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Volume 18, 2011
Article de recherche



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Scénarisation pédagogique dirigée par les intentions

 

Valérie EMIN (IFÉ-ENSL, Lyon), Jean-Philippe PERNIN
(LIG, Grenoble), Viviane GUÉRAUD (LIG, Grenoble)

 

RÉSUMÉ : Cet article présente le modèle ISiS (Intentions, Strategies, interactional Situations) dont l’objectif principal est d’assister la formalisation et de favoriser la mutualisation de scénarios pédagogiques exploitant les technologies numériques. Elaboré en collaboration avec des enseignants de l’enseignement secondaire, ce modèle s’inspire de travaux récents issus du domaine de l’ingénierie des besoins dirigée par les intentions et permet en particulier l’explicitation des intentions et des stratégies du concepteur. L’environnement graphique associé ScenEdit permet aux praticiens de concevoir leurs scénarios en explicitant les différentes dimensions associées au modèle ISiS. Pour favoriser la conception par réutilisation et adaptation, l’environnement propose, à différents niveaux du modèle, des bibliothèques de composants, patrons ou gabarits. Le modèle ISiS et l’environnement ScenEdit ont été expérimentés auprès de différents publics de praticiens et évalués notamment du point de vue de l’utilité et de l’utilisabilité.

MOTS CLÉS : scénarios pédagogiques, approche auteur, approche orientée par les intentions, langages de modélisation pédagogique, conception de scénarios pédagogiques, représentations visuelles.

ABSTRACT : This paper presents the core concepts of the ISiS model (Intentions, Strategies, and interactional Situations), a conceptual framework elaborated to structure the design of learning scenarios and promote sharing among teachers-designers. This model, co-elaborated with final targeted users and inspired by recent works in the field of goal-oriented requirement engineering, makes explicit the intentions and strategies of the designer. The ScenEdit environment enables practitioners to graphically design their scenarios making explicit the different dimensions associated with the ISiS model. ScenEdit aims at favouring sharing and reuse of practices by providing, for each type of model component, patterns issued from the literature and/or co-designed with practitioners. The model and the environment have been experimented with various groups of practitioners and evaluated from the point of view of utility and usability.

KEYWORDS : technology enhanced learning, authoring approach, learning scenarios, goal-oriented approach, learning design patterns, visual design

 

1. Introduction

La recherche présentée dans cette contribution s'intéresse de façon spécifique à l'introduction de méthodes et d'outils de conception dans l’enseignement secondaire français, où apparaît progressivement de nouveaux types de dispositifs d’apprentissage exploitant les technologies numériques. Ces dispositifs sont essentiellement introduits pour répondre à trois types d’enjeux : la diversification progressive des modalités d’apprentissage (individuel/collectif, synchrone/asynchrone, à distance/en présence, etc.), la redéfinition des programmes de l’éducation nationale (socle commun, nouveaux programmes pour le lycée, référentiels de compétences et de certifications...), et l’émergence rapide des procédures d’harmonisation des cursus (ECTS1, LMD2, CECRL3, etc.). Ces contraintes ouvrent la voie à la mise en place de nouvelles situations d’apprentissage plus riches, plus complexes, et souvent encore mal maîtrisées par les enseignants. L’utilisation de plus en plus généralisée des technologies numériques et de l’Internet (notamment les outils du web 2.0) incite à proposer de nouveaux modèles de situations d’apprentissage instrumentées (Paquette, 2002), laissant une plus grande part à l’activité individuelle ou collective des élèves. Ces nouveaux types d’environnements ouverts peuvent permettre de faciliter la construction des connaissances par l’apprenant (Bunt et al., 2001), (Paquette, 2002) et de favoriser les approches socioconstructivistes. Le rôle des acteurs, enseignants (Schneider, 2004) et apprenants (Choplin et al., 2000), évolue dans le même temps, ainsi que la variété des tâches qui leur incombent (Bunt et al., 2001), (Pernin, 2003). Villiot ajoute que « l’évolution des environnements et des rôles des acteurs s’accompagne aussi d’une évolution de la place donnée aux contenus et aux ressources pédagogiques dans la construction des dispositifs de formation » (Villiot-Leclercq p7., 2007). Parallèlement, les métiers de l’enseignement et de la formation évoluent et les pratiques (qu’elles intègrent ou non les technologies numériques) tendent à se professionnaliser et à favoriser les transferts de compétences, la mutualisation et le travail en réseau (Dufresne et al., 2003). Des pratiques institutionnelles, associatives et individuelles de production et de mutualisation de ressources d’apprentissage (ressources multimédias, scénarios pédagogiques, répertoires de sites web, etc.) émergent également. Des banques de scénarios (Lundgren-Cayrol et al., 2006) sont ainsi proposées à différents niveaux : communautés de pratiques, associations d’enseignants, banques issues de la recherche et institutionnelles comme, en France, celles du ministère de l’Education Nationale (EDU’Bases4, PrimTice5). La complexité de situations d’apprentissage distribuées dans le temps et dans l’espace ainsi que les besoins accrus de partage, d’échange et de mutualisation exigent des efforts de formalisation, qui n’étaient pas indispensables dans le cas de la formation présentielle traditionnelle. La modélisation des situations d’apprentissage apparaît ainsi de plus en plus nécessaire pour permettre l’expression, l’explicitation et le transfert de nouvelles pratiques. Si, de plus, elle s’appuie sur un niveau d’expression suffisamment précis pour en permettre le traitement informatisé, la modélisation peut également constituer la base sur laquelle seront techniquement construites les situations d’apprentissage, lors du passage de la conception à l’opérationnalisation du dispositif.

Le reste de ce document est structuré de la façon suivante. Dans la section 2, nous nous attachons à décrire l’ancrage théorique et le contexte de ce travail de recherche. La section 3 présente le modèle ISiS qui forme l’ossature de nos propositions. La section 4 décrit l’environnement de conception ScenEdit, qui constitue une première implémentation du modèle ISiS. Enfin, la section 5 trace les perspectives actuelles ouvertes par ce travail de recherche.

2. Contexte et ancrage théorique

2.1. Contexte de la recherche

La recherche présentée a été réalisée au sein du projet Scénario-CAUSA (Conceptions, Analyses et Usages des Scénarios d’Apprentissage, 2006-2010) dans le cadre d’une collaboration entre l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP6) et le Laboratoire Informatique de Grenoble (LIG). La conception et la réutilisation de scénarios pédagogiques est une question complexe nécessitant des approches croisées : chercheurs en informatique et en sciences humaines, développeurs et usagers, attentes institutionnelles et besoins de terrain. Le projet CAUSA vise à élaborer, en relation étroite avec les praticiens, des modèles et des outils adaptés leur permettant de concevoir, mettre en place, suivre, adapter, analyser, mutualiser les scénarios utilisant les technologies numériques qu’ils souhaitent mettre en œuvre. Il se présente comme un lieu d’échanges, de réflexion et d’élaboration de nouvelles solutions pour des praticiens confrontés au quotidien à une évolution de leur rôle, de leurs outils et de leurs pratiques. L’implication de l’INRP, dont l’un des rôles essentiels est d’assurer l’articulation entre travaux de recherche pluridisciplinaires et pratiques de terrain a fourni un cadre favorable pour impliquer fortement un panel large et diversifié d’enseignants dans ces recherches et pour bénéficier d’approches croisées pour analyser les résultats des différentes expérimentations.

2.2. Ancrage théorique

De récents travaux de recherche en ingénierie des EIAH (Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain) s’intéressent aux langages de modélisation pédagogique (Educational Modelling Languages ou EML en anglais) (Koper, 2000), (Rawlings et al., 2002). L’objectif de ces derniers est de fournir une description, indépendante de toute implémentation technique, de situations d’apprentissage mettant en jeu les technologies numériques, dans le but d’assurer leur réutilisabilité et leur interopérabilité. Ces langages visent à couvrir deux besoins complémentaires : représenter le plus large panel de situations d’apprentissage et d’approches pédagogiques, tout en assurant la possibilité d’exécuter les descriptions produites sur des systèmes techniques variés de gestion pédagogique, tels que les plateformes LMS (Learning Management Systems). Lors de la décennie 2000-2010, la spécification IMS Learning Design (Koper et Tattersall, 2005) s’est dégagée au niveau international. Certaines limites du langage IMS-LD ayant été soulevées, telle que la capacité à exprimer des situations collaboratives, d’autres solutions visent soit à fournir des extensions au langage (Hernandez-Leo et al., 2005), soit à proposer de nouveaux langages plus ciblés, tel que le langage LDL (Martel et al., 2006). D’autres travaux (Koper, 2006), (Nodenot, 2006) s’interrogent sur la capacité de ces langages à être manipulés par des praticiens (enseignants, formateurs, tuteurs), voire par les apprenants eux-mêmes (Berggren et al., 2005). Pour résoudre cette question d’accessibilité des langages de modélisation pédagogique, plusieurs stratégies peuvent être envisagées. La première consiste à mettre en place des politiques d’information et de formation à ces langages, comme l’a fait par exemple le projet européen TENCompetence (TENCompetence, 2011). La seconde consiste à simplifier la tâche du concepteur en lui mettant à disposition des bibliothèques de patrons ou des scénarios (IDLD, 2011) et (LORNET, 2007) lui évitant de concevoir son scénario à partir d’une page blanche. Enfin la troisième stratégie s’intéresse à développer des langages spécialisés, adaptés à des communautés de pratique ou d’intérêt spécifiques, tout en assurant la possibilité de leur traduction vers un langage standard permettant l’opérationnalisation des situations décrites. Le travail présenté ici s’inscrit dans ce dernier courant. Il est à rapprocher des travaux sur l’approche « auteur » (Guéraud, 2005) qui visent à minimiser l’écart entre les besoins d’un type d’utilisateur donné et les formalismes fournis en l’assistant dans ses tâches de conception sans avoir recours à une équipe de développement informatique. Nos travaux s’appuient également au niveau informatique sur les concepts de l’ingénierie dirigée par les modèles (IDM) qui permettent d’articuler différents niveaux de langages : d’une part, les langages spécifiques métiers (domain-specific languages) dédiés à la phase de conception et d’autre part les langages génériques (general purpose languages) davantage réservés à l’opérationnalisation technique.

