Utilisation
des ontologies dans les environnements d’écriture collaborative
d’hyperlivres, expériences et perspectives
Gilles
FALQUET, Luka NERIMA, Jean-Claude ZISWILER CUI,
Université de Genève
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RÉSUMÉ : Dans
le cadre d’une approche pédagogique basée
sur l’écriture collaborative d’hyperlivres,
nous avons développé et utilisé divers
modèles et systèmes d’hyperlivres fondés
sur la notion de document virtuel. L’une des composantes
de ces hyperlivres est une ontologie de domaine qui sert à
la fois à l’organisation de l’hyperlivre
et à l’inférence de liens et de documents
d’interface. Dans cet article nous présentons
tout d’abord nos modèles d’hyperlivres
avec pour chacun d’eux les observations que nous avons
pu effectuer lors de leur utilisation. Nous montrons ensuite
un certain nombre d’enseignements que nous avons tirés
de ces observations à propos de l’utilisation
des ontologies de domaine. Ces enseignements se situent d’une
part au niveau de l'ingénierie des hyperlivres et d’autre
part au niveau de la création d'ontologies. Finalement
nous montrons comment utiliser les ontologies pour étendre
le concept d’hyperlivre vers la prise en compte de divers
points de vue, l’intégration d’hyperlivres
dans une bibliothèque, la personnalisation et la génération
de documentations.
MOTS
CLÉS : Hyperlivre, hypertexte, outils de
l'écriture, travail collaborative, ontologie, point
de vue, intégration d'ontologies
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ABSTRACT : To
support a pedagogical approach based on the collaborative
writing of hyperbooks, we have developed several hyperbook
models and systems based on the virtual document idea. In
these hyperbooks, domain ontologies are used to organize the
information contents and to infer interface documents. This
article first presents our hyperbook models, together with
observations made when using them with student. Then we discuss
some of the lessons we have drawn about the use of ontologies
in these environments. These lessons concern both the engineering
of hyperbooks and the creation of domain ontologies. Finally
we show how to use ontologies to extend the hyperbook concept
to take into account several points of view, to integrate
hyperbooks into a library of hyperbooks, to personalize hyperbooks,
and to generate documentation about a topic.
KEYWORDS : Hyperbook,
hypertext, authoring tools, collaborative work, ontology,
point of view, ontology integration
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1. Introduction
Parmi les environnements informatiques pour l'apprentissage humain,
les environnements d'écriture, individuelle ou collaborative,
tiennent une place importante. Parmi ceux-ci, nous nous intéresserons
plus particulièrement aux systèmes hypertextuels et
aux documents virtuels. Les systèmes hypertextes antérieurs
au Web comptent parmi les premiers environnements d'écriture
collaborative [AkscynAl98]
et certains d'entre eux ont été utilisés dans
l'enseignement (INTERMEDIA [GarretAl86]).
D'autres systèmes mono-utilisateur ont également été
utilisés pour l'apprentissage de l'écriture (STORYSPACE
[Bernstein02])
ou de la conceptualisation d'un domaine (par exemple, MACWEB
[NanardNanard93]
ou CM-ED [Rueada04]).
On remarque également que, dès le début, l'hypertexte
a été vu comme un outil de partage ou de formalisation
de la connaissance et que certains systèmes, tel MACWEB,
sont munis d'un modèle explicite de représentation
des connaissances.
Dans cet article, nous étudierons l'importance de la notion
d'ontologie dans les environnements d'apprentissage basés
sur l'écriture collaborative d’hypertextes [Landow97].
Selon Gruber [Gruber93]
une ontologie est une spécification explicite d'une conceptualisation,
c'est-à-dire une représentation, formelle ou non,
de ce qui existe dans un domaine. En ce qui nous concerne, nous
nous limiterons aux ontologies formelles traitables par des machines.
Les modèles d'hyperlivres que nous présenterons s'appuient
d'une part sur la notion d'hypertexte et d'autre part sur celle
de document virtuel telle qu'elle a été définie
par S. Ranwez et M. Crampes [RanwezCrampes99]
et de document virtuel personnalisable [GarlattiCrampes02].
Les documents virtuels personnalisables sont définis comme
des ensembles d'éléments (souvent appelés fragments)
associés à des mécanismes de filtrage, d'organisation
et d'assemblage. En fonction du profil de l’utilisateur ou
de ses intentions, ces mécanismes vont produire différents
documents adaptés à ses besoins [IksalGarlatti02]
[Iksal02].
La notion de document virtuel a déjà été
utilisée pour réaliser des systèmes pour l’apprentissage
humain. Par exemple, dans [CrampesRanwez00]
les auteurs proposent deux modèles de documents virtuels.
Tous deux font appel à une ontologie de domaine pour indexer
les fragments d'information (ressources). Dans le premier cas, une
stratégie de "chaînage arrière
conceptuel" permet de créer des parcours de lecture
correspondant aux objectifs du lecteur (décrits en termes
de graphes conceptuels). Dans le second cas, une ontologie pédagogique
définit des règles pédagogiques qui guident
l'assemblage de fragments de manière à produire des
documents qui respectent une approche pédagogique définie.
Ces règles contraignent en particulier l'ordre d'apparition
des informations dans un document. Un moteur d'inférence
se charge de générer des documents qui satisfont les
règles.
L'article est organisé de manière suivante :
Dans la section 2, nous parlerons de nos expériences avec
des systèmes d'apprentissage basés sur l'écriture
menées ces dernières années, la section 3 contient
un résumé des éléments retenus des expériences
avec l'utilisation des systèmes. Dans la section 4, nous
présenterons nos réflexions et idées par rapport
à l'utilisation des ontologies dans les EIAH,
et nous conclurons cet article en parlant des perspectives et des
travaux envisagés dans notre groupe de recherche.
2. Les expériences que nous avons
menées
Dans cette section, nous présentons trois expériences
de développement et d’utilisation d’environnements
informatiques qui nous ont permis de mieux cerner les usages des
ontologies dans un environnement d’apprentissage. Ces trois
expériences ont été menées dans le même
contexte pédagogique et avec des objectifs similaires, bien
qu’ils se soient légèrement élargis au
cours du temps.
Nos expériences s’inscrivent dans une démarche
d’apprentissage par l’écriture ("learning
by writing"). En l’occurrence, il s’agit d’écrire
collaborativement un hyperlivre qui constitue à la fois des
notes de cours et un approfondissement de certains points. Cette
activité d’écriture vient compléter un
cours traditionnel dans le domaine de l'informatique (il ne s’agit
pas d’apprentissage à distance ou informatisé).
Le premier objectif pédagogique est donc d'améliorer
(ou de vérifier) la compréhension des notions étudiées.
