La radio scolaire : quelles formations pour les
maîtres au Burundi et en France ?
Emmanuelle VOULGRE (EDA, Université Paris Descartes), Stéphanie
NETTO, (TECHNE, Université de Poitiers)
RÉSUMÉ : Cet
article s'inscrit dans le cadre d’une recherche intitulée
SUPERE-RCF, encadrée par un groupe d'experts IFADEM et financée
par l’AUF et l’OIF. Il présente une approche historique et
géopolitique de la radio, partant notamment d’exemples
d’émissions pédagogiques et de radios scolaires en France et
au Burundi. Nous explorons particulièrement la place de la Radio Scolaire
Nderagakura (RSN) au prisme du carré PADI et de la théorie des
représentations sociales. Notre analyse qualitative s’appuie sur 25
entretiens exploratoires menés au Burundi. Elle nous a permis
d’identifier trois groupes ayant des activités avec la RSN : les
enseignants, les cadres des supervisions et les journalistes du Ministère
de l’éducation de base. L’analyse des entretiens permet de
questionner la plus-value pédagogique de la RSN avec IFADEM, en termes de
supervision et de formation des maîtres. Elle conduit aussi à
identifier et à interroger l’opportunité offerte par le
dispositif de supervision pour faire se rencontrer les différents
groupes. Nous analysons ensuite l’ancrage du dispositif dans la formation
des enseignants en Afrique et le rôle des ONG. Notre conclusion ouvre sur
des problématiques liées à l’évolution des
technologies numériques que les maîtres seront amenés
à s’approprier en termes de littératie numérique pour
faire évoluer leurs pratiques professionnelles.
MOTS CLÉS : Formation
à distance des maîtres (IFADEM), enseignement primaire, radio
scolaire, Burundi, France, modèle carré PADI,
représentations sociales, littératie numérique
ABSTRACT : This
article falls within the scope of a research entitled SUPERE-RCF, framed by a
group of experts IFADEM and funded by AUF and OIF. It offers a historical and
geopolitical approach of radio to be left in particular examples of pedagogical
broadcasts and school radios in France and Burundi mainly. We explore especially
then the place of School Nderagakura Radio (RSN) to the prism of PADI square and
the theory of social representations. Our qualitative analysis is based on 25
semi-structured and exploratory interviews led to Burundi. It enabled us to
identify three groups having activities in link with this public radio: teachers
of basic teaching, managers of supervision in the Ministry for Education and
journalists themselves attached to this Ministry. The analysis of the interviews
allows to questioning the pedagogic appreciation of the RSN with IFADEM in terms
of supervision and of training of teachers. It also leads to identify and
interrogate the opportunity offered by supervision system to make meet the
different groups. Then, we analyze the anchoring of the device in teacher
training in Africa and the role of NGOs. Our conclusion opens on problems
related to the evolution of digital technologies that the teachers will be
brought to suit in terms of literacy to advance their professional
practices.
KEYWORDS : Distance
training for teachers (IFADEM), primary education, school radio, Burundi,
France, PADI square model, social representations, digital literacy
1. Introduction
L'article proposé
s'appuie en partie sur une communication réalisée dans le cadre du
colloque JOCAIR 2014 - symposium 2 «École et TICE»
(Voulgre et Netto, 2014).
Nous y interrogions comment évoluent l’accompagnement et la
supervision de l’action enseignante à l’école primaire
au Burundi, notamment au travers d’émissions produites par la Radio
Scolaire Nderagakura (RSN), service du Ministère de l’Enseignement
burundais, dans le cadre des réformes des programmes et dans un contexte
d’émergence de la téléphonie mobile. Nous
l’avons enrichi de lectures complémentaires concernant
l’évolution historique de la radio scolaire et les systèmes
scolaires et de formations, en France et au Burundi.
La recherche SUPERE-RCF (Supervision PEdagogique et REssources –
Recherche Coopérative Francophone) est financée par l'OIF et l'AUF
dans le cadre d'un appel à projet thématique
(RETHE, 2012) et
coordonnée par des experts IFADEM (Initiative francophone pour la
formation à distance des maîtres). Notons dès à
présent qu'IFADEM est avant tout un projet innovant de formation des
maîtres. Dirigé par un groupe d’experts, il est une
entité qui représente les institutions OIF et AUF auprès
des institutions internationales des pays qui font appel à ces experts.
IFADEM est alors autant de projets qui se construisent et se déclinent
avec les acteurs locaux selon les particularités, les moyens et les choix
des pays (IFADEM Burundi, IFADEM Bénin etc.). De par la complexité
des actions entreprises et des multiples acteurs qui co-travaillent ensemble,
nous le considérons comme un dispositif dans lequel s’inscrivent
notamment des programmes de formations. Nous utiliserons désormais ce
sigle dans ces diverses assertions.
Notre recherche a pour objectif de comprendre les trajectoires
professionnelles des acteurs de supervision au Primaire, les évolutions
des corps de métiers dans les systèmes éducatifs
ciblés, l'émergence de nouvelles compétences et de nouveaux
métiers ainsi que les modes de régulation de ces
évolutions. Aussi, plusieurs missions de recherche ont été
réalisées en France et en Afrique subsaharienne : Cameroun,
Sénégal et Burundi. Nous souhaitons présenter ici quelques
résultats intermédiaires de la mission menée dans ce
dernier pays, entre le 25 février et le 7 mars 2014. La finalité
de cet article en lien avec celle de la mission est de questionner comment la
radio scolaire est un des leviers de l’évolution de pratiques dans
la supervision pédagogique au Primaire pour différents acteurs
dont les enseignants et directeurs d’écoles publiques et
privées, les acteurs de la supervision qui encadrent (inspecteurs) ou qui
accompagnent (conseillers pédagogiques) les maîtres.
En ce qui concerne l’évolution technologique, notre approche ne
peut prétendre à l’exhaustivité, mais tâche de
proposer un panorama assez large du développement radiophonique en France
et en Afrique Subsaharienne pour un meilleur regard systémique en lien
avec la «radio scolaire».
Cet écrit compte donc fournir des éléments de
réponse à trois questions de recherche :
- comment a évolué la place de la radio scolaire au
sein du déploiement plus large de la radio, d’un point de vue
historique, géopolitique et éducatif, plus particulièrement
en Afrique et au Burundi ? ;
- comment les acteurs de la communauté éducative
rencontrés au Burundi, se représentent le média «radio
scolaire» ? ;
- comment ces mêmes acteurs articulent-ils radio scolaire et
système de supervision pédagogique des maîtres au
Burundi ? .
Pour répondre à ces questionnements, notre texte est
organisé en cinq parties en plus de l’introduction et de la
conclusion. Dans les deux premières parties (2 et 3), nous
réaliserons d’abord un état de l’art sur la place de
la radio scolaire en Afrique et particulièrement au Burundi à
partir d’apports théoriques diversifiés (principalement
historiques, géopolitiques et éducatifs). Pour ce faire, nous
ferons un détour vers la place de la radio en France comme exemple de
pays colonisateur et un abrégé des inventions qu’il y a eu
autour de la transmission du son. Les deux parties suivantes (4 et 5) seront
l’occasion de décrire la théorie des représentations
sociales et le modèle du carré PADI, mais aussi de fournir le
cadre dans lequel les données présentées ont
été récoltées (projet SUPERE-RCF,
méthodologie). Enfin, la dernière partie (6) s’attachera
à analyser puis à discuter les discours de 25 personnes à
propos d’une radio scolaire au Burundi (la RSN), à partir
d’une lecture systémique et psychosociale.
2. La radio : une longue histoire d’inventions et de progrès au
service l'éducation en France et en Afrique
Il nous paraît intéressant de comprendre
comment la radiophonie, au fil des siècles, s’est progressivement
implantée en Afrique Subsaharienne et plus particulièrement au
Burundi. Nous avons choisi ici de retracer historiquement les différentes
inventions (depuis le phonautographe) qui ont permis de mettre en
évidence la place qu’a eue l’industrie phonographique pour
transmettre, enregistrer et réécouter des émissions de
radio avant d'aborder les synergies relatives de mouvements éducatifs,
coloniaux et indépendantistes sur l'évolution des usages de la
radio en Afrique.
2.1. Transmettre, recevoir et enregistrer : quelques jalons historiques
et techniques de la radio
Les moyens pour enregistrer le son remontent au moins à 1857, avec le
brevet du phonautographe déposé par le français
Édouard-Léon Scott de Martinville. Pour arriver à restituer
le son, il a fallu attendre 1877 et l'américain Thomas Edison pour
disposer du brevet sur le phonographe. Le procédé mécanique
du graphophone ressemble à celui du phonographe qui gravait le son sur
des cylindres de cire. Puis, apparaît le gramophone qui gravait sur des
disques plats. L’évolution fera succéder les disques :
le 90 tours cèdera sa place au 78 tours, qui sera
détrôné par le 33 tours. Les 45 tours auront ensuite une
place plutôt complémentaire.
