Description de quelques caractéristiques communes aux
opérations de dotations massives en ordinateurs portables en France
Mehdi KHANEBOUBI (EDA, Université Paris Descartes)
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RÉSUMÉ : Depuis
la rentrée 2001, les élèves et les enseignants des
collèges du département des Landes disposent d’un ordinateur
portable. Les départements des Bouches-du-Rhône,
d’Ille-et-Vilaine, de l’Oise et de la Corrèze ont aussi mis
en œuvre dans les années 2000 des projets de dotation similaires. En
plus des logiciels de bureautiques habituels les enseignants et les
élèves ont la possibilité d'utiliser des
répéticiels, des ENT ainsi que des services en ligne documentaires
et parascolaires. Des entretiens et des observations de classes montrent que les
enseignants rencontrés ont tendance à utiliser les logiciels
reconnus comme légitimes dans leur champ disciplinaire. Leurs usages des
TIC en classe restent dans la continuité de leurs utilisations des
technologies antérieures.
MOTS CLÉS : collège,
ordinateur portable, enseignant
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ABSTRACT : Since
2001, students and teachers in middle schools of a French south west area
received a laptop. Since then, four others locals councils administration have
implemented similar projects. In addition to the usual office software, teachers
and students have the opportunity to use various online and outline software:
educative software, learning platform, educative database... Interviews and
observation show that teachers tend to use software recognized as legitimate in
their subject matter. Their classroom use of is a continuation of their uses of
previous technology.
KEYWORDS : middle
school, laptop, teachers |
1. Introduction
Des projets
d’équipement en ordinateurs portables ont été mis en
œuvre par cinq conseils généraux français.
Héritiers du plan Informatique pour tous au niveau
départemental, ces déploiements constituent des actions politiques
importantes dans le domaine des TICE. Le conseil général du
département des Landes fut le premier à avoir effectué des
prêts systématiques d’ordinateurs portables sur un
tronçon de l’école obligatoire (landesinteractives.net, 2009).
Lors de la rentrée 2002, tous les élèves et tous les
professeurs de troisième de ce grand département rural peu
peuplé, avaient à leur disposition un ordinateur portable et la
possibilité de se connecter à internet dans les salles de classe
de leur collège. Depuis, d’autres départements ont mis en
œuvre des dispositifs similaires : le département des
Bouches-du-Rhône en 2003 (« Ordina
13 »), le département d’Ille-et-Vilaine en 2004 (« Ordi 35 »), les départements de
l’Oise (« Ordi
60 ») et de la Corrèze (« Ordicollège 19 ») en
2009 (Corrèze, 2009a), (Corrèze, 2009b), (Corrèze, 2009c).
Notons que l'opération de l'Oise vise principalement à favoriser
les utilisations de l'ordinateur à la maison. Dans ce département,
les élèves ne peuvent pas amener les ordinateurs au
collège.
L’objet de ce texte est de présenter, sur les opérations
de dotations françaises, un point de vue personnel s'appuyant sur les
éléments suivants :
- des observations de classes réalisées dans le
département des Landes deux jours par semaine de novembre à avril
en 2001-2002 et une journée par semaine de décembre à avril
en 2004-2005 ;
- une cinquantaine d’entretiens informels conduits en 2009
dans 9 collèges de l’Oise alors que les enseignants et les
élèves venaient d’être dotés ;
- deux questionnaires qui ont été
distribués/dépouillés/analysés dans neuf
collèges de l’Oise (N=200) et dans six collèges des Landes
(N=144).
Bien que ces informations aient été collectées à
des années d’intervalle, dans des lieux différents, les
similarités dans les dispositifs, dans les discours des enseignants et
dans les pratiques observées dans les Landes et déclarées
dans l’Oise sont si grandes, qu’elles tendent à indiquer que
les mécanismes et les processus en jeu dans les collèges des
Landes et de l’Oise ont des points communs qui dépassent
l'éloignement géographique et temporel. D'ailleurs, des articles
de recherche portant sur les différents projets décrivent des
discours et des pratiques convergentes (Brandt-Pomares et Boilevin, 2009) ; (Daguet, 2007), (Daguet, 2009) ; (Jaillet, 2004) ; (Liautard, 2007) ; (Rinaudo, 2008) ; (Rinaudo et al., 2008).