En effet, l’écriture d’un contenu pertinent nécessite
forcément une compréhension suffisante de ces notions.
Le second objectif est de montrer aux étudiants l'unité
de la matière étudiée, en particulier les liens
qui peuvent exister entre des parties du cours qui n'ont pas été
présentées en même temps. C'est pour répondre
à cet objectif que nous nous sommes intéressés
à l'écriture d'hypertextes et non pas de simples textes.
Notre hypothèse était qu'en demandant aux étudiants
de créer des liens hypertextuels pertinents ils seraient
amenés à visiter toute la matière du cours
et à trouver par eux-mêmes des correspondances intéressantes.
2.1. Écriture à l'aide des technologies du Web
Cette première expérience d'écriture collaborative
d'hyperlivre a consisté à utiliser les techniques
de base du Web (pages HTML et documents
PDF sur des serveurs HTTP)
pour enrichir les notes de cours fournies par les enseignants.
Cette activité était proposée dans trois cours
(Bases de données, Structures de données
et Outils formels pour les systèmes d'information)
de premier cycle universitaire, onze groupes d'étudiants,
de deux à quatre personnes, y ont participé. Chaque
groupe d’étudiants était chargé de produire
un ensemble de pages HTML correspondant à une vision transversale
du cours, par exemple : les algorithmes ; les exercices ;
un recueil de questions-réponses ; des textes de vulgarisation ;
des exemples ; un index ; un glossaire ; une carte
conceptuelle de la matière. Il était précisé
que l'évaluation du travail serait basée sur la qualité
des contenus et sur la qualité des liens hypertextes internes
(entre les pages d'un même groupe) et externes (vers les pages
des autres groupes et vers les notes de cours).
2.1.1. Observations :
Nous avons constaté que les étudiants ont réussi
à produire des contenus de bonne qualité, reflétant
une bonne compréhension de certaines matières et montrant
qu'ils avaient effectivement parcouru transversalement les notes
de cours. Cependant, ils n'ont pas réussi à créer
une structure hypertextuelle cohérente entre les travaux
des divers groupes. La raison invoquée par les étudiants
relevait essentiellement du modèle d'hypertexte proposé
par le Web. En effet, les liens ne sont pas des objets autonomes,
ils sont forcément décrits à l'intérieur
du contenu des documents par des balises <a> ... </a>,
ce qui complique leur création. De plus, les nœuds (documents)
de l'hypertexte n'ont pas d'identité fixe, le simple fait
de renommer ou de déplacer un fichier HTML, ce qui arrive
souvent en situation de création d'un hypertexte, invalide
tous les liens vers ce document.
Cette expérience nous a également montré que
l'aspect terminologique (en l'occurrence un glossaire de termes)
pouvait et devait jouer un rôle central dans l'écriture
d'un tel hyperlivre. En effet, pratiquement chaque document pouvait
se lier de manière évidente avec une ou plusieurs
entrées du glossaire. En fait, la plupart des liens établis
entre pages de différents groupes pointaient vers le glossaire.
Il devenait donc naturel de concevoir le glossaire comme un point
central permettant de lier entre elles les autres parties de l'hyperlivre.
2.2. Application Web pour l'écriture d'hyperlivre
La création directe de pages Web (fichiers HTML)
ayant montré ses limites du point de vue de la gestion des
liens hypertextuels, nous avons décidé d'offrir aux
étudiants un environnement se rapprochant plus de ce qui
existe dans les "bons" systèmes
de gestion d'hypertextes. Nous avons donc réalisé
une application d'écriture collaborative d'hyperlivre munie
d'une interface Web.
Les utilisateurs n'écrivent plus de fichiers HTML,
mais créent, grâce à des formulaires Web, des
fragments d'information (les nœuds de l'hypertexte) qui sont
stockés dans une base de fragments. Ils peuvent ensuite créer
des liens entre ces fragments indépendamment du contenu de
ceux-ci (c'est-à-dire sans avoir à modifier leur contenu
avec des balises HTML). Les fragments
sont la propriété de leur auteur, de même que
les liens, qui sont des objets à part entière. De
plus, chaque fragment possède une catégorie telle
que concept (fragment terminologique qui décrit
un concept), exemple, exercices, annotation,
remarque, propriété, etc. Les liens,
quant à eux, peuvent être typés. Le type d'un
lien est une simple étiquette et n'a pas de sémantique
particulière pour le système. Chaque utilisateur est
libre de créer les types de liens qui lui semblent le mieux
représenter le sens des liens qu'il a établi.
Nous avons également basé cette application sur la
notion de document virtuel. C'est-à-dire que le réseau
de fragments et de liens forme la couche informationnelle de base
à partir de laquelle peuvent être générées
des pages Web qui représentent cette information. Le but
de cette séparation entre l'information et sa représentation
est de fournir des interfaces de lecture qui facilitent la compréhension
de l'information. En particulier, le regroupement du contenu de
plusieurs fragments sémantiquement liés sur une seule
page Web évite à l'utilisateur de devoir parcourir
des liens hypertextuels pour reconstituer le même contenu
informationnel. Il s'agit donc d'une technique de réduction
de la distance articulatoire (entre la forme du message et son interprétation).
Dans cet hyperlivre nous avons par exemple défini un document
de présentation des fragments composé du contenu du
fragment et d'une liste des concepts et autres fragments liés.
En cliquant les noms de concepts, l'utilisateur pouvait faire apparaître
les définitions de ceux-ci à côté du
contenu du fragment (comme un encadré dans un journal).
Pour réaliser cet aspect document virtuel, nous avons utilisé
le système de spécification de vues hypertextuelles
Lazy [Lazy04]
[FalquetMottaz03]
qui permet de spécifier de manière purement déclarative
la composition des pages et des liens qui forment l'interface de
lecture. La Figure 1 présente le modèle
conceptuel de cet environnement.
Figure 1 : Structure d'hyperlivre et interface
2.2.1. Observations :
Dans cette expérimentation nous n'avons plus assigné
une tâche transversale à chaque groupe. La consigne
était de créer un certain nombre de fragments (une
dizaine) de différentes natures (algorithme, exercice, concept,
exemple, ...) et surtout de lier chaque fragment à au moins
un autre fragment, si possible créé par un autre groupe.
L'hypertexte initial ne comprenait que des fragments terminologiques
créés par les enseignants.
Les étudiants ont à nouveau réussi à
créer des contenus intéressants. Cependant, les liens
qu'ils ont créés se sont révélés
trop nombreux et peu pertinents. L'idée pédagogique
était que pour créer des liens qui font sens, les
étudiants seraient amenés à parcourir les autres
fragments et donc à lire une bonne partie de l'hyperlivre.