À la fin du XIXe siècle, pour dupliquer un
enregistrement, il «suffisait» de ré-enregistrer la prestation
en direct sur un autre support vierge ! L’industrialisation,
dans les années 1902-1903, a permis de fournir les moyens de faire un
master pour produire des copies, ce qui a rendu plus aisées la
diffusion et la commercialisation ! C’est la naissance de
l'industrie phonographique française
(Chamoux, 2011).
Les moyens et les inventions techniques pour enregistrer et
réécouter des émissions sonores sont venus au
XXe siècle avec : le disque phonographique en 1920, le
magnétophone en 1930, le disque vinyle en 1946, la cassette audio en
1948, le 8-track en 1963, la microcassette en 1964 et Elcaset en 1969.
Néanmoins, les enregistrements dans les stations de radio en France (du
moins) sont très rares avant la seconde Guerre Mondiale,
d’après Tudesq
(Tudesq, 2009, p. 97)
qui a donc recouru à des articles de la presse papier ou à des
discours reproduits pour reconstituer l’histoire de la radiophonie.
Les supports se sont diversifiés davantage avec l’apparition et
le développement de l’informatique (mémoire interne en 1940,
disque dur en 1956, carte mémoire en 1980, mémoire flash en 1999,
clé USB en 2000) et le numérique (disque compact en 1978, digital
audio tape en 1982, MiniDisc en 1987, digital compact cassette en 1991, super
audio CD en1999, DVD-audio en 1999).
Ce détour pour saisir comment la radio a été
techniquement créée, avec tous les supports qui se rattachent
à la transmission du son, permet d’appréhender comment les
pays, et notamment la France et le Burundi, ont pu en avoir recours pour des
raisons géopolitiques, éducatives ou culturelles. C’est ce
que nous allons désormais traiter dans la prochaine partie.
2.2. Un contexte propice : radio et mouvement des pédagogies
nouvelles
Si les acteurs de l'éducation populaire tentent de développer
des usages pédagogiques avec la radio notamment en Suède et en
Angleterre en 1924
(Marzac, 1997, p. 3),
le mouvement de Célestin Freinet s’intéresse en France, aux
sciences et aux innovations, comme la radio, afin de les utiliser comme support
à la réflexion pédagogique des élèves.
Plusieurs recherches portent sur les prémices de la radio comme
support éducatif notamment pour apprendre une langue. Celle de Stikic
(Stikic, 2004)
s’intéresse particulièrement à l’apprentissage
du Français en Serbie avec la Radio Belgrade. Celle de Lefèbvre
(Lefèbvre , 2013)
est une approche historique des émissions de radio en France à
partir notamment du fond de patrimoine radiophonique du CNPD.
Héron et al. (2013) rappellent qu’entre 1937 et 1939, des
émissions de radios donnent la parole à des artistes. C’est
ainsi que Jean Cocteau entre 1951 et 1954, fait des enregistrements à
vocations scolaires produits par RTF et le Ministère de
l'Éducation Nationale. Et c’est en 1955, que l’Institut de
Documentation Pédagogique (IDP) a eu pour mission de développer
des émissions pour les élèves comme «L’invention
du téléphone» enregistrée en 1961 accompagnée
d'un bulletin de la radio1.
Rapidement la radio est concurrencée par d'autres supports comme les
diapositives puis par la télévision et les appareils pour
enregistrer sur bandes magnétiques.
De 1967 à 1969, un plan de transition fut élaboré en
France pour la régulation des productions de la radio scolaire. Ce plan
marque aussi l’ouverture de la radio scolaire à
l’éducation permanente des adultes. Pour ce qui est des formations
à destination des professeurs, cela concernera aussi l’enseignement
au Primaire en ciblant le programme sur le «recyclage», les nouvelles
méthodes pédagogiques et les contenus d’enseignements. La
formation sur les techniques d’intégration de messages
audio-visuels dans les classes a aussi fait l’objet d’un
renforcement d’autant plus qu’à cette période, des
résistances psychologiques chez les enseignants, pour utiliser ce type de
médias, sont fortement présentes.
Dans les années 1960-1975, si certaines émissions ont un
caractère éducatif à destinations de la population et
notamment des agriculteurs (comme «Bonjour Monsieur le Maire» de
Pierre Bonté sur Europe 1 de 6h50 à 7h00, présentant les
villages de France), le vocabulaire des animateurs est souvent trop
spécialisé
(Tudesq, 1988, p. 209)
et ne semble pas donner à ce média autant d'impact éducatif
auprès de la population, qu'escompté.
Mais, ce sont plutôt des décisions politiques qui conduisent
à développer le réseau radiophonique en Afrique.
2.3. Place de la radio dans les colonies françaises
Après la première guerre Mondiale, la France souhaite renforcer
les relations avec ses colonies. De grands travaux sont menés pour
construire un réseau colonial de télégraphie sans fil, la
TSF
(Colin, 1926, p. 563).
C’est en 1920 que le poste Bordeaux-Lafayette la Croix Hins a
été inauguré et qu’il a assuré le service
radiotélégraphique de la métropole avec ses colonies.
D'autres postes se développent par la suite. En 1942, la SOFIRAD
(Société Française de RadioDiffusion) permet de
gérer les activités audiovisuelles extérieures de la
France. Et, en 1954, se crée le service de la Radiodiffusion de la France
Outre-Mer (RFOM) pour coordonner justement toutes les radios d’Outre-Mer.
En 1957, des antennes de radiodiffusion régionales sont
créées à Saint-Louis, à Abidjan, à Conakry,
à Cotonou et à Lomé. Si la radio est d'abord
contrôlée par les administrateurs au service de l'état,
après la seconde guerre Mondiale, de plus en plus de voies portent des
discours politiques en faveur des indépendances. Au Sénégal
par exemple, une élite d'instituteurs remet en cause la présence
coloniale
(Jézéquel, 2005).
À cette même époque et au-delà, la radio
apparaît comme un des instruments possibles pour l’éducation
notamment sanitaire et agricole en Afrique
(Ilboudo, 2014).
De nombreux conseils d’hygiène, d’équilibre
alimentaire ou de développement de l’agriculture y sont promus.
2.4. La radio en Afrique : quelques conditions favorables
Alors qu'en France les émissions de radios scolaires déclinent,
en Afrique Subsaharienne se développent des radios rurales
éducatives notamment au Sénégal et au Bénin en 1968,
au Burkina en 1969 et en 1970 au Togo. Ces pays comptaient par exemple en 1980,
714 radios-clubs au Bénin ou bien 580 au Burkina, mais pour de multiples
raisons, ces espaces n’existent plus en 2015
(Ilbouldo, 2014, p. 8).
C’est néanmoins entre 1966 et 1973, que les émissions de
la radio «Disoo» au Sénégal ouvrent le dialogue et
permettent la liberté d’expression, elles s’inscrivent dans
le mouvement des radios scolaires. La radio est utilisée pour donner la
parole aux populations
(Bourgeois, 2006).
L’arrivée d’émissions radiophoniques a
également permis de diffuser l’information plus rapidement
dévaluant alors celle écrite. La multiplication des médias
a nécessité la mise en place des cadres législatifs
(UNESCO, 2011)16.
Il existe alors principalement trois types de radios : des radios
communautaires, des radios privées et des radios publiques.
La thèse de Lodombe Mbiock
(Lodombe Mbiock, 2008),
sur les stratégies d’appropriation des médias et la
démocratie au Gabon, au Cameroun et au Sénégal, rappelle
l’importance de la radio depuis 2008. L'auteur souligne la place des
débats accordée notamment aux populations analphabètes. Il
interroge néanmoins la situation de la radio face au développement
des TIC et d'Internet qui ne semble pas encore entrée dans un processus
de démocratisation (p. 158). La radio est considérée
comme «une interface à l’introduction de nouvelles
technologies»
(Boulc’h, 2003, p. 16).
2.5. La formation des maîtres en Afrique avec la radio scolaire
Le rapport de l’UNESCO
(UNESCO-Gutelman, 1979),
sur la radio dans l’enseignement en Afrique, mentionne les divers axes de
formation pour lesquels est utilisée la radio et fait part des 5
coûts liés à ce média. Il s’agit de la
programmation, des livres, des récepteurs radio, des transmissions, de la
formation des professeurs et des moniteurs.
À l’initiative de quelques pays ou bien à la suite
d’une politique volontariste du continent africain, la radio scolaire a
été un médium utilisé pour tenter de former les
maîtres aux différentes facettes du métier
d’enseignant au Primaire. C’est ce que Coumaré
(Coumaré, 2010)
aborde par exemple avec l’expérience au Mali.
Bogui
(Bogui, 2007),
quant à lui, aborde plus largement un projet pour plusieurs pays
d’Afrique : l’initiative NEPAD (Nouveau Partenariat pour le
Développement de l’Afrique) dans lequel la radio est un des moyens
soutenus au même titre que les autres TIC.