Enfin pour les projets les plus récents comme ceux de l’Oise et de
la Corrèze, nous avons collecté des informations disponibles en
ligne, principalement sur les supports de communication des conseils
généraux.
Dans cette contribution, nous allons analyser les caractéristiques
principales de ces opérations : matériel mis à disposition,
environnements logiciels et modification éventuelle des enseignements.
Nous avons ainsi cherché à présenter comment le
matériel et les ressources sont utilisables et utilisés par les
enseignants : quels instruments informatisés sont à
disposition et dans quelle mesure ces instruments sont-ils susceptibles
d'accompagner une évolution des pratiques pédagogiques dans les
collèges ?
2. Des politiques publiques voisines
Parmi les points communs entre les dispositifs
landais, isarien, breton et provençal on remarque les campagnes de
communication qui escortent les dotations. Souvent, les conseils
généraux ont présenté ces dispositifs comme une
étape décisive pour réduire la fracture numérique
(oise.fr,
2009), « favoriser de nouvelles pratiques pédagogiques » (Bellocq, 2004) p.2, « favoriser et développer les usages pédagogiques des
technologies de l’information et de la communication pour
l’éducation » (ordi35.org, 2009) , ou comme un
moyen pour favoriser la réussite des élèves (Corrèze, 2009c).
L'accent est aussi mis sur leur caractère inédit et/ou massif.
Ainsi, Ordina 13 fut présenté par le conseil général
comme « une des plus importantes opérations TICE menée par
une collectivité publique » (Liautard, 2007).
De la même façon, le site Ordi 60 indique
qu’« une opération d’une telle ampleur est une
première en France » et le site du projet landais mentionne
qu’il s’agit d’une « opération de grande ampleur
de modernisation1 de
l’équipement informatique de ses collèges ».
Lors de la première année du projet landais, les thèmes
évoqués dans la campagne de communication du conseil
général tournaient autour de l’idée qu'il s'agissait
d'une action décisive pour l'avenir des élèves, pour celui
du département sur le plan de la formation et de l'aménagement du
territoire. L’argumentation laissait penser que l'économie du
département serait catalysée par les ordinateurs portables dans
les collèges. Par la suite, le dispositif fut présenté
comme cherchant à « mettre en œuvre des actions qui aient des
retombées sur l'ensemble des secteurs de l'activité humaine, mais
aussi sur l'ensemble de son territoire » (Bellocq, 2004).
Aujourd’hui, les objectifs présentés sur le site web du
projet sont beaucoup plus modestes. Sur les sites des autres projets, ils sont
souvent inexistants ou présentés de façon lapidaire. Mais
il n’en reste pas moins que la communication faite autour des ordinateurs
portables dans les collèges des Landes et des autres départements
suggère qu’il s’agit d’actes politiques décisifs
pour les départements en faveur de l’aménagement du
territoire.
Bien que ces opérations soient coûteuses, elles ne marquent pas
forcément une rupture avec les politiques précédentes
à l'égard des établissements scolaires. Ainsi, bien souvent
les chefs d'établissements de ces départements font remarquer que
leurs demandes auprès des conseils généraux avaient bien
plus de chances d'aboutir qu'auprès des rectorats. Aux dires des
enseignants rencontrés, du point de vue des TICE, les départements
des Landes et de l’Oise ont depuis les années 80 soutenu et
doté les collèges d'ordinateurs, de serveurs, etc.
3. Une saturation technologique
Initialement, les dotations visent à
créer dans les collèges des environnements saturés par les
technologies. Dans les Landes, en plus des imprimantes, des bornes Ethernet et
des serveurs qui équipent les 35 collèges, 9000 ordinateurs, 900
vidéoprojecteurs et 800 tableaux interactifs sont dédiés
aux usages pédagogiques des classes de quatrième et
troisième (landesinteractives.net,
2010). En Ille-et-Vilaine lors de la rentrée 2004, 11 000 machines
ont été distribuées aux élèves de
troisième dans tous les collèges du département (Rinaudo et
al., 2008, p. 11). En 2007 dans les Bouches-du-Rhône le parc était
composé de 60 000 portables (Liautard, 2007).
Dans l’Oise en 2009, 21 000 ordinateurs étaient à
disposition des collégiens de cinquième et de quatrième (peo60.fr, 2010).