Nous avons donc été amenés à nous appuyer sur les concepts manipulés par les utilisateurs ciblés (ici les enseignants-concepteurs) et sur l’agencement des tâches qu’ils pourraient être amenés à conduire dans l’exercice régulier de leur profession (les processus métiers). Ainsi nous avons mené des travaux pour caractériser les usages actuels, les attentes et les besoins des enseignants en termes de scénarisation, en nous basant sur les modèles issus de l’IDM, de l’ingénierie des Systèmes d’Information et de l’ingénierie des processus.

L’étude exploratoire (Pernin et Emin, 2006), (Villiot-Leclercq et Pernin, 2006) réalisée dans le cadre du projet CAUSA sur l’analyse des pratiques existantes de scénarisation pédagogique et de mutualisation de scénarios a fait ressortir le besoin de voir explicités les intentions, les démarches pédagogiques et les contextes associés à la description des scénarios. Ce besoin d’explicitation entre en résonance avec un ensemble de théories en sciences humaines, telles que la théorie de l’activité qui intègre la composante intentionnelle dans la description de l’activité ou la théorie de l’action située qui insiste sur la dimension contextuelle de l’activité humaine ou encore l’analyse des dimensions routinières et schématiques qui sont le plus souvent implicites et sous-jacentes à l’activité de l’enseignant (Schank et Abelson, 1977), (Dessus et al., 2007).

Des travaux issus du génie logiciel s’intéressent également à l’explicitation des intentions comme point de départ à la spécification des systèmes d’information, tel que l’ingénierie des besoins orientée par les buts (Van Lamsweerde et al., 1995), (Yu, 1997). En particulier, le modèle MAP (Rolland et al., 1999) propose le concept de « carte » pour décrire un modèle de processus exprimé selon une perspective orientée par les buts. Un but définit ainsi une intention de réaliser un processus dans le cadre d’un métier. MAP ne se concentre pas uniquement sur l’expression des intentions (ou buts) mais également sur les différentes manières de les réaliser (les stratégies). Nous retrouvons ces concepts d’intention et de stratégie dans la formation des enseignants du secondaire et dans leur vocabulaire commun : « intention pédagogique », « stratégie d’apprentissage », « stratégie pédagogique ». Nous avons ainsi co-élaboré un modèle « métier » dirigé par les intentions de description de scénarios pédagogiques permettant la conception et la réutilisation de scénarios intégrant les TIC en nous appuyant notamment sur le modèle MAP. Notre proposition a pour originalité de mettre en avant l’explicitation des intentions et des stratégies de l’enseignant, et de s’adresser au public des enseignants-concepteurs du secondaire français, sans distinction de discipline, de niveau et d’approche pédagogique.

2.3. Méthodologie de la recherche

Notre approche, résolument pluridisciplinaire, s’est appuyée sur une collaboration étroite avec les praticiens de terrain. De façon pratique, notre démarche s’est organisée en six phases. Comme le montre le tableau 1, dont une description détaillée est disponible dans (Emin, 2010), cette collaboration s’est manifestée tant dans les phases exploratoires, dans les phases de construction des modèles et des outils (co-conception incrémentale) que dans les phases d’expérimentation impliquant des panels volontairement différents de praticiens (en termes d’origine disciplinaire, d’expertise en modélisation pédagogique, de connaissance de nos modèles).

Phase

Objectif

Utilisateurs impliqués

Nature de la participation

Phase 0 :
Etude exploratoire des usages et collecte des besoins

Caractériser les usages, les attentes et les besoins des enseignants en termes de scénarisation

Enseignants, formateurs et cadres de l’éducation

Journées d’études et de formation, enquête en ligne, brainstorming

Phase 1 :
Analyse du processus de scénarisation

Préciser le processus et les besoins de scénarisation exprimés par les enseignants

Petit groupe d’enseignants du secondaire issus de disciplines différentes

Journées d’études et de formation, brainstorming, questionnaires

Phase 2 :
Co-élaboration d’un modèle conceptuel de scénario ISiS
(Cf. §3.1 à 3.5)

Co-élaborer un modèle compatible avec les différentes démarches et stratégies

Petit groupe d’enseignants du secondaire issus de disciplines différentes

Séances de brainstorming

Phase 3 : Expérimentations du modèle ISiS
(Cf. § 3.6)

Etudier l’appropriation du modèle dans une communauté particulière

Communauté de pratique existante (5 enseignants)

Participation à la conception des outils, expérimentation

Phase 4 : Développement de l’environnement de conception ScenEdit
(Cf. § 4.1 à 4.3)

Développer un environnement graphique permettant la conception dans un usage régulier

Utilisateurs impliqués dans les phases 2 et 3

Validation des interfaces, du vocabulaire

Phase 5 : Expérimentation du modèle ISiS et de l’environnement de conception ScenEdit
(Cf. § 4.4)

Expérimenter le modèle ISiS et l’environnement de conception de scénarios pédagogiques

Communautés de pratique disciplinaire ou locale, formateurs en IUFM

Utilisation des outils en situation contrôlée par des enseignants non impliqués

Tableau 1 • Méthodologie de recherche et phases du projet CAUSA

Tout au long du projet, nous avons pris soin de valider nos résultats à l’aide des critères d’acceptabilité, d’utilité et d’utilisabilité des modèles (Baker, 2000) et des outils proposés (Tricot et al., 2003), (Baccino et al., 2005). Ce travail a ainsi été jalonné par différentes expérimentations prenant en compte l’utilisateur ciblé.

Nous nous concentrons dans cet article sur les phases de conception et d’expérimentation (les sections correspondantes sont indiquées en gras entre parenthèses dans le tableau 1) en commençant par introduire le modèle ISiS qui constitue l’ossature de nos autres propositions.

3. Le modèle ISiS

Comme nous l’avons évoqué plus haut, les phases préliminaires du projet CAUSA ont permis de déterminer que certains concepts, comme ceux « d’intention pédagogique », de « stratégie d’apprentissage », de « situation d’apprentissage » appartenaient au vocabulaire courant des enseignants du secondaire en France, notamment à travers la formation initiale ou continue qu’ils ont reçue dans les IUFM. Ces concepts clés organisent fréquemment l’activité de conception de l’enseignant alors que d’autres concepts, tels que ceux d’activités, d’activités composites, de conditions, de pièces, d’actes (termes utilisés par IMS-LD) semblent plus éloignés et imposent un "saut conceptuel" jugé inutile au moment de la conception initiale. Lors de la phase de co-conception avec les enseignants, nous avons donc progressivement mis au point le modèle conceptuel ISiS (Emin, 2009) ; (Pernin et al., 2008), en partant des constats précédents et en intégrant des apports de l’ingénierie des besoins dirigée par les intentions présentés au § 2.2.

Le modèle ISiS a pour objectifs de : (1) structurer la conception de l’orchestration d’une unité d’apprentissage exploitant les technologies numériques et (2) favoriser la réutilisation et les échanges de pratique entre enseignants-concepteurs. Selon notre définition, une unité d’apprentissage vise à assurer l’apprentissage, le renforcement, l’évaluation d’un ensemble déterminé de connaissances/compétences pour un public précis. Elle peut avoir des granularités diverses (module, séquence, séance, activité spécifique) et s’inscrire dans notre cas dans le cadre précis d’un programme (ou curriculum) défini par l’éducation nationale. Le concept d’orchestration réfère quant à lui à une phase de conception globale, d’esquisse générale, durant laquelle le concepteur doit agencer au sein d’un parcours d’apprentissage un ensemble de situations d’interaction, sans en préciser nécessairement les détails. Lors de la phase préliminaire, le terme d’orchestration a été choisi parce qu’il entrait en résonance avec les pratiques usuelles des enseignants amenés d’une part à planifier l’organisation des activités pédagogiques et d’autre part à adapter, piloter et réguler ces activités lors de leur déroulement.