Au Gabon plus particulièrement, même si la radio a pu jouer un
rôle dans le domaine de l’éducation, la population aspire
à s’approprier des technologies plus modernes et les plans
annoncés semblent aller dans ce même sens comme le cite Makanga
Bala
(Makanga Bala, 2010, p. 122).
Toujours au Gabon, «Les émissions de radio et de
télévision de la RTG 1 sont désormais disponibles»
(Obono Mba, 2008, p. 107)
grâce au câble sous-marin depuis novembre 2007 ce qui questionne de
nouveau les usages des médias et la place de la radio.
Ainsi, les usages de la radio en Afrique finissent comme en France par
être en concurrence avec les usages de technologies plus récentes
telles que la téléphonie et Internet.
3. Enjeux éducatifs et éléments d’histoire, de
géopolitique sur le Burundi
Dans cette partie, nous avons choisi de retracer
succinctement l’histoire du Burundi depuis 1962 pour ensuite mieux
appréhender comment la radio, puis la radio scolaire, ont
été pensées, mises en œuvre et prises en charge par
l’État burundais, appuyé de partenaires internationaux.
3.1. Un système éducatif qui évolue après
l’indépendance de 1962...
Le Burundi est devenu indépendant le 1er juillet 1962. Il a
donc dû réorganiser son système politique et éducatif
après cette date. Le rapport de Varlet
(Varlet, 1968)
aborde cette période de construction avec par exemple, en 1965, la
création de l’école Normale Supérieure (ENS). Il
s’agit d’y former des cadres inspecteurs qui puissent faire remonter
des données statistiques locales vers les organes centraux. C’est
d’ailleurs dans cette optique que deux ans plus tard, s’organise le
service des statistiques du Ministère de l’Éducation. Cela a
permis de construire des cartographies des équipements, des
écoles, des enseignants selon les régions et aussi de
connaître qui sont les élèves, d’obtenir des
indicateurs de la réussite scolaire, les besoins des cadres et autres
personnels de l’EN. Le pays a connu cette même année (1967),
un Plan de planification quinquennal de développement de
l’éducation et un Plan d’opération
gouvernement/Unicef/UNESCO. Des aides financières pour le Gouvernement
ont été nécessaires et sont venues de la Banque Mondiale de
développement et de l’UNESCO.
Cette évolution du système éducatif burundais a
généré de nombreux problèmes. Si les
congrégations et les communes peuvent parfois construire des locaux pour
servir d’écoles, l’entretien des locaux, le recrutement du
personnel et le placement des élèves ne sont pas si simples
à assumer et à organiser en dehors d’une planification
acceptée par l’État, ce qui en est une limite.
3.2. À partir des années 90, le mouvement Éducation
Pour Tous (EPT)
Il convient aussi de souligner l’importance du mouvement
Éducation Pour Tous (EPT), porté par l’UNESCO, qui a pris
jour en mars 1990 lors d’une conférence à Jomtien en
Thaïlande où étaient présents 155 pays d’Afrique
et dont le Burundi était signataire.
Six objectifs étaient alors mentionnés dès mars 1990,
avec la conférence mondiale sur l’éducation pour
tous2. Il s’agissait de
l’accès universel à l’éducation, de mettre
l’accent sur l’équité et sur les résultats
d’apprentissage, d’élargir les moyens et la portée de
l’éducation de base, d’améliorer l’environnement
d’apprentissage et renforcer les partenariats. En 2015, ces objectifs
d’éducation pour tous restent encore des défis. Ce plan
conduit les pays d’Afrique notamment, à mettre en œuvre
d’autres plans pour le développement de l’école et
pour la qualité de l'enseignement. L’organisation des formations
initiale et continue des enseignants mais aussi l’infrastructure des
établissements sont des priorités.
Notons, sans approfondir ici la question, que le Plan Sectoriel pour le
Développement de l’Éducation et de la Formation (PSDEF)
2009-2016 a été révisé et adopté en 2012 pour
un PSDEF de 2012-2020. C’est aussi dans ce contexte de réforme que
IFADEM a appuyé l’écriture du Plan National de Formation
Continue des Enseignants du Fondamental. Présente dès 2008 pour sa
phase d'expérimentation, IFADEM permet de soutenir l'apprentissage du
français en tant que langue d'enseignement pour les instituteurs. Cette
initiative au Burundi a permis de former plus de 2000 enseignants afin
d'améliorer la qualité de l'enseignement.
Les réformes éducatives du pays prennent alors en compte les
problématiques de formation des enseignants de manière à
modifier et à faire évoluer le système éducatif
burundais.
3.3. Place de la radio dans le quotidien des Burundais
L’Histoire
de la radio au Burundi nous conduit alors à nous remémorer la
période où ce pays se dénommait Urundi (territoire
colonisé et sous la tutelle de la Belgique) et formait avec le Ruandi
(devenu par la suite le Rwanda) une région du Congo Belge parce
qu’a été créé en 1930, l'Institut National
belge de Radiodiffusion (I.N.R.). Quatre ans plus tard, il existait une
radiodiffusion, chaque soir, vers le Congo Belge. Et, il faudra attendre 1943
pour que la capitale Léopoldville soit dotée de son propre centre
d’émission. Ces quelques éléments historiques
permettent de prendre conscience de l’importance toute particulière
du contexte dans lequel la radio s’est implantée au Burundi...
Les faits d’actualité permettent également de se faire
une opinion sur le contexte de la radiodiffusion. Par exemple, les 26 et 27
avril dernier, la principale radio indépendante RPA (Radio Publique
Africaine), à Bujumbura et à Ngozi, a fermé. Les radios
privées de Bujumbura ont été également
dévastées par les évènements politiques liés
aux élections, prévues le 26 juin 2015, du Président. Cette
actualité fournit, selon nous, un contexte que nous ne pouvons
ignorer.
Néanmoins, les radios privées burundaises semblent avoir eu un
rôle positif et dynamique dans l’évolution de la
démocratie. En effet, elles se sont développées depuis 1995
et sont au nombre de 7 en 2008. Elles proposent des programmes
diversifiés notamment en faveur de la paix, des injustices. La radio
donne la parole aux citoyens, aux «sanvoies»
(Palmans, 2004, p. 86).
Une récente étude de 2014, réalisée par un
cabinet de consultants
(IMMAR Research & Consultancy, 2014)
permet de décrire le contexte radiophonique du Burundi : Ainsi, le
taux d’équipement des familles en radios est passé de 88%
(2008) à 95% (2013). Cette étude rapporte que les programmes des
radios sont globalement jugés satisfaisants, exhaustifs et vivants. Et
pour mieux comprendre le contexte global de la place des médias au
Burundi, notons que les médias écrits (et qui nécessitent
de savoir lire) seraient les moins bien compris des Burundais. Enfin, seulement
21% des hommes et 13% des femmes semblent être intéressés
par le sujet des technologies, jugé pourtant suffisamment présent
sur les ondes radiophoniques par les personnes sondées.
3.4. Un renouveau de la radio éducative, au Burundi à l'heure
des TIC ?
Plusieurs radios ont développé des programmes éducatifs.
La radio Colombe émettait sur 93.2-FM à Bujumbura sur un rayon de
60 kilomètres en 2014, afin de traiter des sujets autour de
l’éducation à la santé, à la sexualité
et aux bonnes mœurs pour et par les jeunes
(Iwacu, 2014). La
radio communautaire Ijwi ry’Umukenyezi émet depuis Giheta. Elle est
dédiée à l’éducation et à
l’implication des femmes dans des actions de développement
socio-économiques.
En ce qui concerne l'expression dans les langues locales, notons l'exemple de
la Radio Publique Africaine (RPA), qui en 2010, était la seule radio au
Burundi qui diffusait en Kirundi, en Swahili et en Français
(Seremba Shuhuru, 2010),
3 des 4 langues quasi-officielles du pays (s’ajoute aussi
l’Anglais). RFI (Radio France Internationale) a pour sa part, conçu
un feuilleton radiophonique en 2015, «Le Talisman Brisé»
(RFI, 2015a), en
partenariat notamment avec l’Organisation Internationale de la
Francophonie (OIF). Un livret propose la retranscription de dialogues en
français des lexiques, de la conjugaison et des exercices. Enfin, il est
possible d’écouter les 27 épisodes en ligne (2015b). Les
acteurs et réalisateurs au Burundi pensent même qu’ils
pourraient écrire des épisodes supplémentaires, tant la
langue française est jugée importante à apprendre
d’après la population burundaise.
Pour terminer, notre dernier exemple est la Radio Scolaire Nderagakura (RSN)
qui a été créée en 2000 (Décret n°100/28
du 29 février 2000 et Ordonnance ministérielle n° 610/204 du
17-03-2000) sous la tutelle de l’État du Burundi et qui compte
trois antennes.
(Amarc, 2005, p. 15).
