Un simulateur pour répondre à des besoins de formation
sur la taille de la vigne
Sylvie Caens-Martin, Antonietta
Specogna Etablissement
National de l’Enseignement Supérieur Agricole de Dijon
(ENESAD)
Ludovic Delépine, Stéphane
Girerd Centre
National d’Etudes et de Ressources en Technologies Avancées
(CNERTA)
|
RÉSUMÉ : Notre
article a pour objectif de présenter un simulateur
de taille de la vigne conçu pour servir d’instrument
dans une situation de formation où sont impliqués
un formateur, le simulateur et des apprenants. L’objectif
de ce simulateur est de permettre à un apprenant d’acquérir
des raisonnements de taille tels que développés
par un tailleur professionnel sur le terrain. Il ne porte
pas sur l’apprentissage des gestes de taille mais sur
la construction des raisonnements participants aux compétences
visées. Nous nous efforcerons au fur et à mesure
de cet article de montrer que la conception et la réalisation
de cette situation de formation dans sa globalité font
intervenir des compétences multiples qu’aucune
des disciplines impliquées (didactique professionnelle,
psychologie, informatique) prises indépendamment ne
peut fournir à elle seule.
MOTS
CLÉS : Simulation, formation, évaluation,
taille de la vigne.
|
1. Introduction
Une maîtrise des quotas de production, de nouvelles exigences
de qualité, encouragées par la reconnaissance des
vins en AOC et le développement
du caractère régional de la commercialisation des
vins de terroir amènent la profession viticole à reconsidérer
les pratiques de conduite du vignoble et notamment celle de la taille.
A ce constat s’ajoute le fait que la population actuelle de
tailleurs est relativement âgée et qu’il y aura
nécessité de former les plus jeunes dans les années
prochaines. Les nouvelles données économiques et la
nécessité d’avoir de "bons
tailleurs" ont amené la profession à se tourner
vers les acteurs de la formation en vue de concevoir des modalités
de formations permettant de construire et d’améliorer
les compétences de taille pour cette main d’œuvre.
Cette demande, a été relayée par le FAFSEA
(Fonds national d’Assurance Formation des Salariés
des Exploitations et Entreprises Agricoles) auprès de l’ENESAD :
Etablissement National d’Enseignement Supérieur Agronomique
de Dijon (Équipe de Didactique Professionnelle). Deux Contrats
de Plan État Région, ont permis d’associer à
ce projet le FAFSEA, le CNERTA-ENESAD
(Centre National d’Etudes et de Ressources en Technologies
Avancées) et le LEAD/CNRS UMR
5022 Université de Bourgogne (Laboratoire d’Étude
de l’apprentissage et du Développement).
Nous présentons tout d’abord les éléments
issus d’une analyse du travail en didactique professionnelle
sur lesquelles la conception d’un simulateur de taille de
la vigne peut s’appuyer. Puis, nous présentons la situation
de formation tutorée appareillée d’un simulateur
utilisé comme un instrument technologique support pour l’apprentissage
d’un raisonnement. Ensuite, nous explicitons l’architecture
générale du simulateur de taille de la vigne. À
la suite de cette présentation, nous montrons une situation
de taille dans un prototype de simulateur réalisé
et spécifié pour la taille de la vigne en Guyot. Enfin,
nous présentons quelques résultats obtenus lors de
la réalisation de situations d’observation autour de
ce simulateur et dont les résultats sont réinvestis
dans un simulateur en cours de réalisation.
2. Quels sont les éléments
sur lesquels s’appuyer à partir d’une analyse
du travail en didactique professionnelle ?
L’analyse du travail en didactique professionnelle, comme
l’exposent [Pastré97],
[Mayen01]
et [SauretGuibert03]
se décompose en trois temps :
-
La connaissance du domaine inscrite dans une
logique d’exposition qui relève de la compréhension
de l’objet sujet à des transformations au moyen
de l’analyse de données scientifiques et techniques,
ainsi que de la prescription de la tâche et des caractéristiques
proches de la tâche (buts, moyens et contraintes dans
l’organisation) ;
-
La connaissance du domaine inscrite dans une
logique d’action en situation par l’observation
du travail effectif des professionnels experts. Cette étude
s’appuie sur l’analyse des gestes et des raisonnements
qui s’inscrivent dans la diversité et la variabilité
des situations rencontrées ;
-
L’identification des écarts entre
les compétences mobilisées dans la situation professionnelle
de référence (situation construite à partir
des deux précédents points) et les compétences
en construction effectivement mobilisées dans les situations
d’apprentissage existantes.
Dans le contexte spécifique de la taille de la vigne, nous
allons présenter comment se décrivent ces principes.
