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Volume 13, 2006
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Une analyse de l’utilisation d’outils de création numérique en expression graphique chez de jeunes élèves.

 

Perrine MARTIN, Jean RAVESTEIN UMR ADEF, Univ. de Provence

 

RÉSUMÉ : Le  graphisme des enfants de trois à douze ans a constitué l’objet de nombreuses recherches, mais sans jamais s’interroger sur l’influence possible de l’ergonomie de l’outil de production des dessins sur la production elle-même. L’utilisation d’outils numériques de création modifierait-elle, et dans quel sens, les performances des enfants par rapport à l’usage de techniques traditionnelles ? En comparant, d’après un système de cotation validé en psychométrie, les  dessins d’un bonhomme réalisés en utilisant une tablette graphique, puis un matériel traditionnel, nous montrons que des enfants sont aussi performants avec un outil numérique qu’avec un outil analogique. Plus qualitativement, utiliser une tablette graphique n’apparaît pas comme un frein à une représentation correcte ainsi qu’à la créativité mais semble au contraire les faciliter.

MOTS CLÉS : Graphisme, Création, Outils numériques, Apprentissage

ABSTRACT : The creative designing of 3 to 12 years old children has been studied through many different researches but never by studying the possible influence of the different production tools used for the drawing on the design itself. Would the use of digital designing tools possibly modify (in which direction?) the young children performance compared to the use of traditional designing techniques?  Using a system of quotation validated in Psychology to compare the “drawing of a person” realised first by computer and then with the traditional material, we show that children are also successful with a digital tool as with an analogical tool. More qualitatively, the digital tools do not limit the 10 years old children graphic creation but seems on the contrary to make it easier.

KEYWORDS : Drawing - (Digital) graphics Creation, Multimedia Digital tools, Learning

 

1. Expression graphique des enfants et rapport aux outils

La constante épistémologique des différentes recherches concernant l’expression graphique de jeunes enfants est qu’elles se sont attachées à montrer l’existence de différents stades de représentation du réel en correspondance avec les différents moments de leur évolution affective et psychique (Leif et Delay, 1965), (Luquet, 1967),  (Davido, 1976), (Wallon, 2003).

Ainsi, de nombreuses  études ont été menées autour du dessin de la maison, mais aussi de l’arbre, de la famille, ou encore du paysage, qui produisent des types de tests variés et complets (Buck, 1970), plus ou moins à vocation d’évaluation développementale, (Ribault, 1965), (Miljkovitch, 1985) ou bien plus ˝projective˝ (Minkowska, 1948), (Biermann et Kos, 1978), (Stora, 1978), (Corman, 1994) ou encore simplement descriptive (Muschoot et Demeyer, 1974), (Boucher-Hatziapostolou, 1988).

L'importance accordée par les enfants à la représentation de personnages humains a incité Goodenough en 1957, à élaborer le ˝test du bonhomme˝ qui permet d’évaluer le développement psychique et affectif des enfants à l'aide d'une grille de cotation qui fait encore référence aujourd’hui en psychométrie (Goodenough, 1957).

Il est remarquable qu’aucun de ces travaux ne se soit interrogé sur l’influence possible de l’ergonomie de l’outil de production des dessins sur la production elle-même ; l’outil ainsi que ses conditions d’utilisation étant alors ici des variables  à  ˝neutraliser˝ (standardiser) comme il est recommandé en psychologie.

Notre travail se propose d’étudier cette question de manière expérimentale sur une base quantitative en répondant à la question : l’utilisation d’outils numériques de création modifierait-elle, et dans quel sens, les performances des enfants par rapport à l’usage de techniques traditionnelles ?

Plus qualitativement, si l’on se penche sur de l’expression de la créativité, le dessin est valorisé, en correspondance avec le positionnement de l'enfance comme nouvelle catégorie sociale dans la deuxième moitié du vingtième siècle (Pernoud, 2003). Au même titre que le langage, le dessin est dès lors considéré comme l'un des moyens dont dispose le sujet pour se projeter à l'extérieur. Il s’agit donc de mettre à sa disposition une gamme de moyens, la plus large possible, pour qu’il puisse alimenter son développement expressif.