Le service de la RSN est rattaché à la Direction
Générale des Bureaux Pédagogiques (DGBP), au
Ministère de l’Enseignement de Base et Secondaire, de
l’Enseignement des Métiers, de la Formation Professionnelle et de
l’Alphabétisation (MEBSEMFPA). Ce service fonctionne
essentiellement grâce aux aides d'organisations Internationales.
L'Initiative francophone pour la formation à distance des
maîtres (IFADEM) a elle aussi permis de soutenir les émissions
pédagogiques de la RSN dans le cadre de son programme.
Les émissions radiophoniques, créées pour la formation
et dans le cadre de ce programme
(IFADEM, 2012a),
portent sur le contenu du livret 1 intitulé «Renforcer les
compétences méthodologiques et linguistiques»
(IFADEM, 2012b).
Ce livret fait partie d’une collection de supports
pédagogiques, écrits en français, pour l’enseignement
des langues et des disciplines non linguistiques (comme les mathématiques
ou l’étude du milieu : sciences de la vie, histoire et
géographie). Ces derniers sont conçus par les conseillers du BEPEB
(Bureau d’Études des Programmes de l’Enseignement de Base).
Ils s’appuient notamment sur les difficultés identifiées par
les enseignants dans les classes de 5e et de 6e année pour construire les
leçons et les exercices. Les principales thématiques,
traitées dans ces radiodiffusions, sont : l’accent tonique,
les liaisons et les enchaînements, les nasales, les rythmes et les
intonations, les synonymies. Dans une autre partie, nous décrirons la
manière dont les journalistes de la RSN pensent et mettent en œuvre
ces émissions ainsi que leurs points de vue sur l’utilisation de ce
média pour former les maîtres dans leur pays. Certaines de ces
émissions sont toujours disponibles et en accès libre depuis le
site internet d’IFADEM3
(IFADEM, 2011).
En somme, la réussite du projet IFADEM semble avoir ouvert, pour la
RSN, de nouvelles perspectives pour la formation des enseignants ce qui est
permis de mettre en relation avec la place encore très mineure des TIC
dans la société burundaise notamment dans la scolarisation, les
formations professionnelles ou dans les services.
Pour conclure, notre discussion interroge comment le renforcement des moyens
modernes tels que la téléphonie cellulaire, articulés
à ceux existants de la radio au service du système scolaire, alors
que cette technologie s’est progressivement «propagée»
dans le quotidien des Burundais, peut-être une façon de renouveler
des réflexions sur les intérêts pédagogiques de
telles ressources, qu’il ne faudrait pas occulter.
4. Cadre théorique de cette recherche
Cette partie définit le cadre théorique
dans lequel s'inscrit l’analyse que nous ferons ultérieurement des
données issues d’entretiens semi-directifs et individuels. Nous
allons succinctement décrire les deux approches
privilégiées : la théorie des représentations
sociales
(Moscovici, 1961)
et le modèle du carré PADI
(Wallet, 2001).
4.1. Lecture psychosociale avec les représentations sociales
Les représentations sociales ou RS
(Moscovici, 1961)
regroupent un ensemble d’opinions, de valeurs, de croyances,
d’informations, d’attitudes et de prises de position dans un
environnement socioculturel donné sur un sujet ciblé. Autrement
dit, la RS pour un ou des groupe(s) ciblé(s), constitue une forme de
connaissances de sens commun sur un objet. Dans le cadre de notre
présente recherche, il s’agit de comprendre comment les enseignants
du Primaire, les superviseurs et les journalistes de la RSN se
représentent la radio scolaire.
Par ailleurs, les RS constituent une «grille de lecture»
(Moliner, 1988)
pour que les groupes comprennent et interprètent leur environnement
(physique, social, matériel), puissent organiser leurs actions et ancrer
dans leurs pensées tout changement susceptible de transformer ces
conduites. Elles constituent également, pour les membres d’un
groupe, un moyen de sauvegarder l’identité, l’héritage
et les valeurs des ainés. Elles sont donc l’opportunité
intrinsèque d’obtenir des clés de compréhension et
d’analyse de l’objet étudié pour chacun des trois
groupes dans notre travail. Après, pour qu’un objet puisse
être considéré à part entière comme objet de
RS, Moliner
(Moliner, 1988)
a repéré l’existence de cinq critères
interdépendants les uns des autres : les caractéristiques de
l’objet de la RS (polymorphisme), les caractéristiques du groupe
(ou des groupes), l’absence d’orthodoxie, c’est-à-dire
la liberté des membres du groupe à penser et agir sur
l’objet, la présence d’une dynamique sociale et la source
d’enjeux qui constituent des formes de prises de position et
d’appropriation des membres de ce(s) groupe(s) sur l’objet
(Moliner, 1996, pp. 35-48).
De plus, Moscovici
(Moscovici, 1976)
rappelle notamment que «l’objet est inscrit dans un
contexte actif, mouvant, puisqu’il est partiellement conçu par la
personne ou la collectivité en tant que prolongement de leur comportement
et n’existe pour eux qu’en tant que fonction des moyens et des
méthodes permettant de le connaître» (P. 46). Cet auteur,
dans son œuvre princeps La psychanalyse, son image, son public
formalise le besoin qu’il y a d’expliciter et de fournir les jalons
historiques, géopolitiques et éducatifs dans lesquels les radios
puis les radios scolaires se sont introduites dans le quotidien des citoyens et
des enseignants en France et au Burundi.
Dans le cadre de notre recherche, nous voulons donc connaitre quelle est la
représentation sociale de la radio scolaire pour chacun des trois
groupes : les bénéficiaires de la RSN (enseignants)
d’abord, les personnes qui organisent, des points de vue logistique et
technique, les émissions et les programmes de la RSN (journalistes)
ensuite, et les cadres de supervision (directeurs d’école,
inspecteurs et conseillers pédagogiques) enfin. Tout au long de notre
analyse empirique, et à partir de cette lecture psychosociale, nous
chercherons donc à savoir comment chacun de ces trois groupes
perçoit le rôle de la RSN dans le cadre de leurs propres
activités et missions professionnelles. Il faut ici rappeler que la RSN
est l’un des services du Ministère de l’Enseignement au
Burundi et que par voie de conséquence, les émissions
pédagogiques d’éducation à la santé ou encore
celles rattachées à l’enseignement et à
l’apprentissage des langues (Français, Kirundi, Anglais et Swahili)
peuvent institutionnellement s’intégrer dans le quotidien des
professionnels de l’éducation. Reste à étudier ce
qu’il en est pour ces différentes personnes dans leurs discours.
Les contextes technologique, économique et socioculturel seront ici des
éléments d’explication sur la manière dont ces
groupes se représentent la radio scolaire et pourront justifier par bien
des égards le manque de connaissances et de pratiques des personnes
interviewées par rapport aux injonctions ministérielles
d’écouter les émissions de la RSN. Cette manière dont
elles se représentent la RSN permettra de faire émerger des points
de levier et de contraste pour les trois groupes concernés.
4.2. Lecture systémique avec le modèle du carré
PADI
Nous analyserons également les propos des interviewés à
partir d’une lecture systémique grâce au modèle du
carré PADI
(Wallet, 2001),
(Voulgre, 2011).
Effectivement, les contradictions que feront émerger ces personnes
entre les injonctions et les mises en œuvre de la radio scolaire
permettront d’interroger les rôles et les fonctions des acteurs qui
sont en interrelation au sein de quatre pôles : Pédagogie,
Acteurs, Dispositif, et Institution (carré PADI). Et, à partir du
modèle d’Engeström (1987), nous pourrons aussi analyser les
tensions à l’œuvre dans la distribution des tâches entre
différents acteurs de la communauté éducative du Burundi.
Le dispositif sera ici compris au-delà de son sens technologique comme
une instance dans laquelle se construisent les choix pour la mise en œuvre
de la formation
(Rinaudo et Poyet, 2009).
Pour comprendre quelle place le modèle du carré PADI aura dans
l’analyse du discours des interviewés réalisée
supra, tout comme précédemment avec la théorie des
RS, nous matérialiserons l’existence de chaque pôle
constitutif du carré PADI par des questions issues de cette
recherche.
Chaque pôle de ce modèle sera donc l’occasion par exemple
d’aborder le point de vue, les potentielles tensions entre les pôles
et ce qu’en savent les acteurs.
- Le pôle «Pédagogie» : Quels sont leurs
axes prioritaires en termes de pédagogie ? Quelles sont les
disciplines concernées ? Quels sont les supports
complémentaires de ces émissions pédagogiques
(ressources papier, manuels scolaires, programmes, fiche de préparation,
cahiers de compte-rendu des émissions, etc.) ? Quelles sont les
formations en pédagogie nécessaires pour produire une
émission ?
- Le pôle «Acteurs» (notamment
eux-mêmes) : Comment les acteurs sont en relation entre eux ?