2.1. La logique d’exposition
L’objet étudié : le cep de vigne est une
plante vivante pérenne d’une durée de vie approximative
de cinquante ans. Cette plante possède des mécanismes
d’autorégulation biologiques que le tailleur peut orienter
à son profit [CaensMartin99]
dans une perspective de production dans un environnement mécanisable.
Le but : l’objet du travail de taille consiste à
produire régulièrement du raisin sans engager le capital
vie de la plante dans un contexte législatif précis.
2.2. La logique d’action et les difficultés d’apprentissage
L’activité de taille de la vigne est très particulière
dans le domaine agricole [CaensMartin99]
car pour être effectuée correctement, un tailleur doit
prendre en compte des critères tels que la position relative
du cep dans l’espace, la qualité des bois de souche,
la vigueur de la souche ou le réseau de distribution de la
sève pour lesquels il n’existe pas d’éléments
de mesure sur lesquels s’appuyer a priori.
Avant toute chose, un tailleur expert doit impérativement
effectuer sa taille du moment dans une perspective à long
terme. Tailler une vigne en oubliant cette perspective pourrait
être absolument néfaste pour celle-ci car si la taille
n’est pas effectuée correctement une année alors
cela risque de provoquer une irrégularité dans le
développement du plan de vigne et dans sa production. Ce
point soulève pour l’apprenant une première
difficulté de regard qui est d’inscrire son diagnostic
de la situation et son action dans un contexte temporel beaucoup
plus large que celle de l’intervention immédiate ("ici
et maintenant"). Cette difficulté de contrôle
des décisions de taille est renforcée par le fait
que l’apprenant n’aura pas l’occasion de revenir
sur la parcelle dans laquelle il a effectué ses tailles aux
moments du développement de la vigne, de la vendange et de
la taille l’année suivante.
A partir d’un recueil de données pragmatiques, l’analyse
du travail a permis d’identifier les concepts mobilisés
dans et pour une action efficace. Deux concepts organisent l’activité
de diagnostic et d’action : le concept de charge et le
concept d’équilibre.
La charge est le calcul que le tailleur doit faire pour attribuer
au cep le nombre d’yeux fructifères en fonction de
sa vigueur.
Le concept d’équilibre s’observe lui-même
sous deux angles : l’architecture du cep et les réseaux
de distribution de la sève. L’équilibre architectural
renvoie à la forme du cep, son orientation et son développement
par rapport à l’axe du rang. L’équilibre
du réseau de distribution de la sève concerne l’alimentation
proportionnelle de l’ensemble des organes du cep.
La variabilité des situations de taille amène
le professionnel à mobiliser systématiquement ces
deux concepts dans des proportions différentes. Ce point
est une seconde difficulté pour l’apprenant qui a tendance
à privilégier l’un des deux concepts, généralement
celui de charge. Les situations d’apprentissage sur un rang
de vigne réel ne permettent pas d’apprendre à
construire l’utilisation de ces deux concepts. L’apprenant
et le formateur n’ont pas toujours la possibilité de
rencontrer des cas de taille qui pourraient permettre de distinguer
l’influence de ces deux concepts et donc la mise en évidence
d’alternatives de taille.
De plus, cette analyse du travail met en évidence le fait
que quelle que soit la conduite de taille utilisée (en Guyot
simple ou double, en Cordon de Royat ou en Gobelet), ces deux concepts
sont toujours mobilisés. Ils permettent grâce aux variables
construites (qualité des bois, vigueur, position dans l’espace,
réseau de distribution de sève), et donc aux indicateurs
prélevés pour qualifier voir quantifier ces variables,
de porter un diagnostic de la situation de taille et de contrôler
la variabilité des situations rencontrées [CaensMartin00].
Enfin, nous pouvons préciser que cette taille représente
une activité physique difficile car elle s’opère
courbée sur de grandes surfaces pendant l’hiver, période
où les conditions climatiques rendent ce travail, parfois
saisonnier, laborieux.
3. Une situation de formation tutorée
appareillée
Le point de vue pris pour la conception du simulateur tel qu’il
existe présente un changement radical par rapport à
d’autres produits multimédias d’aide à
l’apprentissage. Ce simulateur entre délibérément
par l’apprentissage des situations de travail. En cela, il
n’est ni un exerciseur à proprement parler, ni un système
expert, il impose l’intervention d’un formateur [CaensMartin02].
La conception du simulateur s’appuie sur une série
de travaux de recherches menés sur l’utilisation et
le rôle en formation professionnelle des outils de simulation :
la conduite des hauts fourneaux, de presses à injecter, de
centrales nucléaires, le pilotage d’avion, la gestion
des feux de forêt, la conduite de grues ([Leplat89],
[Pastré92],
[RogalskiSamurçay94],
[SamurçayRogalski98],
[Boucheix03]).