Suivant les départements, il s’agit d’un prêt ou
d’un quasi-don. Dans les Landes, les élèves de
quatrième reçoivent un ordinateur en début
d’année qu’ils doivent restituer à la fin de leur
année de troisième. En Ille-et-Vilaine, les élèves
doivent rendre leurs ordinateurs à la fin de chaque année et
pouvaient à la rentrée 2009/2010 acheter les machines mises en
service en 2004. Dans l’Oise, les élèves peuvent garder
l’ordinateur à la fin du collège en échange
d’une caution peu élevée. Dans les Bouches-du-Rhône,
il semblerait que la dotation soit soumise aux mêmes conditions que dans
l’Oise.
Les trois opérations les plus anciennes ont été mises en
œuvre dans une logique d’équipement des établissements
et des salles de classe de façon à rendre possible une utilisation
de ces technologies quelle que soit la discipline enseignée. Dans
l’Oise, les élèves ne sont pas autorisés à
amener leurs ordinateurs en classe ni même au collège. Même
si les enseignants ont été dotés, les bâtiments
n’ont pas été équipés en matériels
périphériques supplémentaires et n’ont donc pas un
taux d’élèves par ordinateur comparable aux autres projets.
Cette caractéristique est probablement une façon pour la
collectivité territoriale de ne pas s’immiscer davantage dans les
enseignements et de ne pas avoir à câbler et aménager les
salles de classe. En découle une différence importante entre les
dotations : celles qui ciblent les collèges et la dotation isarienne qui
vise plus particulièrement les élèves et leurs pratiques en
dehors de l’école.
4. Les solutions logicielles
Les autorités territoriales fournissent
généralement avec les machines, en plus des instruments
bureautiques habituels, des encyclopédies, divers logiciels, des
accès à des bases thématiques éducatives et des
accès à des sites de soutien scolaire à distance. Les
contenus à disposition sont davantage un complément à
l’apprentissage. Les ressources documentaires offrent en outre la
possibilité aux élèves d'un accès depuis leur
foyer.
Dans les Landes, le projet initial visait à mettre en œuvre un
cartable électronique qui devait remplacer les cartables ordinaires. Le
conseil général avait envisagé d’utiliser
exclusivement des livres numériques, mais la grande majorité des
manuels fournis par les éditeurs étaient fort peu pratiques
à utiliser (Daguet, 2009) ; (Khaneboubi, 2007).
Il s’agissait parfois d’un manuel papier scanné et
transformé au format PDF avec des droits d’utilisations
limités à l’année en cours. La lisibilité de
ces documents était plutôt médiocre (Daguet, 2009).
Les instruments les plus utilisés en classe par les enseignants que
j’ai observés dans les Landes et écoutés dans
l’Oise, restent les traitements de texte, les tableurs et les logiciels de
présentation. De façon plus large, ces enseignants utilisent avec
les élèves des logiciels reconnus comme légitimes dans leur
communauté (par exemple Audacity en musique, Gimp ou Paint Shop Pro en arts plastiques, GéoGebra en
mathématiques, etc.). Les logiciels, du type Lirebel, Grambel, Math en poche, sont souvent utilisés lors des
cours pour lesquels la pression évaluative est moindre. Ce sont le plus
souvent des logiciels généralistes (suites bureautiques, lecteur
vidéo, lecteur audio, messagerie instantanée, client IRC...) ou professionnels (des logiciels issus de Music lab, Photoshop, un SIG) qui sont utilisés dans les scénarios
didactiques des enseignants. Les répéticiels restent
l’apanage d’utilisations périphériques ou moins
importantes (veilles de vacances, voyage scolaire d’une partie de la
classe, fin de trimestre...).
Bien que Microsoft Windows soit le système d’exploitation
le plus souvent choisi pour équiper les ordinateurs des
élèves et des enseignants de même que Microsoft
Windows-Serveur pour les serveurs de collèges, on note quelques
exceptions à la domination de la firme de Redmond. Une des
originalités du projet corrézien réside dans le fait
qu’il s’agit de dotation de machines exclusivement sous Ubuntu. Dans les collèges de l’Oise une partie des serveurs
tourne sous Apache. Enfin, Open Office s’est imposé
sur la plupart des machines comme outil bureautique par défaut.
De façon générale, les logiciels libres sont assez
présents sur les machines fournies par les départements.