Comment des feed-back sont-ils organisés entre ces différents
publics ? Autrement dit, dans quels contextes les conseillers
pédagogiques rencontrent les enseignants pour penser le contenu des
émissions, rencontrent également les journalistes pour
«fabriquer» ces émissions ? Quelles sont leurs formations
pour construire le programme de la RSN aussi bien en termes de cultures
radiophoniques qu’en termes de cultures enseignantes ? Quelles sont
les maquettes de production qu’ils utilisent ?
- Le pôle «Dispositif» formation supervision radio
scolaire : Comment s’organise la couverture d’audience sur ce
territoire ? Comment s’articule ce dispositif avec d’autres
dispositifs existants (les manuels scolaires conçus par les conseillers
pédagogiques, la formation initiale et continue des enseignants,
etc.) ? Quels sont les besoins de financement de ce service du
Ministère ? Qui achète le matériel nécessaire
à son bon fonctionnement ? Comment les émissions sont-elles
sauvegardées et éventuellement archivées,
réutilisées ?
- Le pôle «Institution» : S’agit-il selon
eux du Ministère de l’Éducation Nationale, d’IFADEM,
de la RFI ? Quels rôles ont-ils dans la mise en œuvre
d’émissions de la RSN ? Existe-t-il des textes
législatifs qui réguleraient l’activité du service de
la RSN ?
5. Méthodologie
Dans cette partie, nous exposons la
méthodologie que nous avons souhaitée à la fois qualitative
et compréhensive, dans le cadre du projet de recherche SUPERE-RCF.
Nous avons créé un guide d'entretien, qui a été
adapté auprès des trois groupes de manière à prendre
en compte les spécificités et ancrages professionnels de chacun.
Une partie de ces questions a permis d’aborder, entre autres, la
définition de la radio scolaire, les missions et les activités de
la RSN d’après le regard et la posture d’où se
trouvent les personnes interviewées. Nous avons ainsi mené 35
entretiens semi-directifs individuels enregistrés durant notre mission
qui ont par la suite été traités à partir
d’une analyse de contenu thématique. La durée moyenne des
entretiens a avoisiné 40 minutes.
Cette collecte de données s'est déroulée dans quatre
provinces du Burundi du 24 février au 6 mars 2014. L’une de ces
provinces n'a pas participé au dispositif IFADEM : il s’agit
de Makamba. Les trois autres provinces IFADEM étaient :
Bujumbura-Mairie, Rutana et Mwaro.
Enfin, notre analyse pour la partie «Résultats et discussion
générale» s’est plus précisément
attachée à prendre en considération uniquement 25
entretiens, les dix autres acteurs interviewés ne concernant pas
spécifiquement notre problématique de par leurs fonctions
(enseignants à l’Université et d’autres qui sont
rattachés à l’équivalent au Collège en
France).
La description de notre échantillon, non représentatif, permet
de mettre en évidence deux chaînes de supervision, dans lesquelles
les groupes s’entremêlent.
Il est composé alors du groupe enseignant : 6 enseignants de
l’enseignement de base, (équivalent au Primaire en France). Puis,
les deux autres groupes constituent, d’après l’analyse du
discours des 19 acteurs rencontrés, deux chaînes de
supervision :
- La chaîne d'inspections administratives partant de
l'Inspection Générale de l’Enseignement (IGE) : 5
directeurs d’école publique ou privée et 7 inspecteurs (que
ces derniers soient cantonaux, communaux, provinciaux, principaux ou bien
généraux) ;
- La chaîne d’inspections pédagogiques partant de
la Direction Générale des Bureaux Pédagogiques
(DGBP) : la directrice de la DGBP, 3 conseillers pédagogiques, 2
journalistes de la RSN et le directeur de cette structure.
Maintenant que nous avons précisé le cadre
méthodologique employé pour collecter les données, nous
allons désormais présenter les résultats issus de cette
mission au Burundi.
6. Résultats et discussion générale
Nous allons désormais décrire comment
s'articulent, au sein du dispositif IFADEM, la mise en œuvre et
l’exploitation des émissions pédagogiques produites par la
RSN, dans le quotidien des enseignants du Primaire, ainsi que la place qui lui
est assignée dans l'accompagnement pédagogique et la supervision
administrative des acteurs de la communauté éducative. Nous
rappelons qu’il y aura ici une approche à la fois systémique
et psychosociale de l’objet «radio scolaire» afin
d’articuler, de manière pertinente, le modèle du
carré PADI
(Wallet, 2001) et
la théorie des représentations sociales
(Moscovici, 1961).
6.1. Place de la RSN dans la supervision administrative et
pédagogique
Cette partie s’attache à interroger la place accordée
à la radio scolaire au Burundi et à comprendre comment elle
complète, rentre en concurrence ou encore impacte sur les dispositifs de
formations initiale et continue des acteurs, sur ses potentialités
éducatives à former les maîtres tout au long de leurs
carrières. Rappelons que les formations dispensées dans le cadre
d’IFADEM sont prioritairement axées sur le renforcement de la
langue française pour l’enseignement du français et des
Disciplines Non Linguistiques (DNL) dans le Primaire. La RSN jouerait alors un
rôle essentiel pour la transmission orale des notions du français,
mais aussi de méthodologies pour faire la classe.
6.1.1. IFADEM : une plus-value pédagogique pour la RSN
Les axes prioritaires, d’un point de vue pédagogique, semblent
être d’après l’ensemble des interviewés :
la prononciation, les règles de grammaire et de conjugaison. Les
conseillers pédagogiques, formés par IFADEM, se sentent alors
compétents pour former à leur tour les enseignants, les
accompagner dans leurs difficultés et exercer au mieux leur
métier...
«Avant IFADEM, [...] on enregistrait un enseignant dans une classe.
On enregistrait les élèves. Et, après, on allait au studio
pour faire le commentaire de l’émission. Aujourd’hui, avec
l’IFADEM, on se disait : on va voir... On a enseigné par
exemple tout ce qui est en rapport avec la phonétique. Et nous savons que
les Burundais ont des difficultés au niveau de la prononciation parce
qu’il y a des sons qui existent en français et qui n’existent
pas en kirundi, et vice versa. Par exemple, si je dis «sale». Eux, ils
peuvent dire «salé». Et ça peut nuire au sens. Oui. Si
on dit, par exemple, «je suis sale» ou bien «le plat est
sale»... disons «le plat est sale». Ils peuvent dire «le
plat est salé». Et vous voyez, le sens change. Et les phrases sont
correctes » (Conseillère pédagogique n°2). IFADEM
lui a appris à avoir une démarche méthodologique
rigoureuse, avec l’apport théorique de linguistes, pour produire
des émissions radiophoniques ciblées, ici, sur la
phonétique. Elle conclut en termes d’apports pour son
développement professionnel : «Pour les émissions [RSN],
on se dit qu’on ne va pas dans les écoles n’importe comment.
On se fixe un objectif avant d’y aller. Et puis on se documente
même, si vous voulez, alors qu’avant, on y allait comme
ça» (Ibidem).
Toujours autour de la dimension «phonétique», un directeur
d’école, qui a reçu la formation IFADEM sur
l’accompagnement des maîtres, a, quant à lui, perçu
l’intérêt pédagogique de la radio scolaire
auprès des enseignants (dont il est le supérieur
hiérarchique direct). «Si on a remarqué que
l’enseignant prononçait mal, il y a des émissions qui
passent à la radio, c’est des leçons de swahili, c’est
le moment d’écouter surtout la prononciation, on insiste sur la
prononciation surtout en 1ère année et 2e
année [...] comme ça, vous allez vous aussi le faire vous aussi
dans vos classes respectives» (Directeur d’école -
Mwaro).
Mais, cette même personne tient à rappeler l’importance
accordée à la formation en présentiel parce qu’avec
la RSN, «avec les formations à distance, on ne peut pas demander
[poser] une question» (Ibidem). La question sous-jacente, dans
les propos de cette personne, est la suivante : comment rendre possible la
confrontation de points de vue, pour approfondir une notion traitée dans
une émission, entre auditeurs (enseignants par exemple) et journalistes
de la RSN ?
Cette question en amène une autre : quelle marge de manœuvre
a un enseignant pour appliquer, pour discuter les recommandations fournies par
la radio scolaire ? Il est intéressant ici de se rappeler le
critère «absence d’orthodoxie»
(Moliner, 1988)
pour comprendre comment les auditeurs peuvent appréhender, ou se
représenter, la place de la radio scolaire dans leurs pratiques
enseignantes. Pouvoir davantage discuter le contenu des émissions
radiophoniques revient à pointer toute l’importance accordée
aux échanges pour se faire une représentation d’un objet.
Dans notre cas, même si l’institution scolaire (via la RSN)
réglementaire, encadre et institutionnalise des savoirs, des
procédures pédagogiques et didactiques, chaque enseignant doit
pouvoir disposer d’une marge de liberté pédagogique pour
appliquer au mieux ces injonctions officielles dans le cadre de sa classe et
selon les moyens dont il dispose de manière à ne pas se retrouver
dans un système que Deconchy
(Deconchy, 1984)
nomme «orthodoxe».