Le simulateur part des situations de travail et sa construction
se situe dans une logique de médiation entre une situation
de référence et un sujet apprenant, via une série
de situations simulées.
En utilisant la définition qu’en donnent Samurçay
et Rogalski ([RogalskiSamurçay94],
[SamurçayRogalski98]),
"on appelle situation de référence
la classe de situations de travail qui, dans un processus de formation,
est la cible du développement de la compétence".
Pour nous, la situation de référence a été
modélisée et validée par les experts professionnels
de la taille de la vigne, elle concerne l’environnement à
gérer et l’activité attendue.
Les situations simulées nécessitent, quant à
elles, d’opérer des choix didactiques, une transposition
didactique. Ce point de vue amène d’une part à
produire des scénarii pour gérer la complexité
des apprentissages par décomposition puis recomposition des
connaissances et des compétences, d’autre part à
concevoir un modèle d’environnement qui conserve les
fonctionnalités des situations de références
et qui prenne en compte les difficultés d’apprentissage
repérées chez les apprenants.
La transposition ([Chevalard85],
[SamurçayRogalski98])
à effectuer doit mettre en scène et prendre
en compte :
-
la conception de situations d’apprentissage
qui permet la construction des composantes des compétences
cibles pour cette classe de situations professionnelles,
-
le niveau de complexité de la situation
simulée,
-
un environnement d’apprentissage qui met
à disposition de l’apprenant les outils d’investigation
et de contrôle qu’utilise le professionnel dans
ses raisonnements en situation réelle,
-
les objets à transformer dans un environnement
vraisemblable,
-
et, bien évidemment, le sujet apprenant
et ses difficultés d’apprentissage.
Dans notre contexte, les intentions didactiques du concepteur liées
à cette transposition et qui organisent l’environnement
d’apprentissage du simulateur de taille sont les suivantes :
-
garder de la situation les caractéristiques
principales pour la construction des compétences ;
-
décomposer les apprentissages en construisant
des classes de situations de taille pour un apprentissage et
un étayage des concepts à maîtriser et des
règles à mobiliser ;
-
compresser le temps de réponse du végétal
à la durée de la session, ce qui permet à
l’utilisateur de visualiser l’effet de ses choix
sur l’évolution de l’architecture du cep ;
-
offrir à l’utilisateur la possibilité
de proposer plusieurs solutions de taille et de les visualiser ;
-
exploiter a posteriori les traces de l’action
entreprise pour résoudre la situation en suivant l’historique
des investigations menées et comprendre les raisonnements
et les règles d’actions utilisées ;
-
proposer une même situation ou une même
classe de situations à plusieurs apprenants ;
-
créer de nouvelles situations d’apprentissage
autres que celles déjà proposées par défaut
dans le simulateur à partir de l’utilisation d’une
"banque d’organes" mise à
la disposition du formateur.
Comme nous l’indiquons, le simulateur s’appuie sur
les situations de travail transposées en situations d’apprentissage.
La gestion d’un environnement dynamique vivant, tel que le
cep de vigne, ne permet pas d’introduire dans le dispositif
une validation de l’action comme bonne ou mauvaise, l’organisation
de prises d’informations comme adéquate à la
situation ou non, les choix de la décision de taille comme
la plus opérante ou non compte tenu de la situation de départ.
Le simulateur n’est non plus pas conçu pour faire le
lien entre des choix d’action et un système d’expertises
qui permettrait de faire référence aux connaissances
scientifiques et techniques qui éclairent l’action
entreprise. Même si ce simulateur met à la disposition
de l’apprenant les outils d’investigation pour comprendre
la situation, il ne donne pas une aide à la mise en liaison
entre structures, fonctions et comportement de l’objet transformé.
Enfin, le simulateur ne permet pas de donner les outils pour créer
des liens de causalité entre variables. Ce manque implique
alors un dispositif de formation où l’intervention
immédiate et/ou différée d’un formateur
technique, selon la classification de Gravé [Gravé03],
dans le processus de construction des compétences est nécessaire.
Le dispositif ainsi conçu se place dans la vision de Samurcay
qui montre les rapports des trois pôles que sont l’apprenant,
le formateur et l’outil de simulation en lien avec la situation
professionnelle de référence cible du développement
des compétences [Samurçay00].
Il s’avère alors au regard de ces éléments
qu’une situation de formation tutorée avec un binôme
techno-humain formateur-simulateur semble être la situation
de formation la plus adaptée à satisfaire l’objectif
visé : améliorer l’apprentissage de la
taille de la vigne, en espérant obtenir ensuite une meilleure
qualité de taille et donc une meilleure récolte.