Dès 2003, Open Office a été installé sur les
machines landaises. Microsoft avait pourtant lors de la première
année du projet gascon, donné gratuitement Microsoft
Office. Après l’ouverture du code de Star Office, le
conseil général avait laissé la possibilité aux
établissements d’acheter ou non une suite bureautique. Dans
l’Oise, pour la première année du projet, Microsoft
Office a aussi été donné gratuitement.
5. Quel renouveau dans les enseignements ?
Les enseignants dans les collèges qui ont
globalement réussi à remettre en question les pédagogies
traditionnelles sont plutôt ceux qui enseignent dans des disciplines
historiquement utilisatrices de technologies comme la musique ou les arts
plastiques. Ce résultat converge avec ce que présentent Larose,
Grenon, Pearson, Marin, et Lenoir, (Larose et al., 2004).
Dans un travail réalisé à l'école primaire, ils
constatent que les enseignants considèrent souvent que les
matières secondaires (sciences humaines et sciences de la nature au
Québec) sont un espace dans lequel la maîtrise des contenus
disciplinaires n’est pas essentielle. Ces disciplines, constituent
davantage un espace où se développent des savoir-faire
transversaux. Les auteurs estiment donc que l’usage des TIC en classe est
lié au rapport aux savoirs des enseignants. On a constaté cette
tendance pour les professeurs que nous avons rencontrés. Nous allons
illustrer cette idée en présentant des extraits de journaux
d'observations et d’entretiens tenus lors des séjours dans des
collèges. Ainsi, un enseignant isarien d'art plastique en ZEP
décrit les réalisations de ses élèves dans sa
discipline :
« Je leur fais faire des petites annonces un peu comme Les petites
annonces d'Élie Seimoun. En quatrième, je leur demande de faire un
flash info soit au format radio, soit au format vidéo, soit une affiche.
En sixième, on fait de l'animation avec un appareil photo
numérique, ils doivent raconter une histoire avec un objet. J'ai des
élèves qui m'ont fait l'histoire d'un bout de bois qui mange du
papier. En troisième, ils doivent produire quelque chose sur le
thème du labyrinthe et ils doivent se perdre. Ils font ça soit en
deux dimensions, soit en trois dimensions avec une construction, ou bien une
vidéo de deux minutes maximum. On a aussi fait un travail de photos sur
le chemin entre chez eux et le collège. » (Journal du 7 mai
2009)
De la même façon, une professeure de musique landaise arrivant
en milieu de carrière a fait télécharger à ses
élèves de troisième SEGPA un extrait du film Le masque
de Zorro sorti en 1998. Dans cet extrait, Zorro mène un duel à
l’épée avec une femme. Ce duel va se transformer en danse :
les bruits des bottes des duellistes vont peu à peu se rythmer et devenir
à la fois une danse et une musique. L’enseignante essaye de faire
que les élèves perçoivent la musique comme un
élément signifiant du film. Les élèves ont leur
ordinateur portable allumé et la professeure a branché le sien sur
un vidéoprojecteur. Dans un premier temps, les élèves
doivent lire un polycopié puis répondre aux questions en
visionnant le film. Puis la professeure corrige en interrogeant les
élèves. Dans les premiers instants de l’extrait, elle
cherche à leur faire décrire les éléments musicaux
qui mettent en valeur la tension dramatique de la scène.
Différencier les instruments, définir le caractère de la
mélodie, repérer l’aspect décousu et fragmentaire de
l’orchestration à cet instant et saisir que la musique crée
une ambiance de « suspense ». Ensuite vient une scène de duel
dans laquelle, les bruits de bottes des duellistes vont se rythmer et le duel va
devenir danse. La musique accompagne cette évolution :
- la professeure : Qu'est-ce qu'on pourrait faire sur cette
musique ?
- Danser.
- p : Voilà c'est dansant. Est-ce qu'elle est bien
adaptée à la scène ? C'est une scène de quoi
?
- De combat.
- p : Alors ?
- En même temps c'est comme s’ils dansaient.
- C'est un combat avec de la danse.
- p : Mais alors pourquoi on a ce genre de musique avec un combat
?
- Parce que c'est pas vraiment un combat.
- p : Voilà, et donc la musique nous dit que c'est un
combat qui ne sera pas dramatique : il n'y aura pas de morts. Dans ce qui vient,
dites-moi ce qui se passe au niveau des pieds.
- Cela fait un rythme.