6.1.2. La RSN : une opportunité pour faire se rencontrer
différents acteurs ?
Parmi d’autres résultats issus de cette mission au Burundi, nous
avons pu de manière exploratoire comprendre le fonctionnement des deux
chaînes de supervision (administrative et pédagogique), recueillir
des caractéristiques sur les différents groupes qui composent
notre échantillon, mais aussi recueillir des points de vue de trois
catégories d’acteurs (modèle du carré PADI) ou de
trois groupes (théorie des RS). Il s’agit tout d’abord des
enseignants qui perçoivent dans la RSN l’opportunité et le
besoin d’avoir des actions de formation à distance. Il y a ensuite
un écosystème de formateurs (conseillers pédagogiques et
inspecteurs) qui doivent penser la supervision et l’accompagnement
pédagogique des enseignants. Enfin, et plus spécifiquement autour
du média de la radio scolaire, il y a les journalistes de la RSN qui ont
une approche davantage technique de l’enregistrement, de la production et
du stockage des émissions à l’issue des
«descentes» (ou visites, dirions-nous en France) dans les
écoles.
Plus précisément, les acteurs de la chaîne de supervision
pédagogique sont là pour transmettre les plannings des
émissions aux directeurs des écoles, ce que décrit bien
cette conseillère pédagogique dans cet extrait : «Au
quotidien, nous concevons les manuels des élèves, les guides des
enseignants aussi. Nous assurons le suivi donc de ces programmes. Et, des fois,
on fait la formation à distance, pas tous les jours, mais des fois. Et
c’est organisé par la radio scolaire Nderagakura. Nous formons des
enseignants sur les programmes. Et le suivi que nous faisons, c’est dans
les écoles. Des fois, la radio scolaire a besoin des émissions de
recyclage. Elle vient auprès de nous et nous demande de produire des
émissions. [...] Et puis, avec l’IFADEM, on se disait : on a
formé les enseignants sur ceci, sur ceci, sur ceci, il faut qu’on
aille sur le terrain regarder comment les enseignants dispensent les
leçons et puis faire un commentaire» (Conseillère
pédagogique n°2). Plus concrètement, les conseillers
pédagogiques et les journalistes de la RSN se rencontrent donc pour
penser l’organisation de ces émissions soit dans les locaux de la
radio, soit dans ceux du bureau pédagogique. Par la suite, ils vont
ensemble dans les écoles pour concevoir l’émission. Le jour
de la diffusion de ladite émission, le dialogue et feedback entre
journalistes et auditeurs peuvent s’établir lorsque, par exemple,
des jeunes envoient jusqu’à «200 messages [SMS] pour
une seule émission. Tous les coins du pays sont représentés
parce que celui qui envoie un message met son nom et son prénom,
où il est. [...] Mais, pour les enseignants et les adultes, ils
vont nous dire : «Telle émission était
bonne». [...] [De manière générale] Ceux qui
vont faire ce commentaire, ce sont les paysans ou ce sont les parents, ce sont
les élèves, ce sont les enseignants, l’administration
également, l’administration des parents» (Journaliste de
la RSN n°2). Cette dernière phrase illustre bien la place que les
Burundais accordent à la radio scolaire et à
l’oralité pour apprendre et que ces derniers, lorsqu’ils sont
enseignants, l’écoute pour améliorer leurs pratiques de
classe (partie
dédiée dans cet article). Le processus d’ancrage,
propre aux RS, est perceptible, car on comprend bien qu’à travers
les missions de la RSN les instituteurs rendent familier ce qui leur est
étrange et intègrent plus facilement le nouveau dans un
«déjà-là pensé»
((Jodelet, 2003, p. 381)opérant.
«Chez nous, les gens écoutent beaucoup la radio et donc,
l’oralité est très forte. Nous avons trouvé que
c’est un outil efficace pour la formation continue» (Conseiller
à la DGBP).
Lors de nos entretiens (en février 2014), les acteurs de terrain
rencontrés ont par ailleurs questionné la réduction de la
part de ces émissions dans le programme de la RSN. Ils ont très
souvent interrogé les stratégies financières et politiques
du Gouvernement, la place à accorder aux technologies, aux certifications
pour la FAD et la formation continue (FC) des enseignants. Ces discours sont,
d’après nous, à replacer dans un contexte de
stratégie nationale du Burundi sur la FC au Primaire
(Chevalier, Develay, Kasajima et Wallet, 2012).
6.1.3. La RSN : un dispositif de FAD ancré dans une histoire et
des pratiques ?
Ensuite, nous avons été amenées à nous demander
comment et pourquoi la radio scolaire est devenue une ressource
privilégiée pour la formation des enseignants. Les
témoignages, à ce propos, sont apparus contradictoires quant
à l’origine de ces émissions. Par exemple, un directeur
d’école pense qu’il s’agit d’un dispositif
récent et c’est la raison pour laquelle les enseignants de son
école n’ont pas encore écouté
d’émissions durant l’année scolaire 2013-2014. A
contrario, d’autres acteurs, comme la conseillère
pédagogique n°1 ou bien les journalistes de la RSN sondés,
témoignent qu’à une époque, ils devaient fournir 3
émissions par trimestre, soit 9 pour une année scolaire et que
depuis des coupes budgétaires, il en est tout autrement maintenant.
Enfin, au sein de la DGBP, nous avons appris que la matérialisation des
dispositifs de FAD pour la FC des enseignants a évolué dans ses
stratégies de mises en œuvre : «Au niveau de la FC, la
première génération, ça a été la
poste, la seconde génération, c’était la radio et la
troisième génération, c’est maintenant le
numérique [...]. Mais, pour former les enseignants, nous n’avons
pas utilisé la poste, c’était des gens dans d’autres
secteurs qui se sont formés à distance par la poste. La radio,
ça a commencé dans les années 90, avec la RSN, et puis il y
a eu en 2009, IFADEM, et la FOAD avec un portail de ressources. [...] La
radio, c’est un relais pour faire un retour auprès des enseignants
sur les concepts, les notions, c’est pour parler des difficultés
rencontrées dans les pratiques de classe. [Il rappelle aussi ceci.]
Chez nous, les gens écoutent aussi beaucoup la radio et c’est
donc, pour nous, un outil efficace pour former beaucoup de monde à la
fois dans toutes les provinces du pays» (Conseiller à la
DGBP).
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des acteurs rencontrés est
unanime pour dire que la RSN permet le renforcement de connaissances et de
compétences chez les enseignants. «Un retour cyclique des notions
par la radio» nous rappelle l’un d’entre eux n’est
possible que parce qu’au préalable des superviseurs (administratifs
et pédagogiques) ont identifié des besoins à partir des
visites dans les classes.
Après, parce que les enseignants ne peuvent pas tous et toujours se
libérer pour écouter ces émissions pédagogiques,
différentes pistes pour y remédier ont été
évoquées par les enseignants rencontrés :
«Généralement, parce qu’on ne peut pas
l’écouter en même temps, tous les personnels en même
temps, il y a donc une organisation qui est faite, c’est-à-dire que
chaque enseignant ou un groupe d’enseignants a son jour pour
écouter donc l’émission» (Enseignant -
Bujumbura-Mairie), «La radio, nous l’écoutons chez nous
parce que nous avons des postes de radio sinon ici à
l’école, on n’a pas de temps suffisant pour écouter.
[...] Oui, quand on écoute une émission, nous nous
nourrissons de ces informations [...] voir si ce que je fais est conforme
à la réalité et si y’a à changer, je change
oui» (Enseignant - Rutana). La supervision autour de la radio scolaire,
dans ce contexte, se réalise parfois par les directeurs
d’école qui instaurent un «cahier des émissions
scolaires». Les enseignants y notent ce qu’ils ont appris en
écoutant une émission et ils sont tenus de le montrer lors
d’une «descente» (ou visite) d’un inspecteur ou de
leur directeur d’école.
Dans les exemples que les enseignants nous ont fournis, pour illustrer
quelles peuvent être les thématiques d’émissions, nous
avons repéré qu’une place était accordée par
la RSN à des projets internationaux soutenant les langues parlées
dans le pays. Ont été mentionnés, à titre
d’illustration : le projet AREF (Appui au Renforcement de
l’Enseignement du Français), le projet CELEC (Coopération et
Échange en matière, Linguistique Éducative et Culturelle),
mais aussi et surtout IFADEM (Initiative Francophone pour la Formation À
distance des Maîtres).
6.1.4. La RSN : un service institutionnel à
maintenir ?