Les tablettes graphiques sont aujourd’hui à considérer à bon droit, vu leur faible coût et la diffusion des machines et des logiciels associés dans le système éducatif, comme des éléments possibles de la panoplie des outils de création graphique.

Comme l’a rappelé Lubart en 2003, dans son travail sur la psychologie de la créativité, de nombreuses études ont eu pour objet l’observation du changement qualitatif et quantitatif dans le développement des capacités créatives. L’hypothèse de phases de stabilité et de chute temporaire des performances créatives a été soulevée (Lubart, 2003).

Urban s’est intéressé à la créativité figurative et il observe une chute de créativité à 6 ans par rapport aux scores obtenus entre 4 et 5 ans (Test for Creative Thinking-Drawing Production). Pour analyser l’influence de l’environnement scolaire sur cette diminution, il compare dans deux groupes d’élèves âgés de 6 ans la différence entre ceux qui sont encore à la maternelle et ceux qui sont au CP. Le score des sujets de maternelle est supérieur aux sujets du primaire. Après 6 ans, la créativité semble à nouveau suivre une courbe ascendante (Urban, 1991).

Torrance constate et analyse une deuxième phase de déclin de la créativité vers 9-10 ans en pratiquant une étude sur 100 sujets qui sont évalués pendant 3 ans (CE1, CM1, CM2) à travers différents tests. Il avance que ce déclin s’expliquerait par la volonté des sujets de se conformer aux règles scolaires et d’éviter les pensées non conventionnelles (Torrance, 1976). Mouchiroud amène l’hypothèse selon laquelle la chute de la créativité peut être liée à l’émergence de certaines capacités de raisonnement logique. Ils montrent une chute de la créativité dans certaines tâches de pensée divergente créative, en parallèle avec une progression sur le plan de la logique. Le développement créatif serait donc lié au développement de la pensée logique (Mouchiroud, 2001).

Cependant, ces recherches, par d’autres analyses, ont montré que les sujets qui progressaient le plus sur le plan de la pensée logique n’ont pas manifesté forcément la chute de performance créative la plus importante. La relation entre pensée logique et créativité semble donc très complexe. De plus le type d’épreuve et les connaissances préalables de chaque sujet peuvent faire varier plus ou moins les résultats.

La chute de la créativité ne pourrait-elle pas trouver sa source dans la peur de l’échec et du regard de l’autre dans un contexte scolaire ? Le problème de la maîtrise de la technique, surtout chez les pré-adolescents n’est-il pas un frein à leur expression graphique ? Les outils et les moyens que l’on propose aux sujets sont-ils réellement favorables à leur créativité graphique ?

Nombre de résultats de recherche actuels mettent en évidence l’efficacité de l’utilisation des outils multimédias dans l’exécution de tâches chez des sujets en apprentissage d’une manière générale (Depover et al., 1998), (Giardina, 1999), (Lebrun, 2002) ou plus ciblée selon les tâches et les disciplines (Assude, 2004).

Si on suit Linard, il est possible de "concevoir les environnements d'apprentissage et les écrans d'interface comme des espaces-temps fonctionnels au service de l'activité spontanée des apprenants et de son dépassement" (Linard, 2001). La mise en scène des représentations symboliques (d'objets, procédures, fonctions, relations) et la mise à disposition des outils y sont conçus ensemble en vue d'accompagner, et non pas de superviser, l'activité des apprenants à propos de la tâche. Ainsi recentrée, l'interface devient une phase essentielle de la conception. C'est là que se décide la qualité des rapports entre les contraintes rationnelles des contenus et des tâches, les configurations techniques du système et les dispositions subjectives, cognitives et socio-affectives, des utilisateurs humains.˝

Notre travail se propose donc de mettre à l’épreuve des moyens techniques qui favoriseraient  une certaine prise de confiance du sujet dans son geste graphique et ainsi inhiberaient moins l’expression de sa créativité.

Une première étude exploratoire (Martin, 2004), nous a convaincu de la facilité d’utilisation d’outils de création graphique (Logiciels ˝Photoshop®˝ et ˝Painter®˝, associés à une tablette graphique) par de jeunes élèves de l’école élémentaire d’une part, et, d’autre part, de la probable démultiplication de l’expression créative qu’ils autorisent par rapport à des techniques traditionnelles.

