sensibilité aux
états cognitifs et émotifs d’un étudiant, alors elle
est équivalente à un bon tutorat.
Ces perspectives permettent de proposer la définition suivante du
tutorat dans les STI : susciter et évaluer l’apprentissage
par une interaction adaptative entre l’étudiant et le
système. Il apparaît donc crucial d’accorder une
attention particulière à la conception des interactions.
4.3. La conception des interactions
La clé du succès d’un STI pourrait bien dépendre
de la conception des interactions. Les concepteurs font face à la
question : interagir par le dialogue en langue naturelle? Ce dialogue
étant le plus naturel, et efficace en termes d’adaptation, il a
fait l’objet de nombreux travaux, malgré les difficultés de
cette technologie (Graesser et al., 2001).
Une alternative est celle d’interactions par des manipulations du
système qui réagit comme c’est le cas dans les simulations
et les environnements de découverte (Woolf, 2009).
Dans ces environnements, le tutorat est intégré dans : 1) la
simulation elle-même, qui représente un monde ou un
phénomène, avec ses lois ou ses équations, 2) les actions
offertes à l’étudiant pour manipuler les variables, 3)
l’interprétation faite par le système, 4) le changement
d’état du système et 5) le feedback à
l’étudiant.
Ces interactions sont propres à l’apprentissage individuel
d’un étudiant. Toutefois, les STI sont parfois conçus pour
d’autres contextes, tel l’apprentissage collaboratif et
l’apprentissage par navigation sur le Web.
En 1988, Chan présentait ‘the computer as a learning
companion’ (Chan et Baskin, 1990) ;
il pavait le chemin pour l’apprentissage collaboratif
(Computer-assisted collaborative learning, CSCL), une nouvelle piste de
recherche qui faisait l’objet d’un numéro spécial du
Journal IJAIED en 1998. Les chercheurs se sont regroupés en une
communauté qui possède son journal et organise un colloque
biannuel, mais ils continuent pour la plupart à contribuer au domaine des
STI. Dans les environnements CSCL, les interactions sont rarement vues comme du
tutorat. Toutefois, les efforts par exemple pour construire des scripts
adaptatifs et pour utiliser les données provenant de
l’étudiant pour réaliser cette adaptation sont comparables
aux efforts d’adaptation dans les STI.
Le développement de l’apprentissage par navigation sur le Web a
également donné lieu à une nouvelle piste de recherche et
à un numéro spécial du Journal IJAIED intitulé
‘Adaptive and Intelligent Web-Based Systems’ (Brusilovsky et Peylo, 2003).
Ces systèmes tentent de s’adapter à l’aide d’un
modèle des buts, des préférences et aussi des
données provenant de l’étudiant. Plutôt que de
simplement viser une personnalisation de l’environnement, ils incorporent
des actions de tutorat par exemple en guidant l’étudiant ou en
diagnostiquant des conceptions erronées. Comme EDM et CSCL,
‘Adaptive Hypermedia’ s’est développé
comme un champ de recherche autonome, et organise des conférences
biannuelles.
5. Le développement d’un modèle du tutorat dans les
STI
Dans cette section, le terme
‘modélisation du tutorat’ désigne toute forme par
laquelle les chercheurs tentent de conceptualiser et opérationnaliser les
fonctions et les variables du tutorat. Cette section en examine les
différentes perspectives et en propose une nouvelle : ouvrir le
modèle de tutorat à l’usager.
5.1. Un modèle de tutorat dans une architecture STI
Une façon d’aborder la question de la modélisation du
tutorat est de situer le modèle dans l’architecture du
système : le tutorat trouve-t-il sa place dans une composante
distincte ou bien est-il intégré dans une autre, que ce soit
le domaine ou le modèle étudiant? Ou bien les fonctions de tutorat
sont-elles réparties entre les composantes ? Le modèle
tient-il compte des données fournies par l’étudiant dans ses
interactions avec le système ? fait-il la place à un
enseignant avec sa propre interface ? L’illustration proposée
par Woolf (Woolf, 2009) pour
des architectures qui combinent les composantes classiques avec une connaissance
émergente, tout en ayant deux humains dans la boucle, met en
lumière la complexité du design architectural des STI (Figure
1).