En fait, les étudiants se sont souvent contentés de
créer des liens de faible qualité sémantique
(nous ne savons pas s'ils ont parcouru beaucoup de fragments). De
plus, ils ont défini un grand nombre de types de liens, souvent
redondants et peu spécifiques.
Les étudiants ont également eu de la peine à
créer des fragments terminologiques (de catégorie
concept) correspondant effectivement à des concepts
du domaine. Les liens sémantiques entre ces fragments étaient
également de faible qualité. Ceci est du reste conforme
aux conclusions de plusieurs travaux sur la création de structures
ou cartes conceptuelles par des étudiants. [AlevenAl03]
[BasqueAl03]
[BruillardBaron00].
Par contre les fragments et liens conceptuels créés
par les enseignants se sont révélés utiles
pour fournir des points d'entrée dans l'hyperlivre.
2.3. Seconde application pour l’écriture d’hyperlivres
Pour remédier aux différents problèmes rencontrés
avec la première application d’écriture d’hyperlivres,
nous avons modifié le modèle sous-jacent et l’interface
de lecture/écriture. Nous avons séparé clairement
le niveau conceptuel du niveau fragment, ce qui nous a conduit à
définir trois classes de liens : les liens entre concepts
(appelés relations), les liens entre fragments et les liens
entre concepts et fragments. Pour ces deux dernières classes,
nous avons défini une liste fermée de types de liens,
afin d’éviter la dispersion et l’hétérogénéité
constatées précédemment.
La structure d'hyperlivre est composée des classes représentées
sur le diagramme de classes de la Figure 2(nous
avons utilisé une notation de type UML).
Figure 2 : Classes de la structure d'hyperlivre
La partie structurelle d'un hyperlivre est un ensemble d'objets
qui sont des instances des classes de la structure d'hyperlivre.
Les deux classes Lien-O-F et Lien-F-F sont des classes associatives
(associations) qui représentent les liens entre l'ontologie
de domaine et les fragments et entre les fragments eux-mêmes.
Les liens entre fragments peuvent être de plusieurs natures
: structurels (fragment composé de sous-fragments), argumentatifs
(remarque, contradiction, argument, position, ...) ou narratifs/rhétoriques
(renforcement, élaboration, question-réponse, ...)
Le typage des liens entre concepts et fragments permet de qualifier
un fragment non seulement en indiquant de quoi il parle mais également
de préciser son rôle par rapport au concept. Les types
de liens que l'on trouve fréquemment sont, entre autres :
-
instance (exemple, illustration) :
le fragment décrit une instance particulière du
concept
-
définition : le fragment contient
une définition textuelle (ou autre) du concept
-
propriété (précision,
description): le fragment décrit une propriété
du concept
-
référence (utilise) :
le fragment fait référence à ce concept
(il est nécessaire de connaître le concept pour
comprendre le fragment)
Chaque hyperlivre peut fixer ses propres types de relations, de
liens concept-fragment et de liens entre fragments, en fonction
du domaine traité et des objectifs de rédaction poursuivis.
Notons ici que ces liens entre concepts et fragments ressemblent
fortement à la relation topic-occurrence dans les
cartes topiques (topic maps) [Pepper00].
Il serait du reste tout à fait envisageable d'utiliser directement
le modèle des cartes topiques pour la partie structurelle
d'un tel hyperlivre.
Le principal changement introduit dans ce modèle d'hyperlivre
réside dans l'utilisation du niveau ontologique non seulement
comme référence terminologique mais comme aide à
l'écriture hypertextuelle. Pour cela l'ontologie va servir
à inférer des documents d'interface et en particulier
des hyperliens entre ceux-ci. L'objectif est de limiter le nombre
de liens que l'utilisateur doit créer lui-même et surtout
de ne lui demander de créer que des liens dont il maîtrise
bien la sémantique, en l'occurrence les liens entre fragments
et concepts. À partir de ces liens, des relations entre concepts
et de règles d'inférence, le système d'hyperlivre
se chargera de générer de nouveaux liens entre fragments
ou même entre concepts.
La Figure 3 montre deux exemples de liens inférés,
de type autre-exemple, obtenus en parcourant des liens ontologie-fragment
et des relations entre concepts.
Figure 3 : Inférence de liens à
travers l'ontologie de domaine
La règle d’inférence correspondant aux liens
de cet exemple est :
X ¾autre-exemple→
Y si X ←exemple¾
C ←est-un*¾ C’
¾exemple→ Y
qui signifie : on peut créer un lien de type autre-exemple
entre les fragments X et Y s’il existe un lien
de type exemple entre X et un concept C, un
lien de type est-un* d’un concept C’ vers
C, et un lien de type exemple entre C’
et le fragment Y. La notation est-un* signifie que
C et C’ peuvent être liés soit
directement par un lien est-un, soit à travers une
chaîne de liens est-un.
Inversement, on peut inférer des relations entre concepts
à partir des fragments, comme le montre l'exemple ci-dessous.
Ainsi, l'interface pourra présenter pour chaque concept non
seulement ses liens de caractère définitoires (sous-concept,
partie-de, utilisation, etc.) mais également des liens correspondant
à des propriétés du domaine étudié.
Figure 4. Inférence d'un lien entre
concepts à partir d'un fragment
Dans ce cas, la règle d'inférence sera
X ¾F.titre→
Y si X ←référence¾ F ¾référence→ Y
C'est-à-dire qu'on peut créer un lien de X
à Y s'il existe un fragment F qui possède
un lien de référence vers X et un vers Y.
Dans ce cas on a choisi de donner comme type au lien inféré
le titre du fragment (F.titre). Ici, la règle d'inférence
étant symétrique, on obtiendra en fait un lien de
ce type dans chaque direction (de X à Y et
de Y à X)
Étant donné que la structure d'hyperlivre et l'ontologie
de domaine ont une structure de graphe, on peut exprimer une grande
variété de règles d'inférence sous forme
d'expressions de chemins. Ces règles d'inférences
sont exprimées dans la spécification d'interfaces
(sous forme de chemins de jointures relationnelles en l'occurrence).
La figure ci-dessous montre un document d'interface contenant, outre
le texte d'un fragment et ses liens directs avec des concepts, des
liens inférés vers d'autres fragments ("Notes
voisines"). Ici la règle d'inférence est
X ¾T&C.terme→
Y si X ¾T→
C ←T¾ Y
On crée un lien entre X et Y, s'il existe
un lien de type T de X vers un concept C et
un lien du même type de Y vers C. Le type du
lien inféré sera la concaténation de T
et du nom (terme) du concept commun. Par exemple, si deux fragments
ont un lien de référence vers le concept Langage
régulier on établira un lien de type référenceLangage
régulier entre eux.