L’expérience qui suit teste  donc l’hypothèse suivante : 

L’utilisation d’outils numériques de création graphique n’est pas un frein aux performances des élèves dans ce domaine, par rapport à l’usage de techniques traditionnelles, et semble au contraire faciliter l’expression de leur créativité.

2. Description de l’expérience

Un des objectifs de notre recherche est de mettre en évidence l’effet que produit l’utilisation d’une tablette graphique (variable indépendante manipulée) sur les performances de sujets à une épreuve de dessin standardisée (variable dépendante). Pour montrer l’impact de l’outil sur la réalisation, nous avons travaillé avec le même groupe d’élèves et la même consigne leur a été donnée. Les élèves devront chacun réaliser deux dessins avec des consignes identiques mais avec deux outils différents. Nous allons ainsi pouvoir comparer l’impact de l’outil sur leurs réalisations.

Ici, le choix du thème du dessin était primordial pour la validité de la recherche dans le sens où ce dessin doit être  réalisable par tous les sujets. Le dessin du ˝ bonhomme ˝ semblait approprié à ce type d’expérience, car l’utilisation d’indicateurs allait permettre de recueillir des données qualitatives de façon à ce qu’elles puissent ensuite être présentées sous formes de résultats quantifiés. En effet, en reprenant le système de cotation mis en place par Goodenough dans sa méthode d’analyse du dessin du bonhomme, nous avons ainsi pu comparer les résultats obtenus par chaque sujet selon l’outil de dessin utilisé (Goodenough, 1957). Dans ce test, la psychologue Florence Goodenough décompose la représentation du personnage en 51 points, en listant dans le détail les éléments essentiels du personnage (tête, yeux, bouche...). C'est par l'importance diverse accordée à telle ou telle partie du corps qu'elle a élaboré le "test du bonhomme", qui permet de mesurer le développement psychique et affectif de l'enfant. Dans la construction de l’échelle de cotation, l’aspect artistique de la production n’entre pas en ligne de compte. Le barème de cotation du dessin attribue un point pour chaque élément réalisé correctement et fait le total pour chaque sujet. Les demi-points n’existent pas. Chaque item a un caractère discriminant pour permettre de ranger les sujets en ordre croisant de performance (par exemple 5 doigts sur une main > 4 doigts, ...). Un critère à trois dimensions est utilisé pour déterminer la validité de chaque point : un accroissement régulier, un accroissement assez rapide dans le nombre des enfants réussissant ce détail d’âge en âge, et une nette différence entre des enfants d’un même âge, mais d’un niveau scolaire différent.

Notre recherche utilise strictement les consignes et les items du ˝ test d’intelligence d’après le dessin du Bonhomme de Florence .Goodenough  ˝.

Le champ d’investigation que nous avons choisi est un groupe de 20 élèves de 10 ans d’une classe de CM1 disposant d’un ordinateur avec un logiciel de création numérique (Photoshop), un stylet et une tablette graphique. Nos interventions se sont déroulées pendant 15 séances. Tous les élèves devaient dessiner individuellement un bonhomme, en utilisant soit le matériel informatique, soit le matériel habituel ˝papier-crayon˝. Pour chaque séance, 3 enfants étaient présents, assez éloignés les uns des autres pour qu'ils ne puissent pas communiquer et s'influencer. Le dessin se faisait soit sur l'ordinateur, soit sur feuille de papier. Il n'y a pas eu d'ordre défini quant à l'utilisation dans un premier temps de l'outil numérique et dans un deuxième temps de l'outil papier/crayon. Le choix se faisait de manière aléatoire. Au bout d'un mois, pour un bon délestage de la mémoire, nous avons recommencé la même expérience, sachant que les utilisateurs de l'ordinateur pour le premier dessin du bonhomme allaient à ce stade de l'expérience dessiner avec les outils habituels et les élèves ayant utilisé les outils papier/crayon, l'outil numérique. Rappelons également que du temps a été consacré à une familiarisation du matériel informatique avant la réalisation du test. Cette familiarisation à l'occasion d'une séance était de 10 minutes pour chaque élève.