Pour toutes ces raisons, la décision de réaliser
un simulateur de taille de vigne a été prise car la
simulation permet d’approximer un environnement complexe :
-
pour présenter des situations contrôlées
dans lesquelles des opérations délicates peuvent
être réalisées sans risques ;
-
pour fournir aux apprenants un moyen de contrôle
sur une situation et leur fournir des explications appropriées ;
-
pour simplifier la situation réelle et
ne présenter que les éléments saillants
relativement à l’objectif de la formation, compte
tenu des connaissances scientifiques du domaine concerné
par ailleurs.
4. Une présentation générale
de l’architecture du simulateur de taille
Le choix a été fait d’éviter de concevoir
un instrument de formation fermé mais bien au contraire d’offrir
de larges possibilités d’utilisation tant du côté
de l’apprenant, confronté à des situations de
taille à résoudre et à la possibilité
d’analyser après coup son travail, que du côté
du formateur qui peut créer lui-même les situations
de taille à résoudre et suivre les apprentissages
des apprenants. Ainsi le simulateur est composé de trois
modules que nous allons présenter : les situations de
taille à résoudre (module exercices), l’historique
et la création d’exercice.
La mise en scène des situations d’apprentissage concerne
en premier lieu le module des situations
de taille à résoudre, module central dans
le simulateur.
-
Le module possède les fonctionnalités
qui permettent à l’apprenant comme au professionnel
sur le terrain de prendre les informations pertinentes de la
situation à partir desquelles il portera un diagnostic
de la situation qui lui est proposée et décidera
de ses choix de taille.
-
Une modélisation de la croissance des
bois permet de visualiser les effets de la taille à l’année
suivante où la compression du temps de croissance des
bois permet le contrôle de l’action.
-
Cette nouvelle situation de taille, créée
par l’apprenant à partir d’une situation
de départ imposée, peut être immédiatement
reprise sur trois années consécutives et ainsi
permettre de conduire un raisonnement de suivi de l’architecture
et de la vigueur d’un même cep sur plusieurs années.
-
Les situations à résoudre sont
regroupées de telle sorte qu’elles permettent à
l’apprenant de construire les concepts, les variables
et les indicateurs qui fondent les raisonnements des professionnels.
Le but de ce module est de créer les conditions d’un
développement des compétences "en
situation" pour un apprentissage par l’exercice de
l’activité.
Si on considère avec Pastré [Pastré97]
que la construction des compétences se fait par apprentissage
des situations de travail mais aussi par l’analyse après
coup de son travail, d’un point de vue conception didactique,
le simulateur doit posséder des fonctionnalités qui
permettent d’accéder facilement au repérage
des raisonnements, qui ont conduit l’apprenant à la
recherche d’informations et à l’action, c’est
la réalisation du module historique.
Par une fonction de marquage des différentes actions menées
par l’apprenant dans le module exercices, ce module permet
à l’apprenant comme au formateur de suivre et d’analyser
"après coup" la succession des
opérations réalisées pour résoudre chaque
exercice. Le but de ce module est de créer les conditions
d’une activité de retour sur l’action de l’apprenant :
"ce que j’ai fait, pourquoi je l’ai
fait". Il a aussi pour le formateur une fonction d’évaluation.
Le formateur dispose des outils nécessaires à la
création de nouvelles situations d’apprentissage qu’il
peut inclure dans son dispositif de formation et la gestion des
situations d’apprentissage, c’est la réalisation
du module création d’exercices.
Ce module permet à un formateur de modifier des
exercices déjà existants ou d’en concevoir de
nouveaux à partir d’une banque d’organes nécessaires
à la construction du cep, d’intégrer des maladies
sur les bois, des accidents mécaniques ou climatiques par
exemple. Chaque exercice est accompagné d’une consigne
de travail adressée à l’apprenant. Le but de
ce module est de permettre au formateur de créer les situations
d’apprentissage propices au développement des compétences,
en fonction de sa progression de formation et du niveau du public
d’apprenants.
5. Une situation de taille de la vigne
en Guyot dans le simulateur
Nous avons choisi de présenter plus particulièrement
l’usage du module exercice par un apprenant. Ainsi, lors d’une
session de travail sur le simulateur, l’apprenant a deux modes
de travail, un mode guidé et un mode libre. Dans le mode
guidé, l’apprenant suit un chemin de travail préalablement
construit qui l’amène à passer par toutes les
étapes de prises d’informations et de diagnostic nécessaire
à la taille. Le mode libre permet à l’apprenant
de choisir lui-même la succession des opérations à
réaliser pour résoudre l’exercice.
Avant de démarrer un exercice, dans l’un ou l’autre
des deux modes, l’apprenant doit s’identifier puis il
choisit un des exercices proposés par le formateur. Un écran
présente alors la consigne de taille de l’exercice.