Figure 1 : Composantes de ‘machine learning
techniques’ intégrées dans un STI (Woolf, 2009,
permission de reproduire)
Cette problématique de l’architecture est étroitement
reliée aux paradigmes choisis par le concepteur, parfois à ses
croyances : quelle architecture cognitive est utilisée? Quelles sont
les sources privilégiées de connaissance pour le tutorat? Le
tutorat devrait-il avoir une existence indépendante du domaine et de
l’étudiant? Ces choix fondamentaux orientent le design de
l’architecture, des fonctions, et le poids accordé aux variables.
Le tutorat est modélisé d’abord en fonction d’un
paradigme tel le behaviorisme ou le contructivisme, qui influence le choix des
fonctions telles que quand et comment intervenir, et finalement des interactions
telles que le dialogue.
Les décisions de design pédagogique sont
modélisées selon une ou plusieurs théories, cognitives ou
pédagogiques. La modélisation du tutorat peut donc être
définie comme un ensemble de décisions visant à susciter et
évaluer l’apprentissage. Selon les cas, l’emphase sera mise
sur le cognitif, le métacognitif, ou la collaboration, ou encore sur un
aspect tel le diagnostic cognitif. Plusieurs équipes de recherche
incorporent le tutorat dans le modèle du domaine ou dans celui de
l’étudiant. Le débat sur la place du tutorat dans le
système a nourri la réflexion et inspiré divers
développements. Cependant, la disparité des modèles a
limité les possibilités du partage et de la réutilisation
(share and reuse), deux processus essentiels pour le développement
de STI à grande échelle.
Le modèle de tutorat se cristallise fréquemment autour du
diagnostic cognitif, c’est-à-dire le mécanisme qui permet de
détecter les erreurs, faire des hypothèses sur la cause de ces
erreurs, les valider et offrir des moyens soit de les corriger, soit
d’exploiter les erreurs à des fins de découverte. Ainsi,
dans le cas du système PROLOG-TUTOR (Tchetagni et al., 2007),
avec une situation d’apprentissage du langage PROLOG, le diagnostic
s’opère à partir d’une base de connaissances, de
règles causales, et de données provenant de
l’étudiant encadrées dans un dialogue socratique (Figure 2).
La boucle d’adaptation réalisée par PROLOG-TUTOR est un
exemple de la complexité du diagnostic, malgré le fait que le
domaine soit bien défini.
Une autre technique de modélisation proposée pour le diagnostic
est celle fondée sur la théorie de la décision, notamment
pour la génération automatique d’une rétroaction
épistémique Cette approche a été appliquée
avec succès à l’apprentissage du logiciel de requêtes
SQL (Mayo et Mitrovic 2001), et à celui de gestes chirurgicaux (Mufti-Alchawafa et Luengo, 2008).
Un modèle de tutorat très différent est celui de la
génération automatique de cours (Ullrich, 2007).
Cette approche, basée sur la technique Hierarchical Task Network
Planning, modélise les fonctions de conception de cours en permettant
au tuteur ou à l’apprenant d’adapter les séquences
d’activités en fonction des besoins de l’apprenant. Le
système génère le scénario choisi (discover,
rehearse, etc.), auquel il associe des ressources d’apprentissage
pertinentes qu’il a repérées. Cette approche a
été illustrée principalement en mathématiques dans
le projet européen LeActiveMath, en mettant en œuvre
l’approche par compétences prônée par le modèle
européen PISA. Toutefois, malgré les efforts d’abstraction
des connaissances dans des modèles et des ontologies, (Ullrich, 2007) , p. 218, fait remarquer qu’il reste beaucoup à faire pour
généraliser l’approche à d’autres domaines que
les mathématiques, notamment en rendant le modèle de
compétences indépendant de celui du domaine.
Figure 2. Learner Modeling in Prolog-Tutor Using a
Tutoring Dialogue (Tchetagni et al., IJAIED, 2007, permission de
reproduire)
5.2. Systèmes-auteurs et développement de STI
Les systèmes-auteurs sont des environnements logiciels
spécialisés dans le développement de STI. Le
développement (authoring) du tutorat dans les STI - que ce soit
une composante, des fonctions intégrées dans une autre composante,
ou des services - reflète les choix fondamentaux déjà faits
pour l’ensemble du STI en termes de paradigmes de la cognition. Il
est bien différent s’il s’agit d’un environnement de
découverte, d’un système basé sur le dialogue
socratique, ou visant spécifiquement le diagnostic cognitif. Ceci
explique que les systèmes-auteurs soient eux aussi axés sur un
paradigme ou un autre, et que le partage et la réutilisation soient
limités à des systèmes de la même famille (par
analogie, ils partagent le même code génétique).