Vis à vis des autres modèles existants à l’heure actuelle, l’originalité d’ISiS réside dans le fait que le concepteur doit (1) organiser l’orchestration d’une unité d’apprentissage à partir de la formulation d’un ensemble d’intentions didactiques et pédagogiques et (2) orienter et justifier ses choix en fonction des caractéristiques spécifiques du contexte dans lequel se situe l’unité d’apprentissage considérée. Nous distinguons ainsi d’une part le contexte de connaissances, qui structure les connaissances, compétences, capacités, attitudes, etc., mises en jeu au sein d’un référentiel, d’un programme ou d’un curriculum et d’autre part le contexte situationnel qui décrit les contraintes spécifiques dans lequel s’inscrit l’unité d’apprentissage (temporalité, localisation, effectifs, disponibilité des outils ou des ressources, etc.).

ISiS (cf. figure 1) propose une hiérarchie de niveaux de conception guidant la structuration d’un scénario associé à une unité d’apprentissage. L’organisation et le déroulement d’une unité d’apprentissage sont décrits à l’aide d’un scénario intentionnel (ou structurant) traduisant les dimensions intentionnelle (niveau I), stratégique (niveau S) et tactique (niveau iS). Chacun des niveaux de conception est lié de façon plus ou moins étroite à certains types d’éléments de contexte. Ainsi, les niveaux supérieurs (intentions, stratégies) s’appuient davantage sur le contexte de connaissances alors que les niveaux inférieurs (situations-type d’interaction) prennent plus en compte les éléments relatifs au contexte situationnel.

Figure 1 • Le modèle ISiS (Intentions, Strategies, interactional Situations)

La structuration du scénario intentionnel permet d’une part d’organiser la tâche du concepteur en lui permettant de justifier à tout moment ses choix de conception et d’autre part d’améliorer sensiblement la lisibilité et la compréhensibilité d’un scénario conçu par un autre concepteur. Ce dernier point avait été relevé par les enseignants associés à notre étude comme un frein essentiel à la diffusion des pratiques innovantes au sein de l’éducation nationale.

Dans la suite de cette section, nous présentons chacun des trois niveaux du modèle ISiS.

3.1. Le niveau I des intentions

Le niveau I, qui permet de décrire les intentions du concepteur, est étroitement lié au contexte de connaissances qui définit l’ensemble des connaissances, compétences, capacités, habiletés, attitudes, etc., liées à l’unité d’apprentissage. Une intention dans ISiS se présente sous la forme d’un quadruplet [formulateur, sujet, opération, objet] dans lequel:

- le formulateur représente la personne qui formule l’intention. S’il s’agit en général de l’enseignant concepteur, d’autres utilisateurs pouvant être concernés : le tuteur, l’apprenant, un groupe d’apprenants, etc. ;

- le sujet indique le(s) rôle(s) concerné(s) par l’intention formulée. Il s’agit le plus fréquemment d’un apprenant, d’un groupe, d’une classe, etc. ;

- l’opération représente l’action attendue de la part du sujet sur un objet. Elle s’exprime à l’aide des verbes tels que découvrir, renforcer, déstabiliser, etc., issus du vocabulaire métier et de taxonomies issues notamment des programmes officiels ;

- l’objet représente la cible de l’intention, dans notre cas un item d’apprentissage tel qu’un élément du référentiel de connaissances, une notion, une compétence disciplinaire ou transversale, une capacité, etc.

Exemple : l’enseignant (formulateur) formule l’intention que l’apprenant (sujet) découvre (opération) la notion de sens du courant électrique (objet) ; l’enseignant (formulateur) formule l’intention que le groupe d’apprenants (sujet) renforce (opération) la capacité à choisir le service de communication selon ses besoins (objet).

Il est à noter que ce formalisme a été dérivé de la grammaire d’expression des intentions de (Rolland, 2007) : Intention: Verb <Target> [<Parameter>]*. Dans notre proposition, l’élément « opération » correspond à l’élément Verb, « objet » représente l’élément Target tandis que « formulateur » et « sujet » représentent deux éléments de type Parameter.

3.2. Le niveau S des stratégies

Le niveau S représente le niveau stratégique. Pour atteindre les objectifs liés à la formulation d’une intention, le concepteur opte pour la stratégie qu’il estime la plus appropriée. Nos travaux avec les praticiens et l’analyse de la littérature nous ont conduits à retenir deux types d’organisation de stratégies : les stratégies de séquencement qui organisent temporellement un ensemble de phases logiques (par exemple les phases d’une démarche expérimentale) et les stratégies de distribution qui prévoient des solutions différentes pour des cas repérés (par exemple une stratégie de différenciation tenant compte de trois niveaux de maîtrise de l’apprenant). Les stratégies peuvent être combinées entre elles par raffinements successifs.

Exemple : pour répondre à l’intention « l’enseignant souhaite que l’apprenant découvre la notion de sens du courant », un enseignant choisit d’opter pour une stratégie de type séquentiel « démarche expérimentale », découpée en quatre phases : formulation d’un problème et élaboration d’une hypothèse, élaboration d’un protocole permettant de tester l’hypothèse, confrontation des résultats à l’hypothèse et bilan. On pourra, ensuite, associer à la seconde phase d’élaboration du protocole une nouvelle intention « l’enseignant souhaite que le groupe d’apprenants renforce la compétence de communication au sein du groupe », mise en œuvre grâce à une stratégie d’« élaboration collective d’une proposition ».

Dans sa première version, le modèle ISiS s’appuie sur deux types d’organisation de stratégies : séquencement et distribution. Ces types peuvent être rapprochés des formalismes utilisés par les langages de modélisation de tâches tels qu’UAN (Hartson et al., 1990), qui proposent d’organiser de façon arborescente les tâches et les sous-tâches attendues de la part d’un utilisateur. Afin de couvrir toute la gamme des possibilités d’organisation de la tâche, les opérateurs proposés par ces langages sont nombreux : séquence, alternative, optionalité, parallélisme, entrelacement, entrelacement bidirectionnel, itération, ordre libre, etc.. Les travaux avec les praticiens ont montré que certains de ces opérateurs pouvaient correspondre à des besoins effectifs, notamment pour la conception de scénarios collaboratifs, dans lesquels les activités ne sont pas toujours réalisées dans un ordre prédéterminé. Dans une seconde version du modèle ISiS actuellement en cours d’élaboration, l’enrichissement des types d’organisation de stratégies est étudié.

3.3. Le niveau iS des situations types d’interaction

Le niveau iS (situation-type d’interaction) représente le niveau tactique, la solution type proposée pour mettre en œuvre les intentions et les stratégies formulées. Ainsi, nous supposons que le concepteur de scénario se base sur un répertoire de situations-types d’interaction connues de lui ou éprouvées par d’autres (Schank et Abelson, 1977), (Dessus et al., 2007). Il choisit, et éventuellement, adapte les situations qu’il juge appropriées aux phases du scénario qu’il souhaite mettre en place.

Une situation-type d’interaction peut ainsi être définie comme une solution générique décrivant un ensemble d’interactions impliquant des rôles, des outils, des services, des ressources, des lieux dépendant du contexte situationnel. Ici les composants ne sont pas instanciés mais restent décrits de façon générale (ex : un apprenant, un forum, une simulation, une salle de cours, etc.).

Exemple : pour préciser une phase d’« élaboration collective d’une proposition », le concepteur peut choisir la situation-type « débat argumenté sur un forum avec consensus » ou « débat argumenté sur un forum avec vote à la majorité ».

Nous retrouvons ici la notion d’objet intermédiaire qui permet à un concepteur de décrire une solution sans entrer à un niveau de détail qui nuirait à l’efficacité des échanges (El-Kechai et Choquet, 2006).

3.4. Positionnement d’ISiS vis-à-vis des EML

Nous avons vu plus haut que le modèle ISiS vise la phase de conception globale, d’esquisse générale. En cela, il ne couvre pas les phases de conception détaillée et d’opérationnalisation pour lesquelles d’autres formalismes peuvent garder leur efficacité. Ainsi, la situation-type d’interaction décrite au niveau iS doit être détaillée pour pouvoir être opérationnalisée sur une plateforme LMS. C’est le rôle du scénario d’interaction de préciser les relations entre les activités, les acteurs, les rôles, les outils, les services, les ressources, les lieux qui seront concrètement mis en jeu lors de l’opérationnalisation. Nous distinguons ainsi ce deuxième niveau de scénarios d’interaction imbriqués dans le scénario intentionnel.