Puis, le cep s’affiche dans la partie centrale de l’écran.
Figure 1 : La représentation
2D d’un cep en vue de côté.
Dans un mode libre, l’apprenant peut effectuer les opérations
qu’il juge utiles et dans l’ordre dans lequel il le
souhaite. Il peut effectuer des observations sur le cep au moyen
d’une "loupe" en la plaçant
sur une partie de celui-ci. Il peut alors demander des informations
au simulateur :
-
sur les bois présentés (le type
de bois et d’organe, son orientation),
-
sur les bourgeons laissés l’année
précédant l’année de taille en cours
simulée, sur les maladies et les accidents (gel, grêle
par exemple),
-
sur la qualité des sarments (empattement,
aoûtement, diamètre des bois),
-
sur une évaluation de la vigueur et de
la charge du cep.
Il peut de même observer le cep avec une vue de côté
ou une vue de dessus. Ensuite, l’apprenant peut sélectionner
les futurs coursons et baguettes sur le cep présenté.
Il peut tailler le cep au moyen de divers instruments (sécateur,
sécateur à démonter ou scie). Enfin, il peut
ébourgeonner et attacher la baguette retenue dans la direction
choisie (à droite ou à gauche). L’ensemble des
opérations effectuées par l’apprenant sur le
cep provoque un calcul en temps réel de la représentation
du nouveau cep obtenu. Ces activités peuvent être réalisées
à cinq reprises sur le même cep et en parallèle
par l’apprenant pour obtenir des ceps taillés candidats
à une simulation de croissance.
Figure 2 : Des ceps
taillés candidats avant la simulation de croissance.
Lorsque celui-ci estime qu’il a réalisé suffisamment
de candidats, il peut en chosir un et simuler sa croissance sur
une année. Il peut ensuite rééffectuer un processus
de taille sur le nouveau cep obtenu.
A tout moment, l’apprenant dispose d’un calepin électronique
qui lui permet de laisser des traces de son activité.
6. Le Processus de conception du simulateur :
le travail d’une équipe pluridisciplinaire.
Passer des intentions didactiques à la réalisation
informatique du simulateur nécessite la collaboration de
personnes issues d’horizons de travail très différents.
Pour construire les bases d’une inter compréhension
entre le "monde de la formation" et celui
de l’informatique un synopsis a été réalisé
par le concepteur. Ce travail a permis d’identifier les liens
entre les intentions du concepteur et ce qu’il voulait permettre
à l’utilisateur-apprenant de faire et dans quelles
conditions d’activation de l’action.
La première étape du travail collectif a abouti à
la production d’un cahier des charges de la programmation.
Le développement proprement dit a utilisé les outils
suivants : VISUAL BASIC et
ACCES pour l’interface, la
base de données, et le moteur de croissance des bois et 3D
STUDIO MAX pour la réalisation graphique des organes
du cep.
Au delà du cahier des charges, la collaboration pluridisciplinaire
a été maintenue et c’est une caractéristique
de ce projet. Elle a permis des réajustements successifs
tout au long des étapes de réalisation informatique
et jusqu’à la production finale du prototype.
Pour l’équipe qui a collaboré à cette
production les difficultés rencontrées ont essentiellement
résidé dans la construction d’un langage permettant
une compréhension réciproque des "besoins"
et des "possibles". Pour cela une confrontation
des points de vue a permis de faire émerger le sens à
donner au travail de production qui était de mettre
en place un langage commun pour parler du travail de taille, et
de l’objet cep (ses caractéristiques morphologiques
et physiologiques) et de traduire en langage de l’informatique
les intentions didactiques initiales.
7. Des
situations d’observation du simulateur en situation
"Lorsqu’un système est
trop complexe pour être compris, spécifié ou
réalisé du premier coup, voire les trois à
la fois, il vaut mieux le réaliser en plusieurs fois par
évolution" [Gall86].
Ainsi, comme Gall le fait remarquer de manière générale,
la conception et la réalisation de ce type d’instrument
logiciel complexe ne peuvent faire l’économie d’un
développement itératif où chaque fin d’itération
est marquée par une étape d’évaluation
scientifiquement validée. Dans ce contexte, des situations
d’observation du simulateur ont été mises en
place par les informaticiens, les didacticiens, les psychologues
et les experts métiers. Ces situations portent sur :
-
les fonctionnalités proposées par
le simulateur (Bodillard, Boucheix, Caens-Martin) ;
-
une observation d’une situation de formation
simulateur-apprenant (Condémine, Boucheix, Caens-Martin
[Condemine03]) ;
-
l’introduction du simulateur dans un dispositif
de formation formateur-simulateur-apprenant (Barry, Caens-Martin).