En 1999, Murray proposait une classification des systèmes-auteurs
existants, et constatant leur hétérogénéité
et le besoin de partage et réutilisation, il suggérait que les
ontologies offraient une solution à ce problème (Murray, 1999).
Il proposait le système-auteur EON, qui possédait les
caractéristiques suivantes : 1) une relation 1/1 entre les composantes et
les outils-auteurs ; 2) indépendant des théories ou
paradigmes, donc capables d’accommoder toutes les visions de
l’apprentissage et du tutorat, 3) des ontologies comme fondement commun
pour les composantes du système. En 2003, il publie l’ouvrage
intitulé ‘Authoring Tools for Advanced Technology Learning
Environments’ qui contient une présentation
détaillée de plusieurs systèmes-auteurs, ainsi que de la
problématique de partage et réutilisation (Murray et al., 2003).
En 2000, Mizoguchi et Bourdeau décrivaient comment
l’ingénierie ontologique était un instrument qui permettrait
aux systèmes-auteurs de partager et réutiliser les connaissances
explicitées et représentées comme des connaissances
déclaratives (Mizoguchi et Bourdeau, 2000).
Cette approche respecte la diversité des STI et de leurs paradigmes, et
offre la possibilité de partager une collection de stratégies
explicitement reliées à leurs sources théoriques ou
empiriques. Le projet OMNIBUS-SMARTIES (Hayashi et al., 2009) en est l’illustration, puisque l’ontologie relie explicitement les
stratégies pédagogiques aux différentes théories
cognitives et pédagogiques.
|
Gérer la base de connaissances |
Assister le concepteur pédagogique |
Informer le programmeur |
Description |
-gérer la base des connaissances déclaratives à
l’aide d’un ensemble de règles.
-gérer la base de données d’objets et de
spécifications |
assister le concepteur pour la spécification du diagnostic |
informer le programmeur sur les implications d’une
spécification |
Fonctionnalités de l’interface |
-sélectionner un paradigme de la cognition
-sélectionner une théorie de l’apprentissage
-sélectionner une théorie de design pédagogique
-spécifier les composantes du diagnostic
- spécifier le processus du diagnostic
-fournir des exemples de diagnostic |
-fournir de l’information sur le diagnostic en fonction de la situation
éducative
-vérifier la consistance et la pertinence des valeurs en fonction de
la situation éducative
-générer des objets de spécification et les sauvegarder
dans la base de données |
-générer des pseudo-algorithmes en fonction de la
spécification
-générer une architecture préliminaire pour le module de
diagnostic en fonction de la spécification
-recommander une technique d’intelligence artificielle en fonction de
la spécification |
Table 1. Les trois fonctions principales de
CD-SPECIES (inspiré et traduit librement de Tchetagni et al.,
2006, avec la permission des auteurs).
Outre les systèmes-auteurs qui visent le développement de
l’ensemble du système, certains outils se spécialisent dans
une composante, comme c’est le cas pour le diagnostic cognitif. Pour
exemple, CD-SPECIES se veut un outil-auteur permettant de produire les
spécifications nécessaires pour le diagnostic cognitif
appliqué à une situation éducative (Tchetagni et al., 2006).
À partir de trois fonctions principales, soit 1) gérer la base de
connaissances, 2) assister le concepteur pédagogique, 3) informer le
programmeur, CD-SPECIES offre plusieurs menus permettant aux deux classes
d’usagers de concevoir puis de programmer la composante de diagnostic
(Table 1).
Par ailleurs, des équipes de recherche se dotent de certains
outils-auteurs spécifiques à leur paradigme. Elles visent à
la fois à augmenter l’accessibilité et à
réduire les coûts de développement, en construisant des
outils-auteurs simplifiés, de plus haut niveau, et qui n’exigent
pas de connaissance en IA, tel l’ASSISTment Builder (Razzaq et al., 2009).
6. Vers un modèle ouvert de tutorat
Beaucoup de STI ont été conçus
dans la perspective d’une utilisation en autonomie et en
conséquence n’étaient pas ouverts au tuteur humain. Or une
des raisons souvent avancée pour expliquer la faible utilisation des STI
par exemple dans des classes est que les enseignants souhaitent pouvoir adapter
un produit à leurs besoins et leurs habitudes de travail (Grandbastien, 1999).