Le pôle «Institution» est la dernière dimension sur
laquelle nous allons désormais nous focaliser. Et, grâce aux trois
précédentes analyses, nous pouvons déjà mentionner
que des enseignants peuvent tenir à jour un cahier des émissions
radiophoniques. Cette pratique serait institutionnalisée dans quelques
écoles visitées (provinces : Mwaro, Bujumbura-Mairie,
Makamba) parce qu’il s’agirait d’injonctions de directeurs
d’école ou d’inspecteurs.
Par ailleurs, le prisme du pôle «Acteur» dans le carré
PADI se retrouve également sous tension avec celui
d’«Institution», car la RSN est un service rattaché
depuis plus de 10 ans à l’État burundais :
«Normalement, la radio était un médium de relais. Nous,
nous sommes là comme relais. Les journalistes sont présents
à chaque fois que le Ministère exprime des besoins en
matière de supervision. Ce sont des propositions qui émanent du
Ministère, qui nous dit : «Vous allez produire ça»
après avoir identifié les défis qui se trouvent sur le
terrain [grâce aux cohortes d’inspecteurs]. Ils doivent tenir
compte de la réalité qui se trouve sur le terrain pour faire une
commande» (Ibidem).
Nous avons aussi repéré les difficultés, essentiellement
financières, dans lesquelles le service de la RSN se trouve pour
maintenir et développer le nombre de ses émissions
pédagogiques : «Avec IFADEM, la production des émissions
était régulière. Et, puisque le projet a été
clôturé [...] maintenant qu’elles ne sont plus
financées, nous travaillons avec les bureaux pédagogiques [DGBP],
avec la direction des programmes de l’enseignement secondaire. [...] On
doit pérenniser. Mais, nous allons redynamiser puisque le
Ministère nous a demandé de produire beaucoup
d’émissions. Et, les conseillers pédagogiques devront se
rendre disponibles. Le problème majeur est que, pour le moment, ils sont
en pleine élaboration du programme du poste fondamental. Donc les
conseillers pédagogiques ne sont pas disponibles» (Directeur de la
RSN).
Cette situation économique a amené la RSN, appuyée de
l’État burundais, à rechercher des soutiens et des
financements auprès d’ONG et de partenaires internationaux (liste
d’organismes mentionnés par les interviewés : AUF,
Banque Mondiale, IFADEM, Ligue ITEKA, OIF, RFI, CNR - Conseil Norvégien
pour les Réfugiés, UNESCO, UNICEF, UNIMEF devenue UN Women). Voici
trois extraits d’entretien qui mettent en exergue certains de ces projets
et qui ont nécessité l’élaboration
d’émissions pédagogiques :
- «Je me rappelle que nous avons produit beaucoup
d’émissions en rapport avec ce problème de formation
à distance. [...] C’était une initiative dans le
cadre de la Banque mondiale, avec le PARSEB [Projet d’Appui à
la Reconstruction du Système Educatif Burundais]» (Journaliste de la
RSN n°1) ;
- «Il y a l’UNESCO également. Le PNUD
[Programme des Nations Unies pour le Développement]... Il y a des
associations de lutte contre le sida comme SWAA-Burundi [Society for Women
and Aids Association]» (Journaliste de la RSN n°2) ;
- «Avec l’UNICEF, c’est qu’on produit des
émissions sur le droit des enfants. On amène les enfants à
parler de leurs propres problèmes. Il y a des enfants journalistes qui
ont été encadrés par la maison de la presse, en
collaboration avec Free Press Unlimited. Ce sont ces enfants journalistes qui
viennent au studio et qui animent des débats en direct. On a des points
focaux dans trois provinces pilotes, donc en post-conflit ou qui sont encore
dans les conflits comme Bubanza ou Cibitoke, ou Bujumbura rural. [...]
Ils parlent de leurs propres problèmes» (Directeur de la
RSN).
Ces enjeux économiques autour de la RSN n’ont été
abordés uniquement que par les trois personnels rattachés à
cette structure et nullement par les cadres de supervision ou par les
enseignants (nous excluons ici le projet IFADEM). Nous analysons, d’un
point de vue psychosocial, cet état de fait en se disant qu’il y a
ici une différence dans l’enjeu identitaire que les uns et les
autres accordent à la dimension pécuniaire dans la RS de la radio
scolaire. Chez les journalistes ou le directeur de la RSN, elle fait partie de
leur identité pour survivre et donc ils sont enclins à
l’évoquer naturellement alors que pour les deux autres groupes,
elle n’est pas si importante. «Ce type d’enjeu est
déterminé en fonction de la place particulière
qu’occupe l’objet dans le groupe social. C’est, d’une
certaine manière, parce que l’objet [radio scolaire] est
«au cœur» du groupe qu’il fonde sa survie en contribuant
à l’identité de ses membres»
(Moliner, 1996, pp. 42-43).
Finalement, chaque catégorie d’acteurs ou groupe que nous avons
rencontrés saisit ce qu’est la radio scolaire, quelles sont ses
caractéristiques, quels enjeux ils s’en font et le contexte
(pédagogique, institutionnel ou fonctionnel) dans lequel elle doit
évoluer depuis la perspective de leur posture et culture
professionnelles.
6.2. Discussion générale
Dans cette partie, nous mobiliserons différentes ressources, que nous
avons présentées çà et là dans ce texte, de
manière à apporter un étayage critique et argumenté
sur chacune des questions de recherche, écrites en introduction sans
revenir toutefois ici sur l’évolution (historique,
géopolitique et éducative) des usages de la radio en Afrique
fortement questionnés par les usages des TIC modernes. Cette
première question de recherche a trouvé ses éléments
de réponse dans la seconde partie de notre papier.
Dans cette discussion générale, il s’agira
d’identifier les points topics de notre analyse, relatifs à nos
deux autres questions qui permettaient d’interroger d’une part
comment les acteurs de la communauté éducative rencontrés
au Burundi, se représentent le média «radio scolaire» et
d’autre part comment les acteurs de la communauté éducative,
rencontrés dans le cadre de la mission SUPERE-RCF, en 2014, articulent
radio scolaire et système de supervision pédagogique des
maîtres dans ce même pays.
Avant de poursuivre, rappelons aussi que les trois groupes
étudiés, stipulés dans notre partie 4.1, sont «les
bénéficiaires de la RSN (enseignants) d’abord, les personnes
qui organisent, des points de vue logistique et technique, les émissions
et les programmes de la RSN (journalistes) ensuite, et les cadres de supervision
(directeurs d’école, inspecteurs et conseillers
pédagogiques) enfin».
Nous retiendrons alors que se dessinent des tensions au regard des
représentations sociales entre ces trois groupes. Les postures
identitaires et professionnelles impactent sur leurs représentations du
média. Mentionnons par exemple que la dimension pédagogique
s’exprime différemment pour les enseignants et les superviseurs
rencontrés. Le premier groupe y voit une ouverture sur
l’actualité alors que le second groupe y voit un média pour
former sur une notion, un concept ou compétence ciblés, un
média pour la formation continue en lien avec les injonctions du
Ministère. Les superviseurs et les enseignants, ont une conception de la
RSN particulièrement adaptée pour apporter des compétences
en langues aux auditeurs. Néanmoins, les superviseurs et les journalistes
interviewés temporisent leurs propos parce que ce média
n’est pas encore assez utilisé pour diverses raisons dans le
(notamment : problèmes techniques de réceptions dans
certaines provinces, raisons financières) qui empêchent
l’achat de matériels modernes. Enfin, il serait intéressant
d’étudier l’influence que pourraient avoir des feedbacks
d’auditeurs (de type SMS) sur la formation (initiale et continue)
d’enseignants.
Nous retiendrons aussi que du point de vue de la supervision
pédagogique, le groupe des superviseurs dit avoir acquis, grâce
à IFADEM, les moyens de construire des émissions à partir
de recherches documentaires pour apporter aux enseignants des notions
fondamentales pour faire la classe. Ces acteurs de la supervision se basent
d’ailleurs sur les émissions concernant l’apprentissage du
français à l’écrit comme à l’oral pour
expliquer les transformations de leurs pratiques professionnelles. Ils se
sentent compétents et légitimes pour former les enseignants tout
comme pour les accompagner via les émissions de radio.
Interfaces devenues courantes de formation à distance,
identifiées de «seconde génération», plusieurs
conditions sont toutefois indispensables pour que les émissions soient
écoutées. Sont nécessaires des postes de radio
fonctionnels, à disposition des enseignants notamment dans les
écoles, mais aussi et surtout des temps de regroupement avec des tuteurs
et des livrets papiers afin de reprendre les notions disponibles sur les ondes
d’une façon asynchrone, aux moments opportuns comme lors des
regroupements IFADEM. Un «cahier des émissions» radiophoniques
est aussi préconisé par quelques directeurs d’écoles,
comme support «relai» de formation au sein des écoles.
Il faut ensuite rappeler qu’avant IFADEM, il n’y avait pas
d’émissions en lien avec des supports pédagogiques (version
papier) et noter que la formation dans le cadre d’IFADEM n’a pas
touché tous les enseignants du territoire. Par conséquent, des
difficultés ont pu être davantage perçues pour les
enseignants qui devaient écouter des émissions sans
posséder les livrets IFADEM.