Remarquons que dans cette interface nous avons choisi le terme
note, plus familier des utilisateurs, en lieu et place de
fragment.
Figure 5 : Un fragment et des liens inférés
("Notes voisines")
L'exemple qui suit montre un concept et sa définition, un
lien direct avec un autre concept (Grammaire hors contexte, ...),
un lien inféré à travers un fragment (Opération,
...) et des liens vers des fragments (Notes)
Figure 6. Un concept et des liens inférés
à travers les notes
L'expérimentation s'est déroulée dans le cadre
de deux cours de premier cycle : Outils formels pour les systèmes
d'information (13 groupes) et Nouvelles technologies de l'information
et de la communication (9 groupes). La tâche de chaque groupe
était de créer au moins huit fragments. Nous avons
demandé aux étudiants de ne plus chercher à
lier les fragments directement entre eux mais de lier chaque fragment
à au moins un concept de l'ontologie à travers un
lien typé.
Les enseignants étaient chargés de créer le
niveau ontologique en ajoutant de nouveaux concepts dès qu'ils
avaient été présentés dans les cours
présentiels.
L'interface que nous avons spécifiée n'utilisait
que les règles d'inférence de liens "note
voisine" et "inférence de liens
entre concepts à travers une note" que nous avons
montrées ci-dessus. De plus, tous les fragments liés
par un lien de type définition à un concept
étaient automatiquement insérés dans le document
présentant le concept.
2.3.1. Observations :
Ce nouveau modèle de l’hyperlivre a rendu la tâche
de l’établissement des liens entre les fragments et
les concepts plus facile pour les étudiants. D’une
part, disposant d’une ontologie du domaine dès le début
de l’écriture de l’hyperlivre, les étudiants
ont eu plus de facilité à choisir le sujet et le point
d’ancrage pour leurs fragments. Cette propriété
s’est avérée particulièrement utile pour
l’écriture des premiers fragments. D’autre part,
le typage du lien et le fait que le type est à choisir dans
une liste fermée aide l’auteur à définir
la sémantique du lien. La grande majorité des liens
ainsi construits étaient pertinents et possédaient
une sémantique claire. Lors de l'évaluation du travail
nous avons constaté que l'hypertexte obtenu était
plus lisible et plus compréhensible que lors des expériences
précédentes. En particulier, les liens directs ou
inférés étaient pour la plupart pertinents
et n'induisaient pas le lecteur en erreur.
Dans la plupart des cas, les étudiants ont établi
exactement un lien par fragment. Une question se pose : est-il
préférable de relier un fragment à un seul
concept ou à plus d’un concept ? En faveur de
la première option, on peut argumenter que le choix du concept
le plus pertinent auquel relier un fragment est une activité
pédagogique intéressante pour l’étudiant
car elle demande une analyse précise des concepts de l’ontologie ;
elle favorise aussi la rédaction de fragments qui présentent
une bonne unité de lecture, propriété qui était
d’ailleurs demandée par l’enseignant ; enfin,
la structure de l’hyperlivre ainsi obtenue est simple en termes
du nombre de liens et favorise la navigation. Dans la deuxième
option, c’est une vision globale du domaine qui est encouragée
puisque l’étudiant doit produire un contenu de fragment
qui se rapporte à plusieurs concepts du cours. De plus, comme
nous l’avons vu précédemment, les fragments
reliés à plusieurs concepts peuvent être à
l’origine d’inférences de liens entre concepts.
La création de l’hyperlivre au niveau conceptuel est
du ressort de l’enseignant. Elle est loin d’être
triviale et les enseignants ont relevé qu’elle demandait
un important investissement en temps. Mais cette activité
est également très intéressante : en structurant
le domaine du cours en terme de concepts, l’enseignant travaille
au niveau global de son cours et peut être éventuellement
amené à l’intégration de nouveaux sujets
ou à la refonte de la structure de son cours.
Nous avons constaté que le mécanisme d'inférence
a généré des liens intéressants, comme,
par exemple, celui de la Figure 4. A contrario,
dans l'hyperlivre sur les nouvelles technologies de l’information
et de la communication, un étudiant a relié un fragment
à deux concepts qui étaient déjà reliés
entre eux par un lien de type partie-de. Le système
a inféré un lien entre les concepts qui est redondant
avec le lien existant (voir la figure ci-dessous). Pour remédier
à ce problème, on pourrait envisager des règles
d’inférence plus fines qui inhibent la création
de liens dans certaines configurations. Dans cet exemple, on peut
aussi critiquer les liens établis par l’étudiant
qui ont fait un lien vers un concept et un autre vers le concept
parent.
Figure 7. Exemple d’inférence
d’un lien redondant
3. Hyperlivres et ontologies : les
leçons retenues
Les leçons tirées des expériences présentées
ci-dessus concernent d'une part l'utilisation des ontologies pour
améliorer les interfaces d'accès et l'écriture
des hyperlivres pédagogiques et d'autre part la construction
des ontologies de domaine dans un contexte d'apprentissage humain.
3.1. Ontologies et interfaces des hyperlivres
Une ontologie de domaine s'avère être un outil très
efficace pour inférer des hyperliens qui ont du sens dans
les documents d'interface, pour autant que les conditions suivantes
soient remplies :
-
la sémantique des relations entre concepts
doit être parfaitement claire, de manière à
permettre la spécification d'inférences de liens
dont la sémantique est bien définie
-
pour la même raison, les liens entre concepts
de l'ontologie et fragments d'informations doivent être
typés (instance, exemple, exercice, référence,
etc.). Si ce n'est pas le cas, l'ontologie ne peut jouer qu'un
rôle d'index sémantique.
Nous pensons donc qu'il est utile de distinguer dans l'ontologie
un ensemble de relations définitoires (ou importantes et
bien formalisées dans le domaine), sur lesquelles vont se
construire les règles d'inférence (généralisation
/ spécialisation, partie-de, conséquence, ...) et
des relations qui représentent des axiomes du domaine. Dans
ce dernier cas, il est peut-être même souhaitable d'inférer
ces relations à travers des fragments. Par exemple, il y
a un lien sémantique entre "automate
fini déterministe" et "automate
fini non-déterministe" à travers le fragment
"algorithme de transformation d'un automate
non-déterministe en automate déterministe"
(voir Figure 4).
Du point de vue de l'interface de lecture et d'écriture,
l'ontologie de domaine est également d'une grande aide structurelle
à l'utilisateur. Elle fournit premièrement une porte
d'entrée dans l'hyperlivre. En naviguant dans l'ontologie,
le lecteur peut immédiatement se faire une idée du
contenu de l'hyperlivre. Elle offre une vision de haut niveau qui
permet ensuite de descendre dans les détails (les fragments).