De plus, montrer aux enseignants les stratégies disponibles au sein du
STI ne peut qu’enrichir leur propre pratique et susciter de leur part des
suggestions d’amélioration de la version utilisée.
Ouvrir le modèle de tutorat aux enseignants peut se faire avant les
sessions d’apprentissage, par exemple pour faire un paramétrage du
déroulement de la session, entrer de nouveaux exercices ou tests. Cela
peut se faire aussi après la session pour recueillir et analyser les
traces laissées par les apprenants. Des tentatives pour laisser des
enseignants paramétrer des STI ont été faites dans
plusieurs systèmes. Par exemple, les auteurs de REDEEM expliquent que ce
système auteur pour créer des STI a été
utilisé par des professeurs qui n’avaient aucune expérience
préalable de la construction de STI (Ainsworth et al., 1999).
Il s’agit cependant d’apprendre à utiliser un langage auteur
spécifique pour écrire les règles pédagogiques. Les
initiatives actuelles tendent à proposer des environnements flexibles
pour répondre aux différents niveaux de besoins exprimés
par les enseignants. On peut citer comme exemples le système PEPITE (Delozanne et al., 2008) qui permet de tester les compétences en algèbre
élémentaire d’élèves de lycée et
l’ASSISTment Builder (Razzaq et al., 2009).
Dans PEPITE, l’enseignant dispose d’un éventail de
possibilités allant de la fourniture d’un ensemble complet
d’exercices pour les tests à l’utilisation du système
clés en main en passant par la sélection d’exercices
préenregistrés et l’adaptation des énoncés au
travers de simples formulaires à compléter. En plus des
réponses brutes des élèves aux tests, l’enseignant
dispose aussi d’une vue synthétique des compétences de
chaque élève et des groupes d’élèves ayant le
même profil de compétences. Une fois adapté aux besoins des
utilisateurs, le système peut aussi être utilisé
individuellement par chaque élève. Il s’agit donc avec ces
nouvelles générations de systèmes d’offrir davantage
d’initiative et d’assistance aux enseignants tout en conservant
l’utilisation individuelle. On peut aussi faire une analogie avec
l’ouverture du modèle de l’apprenant et se demander pour
quels apprenants et dans quelles conditions il serait bénéfique
d’expliciter à un apprenant les stratégies tutorielles
modélisées dans un STI.
6.1. L’évaluation du modèle de tutorat dans les STI
L’évaluation du modèle de tutorat dans les STI est
généralement indissociable de l’évaluation de
l’ensemble du système. Toutefois, le but de
l’évaluation dans ce cas peut être de tester la pertinence
d’une ou de stratégies en lien avec une situation donnée, de
tester l’efficacité de certains outils, par exemple le diagnostic
d’erreurs, ou encore d’évaluer la capacité
d’adaptation. Dans un ouvrage récent, Woolf propose une
synthèse approfondie des méthodes d’évaluation
pertinentes et des conditions de leur utilisation (Woolf, 2009).
Plusieurs appliquent des approches comparatives, jusqu’à comparer
les méthodes d’évaluation elles-mêmes (Zhang et al., 2008)..
Les études in situ sont souvent hors de portée pour les
petites équipes, mais lorsqu’elles sont possibles, elles
fournissent des données précieuses pour justifier la
présence des STI dans les écoles. Les équipes telles celles
des Cognitive Tutors à Pittsburgh ou de AutoTutor à
Memphis, se sont constitué des corpus de données à partir
de « log files » ou d’autres traces en même
temps que des outils d’analyse spécifiques. Le Pittsburgh Science
of Learning Center s’est doté d’un laboratoire
d’entreposage de données appelé Data shop, et
d’une série d’outils d’analyse, tels le Error
Report et le Learning Curve Generator. Il en résulte que le
potentiel d’analyse a été amélioré, ainsi que
l’étude des représentations dans les STI. Le concept de
’step’ (la plus petite entrée possible qu’un
étudiant peut faire) a été réexaminé pour
devenir un concept-clé pour les Cognitive Tutors et pour leur
évolution.
Malgré ces progrès, de nombreuses questions restent ouvertes et
sont présentées dans la section suivante.