En ce qui concerne le dessin avec les outils ˝ papier-crayon ˝, chaque sujet avait une feuille et un crayon papier. La consigne donnée était la suivante :

˝Sur cette feuille de papier, vous allez dessiner un bonhomme. Faites le plus beau dessin que vous pourrez. Prenez votre temps et travaillez avec beaucoup de soin...˝

La consigne et les instructions étaient les mêmes pour les dessins produits avec l’outil numérique. Pour que la comparaison soit valable, nous leur avons demandé dans les deux cas de ne pas utiliser la couleur ou des fonctions spécifiques à l'outil multimédia, mais simplement l’outil crayon et la gomme. L’emploi d’un stylet a permis aux sujets de ne pas être contraints dans leur geste de création par un nouvel outil comme la souris. Notre comparaison ne sera donc pas a priori influencée par l’ergonomie de l’outil tenu en main.

Notre analyse sera bivariée car elle met en relation une variable indépendante et une variable dépendante. Nous nous attacherons donc à analyser les variabilités et les corrélations du mode d’expression graphique d’un même thème selon une consigne identique selon l’outil utilisé dans un même groupe de sujets.

3. Analyse des résultats

Pour Goodenough, les sujets de 10 ans obtiennent une note moyenne de 30 au test du bonhomme (Goodenough, 1957). Dans notre cas, les sujets ont obtenu une moyenne de 28,9 sur le dessin analogique et de 29,55 sur le dessin numérique, notre population correspond donc à l’échantillon d’étalonnage du test.

Les résultats obtenus par la comparaison des dessins analogiques et numériques en utilisant la grille de cotation nous donne une matrice de 1020 couples (20 sujets, 51 items, 2 modalités).

Le test d’égalité des espérances pour des observations pairées nous donne le tableau suivant :

Résultats

Analogique

Numérique

Moyenne

28,90

29,55

Variance

32,83

32,47

Observations

20,00

20,00

Coefficient de corrélation de Pearson

0,91


Différence hypothétique des moyennes

0,00


Degré de liberté

19,00


Statistique t

-1,21


P(T<=t) unilatéral

0,12


Valeur critique de t (unilatéral)

1,73


P(T<=t) bilatéral

0,24


Valeur critique de t (bilatéral)

2,09

 

Tableau1 : Résultats au test d’égalité des espérances pour des observations pairées

On peut donc conclure que loin de constituer un frein aux performances des élèves, l’usage de la tablette graphique fait au moins jeu égal avec les outils que les élèves manipulent depuis l’âge de 3 ans, ce qui nous semble très encourageant si l’on voulait promouvoir l’usage de cet outil en contexte éducatif. De plus, 12 sur 20 d’entre eux produisent des performances brutes légèrement supérieures.

Sur le plan quantitatif, aucune variation significative de performance n’est observable sur chacun des 51 items ni davantage sur les élèves pris individuellement (pas d’item ni d’élève ˝ emblématique ˝).

Toutefois, des tendances se dégagent si on porte un regard plus précis et davantage qualitatif sur les productions.

Dans les dessins numériques, on note la présence des mains sur les personnages, davantage qu’avec avec les outils ˝ papiers-crayon ˝. De plus, beaucoup d’entre elles sont dessinées avec des doigts en nombre suffisant et font bien apparaître l’opposition du pouce, ce qui est moins vrai dans la modalité ˝ papier-crayon ˝. Des enfants, qui avaient fait des erreurs sur leur dessin analogique, arrivent grâce à l’outil numérique à représenter les mains avec un nombre exact de doigts et quelquefois plus détaillés.(Figure1)

Figure 1 : Détails des dessins des mains réalisés à gauche avec les outils habituels et à droite avec les outils de création numériques

Dans les dessins numériques, on peut observer que les épaules sont souvent dessinées, alors qu’elles sont moins présentes dans les dessins papiers (Figure 2).

Figure 2 : Dessins  d’Emma réalisés à gauche avec les outils habituels et à droite avec les outils de création numériques

On remarque encore une différence par rapport à la présence du cou des bonhommes à l’avantage du dessin numérique (Figure 3). Il en est de même pour la représentation graphique des cheveux, où les dessins réalisés sur ordinateur ne sont pas de simples traits laissant apparaître les lignes de la tête mais recouvrent plus que sa simple circonférence.