En ce sens, elle réalise le principe de design d'interfaces
qui veut que l'on puisse commencer par survoler un contenu informationnel
avant de se focaliser sur un centre d'intérêt. [Scheiderman98].
La Figure 8 ci-dessous montre une vue de type
"oeil de poisson" de l’ontologie
d’un hyperlivre. Le lecteur peut amener les concepts qui l’intéressent
vers le centre pour les voir plus en détail, il peut ensuite
naviguer vers des documents de présentation des concepts
en cliquant l’étiquette d’un concept.
Figure 8 : Vue "oeil
de poisson pyramidal" de l’ontologie d’un hyperlivre
En second lieu, l'ontologie offre un point d'ancrage évident
à l'auteur d'un nouveau fragment. L'expérience a montré
que les utilisateurs n'ont aucune peine à lier leurs fragments
au(x) concept(s) dont ils relèvent. Ainsi tout nouveau fragment
se trouve aussitôt placé dans l'hyperlivre et associé
(par inférence) à d'autres fragments.
Ces utilisations de l'ontologie de domaine concourent donc bien
à offrir aux utilisateurs une vision du domaine qui remédie
aux défauts de la vision linéaire correspondant à
l'ordre temporel de présentation du cours.
Plusieurs études montrent également que l'accès
à l'ontologie (ou à une autre organisation de la connaissance)
améliore la compréhension du domaine chez les étudiants.
[SmithAl04].
Cependant, d'autres études, citées dans [BruillardBaron00],
indiquent au contraire que l'accès à une carte conceptuelle
n'aide pas les étudiants à construire leur propre
vision du domaine. C'est pourquoi nous préférons considérer
l'ontologie comme une aide à l'(hyper)écriture et
à la navigation plutôt que comme un outil de compréhension
directe du domaine.
3.2. Construction d'ontologies
L'observation de la construction elle-même de l'ontologie
de domaine d'un hyperlivre nous amène à faire les
constatations suivantes selon différents points de vue.
3.2.1. Du point de vue de l'enseignant / éditeur de l'hyperlivre
La tâche de création de l'ontologie demande un effort
de conceptualisation important. En effet, à l'heure actuelle
on ne dispose pas d'ontologies toutes faites qui correspondent au
besoin d'un enseignement particulier. Soit les ontologies disponibles
sont trop générales (par exemple WORDNET),
soit elles ne fournissent pas les relations sémantiques que
l'on attend (on n'a souvent que des liens taxonomiques). On constate
également que même dans des domaines bien établis,
comme la logique ou l'algèbre, les définitions classiques
ne suffisent pas à constituer une ontologie cohérente.
Il est parfois nécessaire d'ajouter un concept général
pour regrouper plusieurs concepts connus, ou de créer de
nouvelles définitions pour obtenir un ensemble plus homogène
de concepts.
Cet effort de conceptualisation est cependant très intéressant
car il permet à l'enseignant de mieux appréhender
son domaine et même d'en découvrir des aspects souvent
cachés par l'usage "standard"
des concepts. La création de sa propre ontologie de domaine
est également une manière de matérialiser sa
propre vision du domaine, de la comparer à d'autres et de
développer une approche pédagogique originale. Plusieurs
études dans le domaine des cartes conceptuelles mettent du
reste en évidence l'intérêt d'une conceptualisation
pour le concepteur lui-même [BruillardBaron00].
Lors de nos expériences, les enseignants étaient
des informaticiens qui avaient une certaine familiarité avec
l'ingénierie des connaissances. Il est clair que, pour des
enseignants venant d'autres disciplines, il faudra prévoir
des guides méthodologiques et des outils leur permettant
de produire des ontologies cohérentes et utilisables.
3.2.2. Du point de vue des modèles et méthodologies
pour la représentation des connaissances
Il existe à l'heure actuelle assez peu de travaux dans la
littérature proposant des méthodes complètes
de construction d'ontologies. Certains auteurs présentent
des méthodologies très générales [Guarino98a]
et à base philosophique, mais il existe peu d'approches pratiques.
C'est généralement l’architecture de l’outil
de création qui détermine fortement la conceptualisation
d’une ontologie (voir par exemple le tutoriel de Protégé
[NoyMcGuinness]).
De plus, les études méthodologiques concernent essentiellement
la création de grandes ontologies (plusieurs centaines ou
milliers de concepts) visant une large communauté d'utilisateurs
et les solutions proposées peuvent mettre en jeu un appareillage
théorique et technique complexe.
Dans le cas des ontologies d'hyperlivre le problème de la
conception est nettement simplifié. D'une part les ontologies
à créer sont de petite taille (quelques dizaines de
concepts) et d'autre part elles ont un but bien précis :
montrer aux étudiants des relations importantes entre concepts
et servir à inférer des liens entre fragments (plutôt
que d'établir des définitions générales).
Ce but permet de déterminer un ensemble limité de
types de liens entre concepts. A ce niveau, nous avons constaté
qu'il est préférable de ne pas faire de distinction
entre les deux sens "instance de" et
"sous-concept de" de la relation d'hyponymie
"est un". Cette distinction est parfois
subtile, et surtout, elle complique l'évolution de l'ontologie
au cours du temps (on devra parfois transformer des instances en
sous-concepts et vice-versa).
Comme le notent [SmithAl04],
un modèle unique de représentation de connaissances
ne peut exprimer toute la richesse d'un domaine scientifique. Par
exemple, dans le modèle que nous utilisons, il n'est pas
aisé de représenter des notions comme "la
logique" ou "la conception des bases
de données" car il s'agit de sous-domaines ("topics")
plus que de concepts (possédant des instances).
Une autre question qui surgit inévitablement est le degré
de précision que l'on attend d'une ontologie. Si, comme on
l'a mentionné plus haut, le but de l'ontologie est d'inférer
des liens et de fournir des points d'ancrage pour les fragments,
il n'est pas nécessaire d'entrer dans trop de détails.
Par contre, une description très détaillée
des concepts s'impose si l'on a de nombreux concepts très
peu différents (par exemple des types de meubles...) et surtout
si l'on veut pouvoir comparer automatiquement ces concepts, comme
c'est le cas pour l'intégration d'ontologies ou d'hyperlivres
(cf. section 4.1).
Enfin, nous avons constaté que même dans le contexte
restreint d'un cours, il peut exister différents contextes
d'utilisation ou points de vue sur un concept. Par exemple, dans
un cours d'algorithmique on peut avoir un point de vue théorique
(complexité des algorithmes, calculabilité...), un
point de vue génie logiciel (spécification formelle,
vérification...) ou encore un point de vue pratique (applications
industrielles, normes...). Il semble donc intéressant de
pouvoir annoter les éléments tels que les concepts,
les relations et les liens entre l'ontologie et les fragments par
des étiquettes indiquant pour quel point de vue ils sont
pertinents. Cette indication de point de vue sera non seulement
utile à la compréhension du sujet du cours, mais elle
pourra aussi permettre d'adapter l'interface de lecture en fonction
d'un point de vue choisi par le lecteur (par exemple en cachant
tout ce qui n'est pas pertinent dans le point de vue en question).