7. Questions ouvertes
Alors que certains systèmes tutoriels sont
utilisés dans des écoles et des universités, une
première question mérite attention : celle du passage
à l’échelle. L’atelier tenu à la
conférence AIED 2009 a identifié plusieurs questions à
travailler dont la prise en compte du curriculum sur des périodes plus
longues (par exemple un semestre alors que les premiers tuteurs couvraient un
sujet étroit et une ou quelques séances) et la mise à
disposition de suites de produits interopérables sur les plateformes de
formation en ligne et ouverts à plusieurs catégories
d’utilisateurs, notamment les enseignants et les administrateurs. Nous
présentons ensuite les questions liées aux avancées
technologiques, les dimensions cognitives, affectives et contextuelles et nous
soulevons des questions relatives au développement des jeux
sérieux.
7.1. Avancées technologiques
Le dialogue étant un élément essentiel du tutorat, les
progrès faits en traitement des langues naturelles vont continuer
à bénéficier aux STI. Mais d’autres modes de
communication viennent le compléter, notamment l’utilisation de
schémas et croquis qui peuvent être le mode naturel de
communication dans certains domaines. La modélisation et
l’interprétation des schémas est désormais
accessible, par exemple dans la plate-forme CogSketch (CogSketch, 2011).
Les interfaces de complète immersion, les systèmes haptiques
avec retour de force permettent la création d’environnements de
formation professionnelle dans des domaines où l’utilisation
d’environnements informatisés semblait impensable. Certains de ces
nouveaux environnements de formation qui font largement appel à la
réalité virtuelle incluent un modèle de tutorat, par
exemple VR for Risk Management (Amokrane et Lourdeaux, 2009), (Amokrane et Lourdeaux, 2010).
En 2000, Johnson, Rickel et Lester étaient les premiers à
utiliser des personnages de synthèse sous forme d’agents
pédagogiques animés (Johnson et al., 2000).
Les progrès récents permettent de proposer des personnages aux
expressions faciales et gestuelles sophistiquées et réalistes. En
combinant réalité virtuelle et personnages virtuels qui agissent
dans l’environnement de l’apprenant, Johnson a
développé la série des Alelo’s Tactical Language
and Cultural Training Systems (TLCTS). Certains de ces systèmes comme Tactical Iraqi ™ et Tactical French ™ sont
utilisés par de nombreux apprenants. Les auteurs proposent une
synthèse partielle des principes issus de leurs observations à
propos du développement et de l’usage de systèmes de guidage
en environnement immersif virtuel dans (Lane et Johnson, 2008), (Johnson et Valente, 2009).
La technologie utilisée dans ces systèmes rejoint alors celle des
jeux vidéo pour donner naissance au courant des jeux sérieux.
7.2. Dimensions affective, cognitive et contextuelle
De nombreuses études ont montré l’importance de la
dimension affective dans les processus d’apprentissage. Cette dimension
n’était pas du tout prise en compte dans les premiers
modèles de décision tutorielle. Or les techniques
développées pour suivre l’expression des visages, le
mouvement des yeux, et d’autres données physiologiques permettent
d’apporter des réponses pédagogiques qui tiennent compte de
l’état affectif de l’étudiant. Arroyo et al. ont
utilisé des capteurs pour enregistrer des données physiologiques
et les ont comparées aux déclarations faites par les
étudiants au sujet de leur état émotionnel (Arroyo et al., 2009).
De plus l’utilisation des systèmes tutoriels en ligne permet
d’enregistrer des données d’interaction entre
l’apprenant et le système. Lorsqu’on a beaucoup de
données de ce type, des techniques de data mining permettent de
faire émerger des régularités qui sont autant de nouvelles
informations à exploiter. L’objectif est d’arriver à
une compréhension en profondeur des intérêts, intentions et
émotions de l’étudiant en observant ses interactions, et par
la suite d’améliorer l’efficacité du tutorat. On peut
donc s’attendre à une nouvelle génération de
systèmes prenant en compte cette dimension affective dans le
fonctionnement humain. Cependant, Conati et Mitrovic rappellent que nous
manquons encore de théories bien établies sur lesquelles fonder
l’usage de l’affectif dans les interactions pédagogiques et
de résultats prouvant l’efficacité de la prise en compte de
l’aspect affectif pour améliorer l’apprentissage (Conati et Mitrovic, 2009).