Un des principaux atouts des EML réside dans leurs capacités à exprimer de façon opérationnelle les scénarios (que ce soit dans une perspective centrée tâche comme IMS-LD, ou centrée interaction comme LDL). En revanche, les primitives de structuration qu’ils offrent (pièce, acte, partition pour IMS-LD – structure pour LDL) s’avèrent difficiles à manipuler par les enseignants-concepteurs. Nous proposons donc de combiner les deux approches : ISiS est utilisé pour exprimer les scénarios intentionnels dans un langage accessible au concepteur visé (tout en restant traduisible dans les primitives de structuration des EML), alors qu’un EML fournit un moyen d’instancier une situation-type définie par le concepteur vers une situation opérationnalisée sur une plateforme de type LMS. On peut ainsi prévoir d’utiliser des patrons de situations codés dans ces langages et disponibles dans certaines banques de scénarios (Lundgren-Cayrol et al., 2006), afin d’opérationnaliser la situation-type d’interaction. Ainsi, ISiS n’est pas une solution alternative aux EML, mais les complète en offrant des modèles, des méthodes et des outils de plus haut niveau aux enseignants-concepteurs non spécialistes en informatique. Ceux-ci doivent permettre au concepteur des entrées à des niveaux variés (stratégie, connaissance, compétence, activité, ressource), faciliter la conception par la mise à disposition de composants, et enfin permettre les raffinements successifs à l’intérieur d’un niveau.

3.5. Un exemple de scénario exprimé à l’aide du modèle ISiS

La figure 2 illustre un exemple de représentation graphique du scénario, proposée dans une des premières maquettes développées (Emin, 2008). L’exemple choisi, issu du scénario collaboratif LearnElec (Lejeune et al., 2007), concerne l’enseignement de l’électricité dans le secondaire et le concept de puissance d’une lampe.

Figure 2 • Exemple du scénario LearnElec

L’intention principale du scénario est de déstabiliser une conception erronée couramment rencontrée : « la proximité du générateur joue sur l’intensité ». Nous exprimons cette intention d’ordre didactique sous la forme : l’enseignant (formulateur) souhaite que l’élève (sujet) soit déstabilisé dans une conception erronée (opération) portant sur l’influence de la proximité du générateur sur l’intensité au sein d’un circuit électrique (objet).

Cette intention est mise en œuvre par une stratégie de « Démarche expérimentale » composée de quatre phases. Chaque phase peut être raffinée par une nouvelle intention permettant de mettre en œuvre une nouvelle stratégie. Dans notre exemple, une deuxième intention d’ordre pédagogique « Augmenter la capacité à réaliser un travail collaboratif » est introduite et appliquée à la phase « Élaboration d’une hypothèse ». Elle est mise en œuvre par la stratégie « Élaboration collective d’une proposition ». Cette nouvelle stratégie se décompose elle-même en deux sous-phases : « (Élaborer une) Proposition individuelle » et « Confronter (les) Propositions (et) Obtenir un consensus ». A chaque sous-phase peut être associée une situation d’interaction, illustrée par une image, une photo ou une vidéo. La première sous-phase « Proposition individuelle » est associée à une situation-type d’interaction « QCM justifié ». La deuxième phase « Confronter propositions - Obtenir un consensus » peut être instanciée selon le même processus. Enfin pendant ces deux phases, l’enseignant a une activité de tutorat du groupe, représentée par la situation-type d’interaction « Tutorat du groupe ».

Dans cet exemple, la phase « Élaboration d’une hypothèse » a été raffinée au moyen d’une nouvelle stratégie « Élaboration collective d’une proposition » prenant en compte une intention liée au travail collaboratif. L’enseignant aurait pu tout aussi bien spécifier une autre solution correspondant à ses préférences, en introduisant ou non une nouvelle stratégie. A chaque niveau du modèle où l’on se situe dans le scénario, on peut ainsi explorer des solutions différentes, sans en dénaturer la logique représentée par l’agencement des nœuds supérieurs.

3.6. Expérimentations du modèle

Les premières expérimentations ont eu pour objectif d’évaluer la façon dont les concepts proposés par ISiS étaient perçus et utilisés par plusieurs échantillons d’enseignants-concepteurs, impliqués ou non dans la conception du modèle.

Ces expérimentations se sont progressivement effectuées sur la base de logiciels d’édition d’usage courant : traitement de texte, éditeur de carte conceptuelle, générateur de diagrammes. Après avoir co-élaboré des formulaires papier permettant d’exprimer les différentes dimensions du scénario (contexte de connaissance, contexte situationnel, intentions, stratégies, situations types d’interaction, etc.), nous les avons proposés sous format numérique afin d’en automatiser la saisie manuelle par les concepteurs. Dans une seconde étape, nous avons adapté un outil existant de carte conceptuelle, afin d’introduire une vision plus conforme à l’organisation arborescente du modèle ISiS. Dans cette version adaptée, les nœuds représentent les différents types de concepts du modèle : le scénario, les intentions, les stratégies, les phases, les cas et les situations types d’interaction, chaque nœud pouvant être édité avec un formulaire spécifique. Ce formalisme a été par la suite enrichi par un groupe d’enseignants à l’aide d’un outil générateur de diagrammes. Ces outils ont été dans un premier temps expérimentés avec les enseignants ayant participé à l’élaboration du modèle (Pernin et al., 2009).

Dans un second temps, une expérimentation a été menée auprès d’un groupe de cinq enseignants de disciplines technologiques d’un lycée de l’académie de Nantes, non impliqués dans l’étape initiale et ayant bénéficié d’une formation de 3 heures à notre méthodologie. Chaque enseignant-concepteur disposait d’un mois pour modéliser, sans intervention complémentaire de notre part, une séquence pédagogique qu’il souhaitait mettre en œuvre dans sa classe durant l’année scolaire. A l’issue de ce mois, le travail de chacun a été évalué et les enseignants ont été interrogés sur leur activité de conception au moyen d’une enquête auto-administrée, complétée par des entretiens. Les résultats de cette expérimentation sont présentés ci-dessous.

Tous les enseignants ont accompli la tâche demandée dans le délai prescrit, la durée des séquences produites variant de deux à six heures (Emin, 2010, annexe 7). Il est à noter qu’un des enseignants, aux compétences techniques plus poussées, a complété de façon spontanée la tâche proposée en opérationnalisant son scénario sur la plateforme du lycée. Pour ce faire, il a (1) décrit son scénario à l’aide du modèle ISiS, (2) codé le scénario conçu avec un éditeur spécifique (LAMS), (3) implémenté le résultat automatiquement vers Moodle, puis (4) testé le scénario avec ses élèves.

Les points suivants ont pu être dégagés des questionnaires et des témoignages des enseignants-concepteurs. Au début de la phase de conception, la formalisation des intentions et des stratégies associées aux séquences à mettre en place a été jugée difficile : dans le contexte professionnel, ce type de tâche reste le plus souvent implicite. Cependant, après une phase d’échange au sein du groupe, chaque enseignant a été capable de modéliser la séquence souhaitée, puis a jugé positivement cette explicitation. Deux avantages sont mis en avant : la détection d’incohérences dans les pratiques existantes et une plus grande facilité à comprendre un scénario créé par un pair. La nécessité de définir un scénario en termes de « situation-type d’interaction » a également conduit certains enseignants à réfléchir à des situations innovantes, en proposant par exemple des supports numériques mobiles dans leurs activités (balado-diffusion). La mise en œuvre sur un LMS effectuée spontanément par l’un des enseignants a été jugée par cet enseignant comme plus facile à effectuer après avoir conçu le scénario avec le modèle ISIS.

A l’issue de l’expérimentation, les enseignants ont exprimé le besoin de disposer de composants réutilisables visant à réduire le temps de conception et à susciter un renouvellement des pratiques en explorant des solutions élaborées par d’autres. L’utilisation des outils fournis a été jugée trop coûteuse en temps pour être intégrée dans un usage régulier, la suggestion principale étant la mise à disposition d’outils graphiques adaptés pouvant alléger significativement la tâche de conception.

Cette expérimentation a démontré, pour le groupe d’enseignants considéré, les capacités du modèle ISiS à renforcer la qualité des scénarios créés, à améliorer la meilleure compréhension des scénarios créés par d’autres, à susciter dans une certaine mesure l’innovation. Elle a également mis en avant l’importance de l’explicitation des intentions et des stratégies pour la réutilisation, le partage et l’explicitation de pratiques au sein d’un groupe constitué d’enseignants. Elle a enfin montré, certes à une échelle très restreinte, que notre démarche pouvait simplifier le processus de conception, en réduisant la distance entre les besoins d’un enseignant et le système effectivement mis en œuvre.

Dans la section suivante, nous montrons comment les suggestions des enseignants ont été prises en compte dans l’élaboration de la première version d’un outil visuel permettant la mise en œuvre du modèle ISiS : l’environnement ScenEdit.