D’un autre côté, les enseignants qui ont suivi la
formation IFADEM signalent que ces regroupements, organisés le samedi,
étaient une charge supplémentaire pour eux.
Nous retrouvons dans les discours des tensions entre d’une part, une
charge de travail de l’apprenant (qui peut être tour à tour
un acteur de supervision, un acteur de la RSN ou un acteur rattaché
à une école) qui est préalablement défini d’un
point de vue institutionnel et sans doute à visée injonctive par
les formateurs (qui sont aussi des superviseurs), et d’autre part, la
liberté de cet apprenant à vouloir disposer de son temps personnel
comme il le souhaite.
La répartition des tâches de chaque acteur rencontré est
pour partie définie par des textes officiels ou bien par des rapports
d’organismes (IFADEM, UNICEF, Banque Mondiale, etc.), mais aussi pour
partie comprise à partir des représentations sociales que chacun a
de ses missions, de ses postures et de sa liberté à penser et
à agir sur son environnement.
Des tensions primaires et secondaires
(Engeström, 1987)
peuvent alors s’observer entre les groupes d’individus, mais aussi
à l’intérieur d’un même groupe, entre ses
membres. C’est le cas du groupe de superviseurs dont les rôles et
les fonctions sont hétérogènes. Les uns peuvent
dépendre de l’autre hiérarchiquement comme l’est le
directeur d’école du directeur communal. Ils peuvent aussi
être rattachés à des directions de services
différentes comme c’est le cas pour les inspecteurs de l’IGE
et les inspecteurs du BEPEB. Cette dernière remarque en appelle une autre
concernant la répartition des enveloppes budgétaires et autres
moyens pour mener la supervision de façon coordonnée sur les
territoires qui s’entrecroisent. Le dispositif IFADEM a parfois fait
questionner les positions hiérarchiques en nommant des responsables
d’émissions de radio et des conseillers pédagogiques qui
auparavant étaient sous la direction d’un inspecteur, qui se sont
alors retrouvés tuteurs et un peu dépendant des ressources
produites en amont.
7. Conclusion et perspectives
La réussite en termes de certifications des
maîtres formées dans le cadre d’IFADEM (Initiative
francophone pour la formation à distance des maîtres) a conduit les
membres de ce dispositif, de l’AUF et de l’OIF, à publier un
appel à recherche Rethe - Axe 1, dans lequel se situe notre recherche
SUPERE-RCF sur la supervision pédagogique et notre mission de terrain au
Burundi effectuée en 2014.
Dans cette conclusion, nous ne reviendrons pas sur les parties 2, 3 et 6 qui
ont fait l’objet d’une synthèse ciblée, dans la partie
précédente, «Discussion
générale».
Les parties 4, «Cadre théorique de cette recherche»,
et 5, «Méthodologie», ont permis de présenter le
cadre théorique à partir duquel nous avons analysé les
données issues de notre mission au Burundi et de circonscrire nos
résultats mentionnés dans la partie 6 «Résultats et
discussion générale» qui s’appuyaient
précisément sur 25 entretiens semi-directifs. L’approche
systémique du carré PADI
(Pédagogie-Acteurs-Dispositif-Institution) et celle psychosociale de la
théorie des représentations sociales expliquent l’importance
que nous avons accordée aux parties 2 et 3 dans ce travail. Elles nous
ont permis de mieux comprendre les enjeux historiques et géopolitiques
des systèmes éducatifs dans lesquels les acteurs et les groupes se
construisent et interagissent entre eux.
Pour conclure, nous voudrions faire part d’un dernier verbatim
fourni par l’un des acteurs du bureau pédagogique du Burundi. Cette
personne articule la radio et la téléphonie mobile dans une
perspective de formation des enseignants tout en signalant, certes, le
coût financier relatif que cela représente pour un enseignant, mais
aussi et surtout le coût d’appropriation pour ce dernier dans la
mesure où il n’aurait pas encore développé
d’usages : «La téléphonie mobile, d’un
côté, oui et d’un côté, non, ce n’est pas
tout le monde qui est en mesure de s’acheter un appareil qui a un poste
radio à l’intérieur [...] Il faut tout d’abord
que le pouvoir d’achat soit fort pour qu’un enseignant
s’achète un téléphone mobile». Ce message
nous paraît essentiel pour envisager des dispositifs dans lesquels la
Radio Scolaire Nderagakura (RSN) aurait un rôle. Nous interrogeons alors
ici les potentialités pédagogiques qu’ouvre
l’articulation de ces deux médias avec les supports papier des
livrets IFADEM, dans le renforcement pour accompagner l’apprenant. Nous
interrogeons aussi, dans ce contexte, comment les enseignants pourraient
construire des compétences, dans les domaines du numérique et de
la collaboration dans et hors de l’École.
Enfin, rappelons qu’il nous paraît essentiel de mener une
réflexion pour savoir comment s’appuyer sur les diverses
utilisations la RSN, quand celles-ci sont tellement bien ancrées dans les
représentations et les déclarations de pratiques des Burundais.
Comment la place de la radio scolaire peut être maintenue, dans un
contexte où se mettent en œuvre des stratégies
internationales pour le développement du numérique dans
l’éducation ? Ce questionnement est d’autant plus
pertinent alors que se sont regroupés le 5 juin 2015, à Paris, 45
représentants des États francophones pour réfléchir
au développement numérique de l’espace universitaire
francophone
(MEN, 2015).
Selon des experts canadiens, le terme «littératie»
désigne «la capacité d’utiliser le langage et les
images, de formes riches et variées, pour lire, écrire,
écouter, parler, voir, représenter et penser de façon
critique»
(MEO, 2014, p. 5).
Si l’on s’appuie sur cette définition de la
littératie, nous avons des raisons de penser que la RSN est un
média dont les usages peuvent venir renforcer les compétences que
les acteurs sont amenés à développer pour
s’approprier le numérique. En effet, les processus sociocognitifs
mis en œuvre en intégrant la radio scolaire dans le quotidien des
enseignants peuvent les conduire à une participation active et
renouvelée de leurs pratiques enseignantes.
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2 Répondre aux besoins
éducatifs fondamentaux : Une vision pour les années 90.
Document de référence (version finale) produit dans le cadre de la
conférence mondiale, du 5 au 9 mars 1990, sur l’Education Pour Tous
(EPT). Disponible sur internet (consulté le 31-05-2015)
3 Site internet des
émissions de radio scolaire, réalisées dans le cadre du
projet IFADEM au Burundi entre 2011 et 2012 et en accès libre. Disponible
sur internet (consulté le 31-05-2015)
A
propos des auteurs
Emmanuelle VOULGRE est Maître de Conférences
au département des sciences de l'éducation et au laboratoire
Education Discours Apprentissage (EDA, AE 4071) de l’Université
Descartes Sorbonne Paris Cité. Elle dispense des enseignements visant la
construction d’une culture et d’une pensée numérique
chez les apprenants au service de leurs missions professionnelles. Elle
mène des recherches en lien avec l'informatique et les usages des
technologies de l'information et de la communication en éducation. Ses
thèmes de recherche actuels concernent les enjeux pédagogiques et
didactiques des instruments numériques, les modes d'appropriation de ces
instruments par les acteurs des systèmes éducatifs (apprenants,
enseignants, parents, superviseurs).
Courriel : emmanuelle.voulgre@parisdescartes.fr
Toile : http://eda.recherche.parisdescartes.fr/emmanuelle-voulgre-3/
Adresse : Université René
Descartes, 45 rue des Saints Pères, Faculté SHS,
Département Sciences de l’éducation - Laboratoire EDA, 75006
Paris cedex
Stéphanie NETTO est maître de
conférences (MCF) en Sciences de l’Éducation à
l’Université de Poitiers depuis 2012. Elle dispense des
enseignements de Psychologie sociale, de Sciences de l’Éducation et
de méthodologie de la recherche à l’ESPE Académie de Poitiers, site
de la Charente, auprès de futurs enseignants du Primaire et du Secondaire
(PLC toutes disciplines). Elle est également chercheur au laboratoire de
recherche (EA-6316) TECHNE - Technologies Numériques pour l’Éducation.
Ses travaux de recherche portent tout particulièrement sur trois
orientations : pédagogie et numérique à l’Ecole (du
Primaire au Supérieur), professionnalisation d’enseignants,
contributions à la théorie des représentations sociales (Moscovici, 1961) et au modèle de la pensée sociale (Rouquette, 1973).
Courriel : stephanie.netto@univ-poitiers.fr
Toile : http://blogs.univ-poitiers.fr/stephanie-netto/
Adresse : Université de Poitiers -
Laboratoire TECHNE - UFR Lettres et Langues, Bâtiment A3 - 1,
Rue Raymond Cantel TSA 11.102, 86 073 Poitiers cedex 9
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