3.2.3. Du point de vue des outils d'aide à la création
d'ontologies
Au cours de différents projets nous avons eu l'occasion
de tester différents outils de création et de gestion
d'ontologies. Nous avons, par exemple, développé une
ontologie de l'OMC (Organisation mondiale
du commerce) avec Protégé 2000 de l'Université
de Stanford [Protégé04],
Dans le cas de l'écriture d'hyperlivre, le recours à
de tels outils semble non seulement inutile mais même contre-productif.
Outre le fait que ces outils nécessitent pour la plupart
l'apprentissage d'un modèle de représentation des
connaissances sans doute trop puissant, ils sont difficilement intégrables
dans une interface d'écriture d'hyperlivre. Leur utilisation
impliquerait le passage d'une interface à l'autre en cours
de travail. Il est nettement plus efficace de fournir une interface
unique pour accéder aussi bien aux fragments qu'aux concepts,
avec évidemment des présentations différenciées.
Une autre limitation que nous avons constatée dans beaucoup
d'éditeurs d'ontologie est la prise en compte souvent sommaire
ou inexistante du travail collaboratif. Sur ce point également,
il apparaît qu'une bonne intégration entre les niveaux
ontologie et fragment offre des solutions simples pour le travail
collaboratif sur l'ontologie. On peut, par exemple créer
des discussions sur des concepts en les liant à des fragments
contenant des remarques ou questions, proposer des définitions
alternatives, etc. En fin de compte, on s'aperçoit que l'écriture
des fragments et la construction de l'ontologie vont de pair et
peuvent s'enrichir mutuellement.
Enfin, il faut signaler que le Web lui-même devient un outil
précieux pour construire des ontologies. S'il est clair que
l'on trouve encore très peu d'ontologies toutes faites sur
le Web, on y trouve par contre de très nombreux glossaires
et dictionnaires. Ceux-ci fournissent des ensembles de concepts
et même des taxonomies qui constituent des points de départ
intéressants pour construire une ontologie. Nous sommes en
train de tester cette approche pour constituer l'hyperlivre d'un
cours sur les interfaces homme-machine.
Dans ce contexte, on peut aussi envisager d'utiliser des outils
d'apprentissage automatique (machine learning) pour tenter
d'extraire de la connaissance ontologique automatiquement à
partir du contenu des fragments. De tels outils, basés sur
la recherche de co-occurrences de termes ou sur le regroupement
de documents similaires peuvent proposer des concepts et des liens
à ajouter à l'ontologie.
4. Réflexions et propositions
pour l'usage des ontologies
Nos expériences montrent que les ontologies peuvent être
utilisées selon deux axes : premièrement, en
tant que support pour la création de documents virtuels,
l’inférence de liens et l’entrée dans
un hypertexte [Landow97] ;
deuxièmement, en tant qu’objet dont la création
force l’enseignant (ou le créateur d’EIAH)
à conceptualiser son domaine. Dans cette section, nous présentons
des développements autour de la notion d’hyperlivre
virtuel basé sur une ontologie de domaine ainsi que des questions
soulevées par ces développements.
4.1. Hyperlivre multipoint de vue
Nous avons poursuivi le développement de nos modèles
d’hyperlivres en y ajoutant la notion de point de vue [FalquetMottaz01],
[FalquetZiswiler03].
L'intérêt d’ajouter des points de vue est basé
sur plusieurs faits. Lorsqu’un auteur rédige un livre
(imprimé), il doit organiser le contenu de manière
à respecter la contrainte de séquentialité
de la lecture. Par rapport aux hyperlivres où le contenu
est fortement structuré et découpé, les livres
physiques contiennent donc une certaine originalité due à
l’organisation donnée par l'auteur. Nous pensons que
la notion de point de vue permet de conserver cette originalité
dans l’hyperlivre. Par exemple, le marquage des relations
sémantiques par des points de vue, comme illustré
dans la Figure 9, permet aux auteurs d’ajouter
leur propre logique de lecture. Dans cet exemple, l’ontologie
exprime les assertions suivantes : "selon
un point de vue micro-politique, les systèmes électoraux
majoritaires impliquent la création des systèmes de
partis politiques bipartis" et "du
point de vue de l’institutionnaliste le bipartisme implique
l’émergence de systèmes électoraux majoritaires".
Cet extrait d’une ontologie du domaine des sciences politiques
présente donc deux positions contradictoires qui se
basent toutes deux sur divers faits ou observations. L’introduction
de points de vue permet de respecter les deux positions par rapport
à la question de savoir quel fait a impliqué quelle
conséquence. Une telle structure permet, par exemple, une
discussion entre plusieurs auteurs d’un hyperlivre autour
du même sujet.
Figure 9 : Deux points de vue
L’exemple précédent montrait deux points de
vue différents sur une relation entre concepts. Il se peut
également qu’il existe deux points de vue sur la définition
même d’un concept. Par exemple, la définition
de la notion de conséquence logique ne sera pas tout
à fait la même d’un point de vue mathématique
que d’un point de vue philosophique. Dans ce cas, la question
qui se pose est de savoir si ces deux définitions correspondent
exactement au même concept (même extension) ou s’il
s’agit de concepts légèrement différents.
Dans ce dernier cas, on aura deux concepts correspondant au même
terme conséquence logique, chacun lié à
un point de vue. Afin de garantir la cohérence de l’ontologie
on demandera également que ces deux concepts soient des sous-concepts
d’un concept plus général correspondant au même
terme. En effet, nous considérons que deux points de vues
ne doivent pas être incompatibles mais refléter différentes
perspectives sur un concept général. Dans le cas où
l’on a à faire à un seul et même concept,
ce sont les relations de ce concept qui seront associées
à des points de vue différents. On aura donc bien
deux vues sur le même concept.
Comme le montre la Figure 10, dans le modèle
d’hyperlivre multipoint de vue, la notion de point de vue
s'applique aux concepts de l'ontologie de domaine et aux liens entre
l’ontologie et les fragments. N'importe quel concept ou relation
de l'ontologie et n'importe quel lien entre l’ontologie et
les fragments peut appartenir à zéro, un ou plusieurs
points de vue. Les points de vue sont organisés hiérarchiquement
par une relation générique/spécifique. Par
exemple, le point de vue académique peut avoir comme
sous-points de vue étudiant, chercheur et enseignant.