- Un rythme qui va bien avec la musique.
- p : Voilà le bruit devient percussion et devient
musique. (Journal du 16 décembre 2004, cf. (Khaneboubi, 2007)
Les enseignants de disciplines pour lesquels les enjeux sont plus importants
ont des utilisations moins risquées. Une enseignante de
mathématiques décrivait son utilisation de cette façon :
« J'utilise SMAO, Géoplan, et des logiciels
d'entraînement en salle info une séance de temps en temps parfois
en classe entière, parfois en demi-groupe. Je n'ai que des classes de
sixième et cinquième. Je fais comme ça parce qu'il y une
évaluation dans ces logiciels-là. Je ne vois pas
l'intérêt s’il n'y a pas d'évaluation. Maintenant
qu'ils ont un ordi je les réoriente vers Mathadoc et Mathenpoche. » (Journal du 25 mai 2009)
Cette enseignante de physique présente elle aussi une utilisation peu
risquée :
« Je fais tous mes cours sur diaporama. Pratiquement tous les cours,
toutes les classes. Lorsque l'on fait des séances en salle informatique
c'est surtout pour faire des recherches sur internet par exemple la
dernière fois ils ont fait des recherches sur l'histoire de l'atome.
Sinon j'ai obtenu le livre numérique par notre éditeur ce qui fait
que je le projette avec le vidéo projecteur et les élèves
n'ont pas besoin d'apporter leur livre. » (Journal du 11 juin 2009)
Les utilisations les plus répandues des ordinateurs portables sont
souvent assez banales (Rinaudo, 2008). (Daguet, 2007) estime, dans les Landes, que « même si [les] enseignant[s]
intégrai[ent] de plus en plus les TIC dans les phases de
préparation de cours (sujets d’examens, polycopiés,
création de ressources...), les usages informatiques lors du face
à face pédagogique restaient proportionnellement moins importants.
»
Souvent, les enseignants qui utilisent les TIC fréquemment le font
dans la continuité d'utilisations de technologies antérieures
comme le magnétophone, le magnétoscope, le rétroprojecteur,
etc. Par exemple, un professeur d'anglais isarien présentait son
utilisation du TBI ainsi : « On peut faire la même chose avec le
tableau ordinaire, mais le TBI c'est plus sympa » (Journal du 7
mai 2009). En somme, les apports spécifiques paraissent modestes. Au
travers des observations et des entretiens, on note que les enseignants qui
utilisent les ordinateurs pour faire la classe font souvent remarquer qu'ils
pourraient conduire leurs cours de la même façon avec des
technologies plus anciennes mais qu'avec les ordinateurs ils disposent d'une
plus grande facilité de manipulation des documents en cours ce qui leur
permet de focaliser leur attention sur les interactions avec les
élèves. L'extrait de journal décrivant un cours de musique
ci-dessus constitue une illustration de cette idée.
On explique souvent les non-usages et les mésusages par un manque de
formation des enseignants. Pourtant, dans les Landes et dans l’Oise, les
deux enquêtes par questionnaires montrent que les professeurs utilisant le
plus souvent l’ordinateur en classe sont d’une part ceux qui ne sont
pas les mieux dotés en savoir-faire techniques et, d’autre part, ce
ne sont pas les plus jeunes, mais plutôt ceux qui ont une
expérience d’enseignement conséquente (Khaneboubi, 2009).
6. Discussion et perspectives
Pour les enseignants ces projets ne constituent pas
une rupture importante dans leurs réalisations quotidiennes. Nous n'avons
pas constaté une grande diversité dans les utilisations en classe,
excepté en musique et en art plastique. Néanmoins, cet
élément mériterait d'être examiné avec
davantage de précisions. Il serait fructueux de mener une nouvelle
recherche d’inspiration didactique avec des enseignants de musique pour
chercher à établir une typologie des usages et des applications
les plus utilisées sur un tronçon de curriculum.
En outre, la formation technique des enseignants est un élément
qui revient dans les discours des enseignants des Landes et de l'Oise. Ils
estiment que l'implication des rectorats reste toute relative et peine à
répondre à la demande de formation émanant des
équipes pédagogiques. Il serait intéressant d'analyser dans
quelle mesure les dispositifs de formation continue portant sur les TIC
s'adaptent aux situations de saturation technologique en classe.