Figure 3 : Dessins de Jean-Baptiste réalisés à gauche avec les outils habituels et à droite avec les outils de création numériques

De même, dans de plus nombreux dessins numériques les jambes sont articulées. On entend par jambes articulées le fait que les lignes internes des jambes se rencontrent au point de jonction avec le corps (contrairement aux jambes très écartées l’une de l’autre).

En ce qui concerne la représentation des vêtements, l’usage de la tablette graphique semble représenter un léger avantage. Ainsi, des personnages dessinés sur l’ordinateur ont au moins deux pièces de vêtements non transparentes ce qui est moins le cas des dessins papiers. Certains enfants, uniquement avec la tablette graphique, dessinent un personnage avec des vêtements complets sans incongruités ou encore avec au moins quatre pièces du vêtement indiquées, c’est-à-dire sans confusion entre les différentes pièces, alors qu’ils ne le font pas sur leur dessin analogique.

En ce qui concerne les proportions et l’occupation de la surface de la feuille, 12 enfants produisent des bras bien proportionnés dessinés avec l’outil numérique contre 8 réalisés avec les outils habituels. On peut noter également que certains enfants dessinent une tête en bonnes proportions par rapport au reste du corps avec la tablette graphique alors qu’ils ne le font pas sur le dessin papier.

De plus, en comparant la taille des dessins numériques et analogiques on constate qu’en grande partie les dessins réalisés sur ordinateur sont beaucoup plus grands (Figure 4). Les sujets ont mieux rempli l’espace de leur feuille numérique que leur feuille papier. Il serait intéressant d’approfondir l’analyse de ce phénomène. On pourrait par exemple proposer une feuille-papier ayant exactement la même taille que celle que le sujet voit sur l’écran. La comparaison des deux dessins serait le moyen de vérifier si cette différence d’occupation de l’espace existe encore.

Figure 4 : Dessins de Julie réalisés à gauche avec les outils habituels et à droite avec les outils de création numériques

4. Conclusion, limites et perspectives

D’après nos résultats, on peut conclure que l’outil numérique n’est pas un frein à la représentation graphique chez des enfants  de 10 ans et qu’il semble au contraire dans certain cas la faciliter. Il a permis aux enfants de dessiner des bonshommes plus détaillés. La possibilité, offerte par l’outil numérique, de toujours pouvoir recommencer rapidement un seul tracé sans altérer à la totalité du dessin (gomme sans trace) semble permettre aux utilisateurs de dessiner de manière plus précise. Les dessins réalisés sur le papier demandent un plus grand investissement en temps dans le sens où si les enfants font une erreur sur leur dessin, ils doivent tout recommencer et ne le font généralement pas plus de deux fois. Ils préfèrent alors laisser leur bonhomme avec une main à quatre doigts !

De plus l’utilisation du stylet permet aux sujets de reproduire le même geste graphique qu’habituellement et ils ne sont donc pas perturbés dans leur mouvement. La coordination des traits et des gestes est en règle générale bien maîtrisée dans les dessins numériques.

Sur le plan quantitatif, notre échantillon est bien évidemment trop restreint pour envisager une exploitation statistique de plus grande ampleur, mais les résultats montrent toutefois des tendances qu’il conviendrait de confirmer (on se trouve au seuil de signification sur 4 items importants).

Sur le plan qualitatif, nos observations ont débusqué  une certaine facilitation de l’expression graphique attribuable à l’utilisation de l’outil numérique. Il nous semble donc très pertinent d’analyser le processus d’utilisation de tels outils pendant un moment de création à travers une démarche heuristique.