Figure 10. Classes de la structure d'hyperlivre
multipoint de vue
La notion de point de vue facilite également la réutilisation
d’une ontologie de domaine. Un auteur peut profiter d'une
ontologie existante et y ajouter les relations et concepts spécifiques
à son point de vue.
4.2. Intégration d'hyperlivres
L’intégration d’hyperlivre est la suite logique
de l’idée de vision globale ou transversale d’un
cours à travers un hyperlivre. Le but est de passer de la
vision globale d'un cours à la vision globale d'un "enseignement",
c'est-à-dire d'un programme d'étude, en établissant
des liens entre les cours. Ou de façon plus générale,
on peut parler du passage des hyperlivres à la bibliothèque
d'hyperlivres.
L’intérêt de l’ontologie dans ce cas est
de fournir une sorte d’interface sémantique, entre
les hyperlivres à intégrer. Le principe d’intégration
que nous proposons consiste tout d’abord à établir
des liens d’équivalence et de similarité entre
ontologies (alignement d'ontologies), puis à utiliser ces
ontologies interconnectées pour inférer des liens
entre fragments de différents hyperlivres ou pour construire
des documents d’interface à partir de fragments de
plusieurs hyperlivres. Les liens entre ontologies doivent garantir
la cohérence sémantique des documents et liens inférés.
L’automatisation de l’intégration demande un
travail de précision des ontologies (ajout de propriétés)
pour pouvoir appliquer des techniques telles que celle de Rodriguez
et Egenhofer [RodriguezEgenhofer03].
Dans cette technique, la similarité entre deux concepts est
la somme pondérée de trois mesures : similarité
des termes (ensembles de synonymes) ; similarité des
attributs (ensembles de valeurs) et similarité des voisinages
sémantiques (ensembles des concepts proches dans le graphe
des liens sémantiques). Le calcul de la similarité
de ces ensembles tient de plus compte de la différence de
profondeur des concepts dans leurs ontologies respectives.
Dans le cas du document virtuel, nous disposons d’une information
supplémentaire pour évaluer la similarité entre
concepts grâce aux fragments liés à chaque concept.
Cette similarité "documentaire"
entre les deux fragments peut être prise en compte
dans le calcul de la similarité entre les deux concepts.
On notera ici l’importance du typage des liens entre concepts
et fragments. En effet, la comparaison n’a de sens que si
les fragments comparés jouent le même rôle par
rapport aux concepts. Si, par exemple, le fragment a est
un exemple du concept A alors que b est un contre-exemple
de B, une forte similarité entre a et b
n’implique pas une forte similarité entre A
et B, bien au contraire. Nous présentons cette technique
plus en détail dans [FalquetAl04]
où nous montrons également comment réutiliser
les spécifications d’interfaces des hyperlivres intégrés.
4.2.1. Ontologies individuelles ou communes ?
Le problème de l’intégration d’hyperlivre
soulève inévitablement la question de la définition
et l’utilisation d’ontologies communes (centralisées)
pour chaque domaine. Dans une optique d'intégration du matériel
pédagogique il est clair qu'une ontologie commune simplifierait
le travail. Cependant une telle approche se heurte à plusieurs
obstacles et elle présente certains désavantages.
Le premier obstacle est la disponibilité d'ontologies communes
suffisamment précises pour satisfaire aux besoins de chaque
hyperlivre. Le second obstacle est la difficulté de créer
des ontologies sur lesquelles tout le monde soit d'accord. Etant
donné qu'une ontologie représente une manière
(parmi d'autres) de conceptualiser un domaine, l'utilisation d'ontologies
communes (standardisées) risque de faire perdre le point
de vue original de chaque auteur ou enseignant sur sa matière.
Les ontologies communes posent également des problèmes
pratiques de disponibilité, de performance, de diffusion
des mises à jour et de pérennité. Il est par
contre reconnu qu'une ontologie commune peut avantageusement servir
de point de départ pour la construction d'une ontologie individuelle.
4.3. Personnalisation et points de vue
Il existe plusieurs manières de personnaliser un contenu
pédagogique. Nous avons déjà mentionné
les travaux de S. Garlatti et S. Iksal, mais on peut également
se référer aux travaux effectués dans le domaine
de la personnalisation des hypertextes qui ont conduit à
la définition de modèles et de techniques d’adaptation
et d’adaptativité [DeBraCalvi97],
[DeBra02],
[Brusilovsky98a],
[Brusilovsky98b].
La capacité d’adaptation correspond à la présentation
de contenus différents ou différemment organisés,
en fonction d’un profil de l’utilisateur. L’adaptativité
consiste à mettre à jour automatiquement le profil
de l’utilisateur formé d'attributs et de valeurs, ou
un profil dynamique en fonction de son comportement. Un exemple
bien connu d’adaptativité est le changement de couleurs
des liens menant à des pages Web déjà visitées.
Dans [WuAl01],
les auteurs proposent un modèle d’hypertexte adaptatif
qui comprend un modèle du domaine, un modèle de l’utilisateur
et des règles d’adaptation. Le modèle du domaine
est un réseau sémantique formé des concepts
du domaine et de relations entre ces concepts. Ce modèle
sert essentiellement à définir des règles d’adaptation,
en fonction, par exemple, des concepts connus (ou maîtrisés)
par l’utilisateur.
La notion de point de vue sur une ontologie, que nous avons présentée
précédemment, peut également servir de base
à la personnalisation d’un hyperlivre pédagogique.
En effet, si les points de vue servent à distinguer différentes
approches "concurrentes" d’un domaine, ils peuvent également
représenter différents types de lecteurs ou de lectures
d’un hyperlivre. Un point de vue correspond alors soit à
une catégorie d’utilisateurs (étudiant, chercheur,
journaliste, etc.), soit au point de vue adopté par un
utilisateur à un moment donné (correspondant à
ses objectifs de lecture / écriture). Par exemple, un étudiant
pourrait lire un hyperlivre sur les algorithmes selon un
point de vue technologie de la programmation lorsqu’il
développe un logiciel et selon un point de vue informatique
théorique lorsqu’il étudie la théorie
de la complexité.
Au niveau technique, le choix d’un point de vue par un utilisateur
va servir à filtrer ses accès aux fragments et à
l’ontologie de l’hyperlivre. Seuls les éléments
appartenant à son ou ses points de vue, ou à des points
de vue plus spécifiques, seront utilisés pour générer
les hyperdocuments d’interface.
4.4. Ontologies et extension documentaire d’hyperlivres
Etant donné la masse d’information disponible sur
le Web, il est naturel de penser à étendre un hyperlivre
en collectant automatiquement des fragments d’information
pertinents sur le Web. L’objectif pédagogique n’est
plus alors l’apprentissage par l’écriture mais
l’élargissement ou l’approfondissement des connaissances.