4. Implémentation du modèle ISiS : ScenEdit

Des langages et outils « visuels » (Botturi et al., 2006), (Koper, 2006) pour le design pédagogique ont été développés mais restent encore difficiles d’accès pour un utilisateur non-informaticien. (Botturi et Stubbs, 2008) dans un ouvrage consacré à ces langages et outils, indiquent qu’une métaphore visuelle de plus haut niveau pourrait aider à leur accessibilité. Des environnements de conceptions spécifiques doivent être fournis pour permettre aux praticiens de concevoir des scénarios prenant en compte leurs propres vocabulaires et concepts métiers.

L’environnement auteur ScenEdit (Emin, 2008) ; (Emin et al., 2010), qui s’inscrit dans cette approche, a été développé au sein du Laboratoire Informatique de Grenoble en collaboration avec l’Institut National de Recherche Pédagogique et avec le soutien du PPF ApprenTICE. ScenEdit est un environnement graphique de conception et d’édition de scénarios pédagogiques constituant une première implémentation du modèle ISiS.

ScenEdit s’adresse aux enseignants et formateurs de niveau secondaire, et s’appuie sur un ensemble identifié d’étapes dans le processus d’élaboration de scénarios pédagogiques (Emin et al., 2007). L’objectif est de permettre au concepteur de mettre en place un processus souple de conception. Il s’agit de permettre des entrées à des niveaux variés (stratégie, connaissance, compétence, activité, ressource), de faciliter la conception par la mise à disposition de composants, et enfin de permettre les raffinements successifs à l’intérieur d’un même niveau. Le développement de l’environnement s’est effectué en parallèle à la formalisation, avec les enseignants, de composants de niveau stratégie et situation-type issus à la fois de la littérature et de leurs pratiques.

ScenEdit fournit au concepteur différents espaces de travail, où il peut spécifier indépendamment les composants (intentions, stratégies, situations-types) qu’il organise, ensuite, visuellement, dans un espace représentant le scénario intentionnel. L’environnement permet de sauvegarder les composants et les scénarios créés, afin de les réutiliser plus tard dans d’autres contextes, et de constituer progressivement une bibliothèque de composants réutilisables.

Dans la suite de cette section, nous présentons les besoins exprimés par les différents groupes d’enseignants-concepteurs. Nous soulignons l’importance de proposer des processus de conception flexibles s’appuyant sur la mise à disposition de composants, de gabarits et de patrons de conception réutilisables. L’outil ScenEdit est ensuite présenté de façon détaillée sur un cas d’usage au paragraphe 4.2. Enfin nous terminons par les résultats de l’expérimentation du modèle et de l’outil auprès d’enseignants novices.

4.1. Spécification de l’environnement

4.1.1. Recueil des besoins pour un éditeur de scénarios

Les travaux en focus group effectués avec les enseignants associés lors de la phase 1 du projet CAUSA (cf. § 2.3) ont débouché sur des propositions successives d’outils d’édition. Il s’agissait en adoptant une démarche de prototypage incrémental, d’affiner le modèle de tâches proposé pour la conception d’un scénario pédagogique et de préciser les besoins en termes de réutilisation des composants (patrons de stratégies et situations-type). A l’issue de la phase 1, l’ensemble des besoins identifiés auprès des enseignants-concepteurs à été synthétisé. Idéalement, l’environnement d’édition devait permettre à un enseignant concepteur de :

- préciser l’approche pédagogique dans laquelle il s’inscrit ;

- déterminer les référentiels disciplinaires ou transversaux auxquels il se rattache ;

- définir les contraintes didactiques, situationnelles, organisationnelles ou techniques associées aux contextes de mise en œuvre qui l’intéressent ;

- explorer un ensemble de démarches types compatibles avec l’approche pédagogique retenue et/ou les référentiels sélectionnés ;

- explorer de façon souple des scénarios de mise en œuvre basés sur la démarche type retenue, répondant à l’ensemble ou à une partie des contraintes définies.

Au terme de la tâche d’édition, l’enseignant-concepteur doit disposer d’une description suffisamment formalisée des scénarios pour les rendre adaptables, tout en assurant leur capacité à être opérationnalisés à moindre coût, vers des plateformes de formation.

4.1.2. Vers des processus de conception flexibles

Le cadre conceptuel ISiS ne constitue pas en lui-même une méthode. Il ne propose pas d’ordre pour enchaîner les phases de conception, mais s’appuie sur l’hypothèse que toutes les dimensions d’un scénario (intentions, stratégies, situations-type, activités, ressources) doivent être explicitées et mises en relation, afin de rendre plus aisées sa conception, son appropriation, son adaptation ou sa réutilisation. Ainsi, plusieurs processus de conception peuvent être envisagés, comme l’indiquent les résultats des travaux en focus group menés avec les enseignants associés (Emin, 2010, § 7.3). Certains concepteurs peuvent privilégier une approche descendante en commençant par définir leurs intentions, leurs stratégies puis les situations types, alors que d’autres adoptent une approche ascendante en « reconstruisant » un scénario à partir des situations types et/ou des ressources numériques qu’ils souhaitent intégrer dans un dispositif de formation. Une de nos hypothèses est qu’alors l’activité de scénarisation ne peut être modélisée sous la forme d’un processus linéaire, sous peine de réduire significativement la créativité du concepteur. Selon le type de concepteur, selon les usages à l’intérieur d’une communauté de pratique donnée, différents types d’objets ou de méthodes peuvent être partagés. Ainsi, les ressources, les démarches pédagogiques ou didactiques, les situations types peuvent constituer un point d’entrée à partir duquel les étapes de conception peuvent être combinées. A partir de ce point d’entrée (par exemple les situations types d’interactions), le concepteur peut alternativement et itérativement réaliser ses tâches de conception. La prise en compte des différents types de contexte (contexte de connaissance ou contexte situationnel) est différente selon le niveau du modèle ISiS où l’on se situe.

4.1.3. Composants, gabarits et patrons de conception

Différents mécanismes peuvent être proposés pour assister l’enseignant dans sa tâche de conception, notamment la mise à disposition de composants, de gabarits et de patrons de conception. Il est ainsi possible de définir des éléments réutilisables, tels que des scénarios types, des gabarits de démarches types (les démarches d’investigation en sciences par exemple (Emin et al., 2007)), des enchaînements récurrents d’étapes correspondant à des stratégies pédagogiques (par exemple « réaliser un travail collaboratif ») ou encore des gabarits de situations-types (e.g. : QCM justifié, débat argumenté, recherche d’informations). Une part importante de notre travail a consisté, en collaboration avec plusieurs groupes d’enseignants, à formaliser ce type d’éléments réutilisables en s’appuyant sur la littérature (Paquette, 2002), (Villiot-Leclercq, 2007), (Tecfa SEED 2011), (Derntl et Motschnig-Pitrik, 2005), (Hernandez-Leo et al., 2005), (Mor et Winters, 2007) et sur des bibliothèques existantes ou des pratiques de terrain. L’aide à la conception de gabarits et composants se poursuit actuellement avec de nouveaux groupes d’enseignants, afin de disposer d’un nombre significatif de composants réutilisables. Ces composants conçus par et pour les enseignants sont progressivement intégrés à l’environnement de conception ScenEdit.

4.2. Architecture

L’implémentation du modèle ISiS au sein d’un environnement de conception s’est faite en plusieurs étapes. Nous avons dans un premier temps étudié la faisabilité de développer notre outil avec l’environnement EMF-GMF. La faiblesse des composants graphiques disponibles à l’époque (2007-2008), permettant de représenter sous forme visuelle le scénario pédagogique nous a conduits à opter pour le développement d’un langage spécifique (DSL) ad hoc. Les progrès actuels des environnements précités pourraient nous inciter à reconsidérer leur utilisation pour de futurs développements.

Une première version de maquette « standalone » développée en Java de ScenEdit (Emin, 2008) a permis d’explorer des solutions de visualisation plus efficaces que celles offertes par les outils testés avec les praticiens (logiciel de carte conceptuelle et logiciel de diagrammes) dans la phase 3 (cf § 2.3). Dans cette version, la représentation graphique du scénario reprend celle des maquettes papier, sous la forme d’un arbre, où la dimension horizontale représente l’évolution du temps, et la dimension verticale la hiérarchie des niveaux ISiS (Intentions, Stratégies, Situations-type d’interaction) telle qu’elle présentée sur la figure 2 pour le Scénario LearnElec. Afin de permettre une expérimentation du modèle dans un contexte réel de communautés d’enseignants, nous avons choisi de développer une deuxième version web pour permettre le partage et la réutilisation de scénarios et de composants disponibles sur un serveur en ligne. C’est cette version qui est présentée dans cette section.