Ainsi, nous avons demandé aux mêmes enfants de réaliser sur l’ordinateur un dessin de bonhomme, mais cette fois-ci en ayant libre accès aux outils : couleurs, déplacement, crayon, pinceau, gomme, taille des outils. Nous avons noté l’ordre des tâches accomplies et l’utilisation des outils numériques des élèves.  Ainsi, nous nous sommes basés sur un modèle simplifié des tâches de MKSM1 développé par Ermine (Ermine, 2000). Ce modèle décrit la connaissance dynamique et propose une représentation de la stratégie mise en œuvre pour résoudre le ou les problèmes qui sont posés dans des cas précis concernant le système de connaissance considéré. Il s’agit donc de modéliser la résolution d’un seul ou d’un petit nombre de problèmes donnés ou identifiés, ici de dessiner un bonhomme. Le langage de MKSM, pour construire un modèle de tâches, comporte la description de l’ordonnancement des tâches à accomplir par une décomposition hiérarchisée. Chaque tâche possède un type qui décrit le contrôle et la manière dont elle agence ses sous-tâches. On trouve la tâche séquentielle (donne l’ordre dans laquelle les sous-tâches seront exécutées), la tâche de type alternative (chaque sous-tâche est exécutée si la condition qui lui est associée est vérifiée), la tâche de type itération (exécute la tâche autant de fois qu’il y a d’objet dans un tuple), la tâche de type parallèle (exécute ses sous-tâches en parallèle).

Une prise de note et la réalisation d’un film pendant les moments de création des élèves, nous ont permis de réaliser une modélisation de leur démarche. Les premiers résultats de l’analyse témoignent d’une capacité des élèves à créer leur propre démarche de création en utilisant et détournant les outils selon leurs besoins, et donc de développer leur autonomie réflexive. Ainsi on remarque un va-et-vient permanent avec les outils de gestion de la taille, de la couleur ou de la gomme.

L’outil numérique semble également favoriser l’implication des sujets dans une démarche de recherche et d’expérimentation. Les élèves se sont appropriés la boîte à outils mise à leur disposition pour répondre à leur besoin en matière de représentation graphique. Grâce à la gomme par exemple, l'enfant sait qu'il peut revenir à l'infini sur son geste et peut dépasser la peur de l’échec. Cette interactivité permet une nouvelle gestion de l’espace-temps.

L'outil numérique serait-il un libérateur de tensions et donc un moyen pour favoriser l'aptitude à la créativité ? Cette libération permettrait-elle de favoriser l'expression plastique et donc l’émergence de nouvelles problématiques plastiques plus facilement abordables?

Il nous paraît donc légitime de développer des recherches qui montreraient de quelle manière et dans quelle mesure la nature des outils proposés, leur facilité et leur disponibilité, change le rapport à la pratique artistique habituelle. Ceci poserait le problème plus large de l’utilisation de logiciels de création numérique en éducation artistique dès le plus jeune âge, à l’école, outils qui favoriseraient le  développement de la créativité chez les enfants.

BIBLIOGRAPHIE

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Références complémentaires non citées dans l´article

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1 Methodology for Knowledge System Management


A propos des auteurs

Perrine Martin est doctorante, allocataire de recherche, en deuxième année à l’Université de Provence  au sein de l'UMR ADEF sous la direction de René Amigues. Diplômée d'un DESS de Design Industriel (Université Technologique de Compiègne) et après avoir été consultante en Communication, elle obtient un DEA en Sciences de l'Education. Elle travaille aujourd'hui sur les questions de la création graphique en Sciences de l'Education. Ses recherches portent actuellement sur l' utilisation d'outils de création numérique en expression graphique chez l'enfant.

Adresse : Université de Provence, 1 avenue de Verdun 13410 LAMBESC

Courriel : perrine.martin@wanadoo.fr

Jean Ravestein est Docteur en Sciences de l’Education. Il est Maître de Conférences à l’Université de Provence depuis 2000. Il est membre de l’UMR ADEF et dirige un master « Ingénierie de Formation et Multimédia ». Ses travaux dans le domaine des TICE portent sur le processus de catachrèse outils-instruments dans les institutions éducatives et de formation. En particulier, ses travaux actuels sont consacrés à l’usage des moteurs de recherche à l’école élémentaire.

Adresse : Université de Provence, 1 avenue de Verdun 13410 LAMBESC.

Courriel : jean.ravestein@up.univ-mrs.fr

Toile : http://www.educaix.com/index.asp

 

 
Référence de l'article :
Perrine MARTIN, Jean RAVESTEIN, Une analyse de l’utilisation d’outils de création numérique en expression graphique chez de jeunes élèves, Revue STICEF, Volume 13, 2006, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 30/05/2006, http://sticef.org
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Mise à jour du 30/05/06