Dans ces situations, l’appropriation du simulateur par les
formateurs et les apprenants a permis de faire un grand nombre de
remarques visant à améliorer le prototype du simulateur.
Les catégories de commentaires sont les suivantes :
-
pédagogique : le mode d’utilisation
guidé du simulateur qui oblige à analyser tous
les bois du cep est jugé long et inutile. Il est proposé
de le supprimer. De même, les apprenants souhaitent connaître
le niveau de difficulté de la taille d’un cep avant
de la commencer et non pas de disposer d’une liste de
cas sans informations a priori ;
-
fonctionnelle : des fonctionnalités
supplémentaires sont souhaitées telles que pouvoir
revenir en arrière lorsqu’une erreur de taille
est commise suite à un problème de maniement du
curseur afin d’éviter de recommencer une taille
complète, la simulation de l’ensemble des candidats
retenus par l’apprenant pour comparer les évolutions
liées au choix de taille ou encore la possibilité
de simuler l’ébourgeonnage printanier comme étape
en tant que telle dans la simulation de pousse du cep ;
-
dispositionnelle : des évolutions
afin de rendre plus facilement accessibles les opérations
possibles à effectuer sur un cep ainsi que leurs rôles
dans la taille ont été précisées ;
-
graphique : les apprenants et les formateurs
ont souhaité une évolution de la représentation
bidimensionnelle à une représentation tridimensionnelle
du cep afin de mieux rendre compte des positions relatives des
bois dans l’espace, la possibilité d’utiliser
une loupe afin de mieux se rendre compte d’informations
accessibles visuellement sur le cep, l’augmentation et
la diversification des éléments d’architecture
utilisés pour préparer les instances de ceps contenues
dans la base de cas ainsi qu’une représentation
plus réaliste des maladies sur les bois ;
-
didactique : les apprenants et les formateurs
souhaitent distinguer la consigne de travail donnée à
l’apprenant pour traiter l’exercice de taille, des
ordres de taille donnés dans une exploitation sur la
parcelle auquel appartiendrait le cep objet de l’exercice.
L’ensemble de ces commentaires recueillis sert de base à
la conception d’un simulateur qui est actuellement en cours
de réalisation. Ce simulateur, totalement réécrit,
bénéficie d’une architecture technique radicalement
différente du premier prototype afin d’en renforcer
la stabilité et d’en faciliter l’évolutivité.
Il profite également de l’ensemble des technologies
nouvellement accessibles pour la représentation tridimensionnelle
de formes. Une nouvelle évaluation et une validation pluridisciplinaire
de ce prototype sont de même prévues à la fin
de cette étape de développement qui devrait, selon
les prévisions respectives des protagonistes de ce projet,
être quasi-terminale. Cela permettrait ainsi d’assurer
la convergence du développement d’un simulateur réalisé
au sein d’un développement itératif.
8. Conclusion
Cet article a montré que la conception et la réalisation
d’un tel simulateur de taille de la vigne n’ont été
rendues possibles qu’à la suite d’une analyse
du travail de la taille très précise. Il est ensuite
devenu le fruit d’une collaboration pluridisciplinaire entre
la didactique professionnelle, la psychologie, les informaticiens
en association avec les professionnels du secteur viticole.
Ce prototype de simulateur a suscité de la part des professionnels
des régions Aquitaine, Champagne-Ardenne, Bourgogne et Languedoc-Roussillon
un grand intérêt. Relayé en cela par le FAFSEA
et financé pour partie par des fonds européens, un
nouveau simulateur de taille de la vigne a été confié
à l’ENESAD. Ce nouvel
outil de formation concerne d’autres types de taille de production
mais aussi de taille de formation de jeunes ceps (Guyot, Guyot double,
Cordon de Royat, Chablis, Gobelet) ainsi que d’autres types
de cépages propres à certaines régions viticoles.
De plus, il inclut une simulation des interventions en vert complémentaire
à la taille d’hiver déjà simulée.
Traditionnellement, l’objectif de l’apprentissage par
simulateur est de pouvoir donner la possibilité à
l’apprenant de construire de l’expérience pour
la gestion de systèmes complexes et le traitement efficace
de systèmes de routine lorsque l’apprentissage par
essai/erreur peut être dangereux, et donc non toléré.
La particularité de ce simulateur est d’associer dans
une situation de formation un formateur et un simulateur de sorte
qu’il nous semble important de considérer l’introduction
de ce simulateur comme un instrument pour enseigner et pour apprendre,
au sens de Rabardel [Rabardel97],
et non pas comme un gadget technologique se substituant au monde.