La dimension cognition située est de plus en plus
présente dans les environnements virtuels d’apprentissage qui
proposent aux apprenants des activités dans des contextes authentiques
sur les plans physique, social et culturel (Lane et Johnson, 2008).
Prendre en compte le contexte, c’est aussi mettre en œuvre la
complémentarité entre tuteur artificiel et tuteur humain et
l’implémenter dans les nouveaux environnements. En effet, les
bonnes décisions tutorielles peuvent conduire à une très
grande variété d’activités pour l’apprenant. La
gestion de cette diversité peut être partagée entre tuteur
humain et tuteur artificiel de façon à optimiser le service
offert. Cela suppose l’ouverture des systèmes aux enseignants,
l’association de ces mêmes enseignants à la conception des
systèmes et la fourniture d’une vue générale des
activités de chaque apprenant (et des activités du groupe
s’il s’agit d’une classe) pour les enseignants, par exemple
comme nous l’avons mentionné précédemment pour les
systèmes PEPITE et ASSISTment.
7.3. Les jeux sérieux
Les jeux vidéos connaissent un succès grandissant auprès
des jeunes et des adultes qui se montrent actifs et motivés pendant de
longues périodes dans les univers qui leur sont proposés.
L’utilisation de ces jeux à des fins de formation a donné
naissance à une famille d’applications nommée jeux
sérieux. Un jeu sérieux peut être défini comme
une compétition intellectuelle jouée sur ordinateur pour atteindre
un but en respectant un ensemble de règles et qui utilise l’aspect
ludique pour développer des connaissances et des compétences dans
des domaines variés. (Blanchard et al., 2012) soulignent que dans un jeu sérieux les objectifs d’apprentissage et
de jeu ont même priorité et sont très fortement
interconnectés et distribués au sein des objets et personnages des
mondes virtuels. Ils rappellent des caractéristiques qui, selon (Gee, 2008), sont
présentes dans un jeu qui suscite un apprentissage en profondeur :
Interactivité ; adaptation, identités fortes,
problèmes ordonnés, frustration motivante. Le lecteur
intéressé pourra également consulter la synthèse
publiée par (Moreno-Ger et al., 2009).
Comment cette introduction des ressorts du jeu dans un environnement de
formation peut-elle s’appliquer aux STI? Nous avons déjà
mentionné le travail pionnier de Johnson et al. qui a abouti à des
produits commercialisés et utilisés à grande
échelle, (Johnson et Valente, 2009) mettent en scène des agents animés dans un environnement virtuel
pour la formation à la langue et à la culture d’un pays.
Lors de l’atelier organisé durant la conférence AIED 2009 et
intitulé Intelligent Tutoring in Serious Games, (McNamara et al., 2009) ont proposé d’incorporer des éléments de jeu au sein
des STI afin de fusionner le meilleur des deux mondes et d’obtenir des
environnements offrant des niveaux optimaux de motivation et d’engagement
permettant les apprentissages visés. Pour atteindre un tel objectif, des
recherches fines sont encore nécessaires de façon
générale sur l’intérêt des jeux dans les
apprentissages et de façon plus ciblée sur l’interconnexion
entre STI et jeux sérieux. De façon générale, par
exemple (Squire, 2007) identifiait les sujets de recherche suivants : développer des
théories de base sur l’apprentissage par le jeu, analyser des jeux
pour comprendre leur influence positive sur les apprentissages, comprendre le
rôle des interactions humaines au sein des jeux, développer des
modèles pédagogiques fondés sur les jeux, analyser
l’influence des jeux sur l’évolution des pratiques
éducatives et l’adoption de pratiques fondées sur les jeux.
Du point de vue spécifique aux STI, plusieurs directions sont
déjà ou pourraient être explorées. Une
première approche consiste à alterner pour l’apprenant des
séquences de jeu et des séquences utilisant un STI. Il serait
alors intéressant de déterminer quelles données issues de
la phase de jeu pourraient nourrir le modèle d’apprenant du STI.