4.2.1. Architecture fonctionnelle de l’environnement ScenEdit

L’architecture fonctionnelle de l’environnement ScenEdit repose sur la structure modulaire suivante :

- (1) le module d’édition des contextes permet à un individu ou à une communauté de définir le contexte de connaissances (programme, référentiel) et le contexte situationnel (type de salle, matériels, ressources, etc.) dans lesquels s’insère le scénario ;

- (2) le module d’édition du scénario permet de définir graphiquement, sous forme d’une représentation arborescente (cf. figure 3), l’organisation du scénario en précisant les intentions et les stratégies qu’il utilise et en y associant des situations-types d’interaction ;

- (3) le module d’édition des composants permet de définir les éléments (intention, stratégie, situation-type d’interaction) utilisables dans le scénario et capitalisables en vue d’une réutilisation ultérieure ;

- (4) des banques de composants permettent de capitaliser les ressources déjà conçues ou des gabarits à partir desquels peuvent être dérivés de nouveaux composants.

La version web de ScenEdit repose sur une architecture client-serveur. Le noyau fonctionnel a été développé en PHP et en javascript, l’interface générale de l’éditeur est réalisée à base d’une architecture de frames. L’interface d’édition du scénario intentionnel repose sur un composant graphique permettant de gérer une arborescence. Les éditeurs de composants sont basés sur des formulaires visuels. L’ensemble des actions réalisées, via les différentes interfaces sur les composants, modifient directement les éléments stockés dans la base de données MySQL. Celle-ci permet de constituer progressivement une banque d’éléments réutilisables par des communautés d’enseignants. La base de données permet également de stocker les traces des activités des utilisateurs avec l’éditeur, afin de pouvoir analyser l’activité des concepteurs. Elle permet enfin d’exporter les scénarios créés au format XML, dans un format textuel (html et pdf) décrivant le scénario sous forme dérivée de la structure XML au moyen de feuilles de style XSL. Un export sous forme d’image SVG et d’image animée est envisagé pour la prochaine version.

ScenEdit fournit au concepteur différents espaces de travail où il peut spécifier les composants (intentions, stratégies, situations-types d’interaction) qu’il organise ensuite visuellement dans un espace d’édition représentant visuellement le scénario. La figure 3 montre l’espace d’édition qui permet la visualisation et l’édition d’un scénario pédagogique, on y retrouve représenté graphiquement les concepts du modèle ISiS.

Figure 3 • Écran principal de l’environnement ScenEdit

4.2.2. Organisation des étapes de conception

Dans ScenEdit, l’ordre des étapes de conception n’est pas imposé de façon stricte au concepteur. L’étape de définition des contextes (où l’on distingue contexte de connaissance et contexte situationnel) permet de fixer les conditions dans lesquelles doit se dérouler l’unité d’apprentissage. L’étape de définition des intentions et de choix de démarches-type permet de définir les objectifs en termes d’appropriation des connaissances, les stratégies à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs ou encore les stratégies pédagogiques favorisant un certain type d’apprentissage. L’étape d’exploration et de création de situations-types d’interaction a pour but de préciser les situations compatibles avec les contraintes liées au contexte : la définition des rôles, des ressources, des lieux ainsi que la description générale de la situation-type.

Le scénario « mini-projet option seconde SI » (cf. figure 3) concerne la démarche de conception par le projet en option seconde Sciences de l’Ingénieur. L’écran est composé de plusieurs onglets permettant de construire le scénario pédagogique. Dans le menu Édition de l’onglet Scénario (cf. figure 3), l’utilisateur peut concevoir graphiquement son scénario sous la forme d’un arbre reprenant les différents niveaux hiérarchiques du modèle ISiS. Les cases à cocher (Intentions, Stratégies, Situations) permettent de visualiser les niveaux désirés. Chaque composant (Intentions, Stratégies, Situations) du scénario peut être soit créé par ajout à partir de l’élément parent, soit importé suite à sa création antérieure dans l’onglet Composants ISiS ou à sa présence dans la banque. Chaque type de composant est représenté avec un symbole différent : un triangle pour un groupe d’intentions correspondant à une étape, un rectangle arrondi pour une intention, un rectangle pour une stratégie, un cercle pour une phase, un losange pour un cas et un clap de cinéma pour une situation-type d’interaction. La case à cocher Montrer les illustrations permet d’illustrer les situations d’interaction au moyen de dessins ou de photographies. Nous allons présenter l’environnement ScenEdit à partir d’un cas d’usage conçu d’après une situation réelle d’un des groupes d’enseignants associés expérimentée en 2010.

4.3. Cas d’usage de conception d’un scénario

4.3.1. Contexte

L’option Sciences de l’Ingénieur au niveau seconde est rénovée à partir de la rentrée 2010. L’équipe enseignante de l’option Sciences de l’Ingénieur du lycée général et technologique Jean Lefèvre, constituée de 4 enseignants et concernant 120 élèves répartis en 4 classes, souhaite mutualiser un ensemble de méthodes, d’objets et de savoir-faire afin de pouvoir proposer un enseignement en accord avec ce nouveau programme. Pour chaque classe, cette option représente 1,5 heure par semaine, généralement effectuée en salle de TP spécialisée (salle informatique au minimum avec des logiciels spécifiques de nature disciplinaire -par exemple un logiciel de simulation- ou non disciplinaire -par exemple, un tableur ou un traitement de texte-). Certaines tâches peuvent être poursuivies par les élèves en dehors de la classe, en particulier à la maison, grâce à l’Espace Numérique de Travail proposé par le lycée permettant aux élèves de communiquer, d’échanger (forum, courrier électronique, etc.) ou de manipuler l’information (recherche d’information, dépôt ou consultation de documents, etc.). De façon plus précise, les quatre enseignants auront chacun à assurer au cours de l’année avec leurs élèves, deux études de cas reposant sur des études de produits et de systèmes techniques pertinents relevant de dix thématiques définies d’après les textes officiels. Les enseignants ont décidé de se répartir le travail afin que chacun soit en charge de la conception d’une seule étude de cas correspondant à une des thématiques. Ils vont ainsi retenir 4 thématiques et 4 objets techniques pour cette première année de mise en œuvre. Ainsi chacun pourra réutiliser un des modules conçus par les autres afin de le mettre en œuvre dans sa propre classe, tout en disposant d’un certain degré d’initiative pour en adapter le contenu ou le déroulement. L’objectif général consiste donc à (1) assurer une qualité et une homogénéité des apprentissages, (2) à réduire les efforts de conception et de production fournis par chaque enseignant et (3) à souder l’équipe autour d’un projet commun de partage et de mutualisation.

L’équipe enseignante a décidé de promouvoir une démarche de pédagogie de projet afin de développer l’aptitude des élèves à travailler en groupe. L’environnement de conception de scénarios pédagogiques ScenEdit est utilisé de façon expérimentale par l’équipe enseignante du lycée depuis janvier 2009. Cet environnement a permis d’alimenter la banque de données avec un ensemble de composants pouvant être réutilisés. Franck, enseignant depuis 6 ans au lycée Jean Lefèvre, sera en charge, avec 3 autres de ses collègues, de cette nouvelle option Sciences de l’Ingénieur en seconde. Franck est désigné par l’équipe pour utiliser le logiciel ScenEdit qu’il maîtrise et concevoir le scénario-type de mini-projet en seconde SI, compatible avec le nouveau programme. Ce scénario "générique" lui permettra ainsi qu’à ses collègues de produire plus rapidement les scénarios correspondants aux nouveaux systèmes et thèmes à étudier.

4.3.2. Étapes de conception du scénario

Les différentes étapes de conception de scénario à l’aide de ScenEdit sont résumées ci-dessous. Dans notre cas, Franck devra successivement :

- définir son contexte de connaissance préféré ;

- définir ses contextes situationnels préférés ;

- explorer les stratégies proposées dans une banque, et sélectionner celle qui convient ;

- définir deux situations d’interaction, la première sélectionnée dans une banque de composants et la seconde créée à l’aide d’une interface visuelle ;

- créer une étape ;

- associer à cette étape les intentions qu’il vise ;

- lier la stratégie retenue aux intentions définies ;

- associer les situations d’interaction définies à une des phases de la stratégie.

Il faut repréciser que cet enchaînement, dont chaque étape est détaillée ci-après, n’est qu’un cas d’usage parmi d’autres possibles (cf §2.2).

Pour créer un scénario, Franck saisit l’URL d’accès au logiciel en ligne ScenEdit. Après identification, il lui est proposé d’ouvrir un scénario existant ou d’en créer un nouveau. Il choisit de créer un nouveau scénario nommé Mini-projet Seconde SI. Il se retrouve alors face à un écran lui proposant (cf. figure 3) :

- un espace vierge d’orchestration (onglet Scénario/Edition)

- un espace de gestion de ses contextes préférés (onglet Contexte)

- un espace de gestion des composants ISiS (onglet Composants ISiS)

4.3.3. Ajout du contexte de connaissances préféré

Franck souhaite ajouter le contexte de connaissances créé avec ses collègues parmi ses contextes préférés. Dans la page Choix des contextes de connaissances préférés de l’utilisateur courant, le logiciel lui propose une liste de contextes classée par discipline. Franck choisit « Sciences de l’ingénieur - Seconde 2010 » et peut voir s’afficher une liste d’éléments de connaissance regroupés par type (compétence, capacité, attitude, savoir...) et par thème, correspondant au nouveau programme d’option SI.