Références
BIBLIOGRAPHIE
[Boucheix03]
Boucheix, J.M. Simulation et compréhension
de documents techniques : le cas de la formation des grutiers.
Le travail humain, à paraître, 2003.
[Caens-Martin99]
Caens-Martin, S. Une approche de la structure
conceptuelle d’une activité agricole : la taille
de la vigne. Education permanente, No. 139, 1999, pp. 99-114.
[Caens-Martin00]
Caens-Martin, S. Former à la conceptualisation
des situations professionnelles. Le cas de la taille de la vigne.
Rapport de recherche No. 98511277, ENESAD Équipe de Didactique
Professionnelle, 2000.
[Caens-Martin02]
Caens-Martin, S. Conception, réalisation,
et évaluation d’un outil multimédia de formation
à la taille. Rapport de recherche, Contrat de plan Etat-Région :
Recherche et transfert de technologie, ENESAD Équipe de Didactique
Professionnelle, 2002.
[Chevalard85]
Chevalard, Y. La transposition didactique.
Grenoble, 1985.
[Condemine03]
Condemine, L. Expérimentation du
simulateur taille de la vigne en Guyot. DESS d’Ingénierie
des Apprentissages en Formation Professionnelle, Université
de Bourgogne et ENESAD, janvier 2003.
[Gravé03]
Gravé, P. L’identité
professionnelle des formateurs. Sciences humaines hors série
No. 40, Former, se former, se transformer, Mars-avril-mai 2003,
pp. 38-41.
[Gall86]
Gall, J. How System Really Work and How
They Fail. Ann Arbor (Eds), The General systematics Press, 1986.
[Lecoq98]
Lecoq, R. Viticulture : la taille de l’hiver
joue un rôle d’arbitre. VITI, No. 226, 1998.
[Leplat89]
Leplat, J. Simulation and simulator in training :
some comments. dans Brainbridge, L., Quintanilla, R. (Eds),
Developng skill with information technology, Chichester,
Wiley and Sons Eds, 1989.
[Mayen01]
Mayen P. Développement professionnel
et formation : une théorie didactique. Thèse
pour l’Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences
de l’Education, Université Pierre Mendes-France, Grenoble,
2001.
[Pastré92]
Pastré, P. Essai pour introduire le
concept de didactique professionnelle. Rôle de la conceptualisation
dans la conduite de machines automatisées. Thèse de
Doctorat, Université de Paris 5, 1992.
[Pastré97]
Pastré, P. Didactique professionnelle
et développement. Psychologie Française, No. 42,
1997.
[Rabardel97]
Rabardel, P. Activités avec instruments
et dynamique cognitive du sujet. Dans Moro, C., Schneuwly, B., Brossard,
M. Outils et signes, Peterlang, Berne, 1997.
[RogalskiSamurçay94]
Rogalski, J. Samurçay, R. Modélisation
d’un savoir de référence et transposition didactique
dans la formation de professionnels de haut niveau. Dans Arsac,
G., Chevallard, Y., Martinand, J.L., Tiberghien, A., La transposition
didactique à l’épreuve, La pensée sauvage,
Grenoble, 1994.
[SamurçayRogalsky98]
Samurçay, R., Rogalsky, J. Exploitation
didactique des situations de simulation. Le travail humain,
Vol. 61, No. 4, Décembre 1998, pp. 333-360.
[Samurçay00]
Samurçay, R. Concevoir des situations
simulées pour la formation professionnelle : une approche
didactique. Document de travail présenté au séminaire
de Didactique Professionnel de l’ENESAD, 2000.
[Sauret-Guibert03]
Sauret-Guibert, S. Les enjeux de la conception
et de l’usage d’une ressource éducative pour
la transmission des savoir-faire en entreprise. Le cas d’un
simulateur didactique pour les lamineurs à chaud. Thèse
de doctorat en sciences de l’éducation. Université
Parsi XIII, 2003.
Equipe de conception et de realisation du prototype
Sylvie Caens-Martin : Équipe de recherche en Didactique
professionnelle, ENESAD, responsable de la recherche.
Serge Monnet, ingénieur de conception et responsable de
la conception et du développement Stéphane Girerd,
Rodolphe Pellerin (infographiste 3D) : Équipe de conception
multimédia pédagogique, ENESAD-CNERTA.
Joël Durier : expert spécialiste de la taille
et formateur au Lycée Viticole de Beaune.
Sous l’égide du FAFSEA, les professionnels viticoles
des régions Languedoc-Roussillon et Bourgogne.