On peut aussi s'interroger sur les apports pour les élèves de
ce type de dotation. Leurs usages sont le plus souvent des pratiques
d'adolescents plus que de collégiens (Rinaudo, 2008).
Cela a été bien décrit par Rinaudo et ses collègues (Rinaudo et al., 2008) dans le rapport qu'ils ont rédigé pour le conseil
général d'Ille-et-Vilaine sur le projet Ordi 35 :
« On peut donc remarquer, sans que cela soit particulier au
dispositif Ordi 35, que les jeunes qui utilisent les messageries pour
échanger certes fréquentent leurs camarades, mais, paradoxalement,
restent au domicile familial, dans un univers plus sûr, mais avec une
autonomie moindre qu'en sortie. C'est en fait le temps passé avec les
pairs qui s'étire et envahit, via les technologies de communication,
l'univers familial. [...] En fait, on pourrait avancer que les
collégiens, à l'âge de l'adolescence, se saisissent d'Ordi
35 comme d'un outil qui permet tout à la fois le lien vers
l'extérieur, mais aussi le lien vers la famille, ce qui n'est pas sans
évoquer les propriétés de l'espace transitionnel
formalisées par Winnicott. »
Du point de vue des foyers ces opérations de déploiement ont
certainement un impact plus important qu’en contexte scolaire. Elles
présentent d’autres perspectives de recherches qui sont
probablement prometteuses d’un point de vue scientifique. Les utilisations
du web et des instruments informatisés soulèvent des
interrogations inédites sur les processus d’organisation des
communautés virtuelles ainsi que sur les productions et les
créations de tout à chacun.
Enfin, il est utile d'insister sur la particularité des dispositifs de
dotation qui ont été décrits ici de façon
générale. Les dispositifs français ne sont pas mis en
œuvre par les rectorats, mais par des collectivités territoriales
n'ayant pas autorité sur les contenus et sur les modes d'enseignements,
mais uniquement sur le matériel. Pour aller plus loin et mieux saisir les
apports de ces dispositifs, il faudrait se placer dans une perspective
historique et internationale et ainsi comparer les effets de politiques
différentes dans des contextes différents.
7. Conclusion
Des dispositifs de dotation des élèves
et des enseignants en ordinateurs portables ont été mis en place
dans cinq départements. Ces collectivités territoriales ont
manifesté la volonté de réduire la fracture
numérique au travers d’opérations de communication
conséquentes. Cela s’inscrit le plus souvent dans une
continuité des politiques éducatives de ces institutions. Mais les
curricula et les instructions émanent du ministère de
l’Éducation nationale et sont mis en place par les rectorats. Il
est possible que l'évolution de la situation révèle des
processus d'ajustements nouveaux intéressant les recherches en
éducation.
Tous les élèves et tous les enseignants reçoivent un
ordinateur portable pour une année au moins, sur lesquels ils disposent
des droits d’administrateur. Les collèges sont aussi
équipés en matériels périphériques et en TBI.
Dans l’Oise, l’Ille-et-Vilaine et les Bouches-du-Rhône les
élèves ont un crédit d’internet mensuel qui leur
permet d’avoir accès à la maison à des ressources
éducatives comme des encyclopédies, des services parascolaires ou
documentaires et souvent un ENT.
Les ressources éducatives accompagnant les dotations ne sont pas les
instruments vers lesquels les enseignants se tournent en premier lieu.
Lorsqu’ils utilisent l’ordinateur en classe les enseignants que
j’ai rencontrés, font le plus souvent appel aux suites bureautiques
ordinaires ou aux logiciels reconnus comme légitimes dans leur champ
disciplinaire et/ou professionnel. Peu de productions logicielles
particulières sont produites par les rectorats ou les conseils
généraux, si ce n’est au travers d’initiatives
enseignantes localisées. Les logiciels libres restent très
utilisés dans les collèges et notamment en Corrèze.
Envisager une étude comparant les usages de logiciels
propriétaires et libres dans des contextes scolaires similaires constitue
certainement une piste de recherche fructueuse.
Remerciements
Je tiens à remercier ici Georges-Louis Baron et Éric Bruillard
pour avoir relu, critiqué et tempéré les premières
versions de ce texte.
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1 Entretien avec Pierre Louis
Ghavam responsable des technologies de l'information et de la communication au
conseil général des Landes, www.landes.org (non disponible,
consulté le 2 mai 2002).
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