4.3.4. Ajout du contexte situationnel préféré

Franck souhaite vérifier ses contextes situationnels préférés. Le contexte situationnel permet de définir les éléments composant les situations-type d’interaction : acteurs, outils, ressources, lieux. Dans la page Choix des contextes situationnels préférés de l’utilisateur courant, le logiciel propose une liste de contextes classée par nom, ainsi que celui du scénario courant. Franck vérifie que les contextes « Enseignement technologiques » et « Laboratoire SI » sont bien présents dans sa liste de contextes préférés.

4.3.5. Définition de la stratégie

Franck ayant déjà travaillé avec ScenEdit, il souhaite préparer les éléments qui pourront lui être utiles (stratégies, situations-type d’interaction) pour ce scénario-type dans l’espace Composants ISiS. Franck souhaite ainsi réutiliser la stratégie « Démarche de mini-projet SI » proposée dans la banque de composants ScenEdit. Pour ce faire, il explore le contenu de la banque, sélectionne la stratégie retenue : « Démarche de mini-projet SI » et l’importe sans modification dans son projet. La stratégie « Démarche de mini-projet SI », de type séquencement de phases, est constituée de cinq phases : « Élaboration du cahier des charges », « Élaboration des solutions », « Évaluation des solutions », « Choix d’une solution pour le groupe », « Réalisation de la solution retenue ».

4.3.6. Création des situations-types d’interaction

Un certain nombre de situations-types sont disponibles dans la banque, Franck veut d’abord les visualiser pour identifier celles qu’il devra ajouter. Il sélectionne dans la liste des situations-types, la situation « Rédaction d’un cahier des charges » et l’intègre sans modification car elle correspond à ses besoins. Avant de rédiger le cahier des charges en groupe, il souhaite que chaque élève relève les informations nécessaires dans un document qu’il fournit aux élèves : la lettre d’un client fictif. Il décide alors de créer la situation « Analyse d’un document permettant d’extraire des besoins ». Une fois l’intitulé et la description renseignés, Franck doit remplir plusieurs zones précisant la situation-type d’interaction comme le montre la figure 4.

Figure 4 • Situation-type d’interaction : « Analyse d’un document ... »

Les rôles en entrée et en sortie sont spécifiés dans les zones Qui ? (ici « élève ») et Pour qui ? (ici « groupe de 3-4 »). Les ressources fournies (ici « document texte », qui peut être une lettre d’un client, un extrait de catalogue d’un concurrent, etc.) et les ressource produites (ici « synthèse ») sont spécifiées dans les zones correspondantes. Le type d’outil numérique ou non (logiciel, service, matériel) utilisé pour réaliser l’activité est spécifié dans la zone Outils, ici il s’agit d’un « traitement de texte ». Enfin le type de lieu où se déroule l’activité est spécifié dans la zone Lieux, ici il s’agit de la « salle informatique ». La figure 4 présente l’écran résultant de la saisie de cette situation-type d’interaction.

4.3.7. Ajout d’une étape

Franck souhaite maintenant construire son scénario en mode graphique, il revient sous l’onglet Scénario / Edition de la figure 3. Il se trouve face à un espace vide avec un seul nœud présent : le nœud scénario. Il commence par ajouter une étape à son scénario. Après la création de l’étape, les nœuds Intentions et Stratégie sont automatiquement créés (cf figure 5) ; ils permettront d’exprimer les intentions poursuivies dans le scénario et la stratégie associée.

Figure 5 • Création d’une étape

4.3.8. Définition des intentions

Franck, qui souhaite proposer un scénario générique à ses collègues, ne veut pas spécifier d’intentions trop spécifiques. Il s’attache donc à exprimer uniquement les intentions liées au travail collaboratif et à la démarche de projet.

Dans le formulaire de saisie des intentions, Franck précise le domaine travaillé (autonomie) et le contexte de connaissances (Sciences de l’ingénieur - Seconde 2010). Il peut ensuite exprimer son intention sous la forme d’un quadruplet <Formulateur, Acteur concerné, Opération, Élément de connaissance>. Il précise la nature du Formulateur (enseignant) et de l’Acteur concerné (Apprenant). Il choisit ensuite dans la liste Opération « participer ». Enfin, il précise dans la liste des Éléments de connaissance, l’élément « Concevoir un projet individuel ou collectif ». L’intention peut se lire ainsi : l’enseignant souhaite que l’apprenant participe à Concevoir un projet individuel ou collectif. De la même manière Franck ajoute l’intention « Rendre compte de son travail par écrit et oralement». Deux intentions sont maintenant présentes dans la fenêtre d’édition (cf. figure 6).

Figure 6 • Groupe d’intentions associé à la première étape

4.3.9. Ajout d’une stratégie

Franck souhaite associer à ces deux intentions la stratégie « Démarche de mini-projet SI ». Il sélectionne la stratégie « Démarche de mini-projet SI » dans la liste proposée par la banque de composants. Maintenant qu’il a construit son ossature de scénario, il va associer les situations-types d’interaction aux phases correspondantes de la stratégie qu’il a choisie (cf. figure 7).

Figure 7 • Ossature du scénario Mini-projet Seconde SI

4.3.10. Ajout des situations-types d’interaction au scénario

Franck souhaite associer à la phase « Élaboration du cahier des charges » de la stratégie « Démarche de mini-projet SI », les situations-type d’interaction qu’il vient de créer, il va donc utiliser la fonction d’import (Importer). Il sélectionne d’abord la situation-type d’interaction « Analyse d’un document permettant d’extraire des contraintes techniques » dans la liste et l’enregistre. Ensuite, il sélectionne la situation d’interaction « Rédaction d’un cahier des charges » et l’importe. La figure 3 présente le scénario ainsi construit. Maintenant que Franck est rodé il va terminer la conception de son scénario en créant toutes les situations-types d’interaction encore nécessaires. Ensuite il pourra présenter à ses collègues son scénario, effectuer les modifications nécessaires et chacun pourra le dupliquer pour le personnaliser, l’adapter à l’étude de cas qu’il doit concevoir.

4.4. Expérimentations de l’environnement

Le logiciel ScenEdit a fait l’objet de plusieurs expérimentations auprès d’enseignants du secondaire de disciplines variées (Mathématiques, STI, Histoire-Géographie, Langues vivantes) à différents stades de sa conception. Ces expérimentations visaient à valider la formalisation du scénario et les représentations visuelles proposées (vision arborescente et vision temporelle). Elles avaient également pour objectifs d’enrichir le système avec des gabarits, des patrons et des composants réutilisables permettant de nouvelles pratiques de partage et de réutilisation.

Suite à ces phases de co-conception, nous avons mis en place une expérimentation contrôlée de la version web de l’environnement ScenEdit en avril 2009 auprès de trois enseignants de lycée en Sciences et Techniques Industrielles qui découvraient le modèle et l’outil à cette occasion. Le but de cette expérimentation visait essentiellement à mettre à l’épreuve le modèle ISiS et ses concepts ainsi que l’environnement ScenEdit et la représentation arborescente du scénario. Les objectifs étaient d’observer si des participants inexpérimentés sur la question des scénarios pouvaient d’une part se montrer capables d’utiliser le modèle et l’outil, d’autre part en percevoir l’utilité dans leurs pratiques professionnelles. Les trois enseignants « novices » ont testé l’outil ScenEdit pendant deux journées en avril 2009. Les participants ont d’abord réalisé une activité de découverte et d’appropriation d’un scénario exemple réalisé par des collègues « experts » de leur discipline. Ils ont ensuite été invités à remplir un premier questionnaire, puis ils ont réalisé une activité de conception d’un scénario propre à leur discipline (Electronique, Physique appliquée et Construction métallique) à la suite de laquelle ils ont été invités à remplir un deuxième questionnaire. Une semaine après l’expérimentation, ces activités ont été suivies d’entretiens semi-directifs réalisés par téléphone. L’enregistrement des actions sur le logiciel (logs) a également été recueilli. Nous avons ainsi recueilli, auprès d’un public « ordinaire », d’une part des données sur l’utilisabilité du modèle et de l’environnement dont les résultats ont donné des pistes pour les améliorer, d’autre part des données sur leur utilité c’est-à-dire sur les chances que des usages réguliers se développent autour des outils proposés.