Une autre approche consiste à intégrer des phases de jeu au sein
d’un STI. Dans une telle configuration, le modèle de
l’apprenant peut être constamment nourri par les actions du joueur
et peut être utilisé pour personnaliser les rétroactions au
sein même de la phase de jeu. Dans l’approche complètement
intégrée proposée par McNamara et al., il n’y a plus
de distinction entre phase de jeu et phase tutorielle, la production objet de
l’apprentissage, par exemple une stratégie de vente ou la conduite
d’un dialogue et la réalisation d’actions dans un
environnement donné, fait partie du jeu ; le diagnostic
s’affine au fur et à mesure des interactions et les
rétroactions sont calculées et dynamiquement adaptées au
joueur en fonction des objectifs de jeu et des objectifs d’apprentissage.
Pour concevoir des systèmes fondés sur cette approche, il faudrait
mieux étudier comment ne pas ‘casser’ la motivation pour le
jeu par des conseils et remarques de nature pédagogique, ce qui
ramène aux travaux de (VanLehn et al., 2007) sur l’hypothèse de l’interaction. Ensuite, du point de vue de
la construction de tels systèmes, il faudra proposer des environnements
auteur permettant de modéliser à la fois les stratégies de
jeu et les stratégies tutorielles.
D’autres questions n’ont pas encore été
abordées et rejoignent des perspectives déjà
évoquées dans cet article sur les systèmes collaboratifs ou
la prise en compte des émotions : Quel est l’intérêt
des jeux à plusieurs joueurs, quand faut-il les utiliser et comment
gérer et utiliser l’interaction entre joueurs? Comment gérer
et utiliser l’engagement du joueur pour que le système
s’adapte dans ses interactions avec l’apprenant?
Si les percées technologiques, ainsi que l’étude des
dimensions affective, cognitive et contextuelle, et du potentiel des jeux pour
l’apprentissage constituent des pistes de recherche sur la fonction
tutorielle, on constate également des environnements qui proposent des
séquences collaboratives permettant d’établir des liens
entre systèmes tutoriels et systèmes sociaux du Web (Greenhow et al., 2009).
Enfin, des travaux ont débuté pour rapprocher éducation et
neurosciences (Varma et al., 2008) et observer des phénomènes liés aux apprentissages dans le
cerveau humain.
8. Conclusion
En 2011, la recherche sur les STI témoigne
d’un progrès en ce qui concerne la conception des fonctions de
tutorat, tout en laissant ouverte la question du partage et de la
réutilisation. L’intégration des données fournies par
les outils de Machine Learning est prometteuse dans le sens d’une
adaptation plus fine. Des efforts sont faits pour améliorer le coût
de développement grâce à des outils-auteurs. La prise en
compte de la dimension affective ouvre de nouveaux horizons et pourrait dans
l’avenir s’enrichir en se combinant aux dimensions cognitive,
métacognitive, et sociale. En conclusion, le but est de parvenir à
une intelligence du tutorat qui suscite et évalue l'apprentissage, qui
offre un soutien complet et en profondeur, et qui puisse offrir un service au
moins aussi bon que celui d'un excellent tuteur humain.
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A
propos des auteurs
Jacqueline BOURDEAU détient un Ph.D. en
Technologie éducationnelle de l’Université de
Montréal. Elle est professeure titulaire à la
Télé-université à Montréal, Québec,
Canada, et chercheure au Centre de recherche LICEF. Elle est co-éditeur
de l’ouvrage ‘Advances in Intelligent Tutoring Systems’
paru en 2010 chez Springer, et co-auteur du chapitre 7 dont cet article
s’est inspiré librement.
Adresse : Télé-université,
UQAM,100, rue Sherbrooke Ouest, Montréal (Québec)
Courriel : Jacqueline.Bourdeau@licef.ca
Toile : http://www.licef.ca/bourdeau
Monique GRANDBASTIEN est professeur
émérite d’Informatique à l’université
Henri Poincaré Nancy1 et chercheur au LORIA. Elle est co-éditeur
de l’ouvrage ‘Environnements Informatiques pour
l’Apprentissage Humain’ publié en 2006 chez Hermès.
Elle est aussi co-auteur du chapitre 7 de l’ouvrage ‘Advances in
Intelligent Tutoring Systems’ précédemment
mentionné par Jacqueline Bourdeau.
Adresse : bat. LORIA, campus
scientifique, BP 239, 54506 VANDOEUVRE Cedex, France
Courriel : monique.grandbastien@loria.fr
Adresse : www.loria.fr
1 En formation à distance,
par exemple à Télé-Université, la conception des
activités et les contenus sont la responsabilité d’un
professeur, tandis que le dialogue avec l’étudiant est conduit par
un tuteur.
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