A
propos des auteurs
Sylvie
CAENS-MARTIN, assistant ingénieur, est chercheur associé
dans l'UP Développement Professionnel et Formation, équipe
de Didactique Professionnelle à l'ENESAD de Dijon. Ses travaux
de recherche visent à comprendre le travail de professionnels
et les difficultés d'apprentissage en vue de produire des
ressources pour la formation. Ses thèmes d'étude concernent
- L'analyse des compétences professionnelles mobilisées
dans la gestion d'environnements liés au vivant à
des fins de production (l'irrigation des cultures, la gestion raisonnée
des pratiques de désherbage, la conduite de la taille en
viticulture et en arboriculture) ; - La conception et l'usage
de la simulation dans l'enseignement des situations professionnelles
; - La place de l'expérience et de la formation dans la construction
et le développement des compétences professionnelles.
Ses travaux s'appuient sur les cadres théorique et méthodologique
développés en didactique professionnelle.
Adresse : Etablissement National
de l’Enseignement Supérieur Agricole de Dijon (ENESAD)
Unité propre Développement Professionnel et Formation,
Équipe de Didactique Professionnelle
Boulevard du Docteur PetitJean
21000 Dijon
Courriel :
sylvie.caens@educagri.fr
Antonietta
SPECOGNA est maître de conférence en Psychologie, UP
Développement Professionnel et Formation, équipe de
Didactique Professionnelle, ENESAD Dijon. L'objet scientifique de
ses travaux se centre autour de l'interaction entre au moins deux
interlocuteurs au travail. En considérant le langage verbal
comme une trace de l'activité des opérateurs en situation
de travail elle montre par l'analyse du travail, en faisant émerger
les raisonnements cognitifs que les opérateurs mettent en
oeuvre aux moments où ils effectuent leurs diverses tâches,
comment les compétences développées par les
uns et les autres se développent, comment les sujets construisent
des relations, comment tout ceci contribue à la conception
de formation, au développement du pouvoir d'agir des individus.
En somme, elle allie le courant de la psychologie de l'interaction
au courant de la didactique professionnelle.
Adresse : Etablissement National
de l’Enseignement Supérieur Agricole de Dijon (ENESAD)
Unité propre Développement Professionnel et Formation,
Équipe de Didactique Professionnelle
Boulevard du Docteur PetitJean
21000 Dijon
Courriel :
antonietta.specogna@educagri.fr
Ludovic
DELÉPINE, chercheur en Intelligence Artificielle, était
en poste au Centre National d'Etudes et de Ressources en Technologies
Avancées à Dijon (ENESAD-CNERTA) et est aujourd'hui
Administrateur en Nouvelles Technologies au Parlement Européen
à Bruxelles. Ses activités de recherche concernent
la conception et les usages d'outils technologiques. L'originalité
de ses travaux sont d'étudier sous un double regard les relations
entre l'homme et des outils technologiques : celui de l’informaticien
et celui du sémioticien. Sous le regard de l’informaticien,
il s’agit de la conception d’expérimentations
sur des objets informatiques mettant en œuvre des instruments
informatiques réalisés et bien adaptés aux
questions posées sur ces objets. Sous le regard du sémioticien,
il s’agit de poser les bonnes questions sur l’apparence
des objets informatiques pour les utilisateurs et de formuler des
recommandations pour une meilleure conception de ces objets informatiques.
Adresse : Centre National d’Etudes
et de Ressources en Technologies Avancées (CNERTA)
Boulevard du Docteur PetitJean
21000 Dijon
Courriel :
ludovic.delepine@europarl.eu.int
Stéphane
GIRERD, ingénieur d’étude, est responsable de
l’équipe de conception de ressources interactives d’Educagri
éditions, ENESAD-CNERTA, Dijon. Ses travaux d’étude
concernent : - la méthodologie de conception d’outils
multimédia pédagogiques (didacticiels, simulateurs,
ressources en ligne, ...), et sur l’intégration de
l’interactivité en pédagogie ; - l’analyse
des usages du multimedia en formation, notamment sur le rapport
apprenant-machine dans le cadre d’un apprentissage ; -l’intégration
et la pertinence des nouveaux outils dans des dispositifs de formation.
Ses réalisations : - conception-réalisation de cédéroms
pédagogiques (« Comprendre le Goût ». Prix
Roberval multimédia 2000. Mention spéciale du jury,
prix Cervod 1999. « Les manuscrits de Cîteaux »,
(programme européen Info2000. Produit RIP.), « Délos
», « Solimage »...) ; - réalisation de films
pédagogiques (« entre réel et virtuel »
sur la formation à distance, ...) ; - conception-réalisation
de DVD pédagogiques (« conversion à l’agriculturebiologique
», ...).
Adresse : Centre National d’Etudes
et de Ressources en Technologies Avancées (CNERTA)
Boulevard du Docteur PetitJean
21000 Dijon
Courriel : stephane.girerd@educagri.fr
|