Nous avions fait le choix de former rapidement (présentation d’une heure par vidéo-conférence) au modèle ISiS les sujets avant de lancer l’expérimentation de l’outil mais les résultats de l’expérimentation montrent qu’il faut plus de temps pour acquérir une réelle maîtrise des concepts. En effet, les principales difficultés identifiées concernent le vocabulaire utilisé. Si la prise en main de l’interface ne demande pas d’effort particulier, l’utilisation des concepts d’intention, de stratégie et de situation-type d’interaction, demande une réflexion en amont de la conception avec l’outil. En revanche la compréhension d’un scénario présenté avec ScenEdit et les concepts d’ISiS semble facilitée vis-à-vis d’un texte descriptif. Les résultats de cette expérimentation sont encourageants et nous ont permis d’affiner les spécifications et de consolider le produit.

5. Conclusion et perspectives

Dans cet article, nous avons présenté le modèle ISiS, un modèle « métier » dirigé par les intentions de conception de scénarios pédagogiques co-élaboré avec des enseignants-concepteurs. Son objectif est d’assister les enseignants dans la conception et l’exploitation de scénarios pédagogiques ainsi que de favoriser les pratiques de partage et de réutilisation des scénarios ainsi produits. ISiS propose un formalisme structurant permettant de décrire l’organisation et le déroulement d’une unité d’apprentissage à l’aide d’un scénario intentionnel. Celui-ci consiste en des regroupements d’intentions enchaînés de manière séquentielle, chaque groupe d’intention étant mis en œuvre à l’aide d’une unique stratégie, elle même composée de phases ou de cas, chaque phase ou cas étant soit associé à une ou plusieurs situations-types d’interaction, soit faisant l’objet d’un raffinement en termes d’intention et de stratégie. Afin de pouvoir opérationnaliser le scénario, chaque situation-type d’interaction doit être instanciée au moyen d’un scénario d’interaction qui précisera les relations entre les activités, les acteurs, les rôles, les outils, les services, les ressources, le planning, les lieux. Ce scénario d’interaction peut être décrit au moyen d’EML comme IMS-LD et LDL. Nos expérimentations ont montré l’importance de l’explicitation des intentions et stratégies pour la réutilisation de scénarios. Elles ont dégagé les bénéfices du modèle ISiS pour (1) améliorer la qualité des scénarios créés et (2) mieux comprendre les scénarios créés par les autres.

ScenEdit est un environnement de conception basé sur le modèle ISiS. Il a fait l’objet de plusieurs versions successives, visant à mettre en œuvre des solutions différentes en termes d’interface graphique et de partage de ressources, au sein de communautés enseignantes. ScenEdit a fait l’objet d’expérimentations auprès de praticiens de disciplines variées. Ces expérimentations visaient essentiellement à valider la représentation visuelle du scénario que nous proposons, et à enrichir le système avec des gabarits, des patrons et des composants réutilisables, qui puissent permettre de nouvelles pratiques de partage et de réutilisation de scénarios. Les patrons de conception permettent d’assister le concepteur (Villiot-Leclercq, 2007), (Dufresne et al., 2003) dans sa tâche d’articulation entre les différents niveaux, en proposant des associations entre les intentions et les stratégies de mises en œuvre, et entre les stratégies et les situations-types d’interaction. L’aide à la conception de patrons se poursuit avec de nouveaux groupes d’enseignants volontaires, afin de disposer d’un nombre significatif de composants réutilisables, et de continuer de mettre à l’épreuve cet environnement. A terme nous souhaitons aller vers une simplification de l’utilisation de ScenEdit pour en faciliter l’appropriation (aide en ligne, tutoriel) et la diffusion potentielle auprès d’un public élargi.. Nous souhaitons également proposer plusieurs représentations visuelles du scénario prenant notamment davantage en compte l’aspect temporel comme dans la première maquette de ScenEdit (Emin, 2008). Il existe également une demande forte consistant à coupler ScenEdit avec un outil de gestion de contenus pour générer les fiches enseignant et les fiches élèves. Nous envisageons l’utilisation de l’environnement Scenari7 pour cet objectif, notamment au travers d’un « template ScenEdit ». L’extension de ce travail à travers notamment la mise en place d’un outil de gestion de la banque de scénarios en ligne dotée d’outils de mutualisation, d’indexation, d’import/export d’éléments du scénario et d’annotation des scénarios permettrait une meilleure mutualisation et diffusion des scénarios produits. Ces outils permettraient de réunir une plus large communauté autour du modèle et des outils que nous proposons.

6. Remerciements

Le développement de l’environnement ScenEdit a bénéficié du soutien du Projet PluriFormation (PPF) "Apprentice : Apprendre avec les TICE ?"8, soutenu par cinq établissements universitaires de la région Rhône-Alpes (INRP, INSA-Lyon, Université Grenoble 1, Université Lyon 1, Université Lyon 2, ENSM St Etienne).

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A propos des auteurs

Valérie EMIN est docteur en informatique. Sa thèse soutenue en 2010 à l’université Joseph Fourier de Grenoble sur le thème de « la modélisation de scénarios pédagogiques dirigée par les intentions » s’est déroulée au sein de l’équipe MeTAH du Laboratoire Informatique de Grenoble. Membre de l’EMR S2HEP (Lyon1, ENS Lyon), elle est actuellement détachée dans l'équipe EducTice de l’Institut Français de l’Éducation. Ses recherches portent sur la modélisation de scénarios pédagogiques pour l’enseignement secondaire en Sciences et sur la scénarisation pédagogique au sein des Serious Games.

Adresse : IFE - ENS Lyon, équipe EducTice-S2HEP, 15 parvis René-Descartes, BP 7000, 69342 Lyon cedex 07

Toile : http://eductice.inrp.fr/EducTice/equipe/membres/permanents/valerie-emin

Courriel : valerie.emin@ens-lyon.fr

Jean-Philippe PERNIN est depuis 1996 Maître de conférences en informatique à l'Université Stendhal Grenoble-3, où il est responsable du Master DIdactique des Langues et Ingénierie PEdagogique Multimédia (DILIPEM). Membre de l'équipe MeTAH (Méthodes et Technologies pour l'Apprentissage Humain) au Laboratoire d'Informatique de Grenoble (LIG), il a également été détaché auprès de l'Institut National de Recherche Pédagogique entre 2003 et 2008 où il contribué au niveau francophone au développement de la thématique de la scénarisation pédagogique. Ses recherches en ingénierie des EIAH portent sur l'assistance à la conception de dispositifs de formation par les praticiens (enseignants, ingénieurs pédagogiques), en prenant en particulier en compte les dimensions de capitalisation, d'innovation et de créativité.

Adresse : Equipe MeTAH, Laboratoire LIG, Campus de Grenoble, 961 rue de la Houille Blanche, BP 46, 38402 Saint Martin d’Hères Cedex, France

Toile : http://www.liglab.fr/spip.php?article101

Courriel : Jean-Philippe.Pernin@imag.fr

Viviane GUÉRAUD est depuis 1990 Maître de conférences en informatique à l'Université Stendhal Grenoble-3, où elle est notamment responsable pour le Master Industries De la Langue, du parcours EIAL formant des concepteurs e-learning en langues (double compétence informatique & didactique des langues). Elle est également membre de l'équipe MeTAH (Méthodes et Technologies pour l'Apprentissage Humain) au Laboratoire d'Informatique de Grenoble (LIG). Ses recherches en ingénierie des EIAH concernent les systèmes-auteurs de scénarios pédagogiques (scénarios d’apprentissage et de suivi) et les environnements de suivi.

Adresse : Equipe MeTAH, Laboratoire LIG, Campus de Grenoble, 961 rue de la Houille Blanche, BP 46, 38402 Saint Martin d’Hères Cedex, France

Toile : http://www.liglab.fr/spip.php?article101

Courriel : Viviane.Gueraud@imag.fr


1 European Credit Transfer and Accumulation System: système européen de transfert et de cumul des crédits d’enseignement

2 Licence, Master, Doctorat qui redéfinit le cursus universitaire en 3 ans de Licence, 2 ans de Master, et 3 ans de Doctorat

3 Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues : approche par compétences appliquée à l’enseignement des langues au niveau européen

4. http://www2.educnet.education.fr/sections/usages
/sec/sites/banques_academiques

5. http://primtice.education.fr/

6. l’Institut National de Recherche Pédagogique est devenu au 1er Janvier 2011 l’Institut Français de l’Éducation au sein de l’École Normale Supérieure de Lyon

7 Site web de Scenari, http://scenari-platform.org

8 Site web du PPF Apprentice, http://apprentice.inrp.fr/

 

 
Référence de l'article :
Valérie EMIN (IFÉ-ENSL, Lyon), Jean-Philippe PERNIN (LIG, Grenoble), Viviane GUÉRAUD (LIG, Grenoble), Scénarisation pédagogique dirigée par les intentions, Revue STICEF, Volume 18, 2011, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 10/11/2011, http://sticef.org
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Mise à jour du 16/11/11