Le problème est alors de trouver des informations pertinentes
et surtout de les organiser de manière cohérente dans
l’hyperlivre. Dans [BrusilovskyRizzo02],
les auteurs utilisent par exemple les cartes de Kohonen pour organiser
dans un espace bidimensionnel les documents trouvés. Un algorithme
classe ceux-ci dans les cases d'un tableau de sorte que chaque case
contienne des documents similaires (le calcul de la similarité
est basé sur la fréquence des termes communs aux deux
documents). De plus, la distance entre cases du tableau donne une
indication de la similarité des groupes de documents correspondants.
Un second algorithme peut ensuite mettre en évidence des
termes caractérisant chaque groupe (case). On obtient ainsi
une sorte de carte conceptuelle représentant le contenu des
documents sélectionnés. Cependant, le regroupement
n’étant basé que sur les propriétés
statistiques des documents, rien ne garantit que les groupes obtenus
correspondent bien à des concepts du domaine ou à
des sous-domaines clairement identifiés. De plus, même
si chaque groupe correspond à un concept, il n’y a
pas forcément de cohérence globale dans la classification.
Par exemple, une partie de la classification peut être
basée sur des critères géographiques alors
qu’une autre partie sera basée sur des critères
historiques.
Des travaux que nous avons effectués récemment dans
le domaine de la classification automatique nous ont confirmé
qu’il était possible d'entraîner un classifieur
(utilisant un réseau de neurones) afin qu’il classe
les documents selon une ontologie donnée [FallAl03].
L'idée est d'utiliser l'ontologie, en particulier les termes
qui s'y trouvent, et les documents associés (dans notre cas
les fragments) pour créer des documents "artificiels"
qui serviront d'exemples de classification. Il devient alors possible
d'enrichir un hyperlivre à l'aide de documents du Web et
d'associer chaque document à un ou des concepts pertinents
dans l'ontologie.
Inversement, une classification automatique non supervisée
de documents retrouvés sur le Web peut mettre en évidence
de nouveaux concepts ou de nouvelles relations à ajouter
à l'ontologie.
5. Conclusion
Nos expériences dans le domaine du développement
de modèles et de systèmes d’hyperlivres virtuels,
ainsi que nos expériences d’utilisation pédagogique
de ces hyperlivres nous permettent de tirer quelques conclusions
quant à l’utilisation des ontologies dans ce contexte.
Il apparaît tout d’abord qu’une ontologie de
domaine simple, avec un nombre limité de types de relations
sémantiques, offre un support efficace à l’organisation
et à l’accès au contenu de l’hyperlivre.
Les auteurs de fragments peuvent facilement trouver un point d’ancrage
pour l’information qu’ils créent et les lecteurs
peuvent utiliser l’ontologie comme point d’entrée
dans l’hyperlivre.
L’ontologie sert également de "pivot"
pour l’interface de lecture de l’hyperlivre. A travers
l’ontologie on peut spécifier de manière simple
des règles d’inférence de liens ou d’assemblage
de fragments qui produisent des documents d’interface sémantiquement
consistants. On peut ainsi remédier au problème de
la création de liens peu pertinents par les auteurs et fournir
des aides à une vision ou navigation transversale dans l’hyperlivre.
Le processus de création de l’ontologie d’un
hyperlivre demande un effort certain, bien que nos expériences
montrent qu’en pratique cet effort est loin d’être
rédhibitoire. Cependant, la tâche même d’élaboration
de l’ontologie, qui peut se faire de manière incrémentale
au cours du développement de l’hyperlivre, est certainement
intéressante pour l’enseignant (l’éditeur
de l’hyperlivre) car elle l’oblige à se poser
des questions sur l’organisation de la matière de son
cours. Même dans les domaines conceptuellement bien balisés
on remarque que l’organisation des concepts est loin d’être
complète, il reste donc une marge de liberté pour
exprimer sa propre vision du domaine.
Nous proposons du reste d’étendre les modèles
habituels d’ontologie en y adjoignant une notion de point
de vue. Une ontologie équipée de points de vue permet
à un ou plusieurs auteurs d’exprimer dans la même
ontologie différents points de vue sur le même domaine.
Du côté du lecteur, ces points de vue peuvent servir
à filtrer l’information de l’hyperlivre en fonction
d’un point de vue adopté par le lecteur et correspondant
à ses objectifs de lecture.
Nous avons également montré que les ontologies "locales"
de plusieurs hyperlivres peuvent servir à intégrer
ceux-ci au sein d’une bibliothèque d’hyperlivres
qui offrira à l’étudiant une vision sémantiquement
intégrée d’un ensemble de cours composant une
formation.
Le développement d’ontologies plus sophistiquées
semble également être un bon moyen de piloter un environnement
de recherche d’information dont le but est de constituer une
documentation sur un sujet à étudier.
Nous allons donc poursuivre nos travaux dans cette direction. De
plus, nous nous intéresserons à l'usage effectif des
hyperlivres en observant les chemins suivis par les utilisateurs
au cours de leurs tâches de lecture et d'écriture.
Ceci devrait nous permettre d'améliorer les interfaces de
lecture/écriture en détectant les assemblages de fragments
et les liens les plus pertinents.
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(consulté en mars 2004).
A
propos des auteurs
Gilles FALQUET est maître d'enseignement
et de recherche au Centre universitaire d'informatique de l'Université
de Genève. Ses travaux de recherche portent sur les interfaces
des systèmes d'information et plus particulièrement
sur les interfaces des bases de connaissances, les hypertextes et
les interfaces des bibliothèques numériques.
Adresse : CUI, Université
de Genève, 24 rue Général-Dufour, CH-1211 Genève 4
Courriel : Gilles.Falquet@cui.unige.ch
Toile : http://cui.unige.ch/~falquet
Luka NERIMA est collaborateur scientifique au Centre universitaire
d'informatique et enseignant d’informatique au département
de linguistique de l'Université de Genève. Il s'intéresse
à la conception de dictionnaires électroniques pour
le traitement du langage naturel et à la publication de bases
de données sur le Web.
Courriel : Luka.Nerima@cui.unige.ch
Adresse : CUI, Université
de Genève, 24 rue Général-Dufour, CH-1211 Genève
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Jean-Claude ZISWILER est assistant de recherche
au Centre universitaire d'informatique de l'Université de
Genève. Il travaille dans le domaine de l'intégration
des ontologies dans le cadre des bibliothèques numériques.
Adresse : CUI, Université
de Genève, 24 rue Général-Dufour, CH-1211 Genève
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Courriel : Jean-Claude.Ziswiler@cui.unige.ch
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